Bb#13 fevrier 2017

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Bridge- Builder Common Good Forum/Bridge-Builder#11

B-B#13, 2016

. BIEN COMMUN & DIVERSITE . . LA PERSONNE ET LES VALEURS .

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Common Good Forum/Bridge-Builder#11

 

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Common Good Forum/Bridge-Builder#11 P « POURQUOI « BRIDGE-BUILDER » ?

Bridge-Builder est un outil d’interface facilitant la discussion ouverte ou l’expression d’idées. Il reflète la philosophie du Bien commun : une Expérience, un Processus délibératif et éthique ! Il vise à rassembler des Penseurs et Praticiens, afin de favoriser la diffusion de propositions innovantes en matière de gouvernance des biens communs : 1° En facilitant l’échange d’informations et de bonnes pratiques, et en construisant des synergies entre les organisations de la société civile et les décideurs. 2° En valorisant les acteurs et la visibilité des politiques innovantes.

WHY ‘BRIDGE-BUILDER’?

Bridge-Builder is a medium of open discussion or expression of ideas, required by the philosophy of the Common Good: an Experience!…A Deliberative and Ethical Process!
 It brings together Thinkers and Practitioners for Innovative-Commons-Based Solution: 1. To facilitate exchange of informations or best practices, and build synergy between civil society organisations and decision-makers. 2. To raise the profile and the visibility of innovative policy thinking and practices of local actors on the global scene. 3


Common Good Forum/Bridge-Builder #13

EDITORIAL

La pensée du Bien commun - « philosophie de l’altérité » - intègre la relationalité et le sens des expériences. Elle considère les personnes en fonction de leurs capacités à gérer les événements. Elle invite à se montrer sensible au spirituel et à l’intersubjectivité, plutôt qu’à se retrancher derrière des certitudes toutes faites, à d’apparentes vérités voire aux dogmes. Elle aborde ainsi la dignité et la vulnérabilité de la Personne. Celle-ci se situe dans une relation avec : l’Autre, soi-même, la Nature, ou avec une forme de transcendance.

Cette pensée propose aussi une philosophie de la conciliation. La Personne est située dans une certaine temporalité, un récit fait de médiations. Elle est amenée à faire des choix, des allers-retours entre la relation ou l’expérience qui la façonne et la fera évoluer. Son identité n’est pas statique, mais répond à un mouvement. La notion de Personne est importante à envisager, car elle est à la fois un être dynamique qui évolue donc en fonction d’expériences ou d’inter-subjectivités, et une fin en soi qui a priorité sur tout autre intérêt économique ou politique. Elinor Ostrom qui analysait la gouvernance de biens communs par des petites communautés locales, montrait bien à quel point il fallait étudier ce ‘crafting’ : ce processus artisanal et tellement humain de confrontation des choix et de gestion des mécanismes de gestion des changements. La Personne - au-delà du simple individu - est en effet perçue dans ses possibilités et désirs.

Dans cette optique, la notion de Personne nous permet de penser Par le Bien commun, c’est-à-dire en considérant le processus lui-même. Penser la Personne Pour le Bien commun désigne aussi le sens, la finalité, ou encore le bonheur dans la cité. Nous remercions ainsi sincèrement nos contributeurs d’illustrer ici cette philosophie.

Violaine Hacker violaine.hacker@commongoodforum.eu

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Bridge-Builder #13, 2016

. LA PERSONNE & LES VALEURS .

Ce numéro de Bridge-Builder #13 s’inscrit dans la continuité du précédent qui portait sur la notion de Personne et sur les enjeux territoriaux. Celle-ci nous permet de penser à la fois par le Bien commun (le processus), et pour le Bien commun (le sens, la finalité, le bonheur et l’harmonie dans la cité).

La Personne désigne donc un humain que le monde interroge, - en particulier en fonction de quatre relations : la relation au monde matériel et à la Nature; la relation aux autres, aux plans interpersonnel et collectif; la relation à soi : chacun avec lui-même; et enfin, la relation à l’existence, qui se manifeste notamment dans ce que l’on appelle le problème du sens donné à l’existence, ce qui n’apparaît pas aussi clairement, par exemple, chez les animaux.

Ces notions de Personne et d’Individu étaient au centre de la pensée sociologique du XXème siècle où l’on déplorait la montée de l’individualisme. Or Frédéric Coste et Carine Dartiguepeygou nous montre, à partir de références académiques mais aussi d’exemples concrets, qu’il s’agit surtout pour la Personne de pouvoir s’autonomiser pour exister, et qu’elle puisse se situer dans la Relation.

Souvent l’Art nous permet de comprendre ces notions complexes, comme le prouve l’Exposition « Alex » (article de Violaine Hacker et Andrea Zubialde) qui propose une expérience vivante et artistique pour comprendre, par soi-même et de façon pragmatique, cette notion ainsi que les enjeux concrets sous-jacents. La notion de Personne, comprise dans sa complexité et sa capacité à évoluer en se situant dans la relation, s’inscrit aussi dans une conception anthropologique du Droit. Christoph Ebherard nous propose ainsi une analyse du pluralisme juridique, notamment à travers la comparaison interculturelle avec l’Inde.

Cette recherche d’équilibre entre l’utilité sociale commune et le bonheur personnel se retrouve dans les articles de nos praticiens. Sébastien Keiff présente son projet audiovisuel sur le Bhoutan, - un des pays pionnier dans la prise en compte du Bonheur dans ses politiques publiques. Violaine Hacker interroge alors sur le fait que le bonheur puisse avoir une nationalité. Il s’agit ici de réfléchir aussi au mouvement du Buen Vivir, cosmogonie du Bien commun. Enfin, Alexandre Rojey et Virginie Vassil nous présente aussi les différents enjeux abordés en la matière au sein du réseau Think & Do tank Sens+.

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Bridge-Builder #13, 2016

Crédits Photos :
 Hieu Le, Rodion Kutasev, IG:nck_, Blake Richard Veldoorn, Alex Wigan, Alexandre Perotto, Viktor Kakovlev, Olu Eletu, Todd Quackenbush, Thomas Brault, Schlomit Wolf, James Forbes, Harvey Enrile, Joshua Sanchez, Matthew Wiebe, Julia Caesar, Christopher Campbell, Morgan Sessions, Mikael Christenson, London Scout, Joshua Earle, Edan Cohen, Eutah Mizushima, Jordan Mc Queen, Unsplash, picjumbo, stockexchange, pixabay, comp- fight, photopin, morguefile, gratisography.

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Bridge-Builders

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Intellectuels

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Praticiens

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News

Andrea Zubialde, Violaine Hacker, Christoph Ebherard

Carine Dartiguepeygou, Frédéric Coste

Sebastien Keiff, Violaine Hacker, Viriginie Vassil, Alexandre Rojey

L’expérience du Bien commun via l’utilisation des chartes sociales globaleslocales


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PARTICIPANTS Andrea Zubialde

Christoph Ebherard

Frederic Coste

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Carine Dartiguepeygou

Sebastien Keiff

Violaine Hacker

Virginie Vassil

Alexandre Rojey

commongoodforum.eu


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BIEN COMMUN Le Bien commun ne renvoie pas seulement à une finalité, - ce qui reviendrait seulement à penser 'pour' le Bien commun. Cette philosophieEnisa se concentre - penser ‘par’ le Murseli surtout sur le processus de délibération Françoiséthique Flahault Bien commun. Celui-ci doit permettre de gouverner des ressources mises en commun - les biens communs, en conciliant épanouissement de la Personne et utilité sociale au sein de la Communauté.

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BRIDGE-BUILDER COMPRENDRE LA NOTION DE PERSONNE VIA L’ART Par Violaine Hacker & Andrea Zubialde, Initiative Bien commun & Charte de la Terre « ALEX : UN PROJET ARTISTIQUE DEDIE A LA NOTION DE PERSONNE » Exposition proposée par Pauline Bastard, lauréate 2014 du programme Audi Talents Awards Commençons par la fin - ce moment où l’on s’interroge quant à l’intérêt d’une expérience artistique, et quant à l’originalité des moyens envisagés pour

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nous interpeller. L’exposition ALEX représente une occasion originale de réfléchir à l’idée de Personne -– notion centrale dans la pensée du Bien commun. A travers un homme créé de toutes pièces pour exister dans notre société, un processus créatif, d’apparence simple mais pourtant multidimensionnel, propose une interface. Par ce biais, l’artiste instaure une expérience où le vécu d’une pluralité d’acteurs permet au concept philosophique de Personne de prendre vie sous différentes formes. En créant des représentations d’un humain d’apparence anodine, ressort un univers à la fois plausible, bien que construit sur une identité a priori non réelle. Quel sens donner alors à ces récurrentes interprétations du réel et du virtuel ? D’abord, Alex Toddo, personnage a priori imaginaire, est le fruit de la création de plusieurs experts rencontrés par l’artiste via le net. Ceux-ci réunissent des compétences complémentaires, et se montrent surtout engagés à laisser des traces à cette histoire. Un personnage plutôt anodin prend vie dans le corps de François, acteur recruté par Pauline Bastard. Les lieux et actions qui régissent l’expérience Alex ont été pensés par les spécialistes, mais dans le contexte global choisi et proposé par l’artiste. Pauline Bastard a proposé un projet permettant de vivre une expérience, bien que sans trop savoir initialement où cela allait l’amener.


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LA PERSONNE DANS LA PENSEE DU BIEN COMMUN

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Ensuite, cette exposition-miroir a le mérite d’inviter les spectateurs à devenir euxmêmes des acteurs du processus créatif. Libre à eux de comprendre progressivement la réalité de la Personne d’Alex, ou les raisons qui déterminent ce qu’est la Personne. Ils la construisent aussi par la représentation qu'ils s'en font, à partir de l'exposition qui laisse assez de place à l'imagination.

Certes, Alex est inventé et existe en tant qu’acteur, mais aussi en tant que personnage de fiction reçu, de façon sensible, par les visiteurs. Le projet utilise ainsi l’invraisemblance que l’on peut ressentir face à la réalité. En outre, d’autres personnes issues de la vie réelle ont rencontré Alex. Il a alors évolué en fonction des événements et des relations successives. Il agit comme révélateur, et absorbe aussi le sens que chacun souhaite lui conférer : l’artiste, les experts, l’acteur lui-même, ainsi que les spectateurs. En effet, tout se passe comme si le spectateur se situait dans un temps réel, bien qu’un peu différent. Alex est dans un présent continu, et remet en question nos actions déterminées. Un tel processus de création propose une expérience. Il permet de vivre le concept de Personne, et ainsi de se l’approprier.

Photo de l’exposition. Par Pauline Bastard.

! Nous avons participé à l’exposition alors proposée par le Collège des Bernardins (http://www.collegedesbernardins.fr/fr/ evenements-culture/arts-plastiques/programmation-arts-plastiques/alex-un-projetde-pauline-bastard.html)

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Voir les travaux de Pauline Bastard : http://paulinebastard.com Nous avons donc adoré ce projet pour deux raisons : 1° La capacité à proposer une expérience artistique collective et multidimensionnelle ; 2° L’intelligence de proposer une expérience adéquate pour vivre le concept philosophique de Personne.

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1ère raison : Créer une œuvre collective multidimensionnelle Le processus de création collective proposé nous force à apporter une lumière nouvelle sur ce qui fait que nous sommes en société. Nous n’existons pas uniquement en tant que personnes physiques et psychologiques, mais aussi comme identités définies par rapport à une communauté, comme parties de cette société qui doit nous reconnaître pour que nous existions. L'installation de l'exposition transmet via le numérique l’idée même de la « Personne ». Traditionnellement, les pratiques des nouvelles technologies permettent de fabriquer un personnage fictif et fantasmé dans un monde numérique. Alex propose d’expérimenter le chemin inverse : faire entrer un personnage imaginaire dans la vie réelle grâce à tous les


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moyens disponibles, et combinant ainsi films, photographies, ou objets. La sélection d’éléments montrée in fine dans l’exposition révèle progressivement ce processus au sein d’une seule salle, une unité correspondant à celle qu'est Alex. Cette salle est elle-même composée de plusieurs espaces à la fois délimités par des colonnes, et différenciés par leur propre nature d’unités spatiales. Des écrans et des poufs, des chaises et des canapés rassemblent un même espace, et le différencient des autres. Ensuite, ce processus créatif trouve son originalité dans son aspect multidimensionnel. La première impression de l’exposition interpelle sur la capacité à circonscrire dans le temps et dans l'espace une projection à plusieurs, et aussi à recréer un « décor dans le décor ». En outre, Pauline Bastard, les experts, les spectateurs et Alex sont mêlés. L’artiste permet aux spectateurs de se faire leur propre montage, tel un miroir du projet qui retraçerait ce que l’on a vécu. Cette opération fait rentrer le personnage imaginaire dans la vie réelle grâce à des films, photographies, récits, ou objets. Par exemple, ces éléments montrent, sur un coin d’un banc où s’assoient les visiteurs, tantôt les débats et discussions de l’équipe réunie, à trois, à cinq, ou tous ensemble, afin d’aborder différents éléments de la vie et de l’existence d’Alex. Autour d’une table, les membres de l’équipe discutent ainsi par exemple du statut juridique d’Alex, apparemment crucial pour fonder sa personnalité. Sur un écran, l’acteur qui incarne Alex et deux autres membres de l’équipe revoient les statuts de l’association de loi 1901 qu’est Alex. Ensuite, une jeune femme défend l’idée selon laquelle sa personnalité ne doit pas être totalement déterminée par les déci13

sions qu’ils prennent - eux, créateurs. Ceci doit permettre à Alex de pouvoir se créer, tel un vivant… et d’être ainsi progressivement, au grès des expériences, une Personne. Ce constat se perçoit dans la collaboration entre l’artiste et les divers experts. Ces personnes ont été choisies pour leur expertises ou compétences dans un domaine donné, et pouvant contribuer à la construction d’Alex. Juriste, photographe, anthropologue, styliste décoratrice, scénariste ou psychanalyste : voici un faisceau de compétences pour bâtir la personnalité du personnage inventé. La cellule ainsi créée - fruit de rencontres sur le net, via les sites Craigslist ou LeBoncoin - doit concilier des points de vue et expériences potentiellement contradictoires afin de créer la « Personne » d’Alex dans sa coplexité. Cette entité pense et agit ainsi en même temps que naît la personne inventée. Elle confronte divers points de vue afin de lui donner une existence administrative, un comportement social, ou encore une présence physique au sein de notre société. La réalité de son existence ressort de ces confrontations, mais surtout des situations qui pourraient apporter des indices de vécu, ou au moins une impression, une preuve de la réalité de l’existence de ce personnage. Détachée d’une recherche esthétique, l’expérience est très sensible. De façon surprenante, on se prend à s’oublier, plusieurs heures, à naviguer entre ces différents espaces, et surtout à se plonger à l’intérieur d’eux grâce à de savants poufs’ salvateurs. Une grande partie du contenu de cette exposition tient dans les écrans - au rythme d’un enregistrement vidéo qui se déroulerait presque à la vitesse de notre propre quotidien… et non pas dans celui d’un couloir sur le parcours duquel se trouveraient exposées les


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pièces à regarder. A travers les petits écrans, tablettes ou téléphones, se mélangent alors à la fois les débats réunissant les experts pour définir le projet de façon collaborative, et la vie d’Alex telle que rêvée par eux-mêmes. L’installation mêle surtout de façon poétique et facétieuse le réel et l’imaginaire. Les objets du quotidien récupérés proposent au visiteur d’être acteur d’un monde onirique qui révèle des histoires virtuelles pourtant ancrées dans la réalité. Il y a aussi les grands écrans où la réalité d’Alex apparaît progressivement. Elle est vécue par les visiteurs comme des immersions dans des expériences de vie. Par exemple, Alex a un rendez-vous à la banque pour ouvrir un compte : « quel est l’objet de votre association ? – Moi. – Et quel est l’objectif à long terme de votre association ? – Que je continue d’exister. ». Ou encore, Alex a besoin d’une psychologue : « N’êtes-vous pas perdu sans souvenirs ? ». Il bénéficiera aussi d’un massage dans un centre de beauté asiatique. Enfin, Alex se situe dans ses objets qui pourraient lui appartenir… s’ils n’étaient pas aussi là exposés pour nous comme des objets familiers. Car il vit dans les vidéos qui passent et qui présentent ses expériences et deviennent les nôtres. Oui, il devient une personne de notre société. Il nous interroge aussi sur ce que nous sommes, et les raisons pour lesquelles nous sommes dans cette société. Alex est partout, et il est nous, et nous sommes tous lui. Il est une personne de cette société, il est Nous qui sommes des personnes dans cette société. Qu’est-ce qui nous fait « Nous » ? Sommes-nous rapidement réduits à rien sans tout ce que la société fait pour nous reconnaître comme existant, ou plutôt sans tout ce que nous faisons pour être reconnus ? 14

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2ème raison : Vivre le concept philosophique de « Personne » grâce à l’Art Nous avons adoré cette exposition car elle nous a fait vivre le concept philosophique de Personne grâce à l’Art. La notion de Personne procède en effet d'une réflexion sur le fondement humain : l’existence faite de situations, d’interactions, de pensées, de paroles et de gestes. L’expérience ALEX nous fait vivre ce concept ancien. Certes déjà théorisé ou souvent perçu de façon instinctive, celui-ci reste aussi régulièrement battu en brêchebrèche dans l’action quotidienne. Ce malentendu trouve son origine dans la façon dont les penseurs ont progressivement décidé d’appréhender l’humain depuis l’Antiquité. Deux paradigmes s’affrontent. 1° Le paradigme individualiste En Europe, l’humain a très longtemps été considéré comme un individu. Le sens de la Personne était relativement embryonnaire, - depuis l’Antiquité jusqu’aux abords de l’ère chrétienne. a. L’Antiquité et la période médiévale Le mot « individu » vient du latin « individuum » qui, selon l’usage proposé par le philosophe Ciceron, traduit le mot grec « atome » : ce que l’on ne peut pas couper, d’où le sens de ce qui est indivisible pour désigner un être. La notion d’individu est une invention de la scolastique médiévale sur le fondement d’un héritage païen gréco-latin.

