mai
2011
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40069588
LE MENSUEL DES INDUSTRIES DE LA CULTURE ET DES COMMUNICATIONS WWW.QFQ.COM
« F risson des collines » « M arécages » Tournages au Québec Répertoire location Vidéo MTL : 10 ans
> PROPOS SUR LE MÉTIER
Serge Desrosiers
et
Pascale Bussière.
Photo : Guy Édoin
« Marécages » : l’audace de la vieille école Un film « à l’ancienne »
« Marécages », film produit par Roger Frappier, Luc Vandal et Félize Frappier, sort en salles à l’automne prochain. Réalisé par Guy Édoin dont c’est le premier long métrage, il met en scène un couple mythique : Pascale Bussières et Luc Picard. Le film s’est tourné en suivant une chaîne de postproduction très singulière puisqu’il n’a pas eu recours à l’intermédiaire numérique (D.I.).
Rencontre avec Serge Desrosiers CSC, directeur photo P ar P hilippe L a v ale t t e C S C Qui fait Quoi (QfQ) : Le « D.I. », intermédiaire numérique, est devenu une étape cruciale dans la finition d’un film. Comment prend-on la décision de s’en passer ? Serge Desrosiers (S.R.) : C’est un choix esthétique et tout à fait cohérent dans la démarche que nous avons établie avec Guy Édoin sur ses courts métrages
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précédents. Nous voulions une image absolument pure, sans manipulation. Disons « organique » ; je veux dire par là qu’elle doit se suffire à elle-même. Nous avons tourné dans une ferme laitière. Il fallait garder – à tous les niveaux de la fabrication du film (costumes, maquillage, direction artistique) – une approche naturaliste, proche du style documentaire. Même si nous tournions en scope avec des objectifs
anamorphiques, le regard posé se devait d’être au plus proche du réalisme absolu. Prenons un exemple : dans une des scènes, Pascale Bussières va aider une vache à mettre au monde un veau. Rien n’est simulé. Nous avons attendu que la vache soit prête et nous n’avions pas droit à deux prises. L’expérience est surprenante. C’est quasiment du documentaire. Alors est-il nécessaire ensuite de faire des fenêtres (power Windows) et des dynamiques pour améliorer le plan ? Non. La séquence est belle dans son état brut. C’est du granit. On n’y touche pas. QfQ : Ce choix étant fait, quels sont les avantages d’une telle décision ? S.R. : Faire un D.I. en 4 K à partir d’un négatif scope en 4 perforations aurait été extrêmement coûteux. En évitant le D.I., nous avons pu tourner dans un des standards de film les plus performants ! C’est quoi l’étape au-dessus ? Le Imax ? Au départ, la proposition
> PROPOS SUR LE MÉTIER
François Papineau
et
Pascale Bussière.
P l at e a u
Photo : Philippe Bossé
était un tournage en trois perfs qui nécessitait un D.I. Notre choix nous a permis de tourner en Scope, avec des objectifs Hawks de la série V ! En 2004, quand nous avons tourné le court métrage « Le Pont » en anamorphique 2 :35, ça faisait 25 ans que le cinéma québécois n’avait pas utilisé cette technique. Le détail de l’image est extrême et les producteurs nous ont toujours appuyés dans nos décisions.
Autre point très important aussi au moment du tournage : comme autrefois, le cadre ne peut pas être retouché ! Une perche, l’ombre d’un micro ou encore le câble qui traîne au sol et que personne n’a vu peuvent saboter totalement le plan. J’ai dû mettre très clairement les points sur les i au moment du tournage. Si besoin était, j’invitais chaque chef de département à jeter un œil dans le viseur.
Par ailleurs, les pellicules sont maintenant conçues pour le D.I. Elles ont un côté « milky » avec lequel j’ai joué. C’est toujours assez jubilatoire de contourner les chemins tracés d’avance.
Il faut aussi considérer le développement des négatifs. Une « batch » différente de pellicule ou encore une légère variation de température des bains du labo peuvent affecter directement le rendu des couleurs. Pour ne pas avoir la moindre variation et rester dans le même créneau, j’ai tourné 2 000 pieds de charte couleur. À chaque développement, nous nous étions entendus avec Technicolor pour qu’une longueur de cette charte soit intégrée au début des rushes et que nous puissions rester toujours alignés sur les mêmes données.
QfQ : J’imagine aussi que vous avez eu de très sérieuses contraintes en choisissant cette filière qui est aban donn ée depuis quelques années par l’essentiel de la production ? S.R. : Oui, c’est vrai que le D.I. facilite le travail de la continuité de la lumière en postproduction. Pensons à un tournage en « magic hour » par exemple. En quelques minutes, les variations de lumière sont très grandes et l’ajustement sur un « baselight » - ou toute autre console de colorisation - est assez facile. Là, sans D.I., on joue sans filet ! En étalonnage film, le rattrapage est très limité. Mais combien de films se sont tournés comme ça ? L’essentiel de l’Histoire du cinéma s’est bien construit de cette manière. Pourquoi pas nous, en 2011 ?
Dernière contrainte de taille : la correction couleur ! Nous avons heureusement fait appel à Art Montreuil de Vision Globale : un maître de la correction tradi tionnelle au « printing light ». Son expérience et sa connaissance de la pellicule ont énormément facilité le travail de l’étalonnage. P l at e a u
de
« M a r é c a g e s ».
Photo : Serge Desrosiers
de
« M a r é c a g e s ».
Photo : Serge Desrosiers
Au final, ce choix résulte de discussions animées autour des recherches de Guy Édoin inspirées par le travail du peintre italien Caravaggio et par celui du réalisateur Terrence Malick. Nous avons déterminé une conception visuelle précise et nous avons pu la réaliser grâce à la volonté des producteurs qui nous appuyaient dans nos choix. Grâce aussi au travail de André-Line Beauparlant, la directrice artistique, qui a su concrétiser les idées de Guy. Et puis, il y a les partenaires tels que Denis Paquette de Cinépool qui nous ont permis de ne manquer de rien ; nous avions même la Techno-Jib de 24' en permanence sur notre plateau à St-Armand ! Avons-nous amorcé une nouvelle vague de films pro duits sans l’utilisation de l’intermédiaire numérique ? Qui sait ? ◆
À propos du Caravaggio « Ondulations du blanc au noir » de J ea n - P ie r r e C u zi n ( extraits )
Le rôle de Caravage est premier. Son génie fut de revigorer la peinture comme une inter prétation moins sentimentale et plus dramatique de la lumière. C’est la lumière, efficace, brutale, qui révèle le drame. Chez ce peintre « naturaliste », elle est en fait la lumière du miracle quand elle vient frapper violemment, dans l’obscurité, le saint Paul de la Conversion, quand elle s’allonge à l’oblique sur le mur du corps de garde pour désigner saint Matthieu, ou quand elle déchire avec la soudaineté d’un éclair ou d’un hurlement la nuit de son Martyre… Caravage exprime, grâce à ses éclairages crus, comme venus d’un soupirail, les plus bouleversants drames humains.
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