Vincent Vergain Udvej Louisiana : un musée hors-le-centre

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udvej

LOUISIANA: UN MUSÉE HORS-LE-CENTRE

VINCENT VERGAIN ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D’ARCHITECTURE

PARIS MALAQUAIS

MÉMOIRE DE MASTER 2- R9 MENTION RECHERCHE

GÉNÉALOGIE DU PROJET CONTEMPORAIN ENSEIGNANT RESPONSABLE:

DOMINIQUE ROUILLARD DIRECTEUR DE MÉMOIRE

VIRGINIE PICON-LEFEBVRE FÉVRIER 2013


SOMMAIRE

III.LOUISIANA ENCORE! p.117 HÉRITAGE ET FILIATION

INTRODUCTION p.7

I.HORS-LE-CENTRE PARTIR, SE RETIRER p.21

I.1. LA NATURE ET LE SAUVAGE: Une idée de la périphérie dans la culture et l’architecture nordique p.22

I.1.a. Norden : une direction en soi? I.1.b. La découverte d’un paysage : les Jardins de Rosenborg et l’Ermitage de Dyrehaven I.1.c. Le sauvage et l’identité nationale : conséquences pour l’architecture

I.2. UNE MODERNITÉ PITTORESQUE Généalogie d’un idéal contextuel p.46

I.2.a. Modernité et tradition : l’exemple du Danemark I.2.b. Domestication du Fonctionnalisme : Modernisme Régional et Nouvel Empirisme

I1.COULOIR AVEC VUE UNE VISITE À LOUISIANA p.62

I1.1. UN MUSÉE-COULOIR p.68

II.1.a. Louisiana: «des oiseaux sur un fil» II.1.b. Le Couloir de Vasari à Florence

I1.2. UN MUSÉE-PAYSAGE p.94

II.2.a. Pavillons dans le parc II.2.b. Frilandsmuseet : le musée en plein air scandinave II.2.c. Musées de sculpture en plein air

III.1. L’APRÈS ‘58: Une postérité paradoxale p.118

III.1.a. Réception du musée III.1.b. Norden: un musée classé sans suite? III.1.c. Le musée et le sauvage face à la révolution de l’art in situ

III.2. NASJONALE TURISTVEGAR Un autre Louisiana? p.138

III.2.a. La Norvège 1958-1994 : héritage en ligne directe III.2.b. Route touristique : un couloir avec vue? III.2.c. Nasjonale Turistvegar: un musée-territoire CONCLUSION p.161 ANNEXES p.165


UDVEJ danois ud|vej

udvej, -en, -e, -ene substantif de ud, hors de, et vej, chemin, sentier. 1. solution à un problème 2. chemin ou trajet hors d’un lieu

suédois ut|väg

utväg, -en, -ar substantif de ut, hors de, et väg, chemin, voie.

1. voie hors d’un problème, solution, échappatoire 2. chemin ou trajet hors d’un lieu, vers l’extérieur

norvégien ud|veg

udveg, -en, -ar substantif de ud, dehors, et veg, chemin, route. 1. oportunité ou moyen de résoudre un problème 2. chemin, trajet hors de chez soi

et également: allemand AUSWEG anglais WAY OUT


N’importe où! n’importe où! Pourvu que ce soit hors de ce monde! baudelaire1

À l’issue d’une décennie qui a abondamment investi les musées, et notamment les musées d’art, d’une mission de moteur du renouvellement économique, essentiellement entendu au sens de renouvellement urbain, une question semble aujourd’hui ne plus même devoir être posée : n’y a-t-il de musées d’art que des musées urbains? Après tout, à quoi bon s’éloigner des centres urbains? Qu’y a-t-il à gagner? Un musée d’art peut-il aujourd’hui être hors la ville, en dehors des centres artistiques ou culturels constitués que sont les grandes villes et les métropoles, à distance, dans une périphérie plus ou moins lointaine, plus ou moins fantasmée? De nombreux exemples devraient pourtant suffire à nous enseigner que cela a été possible par le passé et que ce l’est encore de nos jours. Les connaisseurs citeront sans problème un ou deux musées ou centres d’art, dont ils gardent généralement un très agréable souvenir. On entendra par exemple les noms de Maeght, Kröller-Müller ou Middelheim dans la bouche des amateurs d’art moderne, Dia:Beacon chez ceux qui se passionnent pour l’art minimaliste et conceptuel, Insel Humbroich chez les connaisseurs les plus pointus, ou encore La Congiunta dans la bouche des pèlerins, Inhotim dans celle des plus aventureux, Benesse dans celle des ermites, Vassivière chez les architectes… 1. BAUDELAIRE, Charles, «Anywhere out of the world, N’importe où hors du monde», Le spleen de Paris (Petits poèmes en prose), XLVIII, Paris : Michel Levy, 1869


Ceux-là empruntent les traits d’un musée hors-lecentre, c’est-à-dire d’un musée d’art établi hors de ce monde, dans un désert plus ou moins littéral, une périphérie plus ou moins fantasmée, dans un ailleurs au potentiel brut. Puisque, aux yeux de leurs fondateurs, «le potentiel insoupçonné de la périphérie réside dans la distance à l’ordre établi qu’elle autorise».2 C’est en cela que les musées qu’ils imaginent se doivent d’être des lieux à part, non pas qu’ils seraient hermétiquement clos, mais simplement qu’ils seraient géographiquement séparés de la ville, elle-même tenue à distance, afin d’échapper à son tumulte parfois et, surtout, à sa tutelle. Tous offrent par ailleurs une réponse à l’idée fondamentale du musée. Car, comme le notait Michel Foucault, les musées sont déjà des lieux de l’accumulation du temps en cela qu’ils «sont des hétérotopies dans lesquelles le temps ne cesse de s’amonceler et de se jucher au sommet de luimême»3. Les musées émergent de «l’idée de constituer un lieu de tous les temps qui soit lui-même hors du temps, et inaccessible à sa morsure»4. C’est cette inaccessibilité qui est comme renforcée, ou raffinée, dans ces exemples de musées hors le centre. Car, si le temps y est bel et bien suspendu, leur situation périphérique et leurs caractéristiques spatiales créent les conditions d’une suspension de l’espace. L’éloignement de la ville, s’il permet de tenir à distance le goût bourgeois et d’ouvrir ainsi le champ à l’expérimentation dont se nourrit l’art moderne, sert aussi à exiger du visiteur qu’il se prête au jeu du parcours jusqu’au musée, de ce parcours qui relève déjà de la retraite, de la dérive vers un lieu retiré, séparé et donc alternatif. Le Musée Louisiana de Humlebæk est l’un de ceuxlà. Peut-être même est-il le premier d’entre eux, tout à la fois le plus ancien et le plus abouti. Tout commença au milieu des années 1950, lorsque Knud Jensen, un riche industriel danois, se mit en tête de rassembler une collection d’art moderne et de l’installer dans un musée hors de la ville, tout simplement parce que “Copenhague en avait déjà près de vingt et les gens ne les visitaient

SE DK 100

50

0 km Nord

1-le Danemark 2-le détroit de l’Øresund entre le Danemark et la Suède (aires urbaines actuelles)

HELSINGBORG (SE) HELSINGØR FREDENSBORG

HUMLEBÆK

voie ferrée

LANDSKRONA (SE)

DYREHAVEN LUND (SE) COPENHAGUE

2. “The biggest undiscovered potential of being in the periphery is the liberation from the established consensus.” nt. JØRGENSEN, Magnus, «Accepting the Barents Spectacle — or the undiscovered potential of a peripheral environment», in Northern Experiments, The Barents Urban Survey 2009, Oslo : 0047 publisher, 2009 3. Michel Foucault, «Des espaces autres (conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967)», in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, octobre 1984, pp. 46-49. 4. ibid. 8

FREDERICKSBERG

10

MALMØ (SE)

5

0 km Nord


que très rarement en semaine, alors qu’ils faisaient tout leur possible pour sortir de la ville les week-ends.”5 «Nul doute que son intention était aussi de défier le principal musée d’art du Danemark et la plus haute expertise en matière d’histoire de l’art dans le pays.»6 Il rêvait d’un musée alternatif, presque subversif, davantage en phase avec la culture émergente de la classe moyenne des années d’aprèsguerre et l’art de l’époque, un musée en réaction directe contre le musée classique conçu comme un temple, noble et sacré, où l’art, réservé aux spécialistes «était présenté comme quelque chose d’impressionnant et d’inapprochable – on s’en approchait dans un mouvement de révérence et aussi silencieusement que dans une église. […] Toute référence au monde du dehors y était retirée, puisque les œuvres demandaient une concentration hypnotique qui apparemment risquait d’être perturbée par l’odeur d’un café ou la vue d’un parc»7. Lorsqu’en 1955, Knud Jensen découvre à Humlebæk un vieux manoir à l’abandon, sis au cœur d’un parc dominé par de nombreux arbres centenaires, au relief varié qui plonge sur un petit ruisseau et un étang à l’intérieur des terres et s’achève en direction de la mer, il décide de se lancer dans l’aventure. Aurait-il pu rêver d’un meilleur décor pour son musée? «Le site était délimité comme une île avec la mer au bout de la pelouse.»8 «Au début personne ne le soutenait. Le musée se trouvait bien trop loin. C’était un vrai périple pour s’y rendre.»9 Le petit village de pécheurs d’Humlebæk se trouve, en effet, à trente-cinq kilomètres au nord de Copenhague, sur la route qui relie la capitale à la ville de Helsingør. Il se déploie sur les 5. «He thought about such a museum outside the city, as Copenhagen already had twenty museums, but people seldom visited these during the working week while at weekends, most did everything they could to get out of town.» nt. PARDEY, John, Louisiana and beyond, the work of Vilhelm Wohlert, Hellerup : Bløndal, 2007, p.46 6. «There is no doubt that his intention was to challenge Denmark’s major art museum and the highest art-historical expertise in the country. Louisiana was a direct reaction to the classical museum.» nt. STENSGAARD, Pernille, When Louisiana stole the picture, Copenhague : Gyldendal, 2008 p.28 7. «Art was presented as something impressive and unapproachable – one came to it in reverence and as quietly as in a church. […] All references to a world outside had been removed since the works demanded a hypnotic concentration that apparently risked being disturbed by the fragrance of coffee or the sight of a park with trees.» nt. id. p.29 8. «The site was bounded like an island with the sea at the end of the lawn.» nt. id. p.62 9. «At the start nobody supported him. The museum was situated too far away. It was a whole journey to get there.» nt. id. p.22 10

3- Plan de Louisiana projet de 1958 plan Bo & Wohlert arch. 4- Le manoir de Louisiana en 1956 photographie Jesper Høm


berges de l’Øresund, à l’ouest du détroit qui sépare la Suède de l’île danoise de Sjæland. Jensen parviendra tout de même à mettre en place une fondation d’art moderne à laquelle il fit don de sa collection. Il fera aussi appel à de jeunes architectes, Jørgen Bo et Vilhelm Wohlert, avec qui il concevra, en plusieurs phases à partir de 1958, ce qui reste aujourd’hui l’un des chef-d’œuvres de l’architecture danoise du XXe siècle. Le nouvel édifice se présente comme l’extension du manoir existant en direction du parc et de la vue sur le détroit. Le terrain lui-même était d’une grande beauté et d’une extrême variété, deux éléments à partir desquels Bo et Wohlert ont basé leur travail, dans un souci d’intégration et de respect. À tel point que le plan de 1958 se caractérise par un long couloir vitré dont on a dit qu’il était une «série étirée d’événements»10, qui serpente et contourne les arbres, construit des vues variées sur le parc et s’achève en surplomb du détroit. Aujourd’hui encore, Louisiana passe pour un exemple alternatif, presque marginal au regard de la manière dont l’imaginaire collectif se figure un musée d’art. Il n’est pas pour autant un musée marginal, daté ou désuet. Son dynamisme surprend même, et ce, malgré son âge et en dépit de sa situation géographique, pourtant périphérique. C’est en cela qu’il se distingue des autres musées hors-le-centre. Car, en dépit de leur intérêt, la plupart de ces expérimentations muséales souffrent bien souvent d’un déficit chronique – et presque insoluble – de médiatisation qui les tient écartées du grand public et les distingue d’autant plus des établissements qui caracolent aux sommets des classements internationaux. Bien au contraire, Louisiana n’a jamais été marginalisé. Il a même toujours occupé une place de choix parmi les musées danois. Il est aujourd’hui le musée le plus fréquenté des 266 établissements que compte le pays: en 2008, près de 559.000 visiteurs11 s’y sont rendu, ce qui fait de Louisiana le premier musée d’art nordique et aussi le seul musée non-urbain à se hisser au classement des cent musées d’art les plus visités au monde.12 Aussi, il s’agira d’interroger le contexte de l’émergence d’un tel musée, les idées qui ont régi sa création et les raisons qui ont fait de ce musée hors-le-centre un musée 10. “stretched out series of events” nt.PARDEY, John, op.cit., p.51 11. Statistical Yearbook 2010, Statistics Denmark, Copenhague : 2010 12. «Exhibition & Museum Attendance Figures 2010» in The Art Newspaper, n°223, Avril 2011 12

5-Le couloir de Louisiana en 1958 photographie Jesper Høm a- le couloir (quatrième section) b- le vieux frêne que le couloir contourne (première et deuxième sections)

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de premier plan, non pas seulement parmi les autres musées non-urbains (dont beaucoup pourraient être considérés comme ses héritiers) mais parmi les plus grands musées d’art internationaux. De manière plus effective, il s’agira d’interroger l’actualité d’un tel projet et d’en dégager des éléments qui pourraient, éventuellement, permettre de renouveler les conditions du succès de Louisiana. Mais, davantage que le musée dans son entièreté, et à travers toutes les questions qu’il soulève, ce qui nous intéresse particulièrement ici c’est d’interroger l’implantation et la typologie du musée Louisiana, son rapport au contexte, sa relation avec la ville et ce que cela implique en termes d’expérience pour le visiteur. Le musée a été abondamment commenté à de nombreuses reprises dès son ouverture et à chaque nouvelle extension, dans la littérature nordique et anglophone, notamment pour la qualité de son exécution et de son rapport au paysage. Outre de nombreux articles dans des revues d’architecture et de paysage13, il est répertorié dans des ouvrages plus généraux sur l’histoire de l’architecture nordique14 ou l’histoire des musées15. Par ailleurs, il a fait l’objet de quelques monographies, essentiellement sur le principe du reportage photographique et/ou de la chronique journalistique. Nous mentionnerons dans ce corpus l’ouvrage regroupant les textes de Michael Brawne et les photographies de Jens Frederiksen, paru sous le titre Jørgen Bo, Vilhelm Wohlert, Louisiana Museum, Humlebæk16, qui apporte au lecteur une compréhension générale du projet. À notre connaissance, le seul ouvrage qui se soit intéressé en profondeur au projet de Louisiana est la monographie récente que consacre John Pardey à l’œuvre de 13. À noter par ailleurs le très amer Manifeste de Louisiana dans lequel Jean Nouvel défend une «architecture de situation [face] aux profiteurs de l’architecture décontextualisée» (NOUVEL, Jean, Manifeste de Louisiana, Humlebæk : Louisiana Museum of Modern Art, 2005). Le pamphlet se base sur une analyse succincte du musée, rapidement transformée en fairevaloir de la production architecturale de son auteur. Il y oppose surtout la richesse d’une architecture «louisianienne», c’est-à-dire spécifique, à l’insipide réalité de l’architecture générique. 14. voir notamment FRAMPTON, Kenneth (dir.), World Architecture, a critical mosaic, 1900-2000, Vol. 3 Northern-, Central- & Western Europe, New York : Springer Verlag, 1999 15. voir notamment ALLEGRET, Laurence, Les musées, Paris/Milan: Electa, 1987 16. BRAWNE, Michael (texte) & FREDERIKSEN, Jens (photographies), Jørgen Bo, Vilhelm Wohlert, Louisiana Museum, Humlebæk, Tübingen/Berlin: Ernst Wasmuth Verlag, 1993. 14

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6-le couloir de Louisiana aujourd’hui, photographies de l’auteur a- troisième section b- quatrième section c- cinquième section

c


Vilhelm Wohlert, sous le titre Louisiana and beyond17, ouvrage qui rassemble une somme importante de documents issus des archives de l’architecte et les témoignages des acteurs principaux de ce projet : Wohlert lui-même, son associé Jørgen Bo, Mogens Prip-Buss, le chef de projet et Knud Jensen, le maître d’ouvrage. Pardey, grâce aux témoignages des architectes, esquisse les pistes d’une généalogie des influences de Wohlert. Néanmoins, cet ouvrage monographique n’a pas pour objet de tracer la généalogie et la filiation de l’architecture du musée lui-même, ce qui différencie fondamentalement la démarche de Pardey de la nôtre. Si Pardey s’intéresse principalement à la place de Louisiana dans l’œuvre de Wohlert, notre approche, plus génétique, tentera d’analyser le musée luimême à travers le prisme de sa distance aux centres urbains, non plus seulement dans l’œuvre de son architecte, mais dans la culture nordique à laquelle il fait écho. Même si l’architecture de Louisiana et les autres réalisations de ses concepteurs mériteraient d’être davantage analysées en français, nous nous limiterons ici principalement au schéma de l’implantation du musée sur le site et de sa composition en plan d’une part, et, d’autre part, ce que cela implique en matière de cheminement du visiteur et de contact avec l’extérieur. L’analyse typologique du musée est ici entendue comme un prétexte à l’analyse plus large des conséquences du parti architectural adopté, à l’échelle du bâtiment d’abord, à celle du territoire par ailleurs, mais aussi à l’échelle de l’expérience du visiteur. Le sujet d’étude et les références extérieures que nous apportons ont orienté le corpus vers des textes en langues étrangères, la plupart en anglais. Si l’on peut d’abord penser que cela a pu biaiser la perception du contexte nordique que nous nous sommes faite, il est important de rappeler que l’anglais est une des langues de communication les plus effectives, sinon la seule en usage aujourd’hui, entre les peuples nordiques. Pour toutes les sources en anglais, nous avons souhaité faire figurer en bas de page la version originale du texte. Nos traductions en français sont quant à elle incluses directement dans le texte. Les sources dans d’autres langues ont été de facto limitées. Nous avons néanmoins fait appel, quand cela était pertinent, à quelques sources, notamment en suédois, en norvégien et en italien que nous avons fait traduire. Par ailleurs, il est entendu que le champ géographique et culturel du présent travail se réfère essentiellement aux pays nordiques dans leur ensemble. Nous nous intéres17. PARDEY, John, op. cit. 16

7- Norden

Il est fait référence ici à la notion de Norden ou de pays nordiques, plutôt qu’à la notion de pays scandinaves ou Scandinavie. La première est ici préférée puisque, dans le contexte architectural, comme dans le contexte économique, elle recouvre une réalité plus concrète que la deuxième. Les deux notions ne se recouvrent pas exactement. La Scandinavie, dans son

acception la plus stricte, désigne la péninsule que forment la Norvège et la Suède. À cette acception géographique, vient se superposer la notion de Scandinavie au sens linguistique de pays de langues scandinaves (ou germaniques septentrionales): on ajoute alors le Danemark. Norden est, quant à lui, le terme le plus répandu dans les pays du Nord de l’Europe pour désigner l’ensemble

des pays nordiques que constituent le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Suède et les trois états associés que sont l’archipel d’Åland (territoire autonome rattaché à la république finlandaise), les Îles Féroé et le Groenland (quant à eux constitutifs du royaume du Danemark). Pour être complet, nous ajouterons que l’Estonie, depuis son indépendance, cherche

groenland (dk)

à se faire reconnaître comme pays nordique, en raison de sa proximité culturelle (notamment linguistique) avec la Finlande. À ce jour, le pays n’est qu’un membre observateur au Conseil Nordique (au même titre que la Lituanie et la Lettonie). Aussi, il n’est pas inclus dans l’acception qu’en fait ce travail.

spitzberg (no)

jan mayen (no)

REYKJAVIK islande suède

norvège féroé (dk)

1000

finlande

åland (fi) OSLO

HELSINKI 500

STOCKHOLM

danemark

COPENHAGUE

0 km Nord


serons néanmoins plus spécifiquement aux contextes danois et norvégiens en raison surtout des exemples choisis. Il sera fait usage de quelques exemples extérieurs aux pays nordiques, notamment dans la deuxième partie de ce mémoire, dans l’unique but d’alimenter une analyse comparative.

Le présent travail s’est donc organisé comme celui d’un archéologue ou, pourrait-on dire, d’un généalogiste, pour qui il importe de restituer dans l’ordre les événements et les influences croisées. C’est pour cette raison qu’il s’articule en trois parties.

d’autres projets de musées s’en sont inspirés et quelle a été son influence jusqu’à aujourd’hui sur la production architecturale nordique. C’est à travers l’exemple des projets architecturaux issus du programme norvégien Nasjonale Turistvegar18 (littéralement routes nationales touristiques) que nous montrerons comment l’idée d’un musée comme un couloir avec vue non-urbain s’est développée et transformée à partir de l’héritage de Louisiana.

La première, en interrogeant le contexte de sa conception au sens le plus large (contexte géographique, culturel, sociétal, artistique et architectural), tente de déterminer pourquoi le musée Louisiana a été imaginé, dès le début, comme un musée non-urbain, au plus près de la nature. Pour cela nous montrerons en quoi la périphérie, la déconnexion ou la retraite hors du temps font l’objet, dans la culture nordique, d’une recherche soutenue, voire même d’une quête quasi obsessionnelle ; en quoi par ailleurs ils sont des éléments constitutifs de l’imaginaire collectif nordique et se sont notamment prolongés dans l’architecture moderne de l’Europe du Nord ; et enfin dans quelle mesure on peut considérer qu’ils sont à l’origine de l’idée d’un musée hors-le-centre tel qu’elle est mise au point à Humlebæk. Dans une deuxième partie, nous nous attacherons davantage à analyser les formes spatiales adoptées à Louisiana afin de comprendre en quoi elles font écho à cette recherche de la périphérie. C’est à travers l’analyse de ce qui nous a semblé être l’élément essentiel de la composition – ce qui en fait l’intérêt architectural – que cette partie se développe. Cet élément, c’est le couloir de Louisiana, un couloir avec vue, un long parcours qui donne des vues sur le parc, un couloir ouvert sur le paysage. Il s’agira alors de dégager des liens de parenté, ou de cousinage, avec d’autres musées ou d’autres typologies de musées auxquels Louisiana semble se référer. Nous le considérerons donc dans le rapport qu’il entretient avec d’autres musées. Comment se réfère-t-il à certains d’entre eux? En quoi s’oppose-t-il à d’autres? La troisième, enfin, essaiera de voir comment cette recherche de la périphérie s’est poursuivie dans la culture nordique au-delà de l’expérience de Louisiana, en quoi 18

18. cf. Annexe pour la fiche technique des Nasjonale Turistvegar


I.HORS-LE-CENTRE PARTIR, SE RETIRER

Je me sentais fait pour la retraite et la campagne. jean-jacques rousseau19

Bien sûr le rêve n’est pas nouveau. Évidemment, il n’est pas spécifiquement nordique: on rêve de «retourner à une nature intacte, que l’homme n’aurait jamais foulé du pied ou effleuré de la main – dans les Alpes, dans un lieu sauvage, sur l’océan infini»20 – dans bien d’autres cultures, sous d’autres latitudes. Mais, dans la culture nordique, sa récurrence est telle qu’il semble être constitutif de l’identité collective. Dans cette première partie, nous tenterons d’abord de comprendre les raisons qui font que la culture des pays nordiques est à ce point liée à la question de la nature sauvage et en quoi cela procède d’une construction consciente dont on peut identifier les étapes historiques. Puis, à travers l’étude de ce qui constitue à nos yeux des jalons importants dans l’évolution du contact avec la nature à l’époque moderne, nous nous attacherons à l’analyse d’un idéal contextuel dans l’architecture nordique. 19. ROUSSEAU, Jean-Jacques, Les Confessions, Paris : Cazin, 1782 20. «To go back to a pristine nature untouched by human hand of foot – to the Alps, into the wilderness, or out on the infinite ocean» nt. BIRKSTED, Jan, Modernism and the Mediterranean, The Maeght Foundation, Hants / Burlington : Ashgate, 2004, p. xiii,


I.1.LA NATURE ET LE SAUVAGE LA PÉRIPHÉRIE DANS LA CULTURE

2-Paysages nordiques

ET L’ARCHITECTURE NORDIQUE

1-Norden, données clés Occupation du sol:

I.1.a NORDEN: UNE DIRECTION EN SOI? Avant tout, il est important que le lecteur se fasse une idée du territoire dont nous allons ici discuter. Les pays nordiques s’étendent sur une superficie de 1,2 million de km2 (sans compter le Groenland et les îles norvégiennes de Svalbard et Jan Mayen), soit la taille de l’Allemagne, de la France et de l’Italie réunies. Cependant, comme le note le centre des études statistiques du Conseil Nordique dans un récent rapport, «avec seulement 25 millions d’habitants, la région a l’une des densités les plus faibles au monde»21. La faible densité s’explique par une surface importante de territoires «marginaux, où la nature limite les possibilités d’établissement humain»22 et où les conditions climatiques ont un rôle restrictif non négligeable. Néanmoins, au sein même de l’Europe du Nord, d’importantes disparités de densités de population existent: la Norvège (Svalbard exclus) ne compte en effet que 14 habitants par kilomètre carré : la densité la plus faible d’Europe continentale comparable à des pays désertiques comme l’Algérie (15) et l’Arabie Saoudite (13). Le Danemark (sans le Groenland et les îles Féroé) est quant à lui un pays plus largement et anciennement peuplé. Sa densité de 126 habitants par kilomètre carré le place dans la moyenne des États de l’Europe occidentale, au niveau du Portugal (118) et de la France (112). Même si la population du pays s’est considérablement accrue depuis la deuxième guerre mondiale, sa densité était déjà relativement élevée au moment de la construction de Louisiana (104hab/km2 en 1958). Au sujet du Danemark, il faut tout de même noter que la population y est répartie à proximité de la capitale. Trente à quarante pour cent de la population danoise serait 21. «with a population of only 25 million, the region has one of the lowest population densities in the world» nt. Nordic Statistical Yearbook 2010, op.cit., p.7 22. «marginal areas, where nature puts limitations on settlement» nt. id. p.7 22

a- paysage danois

superficie totale terres émergées (surfaces de glace exclues) terres arables Population : 0 50millions 100

b- paysage finlandais

Norden: 16hab./km2 c- paysage norvégien

Zone Euro: 126hab./km2 14 pays (2010)

Japon 338hab./km2

en effet concentrée dans la région de Copenhague. Le ratio est identique en Norvège où Oslo concentre une importante part de la population nationale. Enfin, on peut dire qu’en Norvège comme au Danemark, la population est principalement urbaine (respectivement 79% et 87%) et se concentre dans quelques foyers urbains. C’est quand on en vient à comparer les paysages que l’on retrouve davantage de différences entre le Danemark et ses voisins nordiques. Dans un pays aussi peuplé, il ne reste guère de place pour une nature sauvage, c’est-à-dire relativement non-anthropisée : les forêts éparses sont pour la plupart des plantations, et 65% de la superficie totale du Danemark est cultivée ou occupée par des parcs et jardins23. À l’inverse, des pays comme la Suède et la Finlande sont respectivement couverts à 50% et 70% de forêts. Le territoire norvégien est quant à lui resté, dans sa majorité, vierge de toute action humaine pour des raisons qui tiennent à son inaccessibilité et à l’absence de terres arables. L’ensemble des pays nordiques ne forme donc pas un groupe homogène. On pourrait diviser le Nord en une région occidentale, tournée vers l’océan atlantique et une région orientale, davantage centrée sur la mer baltique. Aussi, l’historien et théoricien de l’architecture Christian Norberg-Schulz, qui s’est intéressé de près aux relations qu’entretiennent les pays nordiques entre eux, constate que:

Même si la Suède et la Norvège forment ensemble une péninsule, les deux pays se tournent mutuellement le dos. Ceci ne s’explique pas seulement par la chaîne de montagnes qui forme leur frontière commune, mais par le fait que, pour la plupart, les communications se faisaient autrefois par la mer. La Norvège, de ce fait, appartient aux pays qui entourent la mer du Nord, alors que la Suède et la Finlande sont liées aux riverains de la Baltique.24

États-Unis 33hab./km2 23. id. p.23 24. “Even though Sweden and Norway form a peninsula, they turn their backs to each other. This is a result not only of the mountain range that forms their common border but of the fact that, for the most part, communication was earlier conducted by sea. Norway, therefore, belongs to the lands that surround the North Sea, while Sweden and Finland are bound to those around the Baltic Sea.” nt. NORBERG-SCHULZ, Christian, Nightlands, Nordic building, Cambridge (Mass.): MIT Press, 1996, p.20 23


BERGEN

TALLINN

GÖTEBORG

ue

les capitales provinciales (Aarhus, Malmö, Göteborg, Uppsala, Turku, Reykjavik) la quatrième périphérie : les villes d’importance locale (Bergen, Trondheim, Oulu)

AARHUS

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la deuxième périphérie: les capitales «vassales» (Helsinki, Oslo)

HELSINKI

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MALMÖ

500

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la première périphérie: les capitales de la Scandinavie (Copenhague, Stockholm)

TURKU OSLO

la centralité parmi les centralités : le Sud (Athènes, Rome, la Hollande, Paris, Berlin, etc) d- territoire baltique: les environs de Tampere (FI)

OULU

TRONDHEIM

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Légende:

REYKJAVIK

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c- territoire baltique: les environs de Vasteras (SE),

D’un côté l’espace qui, descendant des versants orientaux des montagnes norvégiennes, se prolonge à travers la Suède, l’archipel d’Åland et la Finlande jusqu’aux frontières indéterminées de la forêt russe. De l’autre, un archipel de skers que formeraient la Norvège, les îles Féroé et l’Islande. Enfin, à la charnière de ces deux espaces, Copenhague. La distance au centre parmi les centres (Athènes, Rome et les dépositaires de la culture classique) détermine historiquement un degré de périphérie selon que la ville est première, deuxième ou troisième dans la chaîne de transmission des idées neuves des élites européennes, des techniques, des sciences et des arts modernes.

ltiq

b- territoire atlantique: l’archipel des îles Féroé

3e-Carte Norden: espaces géographiques et culturels

ba

3a- territoire atlantique: l’archipel des Lofoten (NO),

HOLLANDE FLANDRES

BERLIN 250

PARIS

ROME

ATHÈNES 0 km Nord


Aussi, dans une représentation générale des pays nordiques, nous pourrions opposer d’un côté l’espace qui, descendant des versants orientaux des montagnes norvégiennes, se prolonge à travers la Suède, l’archipel d’Åland et la Finlande jusqu’aux frontières indéterminées de la forêt russe et, de l’autre, un archipel de skers, ces territoires insulaires montagneux et inhospitaliers, que formeraient la Norvège, les îles Féroé, l’Islande et le Groenland. Mais, dans le tableau que nous dressons ici, «le rôle du Danemark comme chaînon central doit aussi être souligné puisqu’il explique l’importante présence historique de Copenhague,»25 située à la charnière de ces deux régions nordiques. Il faut noter par ailleurs que la Norvège, tout comme la Finlande et l’Islande, souffre d’un relatif isolement vis-à-vis de l’Europe, davantage encore que le Danemark ou la Suède. Cette situation, très ancienne, s’explique à la fois géographiquement et historiquement. Si l’on a longtemps considéré le Danemark ou la Suède comme des puissances européennes périphériques, il n’a pas toujours été évident d’en dire autant de leurs anciens États vassaux: longtemps inféodées à leurs voisins26, les sociétés norvégiennes, finlandaises et islandaises n’ont acquis leur poids économique que dans le dernier quart du XIXe siècle, au fur et à mesure que grandissait l’idée d’État-nation. En réalité, historiquement, deux villes concentraient à elles seules tous les pouvoirs: Copenhague, siège de la cour du Danemark, et Stockholm, son éternelle rivale suédoise. De ces deux foyers, se sont propagés, au cours des siècles, 25. «Denmark’s role as a middle link must likewise be emphasized, as it was the cause of Copenhagen’s important historical presence.» nt. id. p.20 26. Historiquement, la Norvège est en effet très tôt contrainte de s’unir au Danemark (1380). L’union durera jusqu’en 1814, date à laquelle elle passe sous la souveraineté du roi de Suède et perd les possessions atlantiques héritées de l’époque Viking (Islande, Îles Féroé et Groenland). L’union entre la Suède et la Norvège, pourtant peu contraignante, s’achève en 1905: le pays acquiert alors son indépendance. L’Islande, quant à elle dominée par la Norvège à partir de 1262, tombe aux mains des danois dès que l’union dano-norvégienne est signée. Mais si la Norvège est cédée à la Suède en 1814, l’Islande demeure sous le joug danois jusqu’en 1944. Elle obtient alors son indépendance au moment où le Danemark est occupé par les nazis. En ce qui concerne les terres christianisées de Finlande, elles ont été depuis toujours rattachées au Royaume de Suède, à une époque où, on l’a vu, les voies d’eaux constituaient davantage des liens que des barrières. La Suède est contrainte à se séparer des provinces finlandaises en 1809, date à laquelle se constitue le grand-duché de Finlande dont la souveraineté revient à l’empire russe. Ce n’est qu’en 1917, à l’occasion de la Révolution bolchevique, que la Finlande acquiert une indépendance qu’elle défendra avec vigueur au cours du XXe siècle face à son puissant voisin soviétique. 26

les idées neuves des élites européennes, les techniques, les sciences et les arts modernes. Aussi, la Norvège, la Finlande et l’Islande, entendues comme périphéries de périphéries, se distinguent de la Suède et du Danemark, et a fortiori des autres pays européens; en cela on y trouve moins de châteaux et de palais opulents, de plus petites surfaces de terres cultivées et des foyers de populations plus épars. La fracture est d’autant plus grande dans l’art et l’architecture, deux disciplines étroitement liées au pouvoir et à la richesse. Cette situation a longtemps perduré et même si elle a été remise en cause par les bouleversements que le tournant du XXe siècle a apporté, il en demeure qu’Oslo, Helsinki ou Reykjavik luttent aujourd’hui encore pour être considérées à l’égal de Stockholm et Copenhague, qui revendiquent toutes deux le statut de «capitale de la Scandinavie». Aussi, le territoire des pays nordiques nous semble indiquer une direction, si ce n’est plusieurs: il serait directionnel. Déjà, le terme Nord indique un sens, que l’on considérera ici comme premier. La transition d’un climat tempéré à un climat où la longue nuit hivernale alterne avec le jour continu en été se fait selon un gradient Sud-Nord. De cette réalité découle un certain nombre d’autres réalités géographiques. La répartition des terres arables y est par exemple directement rattachée. On comprendra alors que les foyers historiques de populations, dans des sociétés essentiellement agricoles jusqu’au XXe siècle, sont plus importants dans les régions méridionales que dans leurs pendants arctiques. Les densités de population traduisent encore aujourd’hui ces disparités et, au regard de l’histoire de leur implantation, une très nette primauté du Sud. Culturellement aussi, nous l’avons vu, le Sud est premier puisque les populations et les avancées sociales, techniques, scientifiques et artistiques se sont répandues dans les pays nordiques du Sud vers le Nord. Pourtant, l’espace nordique n’est pas monodirectionnel. Nous avons noté plus haut que la géographie physique y indique très nettement deux directions à partir d’une ligne médiane que formeraient les Alpes scandinaves: l’une, que l’on appellera baltique, vers l’Est, l’autre, appelée ici atlantique, vers l’Ouest. À ces deux directions opposées viennent s’ajouter les centralités urbaines, essentiellement regroupées autour des capitales nationales. Il faut les comprendre comme des pôles sur lesquels les territoires nationaux sont centrés. Mais, s’ils ont une très importante attractivité, ils organisent aussi, à partir d’eux et en direction des provinces, une seconde organisation du territoire qui intéresse ici davantage notre propos. 27


Ainsi, le territoire nordique est considéré ici comme une somme de vecteurs centrifuges, de segments orientés vers la périphérie et la nature sauvage. Nous verrons dans ce qui suit comment cette acception du paysage nordique s’est développée au cours des siècles. I.1.b LA DÉCOUVERTE D’UN PAYSAGE: LES JARDINS DE ROSENBORG ET L’ERMITAGE DE DYREHAVEN La notion de paysage est encore aujourd’hui sujette à débat. Certains théoriciens (encore ceux-là sont-ils minoritaires) considèrent que le paysage relève d’un «toujours-déjàlà antérieur à l’homme, indépendant de son regard»27. D’autres, tel Christian Norberg-Schulz, estiment que la transformation d’un pays en paysage relève d’un processus culturel plus ou moins conscient. À l’évidence, la deuxième acception se révèle être davantage approprié à la situation nordique. On sait, en effet, que «la nature nordique a longtemps été considérée comme dure et aride, insipide et monotone. Et ces terres sauvages et indomptées […] étaient craintes par les hommes»28 puisque les conditions climatiques n’y autorisaient pas une vie simple et paisible. Dans une société de subsistance basée sur un système agraire, selon un point de vue utilitaire, ces terres ne présentaient que peu d’attrait. On comprend ainsi pourquoi les paysages nordiques, à l’inverse des paysages de l’Europe méridionale, semblent encore aujourd’hui en devenir, comme si le processus de domestication n’avait pas été achevé, comme si certains résidus de nature inhospitalière subsistaient encore çà et là sur la route du Nord. Il est important de noter ici que nous parlons de domestication en référence au terme employé par Norberg-Schulz pour qualifier le processus de constitution du paysage dans les pays nordiques. Dans un contexte où le paysage est davantage constitué, c’est-à-dire anthropisé, le théoricien français Alain Roger parlera d’artialisation29, terme qu’il emprunte à Montaigne pour désigner le même processus. Nous y voyons tout de même une certaine nuance, en cela que le processus semble être davantage avancé en Europe du Sud que dans le contexte nordique. Avant de pouvoir artialiser un territoire, une cer27. GARRAUD, Colette, L’artiste contemporain et la nature, parcs et paysages européens, Paris: Hazan, 2007, p.14 28. MÅRALD, Erland & NORDLUND, Christer, «L’environnement nordique : du mythe à la réalité», in Art Nord (Paris) n°10, 2010, p.5 29. cf. ROGER, Alain, Nus et paysages. Essai sur la fonction de l’art, Paris: Aubier, 1978 28

taine appropriation serait nécessaire, ce que l’on appelle ici domestication. Sans cela, le paysage ne pourrait exister. Or, dans certaines régions périphériques des pays nordiques, notamment dans ces archipels de skers dont nous parlions précédemment, mais aussi au Groenland où la fonte des glaces révèle de nouvelles terres arables et en Islande où l’activité volcanique fait émerger de nouvelles îles, dans tout ces territoires la domestication est encore en cours. Aussi, «nous devons mesurer les réactions des méridionaux [southerners] en visite dans le Nord en fonction de cela, puisqu’ils entrent en contact avec un monde qui est à peine complet mais plutôt inachevé et fragmentaire.»30 Nous verrons par la suite à quel point Louisiana et, plus encore, les exemples de l’architecture norvégienne que nous commenterons ici relèvent justement de ce processus d’artialisation du territoire et de constitution d’un paysage. À l’inverse de biens d’autres régions du monde, c’est un processus qui nous est contemporain, auquel nous pouvons assister et dont on peut rendre compte. Bien sûr, c’est une longue métamorphose qui s’est progressivement mise en place, il y a déjà beaucoup d’années, essentiellement autour des foyers culturels que nous avons évoqués plus haut. C’est pourquoi, si nous voulons comprendre ses origines, il faut se tourner vers les exemples que constituent les régions de Copenhague et de Stockholm. À nos yeux, l’exemple danois est plus caractéristique de ce processus d’artialisation puisqu’il est premier dans le monde nordique, c’est-à-dire antérieur au processus suédois. Dans ce qui suit, nous verrons comment l’introduction de l’architecture classique au Danemark a constitué la première étape d’une perception nouvelle du territoire, pour la première fois non-utilitaire. Mais avant cela, il est important de rappeler que l’histoire de l’architecture nordique, même si elle peut être considérée, à première vue, comme autonome, c’est-à-dire indépendante d’une quelconque architecture extérieure, ne l’est pas réellement.