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Les langues de l’Antiquité n’avaient pas d’équivalent de la notion d’individu. Le terme latin persona signifie plutôt masque, caractère du personnage, et le mot « individuum » est inconnu du latin classique. Ils ne considéraient pas le besoin d’une notion globale exprimant le fait que chaque homme constitue une personne indépendante, unique, différente de tous les autres hommes. La Renaissance a permis d’une part d’élargir les sphères de socialisation en multipliant les occasions de rencontres avec autrui, et d’autre part les possibilités de choix : du lieu de vie, du conjoint, du métier, etc. Certes, l’homme antique est aspiré par la communauté, la cité et la famille, mais il est également soumis au destin aveugle et sans nom, supérieur aux dieux mêmes. Corrélativement, par exemple, l’esclavage trouve une place légitime. La Personne, considérée comme pouvant évoluer et avoir son propre destin choisi, n’y a pas vraiment sa place. Oui, les Grecs avaient une certaine sensibilité à la dignité de l’être humain (goût de l’hospitalité, culte des morts), et à son rôle dans la société. Plus exactement, la responsabilité des hommes interpelle l’homme en même temps que sa connaissance (« Connais-toi toi-même »), bien qu’elle ne puisse avoir qu’un effet limité dans les résistances du milieu. En ce sens, cette conception de l’humain tantôt individualiste tantôt personnaliste propose certains prémisses à la conception de la notion de Personne - en particulier dans l’Ethique à Nicomaque (Aristote) qui sera affirmée clairement au XXème siècle. La période médiévale s’appuie toujours sur cet appareil logique et conceptuel hérité des Grecs, axé sur la classe et la géné-


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ralité (et donc l’individu, perçu de façon statique). Chaque individu est enfermé dans son statut. Il est paysan, il le restera. Le choix ne semble pas à sa portée. La notion de personne se précisera via les controverses trinitaires et christologiques (du IIème au VIème siècles). Elle reste proche de la sensibilité grecque, tout en s’éloignant du juridisme romain. b. La conception libérale en droit et en économie La conception libérale consent à devoir protéger la Personne qui doit se préserver, car l’homme est un « loup pour l’Homme » (Thomas Hobbes). Cette protection passe alors par la garantie a priori de droits. Au sein du libéralisme juridique de Locke, l’idée d'individu sert à défendre les droits de chacun contre les empiètements des autorités théologico-politiques. Le libéralisme économique de Adam Smith impliquait une liberté-indépendance d'entreprendre et de jouir. Les pensées libérales (en particulier Adam Smith et John Stuart Mill) visent à dépasser les apories de l’individualisme radical, tout en restant marquées par une recherche d’indépendance (affranchissement de toute contrainte) liée à la difficulté à assumer une dépendance matérielle, plus que d’autonomie (liberté dans l’interdépendance). Tout en proposant une forme d’individualisme, elles cherchent à le dépasser ,valorisant le caractère positif de la relation. Pour Adam Smith, adversaire résolu de l’extension des marchés à toutes les sphères de la vie sociale, l’humain est capable de se mettre à distance de ses propres intérêts immédiats et de ses actes. Il est susceptible de s’auto-corriger, et de marquer une désapprobation morale à l’égard de ses propres actes. Il n’est pas fondamentalement un égoïste rationnel, uniquement intéressé à maximiser son bien-être. La sympathie l’habite, il est ca16

pable de décentrement et de se mettre à la place de l’autre. c. L’individu moderne autocentré Cette conception semble perdurer actuellement. Depuis cinq siècles, l’idée de l’individu a marqué l’avènement des temps modernes. Avec la Renaissance et les Lumières, la domination des traditions et des vérités imposées a été rejetée, dans l’ordre de la connaissance comme dans celui de l’action. Une nouvelle conception de l’homme est apparue, prônant la possibilité d’un sujet autonome, qui affirme le « Je » face au monde – et aux autres. En célébrant ce sujet réduit à lui-même, l’individualisme conjugue le pouvoir de penser par soi et le droit de vivre pour soi. En conséquence, il revendique la liberté de penser à son gré et celle de vivre à son aise. Hegel tente bien de penser la relation dans la personne, mais le mouvement finit toujours par un retour en soi. Pour Marx, la personne n'est qu'une conscience qui représente ou est conditionnée à son insu par un certain état des rapports sociaux ; il y voit une illusion à interpréter, sinon à dissoudre. L'individu moderne, qui se construit avec les théories libérales juridiques des XVIIème et XVIIIème siècles, perçoit la valeur absolue de la Personne, valeur qu'il faut préserver par le Droit contre toutes les formes d'exploitations possibles. La Personne est aussi souvent pensée selon une approche autocentrée. Etant le centre de la conscience de soi, elle est libre, mais n’est pas reliée aux autres. Elle semble isolée et rationnelle, ce qui caractérise plutôt le paradigme individualiste. En ce sens, la relation à l’autre n’est pas considérée chez les théoriciens du libéralisme juridique. Par exemple, John Locke définit la Personne comme un être intelligent et pensant doué de raison et de ré-


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flexion, conscient de son identité et de sa permanence dans le temps et dans l’espace. Chez Descartes, la Personne est un sujet pensant (cogito) : sum, existo, cogito. Cependant, dans cette conception, la Personne reste un individu détaché de toute altérité, et qui n’est pas particulièrement amené à évoluer avec l’Expérience. Le paradigme de l’individualisme repose sur la reconnaissance du pouvoir de penser par soi et le vouloir de vivre pour soi. L’individu ne représente que la part irréductible, tel un atome, le fragment anonyme de la société où il prend place. La Personne se situe davantage dans la Relation. 2° Le paradigme de la Personne se distingue de l’optique individualiste. a. La relation

! Rappelons que ce paradigme trouve son origine dans l’Antiquité. Il se construit surtout avec le christianisme. Au plan religieux, la tradition chrétienne conçoit l’Homme comme une Personne, à l’image des Personnes divines. Et ce sont les relations qui deviennent constitutives de la personne humaine. La considérer signifie admettre que les humains existent les uns par les autres, et tout au long de leur vie, grâce à leurs relations, et selon un processus de création réciproque et continu.

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L’autre est appréhendé dans sa différence, ou dans le danger virtuel ou potentiel qu’il peut représenter. Il est considéré dans sa résistance à sa logique souvent expansionniste, et représente le compagnon nécessaire au cheminement vers une forme d’humanité. b. La liberté, constitutive de l’existence créée L’Autre ne représente donc pas ici en premier lieu un ennemi, - tel un « Loup pour l’Homme » (Thomas Hobbes) - ce qui justifierait une contrainte préalable fondatrice. Au contraire, la liberté est ici constitutive de l’existence créée. La personne humaine répond à la fois à une création ex nihilo et à un destin éternel. Dans cette optique, la personne est plurielle, et n’a pas une identité statique ou figée dans un statut. La notion de Personne - au contraire de celle d’individu -, renvoie à un besoin, une tâche et une tension continuellement créatrices. Elle peut évoluer, au-delà de son statut apparent. Aux facteurs innés (les capacités physiques et intellectuelles touchant à l’hérédité́ génétique) s’ajoutent les contextes de l'environnement familial, du social, et de l’économique qui jouent un rôle dans le développement de la Personne. En ce sens, nous sommes comme « embarqués », c’est-à-dire que nous n’avons pas vraiment le choix sur ces origines. La Personne se situe aussi dans une histoire, avec des rencontres et des situations nouvelles qui vont l’influencer, la construire, la transformer, l’enrichir dans toutes ses dimensions. Elle est incarnée. Ainsi l’exposition montre-t-elle à quel point des événements et rebondissements pos-


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sibles auront une influence sur le destin apparemment décidé au préalable d’Alex. c. Quatre champs ayant un impact sur la Personne On peut ainsi déterminer quatre champs ayant un impact sur la personne : 1. le champ personnel : quel impact sur moi et sur mes proches, ou autrui; 2. le champ naturel : quelles contraintes plus ou moins incontournables notre corps et notre environnement nous imposent-ils ?; 3. le champ socio-économique : comment mes revenus, les moyens de vivre et d'être dans la société́ avec chacun m’influencent-ils ?; 4. le champ transcendantal : quelle adéquation avec mes valeurs ? d. L’Homme interrogé dans quatre relations L’homme est interrogé dans quatre relations. Celles-ci ne sont pas réglées d’une façon définitive, mais doivent être résolues pour que l’homme survive et devienne luimême. 1ère relation : celle au monde matériel et à la Nature : La Personne existe et se construit dans cette relation au monde matériel et à la Nature. Par exemple, dans l’exposition, Alex découvre enfin qui il est vraiment quand il a l’opportunité de faire un séjour près un agriculteur-pêcheur breton. Celui-ci lui transmet sa passion pour la Nature, et se met en tête de lui apprendre sa technique de pêche préhistorique !

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Alex, qui débarque juste de la grande ville bruyante, se prend de passion pour la surprenante nature dans laquelle il est baigné. D’ailleurs, on ne sait plus si le personnage que l’on voit sur l’écran est Alex ou un comédien. Et le spectateur de se sentir aussi ému de le voir si heureux, soudain à l’aise sur la plage, les bottes dans l’eau de mer ou encore, de retour dans les terres à jardiner paisiblement. L’atmosphère simple qui ressort de la vidéo réveille d’ailleurs des sentiments ou réminiscences qui ne nous laissent pas indifférent. Ceci en vient à interpeller le spectateur luimême sur son lien agréable ou distant à la Nature par exemple. Le jeu de miroir agit et brouille les pistes. Qui est Alex ? Où se situe-t-il vraiment ? : dans l’expertise, dans la création artistique, dans le jeu théâtral, dans la relation réelle que l’acteur a vécue avec le pêcheur… ou dans notre esprit ? 2ème relation : la relation aux autres L’humain est donc situé dans un contexte et dans une relation : à la Nature, à l’autre, à la différence. En ce sens, l’existence séparée d’un sujet, qui serait fermé sur luimême plutôt qu’autonome, apparait artificielle. L’identité de la Personne n’est pas statique, mais liée à la rencontre, à l’altérité et à l’événement. En l’occurrence, Alex a rencontré environ 100 à 150 personnes (qui ne sont pas toutes apparentes dans les vidéos). Certaines relations se sont approfondies parfois. Pauline Bastard a souhaité donner une grande liberté à ces relations, tout en proposant un contexte et un cadre précisément mis en place. Par exemple, elle a instauré le contexte de rencontres via le site web « Onvasortir » qui organise des soirées. Elle a aussi laissé l’acteur Alex vivre son expérience.


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De même, dans la pensée du Bien commun, l’existence humaine est un mouvement permanent, perçu de façon réaliste, et tenant compte des aspects spirituels et des mécanismes de changement. Les interrelations permettent de concevoir un Bien commun qui ne soit pas seulement un seul intérêt commun ou alors une coïncidence d’intérêts individuels isolés puis compilés, tel un intérêt général. La visée du Bien commun se situe dans l’accomplissement des êtres - nécessairement relationnels - que sont les hommes. L’exposition Alex montre bien de façon sensible cette nécessité relationnelle. La présence d'artefacts, comme les documents ou vêtements, ou draps, représente une mémoire qui s'imprime et que chacun peut s'approprier. Comme des morceaux de puzzle à recomposer, l’exposition a un fort pouvoir d'incarnation et de révélation de l’image. Enfin, alors que le concept de Personne insiste sur la relation, il distingue aussi la Communauté de la Collectivité. . Une collectivité désigne un ensemble d’individus poussés à former un groupe, avec comme seule unité la totalité du groupe. Elle est fondée sur une organisation extérieure de la vie personnelle. . Une communauté résulte de la volonté d’une multitude d’hommes d’être les uns avec les autres. Elle est le fruit d’un dialogue véritable. Elle est basée sur la relation entre ses membres. La structure interne du groupe compte davantage que ses effets extérieurs qui importent. En effet, dans l’exposition, Alex est lancé dans le monde une fois vaguement défini par les experts. Il agit comme le ferait quelqu’un qui débarquerait dans une nouvelle vie. Par exemple, il loue une chambre dans une colocation, la meuble, cherche des petits boulots. Il assiste à des 19

cours de séduction. Il va voir une exposition sur Lascaux. Il se construit à travers ces relations : à la banque, au travail, au cinéma. Il apprend des gestes, par mimétisme, en regardant les autres. Et l’artiste aussi l’accompagne. Elle filme le personnage imaginé avec un ingénieur du son, l’un des experts rencontré lui aussi via Craigslist. Cette situation est alors très déstabilisatrice. Par exemple, elle a rendu très mal à l’aise la « love coach » lors des cours de séduction. Alors que celle-ci a toujours beaucoup utilisé l’histoire de ses clients, elle a dû ici affronter l’absence de passé, et donc de relation, de cette personne fictive. A cause de cette absence d’histoire et d’altérité, elle n’a pas voulu lui parler. Ressort ainsi ici la notion de Communauté, qui résulte de la volonté d’une multitude d’hommes d’être les uns avec les autres. Elle est le fruit d’un dialogue véritable, ou pas. 3ème relation : celle à soi, de chacun avec lui-même Alex doit lui-même se construire. Il se définit par rapport à un Soi via son parcours professionnel ou ses choix amoureux par exemple. Peut-il exister s’il n’a pas de famille ? Petit à petit, une personne émerge. Son jour de naissance sera la date de la première réunion, et l’année, la moyenne des années de naissance des participants. En préparant la création d’Alex, un des experts s’est demandé comment choisir sa date de naissance : par où commencer, quand on veut créer une personne ? Chacun le voyait selon son propre prisme. L’avocat a tout de suite pensé à créer une personne morale, telle une association, et à ouvrir un compte en banque. La scénariste voulait d’abord lui créer un passé compliqué, comme elle le fait quand elle écrit des personnages. L’anthropologue, américaine et qui travaille sur les migrants, avait sûrement des choses à dire sur ce que cela signifie d’être nouveau en


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France. La relation à soi est mise en valeur par chacun des experts. 4ème relation : celle à l’existence ou à une forme de transcendance Cette réflexion sur la transcendance ou sur le sens donné à l’existence est exposée de façon très humoristique, dans un dialogue entre Alex et un SDF. Celui-ci relate sa vie menée dans son camion de déménagement. Il lui sert aussi de lieu de vie, et ce par choix. Ce partenaire représente un miroir. Il lui raconte son choix de vie et de spiritualité : « Je n’ai plus de projets. Tu vois, j’ai plus de projets depuis 2004. Je dors dans mon camion. On ne voit rien, hein ? [Montrant le camion.] Eh ben pourtant je dors dans le camion. ». Lui qui n’a pas d’attaches, qui existe à peine, apparaît comme une faille qui survient dans le réel. Cette relation vécu propose un événement-catalyseur. On perçoit bien dans cette conversation la relation à une forme de spiritualité choisie au grès des expériences. Ceci est aussi appréhendé à la fois par Alex, et par les spectateurs. La relation est au fond tragique. Prenons cette notion dans son sens propre, où tragique ne veut pas dire triste et malheureux, mais contradictoire. Le philosophe Emmanuel Mounier emploie d’ailleurs l’expression « optimisme tragique » qui signifie « optimisme » pour dire la foi, et « tragique » pour ne pas taire les difficultés. En effet, en reconnaissant l'existence d'une raison pratique, raisonnable parce qu'humaine, le concept de Personne réintroduit un principe de réalité au cœur de la rationalité. Au-delà d’un individu désincarné et non situé, il accepte les contradictions, la réalité, le vécu, l’expérience.

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CONCLUSION L’exposition Alex montre que penser la place de la Personne dans la Communauté procède plus de la dynamique créatrice de l’imagineur que de la pure logique déductive. L’imaginaire social crée le langage, les institutions, la forme même de l'institution laquelle n'a pas de sens dans la perspective de la psyché singulière. Ici, chacun apporte son langage, ses idées et son expertise, afin de créer une sorte de projection collective. Comme le révèle la création artistique d’Alex, cet imaginaire est ainsi pensé sous deux aspects : 1° D’une part, l'imaginaire social instituant correspond à l'activité et œuvre créatrice en elle-même ; 2° D'autre part, l'imaginaire social institué, qui désigne le résultat de cette activité créatrice. Il est rendu visible par les institutions et les significations sociales : normes, langage, lois, représentations, procédures et méthodes de faire face aux choses et de faire des choses.

Voir les travaux de Pauline Bastard : http://paulinebastard.com/ Retrouvez cet article sur le blog de : Initiative Bien commun & Charte de la Terre : https://biencommunchartedelaterre.wordpress.com


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BRIDGE-BUILDER L’ANTHROPOLOGIE FACE AUX DROITS DE L’HOMME Christoph Eberhard, Anthropologue du Droit

Comment réduire le fossé entre théories et pratiques effectives dans le domaine des droits de l’Homme ? Comment traduire des dynamiques globales et des concepts globaux en réalités locales ? Inversement, comment traduire des préoccupations locales en actions globales ? Qu'apporte la réflexion anthropologique à ces questionnements ? Comment a t-elle évoluée ?

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L’anthropologie se caractérise par son accent sur des enquêtes de terrain et par son ambition de construire un savoir général sur l’humain vivant en société à partir de la comparaison de la multitude des expériences de vies concrètes observables dans le monde. À ses origines, la démarche anthropologique était focalisée sur les sociétés radicalement « autres », les sociétés « lointaines », « exotiques », « sauvages », « primitives ». Elle a eu tendance à enfermer ces dernières dans une «culture» déconnectée des processus historiques et sociaux dans lesquels elles s’inscrivaient, soit en les appréhendant dans des approches évolutionnistes comme des survivances de notre propre passé (celui de l’homme moderne évolué et civilisé), soit dans des approches culturalistes et relativistes comme des touts culturels figés, sans histoire, autosuffisants et existants dans une sorte de bulle isolée des relations avec le monde plus vaste (essentialisme).

Mais l’anthropologie a évolué. Se sont développées des approches dynamiques et processuelles visant à donner leur place à la complexité des situations. Sans nier l’importance d’approches plus structuralistes visant à révéler des structures, des visions du monde, des logiques, des matrices culturelles fondamentales, celles-ci ont introduit une sensibilité aux changements, aux conflits, aux relations aux autres. L’accent initialement mis sur la découverte de l’altérité s’est trouvé enrichi – et en même temps aussi relativisé – par la prise de conscience et l’essai de rendre intelligible la complexité des expériences socio-culturelles. En même temps, le champ d’étude de l’anthropologie s’est élargi. Les sociétés occidentales mêmes, initialement réservées aux sociologues dans une répartition du travail en sciences sociales que l’on pourrait schématiser par la formule « nous = 22

sociologie », « les autres = anthropologie » sont devenues des champs de recherche anthropologique. Les aspects modernes, contemporains sont aussi rentrés dans le giron des analyses, et les études anthropologiques sur la globalisation – qui remettent assez fondamentalement en cause la méthodologie longtemps centrale de l’enquête de terrain et son produit par excellence, la monographie de terrain – se développent de plus en plus (voir Lewellyn, 2002).

