Haut de Gamme

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06 | Love Trio In Dub Feat U-Roy 18 | Jazz à Vitré 22 | Diva Erykah Badu 28 | Biographie Miles Davis M e n s u e l

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4 - 5 | E ditorial Des racines et des toiles 6 - 7 | Echo de Montpellier Love Trio in Dub Feat U-Boy 8 - 9 | Coral Egan Divine destinée et mots de sagesse 10 - 13 | Public Ennemy Entretien avec des ennemis publis de légende 14 - 17 | TV on the Radio Des images et du son 18 - 21 | Jazz à Vitré Notre portfolio 22 - 23 | Erykah Badu Diva 24 - 27 | Des légendes à Montréal Festival 28 - 31 | Miles Davis Biographie


Déjà plus d’un siècle de jazz ! En tout cas si l’on s’en tient au premier enregistrement de l’histoire de cette musique ! le 26 février 1917 l’Original Dixieland Jazz Band enregistrait le premier disque de l’histoire du jazz. Livery stables blues en était le premier titre de ce « disque » et précédait Dixieland jass band One step . Tout un monde depuis ! Un siècle de jazz et tant d’évolutions pour cette musique qui sera passée du ragtime au free jazz en passant par le swing et le bop en un claquement de doigt. A la dimension de l’histoire : une micro période. Et dans le même temps l’art aura connu des évolutions aussi rapides qui auront marqué, de Picasso à Basquiat une évolution dense, fulgurance mar-

des racines et des toiles

quée par autant de moments de ruptures.

éditorial


Porter aujourd’hui un regard sur les liens qui se sont tissés entre le jazz et les autres formes artistiques durant ce siècle désormais passé, c’est l’idée remarquable de cette belle exposition qui vient de s’ouvrir au Quai Branly, haut lieu parisien s’il en est des arts premiers et de l’anthropologie. Car le jazz qui est, à sa naissance un véritable phénomène de société que, paradoxalement (pour le lieu où elle se tient) l’exposition éloigne de ses racines africaines sans jamais en ignorer l’évident rapprochement, ce jazz-là n’aura cessé tout au long du XXe siècle de s’imprégner dans toutes les formes de réflexion artistique. En nous faisant voir la réalité du jazz sous cet angle-là, en jetant des ponts évidents entre les jazz et les autres formes d’art (le graphisme en premier lieu mais aussi la peinture ou le cinéma) cette exposition nous permet d’avoir une vraie profondeur de regard sur les échanges entre les différents domaines artistiques au fil de l’histoire. Mais elle alimentera aussi certains débats comme celui sur l’influence des ruptures historiques sur les différentes formes d’expression artistiques. Où ressurgissent les vieilles questions de l’art comme « reflet » de l’évolution sociale, hypothèse que rejette d’ailleurs Daniel Soutif, commissaire de l’exposition. Comment ne pas être saisi par le mouvement de cette exposition qui bouge et danse sous nos yeux nous rappelant aussi à l’évidence esthétique et visuelle du jazz. Paul Colin et son « Tumulte noir », Winold Reiss, Man ray, Stuart Davis ou Jackson Pollock témoignent de cet art qui s’inspire de l’urgence à danser. Mais cette exposition met aussi en évidence qu’un lien semble, se déliter progressivement à partir des années 70 et des périodes artistiques qui ont suivi les années free. Alors même que cette exposition est vibrante et foisonnante et ce dès les années 20 et jusqu’à cette période de « libération free », le temps semble s’accélérer à partir des années 70 (il y a donc près de 40 ans…) et les liens entre les arts et le jazz de se distendre quelques peu. Quelques pochettes de disques nous montrent que le jazz est toujours présent et quelques artistes continuent de s’y référer comme Basquiat, Keith Haring ou Niklaus Troxler et d’autres. Mais la concomitance d’une autre exposition majeure à Paris consacrée à Andy Warhol est frappante et montre combien la pop a prit un relais très fort dans la société pour imprimer une empreinte forte auprès d’une génération entière, alors que plus près de nous le hip hop assimilé à certaine forme de culture urbaine s’impose aujourd’hui comme le canon esthétique moderne révélateur d’une identité sociale. Tout se passe alors comme si l’empreinte du jazz à travers les arts s’estompait peu à peu. Le petit train du jazz, œuvre contemporaine de David Hammons (Chasing the blue train, 1989) qui clôt cette exposition doit aussi nous inciter à réfléchir sur le chemin qu’il trace désormais. Plus que jamais la nécessité absolue qu’il a à dialoguer avec les autres sphères des champs artistiques s’impose comme vitale. Et cette exposition nous montre avec acuité que c’est par ce dialogue vivant est toujours en mouvement qu’il se régénèrera.