Même après que les régions nordiques aient été intégrées à l’ensemble européen, elles sont restées un territoire inconnu. Cela ne veut pas dire, cependant, que le Nord ait été isolé, à travers les temps, de la société européenne. 30. “We must measure the reactions of southerners visiting the North against this background, for they encounter a world that is hardly complete but rather unfinished and fragmentary” nt. NORBERG-SCHULZ, Christian, op. cit., p.4 29


L’influence du Sud a été significative et a dans une grande mesure procuré un point de repère pour le Nord. Cela revient à dire que les formes nordiques ne sont pas explicables localement mais doivent plutôt être comprises comme la conséquence de la rencontre du local [domestic] et de l’importé. 31 C’est en cela qu’il est important de retracer la généalogie des idées qui influencent encore aujourd’hui les rapports de l’architecture à la nature nordique afin de déceler ce qui relève du local (au sens de l’anglais domestic), de l’importé, ou du fruit de leur rencontre. Le classicisme, comme le fait par ailleurs très justement remarquer Christian Norberg-Schulz dans Nightlands, n’est pas un style indigène aux pays nordiques, il est un style importé. Les historiens s’accordent en effet pour la datation de l’introduction des idées classiques sur les territoires nordiques: Luther publie ses Thèses en 1517, et les années 1520 voient déjà la Réforme atteindre la Suède, puis le Danemark et la Norvège. Le tournant de l’année 1537 est considéré comme le basculement des sociétés nordiques dans la religion protestante. Cependant, dans chacun de ces pays, explique Norberg-Schulz, «ceci n’implique pas seulement des bouleversements religieux mais aussi un renforcement de la réalité du pouvoir du roi. Les dirigeants regardent alors, vers l’architecture classique»32 comme un moyen d’affirmer à la fois leur opposition à l’église catholique romaine et leur propre position au sein de l’ordre nouveau (une stratégie que Giedion analysera comme un «alibi culturel»). Le classicisme sera en réalité introduit dans les pays nordiques, et notamment au Danemark, par l’intermédiaire des marchands hollandais et allemands de la ligue hanséatique. C’est dès le milieu du XVIe siècle que se construisent les premiers manoirs dans le style de ce qui deviendra par la suite la Renaissance danoise33. 31. «Even after the northern regions became integrated with the European whole, they remained unknown territory. This is not to imply, however, that the North has, through the ages, been isolated from the European community. Southern influence has been significant and has in many ways provided a yardstick for the Nordic domestic. That is to say that Northern forms of expression are not locally explicable but must instead be understood as the result of the encounter of the domestic and the imported.” nt. NORBERG-SCHULZ, Christian, op. cit., p.2 32. “This entailed not only a religious upheaval but an enhancement of the significance of the power of the king as well. Rulers looked, from the first, to classical architecture as a means to manifest their position” nt. id. p.97 33. id.. p.101 30

Mais en quoi l’introduction de ce classicisme d’origine étrangère a-t-il bouleversé la relation de l’architecture nordique à son territoire? En quoi la Renaissance danoise constitue-t-elle une étape dans l’histoire de la découverte, de la constitution d’un paysage nordique? L’un des apports essentiels du classicisme au Danemark semble résider dans la nouvelle conscience du territoire qu’il a fait émerger. Son introduction coïncide avec le début du processus de constitution du paysage, une «notion historiquement située et largement tributaire […] de l’histoire de la peinture»34. Ce processus visuel et mental tend à transformer l’acception ancestrale de la nature comme garde-manger, en une catégorie esthétique qui relève du sujet de peinture composé et chargé de sens. On peut déjà voir dans les jardins du château de Rosenborg, appelés aujourd’hui Kongens Have (le jardin du Roi), la première tentative d’une construction d’un paysage dans les pays nordiques. Christian IV, roi du Danemark, confie en 1606 à Bertel Lange et Hans van Steenwinckel le Jeune la conception d’une nouvelle résidence d’été et de ses jardins d’agrément attenants, au-delà des remparts de Copenhague. Cet exemple, cependant, relève déjà d’une domestication de l’idée classique de relation d’un bâtiment à son site. Alors même que les grands projets architecturaux de l’époque (le château d’Egeskov, sur l’île de Fyn ou le château de Kronborg près d’Helsingør) semblent adopter des plans fermés et des volumes unifiés à la géométrie très classique (entendu au sens que la première Renaissance italienne lui donnait), Rosenborg développe l’idée d’un bâtiment «à la forme ouverte, abstraite, essentiellement anticlassique, ni conclusive ni plastique»35. Son plan est une accumulation de volumes mineurs et différenciés qui créent un ensemble hétérogène. C’est donc, en quelque sorte, par la démultiplication du linéaire de façade, que cette architecture de la périphérie entend entrer en contact avec son environnement. Ce linéaire de façade est démultiplié par le traitement architectonique qu’il reçoit. Les façades sont en effet traitées comme une transposition dans la brique et la pierre des modes de construction en colombage, extrêmement répandu au Danemark à cette époque. Aussi, les lignes de composition du bâtiment, traité en pierre calcaire blanche, se détachent incontestablement 34.GARRAUD, Colette, op.cit., p.14 35. “An open, abstract form results, essentially anticlassical, neither conclusive nor plastic.” NORBERG-SCHULZ, Christian, op. cit., p.101, 31


du remplissage de briques rouges pour former un réseau, un «filet de lignes horizontales et verticales»36. Celui-ci établit un lien entre le bâtiment lui-même et le territoire sur lequel il s’implante puisque l’on constate que ce système s’étend aux jardins, comme si le filet des lignes constructives s’était étendu au-delà des limites de la construction elle-même. Étant entendu comme le premier exemple nordique d’une architecture classique paysagère, Rosenborg semble ouvrir une brèche dans l’architecture danoise. Il introduit au Danemark une idée nouvelle : dans les siècles qui suivent, les puissants du pays, libérés du pouvoir de l’église, n’auront de cesse de se faire construire des lieux de villégiature en dehors de la ville. Ce nouveau type d’édifice, consacrés entièrement aux plaisirs des classes les plus élevées de la société, continuera de développer, sur les bases de ce que Rosenborg annonçait, une relation de l’architecture à la nature qui n’a plus rien d’utilitaire, comme elle pouvait l’être auparavant. La nature n’est plus ici seulement le potager de l’homme. Elle acquiert alors un statut d’agrément qui la relie aux besoins ésotériques et esthétiques de l’époque. La plupart de ces lieux de villégiature se trouvent à proximité de la capitale, le long de la côte en direction d’Helsingør ou plus à l’intérieur des terres vers Hillerød. Le triangle que forment ces trois villes constitue un périmètre au patrimoine architectural très riche, peut-être l’un des plus dense dans les pays nordiques. Un deuxième exemple, plus tardif mais lui aussi issu de ce triangle, viendra éclairer les évolutions de cette relation de l’architecture à la nature. À moins de dix kilomètres au Nord de Copenhague, au centre de ce qui est aujourd’hui l’un des plus grands parcs de la métropole se trouve l’Eremitagen. Ce pavillon de chasse, construit pour le roi Christian VI par l’architecte baroque Lauritz de Thurah entre 1734 et 1736, était destiné à accueillir les banquets royaux à l’issue des parties de chasse dans le parc de Dyrehaven (littéralement le parc des cerfs). Situé sur la commune de Jægersborg, il a été constitué à la demande du roi Frederick III en 1669. Il sera au cours de son règne entièrement clôturé pour retenir la population de cerfs à l’intérieur de la réserve de chasse. L’ensemble est essentiellement composé de forêt sauf sur sa partie centrale où de grandes prairies organisent des vues sur le petit palais baroque. L’édifice semble commander l’ensemble de la composition et si, à l’inverse de Rosen36. “Rosenborg is subject to a “net” of horizontal and vertical lines.” nt. id, p.101 32

4-Vue aérienne du château de Kronborg, Helsingør (DK) 5-Château de Rosenborg, Copenhague (DK) photographie Steen Elm 6-Jardins du château de Rosenborg, Copenhague (DK) photographie de l’auteur DOUBLE PAGE SUIVANTE 7-Lauritz de Thurah, Eremitagen, Jægersborg (DK), 1734-1736 photographie de l’auteur 8-Vue aérienne du parc de Dyrehaven, Jægersborg (DK) 9-Carte des domaines de chasse de Sjæland du Nord montrant la partie de la côte du détroit de l’Øresund entre Copenhague et Helsingør, XVIIe siècle, collection du château de Rosenborg, Copenhague (DK) photographie de l’auteur


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borg, sa forme architecturale est extrêmement compacte et fermée, sa dimension territoriale est incontestable. En effet, comme dans «le cas du temple grec, l’approche est angulaire, c’est-à-dire qu’elle résulte d’un décalage par rapport à toute axialité, le spectateur faisant un pas de côté»37 afin de voir l’édifice frontalement. Car aucun des chemins qui y conduit ne se confond avec l’orientation du bâtiment. Or, c’est ce pas de côté qui constitue, selon Jacques Lucan, le «premier pas d’appropriation de l’étendue», celui qui «établit la distance initiale constitutive d’un paysage architectural».38 C’est pour cette raison que Tobias Faber, dans l’ouvrage qu’il consacre à l’histoire de l’architecture danoise, dira du pavillon de chasse qu’il «accentue monumentalement la vaste plaine boisée de sa masse compacte et fermée, témoignant ainsi de la subtile sensibilité de son architecte pour le caractère particulier du paysage.»39 Aussi, Dyrehaven est une mise en scène du cheminement qu’implique le sortir-de-la-ville dont se piquent les puissants de l’époque. Il est, avec l’Eremitagen comme destination, la transposition dans le territoire, d’une direction mentale qui pousse le roi à sortir de Copenhague, à emprunter la route d’Helsingør vers le Nord afin d’éprouver le contact intime de l’homme et de la nature. Le pavillon de chasse n’est en soi qu’un élément du décor, il ne matérialise que le lieu où l’on se réunit après la chasse, une activité qui, dans la cour royale danoise de l’époque, a déjà perdu toute justification utilitaire. Elle est une activité d’agrément et de prestige qui, conséquemment, aspire à la constitution d’une nature d’agrément, un paysage, autour d’elle. Aussi, le périmètre du parc a été débarrassé des quelques habitations de paysans qui s’y trouvaient, preuve s’il en est que le paysage tel qu’il était entendu à cette époque ne s’accommodait guère d’une acception utilitaire de la nature. Si une relation nouvelle au paysage se constitue au sein des élites dès le XVIIe siècle, «l’idéal naturel ne réside [néanmoins pas encore] ni dans les forêts profondes, ni dans 37. LUCAN Jacques, «L’invention du paysage architectural, ou la vision péripatéticienne de l’architecture», in Matières, Lausanne: Presse polytechniques et Universitaires romandes, 1998, p.29 38. id. p.30 39. “The small Hermitage, which [Laurids de Thurah] built in the Deer Park north of Copenhagen in 1734-1736, monumentally accentuated the wide wooded plain with its compact closed mass, testifying to its architect’s subtle sense of the special character of the landscape.” nt. FABER, Tobias, A History of Danish architecture, Copenhague: Det Danske Selskab, 1963. p.76 36

10-Carte des châteaux de Sjæland du Nord

KRØNBORG

FREDENSBORG

FREDERICKSBORG

HØRSHOLM ruiné EREMITAGEN

CHARLOTTENLUND AMALIENBORG CHARLOTTENBORG ROSENBORG CHRISTIANSBORG FREDERICKSBERG


les hautes montagnes, ni même dans les paysages de lacs scintillants, mais plutôt dans les parcs bien dessinés que l’on trouvait sur le continent européen»40. Nous verrons comment, à partir de la fin du XVIIIe siècle, l’idéal de la nature s’est géographiquement déplacé, pour atteindre les régions les plus reculées du territoire nordique. I.1.c LE SAUVAGE ET L’IDENTITÉ NATIONALE: CONSÉQUENCES POUR L’ARCHITECTURE

Ossian a supplanté Homère dans mon cœur goethe41 Au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, les pays nordiques ont connu des bouleversements sans précédents, avec pour conséquence une transformation radicale des conditions de vie. La période d’industrialisation des sociétés nordiques «vit se jouer la fin d’une ère agricole ancestrale et poindre le début d’une époque nouvelle, moderne et à bien des égards inconnue et incertaine»42. En effet, parallèlement à l’introduction de nouvelles méthodes de production agricoles, la population augmenta considérablement, contraignant de nombreux paysans, faute de terres agricoles et de travail, à quitter la campagne à la recherche de meilleures perspectives économiques. Beaucoup, dans les années 1860-80, choisirent l’émigration. Ces bouleversements de la société se répercutèrent dans la politique, dans une région du monde où «les frontières des nations étaient nouvelles et, pour partie, encore mises en cause»43. Le demi-siècle qui sépare l’introduction de l’industrialisation et l’accès à l’indépendance a été témoin, en Finlande, en Norvège et en Islande, d’une montée des nationalismes, appuyés sur la notion d’État-nation. Or, comme le note Anne-Marie Thiesse:

Dans l’Europe du XIXe siècle, la question nationale n’est pas seulement affaire de politique, mais aussi d’esthétique. La formation d’États40. MÅRALD, Erland & NORDLUND, Christer, op. cit., p.5 41. GOETHE, Les souffrances du jeune Werther, lettre du 12 Octobre, (Die Leiden des jungen Werthers), Leipzig, 1774 42. MÅRALD, Erland & NORDLUND, Christer, op. cit., p.5 43. ibid. Nous l’avons vu précédemment, les frontières que l’on connaît aujourd’hui n’ont été fixées qu’en 1944, au moment où l’Islande acquiert sa pleine indépendance, à la suite de la Norvège (en 1905) et de la Finlande (en 1917). 38

11-Pekka Halonen, Désert, Paysage de Carélie, 1899, Musée d’art de Turku (FI)


nations et les revendications d’indépendance au sein des Empires s’appuie sur une intense création de cultures nationales. La quête des origines, qui multiplie les déclinaisons locales du modèle homérique, suscite l’exploration des cultures populaires qui paraissent les reliquaires d’antiques épopées. Contre le modèle classique, la primitivité est érigée en foyer de la modernité.44 Ce mouvement s’était engagé, un peu plus au Sud, dès le milieu du XVIIIe siècle. C’est, en effet, avec la publication d’un poème épique attribué à Ossian45, un antique aède écossais, que la légitimité de la culture classique (i.e. la primauté de l’héritage méditerranéen sur les autres, parmi lesquels l’héritage nordique) subit sa première attaque sérieuse. En réaction à la «culture unique» imposée par l’hégémonie culturelle française, elle-même dépositaire de l’héritage de l’Antiquité gréco-romaine, naît «la nécessité de redéfinir les rapports entre l’universel et le particulier»46. D’abord au Royaume-Uni et en Suisse vers 1760, puis dans le reste de l’Europe du Nord, le centre de gravité de la légitimité culturelle se déplace. On prend alors le contre-pied du classicisme: «à l’Antiquité gréco-romaine sont substitués les âges barbares, au monde méditerranéen l’Europe du Nord, aux salons de l’élite raffinée les chaumières rustiques.»47. De ces bouleversements économiques et culturels naîtront, par exemple, les États nordiques modernes. Nous pouvons nous arrêter ici rapidement sur le cas de la Finlande pour expliciter les bouleversements idéologiques de la révolution industrielle et du nationalisme. L’exemple de la Finlande est intéressant en cela que le pays a été le berceau d’un romantisme national puissant dont on mesure encore aujourd’hui les conséquences. Le territoire autonome du grand-duché de Finlande, sous la souveraineté du tsar de Russie, eut à subir, à la fin du XIXe siècle, le durcissement des politiques de russification. C’est en réaction à cela que le pays, essentiellement sous l’influence de ses élites culturelles, se lança dans un mouvement pour l’indépendance. Se mi44. THIESSE, Anne-Marie, «Esthétiques Nationales», intervention au colloque Le Nord, un mythe artistique, musical et littéraire (Paris: Musée d’Orsay, 30 Mars 2012) 45. MACPHERSON, James, Fingal, an Ancient Epic Poem, Londres, 1761 46. THIESSE, Anne-Marie, La Création des identités nationales, Europe XVIIIe – XXe siècle, Paris: Seuil, 1999, p.23 47. id. p.24 40

rent alors en place des «appareils homogénéisants»48 dont la portée idéologique est incontestable. L’architecture de cette époque, comme la littérature, la musique et les arts plastiques, a joué un rôle important dans ce processus de nationalisation. Elle a été l’un de ses facteurs d’homogénéisation les plus puissants. «De manière assez surprenante,» constate Christian Norberg-Schulz, «c’est en Finlande que la recherche d’une identité nordique [dans l’architecture] a eu les résultats les plus fructueux – d’autant plus surprenant que la tradition constructive finlandaise était jusque-là la moins distincte de celle de ses voisins»49. Plus important encore a été le rôle de la nature comme élément de rassemblement national. L’idée d’une nature nordique indomptée devient alors un symbole national, à l’égal du drapeau, de l’hymne et de la langue. Au regard de ce que l’on sait aujourd’hui, «on peut constater que non seulement les êtres humains, mais aussi la nature, entamèrent un processus de nationalisation»50 qui transforma si ce n’est la nature elle-même, au moins la relation entre les hommes et leur environnement. Aussi, cette «représentation d’une relation intime entre les hommes et la nature du Nord»51 doit être considérée comme une construction idéologique, établie, au cours du XIXe siècle, par une élite culturelle et majoritairement urbaine. À partir de cette époque, le mot nature acquiert un sens qui n’a plus rien d’utilitaire : ce n’est pas la nature du paysan, du bûcheron ou du pêcheur ; c’est davantage la nature entendue au sens de l’anglais wilderness, la nature sauvage, le désert. On comprendra alors que la notion de nature romantique trouvera davantage de résonance dans les pays nordiques que celle de nature nourricière. Les terres fertiles s’opposent en effet aux paysages inhospitaliers en cela qu’elles sont rares et extrêmement réduites dans ces régions boréales. Au cours de cette période, la peinture trouva dans les paysages inhabités du grand Nord son terrain de jeu favori. Les exemples les plus connus sont les œuvres du finlandais Akseli Gallén-Kallela qui représenta les scènes mythiques du 48. cf. HETTNE, Björn, SÖRLIN, Sverker & ØSTERGÅRD, Uffe, Den globala nationalismen, Nationalstatens historia och framtid (le nationalisme global, histoire et futur de l’État-nation, non-traduit), Stockholm: SNS, 1998 49. «Surprisingly enough, it was in Finland that the search for Nordic identity had its most fruitful results – surprising because Finland’s tradition of building was less distinct that that of its neighbors’,» nt NORBERGSCHULZ, Christian, op.cit., p.136 50. MÅRALD, Erland & NORDLUND, Christer, op.cit., p.6 51. id. p.8 41


Kalevala, l’épopée nationale des Finlandais, au milieu d’une nature sauvage, du norvégien Harald Sohlberg qui s’attacha à peindre les Rondane, une chaîne de hautes montagnes norvégiennes inhabitées et de l’islandais Þórarinn Þorláksson qui se consacra au Þingvellir, le site où la nation islandaise aurait été créée en 930. Ainsi, si les périodes précédentes ont introduit l’idée de nature d’agrément, essentiellement sous la forme du jardin ou du parc, la période romantique crée l’idée d’un paysage nordique comme nature sauvage. Cette notion nous oblige à revenir sur une opposition fondamentale dans l’histoire culturelle européenne : celle qui distingue le jardin du paysage. Collette Garraud note à ce propos que «sur le grand paysage, ordinairement opposé à l’artefact du jardin, nous reportons volontiers la nostalgie d’une terre inviolée.» Mais, poursuit-elle, «on ne saurait oublier que la plupart des paysages, en particulier sur le territoire européen, ont été modelés par l’homme»52. Cette définition s’applique néanmoins davantage à l’Europe occidentale ou méridionale qu’à l’Europe du Nord. Sur ce territoire majoritairement désertique, nous l’avons expliqué plus haut, la domestication est encore en cours. En cela il se rapproche du territoire du grand Ouest américain qui, dans les années 1960-70 était encore pour partie en plein processus de domestication. Les œuvres des artistes du Land Art, disséminées dans les déserts américains, en étaient l’expression même : difficile alors de parler de territoire anthropisé quand on se réfère aux lacs asséchés du Nevada ou au déserts californiens. Il en va de même, à notre sens, des grandes étendues nordiques : les terres sauvages de Suède (vildmarken), les profondes forêts inhabitées de Finlande (erämaa), les montagnes de Norvège (fjellet) et les paysages volcaniques islandais. La lutte pour l’indépendance a de nombreuses répercussions sur l’architecture de tous les pays nordiques. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les processus de nationalisation n’épargnèrent pas le Danemark et la Suède, qui sont pourtant des pays plus anciennement constitués. On constate seulement qu’une architecture nationale romantique s’implanta de manière plus discrète qu’en Norvège ou en Finlande, où de plus grandes revendications politiques existaient. Ceci mis à part, on peut dire que de manière générale, 52. GARRAUD, Colette, op. cit., p.14 42

12-Akseli Gallén-Kallela, La malédiction de Kullervo, 1899, Ateneum, Helsinki (FI)

13-Harald Sohlberg, Nuit d’hiver sur les Rondane, 1914, Galeries Nationales de Norvège, Oslo (NO)

14-Þórarinn Þorláksson, Rivière à Borgarfirði, 1903, Galeries Nationales d’Islande, Reykjavik (IS)

la période romantique n’aura eu de cesse de revisiter l’héritage du domestique, tout en rejetant l’importé. Ce qui intéresse davantage ici notre propos, ce sont les recherches qui ont été menées dans cette période-là dans le but de réutiliser des matériaux ancestraux et locaux : le bois en Norvège, la brique au Danemark, le granit en Finlande, etc. Celles-ci conduiront les architectes à sortir des villes, à la recherche d’éléments vernaculaires de l’architecture ancienne. Ils voyageront alors, non plus seulement, comme le voulait la tradition, en Allemagne, en Hollande ou en Italie, mais aussi dans les provinces nordiques. La Carélie, une région au Sud-Est de la Finlande, considérée comme le berceau mythique de la nation finlandaise, recevra par exemple de nombreuses expéditions scientifiques dont le but était de comprendre les caractéristiques du vernaculaire local. À partir de cette époque, l’on réutilise dans l’architecture savante, dans l’architecture des villes et du pouvoir, les matériaux traditionnels que la construction classique avait mis de côté. En Finlande, où la roche affleure en quantité considérable, de nombreux bâtiments sont alors construits en granit : à noter par exemple à Helsinki le siège de la compagnie d’assurances Pohjola (littéralement le Nord en finnois), œuvre des chefs de file du style national romantique Herman Gesellius, Armas Lindgren et Eliel Saarinen, en 1901, ou la cathédrale de Tampere de Lars Sonck en 1907. En Norvège, on s’intéresse alors beaucoup aux églises médiévales en bois debout (stavkirke) et on réinterprète à travers le style dragon (dragestil53) leurs éléments de décor. En Suède, tout comme dans les autres pays nordiques, le bois se libérera des peintures et des enduits qui le masquaient jusqu’alors: la recherche de l’authentique nordicité s’attachera à montrer sans fard les couleurs des essences locales. Au Danemark, de l’émergence de nombreux individualismes ne se détachent que peu d’éléments fédérateurs, si ce n’est l’intérêt grandissant des architectes pour la brique, un matériau introduit pendant la période gothique. Nous verrons dans ce qui suit en quoi l’architecture de Peder Vilhelm Jensen-Klint, l’une des figures de cette période, a influencé l’architecture moderne danoise, et notamment celle de Louisiana. Ce qui caractérise davantage l’apport du nationalisme et du romantisme national, c’est le renversement de situation qui s’opère à cette époque. Si, depuis l’introduction du classicisme, les élites culturelles nordiques étaient entièrement tournées vers le Sud, centralité parmi les centralités, 53. à ce sujet voir NORBERG-SCHULZ, Christian, Nightlands, op.cit., p.127 43


les nouveaux courants de pensée qui émergent à la fin du XIXe siècle redirigent les yeux des puissants vers le Nord, vers les périphéries, vers l’Arctique même. Aussi, le voyage, initiatique ou simplement mental, des architectes, des puissants ou des élites, qui tendait jusqu’alors vers Rome ou Athènes, voit sa direction précisément inversée. Il est un voyage pour partir, se retirer dans la nature sauvage: c’est un udvej, un chemin vers l’extérieur. Il tend dès lors vers les terres sauvages (vildmarken) suédoises, la forêt (erämaa) finlandaise ou les montagnes (fjellet) norvégiennes, vers une limite, au sens topologique du terme, qui dorénavant se situe sur la latitude maximale. Cette limite-vers-laquelle-tout-tend n’a été que dans une très faible mesure remise en cause dans les époques postérieures. Il apparaît même que la «représentation d’une relation intime entre les hommes et la nature du Nord» se soit renforcée au cours du XXe siècle, au fur et à mesure que les processus de domestication et d’artilisation dont nous allons parler ont avancé. En dépit des aspirations du modernisme pour l’universalité ou de l’uniformisation inhérente à la globalisation, les sociétés nordiques semblent avoir conservé le sentiment qu’elles sont intimement tournées vers une nature sauvage.

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15- Herman Gesellius, Armas Lindgren, Eliel Saarinen, Siège de la Compagnie Pohjola, Helsinki (FI), 1901 photographie Katja Hagelstam


I.2.UNE MODERNITÉ PITTORESQUE GÉNÉALOGIE D’UN IDÉAL CONTEXTUEL Si l’architecture classique relève d’un importé, et l’architecture de style Romantisme national relève d’un domestique réinterprété, qu’en est-t-il de l’architecture moderne nordique? A-t-elle été importée elle aussi? Ou bien est-elle le fruit d’une rencontre? Que peut-on dire de l’évolution du contact avec la nature à l’époque moderne? Afin de répondre à ces questions, nous verrons d’abord comment, au Danemark, l’essor d’une architecture moderne découle d’un processus d’assimilation à la tradition locale, centrée autour d’un idéal contextuel, ce qui la rend fondamentalement différente de l’architecture de ceux qui, en Europe Occidentale, «étaient occupées à nettoyer l’ardoise de ce qu’ils regardaient comme les valeurs complètement obsolètes de la tradition»54. Puis, nous montrerons comment, les idéaux universels du fonctionnalisme ont été accueillis dans les pays nordiques et en quoi cela a remis en cause le rapport du domestique à l’importé. I.2.a MODERNITÉ ET TRADITION: L’EXEMPLE DU DANEMARK L’exemple du contexte architectural danois nous montrera que même dans un pays où le romantisme national ne s’est que relativement peu développé, ses conséquences dans la période moderne sont incontestables. En effet, au Danemark, comme dans le reste des pays nordiques, «l’architecture rurale apporta de nombreux bons exemples de la manière dont la construction, les matériaux, les couleurs et les effets de texture peuvent soutenir la forme et le contenu fonctionnel»55. Les architectes, dans les deux premières dé54. “People who were players in the Central European avant-garde were busy clearing the slate of what they regarded as being tradition’s hopelessly outdated set of values». HARLANG, Christoffer, «Negotiating with the surrounding society», in ANDERSEN, Michael Asgaard (dir.), Nordic Architects Write, A documentary anthology, Oxon/New York: Routledge, 2008, p.12 55. “Rural architecture provided many good examples of how constrution, materials, colours and textural effect could redeem form and functional content.” nt. PARDEY, John, op. cit., p.6 46

cennies du XXe siècle, «devinrent de plus en plus familiers avec une tradition danoise et la développèrent de manière sensible»56 au point que l’on ne peut pas réellement parler de Modernisme en tant que tel au Danemark avant 1930. C’est ce que note l’historien Christoffer Harlang à propos de la situation à la fin des années 1920:

Au Danemark, dans les années qui précèdent cette époque, la jeune génération d’architectes a cherché à formuler une critique plus fine et plus constructive et a ainsi été occupée à distinguer ce qui, dans le processus qui rapidement devenait une assimilation du modernisme à la tradition danoise, pouvait être utilisé de ce qui devait être laissé de côté. 57 Aussi,

quand il s’agissait d’évaluer la nouvelle architecture qui était alors initiée sur des sols étrangers, l’attitude dominante parmi les architectes danois relevait, pour le moins, du scepticisme.58 Le Danemark ne s’est pas engagé dans la voie de la modernité sans se poser de nombreuses questions. Poul Henningsen, pourtant l’un des critiques d’architecture les plus acquis à la cause moderne, alimenta le débat de ses doutes: ses «comment allons-nous aborder l’architecture moderne» précédent de très près des «qu’allons-nous faire de nos traditions?»59 Les deux questions, dans l’esprit de Henningsen, tout comme dans celui des autres architectes de l’époque, sont indissociables. 56. «Architects became increasingly familiar with a Danish tradition and developed it sensitively.» nt. ibid. 57. “In Denmark, the younger generation of architects had been searching during the years leading up to this time for a more constructive and delicately shaded critique and they had been busy drawing distinctions between what could be used and what would have to be left by the wayside in the process of what as rapidly becoming modernism’s assimilation into the Danish tradition.” nt. HARLANG, Christoffer, op. cit., p.12, 58. «the prevailing attitude among Danish architects when it came to evaluating the new architecture that was being launch on foreign soil was, to put it mildly, sceptical» nt. id. p.11 59. “How are we going to address ourselves to the modern architecture and, along with this question, what are we going to do with respect to our own traditions?” nt. ibid. 47


C’est en revenant sur la période précédente que l’on comprendra pourquoi la question de la tradition est à ce point liée à celle de la modernité dans le contexte danois. Comme nous l’avons noté plus haut, la fin du XIXe siècle au Danemark correspond au développement de nombreux styles individuels. De cette multitude de styles ne se détachent que de rares dénominateurs communs. L’un d’eux, la brique, jouera pourtant un rôle primordial tout au long du XXe siècle. C’est d’abord l’architecte Johan Daniel Herholdt qui, à travers la nouvelle bibliothèque de l’université de Copenhague (1861), montra que la brique rouge convenait parfaitement à la construction de bâtiments publics, tout en soutenant des traditions classiques et vernaculaires. Il faut noter que le matériau avait été primordial, au Moyen-Âge, dans la constitution d’une architecture danoise, notamment dans la construction d’églises et de monastères gothiques aux pignons à gradins (appelés en danois kamtakker, littéralement toits en peigne 60). Mais, si l’architecture de Herholdt est encore empreinte d’un historicisme propre au XIXe siècle, celle de son élève Peder Vilhelm Jensen-Klint est davantage influencée par des traditions spécifiquement danoises. C’est à cet homme, dont l’enseignement croise l’ingénierie de la construction et la peinture, et dont la pratique se tournera tardivement vers l’architecture, que l’on doit véritablement la généralisation de l’usage de la brique dans la construction moderne danoise. Il réussit en effet à montrer que la brique, tout en servant des idéaux nationalistes, représentait un matériau moderne dont l’esthétique convenait parfaitement aux aspirations progressistes de la société de l’époque. Après s’être illustré grâce à la construction de résidences particulières à la maçonnerie de briques rouges, il se lança dans la conception d’églises. Dès lors, dans son architecture, les briques ne sont plus spécifiquement rouges. C’est le cas à Grundtvig à Copenhague, son chef-d’œuvre incontesté. Le projet, qui comprend une église de 1800 places et un ensemble de logements attenants, s’étala sur les dernières années de sa vie. Jensen-Klint remporta en effet le concours en 1913, mais la guerre interrompit le projet jusqu’en 1921, date à laquelle la construction débuta. À la mort de l’architecte, en 1930, la façade principale était achevée, mais les travaux de la nef et des bâtiments adjacents furent poursuivis par son fils, Kaare Klint, alors jeune designer. Kaare s’en est tenu essentiellement au dessin de son père : en résulte un bâtiment 60. voir les églises de Kundby, sur l’île de Sjælland et de Maribo, sur l’île de Lolland 48

17- Johan Daniel Herholdt, Bibliothèque de l’université de Copenhague, Copenhague (DK), 1861 photographies de l’auteur a- la bibliothèque vue de l’extérieur b- détail des baies,

16- Eglise, Gerlev (Sjæland du Sud), XVe siècle

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b 49


de briques jaunes à l’influence gothique très prononcée, d’un expressionnisme puissant, offrant néanmoins des détails de construction à l’ascèse très moderne. Kaare Klint se fera par la suite remarquer pour ses réalisations aux lignes pures et claires, utilisant les meilleurs matériaux dans le respect des plus fines traditions de l’artisanat. On dira de lui, à l’instar de Arne Jacobsen, qu’il «n’était pas un rénovateur [renewer] en tant que tel mais davantage un améliorateur [improver] à l’œil averti et accoutumé à l’agitation de la scène internationale, qui réussit à transformer des idéaux formels étrangers et à les incorporer à la culture constructive danoise»61. En cela il a été l’une des figures principales du processus d’incorporation des idées modernes dans la tradition nationale. Il est important de noter par ailleurs qu’il aura une très longue carrière dans l’enseignement du design et de l’architecture, à l’Académie Royale des Beaux Arts de Copenhague, où il fera école, notamment auprès de Vilhelm Wohlert, son élève et un temps associé62. Aussi, le projet de l’église Grundtvig intéresse particulièrement notre propos en cela qu’il est un exemple de la permanence des sensibilités du romantisme national dans la modernité architecturale danoise. Il est permis de penser que Kaare Klint hérita des préoccupations de son père pour les matériaux locaux, pour les traditions constructives locales, comme il hérita du projet de l’église. C’est là un exemple parmi tant d’autres. Celui-ci, cependant, a ceci de particulier qu’il est illustré par le passage d’une génération à l’autre : la mort du père marque la fin du conflit entre le domestique et l’importé, alors que l’accession du fils aux affaires ouvre une époque moderne où le local s’associe à un nouvel importé : le fonctionnalisme.