Aujourd’hui l’anthropologie sociale et culturelle constitue un regard particulier sur le vivre ensemble : un regard sensible à l’altérité et à la complexité (voir à l’interculturalité, comme nous le développerons plus bas) qui tente de saisir des régularités, de proposer des théories générales bâties sur l’observation approfondie de situations particulières et de leur comparaison en vue de dégager différences et similitudes dans une démarche en trois étapes présentées succinctement et pertinemment par Claude Lévi-Strauss (Lévi-Strauss 1995 : 413) comme : 1) ethnographie, la collecte de données par l’observation et la recherche de terrain, 2) ethnologie, la tentative de dégager certaines logiques sous-jacentes aux données collectées, souvent à travers un premier effort de comparaison avec des situations proches, 3) anthropologie, la visée de produire un savoir général sur les êtres humains vivant en société à travers la comparaison des données produites dans les deux premières étapes.

Bref, l’anthropologie présente un point de vue partant des acteurs, de leurs contextes (autant matériels que mentaux), de leurs logiques, visions du monde, mais aussi de leurs pratiques pour comprendre la vie en société. C’est donc une démarche qui privilégie le local, la différence, une approche «


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par le bas » (bottom up), plus inductive que déductive et donnant dans sa visée de description objective de la réalité une place importante à la subjectivité – autant de ses « sujets de recherche » que du chercheur lui-même (voir Kilani 1992 ; 1994).

Ce point de vue est assez radicalement différent d’une approche juridique, surtout continental-européenne qui imprègne aussi le système des droits de l’homme, où il s’agit moins de construire une théorie en adéquation avec des observations empiriques que d’appliquer une théorie donnée, à prétention universaliste, abstraite, anhistorique à des situations données pour pouvoir les réguler.

Cette approche juridique par le haut (top down), plus déductive et plus prescriptive s’est trouvée pendant longtemps en opposition radicale aux approches anthropologiques. Ceci s’est manifesté dans le domaine des droits de l’homme dans des discussions qui paraissaient sans issue entre positions universalistes majoritairement défendues par les juristes et des approches relativistes défendues par la plupart des anthropologues.

La globalisation a petit à petit changé les termes du débat à partir des années 1990. Le couple universalisme/relativisme a été, sinon remplacé, du moins complété et réinterprété par le couple « global / local ». Les questions se sont orientées de débats plus abstraits vers des questions plus concrètes :

comment aborder le pluralisme d’un monde qui devient plus pluripolaire ?

Comment réduire le fossé entre théories et pratiques effectives dans le domaine des droits de l’homme ?

Comment traduire des dynamiques globales et des concepts globaux en réalités locales ?

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Inversement, comment traduire des préoccupations locales en actions globales ?

D’une certaine incompréhension mutuelle, on assiste ainsi, surtout depuis le début des années 2000, à un dialogue entre anthropologie et droit sur les questions des droits de l’Homme, sous l’égide plus particulièrement de chercheurs inscrits explicitement dans cet entre-deux, pas toujours évident à gérer, mais extrêmement créatif et interpellant: les anthropologues du Droit - le « Droit » renvoyant ici à la juridicité des anthropologues, ce phénomène qui assure la mise en forme à la reproduction des sociétés et à la résolution de leurs conflits dans les domaines qu’elles considèrent vitaux et dont le « droit » étatique n’est qu’une manifestation parmi d’autres.

Si l’anthropologie s’est toujours intéressée de prêt au Droit – et que la discipline a même largement été fondée par des juristes – les anthropologues ont pendant longtemps délaissé, sauf exception, les droits de l’homme comme champ d’études au profit des juristes, politistes, historiens et philosophes et ceci jusque dans les années 1980. Cet état des faits est lié à la méfiance de l’anthropologie, surtout anglo-saxonne, envers les grandes théories au moment où le droit international des droits de l’homme a fait son apparition au milieu du siècle dernier, et à une méfiance plus générale des anthropologues quant à l’instrumentalisation de leur savoir (Goodale 2009: 18s ; voir aussi Goodale 2006).

La réticence des anthropologues consistait aussi à ne pas franchir une ligne rouge: utiliser une science sociale à vocation descriptive – contrairement au droit, la science politique ou la philosophie qui intègrent des dimensions normatives – à des fins prescriptives. Ces réticences et réserves sont bien reflétées dans le Statement on Human Rights publié par la


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American Anthropological Association (« AAA ») en 1947 et rédigé principalement

par Herskovits qui fût contacté par l’UNESCO pour donner un avis anthropologique sur la déclaration en voie d’élaboration à l’instar de nombreux autres spécialistes et institutions académiques, culturels et artistiques (voir Goodale 2009 : 18 ss ; Eberhard 2011 : 97 ss). Cette déclaration posait une question essentielle d’un point de vue anthropologique, mais qui fût finalement ignorée par les rédacteurs de la Déclaration : vu le grand nombre de sociétés qui sont en contact intime dans le monde moderne, et vu la diversité de leurs manières de vivre (ways of life), comment la Déclaration proposée peut-elle être applicable à tous les êtres humains, et ne pas être une déclaration de droits conçue uniquement dans les termes des valeurs qui prévalent dans les pays d’Europe de l’Ouest et d’Amérique ?

En se basant sur les acquis anthropologiques de l’époque, Herskovits soutient qu’une Déclaration des droits de l’homme qui veut mettre l’accent sur le développement de l’individu dans sa plénitude, doit reconnaître que la personnalité d’un individu ne peut que se développer en rapport avec sa culture d’origine. Or, la pensée occidentale a eu tendance à méconnaître et à dévaloriser les expériences culturelles autres, sous couvert de rationalisme et d’une idéologie du progrès qui justifiait même l’idée du colonialisme comme « fardeau de l’homme blanc ». Il déduit trois propositions de cet état de fait.

Premièrement, le respect pour des différences individuelles implique un respect pour les différences culturelles vu que l’individu réalise sa personnalité à travers sa culture. Il ne peut pas y avoir de développement de la personnalité individuelle tant que, par une relation de pouvoir, est niée la valeur de la manière de vivre du 24

groupe d’appartenance et est imposé le modèle de vie d’un groupe dominant. Parallèlement, Herskovitz souligne qu’il convient de ne pas perdre de vue l’unité du genre humain et la capacité de tout être humain à s’ouvrir à d’autres cultures s’il en a l’opportunité.

Deuxièmement, le respect des différences entre cultures est soutenu par le fait qu’il n’existe pas d’étalon scientifique pour évaluer les cultures de manière qualitative.

Troisièmement, tous standards et valeurs étant relatifs à leur culture d’origine, les postulats dérivant des croyances et codes moraux d’une culture ne sont pas conciliables avec l’applicabilité d’une Déclaration des droits de l’homme à l’humanité entière. Si le problème de la rédaction de Déclarations de droits de l’homme était relativement simple au 18e siècle car il s’agissait avant tout de droits d’hommes dans leurs contextes culturels spécifiques, il se complique pour la rédaction d’une Déclaration qui a vocation à s’appliquer à l’ensemble de la planète et qui doit donc prendre en considération la diversité des traditions culturelles. Pour Herskovits ce n’est que si une déclaration quant au droit des hommes de vivre selon leurs propres traditions est incorporée dans la Déclaration qu’on pourra ensuite bâtir sur des bases scientifiques une définition universelle des droits et devoirs de l’homme (American Anthropological Association 1947 : 543).

En 1999, l’AAA a considéré nécessaire de faire une nouvelle déclaration sur les droits de l’Homme où elle affirme son attachement aux droits de l’homme et pointe vers l’importance d’une prise en compte de la diversité humaine sans pour cela sombrer dans le culturalisme ou le relativisme :

Anthropology as an academic discipline studies the bases and the forms of human diversity and unity ; anthropology as a


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practice seeks to apply this knowledge to the solution of human problems. As a professional organization of anthropologists, the AAA has long been, and should continue to be, concerned whenever human difference is made the basis for a denial for basic human rights, where ‹human› is understood in its full range of cultural, social, linguistic, psychological, and biological senses. Parallèlement, on a vu l’émergence progressive de la problématique culturelle dans le domaine des droits de l’homme, que ce soit à travers les dynamiques de déclarations non-occidentales de droits de l’homme, d’une critique ouverte de leur universalité qui a fait son irruption lors de la Conférence mondiale sur les droits de l’homme à Vienne, en 1993, où les efforts accrus ces dernières décennies de franchir le fossé entre théories et pratiques dans la traduction des dynamiques des droits de l’homme du global vers le local et inversement.

Dans ce contexte, on constate depuis le début des années 2000, autant dans la recherche francophone qu’anglophone un regain d’intérêt des anthropologues pour les pratiques des droits de l’homme entre global et local, ce qui reflète peut-être une nécessité de notre temps où les réponses ethnocentriques en provenance des sciences juridiques et politiques et de la philosophie n’apparaissent plus à la hauteur d’une interculturalité émergente et du défi de la traduction des théories en pratiques.

Il s’agit de plus en plus de réinventer le legs moderne pour trouver des « approches qui marchent localement tout en s’inscrivant dans un horizon partagé globalement ».

L’horizon pluraliste et pragmatique qui doit informer une telle démarche, implique une véritable révolution des ma25

nières de penser la relation à l’autre et au Droit, et peut être abordé entre quatre balises : l’altérité, la complexité, l’interculturalité, l’humanité. Les droits de l’Homme apportaient une réponse, datée, à la prise de conscience de la fragilité de l’humanité en mettant l’accent sur la Raison et sa portée universelle.

Aujourd’hui, dans un contexte marqué par un pluralisme et un interculturalisme croissants, s’il ne s’agit pas de renier les acquis de la Raison et les apports de l’universalisme des droits de l’Homme, prendre au sérieux les droits de l’Homme oblige à s’atteler humblement à dégager une nouvelle éthique de l’agir collectif faisant justice aux défis du pluralisme et de l’interculturalisme.

L’horizon de l’humanité dans toute sa fragilité, plutôt que celui d’une universalité qui a eu tendance à se manifester comme un universalisme posé a priori, semble émerger. La vie humaine et notre planète sont fragiles. Il faut en prendre acte, non pas comme une tare ou comme une limitation, mais comme la condition même de notre ouverture à nous-mêmes, aux autres, au monde et à d’autres possibles. Toutes les cultures sont incomplètes et ont intérêt, comme cela a toujours été le cas, à s’enrichir mutuellement pour répondre aux défis collectifs contemporains. Voilà les bases d’une éthique de la responsabilité fondée sur l’idée d’un processus continu d’interpellations et de réponses à ces interpellations (voir la racine latine du mot, respondere) pour la mise en forme de notre vivre-ensemble dans l’horizon du plurivers. L’entreprise de réinterprétation et de réinvention des droits de l’homme suivra des parcours différents dans leur pays d’origine et dans ceux qui les ont importés.

D’un point de vue occidental, l’éthique émergente pourrait se fonder sur la recon-


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naissance simultanée de notre fragilité individuelle et collective et de notre capacité d’agir individuelle et collective, et permettrait de dégager un horizon d’action pluraliste pour un vivre-ensemble responsable, respectueux de nous-mêmes, des autres et de notre planète.

Reconnaître le pluralisme ne se limite pas à prendre conscience de l’importance de prendre la culture au sérieux. C’est aussi reconnaître que si la « culture » influence nos manières de percevoir le monde et de le vivre, toutes nos identités, collectives autant qu’individuelles, sont multiples. L’être humain se caractérise aussi par sa faculté de choix. Il n’est pas complètement déconnecté de son environnement, mais il n’est pas non plus complètement déterminé par lui.

D’un point de vue occidental, ceci implique au minimum de compléter nos réflexions en termes de «droits» par des réflexions en termes de « responsabilités » et de reconnaître que d’autres cultures doivent mener en leur sein un travail similaire de réinterprétation culturelle dans un dialogue interculturel permanent dont « l’Occident » et ses concepts de droit, de droits de l’homme, de gouvernance, etc. ne devraient, malgré leur caractère hégémonique actuel, ne constituer qu’un pôle parmi d’autres. Une telle démarche permettrait de se poser plus fondamentalement la question de la « dignité humaine » dans le rapport de l’être humain à luimême, aux autres et au monde. Elle ouvrirait ainsi plus largement le dialogue interculturel non pas seulement sur les réponses à apporter au défi d’une universalisation des droits de l’homme confrontés à l’interculturalité, mais sur les questions mêmes qu’il s’agira de poser aujourd’hui collectivement et qui émergent dans la rencontre interculturelle.

Cette note est tirée de mon chapitre « Anthropologie et droits de l’homme » publié dans Maya Hertig Randall & Michel Hottelier (dir.), Introduction aux droits de l’ho26

mme, Éditions Yvon Blais / LGDJ – Lextenso / Schulthess, 2014, 90-103.

BIBLIOGRAPHIE : American Anthropological Association, 1947, « Statement on Human Rights. Submitted to the Commission on Human Rights, United Nations by the Executive Board, American Anthropological Association », American Anthropologist, 49, 4 october-december : 539-543.

EBERHARD Christoph, 2014, Oser le plurivers. Pour une globalisation interculturelle et responsable, Paris, Éditions Connaissances et Savoirs, 412 p.

EBERHARD Christoph, 2011, Droits de l’homme et dialogue interculturel, 2ème édition revue et augmentée, Paris, Éditions Connaissances et Savoirs, 587 p.

GOODALE Mark, 2009, Surrendering to Utopia. An Anthropology of Human Rights, Stanford, Stanford University Press, 180 p.

GOODALE Mark, 2006, « Toward a Critical Anthropology of Human Rights », Current Anthropology, 47, 3 : 485-511.

KILANI Mondher, 1994, L’invention de l’autre, Dijon-Quetigny, Payot Lausanne, 318p.

KILANI Mondher, 1992, Introduction à l’anthropologie, Lausanne, Payot, 368 p.

LÉVI-STRAUSS Claude, 1995 (1958), Anthropologie structurale, Paris, Plon, 480 p.

LEWELLEN Ted C., 2002, The Anthropology of Globalization. Cultural Anthopology Enters the 21st Century, Westport, Connecticut, Bergin & Garvey, 282 p.


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ANTHROPOLOGIE DU DROIT : LE CAS DE L’INDE Des nombreuses discussions que j’ai eues sur les droits de l’Homme en Inde dans les années 1990, en grande partie avec des intouchables (plus basses castes en Inde) pourraient se résumer comme suit (nb : j’ai aussi discuté avec divers autres activistes et sympathisants des droits de l’Homme, mais la synthèse ici reprend plus particulièrement la ligne d’argument des intouchables avec qui j’ai échangé) :

1) Les droits de l’Homme sont extrêmement importants. Tout être humain doit être traité sur un statut d’égalité. Voilà un point de départ qui devrait conforter les universalistes dans leur point de vue. L’égalité des droits semble bien une aspiration universelle. En creusant, apparaissaient cependant déjà deux points importants qui suscitaient de nouvelles réflexions. Tout d’abord, certains de mes interlocuteurs remarquaient qu’en fait plus que les droits de l’homme, ce qui comptait était la reconnaissance de la nature humaine à tous les êtres humains. Les droits de l’Homme étaient alors embrassés moins comme outil technique, que comme horizon, comme idéal d’un vivre ensemble où serait respectée l’égale dignité de tous (et que chacun pourrait en partie définir à sa propre manière). Ensuite, je fus surpris par une attitude assez différente quand je par- lais de mon projet de recherche sur les droits de l’homme avec des gens de hautes castes impliqués dans le travail des droits de l’homme et ceux de basses castes. Mes interlocuteurs de basses castes m’ont à plusieurs reprises prévenu que travailler sur les droits de l’homme risquait de m’apporter beaucoup d’ennuis et qu’il fallait faire attention – une mise en garde qui ne m’a jamais été adressée par des interlocuteurs de hautes castes dont une des premières réaction était plus souvent la reconnaissance de 27

l’inefficacité de leur travail malgré son importance ... Mes travaux ultérieurs m’ont fait prendre conscience que ceci n’est pas anecdotique. Les droits de l’homme peuvent autant servir d’outil de libération et d’émancipation que d’outils pour maintenir des status quo favorables à certains. Il ne faut jamais le perdre de vue.

2) Une égalité formelle de droits ne sert à rien si concrètement des êtres humains – en Inde par exemple les basses castes – restent emprisonnées dans des situations de subordination, comme par exemple dans des situations de bonded labor qui existent encore aujourd’hui et où la dépendance de petits fermiers à leurs propriétaires terriens (landlords) s’apparente à une servitude sans réelle perspective d’en sortir. Les droits de l’homme ne seraient alors possibles qu’en établissant un régime communiste en Inde. Voilà, qui peut fortement interpeller un penseur des droits de l’homme originaire d’Europe de l’Ouest. La reconnaissance de l’universalité des droits de l’homme commence à devenir déjà un peu plus complexe.

3) Un problème surgit : le communisme est athée. Vu le contexte indien, il serait bon de trouver un complément religieux pour que l’approche puisse prendre, en faisant écho à un imaginaire culturel partagé. L’hindouisme est exclu puisqu’il est à la base du système de castes oppressif. L’islam et le christianisme sont d’une part des religions extérieures, celles des conquérants de l’Inde, et d’autre part ne s’enracinent pas dans la matrice indienne dont ils n’ont pas originé. Le bouddhisme semble alors le complément parfait: il s’inscrit dans l’univers indien, tout en rejetant le système des castes. Symboliquement, c’est aussi une religion de conversion attractive de par le fait que B. R. Ambedkar, intouchable et père de la Constitution indienne, s’y est converti, inspirant de nombreux intouchables à suivre son


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exemple. Se dessine donc la voie d’une dynamique des droits de l’homme communiste et bouddhiste.

4) Malgré le caractère non-violent du bouddhisme et de l’idéal des droits de l’homme, une partie de mes interlocuteurs considéraient que la réalisation de cet idéal n’était possible que par une révolution, si nécessaire violente et où le fait de devoir se débarrasser des hautes castes qui avaient joué le rôle d’oppresseurs depuis des siècles était envisagé par certains. 5) Se posait enfin la question de la stratégie à suivre pour mettre en œuvre la lutte pour les droits de l’Homme pour les intouchables. Tous partageaient l’idée que la lutte pour la reconnaissance des droits individuels et collectifs devait principalement se baser sur la mobilisation de la caste et de ses réseaux, tout en l’utilisant de manière « moderne » pour faire évoluer les institutions et jeux politiques contemporains. Cette courte plongée dans des perceptions de la problématique des droits de l’Homme par des intouchables indiens illustre la complexité et la profondeur des questions qui peuvent se cacher sous une apparence d’évidence.

Il est tentant, en tant que juriste, de se contenter de prendre note de la déclaration de l’étape 1 considérant que les droits de l’Homme concernent tous les êtres humains. Seulement, si l’on ne continue pas à approfondir la question en explorant toutes les implications des étapes suivantes du raisonnement, on risque de ne pas comprendre grand chose aux potentialités réelles des droits de l’Homme dans un contexte indien. Déclarer des droits, rédiger des constitutions, transférer des modèles institutionnels et des outils juridiques peut ne constituer que de la poudre aux yeux et contribuer à un clivage croissant entre théories et pra

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tiques sans la prise en compte sérieuse des divers contextes locaux.