Echo de Montpellier

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Love IN TRIO DuB feat u-roy Invité du dernier festival de Montpellier Love Trio a donné un concert enivrant. Pas simple d’arpenter un disque de reggae lorsqu’on est plutôt un adepte de la musique électronique, et inversément, pourtant c’est ce qu’ont réussit à faire les Love Trio. Ce groupe est signé sur Nublu, un club new-yorkais transformé en label et qui a vu passer N’Dea Davenport, Norah Jones, Kudu. Trois musiciens donc, Ilhan Ersahin (Wax Poetic) au clavier et saxophone, le bassiste Jesse Murphyy

(Brazilian Girls) et le batteur Kenny Wollese (Tom Wait). Pour cette expérience unique, il fallait un reggaeman expert en la matière, U-Roy (Thievery Corporation), l’inventeur du reg

gae moderne dixit mon confrère Raging Bull. Love trio in Dub (Nublu Records / Discograph) n’a pas spécialement pour vocation de créer un nouveau sous-genre de reggae dub


Echo de Montpellier mais d’explorer des voies encore inconnues mais pas inaccessibles pour autant. Le fait que tout soit joué avec des downtempos posés rend la digestion beaucoup plus facile et agréable, comme une sieste dans un hamac sur une plage blanche lissée par une eau transparente caraïbéenne. Les roots ne sont jamais loin. Et lorsqu’il s’agit de mélanger dub et style gothique, cela donne l’instrumental « Goth Dub » et c’est... comment dire... intéressant ! Les titres, contenant deux versions rejouées (Flight In

Dub et Lovers Rock), n’en restera certainement pas comme un banal coup d’essai de ménage à trois (quatre même), plutôt une approche visionnaire de ce que sera, pourquoi pas, le reggae de demain. Love Trio In Dub featuring U-Roy est à la fois un retour au temps béni du reggae et du dub, et, une fenêtre ouverte sur les évolutions présentes et futures de ces genres. U-Roy continue de solidifier ses statuts de légende et fondateur du reggae.
A la rencontre de Love Trio (les « Nublu down-

town-tronica boys »), il apparaît comme jamais auparavant. Love Trio In Dub featuring U-Roy est, sans aucun doute, un live destiné aussi bien aux amateurs de dub et reggae, qu’aux fans de Thievry Corporation ou Matthew Herbert. De superbes invitées, (Sabina Sciubba et Marla Turner, respectivement chanteuses de Brazilian Girls et Wax Poetic) viennent apporwter leur touche à cet excellent mash-up de dub et d’electronica. Jouez la chanson Lovers Rock pendant une minute et on se croit écouter un de ces fabuleux 45 tours jamaïcains des années 70, mais on réalise bientôt que c’est bien de 2009...

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c o ral

Depuis la sortie de son premier album solo, My Favorite Distraction, Coral Egan est perçue par plusieurs critiques de musique comme la nouvelle coqueluche féminine du jazz canadien. Entretien avec une amoureuse de la vie. Le téléphone s’anime. Au bout du fil, la voix douce et joyeuse de Coral Egan lance un bonjour incertain, un peu comme si elle avait l’impression de s’adresser à la mauvaise personne. Rapidement, elle explique qu’elle se trouve à l’aéroport ; elle attend de prendre son vol pour les Îles-dela-Madeleine, où elle chantera. Le périple s’annonce agréable. Depuis les dernières semaines, le quotidien de l’artiste à la chevelure d’or prend l’allure d’un véritable carnet de voyages. Elle a d’abord parcouru l’Ouest canadien afin de participer à une série d’événements de jazz, puis elle s’est produite au Festival de jazz de Montréal en juillet dernier. Les spectacles continuent de se multiplier. Son premier album solo, My Favorite Distraction, très bien accueilli au Québec, fait son œuvre. Coral rayonne. Elevée dans un milieu où la culture musicale a toujours occupé une place prépondérante, la fille de Karen Young a glissé un peu malgré elle dans le monde artistique. Elle se souvient par ailleurs d’une photo de l’album familial où elle tient un microphone alors qu’elle ne sait même pas encore marcher, et aussi de sa première composition, écrite vers l’âge de 14 ans. « Mais je ne me suis jamais dit : ‹ c’est ça que je vais faire ! › » Coral Egan a tantôt souhaité être surfeuse, tantôt massothérapeute, des métiers qui s’éloignent étrangement du dodo-métro-boulot. Petite épicurienne, la jeune femme souffre en fait d’une allergie à la routine. « Tous mes rêves tournent autour de choses qui sont l’fun ! » rigole-t-elle. Cela explique sans doute sa courte « carrière de compétition » comme joueuse de volley-ball de plage. Une passion qu’elle a dû abandonner pour se consacrer à la chanson, où elle a vraiment l’impression d’être chez elle.

