DEGRÉ ZÉRO

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0° ATLAS / ANALYSE / PROJET



° °zéro

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° de l’écriture

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“D'abord objet d'un regard, puis d'un faire, et enfin d'un meurtre, [l’écriture] atteint aujourd'hui un dernier avatar, l'absence: dans ces écritures neutres, appelées ici le degré zéro de l'écriture, on peut facilement discerner le mouvement même d'une négation, et l'impuissance à l'accomplir dans une durée, comme si la Littérature, tendant depuis un siècle à transmuer sa surface dans une forme sans hérédité, ne trouvait plus de pureté que dans l'absence de tout signe, proposant enfin l'accomplissement de ce rêve orphéen : un écrivain sans Littérature.”

Roland Barthes, Degré zéro de l’écriture, Paris, Seuil, 1953


Orphée ramenant Eurydice des enfers, Corot, 1861, détail


Selon Barthes, il y a un tragique de la Littérature issu de son incapacité fondamentale à satisfaire ses ambitions mimétiques par rapport au réel. D’un côté, l’écriture est enfermée dans les codes et les styles de la Littérature qui, établis dans le contexte d’une société bourgeoise, reflètent la conception d’un monde sensé, clos, appréhensible et compréhensible. Toute littérature est ainsi forcée de perpétuer, par sa forme, un contenu idéologique qui n’est plus d’actualité. D’un autre côté, l’écriture qui tente d’échapper à cette condition en se rapprochant du langage échoue à devenir Littérature. Elle tombe alors dans le parler, qui parvient, tout au plus, à faire rapport du réel, mais ne réussit pas à en donner une traduction littéraire. Le degré zéro, c’est ce vers quoi doit tendre l’écriture. C’est l’écriture qui parvient à être Littérature tout en se libérant des codes et des styles qui fondaient son atavisme, et ce sans pour autant tomber dans la parole. Le degré zéro, c’est la parfaite adéquation de la réalité et de sa restitution au sein d’une œuvre littéraire.


° de l’architecture

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La notion de degré 0 de Barthes s’appliquait à la Littérature, au sein de l’acception de cette dernière comme un art de représentation. On peut mettre en doute la transposition du degré zéro de la Littérature vers l’Architecture. Si l’architecture a un rapport certain au réel, ce n’est pas sous l’angle de la mimésis, puisque cet art interagit avec le réel jusqu’à faire le réel. A cette approximation première de la transposition d’un art à l’autre, s’ajoute les approximations internes au texte de Barthes, à la fois saisissant et confus. De là découle une pluralité des interprétations du concept du degré zéro appliqué à l’architecture.


_ soustraire

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La plupart des interprétations des critiques s’attachent à définir le degré zéro de l’architecture par un principe soustractif. L’écriture devait réduire la Littérature, lui retirer les marques du style. Que faut-il alors retirer à l’Architecture pour qu’elle atteingne le degré zéro?


0 =

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« Il y a donc une impasse de [l’architecture], et c’est l’impasse de la société même : les [architectes] d’aujourd’hui le sentent : pour eux la recherche d’un non-style […], d’un degré zéro de [l’architecture], c’est en somme l’anticipation d’un état absolument homogène de la société. Cet état homogène, nous savons ce qu’il en est : ce n’est plus le rêve de la société sans classe, c’est le cauchemar d’un monde universellement marchand dans lequel les différences sont devenues insensibles – ce qui veut dire, au choix, qu’elles sont indolores ou que nous sommes aveugles. »

Jean Attali, Dominique Gonzalez-Foster, « Le degré zéro de l’architecture » in L’Architecture d’Aujourd’hui, n°336, Septembre, 2001


Diagramme programatique Yokohama, Japon, OMA, 1992


Le junkspace théorisé par Koolhaas est cet espace tellement contemporain qui mêle les activités de shopping et de culture dans un seul lieu entièrement dédié à la consommation. Aussi, le degré zéro de l’architecture, ce pourrait être cette architecture qui met en œuvre une indétermination spatiale à même de recevoir l’indétermination fonctionnelle de nos société. Ce degré zéro de l’architecture serait alors aussi le degré zéro de sa résistance : celle-ci accepte et se soumet entièrement à l’idéologie en place, se détachant de l’expression formelle propre à la discipline pour se faire l’exacte mimésis de la réalité de notre société.


Bibliothèque Seattle, OMA, 1999-2004


Bibliothèque Seattle, OMA, 1999-2004


Où est passée la dimension laudative du degré zéro?


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= + Penser que l’architecture doit s’aligner sur le degré zéro de notre société consumériste mondialisée, c’est privilégier une architecture passive par rapport à la société. L’architecture générique est le fruit de l’abdication de l’architecture par rapport à sa capacité de s’engager dans le réel dans lequel elle prend place. Chez Barthes, le degré zéro est un état de perfection, c’est ce vers quoi l’écriture doit tendre. Dans cette compréhénsion du degré zéro de l’architecture, on perd la dimension apologétique du concept barthien.