a 18- P.V. Jensen-Klint & Kaare Klint, Église de Grundtvig, Copenhague (DK), 1921-1940 photographies Kim Høltermand a- la façade de l’église dans la perspective de l’allée du cimetière b- la façade principale de l’église c- la nef latérale

b

I.2.b LA DOMESTICATION DU FONCTIONNALISME: MODERNISME RÉGIONAL ET NOUVEL EMPIRISME Le passage d’une génération à une autre, illustré par l’exemple de P.V. Jensen-Klint et de Kaare Klint, est en quelque sorte symptomatique de l’année 1930, considérée par les historiens de l’architecture nordique comme une claire rupture historique. Cette année-là, après un demi-siècle de romantisme national (des années 1870 à la première guerre 61. “He was not a renewer as such but more of an improver who, through a sharp eye trained on whatever was stirring on the international scene, managed to transform foreign form ideals and incorporate them into a Danish building culture.” nt. HARLANG, Christoffer, op. cit., p.14 62. cf. Chronologie en annexe 50

c 51


mondiale) et une décennie de réinterprétation du classicisme (dès 1918), l’Exposition de Stockholm (Stockholmsutställningen) attire plus de quatre millions de visiteurs. L’événement, consacré à l’architecture, au design et à l’artisanat, introduit aux yeux de tous le Fonctionnalisme, qui très vite reçoit dans les pays nordiques le très affectueux diminutif de funkis. Lorsque Gunnar Asplund, l’un des architectes en chef de l’exposition (au côté de Sigurd Lewerentz) bascule vers le fonctionnalisme, il en est fini du classicisme nordique des années 1920, dont il avait pourtant été l’un des meilleurs représentants. Le slogan de l’exposition, Acceptera!, sonnait comme un appel à la conversion. L’époque semblait ne plus être alors à la relecture des modèles classiques (importés), ni même à celle des formes nationales (domestiques). Une inclinaison nouvelle pour quelque chose d’international, incarnée par le fonctionnalisme, apparaît alors. La conversion des architectes nordiques fut d’autant plus rapide qu’ils l’acceptèrent «comme la solution qui les libérerait du conflit entre le national et l’étranger», dans le sens où, «pour la première fois, l’architecture perdait ses traits régionaux et locaux» 63. Or, si l’on a d’abord pensé que le conflit du local et de l’étranger avait été définitivement réglé, on a pu très vite constater que l’architecture moderne nordique – «celle d’Asplund ou Aalto, mais aussi bien celle de la nouvelle génération des Utzon, Fehn, von Spreckelsen ou Pietilä –, du fait sans doute qu’elle [a] su inventer une modernité ne reniant ni ses traditions ni le caractère de ses villes et de ses paysages, [a] produit des œuvres marquantes en nombre excédant de beaucoup ce qu’on était en droit d’attendre d’aussi petits pays et, mieux encore, une architecture ordinaire de bonne qualité.»64 En réalité, ce que nous appelons communément modernisme nordique n’est pas une simple branche du Modernisme. Elle est déjà une forme de rencontre entre deux courants que tout semble opposer, l’un étranger, le Fonctionnalisme, à priori universel, et l’autre issu du contexte du Romantisme national. Nous l’avons vu dans l’exemple danois, 63. “For the first time architecture lost its regional and local traits […] As a result, many Nordic architects accepted modernism as a liberating resolution of the conflict between the national and the foreign” nt. NORBERGSCHULZ, Christian, op. cit., p.149 64. LE DANTEC, Jean-Pierre, «Préface» in NORBERG-SCHULZ, Christian, L’art du lieu, architecture et paysage, permanence et mutations, Paris: Le Moniteur, 1997 52

19- Gunnar Asplund, Restaurant Paradiset à l’Exposition de Stockholm, Stockholm (SE), 1930, photographie C.G. Rosenberg 20- Vue de l’exposition de Stockholm, 1930 photographie Gustaf W. Cronquist


l’establishment architectural tout comme les jeunes générations sont restées longtemps réticents aux idées de l’architecture nouvelle. Quand bien même, à la suite de l’Exposition de Stockholm en 1930, le Fonctionnalisme sera très vite absorbé par les architectes nordiques, il deviendra très rapidement méconnaissable. En témoigne l’œuvre d’Alvar Aalto qui, par exemple, embrasse les nouveaux préceptes de son ami Asplund dès 1929, adapte en fonction d’eux le plan néoclassique sur lequel il travaillait après avoir remporté le concours de la bibliothèque de Viipuri (1927) : les idées fonctionnalistes n’auront pourtant pas le temps de s’y concrétiser totalement. À sa construction, en 1934-35, Aalto s’était déjà engagé dans une voie qui allait le mener bien loin du pur Fonctionnalisme (celui par exemple de son immeuble pour le Turun Sanomat à Turku, 1929-1930), vers ce que Christian Norberg-Schulz qualifiera de modernisme régional. Si cette domestication du fonctionnalisme s’est incontestablement répandue dans tous les pays nordiques, cela s’est fait selon une chronologie distincte. En Suède, par exemple, le mouvement a eu une vie plus longue et plus féconde que dans les autres pays nordiques. Si, dans ce pays, on trouve dès les années 1930 quelques équivalents à la pensée contextuelle et attentive aux traditions d’un Kaare Klint ou d’un Alvar Aalto, aucun ne s’affirmera réellement avant la fin de la guerre. C’est seulement au lendemain de celle-ci que les «qualités stériles» (barren qualities) du fonctionnalisme commenceront à être pointées du doigt, cette fois-ci non pas seulement par les voix isolées des architectes attachés aux traditions locales, mais par les plus fervents défenseurs de l’universalisme eux-mêmes. Il ne s’agira donc pas d’enterrer le courant de pensée (ou de l’assimiler aux traditions locales), mais de le mettre à jour à travers une relecture plus fonctionnelle encore, libérée du formalisme qui, selon eux, a gangrené l’architecture fonctionnaliste des années 1930. C’est l’architecte Kay Fisker qui, dans un article intitulé La morale du fonctionnalisme (Funktionalismens Moral) et daté de 1947, apporte une explication claire du programme que la première génération fonctionnaliste de l’après-guerre s’est donné:

Aujourd’hui, après la première victoire du fonctionnalisme cru initial, nous devrions nous intéresser au développement de la face plus vive et plus humaine de l’architecture fonctionnelle: un cadre clair et fonctionnel autour de l’existence moderne, créé par des moyens nouveaux ; un perfectionnement de la tradition, peut-être, mais pas un retour à des formes 54

passées et révolues. La stérilité du fonctionnalisme ne vient pas de l’abandon de l’ancien, mais davantage de l’incapacité à tirer parti de manière suffisamment imaginative des nouvelles possibilités – des nouveaux matériaux, de la construction nouvelle, des nouvelles conditions sociales.65

21- Alvar Aalto, Siège du Turun Sanomat, Turku (FI), 1928-1930 photographie Gustav Welin

L’un des exemples les plus aboutis de l’orthodoxie fonctionnaliste dans l’œuvre d’Alvar Aalto.

22- Alvar Aalto, Bibliothèque, Viipuri (FI) aujourd’hui Vyborg (RU), 1933-35 photographie Gustav Welin

Les courbes du plafond améliorent non seulement l’acoustique de la salle mais marquent aussi la première incursion d’Aalto en dehors d’un fonctionnalisme rigide.

La relecture du fonctionnalisme en Suède sera polymorphe. La revue britannique Architectural Review nous en donne un aperçu intéressant : dans l’immédiate après-guerre, le débat qu’entretiennent ses animateurs sur le pittoresque moderne les conduit à s’intéresser à l’architecture suédoise pour laquelle ils ont beaucoup d’admiration. Ils y voient en effet un renouvellement des idées fonctionnalistes à même de répondre aux défis de la reconstruction (pénurie des matériaux, perte de repères et urgence sociale). On y forge alors l’expression Nouvel Empirisme, «la trouvaille de l’Architectural Review, après-guerre, pour résumer la tendance de l’architecture scandinave à s’éloigner de cet autre label historique qu’est le style international»66 selon la formule de Reyner Banham. La revue consacre à ce Nouvel Empirisme un article en Juin 1947 suivi par un dossier entier en Janvier 1948 dans lequel on peut lire que :

La conception architecturale [en Suède] est devenue bien plus ouverte et plus attentive à la réalité construite qu’au motif sur le papier. La fenestration est elle aussi plus libre et les fenêtres apparaissent à des endroits et en des tailles que les besoins dictent et qui satisfont le rythme. Des matériaux locaux et traditionnels sont utilisés à la fois à l’intérieur et à l’extérieur, tout particulièrement la brique et le bois. Dans l’habitation, le confort revient et il y a une tendance parmi les plus sophistiqués à 65. “Now, after the first victory of the early raw functionalism, we should be concerned with the development of the more vigorous and human side of functional architecture: a clear and functional frame around modern existence, created with new means; further development of tradition, perhaps, but not a return to forms past and gone. The barren qualities of functionalism came not from the relinquishment of the old, but rather from the failure to utilize in a sufficiently imaginative manner the possibilities of the new – new materials and construction, new social conditions.” nt. KAY FISKER «The moral of functionalism» (1947) in ANDERSEN, Michael Asgaard (dir.), op.cit., p.39 66. BANHAM, Reyner, «The New Brutalism», in The Architectural Review, n°708, 1955, p.354 (traduction Jean Taricat) 55


mélanger des meubles de différentes époques à la manière du Sharawag67. Les bâtiments sont mariés avec soin au site et au paysage, et les fleurs et plantes font partie intégrante du design de l’ensemble.68 Il est significatif de voir que la relecture du fonctionnalisme en Suède donne lieu à un faire-valoir des idées pittoresques en Grande-Bretagne, comme si les apports suédois au courant originel relevaient d’une conscience nouvelle (ou renouvelée) de la nature. Le fonctionnalisme suédois s’éloigne donc après guerre, de la stricte ligne du courant qui posait comme principe que la forme des bâtiments devait être l’expression de leur usage. Aux dépens de l’esthétisme ou de la composition, on s’intéresse alors surtout à la fonctionnalité des constructions, tranchant ainsi avec le lyrisme formel du premier fonctionnalisme. On opposera alors l’héroïsme d’un Le Corbusier à l’empirisme69 d’architectes qui, comme Sven Markelius ou Ralph Erskine, développeront un fonctionnalisme plus modeste et bien moins photogénique. Nous prendrons en exemple la maison que Markelius se fait construire près de Stockholm (Kevinge) au lendemain de la guerre. Même si, selon les propres mots de l’Architectural Review, elle semble être «à première vue dans le style des constructeurs de pavillons locaux», la maison est «cependant l’expression du 67. Sharawag ou sharawadgi: d’abord utilisé par Sir William Temple (16281699), l’un des pionniers du style pittoresque, pour décrire la manière aléatoire, apparemment «sans aucun ordre de disposition des éléments» avec laquelle les Chinois organisent leurs plantations, le terme a été popularisé au milieu du XVIIIe siècle en Angleterre pour décrire l’irrégularité, l’asymétrie et les qualités pittoresques de surprise par le désordre gracieux, associées aux jardins irréguliers. Sharawadgi a également été utilisé (un peu pompeusement) pour décrire les plans irréguliers, asymétriques ou informels dans le milieu de l’urbanisme dans les années 1940. D’après STEVENS CURL, James, a Dictionary of Architecture and Landscape Architecture, Oxford: Oxford University Press, 2000 68. “Planning has become much more freer and far less concerned with the pattern on paper than with the final reality. Fenestration, too, is freer and windows occur at the places and of the sizes which needs dictate and as the pattern pleases. Indigenous traditional materials are used both inside and out, especially brick and timber. In domestic work cosiness is coming back and there is a tendency among the more sophisticated at any rate to mix furniture of different styles in the Sharawag manner. Buildings are married carefully to the site and to the landscape, and flowers and plants are made an integral part of the hole design.” nt. DE MARÉ, Eric, «The antecedents and origins of Sweden’s latest style» in The architectural Review, Janvier 1948, dossier “New Empiricism”, p. 9 69. voir notamment GREGORY, Robert, «Heroism versus empiricism» in The Architectural Review, Janvier 2000 56

57


nouvel aspect de l’avant-garde»70. Et si elle est largement préfabriquée, l’architecte a fait en sorte que l’on utilise pour l’essentiel des matériaux locaux dans le respect de la structure et des détails. La plus grande qualité de cette maison réside dans la résolution du plan que propose Markelius : elle répond parfaitement au contexte naturel dans lequel elle s’insère et offre un plan ouvert à la fonctionnalité irréprochable. Aussi, avec la relecture suédoise du dernier bastion de l’orthodoxie fonctionnaliste, l’architecture nordique bascule donc entièrement dans un débat sur le contexte. Mais ce n’est pas ici une rupture, c’est davantage une domestication. On peut alors considérer que les idées fonctionnalistes ont été assimilées, comme elle l’ont été dès le milieu des années 1930 par Kaare Klint ou Alvar Aalto, aux traditions constructives locales. L’architecture nordique aborde donc les années 50 avec un modernisme architectural qui n’a rien d’un pur importé mais qui relève davantage de ce que certains appellent un Modernisme Régional ou d’autres un Nouvel Empirisme. Au-delà des querelles de dénomination, il est important de garder en tête que le modernisme nordique procède de la rencontre d’un idéal contextuel hérité du nationalisme et d’idéaux universalistes domestiqués. En cela il diffère du modernisme tel qu’on le connaît en Europe occidentale et les outils que l’on utilise pour comprendre l’un ne doivent pas servir mécaniquement à expliquer l’autre. Ainsi, nous avons vu dans cette première partie les raisons qui nous poussent à considérer que le territoire nordique est marqué, de manière fondamentale, par une somme de vecteurs centrifuges orientés vers la nature sauvage. De cette réalité découle une certaine fascination, plus ou moins latente selon les époques, pour la périphérie et le renforcement de son aura dans la pensée collective nordique. Puis, nous avons vu en quoi, depuis son introduction jusqu’à l’aube des années 1950, décennie qui verra la construction de Louisiana, l’architecture moderne nordique a poursuivi un idéal contextuel qui lui fera dépasser le conflit du local et de l’étranger. Nous pouvons donc maintenant nous intéresser plus spécifiquement au plan du musée Louisiana afin de comprendre en quoi sa forme de couloir avec vue répond au contexte historique et culturel que nous venons de dépeindre. 70. «The first two might appear at first sight to be in local builder’s bungalow style; they are, however, the expression of the new outlook of the avant-garde.” nt. «The new Empiricism: Sweden’s latest style» in The architectural Review, Juin 1947, p.199 58

PAGE PRÉCÉDENTE 23- Sven Markelius, Maison à Kevinge (maison de l’architecte), Stockholm (SE), 1933


II.COULOIR AVEC VUE UNE VISITE À LOUISIANA

Dans son principe, la maison longue est un lieu incomplet: elle est constituée d’un long couloir rectiligne de 120 mètres. À chacune des deux extrémités se situe une pièce d’un logement, au choix de l’occupant. […] En un point indéterminé du couloir, la maison longue présente une exubérance externe qu’on pourrait identifier comme un jardin suspendu. C’est en réalité le lieu que l’habitant utilise à l’accomplissement d’une passion. luca merlini71 Nous avons vu, dans la précédente partie, comment la culture et l’architecture nordiques sont attachés à l’idée d’un udvej, d’un chemin pour partir et se retirer dans la nature sauvage. Nous tenterons ici de voir en quoi, d’une part, le musée Louisiana répond à la question de la périphérie et à l’idéal contextuel dont nous avons parlé précédemment et, d’autre part, quel type d’architecture il en est résulté. Nous nous attacherons pour cela à l’analyse des formes spatiales ou, pourrait-on dire, du parti architectural adopté à Louisiana. 1- Vue générale de la ville des maisons longues dessin, Luca Merlini

71. MERLINI, Luca, Les Habitants de la Lune, Paris: Sens & Tonka, 1999, p.79


C’est à travers l’analyse de ce qui est certainement l’élément essentiel de la composition du projet que cette partie se développe : le couloir de Louisiana. Il n’est pas à ici une pièce exiguë et obscure. S’il n’est pas tel que notre imaginaire collectif le dépeint, le couloir de Louisiana en a néanmoins conservé la dimension linéaire, étirée pourrait-on dire. Sa fonction de passage demeure elle aussi, cultivant l’impossibilité d’y dresser le moindre objet. Le couloir de Louisiana est modérément étroit, mais surtout, il n’est plus sombre: c’est un couloir avec vue, un couloir ouvert sur le paysage. Afin de prolonger cette analyse, nous considérerons aussi le musée dans le rapport qu’il entretient avec les différentes typologies de musées telles qu’elles se sont développées au cours des siècles. Comment se réfère-t-il à certaines d’entre elles? En quoi s’oppose-t-il à d’autres? Pourquoi peut-on dire qu’il propose une alternative? Il s’agira de décrire Louisiana à travers les exemples auxquels on peut le rattacher, de le décrire à travers deux traits fondamentaux qu’il partage avec certains de ses antécédents : sa composition en couloir et son rapport au paysage. Pour le dire autrement, il s’agira de décortiquer ici la notion de couloir avec vue dont nous avons qualifié le musée. Mais, avant cela, nous aimerions apporter une précision au regard du rapprochement que nous faisons de la notion de maison longue, une formule que met au point Luca Merlini près de quarante ans plus tard et qui, a priori, peut paraître bien éloignée de nos préoccupations. Si les correspondances entre le couloir avec vue et la maison longue se voient aisément quand il s’agit de comparer la longueur des deux réalités que ces notions décrivent, le lien peut sembler moins évident au sujet de la domesticité. D’abord, et cela a été suffisamment remarqué par le passé pour que l’on ne considère pas que ce soit un thème principal de ce travail, Louisiana est décrit par ses auteurs comme une maison. Bo et Wohlert l’ont formulé à de nombreuses reprises comme dans le passage suivant: «dans la nouvelle partie, nous nous sommes attachés à prolonger l’atmosphère émanant de la vieille maison» en mettant en œuvre, avec des moyens simples, de faibles hauteurs et un grand nombre d’ouvertures latérales «afin de créer une atmosphère de l’ordre du salon ordinaire.»72 Il s’agit pour eux 72. «In the new section we have endeavoured to carry on the homely atmosphere emanating from the old house to the contemporary line of thought by rather plain means such as working with low heights and through a lavish use of side lights so as to create an atmosphere like the common living rooms.» nt. BO, Jørgen & WOHLERT, Vilhelm, 1958, cité in 62

2-Louisiana : la cheminée de la cafétéria photographie Jesper Høm 63


de différencier leur projet de l’archétype du musée moderne, dont ils ont vu un exemple à Bâle: «Nous sommes arrivés à Bâle, où une visite au Kunsthaus nous a convaincu que notre musée ne devait pas devenir une froide machine à exposer. Nous voulions un environnement chaleureux et humain»73. Aussi, c’est le vocabulaire ou, au moins, le champ référentiel de la maison qui servira à créer une atmosphère domestique (au sens de l’anglais homely) à l’intérieur du musée. L’un des éléments qui l’illustrent peut-être le mieux est la cheminée que Knud Jensen fait placer dans le salon de lecture d’où l’on peut admirer la vue sur le détroit. Mais, de manière moins anecdotique, ce qui frappe est l’usage très modéré de l’éclairage zénithal, exception faite, d’une part, du petit lanterneau isolé qui baigne de lumière un socle destiné à recevoir des sculptures dans l’une des galeries et, d’autre part, d’un système de fenêtres en imposte dans deux autres espaces. Mises à part ces rares exceptions, c’est la solution de la baie de toute hauteur qui prime à Louisiana: du sol au plafond, partout ailleurs, de larges vues ouvrent sur le parc. C’est là quelque chose qui n’a rien de courant dans l’architecture des musées, que ce soit aujourd’hui ou dans les années 1950. Face aux diktats de l’éclairage isotrope en vigueur dans les musées modernes, Jensen, Bo et Wohlert opposent leur conception de l’éclairage. Afin de «recréer la situation dans laquelle les œuvres d’art sont vues dans des maisons» et «d’éviter toute disposition renvoyant trop aux musées», ils se sont entendus sur le fait que, «tout comme dans un salon ordinaire, il y aurait des rayons de soleil sur les images même si le jour direct peut être empêché au moyen de rideaux.»74 Or, de ce musée-maison, beaucoup a déjà été dit et écrit: les architectes et leur commanditaire se livrent avec profusion sur le caractère domestique du musée dans les lettres qui nous sont parvenues, les conférences qu’ils ont données ou les discours qu’ils ont faits à ce sujet. Ce caractère a PARDEY, John, op.cit., p.50 73. “We ended in Basel, where a visit to the Kunsthaus convinced us that our museum must not become a cold exhibition machine. We wanted a warm, human environment» nt. WOHLERT, Vilhelm, Louisiana – Memories of Working Together – à l’occasion du 80e anniversaire de Knud W. Jensen, 1996 cité in PARDEY, John, op. cit. p.50 74. “Also in regard to lighting the building, it is to be considered from the point of view that one has endeavoured to create the situation during which works of art are viewed in common homes. One has endeavoured to avoid any arrangement reminding too much of museums and just like in common sitting rooms there may be rays of the sun on the pictures even if the direct sun in all places can be kept out by means of curtains.» nt. BO, Jørgen & WOHLERT, Vilhelm, 1958, cité in PARDEY, John, op. cit. p.57 64

3- Gestion de la lumière naturelle dans le couloir de Louisiana (première et deuxième section) photographie de l’auteur


été très bien relevé par John Pardey dans son ouvrage Vilhelm Wohlert, Louisiana and Beyond, auquel nous renvoyons le lecteur. Sans essayer de le résumer ici, il nous semble important d’insister sur un point. L’analyse de Pardey a pour intérêt majeur de mettre en évidence la période qui suivit les années d’études de Wohlert, une période pendant laquelle il «a été un voyageur aventureux […] sillonnant l’Europe et l’Amérique, avant de s’installer en Californie et d’enseigner à Berkeley.»75 Il y rencontra Jack Hillmer, un jeune architecte qui, avec Charles Callister, s’était fait connaître pour avoir construit à Kent Woodlands «l’une des maisons les plus influentes» de ce que l’on appela par la suite le Bay Area Style, un courant dont les architectes se sont rendus maîtres dans l’utilisation du bois en référence à la fois au vernaculaire régional, aux Arts & Crafts anglais et à une certaine «tradition de la construction en bois de l’autre côté du Pacifique, au Japon.»76 La maison se caractérise par «un plan irrégulier qui se déploie à partir d’un seul point, avec une structure réduite au minimum de sorte que le toit apparaisse comme une surface suspendue par magie, contenant des ouvertures de dimensions variées, dont certaines laissent passer des arbres. Cette élégante construction en bois, aux baies ouvrant du sol au plafond, ne rappelle pas seulement la tradition japonaise, mais aussi l’influence de Frank Lloyd Wright (lui-même inspiré par le Japon) dans son intégrité structurelle et dans son utilisation du bois extrêmement clair.»77 Pardey n’hésite pas à formuler les liens qui se dessinent entre la maison Hall à Kent 75. “Wohlert had been an adventurous traveller after his studies, journeying across Europe and America, before settling in California and teaching post-graduate students in Berkeley.” nt. PARDEY, John, op.cit. p.54 76. “There he had become friends with the group of architects who became known for developing the ‘Bay area Style’ that had begun with the work of Bernard Maybeck at the beginning of the century in a regional vernacular that used mainly wood in a crafted manner echoing the Arts and Crafts architecture of England. The architects of the San Francisco Bay area were also aware of the timber tradition across the Pacific in Japan. Wohlert had got to know a contemporary in San Francisco by the name of Jack Hillmer, a University of Texas graduate who had come to the Bay Area with his classmate Charles Callister in 1946 and together they had built one of the most influential of the bay Bay Area houses in Kentwoodlands.” nt ibid.. 77. “an irregular plan radiating out from a single point, with supports minimised so that the roof appeared as a magically suspended plane containing different-sized apertures, some of which framed trees. This elegant timber construction with floor to ceiling glazing not only recalled the Japanese tradition, but also the influence of (the Japanese inspired) Frank Lloyd Wright in its structural integrity and highly articulated use of wood.» nt, ibid. 66

4-Jack Hillmer & Warren Callister, Hall House, Kentfields (CA), 1947

a- vue du séjour

Woodlands, près de San Francisco, et ce que Wolhert concevra à son retour au Danemark: le musée Louisiana. Il écrit à propos de la maison que Jack Hillmer dessine en 1946: «l’espace de vie principal a quelque chose d’un Louisiana en train de naître, laissant la lumière se répandre à l’intérieur de part et d’autre de la surface du toit.»78 Louisana est donc une maison. Il nous semblait important de le rappeler ici, mais nous ne nous y attarderons pas davantage. Car, en effet, plus que son caractère domestique, ce qui nous intéresse ici c’est la longueur, l’horizontalité de cette maison longue. Nous nous attacherons donc à montrer dans ce qui suit en quoi cette longueur est caractéristique de Louisiana et en quoi elle participe à le différencier d’autres musées. Puis nous montrerons quel rapport particulier au paysage implique cette forme de maison longue et en quoi elle renvoie à d’autres formes de musées, différents sur bien des points de la tradition typologique du musée d’art.

b- vue de la maison depuis la cour d’entrée

c- vue de la terrasse, photographie Little Miss Go Go

78. “The main living space is something of a nascent Louisiana, allowing light to spill in from each side above the roof plane.” nt. ibid.


II.1.UN MUSÉE-COULOIR Dans ce qui suit nous essaierons donc de questionner la longueur de ce couloir avec vue. Nous verrons d’abord en quoi un élément de composition architecturale généralement considéré comme trivial et presque insignifiant est pourtant le principal dispositif spatial sur lequel se construit l’architecture du musée Louisiana. Il est important de rappeler ici en quoi Louisiana est un couloir et, surtout, en quoi il n’est pas une galerie. Pour cela, revenons à la définition donnée à cet élément de composition spatiale. Le couloir est une pièce de distribution que JeanMarie Pérouse de Montclos définit, dans son dictionnaire de l’architecture, comme un «passage long et étroit assurant la communication entre plusieurs pièces»79. L’auteur note par ailleurs, dans la définition du mot galerie, qu’il ne faut «pas confondre la galerie avec la coursière ou le couloir qui sont des passages étroits»80. Certes, la galerie partage avec le couloir une certaine longueur (elle est plus longue que large) et «une fonction de passage», mais elle s’en détache parce qu’elle est un «espace habitable». Impossible de dresser une table, d’installer un visiteur pour la nuit, de convier des amis pour une réception dans un couloir: le couloir n’est pas un lieu que l’on habite, il est un lieu de passage uniquement. Il est absolument lieu de passage, là où la galerie est passage et habitation.

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Or, il est impossible de ne pas remarquer le rôle essentiel qu’a joué la galerie dans l’histoire de l’architecture des musées. Ce type d’espace est associé à l’image que l’on se fait aujourd’hui des lieux d’exposition d’un musée. Le rôle du couloir a été, dans cette histoire, bien plus modeste. C’est pour cette raison que nous chercherons dans un deuxième temps à dégager des antécédents à cette situation de musée-couloir pour en tirer des éléments d’analyse comparée.

79. PÉROUSE DE MONTCLOS, Jean-Marie, Architecture, méthode et vocabulaire, Paris: Editions du Patrimoine, 1972, p.48 80. id. p.47 «Galerie, n. f. Espace habitable plus long que large et ayant une fonction de passage. Ne pas confondre la galerie avec la coursière ou le couloir qui sont des passages étroits.» 68

5-Louisiana: le couloir avec vue, photographies de l’auteur a- la troisième section b- la cinquième section c- la cinquième section

c


6-Louisiana: le couloir et le parc (troisième section) photographies de l’auteur 7-Louisiana: Plan du projet de 1958 plan (détail) A- cour d’entrée B- manoir 1- couloir section 1 2- couloir section 2 3- couloir section 3 4- couloir section 4 C- galerie près de l’étang (galerie 1) 5- couloir section 5 D- galerie 2 6- couloir section 6 E- galerie 3 F- cafétéria G- terrasse 70


II.1.a LOUSIANA: «DES OISEAUX SUR UN FIL» Nous montrerons dans cette partie en quoi le couloir de Louisiana est un élément essentiel, sinon fondamental, de l’architecture du musée danois. Nous tenterons de comprendre ce qui, véritablement, le différencie d’une simple galerie? L’espace y est-il habitable? Assure-t-il la communication entre plusieurs pièces? Pour le comprendre, nous montrerons que le plan de Louisiana résulte d’une volonté de relier trois points, comme l’on construit une route, un chemin à travers un parc. Il est possible aujourd’hui, grâce aux nombreux témoignages des architectes et du commanditaire, mais aussi grâce aux travaux de recherche effectués par des historiens à partir de leurs archives, de comprendre le processus de conception qui a abouti au plan que l’on connaît.

a

L’un des éléments les plus importants, celui qui intéresse de premier chef notre propos, c’est la demande qui a été faite aux architectes par Knud Jensen. En entrepreneur logique, il a cherché à mettre en place une hiérarchie dans les besoins et les envies qu’il identifiait pour son nouveau musée. Au sommet de cette hiérarchie, trois paramètres, qui conditionnent le projet et qu’il exprimera ainsi bien des années plus tard:

D’abord, la vieille maison devait être maintenue dans sa fonction d’entrée. Peu importe à quel point le musée deviendrait élaboré dans les années suivantes, je savais que je voudrais toujours que les visiteurs arrivent par ce hall d’entrée du XIXe siècle, modeste et non menaçant, pour qu’ils s’imaginent être simplement venus rendre visite à un oncle de la campagne […]. Deuxièmement, je voulais une pièce pour ouvrir sur cette vue, à près de deux cents mètres au nord du manoir, qui donne sur un luxuriant petit lac du côté des terres. Troisièmement, à une centaine de mètres un peu plus loin encore, dans le jardin de roses – sur la falaise surplombant le détroit et, à l’horizon, la Suède – je voulais qu’il y ait une cafétéria et sa terrasse.81 81. «First, the old house had to be preserved as the entrance. No matter how elaborate the museum might become in later years, I knew I’d always want 72

8-Louisiana: le manoir-entrée photographies de l’auteur a- le portail ouvrant sur la petite cour d’entrée b- l’entrée du manoir c- le vestibule

c

b 73


9-Louisiana: la pièce près de l’étang, photographies de l’auteur a- la galerie en double hauteur depuis l’étage inférieur b- vue depuis l’étage supérieur (l’accès se fait à ce niveau) c- l’escalier d- l’escalier et la mezzanine

a 74

b

c

d


Nous apprenons cependant de Wohlert que cette dernière stipulation s’est transformée au cours du projet. «Immédiatement avant l’achèvement du projet», Jensen aurait souhaité «transformer la grande pièce, qui était destinée à recevoir auprès de la cheminée et de la bibliothèque la salle de lecture, en un café avec une cuisine attenante.»82 C’est pourquoi, dans les témoignages dont nous disposons, il est fait mention à la fois d’une salle de lecture et d’une cafétéria, à propos du même espace, celui où «le voyage se termine, à l’endroit de l’ancienne roseraie près de la mer.»83 Ce sont donc ces trois éléments, le manoir-entrée, la pièce-près-de-l’étang et la salle-de-lecture-cafétéria, respectivement éloignés de deux cents et cent mètres, qui détermineront le plan de Louisiana. Mais, tout l’enjeu du projet a été de relier ces trois éléments de la composition, de combler les écarts entre eux. La consultation des archives des architectes montre à quel point ceci a constitué un grand défi pour eux et a profondément questionné l’image qu’ils se faisaient d’un musée moderne. Cependant, «Wohlert parle du saut conceptuel qui mena du plan du musée traditionnel à la série étirée d’événements qu’est Louisiana avec une neutralité alarmante – voyant que le budget ne serait pas suffisant pour un bâtiment qui lierait le manoir à la roseraie, ils se sont simplement accordés sur un couloir vitré qui connecterait des espaces variés.»84 Si l’idée a pu paraître un peu sèche ou triviale the visitors to arrive through that modest, non-threatening nineteenthcentury entrance hall, to feel as if they were perhaps just coming to visit a stodgy, comfortable, slightly eccentric country uncle. Second, I wanted one room – where the Giacometties are now – to open out into that view, about two hundred meters to the north of the manor, overlooking our lush inland lake. Third, about another hundred meters farther on, in the rose garden – on the bluff overlooking the strait and, in the distance, Sweden – I wanted to have a cafeteria and its terrace.» nt. JENSEN, Knud, Louisiana, the collections and buildings, Humlebæk, non daté, cité in BRAWNE, Michael, op.cit., p.7, 82. “immediately before completion of the project, he wanted to turn the large room that was intended as a reading room with a fireplace and library into a café with adjoining kitchen.» nt. WOHLERT, Vilhelm, Louisiana – Memories of Working Together , op. cit. 83. “Journey’s end at the former rose garden and the sea”, nt. PARDEY, John, op.cit., p.68, 84. “Wohlert talks of the conceptual leap that led from the traditional museum plan to the stretched out series of events that is Louisiana with alarming matter-of-factness – seeing that the budget would not be sufficient for a building that would link the manor house with the rose garden, they simply decided on a glazed corridor that would connect various spaces.» nt. id, p.51, 76