Divine destinée


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Lancé l’hiver dernier et travaillé de manière instinctive, My Favorite Distraction se révèle un enregistrement tout à fait personnel ; il colle parfaitement à la peau de la chanteuse jazz. C’est donc sans étonnement qu’on découvre l’influence de Joni Mitchell dans sa facture. « Je n’aime pas employer le mot idole... Je suis une grande fan de Joni Mitchell. Je l’ai écoutée durant toute mon adolescence. » Six mois de recherche ont été nécessaires avant l’entrée en studio. Lors de cette première aventure en solitaire, Coral Egan a été accompagnée par le réalisateur Charles Papasoff, qui a su tirer le meilleur d’elle-même grâce à sa grande ouverture d’esprit. Remy Malo (basse), Gilbert Fredette (batterie) et Guy Kaye (guitare), d’excellents musiciens de la région de Montréal, ont complété l’équipe. La conception de cet opus a demandé beaucoup d’énergie à la chanteuse. Elle avoue malgré tout avoir apprécié chaque moment. Une révélation. « C’est là que j’ai su que j’étais faite pour ça ! » Contrairement à une flopée d’autres artistes, Coral Egan développe sa carrière musicale en visant la durabilité. Plutôt sage dans ses décisions, elle évite les pièges du succès instantané. Elle se garde de chanter des pièces qui ne lui plaisent pas ou de se perdre dans des rythmes qui ne lui conviennent pas. Elle reste toujours fidèle à elle-même, ce qui du coup l’empêche de sentir la pression venant de l’extérieur. Si elle flirte actuellement avec le jazz, l’inconditionnelle de Stevie Wonder soulève la possibilité d’explorer un jour d’autres sonorités. « Maintenant, le jazz est le genre de musique qui m’intéresse le plus. Mais, je ne me limite pas. J’ai une vision à long terme. Ce n’est pas le premier album de Joni Mitchell qui a déterminé sa carrière. » Elle ne cache pas non plus les différents courants musicaux sur lesquels s’appuie sa personnalité musicale : le soul, la pop, la musique du monde. En fait, le principal objectif de l’énergique jeune femme repose dans le fait de créer son propre style. Elle aspire à ce que les gens reconnaissent ses compositions en entendant simplement quelques notes. Un noble labeur qui peut prendre bon nombre d’années. « Je n’éprouve pas le besoin de prouver quelque chose. Je vise la qualité. Ce n’est pas là où je me rends qui est important, mais bien comment je m’y rends », affirme-t-elle avec assurance. « Mes états personnels sont plus importants que l’argent ! » Quelques mots sont prononcés à propos des voyages. Coral semble avoir la tête ailleurs. Drôle de coïncidence, elle m’annonce qu’elle doit partir, que l’avion va bientôt décoller. Au revoir et bon voyage.

egan

Mots de sagesse


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Public Enemy

entretien avec DES ENNEMIS publics 10

Le groupe de hip-hop Public Enemy s’est formé à New York en 1982. Connus pour leurs prises de position politiques radicales, ils enregistrent des brûlots et enflamment les scènes depuis 25 ans... Entretien avec des pionniers du hip-hop. Des icônes. Rencontrés à quelques instants de leur concert parisien, les mythiques Chuck D et Professor Griff sont accompagnés par Archie Shepp, saxophoniste légendaire qui joue avec eux le temps d’une soirée. Humour et émotion, rébellion et subversion, action et révolution au programme d’une interview “Chuck et choc”...

Chuck D, ça fait 25 ans que vous avez créé Public Enemy. Surpris d’être encore là ? Chuck D : C’est bien qu’on soit encore là. Mais pas surpris, non… On suit l’héritage de la musique. Et ça permet d’évoluer, de durer… En étudiant la musique, on peut avoir un aperçu d’où on vient,

d’où on va… Le temps, l’histoire, la géographie sont tous très importants. Les Etats-Uniens ne sont pas très bons pour ça. Surtout les New-Yorkais, qui pensent que le monde tourne autour d’eux !

Vous ne parlez toujours pas français ? CD : (Rires)… En tant que Public Enemy, on a toujours eu beaucoup de respect pour le reste de la planète, les autres musiques, les autres cultures… On n’a jamais été des Etats-Uniens gâtés, qui pensent que le monde entier devrait parler anglais. Les gens s’excusent toujours de mal parler anglais quand on communique, mais je leur dis que leur anglais est bien meilleur que mon français… La barrière du langage existe, et c’est dommage ! Les structures aux Etats-Unis n’en

couragent pas à l’apprentissage des langues à l’école. C’est un grand regret pour moi…

Professor Griff : Le futur du hip-hop passe par les langues nationales. Les gens veulent comprendre ce qu’ils entendent. Les grands groupes hip-hop du futur seront multilingues ! Que voulez-vous dire à ceux qui disent que le hip-hop est mort ? CD : Il y a plein de réponses à cette question. Quand Nas dit que le hip-hop est mort, de mon point de vue, il veut dire que si les grosses entreprises continuent à dire que le hip-hop leur appartient, à prôner une culture mortifère et automutilante… Là, oui, le hip-hop est mort ! Ca veut pas dire que ça va s’arrêter, ça peut continuer à avancer comme le ferait un zombie… Quand on


Public Enemy regarde bien, sur Internet ou ailleurs, ce qui se fait, on voit qu’il y a plein de gens qui ont envie de faire du hip-hop de façon différente. PG : Si on se pose la question de la mort du hip-hop, il faut se demander qui, quoi, quand, où, comment. La question devrait être : est-ce que le hip-hop peut être ressuscité et qui sera le résurrecteur ? C’est vrai qu’aujourd’hui, il y a une vraie guerre entre hip-hop et «shit-hop», les merdes qu’on entend à la radio… Si tu fais du «real hip-hop», l’argent ne peut pas être ton dieu! CD : Si on doit prendre la chose de façon réciproque, vous qui êtes la deuxième nation du hip-hop au monde - ce que les Etats-Uniens ne savent pas -, qu’en pensezvous ? C’est comme le basket aux Jeux olympiques… Les EtatsUniens roulent des mécaniques en disant qu’ils sont les créateurs du basket, les meilleurs, et à l’arrivée ils se font torcher… Personne ne peut arrêter