Quant aux anthropologues, leur tentation a pu être de n’aborder la question des droits de l’Homme que sous l’angle du « culturel », alors qu’il apparaît clairement que la complexité à démêler est tissée de dynamiques culturelles, économiques, historiques, politiques, sociales …

cadre du groupe de travail Droits de l'homme et dialogue interculturel (http:// www.dhdi.org) initialement hébergé au Laboratoire d'anthropologie juridique de Paris (Université Paris 1 Panthéon Sorbonne), puis au sein de la dynamique de recherche internationale Droit, gouvernance et développement durable basé aux Facultés universitaires Saint Louis à Bruxelles.

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BIOGRAPHIE

BIBLIOGRAPHIE

Christoph Eberhard est anthropologue du Droit, discipline qu'il a enseigné dans diverses universités sur les cinq continents et plus particulièrement comme professeur invité à l'Académie Européenne de Théorie du Droit à Bruxelles, aux Facultés universitaires Saint Louis à Bruxelles et à l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Depuis deux décennies ses recherches portent sur les divers aspects du dialogue interculturel dans le monde contemporain. Après des recherches initiales sur les droits de l'Homme et le dialogue interculturel, Christoph Eberhard a approfondi les questions de la globalisation, du Droit, de la gouvernance, du développement durable dans la perspective d'un vivre ensemble responsable et dialogal. Il s'intéresse aussi aux conditions de la rencontre et du dialogue entre systèmes de savoirs différents (systèmes de santé, arts traditionnels, traditions spirituelles), plus particulièrement dans un dialogue avec le monde asiatique (Inde et Chine).

Christoph Eberhard a toujours complété ses recherches personnelles par la création et l'animation de dynamiques de recherches collectives, d'abord dans le 29

Pour aller plus loin, lire parmi les livres de Christoph Eberhard : . Le Droit au miroir des cultures. Pour une autre mondialisation (2ème édition, Paris, LGDJ / Lextenso, 2010);

. Droits de l'homme et dialogue interculturel, 2ème édition, Paris, Connaissances et Savoirs, 2011);

. Vers une société éveillée. Une approche bouddhiste d'un vivre-ensemble responsable et solidaire (Paris, Connaissances et Savoirs, 2012);

. Oser le plurivers. Pour une globalisation interculturelle et responsable (Paris, Connaissances et Savoirs 2013.

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THINKERS INTELLECTUELS

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INTELLECTUEL

EVOLUTION DES VALEURS DES FRANCAIS : POUR UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DU MOUVEMENT D’INDIVIDUATION

Par Frédéric Coste Distinguer individualisme et individuation ? Tocqueville fut probablement l’un des premiers auteurs à avoir décrit la montée de ce que l’on appelle désormais l’individualisme. Il le définissait comme un « sentiment réfléchi et paisible, qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables, et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis ; de telle sorte que, après s’être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même ». Bien que différenciant ce mouvement du règne de l’égoïsme (« un amour passionné et exagéré de soi-même qui porte l’homme à ne rien 31

rapporter qu’à lui seul et à se préférer à tout »), il développait déjà l’idée que, dans la société américaine, les membres de la communauté tendaient à s’intéresser moins aux autres et à privilégier leurs intérêts et ceux de leurs proches. Il voyait dans l’extension de ce sentiment une dynamique irréversible, vouée à gagner le monde entier.

Cette thématique a été reprise par nombre de chercheurs en sciences sociales, et souvent mise en relation avec la notion de modernité. Dumont a ainsi posé que l’une des principales caractéristiques des sociétés modernes est qu’elles se pensent comme composées d’individus autonomes et souverains.

Certains économistes ont pour leur part formalisé la notion d’acteur, confortant le sentiment d’une progression de l’individualisme au travers de l’emploi du concept d’homo economicus, c’est-à-dire d’un agent qui agit seul en fonction de ses propres intérêts.

Les déterminants de ce développement de l’individualisme (industrialisation, urbanisation…) ont été analysés par certains de ces chercheurs. Les définitions qui ont été données au terme ont toutefois été extrêmement diverses.

Dans le langage courant, l’individualisme correspond essentiellement à une attitude, à une prédisposition à se conduire d’une façon individualiste, sous-tendue par un rapport particulier, développé par la personne, à l’égard des autres, mais également vis-à-vis d’elle-même.


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Dès 1983, Lipotevsky indiquait que l’individualisme était progressivement devenu un phénomène de masse en France.

Cette évolution reposait avant tout sur un changement générationnel. Pour lui, la génération qui avait une vingtaine d’années en 1968 avait favorisé une transformation (une « libération ») des mœurs déjà en cours. Adhérant à un certain nombre d’idéaux collectifs (la Justice, l’Égalité, l’Autonomie…), elle avait été mobilisée par un désir profond de liberté. Mais lorsque ses membres comprirent que les grands idéaux auxquels ils étaient attachés ne pourraient que très difficilement être mis en œuvre, il ne resta que le désir de libération personnelle.

Mendras est même allé plus loin, en affirmant que les années 1965-1984 avaient constitué une « seconde révolution française ».

Il emploie cette expression pour nommer un ensemble de changements socioéconomiques et socioculturels qui ont profondément fait évoluer la société. Une nouvelle « civilisation », marquée par la disparition des classes sociales traditionnelles, au profit de l’apparition d’une vaste classe moyenne, et la montée du secteur tertiaire dans l'économie, se serait développée.

Notamment caractérisée par une certaine contestation de l’autorité et des méthodes traditionnelles de règlement des problèmes sociaux, mais également par une permissivité croissante, elle serait soustendue par une montée de l’individualisme. Permissivité et individualisme sont permis grâce à une plus grande diversité des valeurs. Pour Mendras, les grands codes moraux, en particulier les idéologies politiques et les dogmes religieux, n’ont pas totalement disparu : ils ont plutôt été relativisés.

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En France, notamment depuis son emploi par certains contre-révolutionnaires (en particulier Joseph de Maistre), le mot « individualisme » a acquis une certaine connotation péjorative, qu’il conserve dans le vocabulaire courant.

Dans le débat social, nombre d’observateurs ont déploré et déplorent encore sa présence croissante. Ils dénoncent des sociétés devenues trop utilitaristes et matérialistes, au sein desquelles chacun poursuivrait uniquement ses intérêts personnels – généralement conçus de manière étroite – ou ceux de ses groupes (sociaux ou affinitaires) d’appartenance. Le sens de l’intérêt collectif et du bien commun aurait été perdu par la très grande majorité.

Ce type de jugement extrêmement pessimiste est relativement ancien.

Les débats concernant la montée de l’individualisme et son impact sur le lien social existaient déjà au XIXème siècle. Dans une certaine mesure, ces prises de position ont suscité ou ont prolongé les analyses produites par les auteurs auxquels nous avons fait référence ci-avant. Désormais, leurs observations sont toutefois étayées et affinées grâce à des outils scientifiques relativement robustes, bénéficiant d’une longue histoire.

En dehors des enquêtes pré et postélectorales, différentes sources nous permettent en effet d’être renseignés sur les perceptions et les attitudes des Français (et même des Européens). Aux Eurobaromètres, s’ajoutent les enquêtes sociologiques internationales, en particulier l’International Social Survey Program et l’enquête Valeurs. Ces dispositifs permettent de proposer une même série de questions à des échantillons représentatifs de la population dans différents pays. La passation du questionnaire est répliquée dans le temps, permettant les comparaisons entre


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différentes périodes. L’enquête Valeurs a ainsi été reconduite pour l'instant à 4 reprises en France : les mêmes questions (plus d’une centaine) ont été utilisées en 1981, 1990, 1999 et 2008. Nous disposons donc de données qui rendent possible l’observation des évolutions des valeurs des Français sur une trentaine d’années environ, et ce pour un grand nombre de domaines (valeurs politiques, tolérance et perception de l’Autre, valeurs économiques et modes de consommation, valeurs familiales…). Les résultats de ces enquêtes viennent globalement confirmer l’hypothèse d’une montée de l’individualisme dans les sociétés développées modernes.

Ils permettent toutefois d’en préciser la portée et de relativiser son impact. Les jeunes Français sont notamment caractérisés par une volonté très forte d'autonomie. Cette valorisation de l'autonomie s'amplifie depuis les années 1980, chaque nouvelle génération en demandant plus.

Pour Galland, « Cette évolution est un mouvement de longue durée qui voit reculer l'emprise d'une société normative et croître le désir des Français de définir par eux-mêmes leur manière de vivre. Cela ne signifie pas l'apparition d'une société sans normes, mais d'une société où les normes veulent être librement choisies dans le respect mutuel ».

La société française est ainsi marquée par un processus continu de personnalisation. Chez nombre de citoyens, il existe une forte aspiration à l'autonomie dans les choix moraux, à la valorisation des choix personnels en dehors de toute influence de la société.

La personne doit être le fondement de valeurs qui ne sont plus données, voire imposées, de l'extérieur. Elle doit être libre de les formuler et de les traduire en actes.

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Dans les principaux domaines de leur vie, les Français veulent donc faire des choix personnels et originaux, en les détachant des appartenances assignées. Il s'agit d'un processus de long terme, qui s'est accéléré ces trente dernières années et qui explique d'autres tendances, comme le relativisme croissant vis-à-vis des religions ou des idéologies, et la prise de distance à l'égard de certaines institutions « traditionnelles » (comme les partis politiques ou les syndicats).

Ce mouvement de recherche d’individualisation des valeurs, des représentations et des attentes n’est donc pas synonyme de nivellement culturel et axiologique. Il repose plutôt sur une volonté d’expérimentation.

De nombreux citoyens, en particulier parmi les plus jeunes, sont surtout adeptes des « bricolages » des valeurs et des croyances, en puisant leurs références dans des registres différents. Ils s’interrogent sur les différentes logiques d’actions qu’ils rencontrent, qui cohabitent et entre lesquelles ils tentent de naviguer ou d’arbitrer.

C'est sans doute dans le domaine religieux que cette logique du « bricolage » est la plus perceptible.

Il y a une quarantaine d'années, certains observateurs avaient ainsi décrit la fin des religions. Ils reprenaient des prévisions déjà formulées, dès la fin du XIXème siècle, par Marx, Weber ou Durkheim. Pour Le Bras notamment, cette sécularisation de l'Occident se fondait sur une progression de la logique rationnelle dans la vie sociale (le « désenchantement du monde » de Weber), une différenciation de plus en plus forte entre institutions religieuses et politiques et la focalisation des populations sur les préoccupations matérielles (au détriment des préoccupations spirituelles).


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Effectivement, la présence sociale du religieux semble s'être fortement amoindrie en France.

Nous sommes donc loin d’une société qui aurait complètement perdu sa religiosité.

Pour le catholicisme notamment, la disparition progressive du clergé s'est accompagnée d'une érosion régulière des pratiques. Les religions instituées ont énormément perdu de leur influence, en particulier dans le contrôle des conduites. Les sociologues ont ainsi constaté le glissem e n t d ' u n « c h r i s t i a n i s m e confessant » (pratique régulière, adhésion au Credo) vers un « christianisme culturel » (héritage chrétien commun général), fortement teinté d’humanisme séculier. Pour nombre de ceux qui s'affirment chrétiens, ou même catholiques, il s'agit souvent plus d'un rattachement à un fonds culturel commun que d'une véritable implication personnelle.

En dehors de la remobilisation de la croyance dans les grandes religions historiques (et des radicalisations auxquelles elle peut aboutir), que l’on a pu observer ces dernières années, les recompositions à l’œuvre depuis quelques décennies vont bien dans le sens d’une personnalisation des pratiques et croyances religieuses. La religion est, pour beaucoup, vécue comme moyen d'épanouissement personnel. Elle fait l’objet d’expérimentations, au cours desquelles les croyants – au sens générique du terme – n’hésitent pas à mélanger des registres, et donc des valeurs, diversifiés.

Les sociologues sont toutefois parvenus à montrer que cette sécularisation n'est en rien équivalente à une fin de la religiosité.

Au contraire, le religieux réapparaît sous des formes dérégulées. Cette recomposition du sentiment religieux et des pratiques qui lui sont associées prend notamment la forme, chez certains, d'une adhésion à des registres du croire nés de la contre-culture des années 1960 (astrologie, voyance, réincarnation, télépathie, expérience de mort imminente, pratiques spirites, groupes syncrétiques d'origine orientale – néo-bouddhisme et néo-hindouisme –, New Age...).

Ces mouvements « parallèles » aux religions institutionnalisées juxtaposent ou combinent assez largement les registres spirituels, magiques, thérapeutiques, psychologiques ou du développement personnel. De même, certains mêlent ces registres avec ceux proposés par les religions instituées, produisant de nouvelles formes de syncrétisme extrêmement personnalisées.

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De même, la dynamique d'individualisation ne s’apparente pas véritablement à une perte de repères, à une absence de valeurs, voire même à un total nihilisme.

Si l’individualisation est clairement corrélée avec une certaine permissivité en matière de mœurs (acceptation plus forte du divorce, de l’homosexualité, de l’euthanasie…), et même à un certain incivisme, elle n’est pas équivalente à l’abandon de toute règle morale.

Plus tolérants, les individus veulent choisir de plus en plus eux-mêmes les règles à respecter – ce qui peut effectivement provoquer des conflits avec certaines normes impersonnelles et générales relevant de la loi. Avant toute chose, beaucoup d’entre eux veulent être convaincus de l’utilité et de la pertinence d’une norme avant d’y adhérer. C’est cette adhésion qui détermine le respect.

Ensuite, le mouvement d’individualisation n’amène pas nécessairement au repli sur soi.


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Il ne contribue généralement pas à mettre en cause le lien social et à fragmenter la société. Dans un processus toujours dynamique de constitution de ses repères, la personne a d’ailleurs encore plus besoin des autres. Autrui est en effet un support essentiel parce qu’il permet de valider (ou non) la version que chacun propose de soi-même à un moment donné de son histoire. L’homme véritablement individualiste se soucie beaucoup moins du regard de l'Autre, perçu avant tout comme un « partenaire » (dans un rapport de nature strictement utilitaire), voire comme un concurrent. Surtout, l’individu « individualisé » peut chercher sa réalisation personnelle au travers de liens sociaux solidaires.

Les citoyens individualisés se construisent enfin à travers leurs actions et leurs engagements.

Ils peuvent parfaitement choisir de s’identifier à des collectifs. Plus encore, l’individualisation semble constituer un facteur de mobilisation politique bien plus puissant que l’individualisme. Adhérer à des valeurs d’autonomie personnelle n’est en rien équivalent au fait de renoncer à être un acteur de la société. Au contraire, la revendication à plus d’autonomie peut constituer, chez les personnes « individualisées », une motivation pour affirmer des droits qu’elles considèrent mis en danger par des politiques publiques décidées par des autorités et des administrations en mal de légitimité. La revendication à plus d’autonomie des individus dans les affaires qui les concernent ne conduit pas ces individus à se désintéresser des affaires publiques. Au contraire, les données accumulées par les vagues successives de l’enquête Valeurs tendent à montrer que cette revendication est corrélée avec un plus fort investissement dans la vie publique, et dans la vie sociale en général.

Le constat d’un désengagement de certains Français de la sphère publique a notamment été proposé, par certains 35

observateurs, sur le fondement de la très faible adhésion aux partis politiques et aux syndicats. Or, s’il est incontestable que ces acteurs collectifs rassemblent finalement peu de citoyens ou de travailleurs – surtout si on compare leurs effectifs avec ceux de certains de nos voisins européens –, le dynamisme du secteur associatif atteste, au contraire, d’une volonté d’implication de nombre d’individus dans la société. Le fait associatif, extrêmement diversifié, est ainsi devenu une évidence dans notre pays. Il n’a cessé de s’amplifier depuis les années 1960. Les différentes études menées entre 2010 et aujourd’hui situent ainsi le nombre de bénévoles en France à 16 à 24 millions de personnes.

À côté des adhésions aux associations, structures relativement institutionnalisées, existent des engagements de plus courte durée. Une partie des plus jeunes générations de Français est notamment caractérisée par la politisation de ses pratiques culturelles et de ses modes de vie. Cette tendance est particulièrement identifiable dans l’usage des nouveaux médias : plutôt que d’adhérer à un parti politique ou même de voter, les jeunes Français utilisent de plus en plus Internet pour se mobiliser. L’outil est ainsi employé pour organiser ou participer à des actions spontanées et décentralisées (cyber-pétitions, diffusion de vidéos ou de dessins satiriques, campagnes de boycott de produits…) sur des thématiques précises. Ces actions peuvent même avoir des traductions plus « traditionnelles » (manifestations, sit-in…). Il ne s’agit donc généralement pas d’engagements pérennes. Très peu institutionnalisées, ces actions ne relèvent souvent pas d’une idéologie construite. Il s’agit d’engagements politiques ad hoc, portés non plus par une morale de principe mais par une morale de situation. Ce militantisme « presse bouton » n’est pas


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directement porteur d’un engagement politique structurant de longue durée, mais demeure le signe d’une réelle implication dans la vie de la Cité.

Le processus d’individualisation ne concerne, bien évidemment, pas tous les citoyens avec la même puissance. Certes, il s’agit d’une tendance lourde d’évolution de notre société. Mais elle n’est pas uniforme. Surtout, elle n’élimine pas la présence des autres systèmes de référence, en particulier l’individualisme. Différents facteurs ont été identifiés qui expliquent la plus grande adhésion aux valeurs constitutives de l’individualisation. La catégorie socioprofessionnelle d’appartenance est notamment une variable déterminante. De manière schématique, il semble en effet que l’individualisation progresse avec la hiérarchie sociale, tandis que l’individualisme régresse avec elle. Les cadres de la fonction publique et les professions libérales sont ainsi les catégories qui, en tendance, développent le moins d’individualisme et adhèrent le plus aux valeurs et aux comportements qui fondent l’individualisation. Des effets d’âge et de génération existent également.

L’individualisme est bien une réalité contemporaine, qu’il ne s’agit pas de nier.

Face aux discours alarmistes, il faut toutefois être capable d’affiner les analyses, en intégrant une distinction entre la progression de l’individualisme et celle de l’individualisation. La seconde oblige notamment à revoir notre manière de concevoir le citoyen, en intégrant plus avant sa volonté de tolérance, d’autonomie, d’expérimentations concrètes, ainsi que le renouvellement des modes d’implication dans la société, en particulier dans le processus de gestion des affaires publiques.

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BIBLIOGRAPHIE

Bréchon (P.), Gonthier (F.), dir., Les valeurs des Européens. Evolutions et clivages, Paris, Armand Colin, coll. U, 2014.

logies de sécurité. Auparavant, il a travaillé notamment à l’Institut Défense et Diplomatie. Il enseigne aussi à l’Université et intervient auprès de l’IHEDN (Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale).