10- Louisiana: la salle de lecture - cafétéria aujourd’hui photographie de l’auteur


au début, elle devient très vite un des éléments essentiels du projet, celui qui lui donnera sa force. Pardey relève dans la correspondance de Wohlert à son client le moment où «Jensen s’inquiéta que le couloir puisse devenir ennuyeux, mais se rappela les architectes qui lui assuraient qu’au contraire, ‘le couloir établirait tout le caractère du lieu’.»85 «Avec la notion d’un long corridor, le chemin devint un événement en soi […] alors que les espaces d’expositions devinrent une série d’événements un peu plus formulés le long du chemin, comme des oiseaux sur un fil.»86 Le visiteur rencontre en effet au cours de son parcours dans le musée des espaces variés, comme le note la première publication en français consacrée à Louisiana: «on s’est attaché à réaliser des pièces de caractère différent : certaines sont grandes, d’autres petites et intimes.»87 La série d’événements que décrit Pardey prend la forme de niches dans le mur de briques, de renfoncements, de galeries transversales, de patios, toutes formes d’excroissances qui modulent les strictes limites du tracé du couloir. Le parcours est donc écrit comme une partition et les «oiseaux sur le fil» comme les notes sur la portée. Le manoir du XIXe siècle «fait fonction de pavillon d’entrée ; un long passage, dont les murs sont en verre, conduit aux nouveaux bâtiments qui se trouvent à une certaine distance.»88 À partir d’un premier coude, «pas tout à fait orthogonal, le couloir effectue une série de détours à angle droit alors qu’il s’étire à travers le paysage en direction de la salle de lecture et de la mer. […] Une fois l’arbre contourné, il est divisé en trois segments dont la partie centrale est vitrée des deux côtés»89, et dont 85. “Jensen has been concerned that the corridor might get boring, but remembered the architects assuring him that ‘No, the corridor establish the whole character of the place’.» nt. id, p.56 86. “With the notion of a long corridor, the route became an event in itself and forced art and nature into a reciprocal embrace, while the exhibition spaces became a series of more formalised events along the route, like birds on a wire.” nt, id, p.51, 87. «L’Œil de l’architecte: vous montre – au Danemark – un musée vraiment vivant» in L’Œil, n°58, octobre 1959, p.58. Notez que le terme pièce est ici préféré à celui de salle pourtant plus communément utilisé dans la description des espaces d’exposition. L’explication nous semble résider dans la variété des réalités spatiales auxquelles le terme pièce peut renvoyer, à l’inverse de la notion de salle, davantage figée dans sa forme spatiale. 88. ibid, p.57 89. “From this first, not quite right-angled diversion the corridors make a series of right-angled turns as it stretches out across the landscape towards the reading room and sea. […] Once around the tree, the glazed corridor is divided into three lengths with the central section glazed on both sides” nt. PARDEY, John, op.cit., p.56, 78

l’articulation se fait par deux chicanes aux murs de briques blanchies à la chaux. Cette première partie permet au visiteur de franchir les deux cents mètres qui séparent l’entrée de la première galerie qui se déploie au travers du chemin, «une grande salle à deux étages construite sur un petit coteau»90. D’autres pièces suivent. La séquence se poursuit jusqu’à la cafétéria et la terrasse «d’où on a une grande et belle vue sur la mer»91. L’organisation du musée construit donc une route, un chemin que le visiteur emprunte lors de sa visite. Il le conduit inévitablement vers la vue, vers le belvédère que forme la cafétéria. On sait que «traditionnellement, les musées ont été fondés sur l’idée de lieux qui conservent l’art comme des trésors pour le grand public et, se faisant, utilisent dans leur construction un langage classique d’architecture pour créer des palais civiques, avec des œuvres d’art abritées dans des pièces qui se lient les unes aux autres suivant un chemin processionnel.»92 Cependant, le chemin n’est pas ici tout à fait processionnel. Peut-être cela tient-il à l’étroitesse du couloir? à sa faible hauteur sous plafond? à sa modestie? Nous serions plus enclin à dire de lui qu’il est un chemin initiatique qui, par les séquences qu’il fait se succéder et à l’aide des œuvres qu’il organise, construit une manière de percevoir et prépare le spectateur à la vue qu’offre la dernière étape. Le chemin est donc ici monodirectionnel – le visiteur, une fois qu’il y est parvenu, reste à la terrasse – et prolonge le vecteur centrifuge qui l’a conduit à sortir de Copenhague pour se rendre à Louisiana. Il répond en cela au contexte nordique que nous avons décrit précédemment : Louisiana est un musée hors-le-centre et le couloir même du musée thématise dans l’architecture ce caractère essentiel du choix d’implantation. II.1.b LE COULOIR DE VASARI À FLORENCE Aussi, si le plan de Louisiana est considéré comme une colonie d’oiseaux sur un fil, est-il le premier musée-couloir? En d’autres termes, y a-t-il des antécédents? Quand bien même le rôle du couloir, dans l’histoire de la typologie du musée d’art, a été moindre que ne l’a été l’impact de la galerie, 90. «L’Œil de l»architecte», op.cit. p.57 91. id. 92. “Traditionally, museum building had been founded on the idea of places that stored art as treasures for the wider public and in doing so, used a classical language of architecture to create civic palaces, with art works held in rooms that linked one to another on a processional route.» nt. PARDEY, John, op.cit., p.51, 79


existe-t-il aujourd’hui des musées-couloirs? En existaient-ils dans les années 1950 lorsque Bo et Wohlert dessinèrent les plans de Louisiana? En avaient-ils connaissance? Les mentionnent-ils? Difficile de traiter ce sujet tant il est vrai qu’aucun architecte ne semble s’être jamais flatté d’avoir dessiner un bâtiment-couloir. C’est par déduction que nous avons essayé de rassembler un éventail plausible de précédents architecturaux. À l’issue de vérifications qui nous ont permis d’écarter tout anachronisme (des musées-couloirs construits après 1958, d’autres alors détruits et redécouverts depuis) ou toute éventualité trop faible (des musées-couloirs pour lesquels on ne peut pas prouver qu’ils aient été portés à la connaissance de Bo et Wohlert), un seul semble se dégager : le Corridoio Vasariano de Florence. Il s’agira ici de le rapprocher du musée Louisiana, afin d’en tirer des éléments d’analyse comparée. À notre connaissance, le Corridoio n’est jamais en soi mentionné dans la littérature concernant l’œuvre de Wohlert, de Bo, ou plus spécifiquement le musée Louisiana. Or, nous y apprenons que Knud Jensen et ses deux architectes se sont rendus ensemble à Florence, avant de s’installer dans le vieux manoir à Humlebæk pour dresser les plans du nouveau musée. Wolhert y fait mention dans un passage du discours qu’il dédie à son commanditaire et ami à l’occasion du quatrevingtième anniversaire de celui-ci :

C’était un moment merveilleux plein d’espérances et de débats qui se sont enrichis d’une visite dans les musées d’Italie du Nord qui, comme la galerie des Offices, s’étaient alors tout juste relevés des dommages de la guerre.93 Tous les trois ont donc vu le musée des Offices et s’y sont rendu peu de temps avant le début de la phase de conception de Louisiana. Ont-ils visité le Corridoio? Difficile de le savoir. Celui-ci avait subi d’importants dégâts en 1944, au moment où les troupes nazies se retirèrent de la ville, mais certaines sources attestent que les travaux de reconstruction se sont achevés en 1950 (ce qui laisse penser qu’ils auraient pu le visiter), d’autres semblent indiquer qu’il serait resté près de vingt ans sans affectation avant d’être ouvert de nouveau au public en 1973. Quoi qu’il en soi, le Corridoio, sans même 93. “It was a wonderful time of great expectations with deliberations that were enriched by a visit to North Italian museums that had now re-arisen in war-damaged buildings like the Uffizi gallery.” nt. WOHLERT, Vilhelm, Louisiana – Memories of Working Together, op.cit. 80

11- Axonométrie générale du Corridoio Vasariano, Florence (IT) 81


l’avoir parcouru de l’intérieur, marque tout visiteur de passage à Florence. Impossible de ne pas l’avoir vu. Improbable de ne pas y avoir pensé de retour à Humlebæk au moment crucial ou le couloir s’imposa comme la seule solution aux yeux de Bo, Wohlert et Jensen. Avant tout, il est important de faire une petite remarque sémantique afin que le lecteur ne se laisse pas abuser par l’idée que nous rapprochons ici deux édifices architecturaux qui, dans la terminologie employée pour les désigner, se distinguent déjà. En français, l’édifice florentin est indifféremment désigné sous le nom de Corridor de Vasari ou Couloir de Vasari. L’italien lui réserve quant à lui le terme de corridoio (Corridoio Vasariano), correspondant au couloir français, dont l’emploi est préféré à celui de deux autres formes proches mais d’usage vieilli : le corritoio, que l’on retrouve en français sous la forme aujourd’hui disparue de curritoire94 et le corridore (corridor) qui tout deux servaient à désigner autrefois le «passage étroit entre un local et un autre»95 que recouvre aujourd’hui le terme corridoio. Le français ne fait d’ailleurs plus réellement la différence entre les deux termes toujours en usage. Le Littré, le Trésor tout comme le dictionnaire de l’Académie désignent en effet corridor et couloir comme synonymes. S’il est évident que nous préférons ici la forme de Couloir de Vasari, parce qu’elle est plus proche du sens que lui donne l’italien moderne, nous nous en tiendrons néanmoins au terme Corridoio pour éviter tout malentendu. C’est Côme 1er de Médicis, alors grand-duc de Toscane, qui passe commande à l’architecte Giorgio Vasari, en 1565, d’un passage privé reliant le Palazzo Vecchio, siège historique du pouvoir florentin, au Palais Pitti, sur l’autre rive de l’Arno, près de sept cents mètres plus au Sud, où il réside lui-même depuis peu. L’ouvrage, construit sur une brève période de cinq mois, traversera les Offices, dont la construction coïncide, et le Ponte Vecchio, dont l’image restera dès lors indissociable de celle du Corridoio. Claudia Conforti, auteur d’une monographie de l’architecte, décrira «cette incroyable voie suspendue, large de trois mètres et demi environ»96 comme un «spectacu94. cf. «Corridor», in LITTRÉ, Emile, Dictionnaire de la langue française, Paris: Littré, 1863 95. «corridore « passage étroit entre un local et un autre », attesté dep. début XVIe s. (Guicciardini ds BATT.; ital. mod. corridoio)», Trésor de la Langue Française 96. «Questa mirifica via pensile coperta, larga circa tre metri et trenta» (traduction J.P. Fuda) CONFORTI, Claudia, Giorgio Vasari architetto, Milan: Electa, 1993, p.184 82

laire parcours aérien, qui […] conduit directement, sans jamais toucher le sol, du Palazzo Vecchio aux jardins de Boboli»97, à travers une bonne partie du très dense centre historique de Florence. Or, le Corridoio florentin renvoie d’abord à cette manière de concevoir les passages d’usage privé qui trouve ses sources dans l’Antiquité classique et s’est développée à la Renaissance, notamment en Italie. Impossible de ne pas évoquer, lorsque l’on se penche sur le sujet, le Passetto di Borgo, «passage couvert surélevé qu’Alexandre VI Borgia fit établir en 1493 sur le mur d’enceinte de la città Léonina pour relier le Vatican au château Saint-Ange afin d’assurer la sécurité du pape.»98 Leon Satkowski, auteur d’une thèse consacrée à Vasari, note quant à lui que «la commodité tout comme le pur pouvoir politique justifiait la construction de passages et d’entrées privées.»99 Il est important de noter que les passages privés, «comme Alberti le suggère, n’étaient ni limités aux fortifications, ni même construits seulement par des souverains despotiques. Les passages, en réalité, jouaient un rôle critique dans la création d’enclaves familiales au sein des villes médiévales. Les meilleures preuves peuvent être trouvées à Florence, où il était commun de connecter les résidences privées et les tours par des passerelles en bois au-dessus du niveau de la rue.»100 Par ailleurs, André Corboz note lui aussi que la Renaissance italienne semble avoir eu recours à de nombreuses reprises à cette solution architecturale. Il remarque dans plusieurs œuvres d’art les représentations de «structures en viaduc, surmontées de bâtiments destinés aux couches supérieures de la société»101. À ses yeux cependant, si «le Passetto 97. «dello stupefacente percorso aereo […] che da palazzo Vecchio conduce direttamente, senza mai toccare terra, al giardino di Boboli» (traduction J.P. Fuda) ibid. 98. CORBOZ, André, «La Ville sur deux niveaux: esquisse d’une archéologie du bel étage» in Le territoire comme palimpseste et autres essais, Paris: Éditions de l’Imprimeur, 2001, p.93 99. “Both convenience and row political power justified the construction of private passageways or entrances.” nt. SATKOWSKI, Leon, Giorgio Vasari, architect and courtier, Princeton: Princeton University Press, 1993, p.84, 100. “Private passageways, as Alberti implies, were neither limited to fortifications nor constructed solely by despotic rulers. Passageways, in fact, played a critical role in creating family enclaves within medieval cities. The best evidence can be found in Florence, where it was common for private residences and towers to have been connected above street level by wooden bridges.” nt. idem. 101. CORBOZ, André, «La Ville sur deux niveaux», op.cit., p.94 83


constitue une solution de fortune»102 à cette idée d’un réseau de circulation détaché du sol, celle-ci «sera réalisée avec faste» au milieu du siècle suivant à Florence. «De vivaces expériences familiales ont évidemment fait du passage papal de Rome un exemple beaucoup plus important pour Côme que les exemples toscans. Pendant le sac de Rome en 1527, Clément VII, un pape Médicis, échappa avec succès aux troupes impériales lorsqu’il s’enfuit par le Passetto»103. C’est sur ce modèle de passage privé, sécurisé et offrant un moyen de circulation parallèle à celui des rues, que Vasari conçoit son Corridoio. Si les exemples semblent nombreux en Italie, peu d’entre eux ont en effet atteint le faste du Corridoio. Plus encore, peu sont parvenus jusqu’à nous. Corboz évoque par exemple un autre édifice, au faste pourtant équivalent, dont il ne reste que quelques traces aujourd’hui, tellement peu que ce n’est que récemment que l’on a pu réaliser que les «édifices ducaux de Sabbioneta étaient reliés entre eux par des corridors, ponts ou passerelles de bois, situés à la hauteur du bel étage «formant un parcours continu de 450 mètres de long. «Il ne subsiste malheureusement aucune iconographie de cet aménagement».104 Le seul exemple italien qui nous soit parvenu est peut-être l’édifice que conçoit Bramante dès 1506 pour relier la villa du Belvédère aux palais du Vatican. Le modèle s’est aussi diffusé dans d’autres pays en Europe. Les rois de France se font édifier par exemple, dès 1595, en référence au Cortile del Belvedere et au Corridoio ce qui sera connu sous le nom de Grande Galerie au bord de l’eau, un édifice qui «avait pour but de relier le vieux Louvre au nouveau palais des Tuileries, alors hors les murs.»105 Il nous semble cependant qu’un élément important distingue indiscutablement ces exemples du Corridoio florentin. À Sabbioneta comme au Louvre, la surenchère et le faste des souverains a certainement conduit les architectes à élargir les passages à tel point que du couloir florentin de trois mètres et demi de large, on passe à de véritables galeries (la 102. id, p.93 103. “Vivid personal experiences made the papal passageway of Rome obviously far more important for Cosimo I than the local Tuscan examples. During the sack of Rome in 1527, Clement VII, a Medici pope, successively evaded capture by Imperial troops when he escaped through the Passetto, the passageway that links the Vatican with Castel Sant’Angelo» nt SATKOWSKI, Leon, Giorgio Vasari, op.cit., p.84. 104. CORBOZ, André, «La Ville sur deux niveaux», op.cit., p.94 105. ibid. 84

terminologie l’atteste) qui n’ont plus rien d’étroit. La galerie de Sabbioneta, connue sous le nom de galleria degli antichi, abritera une collection d’antiquités, celle du Louvre de nombreux banquets et plus tard, une large collection de maquettes et de peintures. À Rome, la question est plus délicate. Si l’on parle de corridoio pour désigner certaines des parties du bâtiment de Bramante, les dimensions de celles-ci les apparentent davantage à des galeries qu’à de véritables couloirs. De l’examen de ces exemples, il est aisé de comprendre pourquoi nous considérons le Corridoio Vasariano comme un antécédent majeur pour le musée Louisiana, davantage que ne pourraient l’être les ailes du Cortile del Belvedere, la galerie de Sabbioneta ou celle du Louvre. C’est Florence qui représente l’unique exemple (à notre connaissance et à celle des concepteurs de Louisiana semble-t-il) d’un musée-couloir distinct d’une tradition de musée-galerie qu’exemplifient Sabbioneta. et, dans une plus grande mesure, le Louvre et le Vatican. Il est intéressant de noter tout de même que ces deux derniers édifices abritent deux des musées les plus anciens, et, à ce titre, ont eu une très grande influence sur l’histoire de ce type d’édifice. Que de larges galeries aient été choisies pour abriter les premiers musées de l’histoire explique certainement pourquoi nombre de musées ont été conçus sur ce principe spatial. Plus rares ont été les musées-couloirs. En effet, ni le Passetto, ni aucun autre exemple de couloirs urbains ne semble avoir été transformé en musée. Le Corridoio est le seul à abriter aujourd’hui encore une collection de peintures et ce depuis que Léopold de Médicis (1617-1675), petitfils de Côme 1er, y accrocha une collection d’autoportraits qui s’agrandit rapidement jusqu’à devenir sans aucun équivalent, tant elle est richement dotée d’œuvres de ce type. Il est par ailleurs attesté que les architectes et leur commanditaire se sont rendus ensemble à Florence, mais ne sont pas allé à Rome. C’est en partie pour cette raison que les ailes du Cortile del Belvedere nous semble un antécédent moins pertinent que le Corridoio Vasariano. Aussi, comme le note très justement Claudia Conforti, le Corridoio, «qui impose physiquement la présence du Duc à la ville, trouve ses antécédents les plus proches dans l’architecture pontificale romaine, au point de pouvoir parler de palais diffus»106. Il est un élément étiré qui répond de manière pragmatique et presque triviale à la nécessité de re106. «Questa struttura que protende fisicamente sulla città la presenza del duca, tanto da suggerire l’immagine di una «reggia diffusa», trova gli antecedenti più prossimi a Vasari nell’architettura pontificale romana» (traduction J.P. Fuda) CONFORTI, Claudia, op.cit., p.184 85


lier deux édifices ducaux, le Palazzo Vecchio et le Palais Pitti. Or, son rôle n’est pas aussi trivial qu’il peut sembler l’être à première vue. En effet, «en terme de fonction, d’emplacement et de symbole, le Corridoio a été l’élément qui fit du renouvellement florentin de Côme plus qu’une simple collection de projets individuels»107, mais bel et bien un ensemble cohérent et à l’échelle de la cité nouvelle. En cela son principe de composition s’apparente à celui mis en place par Bo et Wohlert à Louisiana. Il s’agissait, dans les deux projets, de relier deux points éloignés, de sept cents mètres côté italien, de trois cents mètres du côté de la Baltique, de la manière la plus simple possible et dans le but d’offrir la possibilité de franchir ces distances avec commodité. La notion de commodité est un élément important à ne pas laisser de côté dans l’analyse comparée des deux édifices. C’est là un autre trait qui rapproche les deux projets: «dans la forme et sa structure, le Corridoio est une construction utilitaire»108 en cela qu’il est une commodité et ce pour plusieurs raisons. La première tient à l’idée même de passage privé ou, si l’on réemploie la terminologie de Satkowski, de passage dissimulé (concealed passageway):

Dans le concept comme dans les faits, l’idée d’un passage dissimulé répond aux besoins perçus par les dirigeants de sécurité et de protection contre une exposition soudaine de leur propre vulnérabilité à l’occasion de rébellions et de révolutions. Les besoins utilitaires pour des couloirs urbains – intimité, moyens directs de communication et protection contre le mauvais temps – expliquent pourquoi leur forme ne varie que très peu. 109 Claudia Conforti ajoute par ailleurs, qu’au-delà «de ses significations idéologiques, scéniques et auto-célébratives, le couloir répond aussi à la simple fonctionnalité consis107. “In terms of function, location, and symbol, the Corridoio was the element that made Cosimo’s renewal of Florence more than just a collection of individual projects.” nt. SATKOWSKI, Leon, op.cit., p.76 108. “In form and structure the Corridoio is an utilitarian construction» nt. ibid 109. id., p.75 “In concept and in fact the idea of a concealed passageway answered the perceived needs of rulers for safety and protection from the sudden exposure of their own vulnerability in times of rebellion and revolution. Utilitarian requirements for urban corridors – privacy, direct means of communication, and enclosure from inclement weather – meant that their forms would vary little.» nt. 86

12- Corridoio Vasariano, vue intérieure photographie Delphine Hemmer CI-CONTRE ET PAGE SUIVANTE 13- Vue du Ponte Vecchio depuis l’une des fenêtres du Corridoio photographies Delphine Hemmer 87


tant à relier rapidement et de manière privée les deux pôles dans lesquels s’exercent le pouvoir»110 et la vie privée du Duc. Le Corridoio se distingue en cela de nombreux autres édifices de l’époque, au premier rang desquels se trouve les Offices dont le chantier occupe Vasari au même moment. «À l’inverse de bâtiments aux façades proéminentes ou aux entrées grandioses, où l’expression extérieure du statut du commanditaire est prépondérante, les questions de l’apparence et de l’articulation ne sont jamais apparues dans le projet du Corridoio parce qu’elles étaient hors de propos.»111 Le Corridoio est donc un édifice de commodité dont la triviale utilité se résume à offrir un passage couvert et sécurisé pour relier deux points. Tout cela pourrait être également dit du couloir de Lousiana, si ce n’est que la question de la protection des œuvres d’art s’ajoute et remplace peut-être celle de la protection des personnes qui l’empruntent. Peut-être la problématique de la fuite est-elle la seule à ne pas trouver de pendant à Louisiana? Corboz la met en exergue lorsqu’il écrit que «le Corridoio n’offre pas seulement une liaison agréable entre deux palais, il permet surtout de fuir du Palazzo Vecchio en cas de soulèvement populaire»112. Par ailleurs, une certaine manière de s’adapter au terrain semble relier les deux édifices. En termes de tracé d’abord, le «Corridoio suit partout où cela était possible un chemin pour relier le Palazzo Pitti qui utilise les constructions existantes et les droits de passage»113. Il semble en effet serpenter dans Florence pour emprunter ici un franchissement préexistant de la rivière (le Ponte Vecchio), contourner là un obstacle infranchissable (la Tour des Manelli), ouvrir ailleurs sur la tribune d’une église (Santa Felicità) comme le couloir de Louisiana serpente entre les arbres du parc, contourne le vieux hêtre, ménage un balcon au-dessus de l’étang, etc. Le Corridoio, quand bien même son architectonique peut être 110. CONFORTI, Claudia, op.cit., p.184, «Oltre a queste valenze ideologiche, sceniche e autocelebrative, il corridoio risponde anche all nuda funzionalità di collegamento riservato e veloce tra i due poli medicei nei quali si svolgono l’esercizio del potere e le esistenze private del duca» (traduction J.P. Fuda) 111. SATKOWSKI, Leon, op.cit., p.75, “In contrast to buildings with prominent facades and grand principal entrances, where the outward expression of the patron’s status was paramount, questions of appearance and articulation never arose in the design of the Corridoio because they were irrelevant to the problem.» nt 112. CORBOZ, André, «La Ville sur deux niveaux», op.cit. p.96 113. “the Corridoio followed wherever possible a line to march to the Palazzo Pitti that used existing construction and rights of way», nt SATKOWSKI, Leon, op.cit., p.75 88

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considérée comme monotone et régulière, répond néanmoins à des situations et à des contextes variés : il franchit des voies de manière perpendiculaire, suit en viaduc le tracé de rues, traverse des îlots de bâti, s’accroche enfin en coursière le long d’un mur d’enceinte. Les situations sont si variées qu’elles appellent des réponses architecturales différentes: le puissant portique du Lungarno degli Archibusieri, l’élégant pont audessus de la Via della Ninna, les consoles servant à contourner la Tour des Manelli, etc. Si bien que «sans savoir qu’elle était sa fonction originale, les visiteurs modernes pourraient probablement voir le Corridoio comme plusieurs structures différentes et distinctes, chacune répondant à son site dans Florence et possédant sa propre histoire.»114 C’est un peu le sentiment qui s’échappe du musée Louisiana, notamment à l’examen de son plan. Difficile de saisir en plan toute la complexité du contexte qui a donné lieu à une telle organisation. C’est par le détail constructif que l’unité est rétablie, à Humlebæk comme à Florence. Par le traitement des ouvertures, disposées de manière régulière le long du parcours, par le dessin de la toiture, Vasari a su, tout comme Bo et Wohlert, donner à la construction un caractère unitaire qui la différencie d’une simple collection d’éléments architectoniques pour la transformer en véritable série, dont les éléments se répondent mutuellement. La taille des fenêtres, leur dimension, le dessin de la grille qui les ferment indiquent à un passant cheminant dans Florence qu’il est en présence du même édifice, celui-là même qu’il a aperçu une ou plusieurs rues auparavant. Les briques blanchies à la chaux, les débords de toitures et le rythme des baies tiennent le même rôle au musée Louisiana, où leur constance participe à l’unité du projet qui, de la sorte, dépasse la somme de réponses spécifiques. Il faut néanmoins noter que sur certains points les deux édifices diffèrent. Ces quelques réserves nous permettront de dresser une analyse plus sensible du musée Louisiana. Nous identifions deux points de divergence principaux sur le plan de la typologie. D’abord, la question de la monumentalité semble opposer les deux édifices. Si le Corridoio dissimule à la vue du peuple les échanges qui se passent en son sein, il ne cherche pas pour autant à dissimuler sa présence dans la ville. Claudia Conforti note à ce propos qu’au «contraire, marqué 114. “Without knowledge of its earlier function, modern visitors to Florence would likely see the Corridoio as several different and distinct structures, each responding to its location in the city and possessing its own history.» ibid. 90

par une évidente recherche de monumentalité, le couloir affirme dès le début sa présence de manière ostentatoire, dès le pont au-dessus de la Via della Ninna, où il pénètre dans l’épaisseur des Offices, transite ensuite le long de l’Arno pour se hisser sur les arcades qui longent le fleuve. Il surplombe ensuite les boutiques du Ponte Vecchio, contourne la tour des Mannelli, franchit la Via dei Bardi, s’incorpore à la façade de Santa Felicita, traverse la maison des Guicciardini»115 dans un rapport à la ville qui tend à signifier et diffuser partout la présence du Duc. La moindre conversation, le moindre échange semblent même pouvoir être épiés depuis le couloir, par un Duc ou un membre de la cour dissimulé derrière les grilles des petites fenêtres. À l’inverse, le musée Louisiana semble vouloir disparaître, se fondre dans les arbres du parc. Seules l’horizontalité de la rive du toit et l’orthogonalité de la composition s’affirment en contraste avec la nature. L’ostentation est une notion étrangère au projet de Bo et Wohlert, mais cela tient peut-être davantage au contexte social et au type de commande. À Humlebæk, Knud Jensen ne cherche pas à s’inféoder un peuple d’arbres et de buissons. Louisiana n’a pas, en cela, le même programme politique que le Corridoio qui est, en partie, un instrument de marquage du territoire et de délimitation d’un pouvoir ducal neuf et encore en construction. En ces termes, le projet que conçoivent Jørgen Bo et Vilhelm Wohlert n’est pas politiquement instrumentalisé. Il a éventuellement un rôle social, mais nous verrons plus tard que la manière dont on a géré un afflux important de visiteurs dès son ouverture montre que son succès n’avait pas été anticipé, et en cela il n’avait pas été planifié. L’impact sur la ville du Corridoio, lui aussi, n’avait peut-être pas été entièrement planifié116, mais la volonté de marquer les esprits tout à la fois des opposants politiques et des diplomates a néanmoins justifié sa construction. Bien évidemment, le rapport qu’entretient le Corridoio à son environnement, qu’il soit bâti ou naturel, s’oppose en bien des points à celui que tisse le musée danois avec son 115. «Al contrario, contrassegnato da una ricercata evidenza monumentale, il corridoio ostenta la sua presenza fin dall’inizio, nel ponte alto su via della Ninna, quindi si dissimula nei penetrali degli Uffizi, da dove transita sul Lungarno, per issarsi sulle arcate che costeggiano il fiume. Poi sovrasta la botteghe di ponte Vecchio, sporge intorno alla torre dei Mannelli […] penetra con un affacio in Santa Felicita, attraversa le case dei Guicciardini» (traduction J.P. Fuda) CONFORTI, Claudia, op.cit., p.184 116. On le voit dans les complications liées au déplacement d’un des marchés de la ville par exemple 91


paysage. À Florence, le corridor ne participe pas ou peu à l’édification d’un paysage de perception de son usager. Son usage utilitaire et sa très pure résolution architectonique le rendent essentiellement introverti, à la différence du musée Louisiana. D’aucuns diront que le thème du rapport à la nature est bel et bien présent dans le projet, mais nous notons néanmoins qu’il reste essentiellement inaudible face à la force des autres thèmes ici développés. Le regard aiguisé de Claudia Conforti l’a conduit à consacrer quelques mots à ce thème mineur : elle écrit dans son Giorgio Vasari architetto que «le parcours qui dans la galerie [des Offices], met l’art à l’honneur, se conclut avec la nature qui s’épanouit sur le toit de la Loggia dei Lanzi, où se déploie le jardin planté de fleurs et d’arbres toujours verts pour l’agrément du prince.»117 Le couloir, ou au moins deux de ses extrémités (vers le palais Pitti et l’une des deux que forment les ailes des Offices), relie deux parenthèses de verdures dans la très dense Florence de l’époque: d’un côté, le jardin de Boboli dans lequel se déploie le Palais Pitti, à la limite de la ville, de l’autre, la terrasse plantée évoquée ci-dessus. La nature intervient donc comme récompense à l’issue de la traversée, dans un sens comme dans l’autre. Elle n’accompagne pas le visiteur, comme à Louisiana, tout au long de son parcours. De même, la question des vues depuis l’intérieur du couloir constitue un autre point de divergence important entre les deux projets. Du point de vue moderne, les fenêtres du Corridoio sont rares et de petite taille. Nous utiliserons cet argument avec précaution compte tenu de l’écart technologique qui sépare les deux projets : la première évidence nous pousse à penser que, dans la comparaison des deux édifices, le Corridor est le plus introverti mais le bon sens nous rappelle que les fenêtres dont il dispose sont d’ores et déjà de taille considérable pour un bâtiment utilitaire de cette époque. D’autant plus que nous savons que les questions de vis-à-vis avec les constructions voisines et d’intimité des utilisateurs ont été soulevées lors de la conception du Corridoio. Leon Satkowski relève en effet que «les problèmes de vis-à-vis causés par les palais adjacents au Corridoio le long du Lungarno degli Archibusieri», le quai le long de l’Arno, ont été pris en compte par Vasari, au même titre que «la monotonie visuelle d’une si longue structure» (la même dont s’inquiète Knud Jensen au sujet du couloir que lui proposent Bo et Wohlert pour Louisiana). Ces deux problèmes «ont été résolus en contrebalançant les 117. «Alla fine del percorso il trionfo dell’arte celebrato nella galeria si salda con la natura che fiorisce sul tetto della loggia dei Lanzi dove s’ampia il giardino piantato d’alberi sempre frondosi, et fiori per diletto del principe.» (traduction J.P. Fuda) CONFORTI, Claudia, op.cit., p.184, 92

petites fenêtres circulaires offrant de l’intimité par rapport à la ville par de généreuses fenêtres carrées ouvrant vers la rivière.»118 Le corridor ouvre donc des vues aux endroits où celles-ci sont dégagées, et, au contraire, se referme sur luimême sur ses flancs où les relations de voisinage pourraient devenir problématiques. C’est pourquoi, même si les fenêtres nous semblent rares aujourd’hui, la plupart des visiteurs remarquent que le Corridor offre des points de vue très intéressants sur l’Arno et le Ponte Vecchio notamment. Il faut noter à ce sujet que les plus larges baies de l’édifice ont été percées a posteriori, plusieurs siècles après l’achèvement des travaux. C’est sur ordre de Mussolini, en vue d’une visite de Hitler à Florence que trois grandes fenêtres ont été ouvertes au milieu du Ponte Vecchio, au-dessus de la petite place, sur un des côtés qui n’avait été doté, à l’origine, que de petites lucarnes circulaires, en raison des vis-à-vis avec les constructions qui occupaient alors l’arche centrale du pont. Ces fenêtres sont les témoins d’un rapport bien différent au paysage, plus panoramique, qui relève d’un regard statique, alors que l’œuvre de Vasari instaurait un rapport à son environnement plus rythmé (selon le dessin des arcades) et sélectif (en fonction de l’ouverture du cadre). En cela on peut dire de ce rapport qu’il est davantage chronophotographique, alors que le rapport qu’instaure les travaux de Mussolini au centre du pont ouvre une fenêtre contemplative, à la focale unique, qui renvoie le projet à une conception extrêmement frontale du lien entre le spectateur et le paysage qu’il a sous les yeux. Aussi, en faisant pénétrer l’étendue et la longueur dans l’architecture même, le Corridoio, tout comme le musée Louisiana, établissent un rapport entre le spectateur et le paysage qu’il contemple. La marche du spectateur y joue un rôle essentiel. Il s’agira maintenant de voir en quoi ce musée-couloir, tel qu’il est développé à Louisiana, appelle donc inévitablement un musée-paysage.

118. “Problems of privacy caused by the adjacent palaces along the Lungarno degli Archibusieri and visual monotony in such a long structure were solved by contrasting the small circular windows affording privacy from the city side with the more generous square windows opening out towards the river» nt. SATKOWSKI, Leon, op.cit. p.75, 93


II.2.UN MUSÉE-PAYSAGE Comme le note très justement Pardey, «avec la notion d’un long couloir, le chemin devint un événement en soi et força l’art et la nature à s’étreindre mutuellement.»119 C’est donc le rôle du couloir avec vue dans la relation de l’art et de la nature qu’il est important de comprendre maintenant. Étirer le parcours du visiteur sur une telle longueur n’est pas sans produire des effets sur le rapport de celui-ci à son environnement. Nous avons vu précédemment quel rapport le Corridoio Vasariano établit avec son contexte et en quoi il participe à la constitution d’un paysage. Nous tenterons ici de voir en quoi le couloir de Louisiana participe lui aussi à la construction d’un paysage et comment s’y sont pris les architectes pour y parvenir. Cette deuxième partie s’intéresse donc plus particulièrement aux conséquences d’une forme de couloir avec vue sur le rapport au paysage. Nous verrons ici en quoi celui-ci s’inspire des expériences muséales antérieures que sont les musées d’ethnographie scandinaves d’une part et les musées de sculpture en plein air d’autre part.

II.2.a. PAVILLONS DANS LE PARC Le thème du paysage et de la nature est à la fois, à Louisiana, premier et second. Il est premier parce qu’il répond, on l’a vu, à ce besoin tout particulièrement marqué dans les pays nordiques d’un ailleurs, d’une retraite hors-le-centre qui se traduit bien souvent par un contact plus rapproché avec la nature sauvage. Il découle aussi a fortiori d’un choix de composition en couloir sur le site : les couloirs étant bien évidemment pensés comme vitrés dès leur conception, un certain rapport du visiteur au paysage est devenu inévitable au moment où cette solution a été formulée. Les architectes se sont emparés de cette opportunité, parce qu’elle répondait aussi au premier choix d’implantation qu’avait fait Knud Jensen lorsqu’il avait décidé d’implanter un musée à Humlebæk. 119. “With the notion of a long corridor, the route became an event in itself and forced art and nature into a reciprocal embrace.» nt. PARDEY, John, op.cit., p.51, 94

Wohlert synthétisera plus tard la stratégie qui a été la leur en matière de relation avec la nature : «nous voulions un environnement chaleureux et humain dans lequel le bâtiment lui-même et les jardins environnants travaillent ensemble dans un dialogue avec les œuvres d’art, à l’intérieur comme à l’extérieur. Knud s’opposait particulièrement à la monumentalité des vieux musées et souhaitait que l’environnement stimule et prépare l’esprit pour les expériences artistiques plutôt que d’impressionner et de dominer le contenu.»120 Il s’agissait alors de tisser des liens étroits entre nature et culture, en réponse au thème classique de l’opposition de ces deux notions. C’est là encore le couloir et, a fortiori, la vue associée à ce couloir, qui joueront un rôle essentiel dans l’élaboration de cette relation très particulière du visiteur au paysage : il est entendu qu’à Louisiana, le visiteur vient à la fois se promener dans le parc et visiter le musée. D’ailleurs, «beaucoup s’y sont rendu autant pour apprécier le paysage que l’art qui y était exposé.»121 Il est intéressant de noter que c’est le caractère principal que retiennent la plupart des critiques. Un exemple pour illustrer notre propos : sur les quelques lignes que consacre Kenneth Frampton à Louisiana dans son ouvrage encyclopédique World Architecture, a critical mosaic, 19002000, l’essentiel traite du rapport particulier du musée à la nature environnante. Lousiana y est décrit comme «un exemple d’architecture contemporaine de musée qui fixe de nouveaux standards en termes d’interaction entre l’art et la nature. Cette approche architecturale a réussi par ailleurs à dissiper certaines barrières inhérentes aux musées, alors qu’elle préservait en même temps l’aura artistique.»122 Ce caractère indéniable du musée danois peut être analysé à travers deux entrées : la question de la promenade d’abord, celle de la lumière ensuite. 120. “We wanted a warm, human environment in which the building itself and the surrounding gardens worked together in a dialogue with the works of art, both inside and outside. Knud was very much against the monumentality of the old museums and wanted the surroundings to stimulate and prepare the mind for artistic experiences rather than impressing and dominating the contents.» nt. WOHLERT, Vilhelm, Louisiana – Memories of Working Together, op.cit., 121. “Many perhaps came to enjoy the landscape as much as the art.» nt. PARDEY, John, op.cit. p.51, 122. «An example of contemporary museum architecture that set new standards in terms of the interplay of art and nature. This architectural approach also succeeded in removing the immanent barriers of museums while at the same time preserving the artistic aura.» nt FRAMPTON, Kenneth (dir.), op.cit., p.169, 95


À Louisiana, la promenade dans la nature est incorporée à la promenade architecturale du musée. Le visiteur, de plain-pied dans le parc tout le long de sa visite, parcourt conjointement l’espace du musée et du parc. Il déambule dans un intérieur-extérieur à la frontière délicate et presque imperceptible. Une remarque des architectes nous permet de dire qu’ils étaient conscients de cet effet dès la phase de conception : «Au cours du travail nous avons découvert, cependant, que le couloir de verre, qui était devenu l’élément de connexion, de lui-même apportait au parc une qualité particulière en incorporant la promenade à travers le parc aux plaisirs d’une visite du musée.»123 L’intention, si elle ne semble pas ici initiale, s’est révélée primordiale au cours du processus de conception. «C’est pourquoi», continuent-ils, «lorsque nous élaborions le bâtiment en relation avec la nature, nous nous sommes attachés à l’y soumettre d’une part, à accentuer et souligner sa valeur d’autre part.»124 Et c’est cette variété de situations qui créent le motif d’une promenade dans le musée: le visiteur est invité à découvrir, au fur et à mesure qu’il avance, des situations variées qui mettent en scène l’architecture dans sa relation à la nature. Le parcours dans le couloir est ponctué d’événements, comme nous l’avons noté précédemment. Mais le couloir lui-même organise les vues et les découvre selon un déroulement bien précis qui fait alterner ici un tableau accroché au mur, là une vue lointaine, ailleurs une sculpture dans le parc ou l’intériorité d’un petit bassin dans une sorte de patio. La variété des événements participe du renouvellement des expériences du visiteur et leur addition constitue une raison pour lui de poursuivre sa promenade vers la vue qui achève la séquence.