Tony Parker ! (rires) Pour reparler de la scène hip-hop ici, on a vu les débuts il y a vingt ans. Des gens comme MC Solaar, puis Ideal J… Et aujourd’hui, je trouve une douzaine de magazines hip-hop en kiosque ! Vos influences ? CD : Un show de Public Enemy, c’est The Roots qui rencontre Rage Against The Machine qui rencontre Run DMC… C’est un truc unique ! Le blues, le jazz, le rock’n’roll… Tous ces éléments viennent de la créativité noire. La culture est un truc qui rassemble les gens, qui abat les différences. Monsieur Archie Shepp, vous fêtez vos 70 ans. Que représente pour vous Public Enemy ? Archie Shepp (en français) : Je suis très heureux de jouer avec ces gens. Ils portent avec eux l’esprit d’Ellington, de Coltrane. Ils viennent de la rue, ils parlent pour les gens de la rue, pour les SDF, pour les RMIstes, contre le racisme, ils sont mes frères ! Ils

luttent pour la révolution des peuples…

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Public Enemy, des projets de disques avec des musiciens ? CD : Oui, notamment le ‘Tribute to James Brown’, qui va sortir bientôt sur le label SlamJamz, distribué par Nocturne en France. C’est important, parce que sans James Brown, il n’y a pas de funk, pas de soul… pas de rap ! PG : Personnellement, avec mon autre groupe Seven Octave, on est en studio pour enregistrer notre deuxième album God Damage. Les événements dans les banlieues en 2005 en France vous ont touchés ? CD : Oui, quand on est venu la dernière fois en France, Time et Newsweek étaient vraiment choqués par les voitures qui brûlaient dans les banlieues. >

DE légende


Public Enemy

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> Et ils blâmaient les Noirs de ne pas retourner en Afrique, le hiphop…  Alors que les usines ferment, les gens sont laissés dans la merde depuis deux décennies déjà. C’est pour vous dire à quel point l’Amérique peut être naze, et qu’il ne faut pas suivre tout ce qu’elle fait ! Regardez, imitez certains trucs si vous voulez, mais ne suivez pas bêtement ! Le point de vue états-unien, c’est «Attention si vous allez en France ! Ils brûlent des voitures...» Moi, je ne suis pas une voiture ! (rires) PG : En tant que Public Enemy, on voudrait vous demander ce que vous pensez de tout ça… On se demande vraiment si vous pensez que ce qui vient des Etats-Unis est ce qu’il y a de mieux ! Quels sont vos rapports avec les médias états-uniens ? PG : Je n’ai pas de rapport avec les médias. J’en ai uniquement avec ma femme ! (rires) Sérieusement, on est arrivé avec des propos peu orthodoxes et ça n’a pas plu. Je ne m’attends pas à ce

que les médias comprennent ce qu’on dit. On n’est pas le genre de groupe à rentrer en studio, à fumer un joint, et à écrire des paroles comme ça… Une interview de Public Enemy est plus instructive que beaucoup de concerts de hip-hop ! CD : La presse aux Etats-Unis est surprise d’apprendre qu’il y a des Noirs en France, et même au Brésil… (rires) PG : Tout est dans le titre MEDIA : Multi Ethnic Destruction In America, ou Maniac European Devils In Action… Que pensez-vous des rappeurs «branchés», des clips où l’on voit de belles filles, de belles voitures, de beaux vêtements ? CD : C’est très facile de dire aux jeunes que ce qui est à l’extérieur est plus important que l’intérieur. Ils sont impressionnables. Mais la société doit aussi construire ce que tu as à l’intérieur, l’estime de soi. L’aspect extérieur vient après. Cette imagerie montre ce qu’il y a à l’extérieur, pas ce qu’il

y a dedans. Si on veut être entier, il faut l’extérieur et l’intérieur. PG : On vaut plus que ce qu’on porte. La valeur va au-delà de ce qu’on montre. Le hip-hop n’est pas un truc qui se porte. La connaissance de soi est une des disciplines du hip-hop. Cette musique parle aux frères des banlieues d’eux-mêmes, de leur réalité. On a compris pourquoi ils ont brûlé des voitures. On l’a fait aussi… (rires) CD : En fait, les Etats-Uniens sont tombés de très haut. Ils ont beaucoup de mal à comprendre ce qui se passe à l’extérieur de leur pays. Ils sont très loin des réalités mondiales. Quand on leur parle de banlieues («suburbs», ndlr), c’est l’opposé de la France. Chez nous, les banlieues sont riches. Ce sont les centres-villes qui sont pauvres. Au moment des événements chez vous, ils disaient que les banlieusards devraient être heureux, qu’ils étaient plutôt gâtés… (rires) On leur expliquait qu’ils avaient brûlé des milliers de voitures,


