la poste centrale
« Sans sophistication, aménagés mais pas "désignés", ils n’ont rien à raconter et n’induisent donc aucune posture particulière de la part de leurs usagers, leur laissant la pleine liberté de faire ce qu’ils veulent. Sans autre vocation que de faire du mieux qu’ils peuvent. » 1.
1. SONNETTE Stéphanie, « 1989-2014 : l’odyssée de l’espace public lyonnais », Criticat, n°14, automne 2014, p.42. 3
détourner
Selon Giorgio Agamben, la profanation est la restitution à l’usage commun de ce qui appartient à la sphère du sacré. Au-lieu d’institutionnaliser des pratiques communes, ce qui ne ferait que remettre sous la coupe du pouvoir des usages incontrôlés, ne faudrait-il pas inverser le processus, rendre le bâtiment institutionnel à l’usage libre? Une série de renversements est effectuée à différentes échelles. Le bâtiment de la poste est détourné, une nouvelle fonction lui est donnée. Il devient un lieu d’accueil pour le développement de nouvelles formes endogènes de service public et de nouveaux modèles d’organisation spatiale de l’espace public. « L’architecture sera - au moins à ses débuts - un moyen d’expérimenter les mille façons de modifier la vie, en vue d’une synthèse qui ne peut être que légendaire. » 1. Le projet propose de libérer la surface disponible, de redonner un maximum d’espace et de volume pour offrir un lieu où développer de nouveaux usages, de nouvelles pratiques, de nouvelles relations sociales. L’ensemble de la poste est décloisonné, les plateaux sont libérés. À chaque étage sont mis en place des dispositifs architecturaux à partir des éléments récoltés et détournés afin de créer des situations plutôt que de déterminer des usages. Les dispositifs permettent de repenser de nouvelles formes d’organisation, de nouvelles configurations d’un espace figé à l’origine.
faire, comme un activisme qui saisit tous les possibles » 2. C’est une architecture du conflit, de l’échange, du débat. L’édifice devient le lieu d’un rapport de forces. Se déconnecter devient une nécessité pour réengager une certaine forme d’échange qui a perdu sa place. Le droit à la déconnexion 3 fera-t-il émerger un nouveau service public? Non plus lié à la communication mais à l’absence de communication? Non plus à la connexion mais à la déconnexion? Le projet de la poste centrale de Versailles propose au citoyen des espaces qui, pour une minute, une heure, une journée, lui permettent de se déconnecter. Ce nouveau service se trouve proche de ses utilisateurs, accessible par tous, au centre des collectivités densément urbanisées, là où il a le plus d’impact. L’individu se déconnecte pour se reconnecter à l’autre. « Nous voulons organiser une dispute au sens philosophique du terme. Un litige, comme certaines cultures ont su le faire dans l’espace public, pour en découdre de manière bienveillante et tout à fait diplomatique, sans décision à la clé. Ce process de procès aspire à montrer qu’on a peutêtre besoin de réinstaurer des espaces publics un peu plus conflictuels, où la dispute est un facteur de socialisation. » 2.
La prise en main des dispositifs se fait par les usagers. L’architecture est ici vue « comme un art de
Illustrations page de gauche : En haut, enseigne actuelle de la poste. En bas, anagramme à partir des lettres inscrites. 1. IVAIN Gilles, Formulaire pour un urbanisme nouveau, adopté en octobre 1953 par L’Internationale lettriste. 2. CHABARD Pierre, «Pour le meilleur et pour le Pile, Criticat, n°14, automne 2014, p.8 3. Article 55 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, dite «loi El Khomri», dite « loi Travail ». 4. FABUREL Guillaume, « Dire et faire autrement l’architecture dans un monde en mutation », D’ Architecture, n°253, mai 2017, Entretien, p.71. 5
« Nous rejoignîmes dans l’avenue un grand nombre de députés : tous furent d’avis qu’il fallait former l’Assemblée pour qu’elle délibérât dans une conjoncture si délicate, et chercher en conséquence un local convenable. M. Guillotin proposa le jeu de paume : on arrêta de s’y rendre. [...] Voilà donc l’Assemblée nationale de France dans un jeu de paume, dans un lieu témoin d’exercices et de jeux, et qui allait l’être des destinées de l’empire ; dans un lieu où les murs étaient sombres et dépouillés, où il n’y avait pas un siège pour s’asseoir. On m’offrit un fauteuil, je le rejetai, je ne devais pas être assis devant l’Assemblée debout : je restai ainsi toute cette journée pénible. Nous n’eûmes pendant toute la séance que cinq ou six bancs et une table pour écrire ; mais ce lieu s’agrandit par la majesté qu’il contenait ; les galeries se remplirent de spectateurs, la foule du peuple entoura la porte et dans les rues à une grande distance, et tout annonça que c’était la nation qui honorait un jeu de paume de sa présence. Les députés arrivaient successivement, et chacun sentant le coup que le ministère avait voulu porter, se félicitait de se revoir et de se retrouver réunis. » 6.
Illustration page de gauche : DAVID Jacques-Louis, Le Serment du Jeu de paume, Dessin, 1791, conservé au musée national du château de Versailles. 6. DE BAILLY, Mémoires de la Révolution, 20 juin 1789. 7
façades
La façade noble donnant sur l’avenue de Paris est inversée. L’entrée du projet se fait par l’actuel parking de l’Europe. L’ancienne façade noble est détachée des dalles. Elle devient une simple façade décor dissimulant la nouvelle circulation verticale. De l’autre côté, l’ancienne façade technique est entièrement libérée pour permettre l’interaction avec le nouvel espace public. Ce détournement permet d’orienter l’ensemble vers la place délaissée et redonner un véritable parvis à l’édifice.
