FR
© E. Mercier
le musée des instruments de musique,
ou l’art nouveau dans le centre de bruxelles
G
enèse
La vue ne peut se soustraire à cette majestueuse et singulière façade, mise en évidence par sa noirceur prononcée… Si le bâtiment « Old England » de style art nouveau est souvent assimilé au musée lui-même, celui-ci est en réalité bien plus étendu. L’ensemble du Musée est en effet constitué de trois bâtiments aux origines différentes : l’hôtel néo-classique donnant sur la place Royale, l’édifice métallique de Saintenoy et une construction plus récente dans la rue Villa Hermosa. Le siège de l’actuel MIM intègre encore en partie l’ensemble architectural de la place Royale, espace néo-classique aménagé à la fin du 18e siècle suite à l’incendie du palais des ducs de Brabant en 1731. © coll. J. Lemercier
A
rchitecture et décor
Fleuron de l’art nouveau bruxellois, le « Old England », comme on l’appelle encore aujourd’hui, est pourtant la création d’un architecte qui n’est pas un spécialiste de l’art nouveau. Structure de verre et de métal, il se distingue de ses voisins de la place Royale par ses courbes, ses couleurs et son décor d’inspiration végétale. La tourelle d’angle et l’auvent vitré (ou « marquise ») en façade sont également des éléments remarquables. En prenant un peu de recul, on aperçoit, un peu plus bas, l’ancien siège de la pharmacie de Charles Delacre, qui choisira d’orienter ses activités vers les vertus supposées fortifiantes du chocolat. La large bâtisse est érigée selon les plans d’un certain Saintenoy, de façon quasi concomitante avec le « Old England », en style éclectique — mélange de néo-gothique et de néo-renaissant — cette fois : tout à la fois sans doute le résultat de la volonté délibérée de revenir à une tonalité davantage « rétro » et du souci de garder une certaine harmonie avec les maisons voisines, comme l’hôtel Ravenstein. Au cours du 20e siècle, pour des raisons d’économie d’entretien autant que d’incompréhension de l’art nouveau, les ferronneries et la tourelle d’angle — qui, dit-on, menace de s’effondrer — sont démontées, et le bâtiment est repeint en blanc. Il retrouvera sa silhouette originale après son rachat par l’État ; ainsi, par exemple, les ferronneries et la tourelle sont entièrement redessinées et reconstruites à partir d’un examen minutieux des photos d’époque. Remarquez que la transition avec le pavillon de la place Royale est étonnamment assurée par le parement en pierre bleue du mur mitoyen, surmonté d’un obélisque.
Le pavillon néo-classique qui nous concerne, à l’angle de la place et de la rue Montagne de la Cour, est construit en 1776-1777 au bénéfice du comte de Spangen, « chambellan — officier chargé du service de la chambre, c’est-à-dire de la vie domestique — de leurs Majestés Impériales et Royales ». Il sera plus tard divisé en plusieurs parties, puis, à l’exception de la façade de la place Royale, entièrement démoli en 1913, afin de rendre le bâtiment plus fonctionnel. Les magasins « Old England » sont déjà bien implantés en Europe. Le début de l’aventure « Old England » à Bruxelles se situe en 1886, à l’initiative d’un gentleman-aventurier, James Reid, négociant d’origine écossaise, démarrant une boutique de vêtements et de tissus de luxe, ainsi qu’un assortiment de spécialités alimentaires, dans une partie de l’hôtel de Spangen. La prospérité du négoce conduit progressivement à l’extension des infrastructures à l’intérieur de l’îlot compris entre la rue Montagne de la Cour, la rue Villa Hermosa et la place Royale. Dans ce contexte s’inscrit l’érection, entre 1898 et 1900, du beau bâtiment à 6 étages, de fer forgé et de verre, qui se dresse sous vos yeux, œuvre des architectes Paul Saintenoy et Jules De Becker. Le concept de musée dédié à la musique et aux instruments n’a pas attendu le « Old England » pour voir le jour. Né en 1877, et logé à ce moment-là dans les combles du Conservatoire de la rue de la Régence toute proche, le « musée instrumental » est ensuite accueilli dans divers bâtiments aux abords du Petit Sablon sans qu’aucun ne soit réellement adapté à ses fonctions.