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Public Enemy mais qu’il n’y avait pas eu une seule victime. On va approfondir… 300 ans d’esclavage, c’est la merde. Tout ce qui s’est passé dans les années 1940, en 1965, ou Rodney King, c’est le résultat de l’écoeurement, après 300 ans de viols, de meurtres, d’oppression, d’exploitation… Tout ce que ça a amené est une logique oeil pour oeil, dent pour dent… On a été épatés de voir qu’en France ces révoltes concernaient les machines, pour montrer aux riches qu’ils aimaient trop les machines… C’est le concept de leur matrice, remplacer les êtres humains par des machines ! Les voitures ont plus d’importance que les pauvres, en France ! On va donc brûler toutes ces putain de voitures… On va pas vous tuer, on va brûler ce que vous aimez le plus… De mon humble point de vue, c’était une façon très sophistiquée de répondre. En utilisant la même mentalité que les multinationales. Brûler les machines qu’ils vénèrent tellement. C’est ironique : les usines qui fabriquent des voitures

ferment, et les mecs brûlent ces mêmes voitures… (rires) Pour leur faire comprendre que le vrai truc c’est l’humanité, les gens… D’autres sujets de révolte ? CD : Les passeports sont une invention ridicule. C’est une façon de distribuer la richesse sur la planète. C’est honteux d’avoir des pays sur cette planète qui ferment la porte, qui ne veulent plus personne. Ils se sont servis de l’Afrique comme d’un frigo : prendre, reprendre, sans jamais remettre… Et à la fin, c’est la faute des Noirs ! PG : Faut bien nous comprendre, on est encore «Public Enemy», on est pas devenu «Public Friend»… Durant notre dernière tournée, je n’ai pas pu rentrer en Russie soi-disant parce que ne n’avais pas assez de pages sur mon passeport… Et c’est le même principe aux USA - United Snakes of America ! (rires) La révolution n’est pas éphémère, c’est un processus. Mais si la révolution pacifique n’est pas possible, ça ouvre le chemin à une révolution violente. Et c’est ce qu’ils sont

en train de provoquer sans s’en apercevoir… C’est inévitable !

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Propos recueillis par Rémy Pellissier pour Jazz Mag - Avril 2009

Militants engagés

Public Enemy (P.E.) est un groupe de hip hop originaire de Long Island, New York formé en 1982. Ils sont connus pour leurs prises de positions politiques radicales critiquant les médias et en faveur de la communauté afro-américaine. Issu du collectif de rappeurs et de DJ Spectrum City, fondé par Hank Shocklee; le groupe se fait connaître en faisant diffuser son premier titre Public Enemy #1 dans l’émission que Chuck D anime, Super Spectrum Mix Hour sur les ondes de la radio soul WBAU, donnant ainsi son nom au groupe. Ce groupe se compose essentiellement de Chuck D et Flavor Flav au chant et de Terminator X aux platines et du groupe de danse S1W. Ils sont les pionniers d’un nouveau rap militant et connus aussi pour leur célèbre slogan «Make love, fuck war». Le groupe s’est caractérisé dès ses débuts par un son très agressif parfois proche du metal, produit par le Bomb Squad, composé de Hank Shocklee, Keith Shocklee, Eric «Vietnam» Sadler, et Carl Ryder (alias Chuck D), et par des propos très engagés sur la condition de la communauté noire aux Etats-Unis, relayant notamment les idées de Louis Farrakhan, le leader de la Nation of Islam. En 1989, Professor Griff aurait eu plusieurs réflexions antisémites. Bien qu’il ait ensuite nié avoir tenu de tels propos, Griff est un temps mis à l’écart du groupe. Cet épisode a beaucoup nui à la réputation du groupe. En 1991, le groupe connaît un grand succès avec son titre Bring da noise qu’il joue en compagnie du groupe de thrash metal américain Anthrax, ce qui amène aux concerts les publics de deux scènes qui ne se côtoient guère (seuls Run D.M.C. et Aerosmith étaient parvenus à un tel résultat en 1986 avec leur tube commun Walk this way). Actuellement, Public Enemy assure sa succession en faisant porter le flambeau du Rap Engagé à des rappeurs plus jeunes (musicalement parlant) tels que Dead Prez de New York ou Paris de San Francisco.


TV on the Radio

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TV ON THE RADIO

TV on the Radio est un groupe de rock américain à géométrie variable originaire de Brooklyn, à New York, mélangeant rock et soul, avec des influences free jazz, doo-wop, teinté souvent de psychédélisme. Le noyau principal du groupe est composé du chanteur Tunde Adebimpe, du guitariste Kyp Malone et du producteur multi-instrumentaliste David Andrew Sitek. Leur premier album Desperate Youth, Blood Thirsty Babes, paru en 2004, a été un succès critique. David Bowie mentionnait à la presse musicale, à l’été 2004, que TV on the Radio est un groupe de rock américain à géométrie variable originaire de Brooklyn, à New York, mélangeant rock et soul, avec des influences free jazz, doo-wop, teinté souvent de psychédélisme. Le noyau principal du groupe est composé du chanteur Tunde Adebimpe, du guitariste Kyp Malone et du producteur multi-instrumentaliste David Andrew Sitek. Leur premier album Desperate Youth, Blood Thirsty Babes, paru en 2004, a été un succès critique. David Bowie mentionnait à la presse musicale, à l’été 2004, que TV on the Radio et Arcade Fire étaient ses groupes préférés du moment. Il contacte lui-même le groupe en 2006 pour enregistrer une chanson, Province, en leur compagnie. Cette pièce se retrouvera sur le second album de TV on the Radio.