« Moins c’est plus, métalogisme qui prétend, au risque de la contradiction, en finir avec la rhétorique, est devenu le mot d’ordre de toute cette génération d’architectes minimalistes qui, tant au nord qu’au sud de l’Europe, s’inscrivent dans le sillage de Herzog et de Meuron, Wiel Arets, Tadao Ando, Peter Zumthor et, bien entendu, John Pawson. Et c’est dans cette logique que le dernier définit le minimal comme la perfection qu’un objet fabriqué atteint quand il n’est pas possible de l’améliorer par soustraction. »

Stéphane Dawans, « Architecture et minimum : quel degré zéro ?» in Interval(le)s, n°1, Automne, 2004


House for elderly, Portugal, Aires Mateus, 2011


Si comme Mies les architectes minimalistes prônent que Less is more, c’est qu’ils s’accordent sur le fait que less est en soi déjà chargé de more. Aussi, le rôle de l’architecte minimaliste consiste-t-il à décharger l’architecture du superflu qui l’encombre afin de retrouver son essence, et ce au travers les procédés de la simplification géométrique, de l’épuration des formes et de la dématérialisation. Le degré zéro de l’architecture pourrait désigner cette architecture qui, déchargée du poids de l’ornement et de matière pourrait retrouver son état idéal.


H House, Netherlands, Wiel Arets, 2005-2009


Abbey of Our Lady of Nový Dvur, Czech Republic, John Pawson


Le degré zéro peut -il s’incarner en un courant ?


Les minimalistes sont des essentialistes. Rechercher la pureté de la forme pour atteindre une architecture idéale, c’est d’abord croire en la transcendance. Si déjà cette première assertion pourrait être mise en doute, on pourrait questionner la façon qu’ils ont d’y parvenir: l’épuration formelle permet-elle réellement de toucher à l’être absolu et de s’épargner de la contingence? Epargne-t’elle vraiment l’architecture de s’inscrire dans un style? Loin de s’extraire de l’Histoire, comme devrait le faire le degré zéro selon Barthes, l’architecture des minimalistes s’inscrit dans la continuation esthétique des modernes et plus particulièrement de Mies Van Der Rohe.


-

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« Le degré zéro n’est pas architecte sans architecture, il serait plutôt architecture sans architecte, comme dans ce parti parfois taxé de populiste que l’on retrouve sous plusieurs formes depuis quatre décennies au moins : l’architecture (néo)vernaculaire, l’architecture spontanée, l’auto-construction, l’architecture écologique et participative (Lucien Kroll), l’architecture pauvre (comme la maison de Lacaton et Vassal, sorte de « hangar non décoré ») ou encore l’architecture commerciale telle qu’elle est décrite par Robert Venturi et Denise Scott Brown. Comme chez Camus, plus encore chez Queneau, on aurait-là l’illusion d’un parler ou d’un construire ordinaire, banal, de tous les jours. Une forme plus proche de la pureté adamique du langage, d’une certaine manière, ce que Rykwaert appelle La maison d’Adam au paradis. » Stéphane Dawans, « Architecture et minimum : quel degré zéro ?» in Interval(le)s, n°1, Automne, 2004


Allegorical engraving of the Vitruvian primitive hut, Charles Eisen, 1755


Peut-être l’aphorisme de Barthes concernant l’écriture doit-il être renversé pour parler du degré zéro de l’architecture ? Il ne se résumerait pas à l’architecte sans architecture mais à l’architecture sans architecte. Alors, ce qu’il faudrait soustraire à l’architecture pour atteindre le degré zéro ne serait pas à proprement parler l’ornement ou les styles, mais plutôt la marque de l’auteur. Le degré zéro de l’architecture serait donc cette architecture qui ne souhaite pas se démarquer de son inscription physique et temporelle, et privilégie dans sa fabrication une approche prosaïque, mêlant savoir-faire et bricolage, techniques traditionnelles et ingéniosité novatrice.


Architecture without architects, MoMa, New York,1964, Bernard Rudofsky


la Mémé, Louvain-la-Neuve,1970-1978, Lucien Kroll


L’architecture vernaculaire peut-elle atteindre le rang de “littérature”?


Penser que le degré zéro de l’architecture, c’est l’architecture sans architecte s’accorde avec la notion de disparition de l’auteur que Barthes accole au degré zéro de l’écriture. Au demeurant, ce dernier met en garde aussi contre une écriture qui ne serait qu’une transcription littérale - et non pas littéraire - du réel, et qui tomberait de fait dans le parler. On peut se demander si n’est pas l’écueil dans lequel tombe cette architecture prosaïque, qui rapporte peut être plus à la construction que véritablement à l’Architecture.