Galland (O.), Roudet (B.), Une jeunesse différente ? Les valeurs des jeunes Français depuis 30 ans, Paris, La Documentation française, 2012.

Sur les aspects sociologiques et les questions de défense, en lien avec cet article, lire :

CREDOC, « Les jeunes d’aujourd’hui : quelle société pour demain ? », Cahier de recherche n° 292, décembre 2012.

. Frédéric Coste, « Le « déni de la mort » dans les sociétés modernes occidentales et ses conséquences sur la vision de la guerre », dans Chalmin (S.), dir., Gagner une guerre aujourd’hui ? De la Nation, de l’État et de ses armées, Paris, Économica, Coll. Stratégies & Doctrines, 2013, pp. 123-139.

Conseil national de l’information statistique, Rapport du groupe de travail « Connaissance des associations », n° 122, décembre 2010.

Le Bart (C.), L'individualisation, Paris, Presses de Sciences Po, 2008.

Mendras (H.), La seconde révolution française. 1956-1984, Paris, Gallimard, 1984.

Lipotevsky (G.), L’ère du vide, Paris, Gallimard, 1983.

Dumont (L.), Essai sur l’individualisme, Une perspective anthropologique sur l’idéologie moderne, Paris, Le Seuil, 1983.

Le Bras (G.), Études de sociologie religieuse (2 vol.), Paris, PUF, 1955 et 1956.

Durkheim (E.), « L’individualisme et les intellectuels », Revue bleue, 4ème série, t. X, 1898.

Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, t.II., deuxième partie, chap. II, Gallimard, Folio-Histoire, Paris, 1999 (1840).

BIOGRAPHIE Frédéric Coste est membre du Bureau de Common Good Forum. Il est aussi Maître de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique. Il s’est spécialisé sur les politiques publiques de Défense en France, les valeurs militaires et les techno

37

. Frédéric Coste, Adeline Taravella, Relation Homme-Robot, prise en compte des nouveaux facteurs sociologiques, Étude de l’IRSEM, n° 16, 2012

. « Défense globale, sécurité intérieure, sécurité nationale : quelle distinction, quelles articulations ? », in Cahiers français, n° 360, janvier-février 2011, pp. 36-40.

. « Le nouveau statut général des militaires : " rajeunir " dans la continuité », dans La défense française : réflexions sociales et politiques, Les documents du C2SD, n° 91, décembre 2007, pp. 11-26.

. « Les conséquences de l’interarmisation et de l’internationalisation sur l’image que les militaires se font d’eux-mêmes », dans Pascallon (Pierre) (dir.), Les armées françaises à l’heure de l’interarmisation et de l’internationalisation. Les armées françaises à l’aube du XXIème siècle. Tome V, Paris, L’Harmattan, Coll. Défense, 2007, p. 291-310.

. « Armées et ressources humaines », dans Annuaire stratégique et militaire 2007, Odile Jacob, janvier 2007, pp. 75-102.


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INTELLECTUEL

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INTELLECTUEL

COMMENT LES VALEURS PEUVENT-ELLES NOUS AIDER A NOUS RELIER ?

nipulations génétiques, instrumentalisation économique etc. Nous pouvons également y voir le meilleur, l’émergence d’une conscience planétaire de l’humanité. Celle-ci prend différentes formes : solidarité avec ceux qui vivent à l’autre bout de la planète, sentiment d’interdépendance avec le reste du vivant, acceptation de notre fragilité, besoin de nous relier dans les grands moments de désarrois et de douleurs quelle qu’en soit la cause.

Par Carine Dartiguepeygou

La « société spectacle » (au sens qu’en donne Guy Debord) avec comme finalité l’entertainment, celle qui tire les citoyens vers le bas, qui leur vide l’esprit, leur promet un gain sans effort et une reconnaissance publique sans affect, tourne à vide. La quête de richesse matérielle et de ressourcement dans la possession et la consumérisme s’essouffle. Des chercheurs américains ont même prouvé scientifiquement que l’argent ne fait pas le bonheur ! La société de l’hyperconsommation, qui a contribué au développement de nos sociétés, détruit à présent plus qu’elle ne crée de manière durable. Elle atteint ses limites dans les pays occidentaux comme dans les pays émergents pour des raisons différentes : abus des ressources naturelles, trop plein de pollutions, saturation de la demande, coût de production zéro, destruction des solidarités sociales du fait des enjeux financiers, etc.

L’ O b s e r v a t o i r e d e s v a l e u r s (www.observatoiredesvaleurs.org) a été créée en novembre 2015 avec la volonté de faire connaître et diffuser l’analyse par les valeurs. A l’aide d’un questionnaire en ligne, l’Observatoire permet aux personnes comme aux groupes d’identifier leurs valeurs ; il mènera, en outre, des études et des recherches sur l’impact des systèmes de valeurs sur les représentations individuelles et collectives et dispensera des formations.

L’ère de la métamorphose numérique dans laquelle nous sommes entrés nous interpelle sur nos représentations du monde. Nous pouvons y voir le pire : paupérisation, délabrement de la biodiversité et de l’environnement, guerres fratricides, terrorisme idéologique, traite des femmes, commerce d’organes, ma39

En même temps, se développe une résistance au formatage de nos esprits (au sens qu’en donne Bernard Stiegler) et à leur lobotomisation.


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Favorisé en partie par le numérique, une consommation culturelle se développe, créant une richesse plus immatérielle que matérielle. Les émissions de télé-réalité et de jeux atteignent leurs limites tandis qu’explosent de nouveaux médias tels que les blogs et les réseaux sociaux où l’on se met en scène, les chaines thématiques et les WebTV, les MOOCs- ces universités du savoir en ligne- etc. Là encore, la résistance touche les personnes les plus conscientes.

L’accès à la culture (musique, littérature, théâtre, art, cinéma et vidéo, photographie etc.) constitue un puissant vecteur de transformation. La culture pacifie, facilite l’inclusion, guide l’inspiration, entretient la création, redonne de l’espoir et nourrit la résilience. L’orchestre des jeunes Démos, qui sensibilise les jeunes défavorisés à l’apprentissage de la musique classique et développe la pratique musicale (qui requiert patience et discipline), illustre l’efficacité de cette démarche1.

Un autre vecteur, celui du monde du vivant, des végétaux et des animaux, nous rappellent que nous ne sommes pas seuls à poursuivre cette destinée et que d’autres modes de transmission sont à l’œuvre. Se promener en forêt, prendre le temps de contempler la vie qu’elle abrite, écouter le rythme de la nature, tout cela nous permet aujourd’hui, dans notre société en accélération, de prendre la juste mesure des choses.

Dans ce contexte, on voit bien que l’évolution individuelle n’est plus une question d’individualisme tel qu’on l’a connue tout au long du derniers siècle. Celui-ci était le produit d’une société industrielle basée sur la division des tâches,

Voir notamment le témoignage de Laurent Bayle au Cahier des Entretiens Albert-Kahn n°1, Quel vivre-ensemble souhaitons-nous construire ? 1

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l’utilisation d’énergies fossiles et la production à outrance (toujours plus, toujours plus gros) à des fins commerciales. Il était, par définition, égocentré, la personne cherchant à gagner en confort pour son seul intérêt. Cette ère tire à sa fin. La situation actuelle est différente au sens où développement personnel rime avec individuation et collaboration, et non plus avec individualisme et compétitivité. La finalité de la démarche de progrès de la personne ou de la collectivité n’est plus uniquement celle de son confort et de sa richesse matérielle comme une fin en soi.

La personne est prise dans sa globalité au sens qu’en donne l’approche intégrale, à savoir dans ses dimensions rationnelle, émotionnelle et spirituelle. Elle se caractérise par une conscience plus large qui intègre la complexité des champs économiques, écologiques et sociaux.

Il s’agit d’une recherche d’émancipation où la personne souhaite avant tout se libérer de toute forme d’instrumentalisation (économique, sociale, etc.), progresser vers plus de bonheur et non pas uniquement vers plus de bien-être, à se nourrir à la fois intellectuellement et spirituellement. Au travail, cela se caractérise par l’envie de donner tout en recevant, de s’inscrire dans une dynamique positive d’autonomisation, de gagner en compétences et en expérience.

Les personnes ne travaillent plus uniquement pour gagner un salaire, elles ont besoin de sens. Cette recherche d’émancipation est très présente chez les plus jeunes générations. Notre étude sur la Génération Y montre que les jeunes se retrouvent quasiment à 100% dans cette définition de la recherche d’émancipation au sens d’individuation2 .

La recherche d’émancipation, c’est mieux comprendre sa singularité pour l’exprimer avec justesse et la voir reconnue. Elle est l’essence de notre identité. Etre dans cette démarche nous relie à nous-mêmes, mais aussi aux autres. Comprendre ce qu’il y a de singulier en chacun permet à chacun de trouver sa place dans un groupe, une communauté, une société. L’isolement entraîne des conséquences fâcheuses. Ne pas parvenir à trouver sa singularité, c’est se couper de soi ; c’est prendre aussi le risque de ne pas pouvoir se frotter aux autres et de ne pas pouvoir contribuer pleinement à la société. Se connaître soi-même c’est faire le choix de l’attention, du discernement, du vivre-ensemble.

L’environnement joue un rôle important dans la recherche d’émancipation, car il peut offrir, ou au contraire, entraver les conditions d’un épanouissement. Ceci est visible dans les univers de travail qui sont plus ou moins permissif, mais c’est également vrai dans l’univers familial. La multiplication des tribus3, des communautés d’intérêts sur les réseaux sociaux numériques, des mouvements de citoyens autour de convictions (Avaaz, les Colibris, Indignados, etc.) ou d’associations professionnelles ou amicales illustre cette dynamique collective autour du partage de valeurs.

Mais le changement de paradigme s’explique aussi, selon nous, par un regard différent sur le monde. Les jeunes naissent et grandissent avec une conscience de notre planète plus large que leurs ainés. Le numérique y est pour beaucoup, mais pas seulement. A ce levier de changement paradigmatique s’ajoute le levier d’interdépendance, qui consiste à chercher de nouvelles manières

Carine Dartiguepeyrou, « Ce que ces petits jeunes nous disent de nos grandes entreprises », Think Tank de l’Institut Mines Télécom et de la Chaire Digital Natives de Grenoble Ecole de Management, 2015. 2

3

Au sens qu’en donne Michel Maffesoli.

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d’interagir avec les autres, entre personnes autonomes, qui ont conscience de leur valeur (même limitée) et contribuent à un projet plus grand qu’eux, qui les inspire et offre du sens.

Si la recherche d’émancipation s’accompagne d’une quête supérieure, qu’elle implique un engagement et une transcendance4, elle devient source d’exigence car il nous faut relier nos différences. En mettant en lumière notre singularité, nos différences, nous comprenons ce qui nous différencie. Or l’unité humaine est là pour nous rappeler notre interdépendance. Mais comment la vivre ? Comment la préserver et la faire fructifier ?

La notion d’empathie est essentielle, car elle trace le lien entre le soi et les autres, entre tous les êtres vivants. Elle peut prendre différentes formes, mais elle exprime la part extrinsèque de notre être. Elle nous ramène à l’autre. C’est bien là que notre civilisation est en difficulté. Nous voyons toujours plus ce qui nous divise que ce qui nous relie. Nous voyons le mal là où l’on peut voir le bon. Nous voyons le laid là où certains voient le beau. C’est en cela que l’analyse par les valeurs peut nous aider à construire des ponts entre nos différences.

L’analyse par les valeurs nous permet de décrypter notre nuage de valeurs, c’est-àdire ce qui compte en termes d’énergie pour nous, ce sur quoi nous pouvons nous appuyer et ce à quoi nous aspirons.

Il ne s’agit en aucun cas de jugement de valeur, il n’y a pas de bon ou mauvais système de valeurs dans notre approche. En intégrant une dimension développe-

mentale et évolutive, l’analyse par les valeurs nous permet de comprendre les dynamiques individuelles et collectives à l’oeuvre.

Certes, nous régressons et progressons à la fois, mais nous pouvons voir quelles valeurs peuvent nous conduire vers telles autres. Par exemple, un besoin de développement personnel ou de recherche d’intériorité, peut conduire à une nouvelle manière d’interagir avec les autres qui elle-même pourra mener à l’aspiration d’agir dans une organisation plus collaborative ou créative. Lorsque Mandela nous dit : « nous pouvons changer le monde pour en faire une place meilleure » (we can change the word to make a better place), il reconnait que chaque individu a un pouvoir d’action et qu’il peut aspirer à un monde meilleur et y contribuer.

Les valeurs ont joué un rôle important dans l’imagination d’un monde meilleur. Par exemple, dans le cas de la révolution des démocraties populaires, elles ont favorisé l’effondrement du système soviétique à la fin des années 1980. Les intellectuels polonais, tchèques ou hongrois ont contribué, à travers leurs essais et leurs pièces de théâtre qui parlaient du monde d’après, celui dont ils rêvaient, à libérer leurs pays du joug soviétique.

Le samizdat5 a lui aussi permis la diffusion de ces valeurs qui ont elles-mêmes concourues aux révolutions des années 1990. La fin de la politique de l’Apartheid en Afrique du Sud et la création d’un premier gouvernement multiracial au début des années 1990 ne peut s’expliquer que par le pont qui a pu être établi entre deux systèmes de valeurs différents, qui s’illustrent à travers l’action des deux

Voir notamment sur ce sujet, Carine Dartiguepeyrou « TranscenDANSE, Comment nous mettre en mouvement, danser vers le « monde d’après »? in Gilles Berhault et Carine Dartiguepeyrou (sous la dir.), Nouveaux mythes, nouveaux imaginaires pour un monde durable, Les petits matins, 2015. 4

« Ensemble des techniques qui étaient utilisées en URSS pour reproduire des textes interdits, à l’insu des autorités », Larousse. 5

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hommes éminents que sont Nelson Mandela et Frederik De Clerk.

Aujourd’hui, c’est via les réseaux numériques que les résistances s’organisent, comme dans le cas du Printemps arabe. Construire un monde plus durable, c’est ériger des politiques publiques en matière de solidarité, de climat, de biodiversité ou de protection de l’environnement, mais c’est surtout le rêver, l’imaginer, le désirer à tous les niveaux d’acteurs6. Cela passe encore une fois par un dialogue, la construction de consensus et un partage de valeurs.

L’analyse par les valeurs est également féconde dans les cas de fusions entre entités pour identifier en profondeur ce qui relie deux cultures organisationnelles à partir de l’analyse des valeurs des fondateurs, des dirigeants mais aussi du corps social. Elle est particulièrement utile pour travailler la cohérence entre, par exemple, les valeurs déclarées d’un groupe (valeurs institutionnelles et aspirationnelles) et celles qui sont réellement portées par le groupe (valeurs opérationnelles).

fragilités, sa singularité, mais aussi ses forces de reliance et d’action individuelle et collective. Dans notre ouvrage Les horizons du futur7 , nous appelions à une « éthique de l’altérité ». Celle-ci est plus que jamais nécessaire et l’analyse par les valeurs peut nous y aider.

***

BIOGRAPHIE Carine Dartiguepeyrou est docteur en sciences politiques, prospectiviste et conférencière (www.carinedartiguepeyrou.com).

Elle travaille sur le changement de paradigme sociétal.

Elle a cocréé et préside l’Observatoire des valeurs (www.observatoiredesvaleurs.org).

Elle peut être utile pour trouver de nouvelles sources de coopération et d’envie de l’autre dans le cas, par exemple, d’équipes qui agissent ensemble depuis longtemps sans vraiment comprendre comment les uns et les autres ont évolué ni l’impact que cela a sur le groupe.

Tous ces exemples montrent que bien des enjeux peuvent être relevés quand des valeurs peuvent être identifiées comme socle commun. Comme le dit très justement Sylvie Gendreau, « un citoyen qui se prend en charge est un citoyen qui ne laisse pas l’inacceptable l’envahir trop longtemps ». Mieux se connaître, c’est mieux comprendre ses 6 7

Nouveaux mythes, nouveaux imaginaires pour un monde durable, op. cit. Michel Saloff-Coste et Carine Dartiguepeyrou, Les horizons du futur, Guy Trédaniel, 2000.

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PRATICIEN

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PRATICIEN

YUDEN, AU PAYS DU BONHEUR NATIONAL BRUT Témoignage-Film Par Sébastien Keiff Yuden est un film de Sébastien Keiff, réalisé à l’occasion d’un séjour au Bhoutan, dans le cadre de la Conférence internationale sur le bonheur national brut de novembre 2015. En savoir plus : https://wikispiral.org/Yuden A la question "Que veux-tu faire quand tu seras grande ?", Yuden répond : "Je voudrais être réalisatrice de film, ou faire quelque chose pour rendre mes parents heureux". S'en suit un voyage au "Pays du Bonheur" où Yuden nous incite à enlever nos lunettes et nos chaussures occidentales pour découvrir l'Orient et sa conception du bonheur pour tous, aujourd'hui et demain, mesuré dans le fameux indice du Bonheur national brut : « Salut, moi c’est Yuden. J’ai 15 ans et je vis au Bhoutan. Vous allez me demander ce que c’est et où c’est … je

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vous répondrai que c’est un petit petit pays de l’Himalaya, quatre fois grand comme la Gironde, mais moitié moins peuplé. Mais je vous répondrai aussi que c’est en chacun de vous. Le Bhoutan est le pays du bonheur. « Happiness is a place », comme disent les brochures. Je vis avec ma mère Pema, mon père Chador et ma petite sœur Chimny, dans un petit village, appelé Lamghtsey à 200 kms de la capitale Timphu. Mais ici, 200 kms cela veut aussi dire 14 heures de route ! Mon cousin Ugyen, va bientôt arriver avec un groupe de français venu découvrir le Bonheur national brut. Nous sommes tous très excités, car c’est la première fois que nous accueillerons des étrangers dans le village. Enfin non, en réalité nous avons déjà vu une japonaise, il y a 3 ans… Ugyen me demande de prendre le temps de leur expliquer ce qu’est pour nous, pour de vrai, le Bonheur national brut. J’ai un peu peur qu’ils arrivent avec leurs grosses chaussures et leurs lunettes occidentales. Ca va être compliqué. Ou alors je vais essayer de leur faire un petit film…


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Le Bonheur national brut, nous l’appelons GNH en anglais, je ne crois pas qu’il y ait de mot en dzongkha, notre langue officielle. C’est sa Majesté le 4ème Roi du Bhoutan qui a consacré 24 ans de sa vie à mettre en place cette idée. Le GNH c’est beaucoup de choses, mais pour moi c’est avant tout notre projet de société, nos valeurs, notre philosophie de vie.

vous courrez après la croissance sans savoir où cela vous amène. Nous avons inventé le Bonheur national brut pour raconter l’histoire de notre aspiration collective à vivre heureux ensemble. C’est pas si bête non ?