TV on the Radio

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Bowie a récemment comparé les textes de TV on the Radio à la poésie américaine, particulièrement celle de la génération beat. Desperate Youth, Blood Thirsty Babes fut précédé de Young Liars, un EP contenant Staring at the Sun, qui se retrouva sur le premier album complet du groupe, et une reprise doo-wop de Mister Grieves des Pixies. Le guitariste des Yeah Yeah Yeahs, Nick Zinner, fait partie des collaborateurs invités sur Young Liars. En 2002, TV on the Radio avait imprimé 300 copies d’un autre EP, OK Calculator, un disque dont aucun nouveau pressage n’a été fait et qu’il est pratiquement impossible à retrouver aujourd’hui. En 2005, TV on the Radio assure les premières parties de Nine Inch Nails durant la tournée With Teeth et lance un EP intitulé New Health Rock. Au mois de septembre, ils enregistrent la pièce Dry Drunk Emperor, inspirée par les ravages de l’Ouragan Katrina. La chanson sera offerte sur internet comme un message d’encouragement venu de New York pour celles et ceux touchés par la catastrophe. Dry Drunk Emperor est aussi une charge indirecte contre le Président George W. Bush. Leur deuxième album Return to Cookie Mountain est paru en Europe le 4 juillet 2006 sur le label 4AD (Pixies, Cocteau Twins). David Bowie apparaît sur la chanson Province et Kazu Makino de Blonde Redhead sur Hours. >

Des images et du son


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TV on the Radio


TV on the Radio

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> TV on the Radio. Un nom encore frais, mais qui résonnera sans doute longtemps dans l’histoire du rock. Ses trois membres originaux ont tissé la base fortement soul et post rock du groupe. Tunde Adebimpe, chanteur à la voix exceptionelle, capable de passer d’un chant de punk rockeur sous acides à de magnifiques envolées soul en moins de temps qu’il n’en faut pour orthographier correctement son nom. Kyp Malone, guitariste à la barbe de hippie, qui assure aussi les choeurs éthérés de Tunde. Et David Sitek, producteur émérite qui travaille aussi pour les Yeah Yeah Yeahs et amoureux farouche de la voix humaine. Ces trois-là se rencontrent à la NYU’s Film School (une fac de cinéma). Artistes touche-à-tout, ils pratiquent un peu de peinture, de sculpture, mais leur cœur ira finalement à la musique. Apparus en 2002 avec un EP autoproduit, OK Calculator (en référence au OK Computer de Radiohead), ils font suffisament sensation pour se faire signer sur le label Touch and Go et enchaînent sur un autre EP, Young Liars (2003), un mini-album qui devait servir à tester le nouveau matériel et quelques idées de chansons. Leur première petite merveille de fusion, tissant quelque part entre le free jazz, le post-rock, le gospel et la soul apparaît. Suffisament préparés, ils filent en studio et en sortent en 2004 avec leur premier album Desperate Youth, Blood Thirsty Babes, un recueil de beauté pop, aussi direct qu’éclectique, qui assure leur notoriété. Ils partent en tournée et recueillent les lauriers pour leurs prestations farouches et survoltées où s’invite la beat box humaine, tranchées de climats trip hop apaisants. En 2006, ils reviennent avec Return to Cookie Mountain, un album encore plus peaufiné, et aux pointes encore plus acérées sous les nuages de guitares orageuses, avec un vrai batteur à la place de la boîte à rythme qui, on s’en rend désormais compte, limitait le potentiel du premier album. C’est un chef d’œuvre. « Province », l’album s’imposera sans doute comme une pierre angulaire du post rock, voire du rock tout court. Les concerts qui suivent sont véritablement extatiques, le groupe maîtrisant ses ambiances et ses compositions sur le bout des doigts, et s’offrant le luxe de les manipuler avec grâce. Lorsqu’on demande à Tunde pourquoi le groupe s’appelle comme ça, il part d’un grand éclat de rire : « David et moi étions en train de jouer et de traficoter des sons quand Martin, un pote, a entendu ce qu’on faisait. Il nous demande comme ça ‹ Eh, les gars, vous vous appelez comment ? ›, ‹ Alors les gars, comment vous vous appelez ? ›, ‹ C’est quoi votre nom ? ›. On ne le savait pas. Il a marqué une pause de quelques secondes puis nous a dit ‹ Vous devriez vous appeler Tv On The Radio ›. On a marqué une pause à notre tour puis on a dit ‹ C’est pas mal. Ca marche ›. Je ne sais toujours pas pourquoi il nous a dit ça et on n’ en a plus reparlé. De toute façon ça change que dalle... on est des hippies. » Une tournée est prévue en 2009 dont quelques dates en France comme le 17 juillet au Festival des Vieilles Charrues.


jazz à Vitré 1 Martial Solal 2 Fred Guesnier 3 DD Bridgewater 4 Danilo Perez 5 Florin Niculescu 6 Ricky Ford 7 Léon Parker 8 Eric Truffaz


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9 Renaud Garcia Fons 10 Wayne Shorter 11 Esperanza Spalding 12 Dimitri Naiditch 13 Trio Mira 14 Richard Galliano 15 Brian Blade