+ ajouter

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On a vu que le degré zéro pouvait être atteint en retirant à la Littérature, mais il peut aussi être atteint en ajoutant au parler. Ce principe additif, procédure inverse du principe soustractif, n’a que peu été abordée et reste donc un terrain d’exploration. Dans un mouvement qui va du réel vers l’Architecture, on pourrait ainsi se demander ce qu’il faut ajouter au construit pour que celuici re-devienne Architecture.


+x

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« In architecture, just as in literature, [degree zero] would probably require struggling with the terrorizing codes, a reaction rather than an action. It would require breaking, or at least cracking, the strong, naturally assertive architectural figures that perpetuate a way of being through the spaces they create as well as the ideas the carry. »

Ido Avissar, San Rocco 8 : What’s wrong with the primitive hut, winter 2013


Texas Zero, Lars Lerupr, Texas, 1985


On pourrait voir le degré zéro comme le résultat d’une annulation de charges respectivement positives et négatives. Ido Avissar voit la possibilité de cette annulation au sein de l’architecture lorsque celle-ci, au travers sa forme, dit en même temps une chose et son contraire. En effet, les figures architecturales sont le reflet des sociétés et de leurs idéologies. Mais quelque fois, au fil des évolutions, des mouvances contraires peuvent subvenir. Alors, l’architecture peut atteindre le degré zéro en parvenant à faire dialoguer, dans leur contradiction, des figures architecturales qui correspondent à une certaine idéologie et de nouveaux impératifs formels venant attester de l’échec de cette même idéologie. Ainsi, ce degré zéro de l’architecture porte les formes d’un discours en même temps qu’il reconnait l’échec de la substance qui en était à l’origine.


Silver hut, house, 1985, Toyo Ito


Silver hut, house, 1985, Toyo Ito


-∞ <0< +∞ La conception d’Ido Avissar selon laquelle le degré zéro est issu de la rencontre de la forme architecturale et d’un élément nouveau qui lui est contraire, implique que le degré zéro peut être réactualisé à chaque époque et à chaque situation. Le degré zéro serait relatif dans le sens où il y aurait une pluralité de degrés zéro possibles. Aussi, la question est : peut-on atteindre un degré zéro absolu ? Peut-on retrouver avec l’architecture l’intemporalité première du concept de Barthes? De façon théorique, on pourrait postuler qu’il y a degré zéro lorsque des architectures parviennent à rester en suspension temporelle, c’est-à-dire à échapper à l’inscription dans le temps historique en restant dans un continuel présent.


Ise-Jingu, Prefecture de Mie, Japon, 690


Viser à l’intemporel n’est pas exactement la même chose que viser la pérennité. Et l’éternelle présence de l’édifice le plus pérenne de nos sociétés contemporaine ne parviendra en réalité qu’à l’inscrire dans un passé éternel. Or, l’intemporel requiert de n’avoir ni mort, ni naissance. Dans le temple d’Ise-Jingu, l’architecture semble s’être soustrait à cette inscription temporelle en échappant à son inscription physique. Tous les vingt-cinq ans, le sanctuaire est reconstruit quelques mètres plus loin sur le site adjacent. Ainsi, ce n’est pas le corps de l’architecture qui s’éternise mais sa pratique, et dans ce jeu de phénix, celui-ci s’éloigne de plus en plus de son état originel, jetant ainsi un voile d’oubli sur son commencement.


Bas Princen, 2012


Comme ce temple qui s’extrait à l’inscription temporelle en s’épargnant l’inscription physique, les photographies de Bas Princen donnent à l’architecture son échappatoire. L’instant T de la capture photographique offre à ces éléments d’architecture instables la fixité d’une image. Et justement, ce qui est cristallisé, c’est un moment d’un entre deux. L’architecture est prise en flagrant délit d’indifférence par rapport à l’échelle humaine, prise dans un processus dont on ne sait si c’est celui de l’édification ou de la mise en ruine. Semblant avoir toujours été là, mais ne jamais devenir proprement architecture, les éléments d’architecture rencontrent alors leurs semblables, les éléments naturels.


House Bern Heim Beuk, 2011, Grande Bretagne, Architecten De Vylder Vinck Taillieu


House Sanderswal, Zurich, 2015, Architecten De Vylder Vinck Taillieu


Habitation dnA, BLAF Architecten, Asse, 2013


Si se retirer de l’inscription temporelle requiert de se retirer de l’inscription physique, l’architecture devenant soit pratique immatérielle, soit image “pure”, on peut se demander si des architectures réelles et tangibles peuvent y parvenir. Très certainement, il existe aujourd’hui une esthétique qui travaille à cette tension entre construction et déconstruction, qui se plait à évoquer la permanence des édifices sous l’ambiguité entre un “jamais fini” et un “toujours en ruine”. Au demeurant, cette esthétique apparaît justement pour ce qu’elle est: un jeu formel. L’extraction temporelle que ces édifices peuvent évoquer n’y est qu’une illusion qui se joue à des figures de styles. L’espoir d’y trouver le degré zéro de l’architecture, au delà du temps et au delà des figures, s’éloigne alors peu à peu.