Illustrations page de gauche : Schéma de principe. En haut : existant, façade tournée vers l’avenue de Paris. En bas : projet, façade tournée vers le parking. Illustration : Extrait du film : retournement du bâtiment. 9
Façade sud, état existant. 1 : 200. Façade sud, état projeté. 1 : 200. 11
place
L’inversion de l’organisation du bâtiment entraine la mise en évidence d’un nouvel espace public beaucoup plus vaste et mieux adapté à un bâtiment de service public. La place à l’arrière du bâtiment actuellement occupée par le parking de la poste est réinvestie. Le sous-sol du bâtiment est découvert, entraînant la création d’une place basse. L’entrée se fait par les rampes de service actuelles, en rez-decour. Le maintien du système structurel poteaux-poutres permet une grande variété d’usages et d’appropriations. En sous-sol du bâtiment, tout le long de la structure porteuse, sont disposés des linéaires de casiers pour se débarrasser de toutes les affaires qui rattachent l’individu à l’hyper-connexion. Cet étage fait ainsi office de seuil entre l’extérieur et l’intérieur.
Illustration page de gauche : En haut : plan masse, état existant. En bas : plan masse, état projeté. Illustration : Extrait du film : descente dans la place. 13
Coupe BB’, état existant. 1 : 200. Coupe BB’, état projeté. 1 : 200. 15
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Plan R-1, état existant. 1 : 200. 17
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Plan de R-1, état projeté. 1 : 200. 19
circulation
Pour innerver l’ensemble du bâtiment, un escalier longe l’ancienne façade noble, condamnant l’entrée principale précédente. L’espace s’ouvre au niveau de cette nouvelle rue verticale qui permet un apport de lumière au sous-sol. L’ensemble est complété à chaque extrémité par les deux ascenseurs recyclés. Les percements des trémies sont préservés pour accentuer la transversalité dans tout le bâtiment et créer des percées visuelles entre les plateaux.
Illustration page de gauche : Schéma de principe. En haut : existant, circulations verticales séparées. En bas : projet, circulations verticales concentrées. Illustration : Extrait du film : montée dans le bâtiment. 21
Coupe AA’, état existant. 1 : 200. Coupe AA’, état projeté. 1 : 200. 23
éclairage
Au centre du rez-de-chaussée est concentrée la majeure partie des rampes néon afin de créer un espace d’intensités lumineuses modulables. Cet espace central délimité par la lumière apporte au bâtiment un espace au potentiel scénographique et cinématographique. C’est une véritable scène pouvant accueillir une diversité d’usages et de programmes (pièces de théâtre, plateaux de cinéma, concerts, conférences, meetings, événements festifs ou sportifs...) Le décloisonnement total des plateaux permet de dégager de grandes mezzanines en entre-sol qui donnent sur le vaste espace central.
Illustration page de gauche : Schéma de principe. En haut : existant, disposition des rampes néons. En bas : projet, rampes néons concentrées au centre du rez-dechaussée. Illustration : Extrait du film : vue du volume du rez-de-chaussée depuis une des mezzanines de l’entre-sol. 25
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Plan RDC, état existant. 1 : 200. 27
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Plan RDC, état projeté. 1 : 200. 29
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Plan Entresol, état existant. 1 : 200. Plan Entresol, état projeté. 1 : 200. 31
tables
Au premier étage le mobilier de bureau est réutilisé pour créer de nouveaux pôles, des miniscénettes, situations ponctuelles en contraste avec le vaste espace du plateau décloisonné. Des lieux de réunions en petit comité, plus intimes par la distance qui les sépare entre eux1. C’est la distance qui crée la capacité d’usage du plateau. Avec autant d’espace disponible les cloisons ne sont plus nécessaires pour avoir son espace personnel. Cette logique de polarité autour d’un mobilier et d’un système d’éclairage individuel permet à l’usager de faire une pause, un intervalle, une récréation : prendre un temps sur le temps accéléré qui défile en dehors du bâtiment.
Illustration page de gauche : Schéma de principe. En haut : existant, organisation des bureaux cloisonnés. En bas : nouvelle disposition des éléments récupérés. 1. T. HALL Edward, La dimension cachée, Editions du Seuil, 1971, p.156 Illustration : Extrait du film : les tables disposées sur le plateau du premier étage. 33
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Plans R+1, état existant. 1 : 200. Plans R+1, état projeté. 1 : 200. 35
portes
L’ensemble des portes du bâtiment est mutualisé au second étage. Réorganisées, elles créent un cloisonnement perméable pour composer de nouvelles configurations spatiales. Les espaces ne s’organisent plus le long d’un couloir qui les desservaient auparavant mais chacun est contrôlé par le précédent ou le suivant. Le dialogue et l’échange deviennent indispensables pour la gestion et l’occupation de ces espaces. Les laissant ouvertes ou fermées selon les usages et les besoin des activités qui s’y dérouleront.
Illustration page de gauche, de haut en bas : Schéma de principe. En haut : existant, emplacement des portes. En bas : projet, les portes détournées en parois perméables. Illustration : Extrait du film : traversée de l’étage des portes. 37
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Plans R+2, état existant. 1 : 200. Plans R+2, état projeté. 1 : 200. 39
Illustration couverture : Plan masse acontextuel simplifiĂŠ du projet sur la poste centrale de Versailles. 41
Projet de fin d’études Juin 2017 Vincent Chevalier et Nicolas Ratival Jean Bocabeille, directeur d’études