Vous avez choisi de viser la croissance, nous avons choisi de viser le bonheur. Cela ne veut pas dire que tout le monde soit tout le temps heureux, mais cela veut dire que ce que nous faisons et surtout que ce que font les dirigeants doit viser le bonheur du peuple et de chacun de ses membres. Si, si, ne rigolez pas, vous voyez que vous avez du mal à enlever vos lunettes !

Yuden est un film de Sébastien Keiff, réalisé à l’occasion d’un séjour au Bhoutan dans le cadre de la Conférence internationale sur le bonheur national brut de novembre 2015. En savoir plus : https://wikispiral.org/ Yuden

Le Bonheur est notre objectif, et il est aussi mesuré. Il y a un indicateur, un peu compliqué. Pour le mesurer, des enquêteurs sillonnent les campagnes et posent des centaines de questions aux habitants. Et c’est aussi tout un tas de questions que tous les dirigeants doivent se poser avant de mettre en place n’importe quel projet. Et ce sont aussi des actions, de tous les jours, ce que l’on appelle « GNH in action ». La mobilisation du gouvernement sur ce thème est telle que tous les projets de loi présentés par les ministères sont soumis à la Commission du bonheur national brut, dont fait partie le Premier ministre lui-même.

Sébastien Keiff est diplômé d’un Master en économie internationale de l’université de Lund - Stockholm, et d’un Master en gestion territoriale du développement durable de l’université de Toulouse.

Depuis 15 ans il s’est spécialisé dans l’élaboration de systèmes d’observations territoriaux co-construits afin d’éclairer les politiques publiques et les projets territoriaux au plus proches des sensibilités réelles des territoires et de leurs acteurs.

Depuis 2008, il a intégré la Mission agenda 21 du Conseil général de la Gironde en tant que chargé de la participation citoyenne. Il y a animé et accompagné une centaine de dispositifs participatifs et citoyens.

Sébastien est membre du réseau Together International, membre fondateur de Together France et dynamiseur SPIRAL : démarche ascendante de construction de programmes de coresponsabilité pour le bien-être de tous, pour aujourd’hui et pour demain.

Site web : https://wikispiral.org/tiki-index.p...

Une philosophie de vie, un socle de valeurs, un instrument de mesure et un ensemble d’actions très concrètes … je crois que mes profs appellent ça un paradigme. Je ne suis pas certaines de bien comprendre ce mot, mais il parait que ça va vous parler ! Vous avez inventé le Produit intérieur brut pour raconter l’histoire de votre reconstruction occidentale d’après-guerre. Et aujourd’hui 46

Maintenant, je sais que vous allez me demander « n o n , mais concrètement » ? Alors venons-y… »

BIOGRAPHIE


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LE BONHEUR A-T-IL UNE NATIONALITE ? Par Violaine Hacker Alors que des programmes d'Etat au Bouthan visent à garantir un « Bonheur National Brut » (BNB), la pensée du Bien commun nous interroge : le bonheur at-il une nationalité ? I/ Le « Bonheur National Brut » (BNB), au Bouthan 1° Un pays qui cherche à se distinguer au plan international Au Bhoutan, une conférence internationale sur le bonheur national brut s’est tenue les 4-6 novembre 20168 , afin de partager des points de vue et expériences sur ce concept unique au monde consistant à mesurer le niveau de bonheur de ses habitants, dans un « Bonheur National Brut » (BNB). Ce concept a été inventé, au Bhoutan, il y a déjà trente ans, dans l’idée de concevoir d’une façon alternative le bien-être, au-delà du PIB (Produit Intérieur Brut). En effet, le calcul du PIB ne prend pas en compte : le travail non rémunéré, celui que l’on fait pour soi-même; le bénévolat; ce que l’on produit pour soi-même (son verger, son potager,…); les dégâts

causés à l’environnement; les richesses naturelles ou leur épuisement; l’impact d’une catastrophe naturelle, d’une guerre…; les créances douteuses (crédit dont on sait que l’emprunteur ne pourra pas le rembourser).

Dans ce contexte, l’indice du BNB préconisé par le roi du Bhoutan, Jigme Singye Wangchuck, en 1972, avait ainsi pour objectif de bâtir une économie qui serve la culture du Bhoutan, et qui reposerait sur des valeurs spirituelles bouddhistes. Il faisait écho aux réflexions menées sur les limites de la croissance en Europe et aux Etats-Unis. Schématiquement, dans les pays industrialisés, le bonheur serait souvent synonyme de consommation matérielle. Un niveau élémentaire de richesse matérielle serait nécessaire. Pourtant les ressortissants de pays plus riches et technologiquement plus avancés ne sont pas nécessairement les plus heureux. Face à ces enjeux, la France a ainsi demandé en 2008 au prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz, d’imaginer une façon de mesurer le bonheur. Quelques années plus tard, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a proposé un indice pour comparer les niveaux de bonheur entre ses États membres.

2° Une politique d’Etat Le Bhoutan représente le premier pays au monde à avoir érigé le bonheur en politique d’état. Sa conception dépasse la définition couramment donnée dans les pays industrialisés. En effet, holiste, elle cherche à embrasser les besoins spirituels, matériels, physiques ou sociaux de la population, en mettant l’accent sur un progrès équilibré. Cette conception se

La conférence internationale sur le Bonheur de 2015 s’inscrit dans une dynamique initiée en 2004. De nombreuses rencontres ont révélé l’intérêt croissant des nations pour un modèle de développement alternatif centré sur le bien-être et le bonheur. Cinq conférences internationales ont porté sur le BNB : au Bhoutan en 2004; en Nouvelle-Écosse en juin 2005; en Thaïlande en 2007; au Bhoutan en 2008; et sous l'égide de l'ONU en 2011. Le Bhoutan avait été l’invité d’honneur des premières Assises Internationales du Bonheur à Sète, en 2011. Le Center for Bhutan Studies & GNH Research (CBS) a organisé la sixième conférence internationale sur le Bonheur National Brut au Bhoutan.

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veut écologiquement durable en considérant que le bonheur est un phénomène collectif, c’est-à-dire concernant à la fois le bien être de la génération actuelle et des suivantes.

Equitable, elle cherche à assurer une distribution juste et raisonnable de la prospérité entre les habitants.

De plus, les Bhoutanais considèrent que le bonheur est multidimensionnel. Ils distinguent neuf dimensions : bien-être psychologique, santé, éducation, usage du temps, diversité culturelle, gouvernance, vitalité de la vie démocratique, diversité écologique et niveau de vie.

Le BNB apparaît comme un indice englobant, de manière assez large, le produit intérieur brut (PIB) ou l'indice de développement humain (IDH), bien que ceux-ci apparaissent comme insuffisants pour mesurer le bonheur des habitants d'un pays.

L’indice du BNB repose sur les quatre principes fondamentaux auxquels le gouvernement du Bhoutan attache une part égale : • croissance et développement économiques ; • conservation et promotion de la culture bhoutanaise ; • sauvegarde de l'environnement et utilisation durable des ressources ; • bonne gouvernance responsable.

II/ Un indice mise en oeuvre sur le territoire 1° Du BNB aux mesures concrètes En 2011, 72 critères de mesure ont été établies afin d’évaluer les quatre grands axes du BNB. Corrélativement, une série de mesures concrètes ont été instaurées afin d’améliorer la croissance économique, la conservation et le développe48

ment de la culture ou encore la sauvegarde de l’environnement, et enfin favoriser une bonne gouvernance responsable.

Ce concept de Bonheur National Brut aurait pu longtemps rester très théorique. Un certain volontarisme politique a néanmoins conduit à de profonds bouleversements :

• dans l’agriculture, avec comme objectif le 100% biologique en 2020,

• au sein de l’éducation nationale qui prépare les élèves à devenir des « ambassadeurs du changement »,

• dans la gestion des ressources naturelles, avec une réglementation stricte de l’abattage des arbres et de l’exploitation minière,

• dans la santé qui est gratuite pour tous,

• le tourisme haut de gamme,

• dans le commerce, avec la non-adhésion à l’Organisation mondiale du commerce par exemple.

Concrètement, le BNB se retrouve dans diverses expériences qui révèlent :

. une architecture et des règles d’urbanisation très rigoureuses;

. une préservation d’un artisanat d’art;

. un niveau de vie élevé pour la région;

. une démocratie parlementaire vigilante; la santé et l’éducation gratuites à vie;

. 60% du pays est préservé en forêt;

. une lutte sévère contre la corruption; les journaux critiques à l’égard du pouvoir;

. l’autosuffisance comme l’un des objectifs du pays.

Actuellement, les premières concrétisations ont émergé mais ont aussi donné lieu à discussion. Le roi a par exemple instauré l’apprentissage de la langue nationale (le dzongkha) dans les écoles. Il a encouragé à porter l’habit traditionnel en public afin de préserver la culture bhoutanaise. Enfin, le 1er dimanche de chaque mois est instaurée la journée sans voiture. En 2004, il avait interdit la vente de cigarettes, sous le prétexte que leur consom-


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mation avait des conséquences sociales, spirituelles et sanitaires négatives, et qui’elle s’opposait aussi à la doctrine bouddhiste recommandant d'éviter les stupéfiants affaiblissant les capacités mentales. Toutefois, finalement, l’interdiction absolue du tabac dans les lieux publics décidée en 2004 a été supprimée, car peu adaptée aux réalités sociales.

2° Des sondages Au Bhoutan, les politiques publiques cherchent à se fonder sur la satisfaction et les besoins des habitants. Elles s’appuient sur des sondages, afin de viser certains objectifs.

Tous les trois ans, un sondage est réalisé près la population afin de calculer son « état de bonheur ». En 2015, plus de 7.000 Bhoutanais ont répondu au questionnaire, et 91.2% d'entre eux se disaient « profondément heureux ». Notons cependant quelques nuances : les hommes le seraient davantage que les femmes, et les urbains plus que les ruraux.

Ces sondages permettent de réformer. Par exemple, le Bhoutan devrait arriver au 100% de voitures électriques dans le pays. Il faudrait aussi rendre encore plus accessible l’éducation, bien que celle-ci soit déjà gratuite dans le pays.

4° Des enjeux à résoudre Au-delà des aspects positifs notables, la situation actuelle de ce pays pourrait surprendre. En particulier, une liste d’injonctions interpelle quant à une potentielle dérive totalitaire : aucune marque autorisée dans les magasins; un costume obligatoire pour tous les enseignants; une seule chaîne de télévision; le téléphone mobile présent depuis seulement 2003; une religion unique, le bouddhisme du grand véhicule; et une société totalement mobilisée pour la préservation de ses valeurs.

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De plus, au Bhoutan, Tshering Tobgay, le Premier ministre nommé en juillet 2013, a déploré que le gouvernement précédent ait passé beaucoup plus de temps à parler du BNB qu'à agir ! Il a noté les points faibles du système bhoutanais : l’endettement, la monnaie, le chômage, et la perception d'une corruption croissante. Le pays souffre aussi de la pauvreté rurale, de la mauvaise intégration des jeunes sur le marché de l’emploi encore restreint, ou du défi de l’accroissement démographique dans la capitale. Un Bhoutanais sur quatre vit dans la pauvreté, avec moins de 2 dollars par jour. Quatre enfants de moins de 5 ans sur dix sont sous-alimentés. Le revenu annuel par habitant ne dépasse pas 1 920 dollars.

Certes les critères du BNB sont vantés mondialement. Toutefois on déplore aussi leur inadaptabilité. Le bonheur n’est pas quantifiable, et sa mesure ne peut reposer que sur des mesures qualitatives, des indicateurs indirects ou des déclarations toujours subjectives des personnes interrogées. La fiabilité de ces résultats dépend donc de la manière dont les informations sont collectées et analysées.

A l’avenir, quelques enjeux concrets restent donc à résoudre mêlant difficultés et objectifs ambitieux : les hommes sont davantage heureux que les femmes, et les urbains davantage que les ruraux. Le Bhoutan doit aussi faire face à de nouveaux problèmes sociaux qui n’étaient pas notoires jusqu’à présent, comme l’alcool, la drogue et le chômage des jeunes. Parallèlement, le Bhoutan devrait arriver au 100% de voitures électriques dans le pays. Il faudrait aussi rendre encore plus accessible l’éducation, bien que celle-ci soit déjà gratuite dans le pays.

III/ Bonheur ou Bon Vivre (Buen Vivir) ? Le bonheur a t-il une nationalité ? La quête du bonheur n’est pas vraiment une


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idée neuve, en témoigne par exemple la vision d’Aristote sur le Bien commun. Or notons que sa vision reposait davantage sur un processus où chacun aurait une place, et où le gouvernement aurait pour tâche d’harmoniser les vertus de chacun.

La conception du Bonheur comme mouvement permanent se distingue donc du Buen Vivir, orientée politiquement.

1° Le mouvement du Buen Vivir L’Équateur - comme beaucoup de pays d’Amérique latine - a mis en place une approche nouvelle. Le gouvernement socialiste de Rafael Correa a instauré le secrétariat du Buen Vivir. Les pratiques de ce ministère mené par Freddy Ehlers prennent leurs sources dans la philosophie ancestrale méso-américaine. Elles visent à transformer les institutions équatoriennes et les citoyens, afin que ceux-ci atteignent « une vie sereine et le plus haut niveau de bonheur possible ». Par exemple, le ministère du Buen Vivir a cherché à instaurer un indice du bonheur propre à l’Équateur. Il s’agissait de mesurer le bonheur en nombre d’années. Or, de façon amusante, le ministère a aussi réalisé qu’avec une espérance de vie moyenne de 73 ans, les Équatoriens ne passeraient que onze ans et trois mois de leur vie à être heureux… L’Equateur collabore aussi avec la Bolivie pour améliorer cet indice.

2° Des classements fondés sur des indicateurs de bonheur Enfin, Gallup a réalisé un sondage sur les pays les plus heureux. Il ressort que l’Equateur se situe en tête de peloton – ex-æquo avec son voisin colombien et le Guatemala – selon un indice mondial sur les sentiments positifs. Les Paraguayens obtiennent un score de 89, et se révèleraient les plus heureux au monde. Les États-Unis obtiennent un score de 79, et la France 76. Le Soudan se situe en 50

marge de ce classement avec un score de 47 à « l’indice d’expérience positive ».

Toutefois, l’impression donnée par ces classements fondés sur des indicateurs de bonheur est qu’ils ne se fondent pas sur une dynamique sociale ou des origines culturelles fondatrices par exemple, qui refléteraient la complexité de la réalité sociale.

Conclusion Certes des politiques d’Etat tendent à contribuer au Développement. Le bonheur n’a cependant pas de nationalité ! Certains pays cherchent bien à promouvoir le Bien commun par des politiques adaptées à la fois à leur propre écosystème et à leur culture, par : 1° Une mise en commun des biens réajustée en fonction des besoins des populations et des contextes; 2° Une recherche d’harmonie entre l’épanouissement de la Personne et de l’utilité sociale dans la communauté, contre toute dérive totalitaire; 3° Une recherche d’efficience réelle des politiques publiques, c’est-à-dire un accès réel aux biens communs.


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LE BUEN VIVIR, COSMOGONIE DU BIEN COMMUN Par Violaine Hacker Le concept du « Buen Vivir » renvoie à une certaine conception du Développement. Il met en oeuvre une des façons de concevoir de facto la philosophie du Bien commun. Attention, la promotion de la pensée méthodologique du Bien commun (fondée sur différentes notions, comme par exemple la reliance, le holisme, la relation à la Nature, les choix éthiques) diffère de celle du Buen vivir. Celui-ci prône plutôt un certain mode de vie et une conception du Développement fondées sur : la solidarité, la défense des populations pauvres, la promotion des Communs, la protection de la nature par exemple. Oui, les deux sont conciliables. La philosophie propose une méthode, alors que le Buen Vivir renvoie plus précisément à des objectifs politiques, voire idéologiques, arrêtés. En ce sens, le concept du Buen Vivir propose une cosmogonie du Bien commun. En effet, du grec cosmo- « monde » et gon- « engendrer », la cosmogonie désigne en effet un système de la formation de l'Univers. Des milliers de légendes de création du monde et de récits cosmogoniques traditionnels relatifs aux origines du monde, des dieux ou des institutions, constituent la catégorie des mythes fondateurs. 51

On retrouve ces références dans l’origine du Mouvement du Buen Vivir qui se situe en Amérique du sud (A). Les orientations politiques nourrissent les programmes nationaux, mais surtout de Développement, largement fondés sur l’écosocialisme (B). A. Origines 1° Le Mouvement du « Buen Vivir » trouve son origine en Amérique indoafro-latino-américaine. Ce mouvement correspond à un objectif issu des processus révolutionnaires équatorien, bolivien et vénézuélien. Il traduit les cosmovisions indiennes qui mêlent à égalité le développement humain et celui de la nature. Le concept de Buen Vivir constitue une cosmogonie du Bien commun. En effet, les figures idéales et les modèles intemporels y ont une place importante. Différents récits justifient les transformations radicales du monde observable, de la Terre et de la société humaine, tel le modèle exemplaire de toute manière de faire. Les êtres humains, dans la cosmogonie quechua, aymara, guarani, font partie de la nature. Les concepts andins de "Sumak Kawsay" ou "Suma Qamaña" nous invitent à imaginer des horizons différents, où la composante esthétique détermine la composition éthique, et la possibilité d’une posture politique. Par exemple, dans les cosmogonies andines, l’eau est un être sacré. Les montagnes (la cordillère) représentent des lieux animés par les esprits des ancêtres. Elles se transforment à leur tour en "Apus" (grands pères en quechua), et en "Achachilas" et "Awichas" (grands pères, en aymara). Les Andes sont sacrées, … comme le Lac Titicaca, le "tata" qui domine et protège La Paz...