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14- Louisiana: le musée dans le parc a- le couloir vu du perron du manoir, côté parc, photographie de l’auteur b- la quatrième section du couloir vue du parc c- le petit bassin au niveau de la sixième section du couloir

Dans le projet de 1958, tous les espaces sont éclairés de manière naturelle. On y trouve des dispositifs divers pour varier les apports de lumière. De grandes baies ouvertes du sol au plafond sur le parc ponctuent le couloir, d’un seul des côtés ou des deux. Une très grande fenêtre ouvre au nord sur l’étang la galerie qui abrite les Giacometti aujourd’hui. Un système de fenêtres en imposte et de lanterneau baigne de

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123. “During the work we found, however, that the glass corridor that became the connecting link in itself conveyed a particular quality to the park as it incorporates the walk through the park in the delights of the visitor to the museum.” nt. BO, Jørgen & WOHLERT, Vilhelm, cité in PARDEY, John, op.cit., p.50, 124. «Incidentally, it has been our clue when elaborating the building in relation to the nature, partly to submit to it, partly to emphasize and stress its values.» ibid.

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lumière les galeries qui précèdent la cafétéria. Cela aussi résulte d’une demande du commanditaire. Mogens Prip-Buus, l’assistant de Bo et Wohlert sur ce projet, décrit la demande en ces termes:

Alors que nous travaillions sur les esquisses du projet dans le vieux bâtiment principal, nous en sommes venus à parler de l’éclairage. Knud W. Jensen demanda un clou et un marteau, prit un tableau et nous emmena dehors dans le parc, où il accrocha la peinture au tronc d’un des plus grands arbres dont le feuillage formait un dôme et nous dit: «C’est le type de lumière que je veux. Voilà comment les tableaux doivent être vus.125 Il s’agissait donc de construire un toit pour protéger des intempéries les œuvres d’art (celles qui en avaient besoin) sans pour autant altérer la qualité de lumière que l’on trouvait naturellement à l’ombre des arbres du parc. Aussi, au musée Louisiana, «les couloirs sont devenus les lieux pour exposer l’art dans la clarté de la lumière du jour, aussi bien sur les murs de brique qu’à l’extérieur où de nombreuses sculptures apparaissent à chaque coude. Cette réciprocité entre l’art et la nature allait devenir la marque de fabrique de Louisiana.»126

15-Louisiana: l’éclairage naturel dans les espaces d’exposition photographie de l’auteur

II.2.b FRILANDSMUSEET: LE MUSÉE EN PLEIN AIR SCANDINAVE

a- canon à lumière et fenêtres en imposte à l’étage supérieur de la galerie près de l’étang (galerie 1) b- système d’éclairage zénithal dans la galerie 2,

En matière de rapport au paysage, ni Bo, ni Wohlert, ni même Jensen ne livrent les antécédents qui les auraient inspirés. Leur démarche renvoie bien évidemment à l’histoire de la relation de la culture nordique à la nature sauvage que nous avons esquissée dans une précédente partie, et notamment aux exemples danois évoqués à cette occasion. Elle 125. “While working on sketches in the old main building, we discussed the lighting. Knud W. Jensen asked for a nail and a hammer, took a painting and led us out into the park, where he hung the painting on the trunk of one of the larger trees, its foliage forming a dome, and said, “This is the kind of light I want. This is how the painting must be seen.” nt. PRIP-BUUS, Mogens, 1958, cité in PARDEY, John, op.cit., p.52 126. “The corridors became places for exhibiting art in the clear light of day, both on the white brick walls as well as outside where various sculptures appear at every turn. This reciprocity between art and nature was to become the hallmark of Louisiana» nt. idem, p.57, 98

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semble par ailleurs renvoyer à nos yeux à une tradition très scandinave de musée de folklore en plein air. Cette partie a pour but d’en convaincre le lecteur. Si Bo, Wohlert et Jensen ne semblent jamais avoir mentionné s’être inspirés des musées de folklore en plein air, nous pouvons pourtant les rapprocher de Louisiana. Cette typologie de musée, très répandue dans le nord de l’Europe au point que l’on pourrait parler de tradition née au tournant du XXe siècle, semble être à nos yeux un antécédent important dans l’émergence d’une idée nouvelle d’implantation sur le territoire et de rapport à la nature et au paysage. Il n’est pas anodin non plus de constater que l’un des plus proches voisins du musée Louisiana, l’institution muséale qui est géographiquement la moins éloignée, n’est autre que le Kongens Lyngby Frilandsmuseet, le musée national de folklore, et, par là même, le plus grand musée en plein air du Danemark. Louisiana peut-il être rapproché de celui-ci? de la tradition des musées en plein air? de la relation que ceux-ci entretiennent avec leur paysage? S’en est-il inspiré? Comment en rend-il compte? Voici quelques-unes des questions auxquelles cette partie a l’ambition de répondre. L’idée de musée d’ethnographie en plein air recouvre une réalité d’autant plus difficile à comprendre pour un public français qu’elle est restée très longtemps et est encore aujourd’hui étrangère à notre manière de concevoir des musées ethnographiques. À ce sujet, nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage Vie d’un Musée que Martine Segalen consacre à l’œuvre de Georges-Henri Rivière et à son rôle dans la conception du Musée des Arts et Traditions Populaires de Paris. Le chapitre intitulé «le retard de la France en matière de musée national de folklore» éclairera les raisons pour lesquelles le pays, comme le note Georges-Henri Rivière dès 1936, «n’a pas encore rendu cet hommage au génie de son peuple. Si d’assez nombreux musées régionaux ont sauvé bien des reliques du passé populaire, ce n’est pas méconnaître un tel effort que de constater l’absence de tout plan d’ensemble et les immenses lacunes qui en résultent.»127 Le retard français en matière de musée de folklore et l’évolution des mœurs en matière de muséographie expliquent certainement pourquoi, aujourd’hui encore, il n’existe en France aucun musée national d’ethnographie en plein air. 127. «Rapport sommaire sur la création du département de folklore des musées nationaux, du musée français des Arts et Traditions populaires, et sur les musées de plein air», 29 novembre 1936 cité in SEGALEN, Martine, Vie d’un musée, 1937-2005, Paris: Stock, 2005, p.20 100

Aussi faut-il expliquer ce à quoi ressemble ce type de musée, bien plus répandu dans d’autres pays occidentaux, et notamment dans les pays nordiques. L’américain Richard Perrin nous explique, dans un ouvrage qu’il consacre aux musées en plein air, que «dans le sens le plus étroit et peut-être le plus exact du mot, le musée de plein air (outdoor museum) typique ou village-musée (museum village) est une collection de bâtiments originaux sélectionnés avec soin et groupés de manière compatible.» Cette collection est «conçue pour illustrer dans l’espace, de manière aussi complète que possible, non seulement l’architecture et les formes de construction d’une zone géographique donnée et d’un moment de l’histoire, mais aussi pour recréer le plus précisément possible l’atmosphère et le style de vie d’un segment du développement humain dans son contexte le plus large.»128 Il s’agit donc de recréer une situation passée et exogène dans un lieu et un temps différent. Les outils de la muséologie recoupent donc ici ceux de l’architecte, de l’urbaniste et du paysagiste notamment, puisque toutes les échelles doivent être prises en compte, du simple dé à coudre au paysage dans son ensemble, en passant bien sûr par tout type de construction. Perrin nous explique par ailleurs que le terme même de outdoor museum qu’il emploie est inexact, une observation qui nous semble aussi convenir au terme français. Pour lui, en effet, «l’expression allemande Freilichtsmuseum [formée de frei, libre et licht, lumière] et l’équivalent scandinave frilandsmuseet [de fri, libre, et land, pays, terre] sont idiomatiques, à tel point que dans leur traduction littérale elles perdent quelque chose de leur essence et de leur portée, mais elles s’approchent de l’image réelle que de tels musées devraient donner aux visiteurs.»129 Si Perrin s’appuie sur des exemples germaniques ou nordiques quand il en vient aux questions de langage, c’est que l’on considère généralement que le musée en plein air est une invention de l’Europe du Nord. Il serait né en Suède des 128. “In the narrowest and perhaps most accurate sense of the word typical outdoor museum or museum village is a carefully selected collection of original buildings, grouped compatibly and designed to illustrate in three dimensional form, as totally as possible, not only the architecture and building forms of a given geographical area and period of time in history, but also to recreate as nearly as possible the atmosphere and life-style of a segment of human development in its entire context.” nt. PERRIN, Richard, Outdoor Museums, Milwaukee: Milwaukee Public Museum, 1975, p.5 129. “The German expression Freilichtsmuseum and the Scandinavian frilandsmuseet are idiomatic to the extent that in their litteral translation they lose something of their essence and import, but they come closer to expressing the real impression such a museum should make upon the beholder.” nt. ibid. 101


efforts d’un érudit de Stockholm, Artur Hazelius (1835-1901). Celui-ci fonde en 1873 ce qui prendra plus tard le nom de Nordiska Museet, un musée d’ethnographie auquel il ajoutera en 1891 Skansen, «le premier musée de plein air rassemblant des maisons et divers bâtiments ruraux de plusieurs régions suédoises.»130 L’exemple de Skansen est particulièrement intéressant, d’autant plus que le projet de Hazelius a par la suite fait école dans tout le Nord de l’Europe. La caractéristique majeure de Skansen, c’est sa situation : le musée «couvre à peu près 75 acres [30 hectares]»131 d’une île boisée et agréable tout près des quartiers aisés du centre de Stockholm, dans la partie de la ville qui connaît un essor fulgurant au tournant du siècle. Il s’intègre en effet et se fond presque entièrement avec le Djurgården, l’un des grands domaines royaux qui, au cours du XIXe siècle, s’ouvrent progressivement au public. Son rapport à la nature est donc effectif. Il n’est pas isolé, mais bel et bien inclus dans un ensemble paysager de grande échelle, héritier d’une réserve royale de chasse progressivement transformée en parc urbain. Cette situation détermine un caractère essentiel de l’œuvre de Hazelius : son attention pour le paysage. «Autour des bâtiments, beaucoup d’effort étaient faits – et ce avec un remarquable succès – pour réinstaller une vie animale et une végétation indigène»132 correspondant à la région d’origine des constructions exposées. Un effort particulier était donc consacré à rendre compte à toutes les échelles de l’environnement dans lequel pouvaient vivre les différentes populations suédoises à des époques diverses. Le musée connaît, dès son ouverture, un franc succès auprès du public. En 1948, on lit même dans une brochure en français la phrase suivante, preuve de l’attraction que le musée représente : «le fait même que plus de deux-millions [sic] de personnes passent chaque année par ses tourniquets, la population entière de Stockholm ne comptant qu’environ 750 000 personnes, témoigne de son grand pouvoir d’attraction. Les habitants de Stockholm y viennent plusieurs fois par an, et aucun des visiteurs suédois ou étrangers ne manque de voir Skansen»133 lors de leur passage dans la capitale suédoise. Ce succès est incontestable et donnera à l’essor de Skansen une 130. SEGALEN, Martine, op.cit., Paris, Stock, 2005, p.20 131. “Physically, Skansen covers approximately 75 acres.” nt. PERRIN, Richard, op.cit., p.11, 132. «In the areas surrounding the buildings every effort was made – and with remarkable success- to reestablish wild animal and plant life indigenous to the area.» nt. ibid. 133. LINDBLOM, Andreas (dir.), Skansen, bâtiments et animaux, guide pour les visiteurs, Stockholm: Nordiska Museet, 1948, introduction 102

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avance considérable sur les autres musées de plein air. Par ailleurs, avec l’ouverture de cette antenne en plein air, le Nordiska Museet, auquel est rattaché Skansen, devient le plus grand musée de Suède (place qu’il occupe toujours aujourd’hui) et est en 1975, selon l’observation de Richard Perrin, «le plus important centre de recherche sur l’ethnographie, le folklore et l’histoire culturelle en Scandinavie.»134 Ce type de musée, et particulièrement ceux construits dans les pays nordiques, seront cependant critiqués (notamment par Georges-Henri Rivière) pour le biais qu’ils créent vis-à-vis de la vérité historique. En effet, «dans les pays scandinaves, ces musées furent des instruments de la construction de l’identité nationale, de l’invention d’un sentiment patriotique»135, des instruments qui renvoient à l’analyse que l’on a fait plus haut de l’art et de l’architecture nordique de la fin du XIXe siècle. Pays très pauvres, pays d’émigration, avec peu voire sans substrat de culture noble ou bourgeoise, les pays nordiques fondent leurs identités nationales, fraîchement construites, «dans les traits d’une paysannerie idéalisée. Skansen, comme les musées de plein air de Norvège ou des Pays-Bas, sont plus le reflet d’une interprétation romantique de la part d’élites sociales urbaines que l’image représentative de la réalité paysanne.»136 D’un point de vue scientifique donc, leur objectivité soulève des interrogations dans la communauté des chercheurs. Cependant, en termes politiques et sociétaux, leur impact est important et ils se révèlent être de très puissants instruments de construction d’un sentiment national. C’est donc naturellement que le modèle s’est répandu dans les autres pays nordiques. «Suivant Skansen de manière assez proche en termes de concept et de méthode de fonctionnement, mais variant substantiellement de taille et de portée, un grand nombre d’autres musées scandinaves ont été ouverts»137 au début du XXe siècle.

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Kongens Lyngby, considéré comme une extension du modèle suédois, reçut quant à lui un accueil plus positif dans les cercles scientifiques. Le Danemark se dote en effet, sous l’impulsion du Professeur Rasmus Olsen, d’un musée en 134. “it became the most extensive facility for ethnological, folkloristic and cultural historic research in Scandinavia” nt. PERRIN, Richard, op.cit., p.7 135. SEGALEN, Martine, op.cit., p.20 136. ibid. 137. “Following Skansen quite closely in concept and operating method, but varying substantially in size and scope, a number of other Scandinavian museums were undertaken during the early years of the present century.” nt. PERRIN, Richard, op.cit., p.12 104

PAGE PRÉCÉDENTE 16- Plan de Skansen en 1948 17- Vue de Skansen en 1901 18- Kongens Lyngby Frilandsmuseet, Lyngby (DK) a- photographie J. Ulli b- photographie R. Zama

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plein air dès 1897 qui s’établit d’abord dans les jardins du château de Rosenborg, situés près du centre de Copenhague et dont on a parlé plus haut. L’aventure, cependant, «culmina» en 1901 «dans l’établissement de Lyngby – un musée en plein air qui dans un sens est l’un des exemples les plus fins de la philosophie, du concept opératoire et de la méthodologie hazelienne.»138 Situé à près de vingt-cinq minutes du centre de Copenhague, «il a l’avantage d’être très proche du plus grand centre de population du pays, alors qu’il dispose d’un espace important»139 autorisant la possibilité de futurs extensions. En termes d’échelle, «Lyngby couvre près de quatre fois la surface de Skansen»140 et, sans pour autant être le seul musée en plein air digne d’intérêt au Danemark, «est généralement considéré comme hors catégorie»141 en raison de la qualité de sa collection et de la pertinence de sa muséographie. L’apport de Lyngby à la typologie des musées en plein air réside dans les perfectionnements en termes de composition d’ensemble et de paysage qu’il apporte au modèle mis en place par Hazelius. Les constructions y sont regroupées en petits ensembles cohérents entrecoupés par d’amples et belles zones paysagères. Les alentours de chaque construction ont été aménagés pour offrir au visiteur des paysages de jardins potagers, de prés ou de landes incultes caractéristiques de l’environnement d’origine des constructions exposées. Le musée, qui compte aujourd’hui près de cinquante groupes de fermes, moulins et habitations de la période 1650-1950, rend compte des traditions locales de presque toutes les régions historiques du Danemark, ayant un jour appartenues ou appartenant toujours au royaume. On y trouve aussi bien des exemples de constructions du Jutland, de Sjæland ou de Bornholm que des témoignages des Îles Féroé ou des anciennes provinces danoises du nord de l’Allemagne ou du sud de la Suède. Aussi, à chacun des groupes de constructions rurales provenant de régions distinctes correspond un type de paysage : rocailleux et dénudé pour le paysage de Bornholm, accidenté et atlantique pour le féroïen, forestiers et crayeux pour ceux du Jutland, etc. Au total c’est près de vingt-cinq paysages culturels différents qui sont reproduits ou évoqués à Lyngby. 138. «culminated in the establishment of Lyngby – an outdoor museum which by any measure is one of the finest examples of Hazelian philosophy, operating concept and methodology”, nt. ibid. 139. «It has the advantage of being very close to the country’s largest population center» nt. ibid. 140. «Lyngby covers about four times as much ground as Skansen» nt. ibid. 141. «Lyngby […] is generally regarded as being in a class by itself.» nt.ibid. 106

Lyngby contraste en cela avec son modèle suédois : il mène plus loin l’idée d’une muséification de paysages ruraux ordinaires, là où Skansen évoque davantage un parc d’attractions. L’exemple des animaux présentés dans chacun des deux musées éclairera ici notre propos. À Lyngby, on ne trouve que du bétail et des animaux de basse-cour caractéristiques des élevages que l’on pratiquait autrefois au Danemark. À Stockholm cependant, en plus de certains animaux domestiques, le visiteur peut y admirer aujourd’hui des ours polaires, des phoques et même des singes, autant d’animaux sauvages qui font de Skansen une sorte de zoo ou de parc d’attractions et l’éloigne de son pur programme d’étude ethnographique de la culture nordique. Lyngby fait le pari d’un musée du Danemark ordinaire et se garde de trop flirter avec le divertissement. Son intérêt pour notre propos réside dans l’incorporation d’un paysage ordinaire de prés et de bosquets, certes artificiels, mais non uniquement pittoresques, dans le contenu à communiquer du musée. Le paysage est ici un objet muséal et son intérêt est équivalent à celui d’un objet ancien ou d’un spécimen rare d’une espèce animale ou végétale. Si les paysages culturels de Lyngby forment une collection variée et disparate, l’intérêt du musée réside dans la possibilité pour le visiteur de dresser des parallèles entre plusieurs d’entre eux au cours de sa visite. Le cheminement prend donc ici un intérêt tout particulier puisqu’il permet au visiteur de voir toute la variété des situations qu’offre le musée. Il en est de même à Louisiana comme l’ont expliqué les architectes : «la nouvelle construction est située en soi dans le secteur de la propriété où le paysage est le plus varié ; une partie qui pendant la guerre contre les Britanniques formait un bastion en direction du Sound»142. À la variété des situations répond la variété des espaces dessinés par Bo et Wohlert. Si l’on reprend la description du musée que fait le magazine L’Œil en 1959 on peut se rendre compte de cette grande diversité de qualités spatiales offertes dans le musée :

La maison du siècle dernier fait fonction de pavillon d’entrée, un long passage, dont les murs sont en verre, conduit aux nouveaux bâtiments qui se trouvent à une certaine distance. Ce corridor longe une pelouse, contourne un vieux 142. «The new-built house proper is situated on the part of the area where the landscape is most varied, the part that during the war with the British formed a bastion towards the Sound.» nt. PARDEY, John, op.cit., p.48 107


hêtre […] puis débouche dans une grande salle à deux étages construite sur un petit coteau. D’autres pièces en rez-de-chaussée suivent, les dernières abritent une bibliothèque puis un restaurant et se terminent par une terrasse d’où on a une grande et belle vue sur la mer.143

Avec l’établissement du musée en plein air à Lyngby, le Danemark expérimente pour la première fois un musée en dehors de la ville. Pourtant, Lyngby s’adressaient au moment de son ouverture essentiellement aux élites urbaines, on l’a vu, qui y cherchaient une confirmation de l’idée qu’elles se faisaient de la vie paysanne. En cela le choix de l’implantation n’est pas anodin. Si Lyngby est en-dehors de la ville de l’époque, c’est-à-dire au-delà même des plus lointaines banlieues du début du XXe siècle, le musée se place dans le triangle de prédilection de la villégiature danoise. C’est, comme nous l’avons montré plus haut, dans un faisceau dont Copenhague forme la pointe que se situe l’essentiel des demeures de villégiature des élites aristocratiques et bourgeoises de la capitale. Sur leur chemin hors-le-centre, ils trouveront dès lors le musée de folklore. Aussi, Lyngby est à considérer comme un lieu hors de la ville, où se rassemble pourtant essentiel-

lement une élite urbaine. Il serait une sorte de succursale de Copenhague hors les murs que l’on aurait choisi d’implanter là pour compenser un manque d’espace intra muros. Mais pas seulement. Comme nous venons de le noter, c’est une relation différente au paysage qui est peut-être la recherche fondamentale à la base du choix d’implantation de Kongens Lyngby. Difficile de ne pas relier ce choix d’implantation à celui qui fut à la base de l’établissement de Louisiana. Si l’époque a changé, quand bien même la ville s’est, en l’espace d’un demi-siècle, considérablement étendue jusqu’à englober Lyngby, l’implantation de Louisiana et du musée en plein air répondent aux mêmes problématiques. Louisiana profite de l’avancée des transports motorisés pour s’exiler près de vingt kilomètres plus au nord, s’assurant ainsi un contact avec une nature tout aussi rurale que l’avait été celle de Lyngby en 1901, tout en prenant garde de ne pas trop s’éloigner du foyer important de visiteurs potentiels qu’est la capitale danoise. Aussi, l’implantation d’un musée d’art moderne hors de la ville répond à des attentes identifiées par Knud Jensen, son commanditaire. On lit dans Louisiana and beyond qu’«il imagina un tel musée hors de la ville, puisque Copenhague avait déjà vingt musées, mais les gens ne les visitaient que rarement pendant la semaine ; alors que le week-end venu, la plupart faisaient tout ce qui leur était possible pour sortir de la ville.»145 Tout comme Lyngby, Louisiana s’adresse avant tout à un public de Copenhague. Il ne faut pas y voir là qu’une aspiration élitiste, mais avant tout une orientation commerciale tournée vers le plus grand nombre, vers le plus grand bassin de visiteurs potentiels. Louisiana est aujourd’hui accessible en moins de 35 minutes en train comme en voiture du centre de Copenhague, et son accès est aussi facilité depuis Malmö, Helsingborg et Helsingør et les autres centres urbains de la métropole transfrontalière par la ligne de l’Öresund Roundt qui fait le tour du détroit. L’accès en voiture se fait très facilement par l’autoroute qui relie Copenhague à Helsingør et la très agréable route côtière est empruntée par de très nombreux cyclistes. Par ailleurs, des tarifs réduits sont concédés aux voyageurs empruntant les transports en commun pour se rendre au musée. Si le réseau a subi de très importantes améliorations ces dernières décennies, la Kystbanen, la ligne côtière de chemin de fer qui relie Copenhague à Helsingør fonctionne depuis

143. «L’Œil de l’architecte: vous montre – au Danemark – un musée vraiment vivant» in L’Œil, n°58, octobre 1959, p.57 144. ibid.

145. «He thought about such a museum outside the city, as Copenhagen already had twenty museums, but people seldom visited these during the working week while at weekends, most did everything they could to get out of town.» nt. PARDEY, John, op.cit. p.50

Se succèdent donc, sur le chemin du visiteur, des espaces longs et étroits, hauts et larges, bas et sombres qui répondent au pittoresque du terrain: une grande pelouse, des bosquets d’arbres divers, une pente abrupte ouvrant sur un étang, une autre donnant sur la plage et le Sound. Aussi, à Louisiana, «on s’est attaché à réaliser des pièces de caractère différent: certaines sont grandes, d’autres petites et intimes.»144 Se forme alors une collection de situations paysagères et spatiales qui font de la promenade, pourtant plane et de plain-pied sur toute sa longueur, un parcours pittoresque où le visiteur se trouve parfois au niveau de la pelouse, puis soudainement à l’étage supérieur d’un espace plongeant vers un étang en contrebas, puis de nouveau de plain-pied avec un petit bassin de nymphéas, etc. À la manière des musées de folklore scandinaves, une très grande variété de situations ont été construites, articulant des séquences agrémentées de surprise et de haltes, de rapports frontaux ou de rapports lointains.

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1897. Louisiana est donc accessible en train depuis son ouverture, mais son éloignement en termes de temps de transport s’est amoindri depuis 1958, en fonction de l’amélioration de l’offre de transport. Il en est de même pour Lyngby qui se retrouve aujourd’hui englobé dans l’agglomération et bénéficie donc d’une offre de transport en commun bien plus grande qu’à son ouverture. Aussi, on a vu dans cette partie autour de quels thèmes la tradition des musées d’ethnographie en plein air s’est développée dans les pays nordiques et en quoi ils ont pu influencer les choix d’implantation de Knud Jensen. Nous allons maintenant nous intéresser aux musées de sculpture en plein air, et tenter de voir comment, d’une part, ils peuvent être rattachés à la tradition du frilandsmuseet et, d’autre part, à Louisiana lui-même. II.2.c MUSÉES DE SCULPTURE EN PLEIN AIR Lousiana répond à une autre forme de musées qui allie étroitement art et paysage : les musées de sculpture en plein air. Ce type de musée n’est apparu que très récemment dans l’histoire des musées et l’aire géographique où il s’est développé n’est pas sans rapport avec celle des musées de folklore en plein air. Le musée d’ethnographie en plein air connaîtra un avenir radieux et son modèle se répandra dans de nombreux pays en Europe. Nous notons seulement que les pays de culture latine semblent ne pas avoir été affectés par l’engouement pour les musées en plein air qui prit l’Europe au début du XXe siècle, sans que cela puisse être expliqué. En effet, «stimulé par le succès et les acclamations accordés aux musées scandinaves, le concept de musée en plein air s’est disséminé en Europe continentale. Parmi les premiers à reproduire le prototype scandinave il y eut les Pays-Bas avec le Musée National en Plein Air d’Arnhem, et la Belgique avec l’Openluchtmuseum Bokrijk – une remarquable collection de vlaamse Volkskultuur qui prend la forme de groupes de fermes et d’un extraordinaire déploiement d’objets [artefacts].»146 146. “Stimulated by the success and acclaim accorded the Scandinavian museums, the outdoor concept spilled over into continental Europe. Among the first to emulate the Scandinavian prototype were the Netherlands with its National Outdoor Museum in Arnheim, and Belgium with its Openluchtmuseum Bokrijk – an outstanding collection of vlaamse Volkskultuur in the form of fram groups and an extraordinary array of artifacts.” nt. PERRIN, Richard, op.cit., p.14 110

Cette tradition scandinave s’est donc répandue dans des pays comme les Pays-Bas ou la Belgique où, semble-t-il, elle s’est transformée au lendemain de la seconde guerre mondiale pour répondre à d’autres problématiques, celles-ci plus proches de celles d’un musée d’art.

19- Affiche annonçant l’Exposition Internationale, Sculpture en plein air, Parc Middelheim, Anvers (BE), 1950

Sans pour autant pouvoir prouver le moindre lien, il nous semble étonnant que dans deux des pays concernés par l’essor fulgurant des musées d’ethnographie en plein air, une tradition vigoureuse de musée de sculpture en plein air se soit parallèlement développée. Si l’on considère deux des plus grands musées de folklore en plein air que sont le Frilandsmuseet de Kongens Lyngby près de Copenhague et le musée national en plein air d’Arnhem, nous constatons simplement qu’ils coïncident avec deux des rares foyers qui ont vu naître le musée de sculpture en plein air à la fin des années 1940. Le parc Sonsbeek à Arnhem, son voisin le Musée Kröller-Müller et le musée Louisiana, trois des pionniers de l’histoire des musées de sculpture en plein air, sont tous les trois situés à proximité de grands musées d’ethnographie en plein air. Jamais jusque-là une collection d’art n’avait été présentée dans un musée en plein air. La raison principale qui a motivé la naissance de ce nouveau type de musée ne semble pas faire référence directement aux problématiques qui ont donné naissance au musée hazélien. Néanmoins, Rudolf Oxenaar, directeur du musée Kröller-Müller de 1963 à 1990, note que «puisque la sculpture s’est agrandie en taille et a graduellement délaissé sa position isolée sur un piédestal, le besoin de la relier directement à la nature a mené à de nouveaux concepts de présentation.»147 Faut-il en conclure que c’est une question de taille qui aurait conduit à assimiler la sculpture à une construction, en cela similaire à l’une de celles que l’on démontait, déplaçait et remontait dans les musées de folklore en plein air? «Je suis enclin à dire que tout commença avec les expositions internationales de sculpture en plein air qui, à la fin des années 40 et au début des années 50, apparurent presque simultanément dans plusieurs pays européens : le parc Battersea à Londres en Angleterre, le parc de Middelheim à Anvers en Belgique et le parc de Sonsbeek à Arnhem aux Pays-Bas»148 poursuit Oxenaar. C’est, semble-t-il, 147. «Since sculpture grew in size and gradually left its isolated position on a pedestal the urge to relate directly to nature has lead to new concepts of presentation» nt. OXENAAR, Rudolf, in SHIKANAI, Nobutaka, The Hakone open-air museum, Kanagawa: Hakone-Machi, 1979 148. «I am inclined to say, that all started with the international open air sculpture exhibitions which in the late fourties and early fifities sprou111


simultanément que ce phénomène émergea dans l’Europe en reconstruction. Pour préciser notre propos, on sait qu’à partir de 1949, des expositions furent organisées au Battersea Park à Londres, au Parc de Sonsbeek à Arnhem à partir de 1951. Anvers avait depuis 1950 des expositions et une collection permanente de sculpture au Parc de Middelheim.149 Si, pour la plupart, ces musées n’étaient dans un premier temps que des expositions temporaires en plein air, «Middelheim fut le premier à devenir un musée permanent.» Oxenaar ajoute que «le Parc de sculpture du Musée Kröller-Müller à Otterlo, près d’Arnhem suivit peu après. Louisiana, près de Copenhague au Danemark et la Fondation Maeght sur la Riviera commençaient alors à montrer quelques sculptures dans des environnements naturels exceptionnels.»150 En réalité, comme le note Colette Garraud:

Sous l’appellation parc de sculptures, on trouve regroupés des lieux d’origine et d’histoire assez diverses. Le musée de plein air de Middleheim, à Anvers, fût dès 1950 le théâtre de biennales; un premier jardin de sculptures prolonge le musée Kröller-Müller, à Otterlo, sous l’impulsion de son directeur Abraham M. Hammacher en 1955; le parc du musée du Louisiana, à Humlebæk, voit le jour en 1958 […]. La plupart sont des lieux de nature muséale, parfois conçus comme une extension des salles d’exposition, où toutes les œuvres regroupées n’étaient pas nécessairement, s’il en faut, destinées à être montrées en extérieur, et dont seules certaines occupent de façon pérenne un site pour lequel elles ont été pensées.»151

a

À Louisiana, l’exposition de sculptures dans le parc est conçue dès le début du projet. Le travail de Bo et Wohlert rend évident, nous l’avons vu, la convergence du parc et du ted almost simultaneously in several European countries: Battersea Park in London, England, Middelheim Park in Antwerp, Belgium and Sonsbeek Park in Arnhem, Holland» nt. ibid. 149. cf. OXENAAR, R.W.D. Kröller-Müller, the first hundred years, Haarlem: Joh. Enschedé en Zonen, 1989, p.24 150. OXENAAR, Rudolf, in SHIKANAI, Nobutaka, op.cit. «Middelheim was the first to become a permanent museum, the Otterlo Sculpture Park of the Kröller-Müller Museum, close to Arnhem, followed soon after. Louisiana, near Copenhagen, Denmark and the Fondation Maeght on the French Riviera starting showing some sculpture in a striking natural setting.» nt. 151. GARRAUD, Colette, L’artiste contemporain et la nature, parcs et paysages européens, Paris: Hazan, 2007, p.13 112

20- Le jardin de sculpture de Louisiana en 1968 a- photographie b- plan, Jørgen Bo & Vilhelm Wohlert architectes

b


musée ou, tout au moins, celle du parcours dans le musée et de la promenade dans le parc. Il faut noter tout de même qu’un «jardin de sculpture fut aussi construit en 1966 sur les plans des paysagistes Ole et Edith Nørgård.» Situé dans l’angle Sud du parc, «il formait une série de trois cours ouvertes et presque carrées, chacune étant placée à un niveau différent afin de suivre la pente naturelle du terrain, liées entre elles par de larges volées de marches.» 152 Un savant dispositif de murs et de murets protégeaient des vues ou en ouvraient d’autres dans une succession de pièces renvoyant à l’organisation classique d’un musée d’art. Ole et Edith Nørgård prolongeaient ainsi les problématiques d’un intérieur-extérieur indéterminé développées par Bo et Wohlert quelques années auparavant. Les murs étaient simplement faits «d’un empilement horizontal de bardeaux de bois entre lesquels poussaient du lierre à petites feuilles»153. Le parcours de l’aile sud du musée, en plein air celle-ci, s’achevait lui aussi par une terrasse en surplomb du rivage d’où on disposait d’un très beau panorama sur le Sound et la côte opposée par temps clair. Malheureusement, il ne reste que des images de cet aménagement pourtant unanimement loué pour ses qualités architecturales et paysagères. Le succès du musée exigea que l’on bâtisse en 1982 une nouvelle aile à son emplacement. Aussi, nous avons montré dans cette partie en quoi Louisiana pouvait être d’abord considéré comme un muséecouloir et en cela renvoie au Couloir de Vasari à Florence qui, à l’évidence, était connu de Jørgen Bo, Vilhelm Wohlert et Knud Jensen. Puis, nous avons montré en quoi nous pouvons penser qu’il est un musée-paysage et qu’en tant que tel, il est apparenté à des musées comme le frilandsmuseet nordique ou les musées de sculpture en plein air. Après s’être ici intéressé aux liens de cousinage avec d’autres projets, il s’agira maintenant, dans ce qui suit, d’identifier et d’analyser une possible filiation, un probable héritage légué par le musée d’Humlebæk.

152. «A sculpture park was also built in 1966 to the design of the landscape architects Ole and Edith Nørgård, which […] formed as a series of three roughly square, open courts, each set at a different level rising up the sloping site and linked by a broad series of steps.» nt PARDEY, John, op.cit. . 153. «formed in horizontal timber slats with small-leafed ivy growing within» nt. ibid.


III.LOUISIANA ENCORE! HÉRITAGE ET FILIATION

No one understands my idea of building in the desert hélène kröller-müller154 à propos de la construction du Musée Kröller-Müller

Dans cette partie, il s’agira d’interroger l’héritage et la filiation du musée Louisiana de Jørgen Bo et Vilhelm Wohlert. Pour cela, nous nous intéresserons d’abord à ce qui s’est passé dans le temps qui nous sépare de son ouverture, comment il a été reçu par la critique et le public et s’il a donné naissance à d’autres Louisiana dans les pays nordiques. Puis nous verrons en quoi le projet norvégien des routes nationales touristiques s’est constitué sur un héritage qui doit beaucoup à Louisiana et en quoi il a contribué à renouveler les thèmes du musée de Humlebæk.

154. KRÖLLER-MÜLLER Helene, 1922 in OXENAAR, R.W.D., Kröller-Müller, the first hundred years, op.cit.


III.1.L’APRÈS ‘58 UNE POSTÉRITÉ PARADOXALE III.1.a RÉCEPTION DU MUSÉE Louisiana ouvre ses portes au public le 14 Août 1958 et toutes les sources dont nous disposons attestent que «son succès fut immédiat»155. À tel point que Michael Brawne, auteur d’une monographie consacrée à Louisiana, parle même de «success story»156, à la manière dont les journalistes désignent généralement la carrière d’une star du cinéma ou d’un golden boy de la finance. Il est vrai qu’avec «près de 200.000 visiteurs par an dans les premières années»157, quand on en attendait seulement 40.000, le petit musée de 1.200m2 dans la campagne danoise, se hissa dès son ouverture au rang de premier musée du Danemark en termes de fréquentation.