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DIVA Erykah Badu


Née Erica Wright à Dallas aux Etats-Unis, Erikah Badu est élevée par sa mère avec son frère et sa sœur. Elle débute sa carrière à l’école en participant à un duo rap féminin sous le pseudonyme de MC Apples. Rentrée à la Louisiana’s Grambling State University, elle prend la décision en 1993 de se consacrer à plein temps à la musique. Elle revient donc à Dallas où elle fait plusieurs petits boulots tout en créant avec son cousin le groupe hip hop Erykah Free. Elle est repérée par Tim Grace du label Legacy Entertainment qui lui obtient les premières parties de A Tribe Called Quest, Method Man et Arrested Development. Elle ouvre également pour D’Angelo en 1995. Les premiers succès Erikah Badu quitte alors sa ville natale et son cousin pour enregistrer à New York son premier album solo, Baduizm. Ce disque sort en 1997 et atteint rapidement les sommets des charts grâce notamment aux singles On & On et Next Lifetime. Elle sort ensuite son deuxième album Live qui se compose de morceaux de Baduizm en concert et de nouvelles chansons, I’ll Be The Moon et Tyrone. La maturité musicale De plus en plus mature musicalement, Erykah Badu livre Mama’s Gun à la fin de l’année 2000, une splendide mixture de soul et de jazz. Après une parenthèse de trois ans, la diva texane revient en 2003 avec un nouvel opus sous forme de mixtape, Worldwide Underground. Il faut attendre 2008 pour qu’Erykah Badu investisse à nouveau les bacs avec un double album intitulé New Amerykah.


o n m Des légendes à Montréal. Plusieurs grandes légendes nous feront le cadeau de leur présence à Montréal cette année : Paul Simon, B.B. King, Tony Bennett, McCoy Tyner, Brad Mehldau, récipiendaire du Prix Miles-Davis cette année, Etta James, lauréate du prix Ella-Fitzgerald, et Salif Keita, qui recevra le Prix Antonio Carlos-Jobim 2006, ainsi que John Pizzarelli et Dave Brubeck, respectivement en ouverture et en clôture du Festival, de même que les John Zorn, Nils Petter Molvaer, Pharoah Sanders, Ravi Coltrane, Yusef Lateef et autres éclaireurs de la note bleue. Grande fête gratuite avec trois spectacles. Le 29 juin, en ouverture, un Salut à La Nouvelle-Orléans avec les Neville Brothers viendra nous rappeler à nos devoirs de solidarité à l’égard de nos cousins louisianais. Le mardi 4 juillet, le Grand événement General Motors rendra un hommage mémorable à l’auteurcompositeur Paul Simon, qui honore le Festival de sa présence le lendemain à la Place des Arts. La musique délirante de Goran Bregovic et son Orchestre des Mariages et des Enterrements fermera la marche, le dimanche 9 juillet, lors de l’Evénement Alcan. On connaît ici Goran Bregovic surtout pour ses musiques de films comme La Reine Margot, et Underground. Le souci de la qualité a également prévalu dans la sélection des artistes qui se produiront sur les dix scènes gratuites de notre site extérieur. Chacun a encore en mémoire la Jam percussion de l’an passé dont les tours de Montréal résonnent encore ! Lieu de dépaysement culturel, occasion de fabuleuses découvertes musicales, le site extérieur du Festival, qui comprend entre autres le Parc musical Alcan, bien connu des tout-petits, et La Petite Ecole du Jazz, est le rendez-vous par excellence pour toute la famille. L’appui du public Le Festival doit sa renommée à la création d’une formule d’animation urbaine unique au monde qui donne libre accès à des centaines de spectacles, rencontres et activités, en toute gratuité. Tout ceci n’aurait jamais pu être possible sans l’appui des Montréalais, de leur sens de la fête et de leur hospitalité. Rappelons que la totalité des revenus qui sont générés dans les kiosques officiels sur le site – qu’il s’agisse de la Carte des Amis ou des œuvres de la Galerie, des ventes aux kiosques de boissons, d’aliments ou d’objets promotionnels – est réinvestie par l’événement à but non lucratif dans la promotion du jazz et la présentation de nouveaux talents à découvrir sur les scènes gratuites. Les mots d’Alain Simard directeur du festival Pour accélérer le développement de Montréal, faut-il miser davantage sur la culture et le divertissement ? Il est maintenant bien connu que la personnalité des villes, la richesse de leur vie culturelle, la qualité de leurs attraits touristiques de même que leur rayonnement international sont des avantages stratégiques déterminants pour leur développement social et économique. Depuis qu’on a constaté la forte croissance des voyages de court séjour urbain et découvert les théories de Richard Florida sur l’importance de l’indice bohémien, plusieurs études ont démontré l’importance des grands festivals et du divertissement dans cette lutte que se livrent désormais les grandes agglomérations urbaines pour se démarquer et améliorer leur capacité d’attirer touristes, mais aussi cerveaux et investissements. Lévi Charpentier


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Des bords du Mississipi, où il est né le 25 mai 1926, Miles Dewey Davis fera très tôt preuve de ce légendaire caractère. Trompettiste autodidacte, il est le plus Dés 1944, et sa carrière durant, Miles jeune musicien de l’orchestre de la ville. En 1942, mis Davis tiendra à s’entourer des plus au défi de contacter Eddie Randle, alors chef d’orchesgrands. Après la formation de Randle, il tre des Blue Devils de Saint-Louis, il n’hésite pas une intègre celle de Billy Eckstine dans seconde à se présenter. Après audition, il est engagé. laquelle jouent les musiciens les plus Miles Davis venait de mettre un pied dans l’histoire du originaux de son époque. Il côtoie Dizzy jazz. Gillespie et Charlie Parker. Au lieu d’aller aux cours de l’école Juilliard à New York, Miles passe son temps à traîner dans les clubs de la 52e rue. Il y rencontrera ses futurs partenaires, mais aussi l’alcool, l’héroïne et la débine.