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Fortement poétique et culturel, le mouvement cherche à échapper à une conception strictement rationaliste de la vie. En effet, il ne peut être posé, analysé isolément, mais doit être contextualisé. La richesse sémantique ne peut donc être résumée à elle seule par l’expression Buen Vivir : "être-tout en étant-joliment, ou encore, la plénitude de "estar siendo", de la conscience d’être, ces nouvelles façons d’interpréter. 2° Sur ce fondement, s’est développée la posture idéologique du Buen Vivir. Elle implique en premier lieu la reconstitution de l’identité culturelle d’un héritage ancestral séculaire, mais aussi une politique de souveraineté et de dignité nationale. Elle prône la récupération du droit de relation avec la Mère Terre, ainsi que la substitution de l’accumulation illimitée individuelle de capital par la récupération intégrale de l’équilibre et de l’harmonie avec la nature. Pour les acteurs des révolutions latinoaméricaines, le Buen Vivir représente une des alternatives de civilisation. Le contrôle populaire des moyens de production constitue l’une des conditions pour bâtir des sociétés harmonieuses, égalitaires et complémentaires. Sont régulièrement prônés : la construction de territoires libérés, la société du Commun, la socialisation, l’élargissement et la gratuité des services publics, ou encore le partage. La pleine réalisation de soi nécessite celle des autres, de tous les potentiels humains et de la nature, et la création de nouvelles valeurs humaines, morales, spirituelles. Ceci est incompatible avec les valeurs dominantes du capitalisme : concurrence, individualisme, hiérarchisation, marchandisation... 52

Il convient donc de donner un nouveau sens, et d’inverser les logiques à l’oeuvre. Il faut garantir le dépassement des contradictions de classe. Le Buen Vivir désigne le projet de construction d’une économie populaire et solidaire, socialisée, d’un "être humain intégral", d’un vivre bien ensemble. Le communautarisme est ici entendu comme une société autogérée, vivant des valeurs humanistes, et respectant la vie. Cette notion de communauté est alors liée à un territoire. Par exemple, l’ayllu caractérise les Andes. En privilégiant ce lien territorial, il s’agit de mettre en place des structures, des enclaves d’autogestion, liées à des communautés (des quartiers, des entreprises, des centres de recherche, des villages, des exploitations agricoles par exemple), et de promouvoir ces enclaves non-capitalistes ouvertes et coopérant entre elles. 3° Comment traduire cette notion en français ? L’expression « Buen Vivir » n’équivaut pas au « bien être », au « vivre bien », ou au « vivre mieux », mais plutôt à « la vie belle », « la vie bonne » ou aux « jours heureux ». En France, le « vivre bien » signifie que les besoins physiques, matériels, intellectuels, sont satisfaits quantitativement, dans la lignée d’un « Etat de bien-être social ». Le quantitatif reste néanmoins inséparable du qualitatif dans la lutte des classes. Certes, la décroissance, ou la lutte contre le consumérisme effréné ou le productivisme prédateur, sont des combats toujours vivants. Cependant, il reste toujours à protéger les millions de Français


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pauvres qui en sont précisément quasiment exclus.

pratiques autogestionnaires et horizontales de vie communautaire.

Il s’agit alors plutôt de « déséconomiser » nos vies, et de mettre au point puis d’utiliser des paramètres adéquats ou des indicateurs du bien-être, qui puissent éventuellement servir dans des contextes culturels et géopolitiques différents.

Par exemple, en Bolivie, la nationalisation des hydrocarbures, de l’électricité, des télécommunications, des mines, ont permis à l’Etat de multiplier les investissements publics. Il s’agissait aussi de renforcer les pratiques délibératives plus qu’électorales, la dépersonnalisation du pouvoir, sa révocabilité consensuelle, la rotation des responsabilités. Le pays a vécu en cinq ans un passage de la « pauvreté modérée » de 60,6% à 49,6%, et de la « pauvreté extrême » de 38% à 25%. Près d’un million de personnes sont ainsi sorties de la pauvreté.

B. Des modes de développement prônés 1° Des modes de développement situés Dans le Buen Vivir, le bonheur est « situé » : dans la révolution, dans le dé-néolibéralisme, dans la démarchandisation. Il s’agit de bâtir une nouvelle civilisation, basée sur une des cosmovisions tendant à l’harmonie, aux échanges équilibrés entre les êtres humains, avec soi-même et la nature. La crise invite à la recherche d’un socialisme inédit, d’un mode de production, de reproduction et d’accumulation, toujours en équilibre avec la nature. Ce mouvement nous interroge aussi sur les modes de développement envisageables, ou sur les besoins corrélatifs et sur les outils appropriés. Selon ce courant, il s’agit de contredire la logique capitaliste. La crise systémique du capitalisme nous conduit à réfléchir à une nouvelle économie des besoins, à des modes de développement plus justes, plus rationnels, plus économes en énergie, moins polluants, moins extractivistes. En effet, cette posture part du principe que le développement menace d’anéantir lentement la vie communale et culturelle des communautés indiennes. Il faut donc lutter contre le luxe, le consumérisme, ou le gaspillage. Cette recherche de plénitude de vie, de parité ou d’équilibre matériel et spirituel avec la nature est aussi porteuse de 53

2° L’écosocialisme Souvent l’écosocialisme est associé au Buen Vivir en Amérique du sud. Il y englobe à la fois une réflexion critique et une stratégie de lutte. Il se construit à partir de la « communauté de base ». Cette théorie politique et cette vision du monde sont bien liées à un espace, à un territoire : celui des Amériques. Ce socialisme autochtone se construit ici et maintenant, « à partir de nousmêmes », par la déconstruction des rapports de domination, de dépendance, d’exploitation, par la convergence de résistances de tous les jours, et la recherche d’alternatives écologiques, économiques, éthiques, sociales, politiques. L’écosocialisme privilégie : la maîtrise par le peuple des priorités économiques et sociales, des décisions d’investissement, la réorganisation du mode de production sur la base des nécessités réelles et des valeurs d’usage la propriété collective des grands moyens de production, une planification démocratique et écologique, la réorientation de la politique énergétique, des transports…


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La question écologique est désormais considérée comme l’un des principaux défis à relever afin de renouveler la pensée de gauche. Cette réalité est le fruit d’un processus.

ateur a consisté en 2007 à ne pas exploiter d’importantes réserves pétrolières dans une région amazonienne riche en réserves de biodiversité et donc protégée (parc national).

D’abord, le mouvement ouvrier et les partis marxistes ont considéré que le système productiviste ou de la croissance sans limites permettait en premier lieu de satisfaire les besoins primaires, reléguant de fait la thématique écologique. Puis d’importants forums ont conduit progressivement à concevoir l’écologie et le socialisme. Alors que le marxisme y est ouvertement revendiqué, la notion de « capitalisme vert » est prônée par les classes dominantes pour tenter de sauver le système, mais est perçue comme une illusion pour d’autres.

L’objectif était local mais aussi global. Il aurait permis la diminution de l’émission de gaz à effets de serre, ou la préservation de la couche d’ozone et du climat notamment. Or ce programme devait être soutenu par la communauté internationale à hauteur de 50% via un « Fonds de compensation » - perspective abandonnée en août 2013.

3° L’intégration de l’éco-socialisme dans les politiques publiques Le cas du Venezuela Le Venezuela a certes intégré l’éco-socialisme au « Deuxième plan socialiste de la patrie, 2013-2019 ». Cependant, les contradictions du développement nécessaire, les grands projets d’extraction minière ou d’hydrocarbures (projet d’exploitation de charbon dans la Sierra de Perijá, le plan « Siembra petrolera 2005-2030 »), la construction d’infrastructures routières en Bolivie, ont suscité la mobilisation des organisations écologistes et des communautés indigènes. Le « schéma d’extraction » massive est toujours employé malgré les engagements écosocialistes gouvernementaux. Ceci requiert donc toujours un nouveau processus de consultation des parties prenantes. Le cas de l’Equateur Dans la Constitution équatorienne, par exemple, les droits de la nature sont reconnus. L’Initiative "Yasuni-ITT" de l’Equ54

Le cas bolivien Pour les dirigeants de « l’Etat plurinational de Bolivie » (36 nations indigènes), le point d’achoppement reste les plus opprimés qui constituent la majorité et le socle du pouvoir appelé « indopopulaire ». Le nouvel « Etat-Syndicat », dit l’« Etat social », ne constitue pas un état de castes, mais un Etat pour tous. En outre, à la suite de l’échec du Sommet de Copenhague en 2009, le président bolivien Evo Morales a souhaité réconcilier l’écologie et l’anticapitalisme. Il a soutenu cette posture, notamment lors d’un Contresommet des organisations de défense de l’environnement, des mouvements sociaux, et de la société civile. Evo Morales avait aussi avancé dix commandements : 1. En finir avec le capitalisme, ... 2. l’impérialisme, 3. le colonialisme, 4. faire de l’eau (être vivant) un bien commun et un droit pour toutes les formes d’existence, 5. générer des énergies "propres", 6. économiser l’énergie, 7. faire que les services de base : eau, lumière, éducation, santé, deviennent des droits humains relevant du service public,


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8. prioriser la consommation des productions locales, 9. respecter la diversité culturelle et économique, 10. vivre en harmonie avec la Mère terre et le Cosmos... La Bolivie a intégré ces valeurs éco-socialistes dans sa Constitution interculturelle, pluri-éthnique et plurinationale du 9 février 2009. Les articles constitutionnels boliviens 346 et 347 (Titre 2) stipulent que les ressources naturelles (hydrocarbures, eau, air, sol, sous-sol, spectre électromagnétique, les bois, les forêts) relèvent de la propriété sociale directe indivisible et imprescriptible du peuple, dont la gestion revient à l’Etat. Dans les faits, elles deviennent des communs. L’article 371 (Chapitre 5) établit que « les ressources hydriques ne pourront faire l’objet d’une appropriation privée ». *** En conclusion : des valeurs et des contextes différents Le concept du Buen Vivir renvoie donc bien à une certaine conception du Développement ancrée en Amérique du sud, et qui est partagée par un mouvement international. Celui-ci se situe géographiquement, et inspire au-delà. Il s’agit donc ici de mettre en œuvre dans les politiques publiques des façons de concevoir de facto la philosophie du Bien commun. La philosophie propose une méthode, alors que le Buen Vivir renvoie plus précisément à des objectifs politiques voire idéologiques. La pensée méthodologique du Bien commun (fondée sur différentes notions, comme par exemple la reliance, le holisme, la relation à la Nature, les choix 55

éthiques) diffère bien de de la promotion politique, orientée idéologiquement, du Buen vivir. Celui-ci prône plutôt un certain mode de vie et une conception du Développement (la solidarité, la défense des populations pauvres, la promotion des Communs, la protection de la nature par exemple). Le concept du Buen vivir propose une cosmogonie du Bien commun. Des légendes de création du monde et de récits cosmogoniques traditionnels relatifs aux origines du monde, des dieux ou des institutions, constituent des mythes fondateurs. Les politiques publiques développées dans les Etats traduisent cette vision originelle, et très certainement sous la forme choisie d’un écosocialisme. Le Bien commun trouve une traduction concrète dans la mise en oeuvre des politiques adaptées à la fois à leur écosystème et à leur culture, par : 1° Une mise en commun des biens réajustée en fonction des besoins des populations et des nécessités propres aux écosystèmes et contraintes locales; 2° Une recherche d’harmonie entre l’épanouissement de la Personne et de l’utilité sociale dans la communauté, contre toute dérive totalitaire; 3° Une recherche d’efficience réelle des politiques publiques.

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PRATICIEN

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PRATICIEN

LA DEMARCHE DE « SENS+ » Par Virginie Vassil, Alexandre Rojey Pourquoi « SENS+ » ?

Dans un monde en profonde mutation économique, politique, climatique, technologique, la question du sens est centrale. Avoir confié au Marché l’ensemble des arbitrages conduit à la perte de toute vision d’avenir. L’association SENS+ a été créée pour aider les organisations, collectivités et entreprises à construire un avenir porteur de sens: Pour y parvenir, SENS+ se veut être à la fois un Think tank, pour clarifier les moyens d’accéder au sens, et un Do tank pour avancer concrètement sur les voies ainsi tracées.

Le Think tank

L’avenir est le plus souvent analysé sous l’angle technologique. Pourtant, la foi dans le progrès, qui avait inspiré la modernité, a cédé la place au doute. Le consumérisme, sur lequel est bâtie la mondialisation actuelle, entraîne un affaiblissement du système de valeurs et une crise du sens. Le progrès technologique devient un but en soi et gouverne la destinée humaine au lieu de 57

répondre, avant tout, aux besoins de l’être humain.

Il convient donc de s’interroger sur le système de valeurs qui guide notre société et le sens qui en découle. Sur l’échelle de la figure 1, les valeurs sont classées suivant un niveau de sens croissant.

A la base de la pyramide se situent les besoins physiologiques de survie, les désirs liés aux instincts ainsi que les pulsions provenant de l’inconscient.

S’y rattachent les motivations essentiellement égoïstes de recherche de bien-être et de réussite matérielle ainsi que les besoins liés à un désir de possession, de consommation ou de domination. A ce niveau, c’est le sentiment de plaisir qui est recherché avant tout. Les besoins de sécurité et d’appartenance à une communauté se placent à un niveau intermédiaire. Pour les satisfaire, l’ego cherche à s’entourer de barrières de protection qui sont assurées par l’argent, la propriété de biens personnels, la consolidation du noyau familial ainsi que par les différentes formes de notoriété ou de considération sociale. Ce niveau de valeurs est régi par des sentiments d’attachement vis à vis d’un milieu familial et social, ainsi que par une perception d’appartenance à une collectivité. Le besoin d’intégration sociale en est une composante importante. Les relations familiales deviennent primordiales. Ce niveau est aussi celui de la morale ordinaire, conforme aux règles en vigueur et aux lois de la société. Les valeurs sont guidées par la recherche du bonheur personnel.


Common Good Forum/Bridge-Builder#11

CREER DU LIEN SUR LE TERRITOIRE Comment créer du lien sur le territoire en garantissant à la fois l’épanouissement de la Personne, ses propres choix délibérés, son insertion, et les garanties d’utilité sociales dans les Communautés ?

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conforme aux règles en vigueur et aux lois de la société. Les valeurs sont guidées par la recherche du bonheur personnel.

Au sommet de la pyramide, se situent les valeurs éthiques d’altruisme ainsi que les valeurs intérieures englobant la liberté, la créativité et la spiritualité. A ce niveau, les critères de décision dépassent l’intérêt de l’ego et répondent à un besoin de sens. Les valeurs d’ordre éthique ou spirituel dépendent des convictions religieuses, philosophiques et culturelles admises par la société. Ce sont elles qui permettent à une personne de s’épanouir. Pour s’y référer, il est nécessaire de disposer d’un degré d’autonomie et de liberté suffisant. C’est à partir de ces valeurs éthiques et spirituelles que se construit l’ethos de la société. Elles procurent un sentiment de joie. Cette joie ne résulte pas d’une somme de plaisirs, mais d’un sentiment d’harmonie. Elle s’alimente à des sources qui transcendent l’individu.

un niveau de sens élevé, l’ethos est capable de susciter une forte adhésion et de diffuser largement. Il tend au contraire à se disloquer lorsque les valeurs matérielles dominent, annonçant un déclin de la société dont il est l’expression.

Au lieu de concevoir une transformation de l’être humain par la technologie, comme le veut le transhumanisme, l’association SENS+ vise

à replacer l’humain au cœur de la technologie, des systèmes et des réflexions.

Pour explorer de nouvelles sources de sens, susceptibles de réunir dans l’avenir une large communauté, il est nécessaire d’ouvrir un dialogue avec des acteurs très divers à travers une démarche transdisciplinaire et un dialogue à différents niveaux, en vue de dégager des voies d’avenir interreligieux, interculturel, science et technique / culture et philosophie

L’Association vise à identifier et à soutenir les initiatives qui existent déjà dans ces différents domaines. Les réflexions menées visent à déboucher sur une vision d’avenir, identifiant les principales voies qui permettraient de concilier sens et avenir. Elles sont complétées par un programme d’action sous forme d’un ensemble de projets concrets (Do tank).

Figure 1 – Les niveaux de valeurs Toute progression dans la quête du sens consiste à évoluer, à partir du niveau de base qui reste proche des besoins primitifs de l’ego, vers des finalités de plus en plus altruistes. Que ce soit pour un individu ou une société, la perception du sens dépend ainsi de la capacité à intégrer une ouverture sur autrui ainsi que sur des valeurs spirituelles. Lorsqu’il est associé à 59

La boussole du changement La vocation de SENS+ est de dégager des vecteurs de sens dans des projets spéci-


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fiques et des actions locales. De ce fait, l’association interagit dans les différentes dimensions de l’individuel, du collectif, de l’approfondissement intérieur et de l’action tournée vers l’extérieur représentées par les deux axes de la figure 2. A ce titre, elle interagit avec différents acteurs positionnés sur les différents quadrants de ce diagramme, qui forment l’écosystème de SENS+. Il souhaite ainsi opérer comme une passerelle entre deux mondes qui s’ignorent souvent, en intervenant au carrefour des différentes dimensions du sens, ce qui explique la position centrale occupée par SENS+ sur ce diagramme. La quête de sens concerne à la fois la personne et la société, autant dans la dimension d’incarnation matérielle que dans la dimension spirituelle d’élévation du niveau de conscience. Cette ouverture sur l’ensemble des dimensions essentielles du sens confère à l’Association son originalité et sa spécificité par rapport à l’ensemble des acteurs concernés. Compte-tenu de ce positionnement, SENS+ ne se limite pas à un rôle de réflexion (Think tank), mais s’implique également dans des situations concrètes. La vocation de l’Association n’est pas d’opérer les projets euxmêmes, mais d’aider à les initier, en guidant les acteurs concernés dans la recherche du sens.

Le Do tank C’est pourquoi, outre des activités de veille et d’animation dans les domaines de l’art et de la spiritualité, l’association SENS+ lance des ateliers dans les domaines du travail et de l’éducation.

- L’éducation apparaît comme un domaine privilégié d’intervention, car elle joue un rôle essentiel dans l’évolution des attitudes sociales et conditionne la perception du sens pour les nouvelles générations. Elle concerne également les conditions de réinsertion de tous ceux qui, pour des raisons diverses ont pu se trouver en marge de la société.

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- Le monde du travail et des entreprises constitue une autre priorité de l’Association. La simple recherche du profit ne peut suffire à donner un sens à l’action menée par une entreprise, qui doit s’interroger sur son système de valeurs, qui conditionne le niveau d’engagement et d’adhésion de ceux qui en font partie.

L’Association souhaite créer un Observatoire du sens qui permettre aux entreprises de se positionner sur le diagramme de la Figure 3.

L’Association n’en est encore qu’à ses débuts et les différentes actions qui ont été initiées doivent être poursuivies et mises en œuvre. Tous les contacts qui ont été établis montrent qu’il existe de grands besoins de sens à tous les niveaux de la société. Il se confirme en même temps qu’il n’existe pas à l’heure actuelle de démarche comparable.

Les actions qui contribuent à la construction du sens sont multiples et concernent certains aspects des activités que mènent les personnes, les collectivités ou les entreprises, mais sans jamais prendre en compte le domaine global du sens comme le fait SENS+.