Déjà dans la première année, le nouveau musée au Nord de Copenhague attira plus de visiteurs que le monopole d’État dans la capitale, le Statens Museum for Kunst (le Musée Royal des Beaux Arts de Copenhague). Le succès s’avéra ne relever ni de la chance du débutant, ni même de la curiosité à court terme du public – c’est ainsi qu’il en fut chaque année depuis lors. En quelques années, Louisiana eut deux fois plus de visiteurs, puis trois et quatre fois plus – à un point que cela devint humiliant pour le notable musée d’État doté d’une collection riche et colossale, de réels historiens d’art et d’une adresse centrale. Louisiana ne comptait que sept employés. Et ouvrait tous les jours.158 155. “Louisiana opened to the public on the 14th August 1958 and was an immediate success” nt. PARDEY, John, op.cit, 156. «Louisiana was a success story» nt. BRAWNE, Michael, op.cit. 157. «With about 200,000 visitors a year in its early period» nt. ibid. 158. «Already in its first year, the new museum north of Copenhagen attracted more visitors than the monopoly in the capital, Statens Museum for Kunst (The Danish National Gallery). The success proved to be a reflection neither of beginner’s luck nor of the public’s short-lived curiosity – that’s how it continued each and every year ever since. In some years, Louisiana had twice as many vistors; in other years, three or four times as many – humiliatingly for such a dignified museum with a colossal and rich collection, state backing it, real art historians and a central address. Louisiana’s staff numbered seven employees. Open every day.”nt. STENS118

succès :

Brawne donnera quelques pistes pour expliquer ce

Ce que le public a vu et admiré était la combinaison de l’art et de la nature rendue possible par une architecture d’une grande lucidité. La combinaison y est réussie parce que chacune des trois parties – exposition, parc et bâtiment – joue son rôle et chacune soutient les deux autres.159 De même, John Pardey nous donne sa version des raisons du succès de Louisiana:

Son caractère ouvert, rassurant et sans pompe rencontra l’approbation générale et beaucoup s’y sont rendus autant pour apprécier le paysage que l’art qui y était exposé.160 Effectivement, «beaucoup venait en excursion le weekend depuis Copenhague et, au-delà du Sound, depuis le sud de la Suède»161 pour visiter le petit musée alternatif de Knud Jensen qui, il fallut s’en convaincre, rencontrait un succès inattendu, même au-delà de la capitale danoise. En témoigne le titre d’un article de la presse suédoise que relève Brawne : «Le musée le plus populaire du Sud de la Suède.»162 Ce succès ne s’est pas démenti par la suite. Avec près de 559.000 visiteurs en 2008163, Louisiana est aujourd’hui encore le musée le plus fréquenté du Danemark, toutes catégories confondues, et aussi le musée d’art le plus fréquenté des pays nordiques. C’est ce que montre une étude statistique internationale menée par The Art Newspaper164 en 2010 GAARD, Pernille, op.cit., p.27, 159. «What the public saw and admired was a combination of art and nature made possible by an architecture of great lucidity. The combination succeeded because each of the three parts – display, park and building – played their role and each supported the other two» nt. ibid. 160. “Its open, unthreatening nature without pomp met with popular approval and many perhaps came to enjoy the landscape as much as the art.» nt.PARDEY, John, op.cit, 161. “Many came on week-end excursions from Copenhagen and across the Sound from southern Sweden» nt. BRAWNE, Michael, op.cit. 162. «South Sweden’s most popular museum» nt. ibid. 163. Statistical Yearbook 2010, Statistics Denmark, Copenhague, 2010 164. «Exhibition & Museum Attendance Figures 2010» in The Art Newspaper, n°223, Avril 2011 119


: Louisiana compte parmi les cent plus grands musées d’art au monde et à ce titre est le seul représentant des établissements nordiques dans ce classement. Il y occupe la 90e place ce qui, pour avoir un ordre de grandeur, correspond au rang d’établissements comme le Kunsthistorisches Museum de Vienne (559.150 visiteurs) ou le Musée National d’Art Occidental de Tokyo (544.731 visiteurs). Si l’on s’intéresse maintenant à sa fortune critique, on verra que le nouveau musée a, pour l’essentiel, été très bien accueilli. «Quand Lousiana a été pour la première fois publié dans Arkitektur DK à l’automne 1958, Kay Fisker, lui-même un honorable architecte danois de la génération précédente, écrivit un article très favorable dans lequel il remarquait que les «bâtiments sont bas et vastes, et sont complètement subordonnés à leur environnement. Ils sont difficilement visibles pour celui qui marche dans le parc. Là où ils émergent de la verdure, ils semblent, en réalité, accentuer la végétation.»165 L’enthousiasme d’une des figures de l’architecture danoise semble pouvoir résumer l’essentiel des critiques de l’époque. Le musée est par ailleurs publié dès 1959 dans un magazine en français166 qui lui consacre un article certes court, mais extrêmement positif. À noter cependant, les réserves de certains qui, dans leur critique du musée, retiennent surtout qu’il «n’est certainement pas tout à fait comme un musée traditionnel»167 et témoignent de leurs inquiétudes. À tel point que «Christian Elling, professeur à l’Académie, […] déclara que Lousiana était «le début de la fin de l’architecture», en cause son effacement et sa subordination face à la nature.»168 Nous verrons par la suite en quoi cet argument peut trouver un écho dans l’analyse de la postérité de Louisiana, avec le recul dont nous disposons aujourd’hui. 165. «When Louisiana was first published in Arkitektur DK in the autumn of 1958, Kay Fisker, himself a distinguished Danish architect of an earlier generation, wrote a very favourable review in which he remarked that the “buildings are low and extensive, and are completely subordinated to their surroundings. they are hardly visible to those walking in the park. Where they emerge out of the green, they seem, as it were, to accentuate the vegetation.”” nt, BRAWNE, Michael, op.cit. 166. «L’Œil de l’architecte: vous montre – au Danemark – un musée vraiment vivant» op.cit. 167. «It is quite certainly not like the traditional museum» nt. BRAWNE, Michael, op.cit. 168. “the Academy’s professor Christian Elling was to declare that Louisiana was ‘the beginning of the end of architecture’ in its self-effacing subordination to nature.” nt. PARDEY, John, op.cit. 120

1-Louisiana: Campagne publicitaire «Le plus beau musée du monde» photographies de l’auteur a- les affiches au mur du terminal 2 de l’aéroport de Copenhague b- détail de l’affiche

a

b 121


Cependant, un tel succès eut inévitablement des conséquences sur le musée lui-même. La pression poussa Jensen à envisager des extensions pour accueillir convenablement tous ces visiteurs et leur offrir davantage d’espace d’exposition : le musée entra très vite dans une longue période d’agrandissements successifs, qui s’est prolongée jusqu’en 1998. Mais, ce n’est pas dans ce processus d’extensions que nous distinguons ce qui a mis le plus à mal l’idée fondamentale de Louisiana, celle qui faisait de lui un couloir avec vue. Les extensions ont été dirigées par les mêmes architectes, avec le même commanditaire et dans un souci constant de prolonger les bâtiments plus que d’en adjoindre de nouveaux. En réalité, ce qui a été le plus lourd de conséquences pour l’architecture, c’est un changement d’orientation muséographique qui est intervenu dans le courant des années 1960.

-1958, aile nord en prolongement du manoir (construit en 1855)

a 2-Louisiana: a- le plan-schéma du musée aujourd’hui b- les extensions successives ont conduit à un plan en boucle dont une partie est souterraine. Le manoir a conservé jusqu’à aujourd’hui son rôle d’entrée du musée

-1966 (galerie d’expositions temporaires de l’aile nord)

-1976 (auditorium)

À ses débuts et pour quelques années, Louisiana s’est essentiellement consacré à l’art danois. Bien que l’architecture ait obtenu une reconnaissance internationale, sa collection était toujours basée sur le travail de peintres et de sculpteurs danois et de quelques uns de leurs associés du groupe COBRA à Bruxelles et Amsterdam. Une visite à la Documenta II de Kassel en 1959 révéla à Knud Jensen les richesses de l’art européen et surtout américain et créa chez lui une détermination à montrer ces œuvres internationales d’art moderne à Louisiana.169

-1982 (aile sud)

Ce changement d’orientation muséographique peut paraître anodin, mais dès qu’il se fit sentir, «après 1966 environ, [il] eut aussi une implication directe sur le bâtiment. Plus d’espace était nécessaire – peut-être aussi des espaces légèrement différents.»170 C’est en fonction de cela qu’il faut comprendre le programme d’extensions successives. Pour 169. «At its inception and for some years afterwards Louisiana concerned itself mainly with Danish art. Although the architecture had won international acclaim, its collection was still primarily derived from the work of Danish painters and sculptors and some of their associates in the COBRA group in Brussels and Amsterdam. A visit to Documenta II in Kassel in 1959 by Knud Jensen revealed the riches of recent European and especially American art and created a determination to have international representation of modern works at Louisiana.» nt. BRAWNE, Michael, op.cit 170. «after about 1966 also [it] had a direct implication on building. More space was needed – perhaps also some slightly different space.» nt.ibid. 122

-1991 (galerie souterraine)

-1998 (librairie et ateliers)

b

n’illustrer qu’un seul des problèmes que cela engendra, prenons celui des expositions temporaires, qui n’avaient pas été envisagées dans le premier projet. Très vite, comme le note Brawne, on observa que «ce que les bâtiments ne procuraient pas raisonnablement, c’était de larges espaces pour les expositions temporaires, ce qui était devenu l’une des principales activités du musée»171. On conçut alors de nouveaux espaces pour répondre à ces besoins. Mais les problématiques liées à la construction d’une salle d’expositions temporaires ne sont pas les mêmes que pour l’aménagement d’un musée. On constitua alors de nouveaux événements le long du fil, mais peu d’entre eux répondait au thème du couloir avec vue, du contact avec la nature, qui pourtant avait fait le succès du premier musée. Il faut dire, par ailleurs, que plusieurs «artistes avaient fait remarquer que certaines pièces devraient être exposées dans un cadre moins connecté avec la nature ; peutêtre la nouvelle peinture européenne et américaine était-elle essentiellement si urbaine qu’elle voulait instinctivement se détacher du paysage?»172 Avec le recul, on sent bien que la nouvelle politique de collection s’accordait en réalité assez mal avec la notion de couloir avec vue. Il est important de rappeler que l’art de l’époque était basé sur une «esthétique moderniste, caractérisée par l’autonomie de l’œuvre»173. Significativement, Rosalind Krauss souligne «une sorte de perte du site, un nomadisme, un état de déracinement absolu»174 dans l’art de cette période. Difficile alors de relier cela à l’extrême attention pour le contexte qui caractérise l’intervention de Bo et Wohlert à Humlebæk.175 C’est néanmoins les œuvres d’art qui dicteront la marche à suivre dans les extensions du musée. On le constate dès 1966, au sujet de la galerie d’expositions temporaires qui «prolonge les matériaux de la construction d’origine mais pas son esprit»176, puisqu’elle est refermée et repliée sur el171. «What the buildings do not provide is a reasonably large space for temporary exhibitions which has become one of the principal activities of the museum.» nt. ibid. 172. «Some artists had expressed a view that their pieces should be seen in surroundings less connected with nature; perhaps the new European and American painting was essentially so urban that it instinctively wanted to detach itself from the landscape.» nt.ibid. 173. GARRAUD, Colette, op.cit., p.10 174. KRAUSS, Rosalind, cité in GARRAUD, Colette, op.cit., p.10 175. Nous verrons comment, par la suite, l’art des années 60 et 70 a changé la donne. 176.“it continues the materials of the original construction but not its spirit” nt. PARDEY, John, op.cit. 123


le-même, et est éclairée uniquement par le plafond ; «c’est la première galerie à disposer d’un éclairage zénithal.»177 Aussi, si la cohérence générale subsiste aujourd’hui, elle a été passablement altérée par les extensions successives. Il est difficile de se faire une idée du musée d’origine lorsque l’on visite Louisiana de nos jours. Les documents d’archive et beaucoup d’imagination permettent cependant de voir à quel point le musée devait être délicieux dans ses premières années, plus encore qu’il ne l’est aujourd’hui. Car, quoi qu’il en soit, l’expérience d’une visite à Louisiana n’a rien à envier à celle d’un quelconque autre musée.

3-Louisiana: la galerie d’exposition de l’extension de 1966 4-Louisiana: la galerie d’exposition de l’extension de 1982

III.1.b NORDEN: UN MUSÉE CLASSÉ SANS SUITE? 3

On a vu dans ce qui précède que le musée a connu la fortune critique et populaire, à tel point que son architecture en a certainement souffert. Aussi, il s’agit d’interroger maintenant la question de la postérité. Nous verrons ici, qu’en dépit de son succès, Louisiana n’a pas réellement fait école dans les pays nordiques. Par là nous entendons que ni son organisation en couloir avec vue, ni même son rapport étroit avec la nature ne semble s’être répété dans des projets de musées qui lui sont postérieurs. Nous verrons tout de même que se distingue dans l’extension du musée Ordrupgaard une timide filiation dans le sillage de Louisiana. À l’examen des projets majeurs de musées d’art dans les pays nordiques ayant été construits entre 1958 et aujourd’hui, il est bien difficile de lire un quelconque héritage du musée Louisiana. Si le centre d’art Henie Onstad que conçoivent les architectes norvégiens Jon Eikvar et Sven Erik Engebretsen en 1968 dans une veine «néo-plasticienne»178 se déploie sur un site similaire à celui de Louisiana, il n’en demeure qu’un musée aux salles hermétiquement fermées sur elles-mêmes et sans lien aucun avec le parc de sculpture qui occupe ce cap à la pointe du fjord d’Oslo. La rencontre avec la nature n’a pas eu lieu ici, si ce n’est peut-être dans la référence organique qui s’exprime dans l’héroïsme plastique de son architecture.

177. “it is the first gallery to have overhead lighting” nt. BRAWNE, Michael, op.cit. 178. cf. NORBERG-SCHULZ, Christian, The Henie Onstad Art Centre, Turin: Skira, 2008 124

3

5- Jon Eikvar & Sven Erik Engebretsen, Centre d’art Henie Onstad, Bærum (NO), 1968

4 125


Alvar Aalto lui-même, lorsqu’il conçoit le musée d’art d’Aalborg au Danemark ne s’empare pas de ce thème. Le Kunsten d’Aalborg, qui ouvre ses portes en 1972, n’est pas un musée-paysage, le rapport du visiteur à l’extérieur se limitant à un éclairage naturel zénithal (au demeurant majestueusement maîtrisé) qui baigne les galeries d’une froide lumière blanche. Peu de musées se construiront dans les deux décennies suivantes et il faut attendre la fin des années 1990 pour voir se réaliser d’autres projets d’envergure. Au Danemark d’abord, avec l’ouverture en 1996 du musée Arken de l’architecte danois Søren Robert Lund situé à Ishøy près de Copenhague. Le musée met en œuvre une nette dichotomie entre un intérieur et un extérieur, comme l’explique le descriptif de son site internet : «là où l’extérieur du musée s’inspire du paysage environnant, une expérience complètement différente attend le visiteur à l’intérieur»179. Lund s’est attaché à construire, dans un style déconstruit très propre à l’époque, un «paysage intérieur»180, sans rapport avec le contexte. Mais ce musée est une œuvre de jeunesse (Lund est encore étudiant lorsqu’il gagne le concours) et ne marquera pas durablement l’architecture nordique. Ce sont deux autres musées d’art qui marqueront véritablement la décennie : le Moderna Museet de Rafael Moneo à Stockholm et le musée Kiasma de Steven Holl à Helsinki. Tous deux ouvrent leurs portes en 1998 et, s’ils sont des édifices essentiellement urbains, leur rapport au paysage est plus effectif que les deux exemples précédents. À Stockholm, les vues sont rares mais soigneusement choisies. C’est peutêtre à Helsinki que l’espace urbain est le mieux mis en scène cependant. Steven Holl cadre de larges ouvertures sur certains des monuments de la ville, comme l’on cadre une vue sur la campagne. Le visiteur est cependant extérieur à la scène qu’il observe, comme perché à la terrasse d’un belvédère.

a 6- Alvar Aalto, Kunsten (1972), Aalborg, DK a- le plafond de la grande galerie, photographie J.S. Pruiti b- système d’éclairage zénithal dans une galerie d’exposition, photographie Frank Rafik c- le plafond de la grande galerie, photographie J.S. Pruiti d- vue d’une galerie d’exposition, photographie J.S. Pruiti

b

c

Nous souhaiterions tout de même attirer l’attention du lecteur sur un autre projet, de moindre envergure certes, mais d’un intérêt peut-être plus grand pour notre sujet. En 2005, le musée Ordrupgaard à Charlottenlund, tout près de Copenhague et du bois de Dyrehaven que nous avons évoqué, inaugure une extension signée par Zaha Hadid. Ordru179. «Where the exterior of the museum derived inspiration from the surrounding landscape, a completely different experience awaited inside.» nt, www.arken.dk (29/12/11), 180. «inner landscape», ibid. 126

d 127


pgaard avait été jusqu’alors un petit musée d’art établi dans une charmante demeure de villégiature construite en 1917, sise au milieu d’un parc. L’extension double la surface du musée et se déploie dans le parc. Ici, «Hadid s’est attachée à décoder et interpréter l’environnement» pour que le bâtiment soit «comme en continuité avec le paysage»181. Le site du musée précise néanmoins que «l’extension n’est pas juste une expérience en elle-même, elle offre aussi au musée Ordrupgaard de meilleurs équipements, lui permettant de monter des expositions temporaires de niveau international»182, dans des espaces aux conditions de lumière plus flexibles. Aussi, si l’architecte a dessiné de larges baies qui ouvrent certains des espaces intérieurs sur deux de leurs côtés vers le parc et «renforce l’expérience de l’intégration du bâtiment au paysage»183, ceci ne concerne essentiellement que la cafétéria et les espaces de circulation. Les espaces d’exposition sont quant à eux extrêmement classiques. Le couloir avec vue de Louisiana semble néanmoins émerger de nouveau à certains endroits: Hadid l’aurait-elle réinterprété? S’en est-elle inspiré pour son couloir? S’il a des qualités – de lumière, de proportions – il ne nous semble pas réellement à la hauteur de l’exemple de Louisiana. Malgré cela, et parce que le bâtiment «se plie parfaitement à la topographie du paysage»184, d’une manière délicate que l’on n’avait pas vu depuis Louisiana, Ordupgaard est peut-être le musée dépositaire de l’héritage le plus direct dans les pays nordiques. Il est étrange d’en venir à cette conclusion, tant il nous apparaît que l’œuvre et les thèmes de prédilection de Zaha Hadid sont éloignés de ce qui nous intéresse chez Bo et Wohlert. Mais c’est peut-être là un indice de plus qui montre que la voie tracée par Lousiana n’a pas été réellement suivie par la suite. Car, d’autres signes le montrent : dans un contexte d’intense compétition touristique qui s’est largement intensifié dans les deux dernières décennies, il est essentiel de se demander pourquoi aucun autre pays nordique, aucune autre 181. «At Ordrupgaard […], Hadid has worked to decode and interpret the surroundings […] and the building has been designed as a sort of continuation of the landscape.» nt. www.ordrupgaard.dk (29/12/11) 182. «The extension is not just an experience in itself, it also offers Ordrupgaard better facilities, enabling it to present special exhibitions at international level» nt. ibid. 183. «reinforce the experience of the building’s integration with the landscape.» ibid. 184. «a building which folds perfectly into the topography of the landscape» ibid. 128

7a 7- Rafael Moneo, Moderna Museet, Stockholm (SE), 1998 a- le Nordiska Museet vu depuis l’intérieur du musée, photographie Jan de Bree b- le arbres de l’île de Skeppsholmen vus depuis l’intérieur du musée, photographie Sandra Anderson

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8- Steven Holl, Musée Kiasma, Helsinki (FI), 1998 a- vue du parlement finlandais depuis la grande galerie d’exposition au deuxième étage, photographie Davide Devisdomini b- vue du musée national depuis les espaces de circulation,

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municipalité ne semble s’être inspiré de l’exemple du musée d’art le plus visité des pays nordiques. La voie tracée par Lousiana était-elle un cul-de-sac? Manquait-elle à ce point d’avenir pour qu’un seul héritier ne voit le jour et ce, près de cinquante ans plus tard? III.1.c LE MUSÉE ET LE SAUVAGE FACE À LA RÉVOLUTION DE L’ART IN SITU Nous essayerons ici d’apporter des réponses à cette absence de filiation dans les musées d’art des pays nordiques. Cette partie interrogera donc l’actualité des thèmes développés à Louisiana et l’opportunité de les employer de nouveau dans un projet de musée contemporain. Pour cela, les thèmes en question – musée-maison, musée-paysage, musée-couloir – seront confrontés à l’évolution des pratiques artistiques sur la période qui nous sépare de l’ouverture du musée Louisiana. Bien avant 1956, Jensen avait identifié un besoin de nature auquel il adhérait et qu’il voyait émerger dans la nouvelle classe moyenne scandinave de l’après-guerre, un besoin qu’il interprétait par ailleurs comme une critique de l’ordre bourgeois hérité du XIXe siècle. Cette critique se cristallisa chez lui sur l’exemple du Musée Royal des Beaux Arts de Copenhague sur lequel il eut l’occasion d’exprimer ses opinions, au cours d’une interview à la radio. Le musée des Beaux Arts, dit-il, «[est] un vrai cabinet de monstruosité, tout à fait la vision exagérée qu’avait la bourgeoisie du XIXe siècle de sa propre importance, manifestée dans la valeur transcendante de l’art qu’elle affectionnait.»185 Et c’est en réponse à ce cabinet de monstruosité qu’une occasion lui sera donnée de rapprocher l’art et la nature : il concevra Louisiana comme à la fois une réponse à ce besoin de la classe moyenne et une critique des musées bourgeois. Mais d’autres types de réponses ont été apportés pour contenter ce besoin de nature. Si Bo, Wohlert et surtout Jensen avaient pensé que l’on pouvait y répondre par l’architecture et avec l’architecture, l’histoire nous montre que l’art n’a pas toujours eu besoin de l’architecture pour se rapprocher de la nature, et ce d’autant plus dans la deuxième moitié du XXe siècle. En témoigne l’émulation que crée l’introduction 185. “It was a true horror cabinet, very much the nineteenth-century bourgeoisie’s exaggerated view of its own importance, manifested in the transcendent value of the art it prized.” nt. JENSEN, Knud, cité in PARDEY, John, op.cit., p.51 130

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a 9. Zaha Hadid, Extension du Musée Ordrupgaard, Charlottenlund (DK), 2005 photographies de l’auteur a- le café vu depuis le jardin b- le café c- le couloir conduisant au café d- un espace d’exposition (exposition Per Kirkeby, printemps 2012)

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d’une nouvelle forme d’intervention artistique dans le monde de l’art au début des années soixante: «site specific work, arte ambientale, art in situ (ce dernier terme emprunté à l’archéologie), autant d’appellations pour des créations dont le rapport à leur lieu d’implantation est déterminé par la règle commune de la spécificité au site.»186 Gilles Tiberghien, dans son ouvrage consacré au Land Art, relèvera ce qui, dans les discussions de l’époque, a trait à la critique de l’institution muséale:

À la question «Qu’est-ce que l’art?», supposant une certitude sur sa nature, qui nous fait désormais défaut, on substituera la question «Quand y a-t-il de l’art?», au risque de l’évidence de la réponse : «Quand il y a musée», puisque celui-ci est par excellence notre espace de l’art. Dans une conception de l’histoire moderniste, largement tributaire de l’hégélianisme, le musée apparaît à la fois comme le moment d’exaltation et d’achèvement de l’art.187 Et ce qu’il en est résulté:

En cherchant à trouver de nouveaux paramètres qui nous permettent de dire ce qu’est l’art, les artistes du Land Art ont produit de nouveaux objets. Sortir des musées et des galeries, c’est d’une certaine façon aussi vouloir réinterpréter l’art. Mais sortir de ces espaces, c’est aussi les prolonger. Les artistes oscillent ainsi entre le discours traditionnel sur l’art, dont ils entérinent la disparition, et l’élaboration conceptuelle et plastique de quelque chose dont ils se réclament encore «au nom de l’art».188 Aussi, dans un contexte où la sculpture des années 60 et 70 dépossèdera l’architecture de sa spécificité au sein des disciplines artistiques, j’entends celle qui l’ancre dans un site, Louisiana résonne comme un musée d’une autre époque, une époque où l’on a cru que l’art avait besoin d’un intermédiaire pour entrer en contact avec un site, un environnement, un paysage. L’incroyable développement des musées de sculpture en plein air, concomitamment à l’émergence des arts in situ, 186. GARRAUD, Colette, op.cit., p.10 187. TIBERGHIEN, Gilles, Land Art, Paris: Editions Carré, 1993, p.20 188. ibid. 132

est la preuve que l’architecture est devenue superflue dans le dialogue de l’art avec la nature. À tel point qu’aujourd’hui, comme le note Colette Garraud, «l’intérêt pour l’expérience in situ […] définit plus largement, et à divers titres, la sculpture contemporaine.»189 Plus encore, précise-t-elle, «dans la classification proposée par Rosalind Krauss dans son texte «Sculpture in the expanded field», le site est d’ailleurs un des éléments spécifiques de ce champ élargi censé caractériser la sculpture postmoderne».190 Une partie de la sculpture contemporaine se caractériserait alors par ce qui avait fait la spécificité de l’architecture pendant des siècles : son rapport au site. On comprend alors qu’une telle révolution ait pu concurrencer l’architecture, et plus particulièrement le type de musée d’art que représente Louisiana. D’autant plus que les nouvelles pratiques de conservations des œuvres d’art se méfiaient de plus en plus, non pas seulement de l’exposition à la lumière directe, mais de tout type de lumière naturelle, quelle qu’elle soit191. Elles interdisaient presque, de fait, l’exposition de toiles dans les couloirs de Louisiana, comme cela se faisait dans les premières années. On touche ici à l’une des principales raisons qui expliquent, à nos yeux, pourquoi Lousiana n’a pas fait école en matière de typologie de musée. L’idée d’un musée qui mettrait en vis-à-vis l’art et la nature se heurte à certains problèmes fondamentaux ayant trait à la peinture en général, ou plus particulièrement aux récents développements de la sculpture contemporaine. Pour la peinture, on l’a compris, ce sont les conservateurs qui s’opposent à cette typologie de musée. Quant à la sculpture, le problème est plus essentiel et se pose particulièrement lorsque «le terrain n’est pas le cadre de l’œuvre, mais en fait partie intégrante», selon la formule de Walter de Maria. À ce propos:

Richard Serra rappelait volontiers, ce que nul ne saurait lui contester, que l’événement majeur de l’histoire de la sculpture moderne fut la suppression du socle. C’était là le point de départ d’une conquête de l’étendue qui s’est affirmée encore lorsque les artistes ont investi les espaces urbains ou naturels, associant leur 189. GARRAUD, Colette, op.cit., p.11 190. ibid.. 191. à ce propos, voir les travaux réalisés entre 2006 et 2010 sur les bâtiments du musée d’art moderne de Villeneuve-d’Ascq de Roland Simounet. Le recours à la lumière naturelle est aujourd’hui presque systématiquement évité dans les salles d’expositions du musée. 133


travail de sculpteurs au parcours de vastes distances. Pour A.M. Hammecher, on assiste, avec Rodin et après lui, à la naissance d’un «sens du lieu appelé à devenir un sens de l’espace» dont on voit les formes ultimes dans les grandes œuvres du land art américain. Faire pénétrer l’étendue dans la sculpture, c’est aussi faire de la marche du spectateur à l’intérieur de l’œuvre le ressort essentiel de l’activité contemplative.192 Cette dernière phrase mérite ici toute la place qui lui est faite. Remplaçons le mot sculpture par architecture: «Faire pénétrer l’étendue dans [l’architecture], c’est aussi faire de la marche du spectateur à l’intérieur de l’œuvre le ressort essentiel de l’activité contemplative.» C’est là une des conclusions que nous avions faites au sujet du couloir de Louisiana. Étrange tout de même qu’elle s’applique indifféremment à la vision de Jensen et à ce qui semble s’y opposer aujourd’hui. Faut-il en déduire que l’architecture du musée Louisiana et la sculpture in situ ont en commun davantage que ce que l’on en a dit jusque là? C’est là notre avis. Si l’art in situ concurrence l’architecture, c’est qu’il est du même ressort. L’architecture de Louisiana se confondrait-elle donc avec une sculpture de l’étendue en cela que «le terrain n’est pas le cadre de l’œuvre mais en fait partie intégrante»193?

De la sculpture, écrivait Gilles Deleuze, «il ne suffit pas de dire qu’elle est paysage et qu’elle aménage un lieu, un territoire. Ce sont des chemins qu’elle aménage, elle est elle-même un voyage.194 Aussi, si concurrence il y a entre la sculpture de l’étendue et l’idée de musée-paysage telle qu’elle est mise en œuvre à Louisana, c’est parce qu’il est impossible de faire rentrer une sculpture de l’étendue dans une autre sculpture de l’étendue. C’est là une des limites du musée Louisiana, mais c’est aussi la limite de tous les autres musées architecturés. La sculpture de l’étendue ne s’accommode que des musées en plein air, et c’est en cela qu’elle peut se passer d’architectu192. GARRAUD, Colette, op.cit., p.30 193. TIBERGHIEN, Gilles A., op.cit. 194. DELEUZE, Gilles, «Ce que les enfants disent», Critique et clinique, Paris: Editions de Minuit, 1991 134

1 0-Louisiana: une photographie de Andreas Gursky dans la salle des Giacometti (galerie près de l’étang) photographie de l’auteur


re. Face au développement de ce type d’interventions artistiques dans le paysage, le modèle de Louisiana n’est donc vraisemblablement pas très adapté.

11-Louisiana: les œuvres exposées dans le couloir a- Exposition de toiles dans le couloir en 1958 b- Une photographie de Cindy Sherman dans le couloir en avril 2012, photographie de l’auteur

Il y a tout de même deux réserves à formuler ici. Quand bien même les conservateurs de nombreux musées se sont progressivement opposés à montrer la moindre peinture et, par la suite, la moindre installation, la moindre sculpture à la lumière du jour, Louisiana s’y est continuellement opposé. C’est l’un des éléments qui frappent encore aujourd’hui : à Louisiana, comme presque nulle part ailleurs, on peut voir par exemple une photographie de Cindy Sherman accrochée au mur du couloir avec vue, dans cette partie du musée baignée de lumière. Bien évidemment, il est fait en sorte qu’elle ne reçoive pas de rayons directs, mais cela ne les empêche pas d’atteindre le reste de l’espace d’exposition. Par ailleurs, les sculptures de l’étendue peuplent le parc de Louisiana et le couloir en offre un point de vue certes distancé, mais très intéressant et praticable en toute saison.

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Nous verrons dans ce qui suit en quoi l’idée de musée-paysage s’est développée et transformée à une autre échelle, plus grande celle-ci, au fur et à mesure que l’idée d’œuvre d’art a glissé jusqu’à pouvoir englober l’étendue du paysage lui-même.

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III.2.NASJONALE TURISTVEGAR UN AUTRE LOUISIANA? Aussi, nous avons vu, dans une première partie, que la filiation du musée Louisiana est assez paradoxale. Cependant, nous tenterons maintenant de rapprocher Louisiana du projet norvégien Nasjonale Turistvegar, qui, sans être un musée d’art, nous semble un héritier direct de Louisiana, peutêtre le seul à la hauteur dans le contexte nordique. C’est en Norvège qu’une certaine tradition contextualiste s’est prolongée avec le plus de vigueur, dans une veine très proche de celle qui animait Jørgen Bo et Vilhelm Wohlert. Nous entendons ici architecture contextualiste au sens où elle «prolonge et révèle des caractéristiques du site, et y apporte un commentaire, parfois ironique.»195 En cela, la filiation que nous tentons de dégager est l’héritage combiné de la longue tradition nordique que nous avons esquissée plus haut et d’une attitude, plus récente, incarnée par la sculpture contemporaine. C’est aujourd’hui en Norvège que la trilogie art–architecture–paysage est la plus profondément discutée. Cette trilogie, et l’attention au contexte qu’elle implique, semblent ne plus occuper le devant de la scène dans le débat architectural des autres pays nordiques, et plus particulièrement le débat architectural au Danemark. Dans ce pays, l’influence croissante d’une conception néerlandaise de l’architecture se fait de plus en plus sentir, au fur et à mesure que grandit l’hégémonie des idées d’architectes comme Bjarke Ingels (BIG) ou Kim Herforth Nielsen (3XN) sur le débat national. Si la rupture avec la tradition nordique y semble d’ores et déjà consommée, elle ne l’est pas (encore) en Norvège par exemple, même si l’influence croissante de l’agence Snøhetta pourrait y contribuer. La Norvège, à travers le combat des figures de l’architecture de la deuxième moitié du XXe siècle, a su renouveler la tradition d’un modernisme régional attentif au contexte, sans discontinuité, sans rupture. Aussi, c’est sans surprise que nous trouvons en Norvège l’un des plus beaux héritiers, à

nos yeux, du couloir avec vue de Louisiana : le programme des routes nationales touristiques, les Nasjonale Turistvegar. Nasjonale Turistvegar est un programme de développement à l’échelle nationale mis en place à partir de 1994 par le gouvernement norvégien, à travers l’intermédiaire de la Statens Vegvesen, l’administration norvégienne en charge des routes publiques. Il a d’abord fait l’objet d’un projet-pilote, appellé Reiselivsprosjektet (littéralement: projet tourisme et voyage) sur quatre territoires (Sognefjell, Strynefjell, Hardanger et Helgeland). Son but était clair : doter ces quatre territoires, en réalité quatre segments de route au potentiel touristique latent, des équipements et infrastructures nécessaires à la mise en valeur d’un patrimoine naturel et culturel local. Les collectivités territoriales s’associent à la Statens Vegvesen dans l’objectif de renforcer leur attractivité et reçoivent le label Nasjonal Turistveg (route touristique nationale) pour une durée limitée. Face au succès du projet-pilote, le programme est étendu à de nouveaux territoires. En 1999, un appel à candidature sera lancé par l’administration. Au terme d’un long processus, 18 portions de routes sont sélectionnées et les travaux commencent dès 2004. Parallèlement, un important dispositif de communication est mis en place : il rassemble sous le même label des territoires variés et bénéficie de financements importants. Il s’adresse d’abord à un public national (dès 2006), avant de s’étendre, dans un second temps, hors des frontières de la Norvège. C’est à partir de 2007, au terme de trois ans de travaux, que certaines des 18 routes sélectionnées commencent à obtenir le précieux label. Toutes devraient l’obtenir avant la fin de l’année 2013. Le programme norvégien pourrait-il être considéré comme un couloir avec vue, certes d’une échelle différente, où les points d’arrêts sont architecturés comme autant d’événements sur le parcours? Nous essaierons de le montrer ici. Aussi, il s’agira de comprendre en quoi le programme Nasjonale Turistvegar est une transposition à l’échelle territoriale du couloir de Louisiana et, pour cela, nous essaierons d’abord de voir, ce qui, dans le débat architectural norvégien de la deuxième moitié du XXe siècle, prolonge et développe l’idée d’udvej qui avait donné lieu à la construction de Louisiana. Puis, nous nous intéresserons à la question des routes touristiques et du rapport qu’elles instaurent entre le visiteurautomobiliste et le paysage, afin de le comparer au rapport établi à Louisiana entre le visiteur-promeneur et le paysage.

195. KIMMEL, Laurence, L’architecture comme paysage, Álvaro Siza, Paris: Petra, 2010, p.15 138

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standards de construction norvégiens en mêlant les qualités du modernisme à une certaine expression locale et en utilisant des matériaux locaux comme le bois et la pierre naturelle.»200 Ses positions, très contextualistes voire régionalistes, l’ont opposé au fonctionnalisme et à la tentation de la tabula rasa que défendait Arne Korsmo en Norvège. Ses écrits, même s’ils sont rares, illustrent assez bien l’intérêt qu’il porte pour un certain vernaculaire et, de facto, pour un paysage typiquement norvégien. Dans le choix des mots, Knutsen fait émerger des idées auxquelles il attache de la valeur comme celle de subordination au paysage que Kay Fisker utilisait en 1958 pour décrire Louisiana:

III.2.a NORVÈGE 1958-1994: LE CONTEXTE, TOUJOURS! Il est important de revenir sur la période qui sépare l’achèvement du musée Louisiana, du lancement du programme des routes touristiques nationales en Norvège, parce qu’elle nous donnera les clés pour comprendre en quoi le débat architectural norvégien a hérité des idées développées dans les pays nordiques que nous avons étudiés dans la première partie de ce mémoire et dans l’exemple de Louisiana. À la fin des années 30, la Norvège se trouvait dans une situation étrange dans laquelle s’opposait, sans que l’un des deux opposants ne semble prendre le dessus, un Fonctionnalisme très intéressant et dynamique et une forme indigène de Romantisme National. «Mais ce qui est intéressant, c’est l’emprunt mutuel et pragmatique d’expressions et de solutions»196 qui eut lieu pendant cette période et les hybridations qui en résultèrent.