Pourquoi jouer tant de notes alors qu’il suffit de jouer les meilleures

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Ses années d’apprentissage en disent long sur le futur du jeune homme. Instable, Miles Davis est constamment à la recherche du « nouveau truc » : « The New Thing » comme on l’appellera plus tard. De l’explosion bebop à la naissance du cool, puis de nouveau au radicalisme hard bop, Miles Davis expérimentera tous les styles. Entre 1945 et 1949, le musicien se fait un nom et rencontre Thelonious Monk. Continuellement en mouvement, Miles est toujours là au bon moment. Il est présent quand le bebop révolutionne une première fois le jazz. Accompagné de « Bird » et de « Dizzy », il enregistre plusieurs classiques du genre. En 1949, quand ceux-ci le quittent pour Los Angeles, il sait tirer parti de sa rencontre avec Gil Evans et accouche de son premier chef d’œuvre : Birth Of The Cool. C’est aussi le moment où Miles commence à imposer sa vision du jazz. A l’opposé des petites formations ou des big bands, alors à la mode, il invente un concept d’orchestre intermédiaire où sont invités musiciens blancs et noirs, indifféremment. Grâce à Evans, Miles entrevoit des possibilités nouvelles. Viendront les premières tournées outre-atlantique, Paris et les premières heures de gloire internationales. Miles est un éternel insatisfait. La face autodestructrice de son comportement prend le pas sur son existence. Il connaît des ennuis avec l’alcool et son addiction à l’héroïne devient envahissante. Entre deux shoots, il rencontre son futur partenaire : Sonny Rollins, lui aussi accro... Après avoir effectué son premier enregistrement pour Blue Note, en 1952, il retourne chez son père. Animé de cette volonté inébranlable, il décroche, seul, de la drogue. C’est un Miles purifié, mais toujours aussi exigeant, qui signe les deux grands classiques de hard bop que seront « Walkin’ » et « Blue O’ Boogie », avec Sonny Rollins. Il remplace rapidement celui-ci par John Coltrane. La formule fonctionne à merveille. En 1957, il clôt le triptyque « Miles Ahead », « Porgy and Bess » et « Sketches Of Pain ». En 1958, c’est « Ascenseur pour l’échafaud » produit par Marcel Romano, puis les premières expériences, avec « Milestones », où le musicien s’aventure dans le jazz modal. En 59, il enregistre « Kind of Blue ». Cette embellie n’arrange en rien son caractère et, en 1960, il insulte deux policiers, se fait battre comme plâtre et se retrouve au poste. Heureusement, les années 60 arrivent. Autour de Miles, le monde et le jazz changent. Malgré le départ de Coltrane, l’artiste est là « au bon endroit, au bon moment ». En 1963, sa découverte du batteur Tony Williams et du pianiste Herbie Hancok est une révélation ! Miles va imposer ses règles au free jazz naissant dans l’élan du mouvement hippies et des revendications sociales de la communauté afro-américaine. En 1968, fort de son nouveau quintet (Wayne Shorter, Hancock, Ron


Biographie Carter et Williams) auquel il ajoute un guitariste, Miles entame ses expérimentations électriques. C’est l’heure de « Miles in The Sky », « Filles de Kilimanjaro », puis le monument « In A Silent Way » avec le producteur Teo Macero, dans lequel joue, non plus Herbie Hancock mais Chick Corea. Le sextette a également implosé pour devenir un véritable groupe de sept musiciens. En 1972, c’est dans un chaos de départ (Williams, Shorter) et d’arrivée (Bennie Maupin, John McLaughlin, Harvey Brooks) que Miles Davis entame les sessions qui deviendront légendaires dans l’histoire du jazz. Nom de code : « Bitches Brew ». L’époque est à l’« afropsychédélisme », Miles écoute de plus en plus de funk, de rock. Cette soif de nouveauté ne fait pas l’unanimité. Beaucoup d’esthètes arrêtent d’acheter ses disques sous prétexte que Miles a perdu sa spécificité. Malgré les multiples changements de personnel au sein du groupe, les éclats et les exagérations, l’intérêt de Davis pour la musique ne faiblit pas. En 1972, il écoute Jimi Hendrix, James Brown ou Karlheinz Stockhausen. Ses influences donneront encore un objet rare : « On The Corner », album qui doit autant au funk qu’à l’avant-garde musicale du XXe siècle. Paraissent ensuite « Agharta » et « Pangea » mais à l’heure où sa musique redouble de créativité, son corps, rongé par les excès divers, ne suit plus. Jusqu’à la fin pourtant, Miles Davis sera à l’écoute de l’innovation. Même après quelques « baisses de forme » tels « You’re Under Arrest » ou « Amandla », il est écouté religieusement par tous ceux qui vénèrent l’inventivité et l’ouverture dans le domaine musical. Le 28 septembre 1991, il s’éteint et le monde entier perd l’un des plus grands musiciens que le jazz n’ait jamais connu.



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