Reproduite avec l’aimable autorisation du bureau d’architecture Gus © E. Mercier
La teinte originale des parties métalliques de la façade, un brun-vert très foncé, permet au bâtiment de se démarquer de l’enduit clair néoclassique de la place Royale : stratégie commerciale sans doute, mais aussi volonté de souligner l’inspiration végétale de la décoration. Le décor intérieur du rez-de-chaussée présente des motifs de chardon, symbole de l’Ecosse, pays d’origine du créateur du magasin. La cage d’escalier et l’ascenseur sont parcourus par le thème du marronnier d’Inde, probablement en référence à la plus grande colonie britannique de l’époque. Le bâtiment art nouveau obtient son classement en 1989.
P
arcours et détours Le bâtiment art nouveau est bâti à la demande de Josse Goffin, propriétaire des parcelles concernées, bourgmestre de Berchem-SaintAgathe, mais surtout président et principal actionnaire des Forges de Clabecq : le dessein publicitaire et promotionnel saute aux yeux… Toutefois la construction est bien « à l’usage de magasins ». Les notables agrandissements des bâtiments du commerce permettent la diversification des rayons : habillement pour messieurs, dames, garçonnets, fillettes et enfants, alimentation — en particulier d’origine anglaise, mais pas uniquement —, parfumerie, mercerie, papeterie, horlogerie, jouets, articles de voyage, de sport et de jardin. « Jambons de Karlsbad se vendent à Old England » Le Soir, 1901. Très tôt, la boutique peut s’enorgueillir d’être une véritable plaque tournante dans le secteur de la mode : « Avis aux dames cyclistes. Le succès du jour à Paris est la Jupe-Culotte de John Sendt et Laborde, qui réalise le dernier perfectionnement. Old England de Bruxelles a obtenu des inventeurs, brevetés en Belgique, le droit exclusif de la faire d’après leurs modèles. Les renseignements et gravures pour cette Jupe-Culotte sont envoyés sur demande » Le Soir, 2 mars 1896.
Si le cinquième étage est occupé par les ateliers de couture et par une salle de concerts de 200 places, il est, déjà à l’époque, de bon ton de se retrouver sur l’admirable terrasse du dernier étage : « Le plus beau panorama de Bruxelles est vu du Tea Terrace de Old England » Le Soir, 4 mai 1900. Suite à l’incendie du magasin « À l’Innovation » en 1967 sont édictées de nouvelles mesures de protection contre le feu. Le propriétaire, qui ne peut assumer ces importants travaux, décide de quitter les lieux quelques années plus tard.
© E. Mercier
En 1974 le commerce déménagera à l’avenue Louise. L’enseigne ferme ses portes définitivement en 2004. Quant au bel édifice, il est acquis par le département de l’Éducation nationale en 1979 avant de tomber dans l’escarcelle de la Régie des Bâtiments afin d’y installer le MIM, établi en son sein depuis l’année 2000. La récente annexe de la rue Villa Hermosa abrite les réserves du musée. En observant l’organisation intérieure du musée, vous remarquerez que le « Old England » est la partie affectée à la circulation des visiteurs, © E. Mercier sorte de colonne vertébrale de l’établissement muséal. Ce choix a été dicté par les exigences imposées par ce type d’institution : principalement la température et la résistance au feu. Les collections sont donc entreposées en toute sécurité, dans les autres parties du musée. Le bâtiment art nouveau n’a donc pas dû subir de notables modifications, et se présente ainsi dans un aspect proche de son état d’origine.
www.visit.brussels copyright: Archives de la Ville de Bruxelles
© E. Mercier