Le respect et la vénération du paysage doivent être des valeurs dominantes. Le respect ne réside pas seulement dans la construction de bâtiments subordonnés au paysage, mais encore faut-il mettre l’accent sur lui, le développer – peut-être même créer une nouvelle nature.201

Après la guerre, [Arne] Korsmo et [Knut] Knutsen sont devenus des figures de premier plan dans deux directions conflictuelles de l’architecture norvégienne, l’un internationalement dirigé vers l’accent sur l’industrialisation, l’autre plus connecté aux matériaux locaux et aux traditions artisanales.197 Si tous les deux ont une influence équivalente sur l’orientation de l’architecture norvégienne, celle de Knut Knutsen qui, avant-guerre, «était regardé comme un puissant défenseur du mouvement National Romantique»198, sera déterminante dans l’acception d’une continuité en architecture entre une tradition ancestrale et l’avant-garde la plus moderne199. On a dit de lui qu’il était un «architecte qui développa les 196. «But what is also interesting is the mutual, pragmatic borrowing of expressions and solutions» nt. FJELD, Per Olaf, Sverre Fehn, the pattern of thoughts, New York: The Monacelli Press, 2009, p.7 197. “After the War Korsmo and Knutsen became prominent figures in two conflicting directions in Norwegian architecture, the one internationnally directed with the emphasis on industialization, the other more connected to lacal materials and artisan traditions” nt. TOSTRUP, Elisabeth, «Norwegian introduction» in ANDERSEN, Michael Asgaard (dir.), op.cit., p.205 198. «Knut Knutsen was regarded as a strong proponent of the National Romantic movement» nt FJELD, Per Olaf, op.cit., p.7 199. Il écrira à ce sujet en 1961 que «l’architecture de la continuité est une architecture qui est systématiquement transmise de siècle en siècle» (“Continual architecture is architecture that is consistently carried on from century to century.” nt KNUTSEN, Knut, «People in focus» (1961) in 140

1 2- Knut Knutsen, Maison de vacance de l’architecte, Portør (NO), 1949

Dans la deuxième moitié du XXe siècle, son influence sera très importante, notamment grâce à l’enseignement qu’il dispensa dans plusieurs établissements norvégiens. Parmi ses étudiants, l’architecte Wenche Selmer, le théoricien de l’architecture Christian Norberg-Schulz et, celui qui peutêtre eut la plus grande influence sur l’architecture moderne norvégienne, Sverre Fehn. Tous les trois développeront ses idées et les ancreront dans la durée. Fehn meurt en 2009 en ayant rempli son rôle de passeur dans l’histoire de l’architecture norvégienne. L’architecture de la continuité dont Knutsen se faisait le promoteur, s’est incarnée dans la pratique de Selmer, Norberg-Schulz et Fehn, qui ont à leur tour transmis à leurs étudiants les valeurs qui étaient les leurs, et celles de leur maître. Fehn et Norberg-Schulz seront de fervents défenseurs d’une attention particulière pour le contexte. Chez NorbergANDERSEN, Michael Asgaard (dir.), op.cit., p.209.) 200. «an architect who developed Norwegian building standard further by incorporating qualities from modernism with a more local style of expression, and using local materials such as wood and natural stone.» nt. BREKKEN, Nils Georg (dir.) Norsk Arkitekturhistorie : frå steinalder og bronsealder til det 21. hundreåret, Oslo: Det Norske Samlaget, 2003, p.408 201. «Respect and reverence for the landscape must be prevailing values. Respect is not just a matter of making buildings subordinate to the landscape, but also to emphasize it, develop it – maybe even create a new nature.» nt.KNUTSEN, Knut, «People in focus» op.cit. 141


Schulz, elle s’enrichit de références explicites à Heidegger, à la phénoménologie de Merleau-Ponty et d’emprunts aux théories de Kevin Lynch. Son apport au débat architectural international s’incarne dans de nombreux articles et surtout dans deux ouvrages majeurs. Le premier, qu’il consacre à l’idée de génie du lieu en 1981202, sera interprété partout en dehors de l’Europe du Nord comme un appel à un retour vers une architecture contextuelle et régionaliste. Dans le deuxième, publié en 1996, il rend hommage à L’art du lieu203.

À partir des années 1970, […] Chirstian NorbergSchulz développa sa théorie du lieu ou locus, soutenant l’idée que l’espace architectural ne devrait pas être compris comme quelque chose de produit, mais que l’architecture devait être entendue comme un processus de révélation ou de dévoilement d’un déjà-là – la tâche de l’architecte étant alors de chercher l’essence d’un lieu spécifique et de développer ses qualités cachées.204 Si le discours de Norberg-Schulz a constitué une importante contribution pour le postmodernisme en architecture, il faut cependant y lire la cristallisation théorique certes tardive mais essentielle aux débats architecturaux qui ont alimenté l’architecture nordique du XXe siècle. Chez Fehn, l’attention au contexte est elle aussi très affûtée, mais relève davantage de la poétique ou de l’ésotérisme.205 S’il «partage un héritage avec Gunnar Asplund, Sigurd

202. NORBERG-SCHULZ, Christian, Genius Loci, paysage, ambiance, architecture (1979), Bruxelles: Mardaga, 1981 (traduction Odile Seyler) 203. NORBEG-SCULZ, Christian, L’art du lieu, Architecture et paysage, permanence et mutations (architettura: presenza, linguaggio e luogo, 1996), Paris: Le Moniteur, 1997 (traduction Anne Guglielmetti) 204. «From the 1970s and onwards […] Christian Norberg-Schulz developed his theory of place or «locus», saying that architectural space should not be understood as something produced, rather architecture ought to be comprehended as a process of unveiling what is already there – the task of the architect being to search for the essentials in a specific place and develop its hidden qualities.» nt. ELLEFSEN, Karl Otto, «Detourned infrastructure: the architecture of the National Tourist Routes», in BERRE, Nina (dir.), Detour, architecture and design along 18 national tourist route, Oslo: Statens Vegvesen, 2010, 205. à ce sujet, nous renvoyons le lecteur vers la très belle monographie que consacre Per Olf Fjeld à l’architecte norvégien : FJELD, Per Olaf, Sverre Fehn, the pattern of thoughts,New York: The Monacelli Press, 2009 142

13- Sverre Fehn, Pavillon des pays nordiques à la Biennale, Venise (IT), 1958-62 photographies Feruzzi

Fehn conçoit ici un grand plateau libre ouvert sur le jardin de la Biennale. Le toit de l’édifice, qui s’adapte à la présence d’arbres préexistants, protège l’espace d’exposition d’un éclairage direct et le baigne dans une lumière froide et sans ombre, en référence à la lumière nordique.


Lewerentz, Jørn Utzon, Mogens Lassen»,206 c’est qu’il l’a acquis à travers les enseignements de Korsmo et Knutsen, ses professeurs. Plusieurs des thèmes qui ont fait le succès de Louisiana se retrouvent, explorés plus en profondeur peut-être, mais de manière séparée, dans l’œuvre de Sverre Fehn. Le thème du contact avec la nature y est exploré dès ses premières réalisations. En 1962 déjà, son Pavillon des pays nordiques dans les Giardini de Venise donnait à l’architecture nordique une illustration du thème de l’indifférenciation entre l’intérieur et l’extérieur et des pistes pour l’intégration de la nature dans l’architecture. Il répondait en cela à Louisiana d’une part, et aux constructions de Knut Knutsen d’autre part207. La forme spatiale du couloir avec vue, si elle n’est pas centrale dans son œuvre, peut néanmoins être pistée dans nombre de ses projets. Pour n’en citer que deux, nous évoquerons le Musée de l’Évêché à Hamar et la Villa Busk à Bamble. Dans le premier, qu’il construit en 1971, il met en œuvre une rampe-passerelle qui dessert une série étirée de petits événements évoquant les oiseaux sur le fil d’Humlebæk dans la composition en plan. Dans le second, deux couloirs avec vue, qui forment une croix, organisent et distribuent les pièces de la maison et se prolongent au-delà dans le paysage. Les thèmes de Lousiana semblent avoir été, dans l’œuvre de Fehn, développés et raffinés à un point que nul autre avant lui n’avait atteint. Nous regrettons simplement qu’ils n’aient pas été rassemblés dans un seul et unique projet, ce qui nous oblige, pour juger de leur qualité, à construire des parallèles et rapprocher des projets parfois distants dans le temps et dans l’espace. Aussi, nous identifions dans l’œuvre de Fehn, le terrain fertile qui aurait pu donner naissance à un digne héritier de Louisiana. L’occasion de construire un tel projet n’a peutêtre jamais été donnée au maître norvégien. Mais, parmi ses disciples, ses élèves, d’autres l’ont-ils eu? Olaf Fjeld, un de ses collaborateurs et biographes note qu’il «n’y a jamais eu plus de cinq collaborateurs au même moment dans son agence, mais, en tant qu’enseignant, il a influencé une génération entière d’architectes norvégiens»208 qui, comme Jan Olav Jensen (Jensen & Skodvin architectes), Einar Jarmund et Håkon Vigsnæs (Jarmund & Vigsnæs architectes) comptent aujourd’hui parmi les architectes norvégiens les plus intéressants. Encore une 206. «He shares a heritage with Gunnar Asplund, Sigurd Lewerentz, Jørn Utzon, Mogens Lassen» nt. FJELD, Per Olaf, op.cit., p.7 207. voir la maison de vacances que Knutsen se construit à Portør en 1949 (illustration) 208. «There have never been more than five collaborators in the office at one time, but as a teacher, he has influenced an entire generation of Norwegian architects.» nt. ibid. 144

a 14-Sverre Fehn, Villa Busk, Bamble (NO), 1989 plan, Sverre Fehn architecte

L’architecte norvégien conçoit cette résidence particulière autour de deux axes qui se croisent à angle doit. Chacun d’eux deviendra un couloir vitré desservant les pièces de la maison.

b 15-Sverre Fehn, Musée de l’évêché de Hamar, Hamar (NO), 1969-73

Le musée, aménagé à l’intérieur d’une ancienne grange, se développe autour d’une longue rampepasserelle qui donne à voir, au-dessous d’elle, les vestiges médiévaux de l’ancien siège de l’évêché. Quelques pièces plus fermées sont disposées le long du parcours. a- plan, Sverre Fehn architecte b- maquette, Sverre Fehn architecte & Teigen c- photographie T. Solvang

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fois, ce passage d’une génération à l’autre, incarne l’architecture de la continuité qui était chère à Knutsen. En effet, Elisabeth Tostrup note que «l’article Affinité» que l’architecte Jan Olav Jensen écrit en 2007 «rappelle Norberg-Schulz, Knutsen et Selmer, et en cela il cultive le site et l’œuvre unique, la proximité avec les matériaux et le processus de production lui-même.»209 C’est à cette génération d’architectes qu’ont été confiés les projets des Nasjonale Turistvegar et ce sont ces architectes qui, collectivement, transformeront l’héritage qu’ils ont reçu en un projet à la hauteur de Louisiana. Aussi, au moment où le programme Nasjonale Turistvegar est lancé en 1994, le débat architectural en Norvège est dans la continuité la plus totale avec les problématiques qui avaient été celles de la construction de Louisiana. La Norvège interroge à l’époque, et aujourd’hui encore, son héritage vernaculaire et son paysage national, essentiellement en critique des bouleversements économiques de la deuxième moitié du XXe siècle qui firent passer le pays du rang de parent pauvre de l’Europe Occidentale à celui de puissance pétrolière. La Norvège est peut-être aujourd’hui le dernier pays scandinave à chercher encore son identité, et cela explique en partie pourquoi le débat architectural reste focalisé sur des thèmes qui ont été exploités depuis longtemps par le nationalisme : le paysage et la tradition. Il s’agira maintenant d’explorer les liens qui rapprochent le programme des routes nationales touristiques de Norvège de la forme de couloir avec vue qui caractérise Louisiana et de montrer en quoi ces routes réinterprètent l’idée d’un musée hors-le-centre. III.2.b. ROUTE TOURISTIQUE: UN COULOIR AVEC VUE? La Statens Vegvesen, l’administration norvégienne en charge des routes publiques, désigne les routes nationales touristiques comme des scenic roads, ce que l’on pourrait traduire en français par routes panoramiques, pittoresques, qui offrent de beaux paysages. Il est important de comprendre que, bien évidemment, la Statens Vegvesen n’invente pas ici un nouveau type de route. Celui-ci s’intègre, nous le verrons dans ce qui suit, dans la lignée d’autres routes comme 209. “Jan Olav Jensen’s ‘Affinity’ brings to mind Norberg-Schulz, Knutsen and Selmer, in that it cultivates the site and the unique work, closeness to the materials and th eproduction process itself. “ nt. TOSTRUP, Elisabeth, op.cit., p.213 146

les parkways américaines ou les routes touristiques alpines, dont l’idée remonte au XIXe siècle et la concrétisation aux début du XXe siècle. Aussi, il s’agira ici d’interroger cet héritage d’une part, et de comprendre en quoi il peut être considéré comme un couloir avec vue d’autre part, c’est-à-dire comme une expérience similaire à celle qui est proposée au musée Louisiana. L’idée naît aux États-Unis. Le terme parkway, qui n’a pas trouvé à ce jour de traduction satisfaisante en français, est formé en 1868 par «l’un des paysagistes les plus importants du pays, Frederick Law Olmsted […] alors qu’il dessinait Prospect Park à Brooklyn»210. Il l’applique à ce que l’historien Timothy Davis qualifie «d’étroit parc allongé»211, c’est-à-dire une route destinée à un touriste en calèche d’abord, en automobile par la suite, et dessinée de telle sorte qu’elle offre des vues pittoresques sur le paysage et comporte le moins d’intersections possibles. À partir des années 30, dans l’aménagement du territoire aux Etats-Unis, les parkways sont devenues un outil essentiel «pour stimuler le trafic et faire découvrir des régions relativement négligées à proximité de centres majeurs de population».212 La véritable nouveauté qu’a introduit la notion de parkway, c’est l’idée qu’une route peut s’affranchir d’une fonction de desserte locale pour acquérir un statut d’expérience en soi. Significativement, aux Etats-Unis, ces routes étaient interdites aux camions et aux autobus, seules les voitures de tourisme étaient autorisées à y circuler. Il en était de même dans de nombreux pays européens, et plus particulièrement dans des pays montagneux comme la Suisse et l’Autriche, où «des routes de montagnes, de bord de lac ou des routes côtières ont été construites non exclusivement pour transporter les automobilistes d’un endroit à l’autre, mais pour leur procurer des vues panoramiques pendant leurs trajets»213. 210. «One of the country’s most prominent landscape architect, Frederick Law Olmsted […] when designing Prospect Park in Brooklyn» nt. ZELLER, Thomas, «Staging the driving experience: parkways in Germany and the United States», in HVATTUM, Mari (dir.), Routes, Roads and Landscapes, Farnham: Ashgate, 2011, p.127 211. «a narrow, elongated park» nt. DAVIS, Timothy, «The rise and Decline of the American Parkway», in MAUCH, Christof & ZELLER, Thomas (dir.), The World Beyond the Windshield: Roads and landscape in the United States and Europe, Athens: Ohio University Press, 2008, p.35 212. «to stimulate traffic and open up relatively neglected tourist regions in the proximity of major population centres» nt. ZELLER, Thomas, «Staging the driving experience», op.cit., p.126 213. «in many European countries, mountain roads, lakeshore or seaside 147


Ces routes ont ouvert une fenêtre sur la nature, ont rendu l’environnement naturel accessible, et ont présenté des versions spécifiques de la nature. Au cours du processus, elles ont habitué à la campagne des millions de conducteurs et de passagers et ont transformé le paysage en produit facilement consommable. C’était à travers ces routes que de nombreux touristes ont appris à apprécier la nature alors qu’ils étaient sur la route. Voir et reconnaître des paysages particuliers à travers le pare-brise est devenu un élément important de l’industrie du tourisme en train de naître.214 En Europe, c’est dans les Alpes, où le tourisme s’est en premier développé, que de telles routes touristiques ont d’abord vu le jour.

Dans les pays alpins que sont l’Autriche et la Suisse, une poignée de routes de montagne avaient été construites dans les années 1930 avec le double objectif d’attirer les touristes en voiture et d’affirmer une différence nationale à travers l’exposition de symboles naturels comme les pics rocheux. Ces routes étaient construites pour incorporer le plus haut degré possible de valeurs autrichiennes et suisses qui se reflétaient dans la modernité culturelle de la route et dans le vernaculaire du paysage215 drives were built not simple to transport people in automobiles from one place to another, but to provide them with scenic views while they were travelling». nt.ibid. 214. «These roads opened a window on nature, made the natural environment accessible, and presented specific versions of nature. In the process, they acquainted millions of drivers and passengers with their countryside and rendered the surrounding scenery as easily consumable automotive landscapes. It was through these roads that many tourists learned to appreciate nature while they were on the road. Seeing and recognizing particular landscapes through the windshield became an important part of the nascent tourism industry.» nt. ibid. 215. «In the Alpine countries of Austria and Switzerland, a handful of mountain roads were built in the 1930s with the dual purposes of luring automobile tourists and asserting national difference through the display of natural symbols such as mountain peaks. These roads were built as to incorporate the highest degree possible of ‘Austrian’ and ‘Swiss’ values as reflected in the cultural modernity of the road and its vernacular landscape» nt. id. p.131 148

16-Die Deutsche Alpenstraße:

Dans les années 1930, l’État allemand aménage cette route de 450km de long à travers les Alpes bavaroises.

À la même époque, l’Allemagne se dote d’une route de 450km de long, l’Alpenstraße, le long d’un itinéraire touristique reliant, à travers les crêtes des Alpes du Nord, la retraite de Hitler dans la montagne près de Berchtesgaden au château de Neuschwanstein. Si elle s’inspire directement des parkways américaines, elle s’en écarte tout de même en cela qu’elle est dès le début conçue pour relier les localités non connectées au réseau de chemin de fer et qui «étaient en compétition les unes contre les autres pour obtenir un accès à la route et, de la sorte, tirer des fruits du tourisme».216 En conséquence, l’Alpenstaße était conçue comme un itinéraire conduisant d’une attraction touristique à l’autre. Par ailleurs:

Les guides touristiques plaçaient les églises baroques juste à côté des vallées et des montagnes, créant par ainsi un réseau homogène de nature et de culture. Les touristes étaient encouragés à laisser leur voiture pour partir en randonnée dans les Alpes.217 Les exemples de l’Allemagne, de l’Autriche et de la Suisse surtout feront école en Europe, et particulièrement en Norvège où les reliefs escarpés couvrent une large partie du territoire. Le pays y voit, d’une part, une opportunité économique pour développer le tourisme et sortir sa population de l’extrême pauvreté dans laquelle elle se trouve alors et, d’autre part, le moyen de valoriser le paysage norvégien entendu en tant qu’élément distinctif de l’identité nationale. La Suisse avait été, avant même la construction des routes de montagne des années 1930, un modèle important pour la Norvège, comme l’atteste une publication datée de 1881 de l’association Den Norske Turistforening, une organisation dont le but était de promouvoir le tourisme en Norvège :

Ce n’est pas seulement à sa nature magnifique que la Suisse doit ses voyageurs nombreux, mais certainement aussi à ces hébergements dont on a équipé ces lieux où les voyageurs souhaitent se rendre, en plus des efforts faits pour en faciliter l’accès.218 216. «which competed with each other over access to the road and thus tourism income» nt. id. p.132 217. «Guidebooks placed baroque churches right next to valleys and mountains, thus creating a seamless web of nature and culture. Tourists were encouraged to leave their cars and go for hikes in the Alps.» nt. id. p.133 218. «It is not only to its magnificient nature that Switzerland owes these 149


VARDSØ

L’association voit là un modèle pour développer les atouts de la Norvège. Heyerdahl, l’un des membres les plus actifs du Norske Turistforening liste, parmi les atouts de son pays, «l’extraordinaire et la curieuse nature, l’air léger et pur de la montagne, les claires nuits d’été et la possibilité de voyager librement. Cependant, sans infrastructure, ces merveilles ne sauraient être découvertes par les touristes, soutient Heyerdahl, qui considère la construction de routes comme le moyen le plus certain de faire entrer des sommes considérables dans le pays»219.

500

TROMSØ

250

BODØ

L’exemple suisse sera d’une importance capitale en Norvège en raison de la constitution très tardive d’un réseau routier national. Janike Kampevold Larsen note à ce sujet qu’au «nord de Namsskogan, près de Trondheim, la Norvège n’avait pas de réseau routier jusqu’en 1914.»220 Les communications se faisaient par bateau, notamment grâce au service côtier de l’Hurtigruten mis en place au XIXe siècle. Dans un pays au relief aussi accidenté et à la population si éparse, la nécessité de construire d’onéreuses routes (qui, finalement, étaient assez peu efficaces) ne s’était pas fait sentir avant la fin du XIXe siècle. Aussi, l’ensemble du réseau routier qui se constitue avant 1914 dans les régions inhabitées au Sud de Trondheim puis, après cette date, jusqu’au Cap Nord, «a été construit dans le but partiel de faciliter les trajets des touristes.»221

Hurtigruten réseau routier principal 0 km Nord

TRONDHEIM

Ainsi la route de Geiranger (1882-1888), la route de Trollstigen (1928-1936) et la route de Sognefjell (1936-1938) comme l’ancienne route de Strynefjell (achevée en 1884), qui toutes font partie du programme des Nasjonale Turistvegar many travellers, but certainly also to those accommodations with which one has equipped thoses places that travellers wish to go, in addition to the endeavors made to ease access to them.» nt. HEYERDAHL, F.W. «Den Norske Turistforeningens Årbok, Kristiana, 1881, pp.167-8 cité in KAMPEVOLD LARSEN, Janike, “Curating Views: the Norwegian Tourist Route Project”, in HVATTUM, Mari (dir.), op.cit. p.181 219. «Heyerdahl listed the peculiar and extraordinary nature, the light and clean mountain air, the light summer nights and the possibility to roam freely. However, without infrastructure these virtues would never be discovered by tourists, maintained Heyerdahl, who considered road building the most certain way to bring ‘considerable sums’ into the country.» nt. KAMPEVOLD LARSEN, Janike, op.cit. p.181 220. «North of Namsskogan near Trondheim, Norway had no primary road network as late as 1914» nt id. p.179, note 2, 221. «they were built with the partial aim of easing travel for tourists.» nt. ibid. 150

limite nord du réseau routier en 1914

500

HELSINKI

HAMAR BERGEN

OSLO

250

STOCKHOLM

STAVANGER

17- La Norvège: réseau routier et express côtier Hurtigruten 0 km Nord

COPENHAGUE


sont très récentes, ce qui leur donne un caractère particulier. Contrairement aux routes plus anciennes, elles n’ont pas été «uniquement développées pour la communication et le transport entre les zones habitées du pays», mais elles incarnaient aussi une forme de proto-parkway héritée du modèle helvétique. Et, en cela, elles construisent des situations pittoresques, offrent des points de vue panoramiques sur de beaux paysages et, conséquemment, tracent les chemins d’une retraite hors-le-centre, au plus près du contact avec la nature. Il semblerait alors que les routes touristiques de Norvège offrent une expérience similaire en bien des points à celle du musée Louisiana, Si l’on peut assurément considérer l’expérience des Nasjonale Turistvegar comme une sorte de couloir avec vue, peut-on alors qualifier ces scenic roads d’expériences muséales? Peut-être pouvons-nous considérer que les deux expériences sont semblable, à la différence près de l’échelle et du mode de déplacement? Si le couloir de Louisiana s’étire sur trois cents mètres, la série étirée d’événements que constituent les Nasjonale Turistvegar s’étend quant à elle sur toute la longueur de la Norvège, du Nord au Sud et de manière discontinue, le long de 18 sections de routes. Il s’agira maintenant de voir en quoi cela impacte sur la notion de musée et si la notion de musée-paysage ou muséeterritoire peut servir à caractériser le programme des routes touristiques de Norvège.

III.2.c NASJONALE TURISTVEGAR : UN MUSÉE-TERRITOIRE? Comme on vient de le voir, le tournant du XXe siècle, dans un soucis économique et nationaliste, s’est attaché à développer les routes touristiques en Norvège. Mais, «comme Heyerdahl près de 120 ans plus tôt, le projet des Nasjonale Turistvegar soutient l’idée que les routes doivent montrer (display) les régions les plus spectaculaires du centre et du nord de la Norvège.»222 Le terme display, comme le titre de l’article dont il est tiré, «Curating Views : The Norwegian Tourist Route Project», rapproche tout deux le programme norvégien d’une pratique muséographique. Cela soulève des questions: le programme norvégien relève-t-il du musée? Serait-il un 222. «Like Heyerdahl some 120 years before, the Tourist Road Project argues that the roads should display the most spectacular regions of central and northern Norway.» nt. KAMPEVOLD LARSEN, Janike, op.cit. p.181

18- Gamle Strynefjellsvegen L’ancienne route de Strynefjell, achevée en 1894, relie Grotli à Videsæter, deux localités distantes de 27 kilomètres. Elle est ouverte de juin aux premières chutes de neige. 19- Carte: Situation des 18 Nasjonale Turistveger: (du nord au sud): 01- Varanger 02- Havøysund 03- Senja 04- Andøya 05- Lofoten 06- Helgelandskysten (la côte de l’Helgeland) 07- Atlanterhavsvegen (la route de l’Atlantique) 08- Geiranger – Trollstigen 09- Rondane 10- Gamle Strynefjellsvegen (Ancienne route du Mont Stryne) 11-Sognefjellet (Mont Sogne) 12- Gaularfjellet (Mont Gaular) 13- Valdresflye 14- Aurlandsfjellet (Mont Aurland) 15- Hardangervidda (Plateau d’Hardanger) 16- Hardanger 17- Ryfylke 18- Jæren

500

500 250

250 0 km Nord

152 0 km


musée-territoire à l’échelle du pays? Pour y répondre, nous nous intéresserons au contenu qu’un tel musée pourrait avoir et quels en seraient les outils pour le présenter au visiteurautomobiliste. Afin de bien comprendre les objectifs qui motivent le programme, il faut revenir sur ce qu’en disent leur acteurs. La publication que la Statens Vegvesen a éditée en 2007 puis en 2010, rassemble les témoignages des autorités norvégiennes responsables du programme, mais aussi celui de Karl Otto Ellefsen, le directeur de l’École d’Art et de Design d’Oslo et, à ce titre, membre du comité architectural du projet Nasjonale Turistvegar. Dans le texte qu’il écrit pour cette publication, on lit que le programme «est basé sur l’exposition (display) et l’expérience de la nature, et que les objets à exposer sont les régions les plus fameuses de la Norvège – les fjords de l’Ouest qui dominent le classement des destinations touristiques du National Geographic, et les côtes du Nord illuminées par le soleil de minuit.»223 Aussi, les objets qu’expose le musée Nasjonale Turistvegar sont avant tout les joyaux du paysage norvégien. Mais ce n’est pas tout et c’est là ce qui le différencie d’une réserve naturelle. «Le programme Nasjonale Turistvegar […] est le premier réseau de projets qui expose, de manière très intentionnelle, à la fois l’infrastructure et le paysage. Dans ce système, chaque installation est intentionnellement développée comme une pièce spécifique d’architecture, comme une partie intégrée au réseau routier pour le déplacement, comme une partie du paysage et comme un lieu offrant des vues du paysage.»224 Aussi s’ajoutent au paysage, la route elle-même, les installations architecturales et des points de vue précis. Tous ensemble, ils forment à la fois la structure et le contenu du musée-territoire. Aussi, en tant que «parc étendu aux sentiers tortueux et aux points de vue fixes, les Nasjonale Turistvegar exposent sous la forme de vues des portions de nature norvégienne 223. “the project is based on the display and experience of nature, and that the objects for display are the most famous parts of Norway, the western fjords that top the National Geographic’s list of tourist destinations, and the coastal midnight sunlit areas of the north.» nt. ELLEFSEN, Karl Otto, «Detourned infrastructure», in BERRE, Nina (dir.), op.cit., p.179 224.“The Tourist Routes, however, is the first Norwegian structure of projects that very intentionally exhibits both infrastructure and landscape. In this system, each installation is intentionally developed as a specific piece of architecture, as an integral part of the road as a system for movement, as part of a landscape and as a site offering views and vistas of landscapes.» nt. ibid. 154

20- Carte de la route nationale touristique de Senja 21- Code arkitektur, point de vue à Tungeneset, Route Nationale touristique de Senja (NO), 2007 photographies Jarle Væhler


sélectionnées (curated) avec soin.»225 En cela, il organise son contenu muséographique comme l’on a placé les œuvres d’art à Louisana : l’art est à la fois dans le couloir et au-dehors dans le parc, mais on peut aussi tout simplement se rendre à Humlebæk pour apprécier le paysage, l’architecture du musée en elle-même ou les vues scénographiées depuis les événements le long du couloir. L’expérience muséale est par ailleurs chorégraphiée dans le mouvement qui, d’une part, conduit le visiteur à Louisiana et celui, d’autre part, de la promenade dans le musée-couloir. En cela, l’expérience de Louisiana, bien qu’elle ne soit pas motorisée, est très similaire à celle des Nasjonale Turisvegar. En témoigne cet extrait de l’article de Kampevold Larsen:

Unique dans l’histoire des routes norvégiennes, le projet Nasjonale Turistvegar représente un mélange curieux et intéressant de pratiques d’exposition. Alors qu’il chorégraphie de manière apparente la nature norvégienne, tout en sélectionnant les séquences exemplaires pour que le touriste motorisé les voie, le projet, en réalité, expose (curate) la nature, l’architecture et la route elle-même, entendus comme appartenant à une stratégie nationale économiquement motivée.226 La question qui est maintenant posée est celle de la relation à la sculpture contemporaine et aux pratiques de l’art in situ. Nous avons vu précédemment que Louisiana ne semble pas avoir pu se répéter en tant que tel dans l’histoire de l’architecture nordique en raison de la concurrence des nouvelles formes de la sculpture contemporaine. Qu’en est-il en Norvège? Qu’en est-il sur un tel musée-territoire? D’abord, il faut se poser la question de savoir «qu’est-ce qui fait art?» dans le musée Nasjonale Turistvegar à laquelle répond la question «Où est l’art?». Nous sommes enclins à penser que l’art est dans le contenu du musée, c’est225. «an expanded park with meandering paths and fixed viewpoints, the Tourist Route Project displays carefully curated portions of Norwegian nature as views.» nt. KAMPEVOLD LARSEN, Janike, op.cit. p.181 226. «Unique in Norwegian road history, the Tourist Route Project represents a curious and interesting blend of exhibition practices. While seemingly choreographing Norwegian nature, selecting exemplary sequences for motor-tourists to view, the project actually curates nature, architecture and the road itself, conceived within an economically motivated, national strategy.» nt. id. p.179 156

à-dire dans le paysage, les routes et l’architecture. En réalité, le paysage est le contenu principal du musée. Il est l’œuvre d’art auquel le musée rend hommage. Aussi, le réseau entier rendrait hommage à 18 œuvres différentes, à 18 artistes peutêtre? Mais à côté de ce contenu principal, éminemment naturel, on trouve deux artefacts qui sont les outils de perception du paysage, des outils de présentation (display) des œuvres. Le premier de ces artefacts, c’est la route, dont l’expérience esthétique repose sur le mouvement des vues ordinaires «dans le cadre changeant et glissant de la fenêtre de la voiture»227. C’est le même rapport cinétique au paysage qu’évoque William Gilpin dans ses Observations on the River Wye et qui a nourri la littérature du voyage. Il rejoint aussi et rappelle le rapport péripatéticien au paysage qu’établissent le Corridoio de Florence et le couloir de Louisiana.

Les vues de la Wye, […] sont […] extrêmement variées, […] d’abord, par le contraste des masques (screens): quelquefois l’un des masques latéraux est élevé, d’autres fois c’est l’autre, et parfois c’est le frontal ; ou bien les deux écrans latéraux sont élevés, et celui au-devant bas ou haut. De même, elles sont variées par le pli des masques latéraux les uns sur les autres, et cachent plus ou moins le devant. Quand rien de ce qui est devant ne nous est dévoilé, les plis latéraux soit s’enroulent, comme un amphithéâtre, soit deviennent une longue étendue en perspective.228 Le deuxième contenu du musée réside dans les installations, ces événements architecturaux qui ponctuent l’itinéraire. Ils sont des points d’arrêt, où l’automobiliste devient observateur immobile. L’architecture est ici un moyen de médiation avec le paysage. Dans cette situation, c’est l’architecture qui cadre les vues et non plus la fenêtre de la voiture. Car, faut-il le rappeler, l’ambition du «projet Nasjonale Turistvegar ne réside 227. «In the shifting and sliding frames of the car window.» nt. id. p.188 228. «The views on the Wye, […] are […] exceedingly varied, […] first, by the contrast of the screens: sometimes one of the side-screens is elevated, sometimes the other, and sometimes the front: or both the side-screens may be lofty, and the front either high or low. Again, they are varied by the folding of the side-screens over each other, and hiding more or less of the front. When none of the front is discovered, the folding side either winds round, like an amphitheatre, or it becomes a long reach of perspective’. nt. GILPIN, William, Observations on the river Wye, p.26 cité in KAMPEVOLD LARSEN, Janike, op.cit. p.188, note 37 157


pas principalement dans la reconstruction ou la maintenance des routes – bien qu’une certaine mise à niveau ou une forme de restauration ait lieu à un certain degré – mais plus intensément dans les structures architecturales construites le long des itinéraires.» 229 Aussi, le programme construit des points de vue, des aires de repos, des parkings, des embarcadères et des centres d’accueil pour les touristes qui ponctuent de haltes l’ensemble de l’itinéraire. Aussi, les deux perceptions se complètent. «Alors que les cadrages élaborés des installations créent une illusion – le spectacle organisé de la nature – la fluctuation des vues de la fenêtre de la voiture procure une expérience individualisée du même territoire.»230 Ce qu’il faut retenir ici, c’est que l’infrastructure (le couloir) et l’architecture (les événements), là où ils nous semblaient avoir été évacués par l’art in situ, sont de nouveau nécessaires comme outil de médiation entre le visiteur et le contenu du musée. On a déjà dit ici qu’en «cherchant à trouver de nouveaux paramètres qui nous permettent de dire ce qu’est l’art, les artistes du Land Art ont produit de nouveaux objets. Sortir des musées et des galeries, c’est d’une certaine façon aussi vouloir réinterpréter l’art. Mais sortir de ces espaces, c’est aussi les prolonger.» 231 C’est exactement ce qui semble s’être produit en Norvège. En cherchant à trouver de nouveaux paramètres pour observer et percevoir le paysage, les routes touristiques de Norvège, comme les routes alpines et les parkways avant elles, ont produit de nouveaux objets d’art : le territoire, la route et l’architecture y sont esthétisées. Mais elles ont aussi eu pour conséquence de dessiner de nouvelles limites à ce qui peut être aujourd’hui considéré comme un unique musée-territoire, un musée hors-le-centre à l’échelle de la Norvège. C’est en cela que le projet des Nasjonale Turistvegar, les routes nationales touristiques de Norvège, constituent à 229. «Tourist Route Project’s focus is not mainly on reconstruction or maintenance of these scenic byways, although upgrading and even restoration takes place to a certain degree, but more intensely on the architectural structures built along the routes. The TRP organizes architectural competitions for pullout points, lay-bys, view points, parking spaces, ferry quays and visitor centres, and the selection process is based on artistic, architectural and planning value.» nt. KAMPEVOLD LARSEN, Janike, op.cit. p.179 230. «While the installations’ advanced framing devices create an illusion – a staged spectacle of nature – the fluctuation of views from the car window provides an individualized experience of the same area.» ibid. 231. TIBERGHIEN, Gilles, op.cit, p.20 158

22- Peter Zumthor, Mémorial de Steilneset , Vardø (NO), 2012 photographies Viggo Johansen

L’architecte suisse a conçu, en collaboration avec l’artiste Louise Bourgeois, un monument à la mémoire des 91 victimes de procès en sorcellerie qui périrent dans la région du Finnmark entre 1588 et 1692.


nos yeux un héritier à part entière du musée Louisiana. Si, tous les deux semblent a priori distants dans leurs enjeux, dans les questions qu’ils soulèvent, nous avons vu ici que l’exemple norvégien gagne à être lu, analysé ou compris comme une transposition à une échelle différente d’une idée que Louisiana aurait préalablement développée, celle d’un couloir avec vue. Et, de toute évidence, le musée d’Humlebæk gagne lui aussi à être comparé à d’autres projets qui s’y apparentent pour montrer que dans des situations paradoxalement assez différentes, la force de son concept originel — i.e. la poursuite d’un udvej — n’est pas entamée et que, bien plus encore, elle est s’enrichit en vigueur et en pertinence.