+

(x) =

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On pourrait aussi formuler une autre interprétation: le degré zéro consiste en ce qu’il faut ajouter au réel construit pour révéler l’Architecture qui y était présente. Si l’on devait résumer cette action de l’architecture sur le réel construit, architecture banalisée par le temps, on pourrait dire: « Tel qu’en lui-même enfin [l’architecture] le change ».* *Mallarmé, à un tout autre sujet.


Haus, Gregor Schneider, Rheydt, 1985


En architecture, le parler c’est le construit qui constitue nos villes. C’est tout le réel édifié. Ce réel construit n’atteint pas automatiquement la dimension d’Architecture. Tout comme le parler qui doit passer par l’écriture pour atteindre le rang de Littérature, on pourrait dire que le réel construit doit passer par sa transcription architecturale pour atteindre le rang d’Architecture.


Yellow House, Valerio Olgiati, Flims, Suisse, 2008


Le degré zéro de l’architecture, c’est ce construit restitué au rang d’Architecture. A travers le geste architectural, le réel construit, cet ordinaire qui constitue la toile de fond de nos quotidiens, parvient à se transcender en degré zéro. Dans ce processus de révélation, il n’y a pas à proprement parler de transformation de l’ordinaire, mais juste un renforcement de son effet de présence. Il passe de l’invisible au visible, de l’arrière plan au premier plan. Ainsi, le degré zéro, c’est le résultat de cette architecture qui travaille à nous mettre en présence de ce qui nous entoure déjà mais dont l’habitude avait patiné l’existence.


Kouter II, ADVVT


Une question reste ouverte à l’interprétation. Quel geste peut avoir cet effet de changer le plomb en or ? Quels outils d’alchimiste l’architecte a-t-il en main pour faire exister encore un degré de plus ce qui existe déjà ? Si les gestes sont certainement multiples, on peut faire l’hypothèse d’une constance : c’est par une perturbation de l’ordinaire que celui-ci nous apparaît dans son inquiétante étrangeté, et que son effet de présence en est réhaussé.


Apartment tower, Lima, Peru, 2010, Valerio Olgiati


Ecole, Paspels 1998, Olgiati


Three condominiums, Valerio Olgiati, Chur Suisse, 1999


Le travail de révélation par la perturbation peut être accompli sur du réel existant. Mais on peut supposer qu’il peut également s’appliquer à des conceptions existentes, à du générique, de l’identifié. Dans le projet Three condominiums, le dessin sur lequel se base Olgiati consiste en une figure basique, le carré, qui s’élève étage sur étage au moyen d’une structure poteau-poutre, l’absence de façade renforçant sa ressemblance première avec le schéma Domino. La perturbation de cet identifié consiste en une déformation. Comme pour réveiller notre intérêt pour la figure, Olgiati distord sa régularité coûtumière en lui appliquant étirements et compressions. En découle une amplification de la présence du volume et des espaces intérieurs qui, sans être véritablement changés, subissent tous les conséquences du geste déformant.




analyse


Le site: la corne formĂŠe par les anciens rails de chemins de fer au nord de Tour et Taxi


gueules bĂŠantes


17 rue Antoine Clesse


21 rue Antoine Clesse


23 rue Antoine Clesse


6 rue Verhoeven


23 rue Antoine Clesse


26 rue Verhoeven


aglutinĂŠes






Tranche de site, bĂŠton



La figure de l’extension comme point de dÊpart


Faire de l’extension, pratique individuelle, un principe architectural à l’échelle territoriale.

Permettre le retournement de façade du parcellaire vers le parc.

Créer une structure assez neutre pour pouvoir absorber plusieurs programmes.




scĂŠnarios


scénario 1: extensions privées


Plan rez niveau parc


Plan rez +1




scĂŠnario 2: halle publique


Plan rez niveau parc


Plan rez +1


Plan toiture, promenade publique





sanatorium


Sanatorium de Valbella, 1918


Plan rez niveau parc


Plan rez +1


Plan rez +2



Plan rez niveau parc, les bains



Plan rez +1, aire de jeux et repos



Plan rez +2 niveau rue, accueil


Plan rez +3 , salle de soins Plan rez +4, appartement de fonction


Plan rez +5 , restaurant Plan rez +6








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