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INITIATIVE BIEN COMMUN & CHARTE DE LA TERRE

Common Good Forum s’associe à la Earth Charter initiative afin de faire connaître le processus ayant conduit à la rédaction de la charte de la terre. Elle constitue un excellent outil pour échanger entre praticiens et intellectuels sur divers sujets traitant les enjeux de développement durable. La Charte de la Terre est une déclaration de principes éthiques fondamentaux visant à construire une société globale juste, durable et pacifique au XXIème siècle. Elle cherche à inspirer chez tous les peuples un nouveau sens de l’interdépendance globale et de la responsabilité partagée pour le bien-être de ĺ’humanité, la grande communauté de la vie et des générations futures. C’est une vision d’espoir et un appel à l’action. La Charte de la Terre est particulièrement centrée sur la transition vers des modes de vie et de développement humain durables. C’est pourquoi l’intégrité écologique en est l ́ un des thèmes principaux. Cependant, la Charte de la Terre reconnaît également que les objectifs de protection écologique, d ́ élimination de la pauvreté, de développement économique équitable, de respect des droits humains, de démocratie et de paix sont interdépendants et indivisibles. Par conséquent, ce document offre un nouveau cadre éthique intégral et inclusif cherchant à orienter la transition vers un avenir durable.

La Charte de la Terre est le résultat d’un dialogue inter-culturel long d ́ une décennie à travers le monde au sujet d’objectifs communs et de valeurs partagées. Le pro63

jet de la Charte de la Terre débuta comme initiative des Nations-Unies mais s’est développé et est finalement devenu initiative de la société civile. En l’an 2000, le texte final fut adopté et la Commission de la Charte de la Terre, entité internationale indépendante, le fit connaître publiquement comme charte des peuples. La rédaction de la Charte de la Terre impliqua le processus le plus inclusif et participatif mais lié à la création d’une déclaration inter- nationale. Ce processus est la source première de sa légitimité en tant que cadre éthique directeur.

La légitimité du document a été renforcée davantage encore par le sou- tien de plus de 6000 organisations, parmi lesquelles de nombreux gouvernements et organisations internationales. A la lumière de cette légitimité, un nombre croissant de juristes internationaux reconnaît que la Charte de la Terre est en phase d’acquérir le statut de document de « soft law », norme juridique non contraignante. On considère que les textes composant ce cor- pus, tels que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, sont moralement mais non légalement contraignants, pour les gouvernements acceptant d ́ appliquer leurs principes. En général, ces documents conduisent au développement du droit international contraignant (« hard law »).

Voir la plateforme en France : http://commongood-earthcharter1.strikingly.com Suivez le mouvement international : http://www.earthcharterinaction.org


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LA CHARTE SUR LA COMPASSION Common Good forum s’associe à la Charter for Compassion afin de faire connaître le processus ayant conduit à la rédactions de ce consensus et ces pro- grammes.

Dans cette dynamique, Karen Armstrong publie Compassion – Manifeste révolutionnaire pour un monde meilleur (éditions Belfond). Ce livre n’est pas une incantation ni une présentation théorique de plus sur les vertus de la compassion, mais une explication argumentée de l’universalité de cette éthique, et une invitation pratique à la mettre en œuvre, pour nous et pour les autres.

La Charte pour la Compassion constitue un excellent outil pour échanger entre praticiens et intellectuels sur divers sujets abordant l’altérité, la compassion et la philosophie du Bien commun dans plusieurs cultures et religions. Voir : http://charterforcompassion.org La Charte de la compassion nous invite à traiter l’autre comme nous souhaitons nous-mêmes être traités, et à mettre en œuvre une forme de compassion active : à nous engager à développer une plus grande attention empathique, traiter l’autre dans un esprit d’équité, et soulager les souffrances. Découvrez la Charte de la compassion et signez-là ! En 2008, Karen Armstrong, spécialiste britannique de l’histoire des religions, est récompensée par TED (association américaine internationalement reconnue pour ses conférences de « partage d’idées qui valent la peine ») pour sa démarche. Dans son discours de remerciement, elle évoque son souhait de créer, lancer et diffuser une Charte de la compassion, afin de refaire de cette valeur une force éthique universelle. Avec le soutien de TED, son rêve devient réalité. Pendant l’automne 2008, des milliers de personnes de par le monde contribuent à la conception de la Charte, en envoyant leurs suggestions par internet. « Un « Conseil des consciences » se réunit ensuite pour élaborer la Charte sur la base de ces suggestions. Sa version finale est dévoilée le 12 novembre 2009. « 65

Compassion – Manifeste révolutionnaire pour un monde meilleur (Editions Belfond dans la collection L’Esprit d’ouverture). Ce livre n’est pas une incantation ni une présentation théorique de plus sur les vertus de la compassion, mais une explication argumentée de l’universalité de cette éthique, et une invitation pratique à la mettre en œuvre, pour nous et pour les autres. La Charte sur la Compassion représente un consensus global encourageant la prise de responsabilité au niveau local. Ainsi divers outils sont proposés afin de soutenir les actions pragmatiques dans différents domaines : santé, éducation, urbanisme, business par exemple.


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VERS UNE CHARTE SOCIALE CONSIDERANT L’ALIMENTATION COMME UN BIEN COMMUN Par Violaine Hacker, Common Good forum Don’t Waste Our Future! - Ne Gaspille pas Notre Avenir !

Le projet soutenu par la Commission européenne : ‘Don’t Waste Our Future’ rassemble sept pays (France, Italie, Espagne, Portugal, Ecosse, Belgique, Chypre) sur 2 ans (2015-16).

L’originalité du projet consiste à rassembler des Parties prenantes concernées par la consommation responsable et la lutte contre le gaspillage alimentaire, afin de sensibiliser et responsabiliser (agency) les Jeunes et les acteurs 66

du secteur éducatif et leur permettre ainsi de délibérer (choix éthique).

Les biens communs et les interdépendances Considérant que la chaîne de valeur alimentaire implique souvent une interdépendance des Pays en Développement et de ceux développés, le projet vise à sensibiliser l'opinion publique quant à l'urgence de protéger les biens publics (ou communs) mondiaux, en adoptant de nouveaux comportements tant au plan personnel qu’au niveau des politiques publiques.

Ce projet prend en compte la nécessaire adaptation aux besoins et contraintes spécifiques locales des territoires, mais aussi des secteurs concernés. Il considère aussi la possible synergie avec d'autres initiatives.

Un projet pour lutter contre la fragmentation des actions Il persiste une trop forte fragmentation parmi les actions; et il manque une stratégie systémique qui implique à la fois les autorités publiques et le secteur éducatif via des programmes dans les écoles dans les pays concernés.

En outre, le gaspillage alimentaire, a non seulement des conséquences économiques, sociales et nutritionnelles, mais a aussi des effets graves sur la santé mondiale et celle de l’environnement. Par exemple, les grandes quantités de gaspillage de dioxyde, et des productions alimentaires de carbone contribuent fortement au réchauffement climatique.


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‘DON’T WASTE OUR FUTURE!’ UNE CHARTE SOCIALE EUROPEENNE SUR LA LUTTE CONTRE LE GASPILLAGE ALIMENTAIRE & LE DROIT A L’ALIMENTATION RASSEMBLANT DES JEUNES & LES PARTIES PRENANTES SUR LEURS TERRITOIRES

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Le projet souhaite considérer ainsi les causes d’une façon systémique. Celles les plus fréquentes concernent les déchets alimentaires dans les pays de l’UE, et impliquent à la fois les ménages et les entreprises. Elles sont liées d'un côté à la taille des portions, l'étiquetage, l'emballage et le stockage et, de l'autre côté dépendent de la sensibilisation, des préférences, de la planification, des attitudes culturelles et sociales, et de facteurs économiques. L’autre aspect - plus local - visé par l’action est lié à l'existence de règles législatives et administratives qui conduisent souvent à des déchets alimentaires. En particulier des activités ciblant les autorités locales et leurs réseaux leur permettront de partager les meilleures pratiques existantes et d’assumer un plus grand engagement. Ils sont engagés à modifier potentiellement la législation, par exemple : la procédure administrative pour les appels d'offres publics dans le domaine de la restauration publique, les lois nationales sur les prix réduits pour la nourriture à proximité de dates expirant, etc.. Ainsi les actions doivent-elles constituer une réponse ascendante et concrète à l'appel du Parlement européen de réduire de moitié le gaspillage alimentaire d'ici 2025 et aux efforts de la Commission européenne dans la même direction. Il s’agit également d’agir en synergie avec l'initiative mondiale « SAVE THE FOOD » récemment lancée par la F.A.O., qui appelle explici68

tement à la collaboration et la coopération.

*** Retrouvez nos Notes de synthèse sur : 1° A quoi sert une charte sociale ? 2° L’alimentation un Bien commun 3° Le gaspillage alimentaire. Des enjeux complexe et inter-reliés 4° Contraintes et initiatives des acteurs sur le Territoire en France Voir : http://dwof-france.strikingly.com/ blog/documents-de-reference

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Le projet DWOF vise donc à sensibiliser les jeunes européens et les autorités locales via une vision critique des interdépendances mondiales et leur responsabilité envers la société globale. Ils sont sensibilisés au gâchis alimentaire et à la consommation responsable, afin de les rendre capables, tels des agents du changement.

A la fin du projet, un début d’harmonisation des démarches de sensibilisation au gaspillage alimentaire (chartes, guides de bonnes pratiques...) à l'échelle européenne sera proposée, notamment dans le cadre d’un forum à Bruxelles avec les Parties prenantes et les décideurs européens.

Ce projet intègre largement les débats français, et notamment : le rapport Garot (2015); la réactualisation du Pacte sur le gaspillage alimentaire de 2013; la gestion des positions divergentes lors des Etats généraux de l’Economie Cir-


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culaire du Grand Paris par exemple, et la transformation des écrits en actions; ou la création de réseaux européens de Jeunes et d’experts/décideurs; ou encore, la préparation de nouveaux forums à l’avenir.

1. Approche holiste pour rassembler les acteurs a. Impliquer les jeunes générations sur des enjeux inter-reliés L'approche de base consiste à informer et sensibiliser les citoyens de l'UE - en particulier les jeunes - sur la profonde interdépendance entre les comportements singuliers quant aux déchets au plan local et leur impact au niveau mondial.

Les déchets renvoient à de mauvaises habitudes très répandues dans notre société et impliquent, à différents niveaux, toutes les composantes de la société. Bien que le projet soit principalement axé sur l'éducation contre le gaspillage alimentaire, cette approche doit être appréhendée en considérant aussi de façon globale les déchets partout dans le monde.

Elle concerne la question de l'utilisation responsable des ressources naturelles limitées, telles que la terre, l'eau et l'énergie.

Deux-tiers des biens offerts par la nature, tels que les sols fertiles, l'eau potable et de l'air sont en déclin. Les changements climatiques, la perte de la biodiversité et les tendances démographiques ont des conséquences pour la société et l'environnement naturel qui peuvent devenir irréversible.

Ces défis, universels et interdépendants, doivent nécessairement être traités par l'ensemble des pays. Il est nécessaire de 69

modifier l'approche globale à tous les niveaux. Cette action consiste à commencer à partir d’actions de terrain, à la base, à essayer de changer les comportements des jeunes générations, qui sont « aujourd'hui et demain » les consommateurs et les décideurs de demain.

b. Impliquer les parties prenantes sur le territoire Une autre composante stratégique rendant l'action efficace par rapport aux objectifs du projet se situe dans le travail avec les autorités territoriales et leurs réseaux de Parties prenantes. Il s’agit de les rendre plus conscients de l'importance du rôle qu'ils peuvent jouer dans l'éducation des citoyens.

Le projet vise à prendre des mesures concrètes sur leur territoire dans le cadre de leurs compétences pour lutter contre le gaspillage alimentaire, et plus généralement pour construire un développement humain durable à partir de leurs territoires.

2. Promouvoir un développement humain durable en Europe Dans cette perspective, l'élaboration de lignes directrices spécifiques pour les acteurs locaux dans les différentes langues permettra d'étendre l'impact de l'action et de mobiliser un nombre pertinent d’acteurs locaux et de jeunes au plan global dans toute l’Europe. Les méthodes et activités du projet sont en conformité avec l'approche globale de l’UE. En particulier l'action veut être une réponse à la résolution du Parlement de l'UE du 19/01/2012 pour une action collective immédiate de réduire de moitié la nourriture déchets en


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2025. Elle est cohérente avec les stratégies pour une chaîne alimentaire plus efficiente dans l'UE (Commission européenne, « Feuille de route pour une Europe économe en ressources », Septembre 2011).

En outre, dans une perspective plus large, l’action correspond à la stratégie de l'UE post-2015 sur la base d'une révision critique des résultats obtenus par les Objectifs du Millénaire pour le Développement définis depuis la Conférence Rio + 20.

3. Insister sur les « Choix éthiques » et les possibilités des Personnes (agency) La question des choix éthiques quant aux déchets alimentaires représente une question centrale dans la mise en oeuvre d’actions de compréhension.

Elle suscite l’esprit critique des citoyens de l’UE car elle interroge sur l'interdépendance mondiale. En effet, il s’agit de montrer que les choix quant aux comportements personnels peuvent affecter les conditions de vie dans les pays développés et en développement. L'approche innovante au cœur de l’objectif spécifique consiste à considérer les jeunes et les enfants non seulement en tant que bénéficiaires de l'action, mais aussi en tant qu’acteurs-clés de ce changement.

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4. Démontrer l’existence des enjeux interconnectés La question des déchets alimentaires soulève des questions à la fois d’ordre éthique et pratique. Elle se situe en lien avec d'autres secteurs environnementaux (la terre, l'eau et le gaspillage d’énergie) et s’inscrit dans le cadre des quatre piliers du développement durable (environnement, économie, social, culture). L'objectif à long terme consiste donc à placer la lutte contre le gaspillage alimentaire et la promotion de la consommation responsable comme priorités culturelles, économiques, écologiques et sociales pour les citoyens européens, les entreprises, les institutions et les gouvernements locaux.

5. Les résultats envisagés L'approche globale du projet est basée sur la prise de conscience des interdépendances mondiales entre l'UE et les pays en développement. Le but de projet est l'examen critique des résultats des Objectifs du Millénaire pour le développement, mais aussi des nouvelles orientations des Nations unies, et de la politique après 2015 définie par l’UE. Le projet traite principalement des jeunes, en les considérant comme de potentiels futurs décideurs, et dans le but précis de les sensibiliser aux difficultés rencontrées quotidiennement par les pays en développement en tenant compte de l’interrelation avec notre partie du monde. Le projet a également des répercussions sur les citoyens du projet par le biais de la participation active des entités les plus proches des citoyens, en particulier les autorités locales ou les familles.Tout le projet est caractérisé par un échange continu de savoir-faire entre tous les sujets impliqués. En outre, l’organisation de forums (Milan, puis Bruxelles) vise à créer la mise en réseau et la capitalisation entre les parties prenantes et le secteur éducatif.


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Un partenariat avec Passerelles sur l’éducation au développement durable Common Good forum collabore avec intérêt avec Passerelles qui promeut l’éducation au développement durable.

La convention de partenariat souligne les valeurs et objectifs partagés. Il s’agit donc désormais de collaborer pour lutter contre le gaspillage alimentaire en associant les jeunes au sein du secteur éducatif et les Parties prenantes (ONG, experts, entreprises, décideurs publics par exemple).

L’objectif consiste à instaurer une méthode collaborative entre ces acteurs afin de rédiger un livre numérique et rédiger une charte sociale, signée par nos partenaires européens lors du forum de Milan (dédié à l’alimentation du futur), en octobre 2015.

La convention signée envisage donc de diffuser une culture d’éducation au développement durable - en partenariat avec le ministère de l’Education nationale et le Quai d’Orsay - avec plusieurs objectifs : 1. Eduquer au développement durable d’une façon systémique 2. Relier les savoirs, les compétences 3. Favoriser l’intersectorialité via la coopération intersectorielle entre experts, acteurs issus d'institutions, de collectivités et associations, du monde de l’éducation... 4. Promouvoir le pluralisme, la délibération éthique et renforcer les liens sociaux.
 L’association à but non lucratif Passerelles.info accompagnera tout au long du projet les enseignants et les classes participantes en lycées et écoles primaires.

Elle animera les séances menées en classe, financera le déplacement de la délégation des lycéens français au Forum de Milan, organisera les interventions dans les écoles, les rencontres avec les partenaires publics et privés ainsi que la valorisation finale du travail réalisé.

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PUBLICATION POUR ECLAIRER LES NOTIONS DE : BIENS PUBLICS, BIENS COMMUNS, BIEN COMMUN… Nous sommes très heureux d’avoir contribué au dernier Cahier des Entretiens Albert-Kahn, Laboratoire d’Innovation politique : Cahier 20 : Biens publics, biens communs : de quoi parle-t-on vraiment ? A lire, notre article :

“La gouvernance des biens communs : entre choix et effectivité”, par Violaine Hacker Voir aussi au sommaire : • Les (biens) communs : de la définition économique à l'affirmation politique par Ludovic Viévard

• Comprendre et promouvoir les biens communs numériques ? par Philippe Aigrain

• Le programme Open Data : l'action publique créatrice d'un bien commun ? par Emmanuelle Durandau

• Aménagement des berges de Seine ou comment concilier l'habitat fluvial et les autres usages des berges par Frédérique David

• Synthèse prospective par Carine Dartiguepeyrou

• Introduction par Patrick Devedjan

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Retrouvez les Cahiers des Entretiens Albert-Kahn, Laboratoire d’innovation politique : http://eak.hauts-de-seine.fr


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CONFEREN CE PROSPECTIVE URBANISME & BIEN COMMUN CONFERENCE DE COMMON GOOD FORUM Organisée par le Club « Prospective Urbaine », La Défense - Auditorium RTE, le 14 janvier 2016. Echange entre : . Nathalie Cecutti, architecte et urbaniste de l’État, présidente du Club Prospective des villes et territoires de Prospective 2100 . Violaine Hacker, consultante en poltiique publique/soft law, et fondatrice de Common Good Forum Aujourd’hui, une nouvelle ère s’ouvre pour l’urbain, et les émergences se trouvent dans les métropoles : celle du co-urbanisme, où concepteurs, décideurs et usagers s’associent pour produire un cadre de vie plus humain, et où les approches juridiques par le droit souple permettent de dynamiser les processus d’édification au plus proche de l’action adaptée.

En considérant d’une part la gouvernance des biens communs par la pensée du Bien commun, plusieurs problématiques ont été abordées :

. la notion de Personne,

. le pluralisme juridique et la soft law,

. l’effectivité des politiques publiques, en particulier.

Dans un second temps, un débat a porté sur des enjeux actuels :

. la métropole,

. le co-urbanisme,

. la relation de l’Homme et de la Nature,

. les nouvelles formes de gouvernance des biens communs…

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Merci à nos amis Bridge-Builders, Intellectuels et Praticiens de partager leurs visions ! Une confrontation des perceptions et Expériences, nécessaire pour penser par le Bien commun !

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INFOS & CONTACT www.commongoodforum.eu http://commongood-forum.tumblr.com

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