.UDVEJ LOUISIANA:

UN MUSÉE HORS-LE-CENTRE Aussi, dans une première partie, nous avons interrogé le contexte architectural et culturel nordique de la conception de Louisiana. Nous avons vu à quel point celui-ci était dominé par une quête presque obsessionnelle d’un udvej, une route vers la périphérie, la déconnexion ou la retraite hors-le-centre. Cela nous a permis d’esquisser une généalogie de la forme de couloir avec vue telle qu’elle se développe à Louisiana, de voir en quoi elle était, dans une certaine mesure, comme déterminée par son contexte culturel. Puis, dans une seconde partie, nous avons montré en quoi le parti architectural adopté à Louisiana fait écho à cette recherche de la périphérie. Nous avons rapproché ce parti et les formes spatiales qui en résultent d’autres exemples de musées, afin d’en dégager des liens de parenté, ou, si l’on veut, de cousinage. Nous avons montré en quoi Louisiana est un musée-couloir et comment cela l’apparente au Corridoio Vasariano, puis en quoi il est aussi un musée-paysage dans le sillage du frilandsmuseet nordique et des musées de sculpture en plein air des années 1950. Enfin, la troisième partie nous a conduit à nous intéresser à sa postérité et à l’héritage qu’il lègue au contexte architectural nordique. Nous avons donc vu en quoi sa très positive réception par le public et sa fortune critique n’ont pas réellement fait de lui un cas d’école dans la conception des musées d’art du Nord. Ce constat à l’appui, nous avons cherché à élargir le champ d’investigation à d’autres projets nordiques qui, comme le programme Nasjonale Turistvegar répond au thème de l’udvej et du couloir avec vue de Louisiana. À travers l’étude de cet exemple, nous avons montré comment ce thème s’est développé et enrichi au cours des quarante années qui séparent l’ouverture de Louisiana du lancement du programme norvégien, et en quoi les routes touristiques elles-mêmes peuvent être rapprochées de l’idée d’un musée d’art hors-le-centre. Ainsi, l’étude de Louisiana nous a montré que, malgré tout, il est existe aujourd’hui des musées non-urbains qui ne sont pas nécessairement marginaux. Un musée d’art horsle-centre, comme l’a été Louisiana en son temps, est bien évidemment aujourd’hui encore possible, pour peu que l’on accepte de voir l’idée de musée reformulée ou, tout simplement, renouvelée. L’exemple de Louisiana nous avait donné la 161


preuve que cela s’était fait par le passé. Celui des Nasjonale Turisvegar nous montre que nous pouvons encore aujourd’hui concevoir de tels musées dans une périphérie mythique ou bien réelle. Néanmoins, l’exemple de Louisiana nous enseigne que l’on n’échappe à la marginalité ou à l’anonymat qu’à travers une articulation intelligente des échelles de la question de la périphérie. Ce qui a fait le succès du musée de Humlebæk, c’est que son implantation géographique et territoriale, son architecture, et l’expérience qui est proposée aux visiteurs, toutes les trois expriment parallèlement et démontrent à l’unisson et avec une rare pertinence le potentiel de la périphérie, considéré ici sous l’angle de la distance à l’ordre établi qu’il autorise. Le potentiel ne semble aujourd’hui pas encore s’être assèché, en témoigne la surprenante vitalité et la fraîcheur de Louisiana. Après cinquante-cinq ans de fonctionnement, il attire toujours les foules, et le spectacle continuellement renouvelé des expositions dans le musée et des saisons dans le parc, forge le même rêve chez chacun de ses visiteurs, celui d’un jour pouvoir revenir à Lousiana. Ce travail contribue ainsi à alimenter la littérature consacrée au musée d’Humlebæk. La particularité de notre approche réside néanmoins dans l’attention à la généalogie et à la filiation du musée et dans les rapprochements que nous faisons ici avec des projets comme le Couloir de Vasari, le Frilandsmuseet de Kongens Lyngby ou le programme norvégien des routes nationales touristiques. À notre connaissance, cela n’avait jamais été fait à ce jour. Malgré tout, nous sommes conscient que ce travail aurait pu élargir le champ d’investigation à l’étude d’une postérité ou d’une parenté avec des musées dans d’autres pays. Il est vrai, en effet, qu’un parallèle serait à faire avec la Fondation Maeght de Saint-Paul-de-Vence ou, plus encore, avec le musée Kröller-Müller d’Otterlo tant l’extension que construit Wim Quist entre 1970 et 1977 offre de très grandes similitudes avec le musée Louisiana. De nombreux autres parallèles pourraient être faits, avec le Dia:Beacon près de New York, la Fondation Insel Hombroich près de Düsseldorf, la Fondation La Congiunta dans le Tessin, etc. Néanmoins, dans la recherche de postérité, nous avons choisi de nous limiter à un champ d’investigation exclusivement nordique. Cela nous semblait davantage convenir au format de ce travail et à ses enjeux. Nous laissons donc à un travail à venir le soin de dresser ces parallèles qui, nous en sommes convaincus, soulèverons de très intéressantes questions. 162


.ANNEXES I. BIBLIOGRAPHIE II. ICONOGRAPHIE III.REPÈRES GÉOGRAPHIQUES ET CHRONOLOGIQUES IV.FICHES TECHNIQUES DES PROJETS ARCHITECTURAUX REMERCIEMENTS


I.BIBLIOGRAPHIE PAR THÈME PUIS PAR ORDRE ALPHABÉTIQUE I.LOUISIANA I. 1. SOURCES PRIMAIRES -BO, Jørgen, 1958, cité in PARDEY, John, Louisiana and beyond, the work of Vilhelm Wohlert, Hellerup, Bløndal, 2007 -JENSEN, Knud, Louisiana, the collections and buildings, Humlebæk, non daté, cité in BRAWNE, Michael, Jørgen Bo, Vilhelm Wohlert, Louisiana Museum, Humlebæk, Berlin, Ernst Wasmuth Verlag, 1993, -PRIP-BUUS, Mogens, 1958, cité in PARDEY, John, Louisiana and beyond -WOHLERT, Vilhelm, cité in PARDEY, John, Louisiana and beyond -WOHLERT, Vilhelm, Louisiana – Memories of Working Together – à l’occasion du 80e anniversaire de Knud W. Jensen, 1996 cité in PARDEY, John, Louisiana and beyond I.2. SOURCES SECONDAIRES -ALLEGRET, Laurence, “Musée d’art moderne Louisiana, Humlebæk, 1982”, in Les musées, Paris/Milan, Electa, 1987 (anthologie) -BRAWNE, Michael (texte) & FREDERIKSEN, Jens (photographies), Jørgen Bo, Vilhelm Wohlert, Louisiana Museum, Humlebæk, Tübingen / Berlin, Ernst Wasmuth Verlag, 1993 (monographie) -DIXON, John Morris, «Art inhabiting Nature : additions to Louisiana Museum, Humlebæk, Denmark» in Progressive architecture, Août 1983, pp. 82-87 (article) 167


-FRAMPTON, Kenneth (dir.), World Architecture, a critical mosaic, 1900-2000, Vol. 3 Northern Europe Central Europe Western Europe, Vienne / New York, Springer Verlag, 1999 (anthologie)

-ANDERSEN, Michael Asgaard (dir.), Nordic Architects Write, A documentary anthology, Oxon/New York, Routledge, 2008 (anthologie)

-PARDEY, John, Louisiana and beyond, the work of Vilhelm Wohlert, Hellerup, Bløndal, 2007 (monographie)

-FABER, Tobias, Danish architecture, Copenhague, Det Danske Selskab, 1963 (essai)

-REGNIER, Thomas, «Louisiana, l’art face à la mer», in Revue des deux mondes, dossier «Le retour des musées», Paris, Juin 2006 (article)

-FJELD, Per Olaf, Sverre Fehn, the pattern of thoughts, New York, The Monacelli Press, 2009,

-«L’œil de l’architecte vous montre – au Danemark – un musée vraiment vivant», pp.54-59, in L’œil, octobre 1959, n°58 (article) II.NORDEN II.1. INFORMATIONS GÉNÉRALES - HETTNE, Björn, SÖRLIN, Sverker & ØSTERGÅRD, Uffe, Den globala nationalismen, Nationalstatens historia och framtid (le nationalisme global, histoire et futur de l’État-nation), Stockholm, SNS, 1998 -THIESSE, Anne-Marie, La création des identités nationales, Europe XVIIIe – XXe siècle, Paris, Seuil, 1999 (essai) - THIESSE, Anne-Marie, Esthétiques nationales, intervention au colloque Le Nord, un mythe artistique, musical et littéraire, Paris, Musée d’Orsay, 30 Mars 2012 -«Nordic cultural policy : special issue», in International journal of cultural policy – centre for the study of cultural policy, n°1, Février 2008 (article) -Nordic Statistical Yearbook 2010, Copenhague, Norden, 2010 (rapport) -Statistical Yearbook 2010, Statistics Denmark, Copenhague, 2010 (rapport)

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II.2. CONTEXTE ARCHITECTURAL NORDIQUE:

-HARLANG, Christoffer, «Negotiating with the surrounding society», in ANDERSEN, Michael Asgaard (dir.), Nordic Architects Write -HELSING ALMAAS, Ingerid (dir.), Made in Norway, Norwegian architecture today, Basel / Oslo, Birkhäuser / Arkitektur N, 2010 -JØRGENSEN, Karsten & STABEL, Vilde, Contemporary landscape architecture in Norway, Oslo, Gyldendal, 2010 -LUND, Nils-Ole, Nordic Architecture, Copenhague, Arkitektens Forlag / The Danish Architectural Press, 2008 -MAGROU, Rafaël, «L’architecture durable en Norvège: une posture naturelle!?», in Art Nord, la revue de l’actualité artistique nordique et balte, n°10 (La nature observée), Paris (essai) -MÅRALD, Erland & NORDLUND, Christer, «L’environnement nordique : du mythe à la réalité», in Art Nord (article) -NIKULA, Riitta, Construire avec le paysage, le modèle finlandais, Helsinki, Editions Otava, 1993 (essai) - NORBERG-SCHULZ, Christian, Nightlands, Nordic building, Cambridge (Mass.), MIT Press, 1996 (essai) -TOSTRUP, Elisabeth, “Norwegian introduction” in ANDERSEN, Michael Asgaard (dir.), Nordic Architects Write 169


III.THÉORIES NORDIQUES -ANDERSEN, Michael Asgaard (dir.), Nordic Architects Write, A documentary anthology, Oxon/New York, Routledge, 2008 (anthologie) -FISKER, Kay, «The moral of functionalism» (1947) in ANDERSEN, Michael Asgaard (dir.), Nordic Architects Write (article) -KNUTSEN, Knut, «People in focus» (1961) in ANDERSEN, Michael Asgaard (dir.), Nordic Architects Write (article) -NORBEG-SCULZ, Christian, L’art du lieu, Architecture et paysage, permanence et mutations (1996), Paris, Le Moniteur, 1997 (traduction de l’italien: Anne Guglielmetti) (essai) -NORBERG-SCHULZ, Christian, “Order and Variation in the Environment” (1966, traduction Margo Øhrn), in ANDERSEN, Michael Asgaard (dir.), Nordic Architects Write (article) -NORBERG-SCHULZ, Christian, Genius Loci, paysage, ambiance, architecture (1979), Bruxelles, Mardaga, 1981 (traduction SEYLER, Odile) (essai) - NORBERG-SCHULZ, Christian, Nightlands, Nordic building, Cambridge (Mass.), MIT Press, 1996 (essai) - NORBERG-SCHULZ, Christian, The Henie Onstad Art Centre, Turin, Skira, 2008 (essai) -RASMUSSEN, Steen Eiler, Découvrir l’architecture, Experiencing architecture (1959), Paris, Editions du Linteau, 2002 (traduction Mathilde Bellaigue) (essai) -RASMUSSEN, Steen Eiler, Villes et architectures, un essai d’architecture urbaine par le texte et l’image (1949), Paris, L’Equerre, 1984 (traduction Maya Surduts) (essai)

IV.MUSÉES IV.1. COULOIR DE VASARI -CONFORTI, Claudia, Giorgio Vasari architetto, Milan, Electa, 1993 (traduction J.P. Fuda) -CORBOZ, André, «La Ville sur deux niveaux: esquisse d’une archéologie du bel étage», traduction de l’essai «Die zweischichtige Stadt. Zur Archëologie des Piano Nobile. The City on Two Levels. On the Archeology of the Piano Nobile», Daidalos, 49, 15 décembre 1991 (texte remanié) in Le territoire comme palimpseste et autres essais, Paris, Éditions de l’Imprimeur, 2001, -SATKOWSKI, Leon, Giorgio Vasari, architect and courtier, Princeton, Princeton University Press, 1993, IV.2. MUSÉE D’ETHNOGRAPHIE EN PLEIN AIR -HAZELIUS, Artur, Sommarbilder från Skansen, Stockholm, H.W. Tullberg, 1901 -LINDBLOM, Andreas (dir.), Skansen, bâtiments et animaux, guide pour les visiteurs, Stockholm, Nordiska Museet, 1948, introduction -PERRIN, Richard, Outdoor Museums, Milwaukee, Milwaukee Public Museum, 1975, -SEGALEN, Martine, Vie d’un musée, 1937-2005, Paris, Stock, 2005, IV.3. MUSÉE DE SCULPTURE EN PLEIN AIR -JOOSTEN, Ellen & VAN DER WOUD, Auke, Le KröllerMüller, un musée dans la nature, Otterlo, Rijksmuseum Kröller-Müller, 1993 -OXENAAR, Rudolf, in SHIKANAI, Nobutaka, The Hakone open-air museum, Kanagawa, Hakone-Machi, 1979 -OXENAAR, Rudolf, Kröller-Müller, the first hundred years, Haarlem, Joh. Enschedé, 1989 -PAS, Johan, The Middleheim museum, Amsterdam, Ludion, 2010

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-QUIST, Wim (dir.), Rijksmuseum Kröller-Müller: extension 1970-77, Otterlo, Rijksmuseum Kröller-Müller, 1978 IV.4. MUSÉE-PAYSAGE -BIRKSTED, Jan K., Modernism and the Mediterranean, The Maeght Foundation, Hants / Burlington, Ashgate, 2004 (essai) -DELARGE, Alexandre & HILAIRE, Philippe, «Musée et paysages : une introduction», in DAVALLON, Jean (dir.), Publics et musées, revue internationale de muséologie, n°10, Juillet-Décembre 1996 (dossier musée et paysages) __ -«Exhibition & Museum Attendance Figures 2010» in The Art Newspaper, n°223, Avril 2011

V.ROUTES TOURISTIQUES V.1. NASJONALE TURISTVEGAR -BERRE, Nina (éditeur scientifique), Omveg, Detour, arkitektur og design langs 18 nasjonale turistvegar, architecture and design along 18 nationale tourist route, Oslo, Statens vegvesen, Nasjonale Turistvegar, 2007 (et 2010: http://www.nasjonaleturistveger.no/en)

-SIMENC, Christian, «Contempler la Norvège autrement. Projet Détour», in Art Nord V.2. ROUTES ET PARKWAYS -BARTHES, Roland, «Le Guide Bleu», in Mythologies, Paris, Seuil, 1957 (essai) -DAVIS, Timothy, «The rise and Decline of the American Parkway», in MAUCH, Christof & ZELLER, Thomas (dir.), The World Beyond the Windshield: Roads and landscape in the United States and Europe, Athens, Ohio University Press, 2008, -MICHEL, Franck, Routes, éloge de l’autonomadie, une anthropologie du voyage, du nomadisme et de l’autonomie, Québec, Presses de l’Université Laval, 2009 -ZELLER, Thomas, «Staging the driving experience: parkways in Germany and the United States», in HVATTUM, Mari (dir.), Routes, Roads and Landscape VI.NATURE ET PAYSAGE -BALLANTYNE, Andrew (dir.), Rural and Urban: Architecture between Two Cultures, Oxon/New York, Routledge, 2010 (actes de colloque)

-ELLEFSEN, Karl Otto, «Detourned infrastructure: the architecture of the National Tourist Routes», in BERRE, Nina (dir.), Detour, 2010

-GARRAUD, Colette, L’artiste contemporain et la nature, parcs et paysages européens, Paris, Hazan, 2007 (essai)

-HVATTUM, Mari, BRENNA, Brita, ELVEBAKK, Beate & KAMPEVOLD LARSEN, Janike (ed.), Routes, Roads and Landscapes, Farnham (GB), Ashgate, 2011 (actes de colloque)

-KIMMEL, Laurence, L’architecture comme paysage, Álvaro Siza, Paris, Petra, 2010, p.15

-KAMPEVOLD LARSEN, Janike, «Curating Views: the Norwegian Tourist Route Project», in HVATTUM, Mari (dir.), Detour. 172

-RAMSTAD, Reiulf D. (dir.), Reiulf Ramstad Architects, 58 projects/58 prosjekter, Oslo, RRA, 2009 (monographie)

-LUCAN Jacques, «L’invention du paysage architectural, ou la vision péripatéticienne de l’architecture», in Matières, Lausanne: Presse polytechniques et Universitaires romandes, 1998 (article)

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-MULLENDER, Jacques (dir.), Traverses, Revue trimestrielle du Centre de Création Industrielle, Centre Pompidou, n°19, «Le désert», Paris, Juin 1980 (revue) -ROGER, Alain, Nus et paysages. Essai sur la fonction de l’art, Paris, Aubier, 1978 (essai) -TIBERGHIEN, Gilles, Land Art, Paris, Editions Carré, 1993 (essai)

VII.AUTRES VII.1. NOUVEL EMPIRISME -PEVSNER, Nikolaus & AITCHISON, Mathew (ed.), Visual Planning and the Picturesque, Los Angeles, The Getty Research Institute, 2010

VII.3. OUVRAGES GÉNÉRAUX - DICTIONNAIRES -LITTRÉ, Emile, Dictionnaire de la langue française, 1863 -PÉROUSE DE MONTCLOS, Jean-Marie, Architecture, méthode et vocabulaire, Paris, Editions du Patrimoine, 1972, -STEVENS CURL, James, a Dictionary of Architecture and Landscape Architecture, Oxford, Oxford University Press, 2000 -”État nation” in www.unesco.org/shs/migration/glossary, (05/06/2011) (article) ____

-GREGORY, Robert, «Heroism versus empiricism» in The Architectural Review, Janvier 2000 (article)

-DELEUZE, Gilles, «Ce que les enfants disent», Critique et clinique, Paris, Editions de Minuit, 1991

-TARICAT, Jean, «Du pittoresque moderne au nouveau brutalisme», in Marnes, documents d’architecture, vol.1, Paris, 2011 (article)

-MERLINI, Luca, Les Habitants de la Lune, Paris, Sens & Tonka, 1999.

-«New Empiricism, Sweden’s latest style», in The architectural Review, Volume CI, Number 606, Westminster/London, Juin 1947 (article) -«The New Empiricism» in The architectural Review, Volume CIII, Number 613, Westminster/London, January 1948 (dossier)

-NOUVEL, Jean, Manifeste de Louisiana, Humlebæk, Louisiana Museum of Modern Art, 2005 -ROUSSEAU, Jean-Jacques, Les Confessions, Paris, Cazin, 1782 -ZOLA, Emile, L’assommoir, Charpentier, Paris, 1877

VII.2. JACK HILLMER -«All Natural, Jack Hillmer likes his wood raw and his spaces spare», in WEINSTEIN, Dave (texte) & SVENDSEN, Linda (photographies), Signature architects of the San Francisco Bay area, Salt Lake City, Gibbs Smith, 2006 (article) -”Jack Hillmer”, in HESS, Alan (texte) & WEINTRAUB, Alan (photographies), Forgotten modern: California houses 1940-1970, Layton (Utah), Gibbs Smith, 2007 (article) 174

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II.ICONOGRAPHIE INTRODUCTION 3, 5- Jesper Høm source: PARDEY, John, Louisiana and beyond, the work of Vilhelm Wohlert, Hellerup, Bløndal, 2007 4- Bo & Wohlert arch. source: PARDEY, John, op.cit. 6- photographie de l’auteur

PREMIÈRE PARTIE 1- Nordic Statistical Yearbook 2010, Copenhague, Norden, 2010 2- source: NORBERG-SCHULTZ, Christian, Nightlands, Nordic Building, Cambridge, MIT Press, 1996 3- openstreemap 11/06/2012 4,8- bing maps 11/06/2012) 5- photographie Steen Elm source: flickr 11/06/2012 6,7,9,17- photographie de l’auteur 11- source: Art Nord n°10, 2010, 12,13,14- source: wikipedia 11/06/2011 15- photographie Katja Hagelstam source: TOIVONEN, Roosa (dir.), Helsinki heart and soul, Helsinki, WSOY, 2008 16- source: FABER, Tobias, Danish architecture, Copenhague, Det Danske Selskab, 1963. 18- photographie Kim Høltermand source: www.holtermand.dk 19- photographie C.G. Rosenberg source: CALDENBY, Claes, Sweden, 20th-century architecture, Munich, Prestel, 1998. 20-photographie Gustaf W. Cronquist source: wikipedia 11/06/2011 21,22- photographie Gustav Welin source: PALLASMAA, Juhani (dir.), Alvar Aalto, through the eyes of Shigeru Ban, Londres, Black Dog, 2007 23- source: The Architectural Review, 1947

TROISIÈME PARTIE 1,9,10,11b- photographies de l’auteur 2a- source: www.louisiana.dk 2b,3,4- source: Louisiana Revy, op.cit. 5- source: www.hok.no 6a,c,d- photographie J.S. Pruiti source: flickr 6b- photographie Frank Rafik source: flickr 7a- photographie Jan de Bree source: flickr 7b- photographie Sandra Anderson source: flickr 8a- photographie Davide Devisdomini source: flickr 8b- source: musée Kiasma 8c- photgraphie Todd Bender source: flickr 11a- photographie Jesper Høm source: PARDEY, John, op.cit. 12,13,15a- source: FJELD, Per Olaf, Sverre Fehn, the pattern of thoughts,New York, The Monacelli Press, 2009 14,15b- maquette, Sverre Fehn architecte & Teigen source: NORBERGSCHULTZ, Christian, Sverre Fehn, Works, Projects, Writings, 1949-1996, New York, The Monacelli Press, 1997 15c- photographie T. Solvang (source: NORBERG-SCHULTZ, Christian, Sverre Fehn) 16- source: SCHMITHALS, Hans, Die Deutsch Alpenstraße, Berlin, 1936, in HVATTUM, Mari (dir.), Routes, Roads and Landscapes, Farnham, Ashgate, 2011 18- Norwegian Public Roads Administration source: HVATTUM, Mari (dir.), op.cit. 20- source: BERRE, Nina, Detour 21- photographie Jarle Væhler / Statens vegvesen source: Art Nord 22- photographie Viggo Johansen source: flickr

DEUXIÈME PARTIE 1- Luca Merlini source: MERLINI Luca, Les Habitants de la Lune. 2,20a- photographie Jesper Høm source: PARDEY, John, op.cit. 3,5,6,8,9,10,14a,b,15- photographies de l’auteur 4a,b- source: SERRAINO, Pierluigi, NorCalMod, icons of Northern California Modern Architecture, San Francisco, Chronicle Books, 2006 4c- photographie Little Miss Go Go source flickr 7,20b-Bo & Wohlert arch. source: PARDEY, John, op.cit. 11-source: SATKOWSKI, Leon, Studies on Vasari’s architecture, New York, Garland, 1979 12,13- photographie Delphine Hemmer 14c-d- source: Louisiana Revy, n°3, juin 1998 16- source: «Skansen, bâtiments et animaux», Stockholm, 1948 17- source: HAZELIUS, Artur, Sommarbilder från Skansen, Stockholm, Utgifna, 1901 18a- photographie J. Ulli source: flickr 18b- photographie R. Zama source: flickr 19- source: mamaisondepapier.be 176

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III.REPÈRES GÉOGRAPHIQUES ET CHRONOLOGIQUES III.1. LOUISIANA 1940-60 III.2. LOUISIANA : GÉNÉALOGIE ET FILIATION 1860-2010 III.3. LES MUSÉES APPARENTÉS par ordre chronologique. Les musées dont le nom est précédé d’un astérisque ne sont pas des musées d’art) -Cortile del Belvedere, Palais du Vatican, Rome (IT), Donato Bramante arch., 1506 -Corridoio Vasariano, Florence (IT), Giorgio Vasari arch., 1565 -Galerie du Bord de l’eau, Palais du Louvre, Paris (FR), Jacques II Androuet du Cerceau arch. (dir.), 1594 -*Skansen, Stockholm (SE), 1891 -*Kongens Lyngby, Copenhague (DK), 1897 -Musée Kröller-Müller I, Otterlo (NE), Henri Van de Velde arch., 1938 -Parc Sonsbeek, Arnhem (NE), 1949-Musée de sculpture en plein air Middleheim, Anvers (BE), 1950 -Louisiana I, Humlebæk près de Copenhague (DK), Wilhelm Wohlert & Jørgen Bo arch., 1958 -Fondation Maeght, Saint-Paul-de-Vence (FR), Josep Lluís Sert arch., 1964 -Musée en plein air Hakone, Hakone près de Kanagawa (JP), 1969 -Musée Kröller-Müller II, Otterlo (NE), Wim Quist arch., 1977 -Insel Hombroich, Neuss-Holzheim près de Dusseldorf (DE), Erwin Heerich art. & Hermann Müller arch., 1982-84 -Benesse Art Site Naoshima, Ile de Naoshima (JP), Tadao Ando arch., 1992 -La Congiunta, Giornico (CH), Peter Märkli, 1992 -*Nasjonale Turistveger (NO), 1994-2012 -Miho Museum, Shigaraki (près de Kyoto) (JP), Ieoh Ming Pei arch., 1997 -Dia:Beacon, Riggio Galleries, Beacon (NY), Robert Irwin art. & OpenOffice arch., 2003 -Musée Liaunig, Neuhaus (AU), Querkraft arch., 2008 -*Grace Farms Foundation, New Canaan (CT), SANAA (Kazuyo Sejima & Ryue Nishizawa) arch., en projet -Musée Guggenheim Urdaibai, Île Txatxarramendi, Sukarrieta près de Bilbao (ES), en projet

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IV.FICHES TECHNIQUES PROJETS ARCHITECTURAUX II.1LOUISIANA

II.2NASJONALE TURISTVEGAR

Situation: Humlebæk, commune de Fredensborg, Danemark Phases de construction: -1855 (manoir) -1958 (aile nord en prolongement) -1966 (galerie d’expositions temporaires de l’aile nord) -1971 (agrandissement de la galerie d’expositions temporaires de l’aile nord) -1976 (auditorium) -1982 (aile sud) -1991 (galerie souterraine) -1998 (librairie) Architectes: (1958-1991) BO, Jørgen (1919-1999, architecte danois) & WOLHERT, Vilhelm (1920-2007, architecte danois) Paysagistes: -(1958-1987) NØRGAARD, Ole & Edith (paysagistes) -(1987-2009) NORGAARD, Lea (1952-, paysagiste danoise) & HOLSCHER, Vibeke (1948-, paysagiste danoise) Maître d’ouvrage: -JENSEN, Knud W. (1916-2000, industriel et collectionneur d’art danois)

Situation: Nom

Comté

Entre…

Et…

Distance

Livr.

Varanger Havøysund Senja Andøya Lofoten Helgelandskysten Nord Helgelandskysten Sør Atlanterhavsvegen

Finnmark Finnmark Troms Nordland Nordland Nordland Nordland Møre og Romsdal Møre og Romsdal Sogn og Fjordane / Oppland Sogn og Fjordane / Oppland Sogn og Fjordane Sogn og Fjordane Hordaland

Gornitak Kokelv Gryllefjord Bjørnskinn Melbu Stokkvågen Vennesund Kjeksa

Hamningberg Havøysund Botnhamn Andenes Å Storvika Alstadhaug Utheaim

154 66 84 58 166 129 94 36

2011 2009 2012 2013 2007 2005 2015 2009

Langevatn

Sogge bru

106

2008

Grotli

Ospeli

27

2003

Lom

Gaupne

108

2003

Dragsvik

Holsen

84

2011

Aurlandsvangen

Lærdalsøyri

47

2008

Halne / Utne

120

2007

Rogaland Rogaland Oppland Hedmark

Oanes Ogna Garli Atnbrua

Steinsdals-fossen / Jondal Håra Søyland Besstrondsæter Folldal

182 41 37 42 1581 km

2010 2014 2010 2009

Geiranger - Trollstigen Gamle Strynefjellsveg Sognefjellet Gaularfjellet Aurlandsfjellet Hardanger Ryfylke Jæren Valdresflye Rondane TOTAL


Maître d’ouvrage: Statens Vegvesen (l’administration norvégienne des routes publiques) Historique: -1994: l’administration norvégienne des routes publiques (Statens Vegvesen) lance le projetpilote «Reiselivsprosjektet» sur les territoires de Sognefjellsvegen, Gamle Strynefjell, Hardanger et Helgelandskysten Nord. -1997: Sognefjellsvegen, Gamle Strynefjell, Hardanger et Helgelandskysten Nord obtiennent le statut de Routes Nationales Touristiques. -1998: Le Parlement norvégien décide d’étendre le développement du réseau des routes nationales touristiques sur d’autres territoires. -1999: La Statens Vegvesen lance un appel à candidature à destination des municipalités, collectivités territoriales et organisations touristiques pour lequel elle recevra 52 propositions. -2004: Après un examen détaillé des candidatures, la Statens Vegvesen sélectionne 18 routes. Les objectifs du programme sont précisés et comportent maintenant des impératifs d’attractivité et d’excellence. -2006: L’exposition «Détour – architecture et design le long des routes nationales touristiques» ouvre à Oslo. Elle préfigure l’exposition qui voyagera par la suite dans de nombreux pays. -2007: Lofoten acquiert le statut de route nationale touristique. -2008: Rondane acquiert le statut de route nationale touristique. -2009. Mise en place d’un programme national de marketing des routes nationales touristiques.

Liste des projets architecturaux et paysagers: Route

Localité

Programme

Maître d’œuvre

Varanger

Gornitak

Aire de repos et sanitaires Mémorial des victimes des procès en sorcellerie

(arch) Margrete Friis, (pays.) Berg & Dyring (arch) Peter Zumthor, (art.) Louise Bourgeois

Aire de repos, sanitaires et chemin de randonnée

(arch) PUSHAK arkitekter (Langeland, Drage kleiva, Melbye og Gromholt)

2006

Aire de repos et abri Tungeneset Aire de repos avec point de vue Husøya Observatoire Grunnfør Maison pour cyclistes Henningsvær Bureau d’information Gimsøystraumen Aire de repos et sanitaires Torvdalshalsen Aire de repos Gårdsvatn Observatoire à oiseaux Eggum Aire de repos, parking et sanitaires

(arch) PUSHAK arkitekter (Langeland, Drage kleiva, Melbye og Gromholt) (arch) Code arkitektur - Marte Danbolt, (pays.) Aurora Landskap v/Anita Veiseth (arch) 70° Nord - Gilse Løkken (arch) 70° Nord - Gilse Løkken

2005

(arch) Jarmund / Vignæs AS

2007

(arch) Jarmund / Vignæs AS

2006

(arch) 70° Nord - Gilse Løkken (arch) 70° Nord - Gilse Løkken

2005 2004

(arch) Snøhetta AS

2007

Akkarvikodden

Aire de repos

2004

Hellåga

Aire de repos et sanitaires Terminal à ferry et aire de services

(pays.) Landskapsfabrikken - Inge Dahlmann (arch) Nordplan AS - Arild Waage, (pays.) Landskapsfabrikken - Inge Dahlmann (pays.) Landskapsfabrikken - Inge Dahlmann

Braset

Point de vue sur le glacier Svartisen

(pays.) Landskapsfabrikken - Inge Dahlmann

2005

Askvågen

Observatoire

2005

Kjeksa

Parking et aire de repos

(arch) 3 RW - Jakob Røssvik, (pays.) Smedsvig (arch) 3 RW - Jakob Røssvik, (pays.) Smedsvig

Stegelneset

Havøysund

Lillefjord

Snefjord Senja

Lofoten

Helgelandskysten Nord

Ågskaret

Atlanterhavsvegen

Livraison 2006

2007

2005

2006 2003

2005


Geiranger Trollstigen

Ørnesvingen

Observatoire

Flydalsjuvet

Observatoire, aire de repos et sanitaires

Trolltigplatået

Gudbrandsjuvet

(arch) 3 RW - Sixten Rahlff, (pays.) Smedsvig, (art.) May Eikås Bjerk (arch) 3 RW - Sixten Rahlff, (pays.) Smedsvig

Parking, aire de repos et sanitaires

(arch) Reiulf Ramstad Arkitekter AS, (pays.) Multiconsult

Observatoire, aire de repos et sanitaires

(arch) Jensen & Skodvin

2006

Ryfylke

Valdresflye

Gamle Videsæterfossen Plateforme Strynefjellsveg d’observation

(arch) Jensen & Skodvin

1997

Sognefjellet

Aire de repos et sanitaires Aire de repos et sanitaires Aire de repos et sanitaires Parking, chemin de randonnée et aire de repos

(arch) Jensen & Skodvin

1997

Observatoire et sanitaires Aire de repos et parking Aire de repos et sanitaires Aire de repos et sanitaires Terminal de ferry

Mefjell

Gaularfjellet

Nedre Oscarshaug Likholefossen

Aurlandsfjellet Stegastein Nalfarhøgda Hardanger

Steinstøberget Hereiane Utne

Parking et chemin de randonnée

(arch) Haga Grov / Helge Schelderup

2006

Ropeid

Terminal de ferry avec aire de services

(arch) Jensen & Skodvin

2004

Allmannajuvet

Parking, aire de (arch) Peter Zumthor repos et de services

2006

Juvet Hôtel panoramique (arch) Jensen & Skodvin AS, (pays.) Landskapshotell Multiconsult

Liasand

Svandalsfossen

(arch) Jensen & Skodvin, (art.) Knut Wold 1997 (arch) Carl-Viggo Hølmebakk

1997

(arch) Nordplan AS - Arild Waage, (pays.) Nordplan

2005

(arch) Todd Saunders / Tommie Wilhelmsen (pays.) Lars Berge og Ziva Jelnika

2006

(arch) Tordis Hoem

1997

(arch) Asplan Viak - Knut Hellås / 3 RW Susanne Pushberger (arch) Kompas AS

2007 2005

Rondane

Vargbakkane

Parking et aire de repos Rjupa Parking et aire de repos Nye Aire de repos et de Vandrerhjemmet services et auberge de jeunesse

(arch) Knut Hjeltnes

2006

(arch) Knut Hjeltnes

2006

Sohlbergplassen Observatoire

(arch) Carl-Viggo Hølmebakk

Straumbu

(arch) Carl-Viggo Hølmebakk

Aire de repos, toilettes et aire de services

(arch) BFS Arkitekter - Petter Aasen / herman Fuglu (pays.) Multiconult AS Bjerne Aasen 2005


REMERCIEMENTS J’aimerais remercier tous ceux qui m’ont aidé de près ou de loin à mener à bien ce travail et, tout particulièrement: Virginie Lefebvre, pour son suivi pendant deux ans, Dominique Rouillard, pour l’opportunité qu’elle m’a donné de poursuivre et d’approfondir ce travail, Fanny Lopez pour les pistes de recherches qu’elle m’a indiquées, Nathalie Chabiland, à qui j’espère avoir transmis l’envie d’aller à Louisiana, le personnel des bibliothèques de Malaquais, de l’INHA, de la Cité de l’architecture et du Musée du Quai Branly Ainsi que Delphine Hemmer, pour ses relectures, son soutien quotidien et ses missions photographiques, Jean-Pierre Fuda, pour ses traductions, Turi Johanna Engloo, pour son œil expert, Maële Gajate, pour m’avoir procuré des documents précieux, Marion Lacas et Jaques Ippoliti, pour m’avoir fait bénéficier de leur bibliothèque, Louis Destombes, pour m’avoir aider à compléter l’inventaire «universel» des musées-paysages Mathieu Gillet, pour m’avoir aider à compléter celui des couloirs avec vue; Sans oublier Nicolas Bien sans qui je ne serais peut-être jamais allé à Copenhague, Mette Johansen et Mikkel Nilsen, qui m’ont fait découvrir Louisiana, Eric et Francine Vergain, mes parents, et ma famille, sans qui je ne serais pas ici aujourd’hui. À tous, j’adresse un grand merci. Sans vous, ce travail n’aurait pas été possible.


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