Frida Kahlo & eikon – Art, Culture & Création Travail final, Mars/Avril 2017
Ana Mendieta Alexandra Vuagniaux, IMD31
Travail final, Mars/Avril 2017
Sommaire Introduction Partie I
3 Frida Kahlo
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Biographie
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L'art de Frida Kahlo
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Analyse d'une oeuvre Ce que je vis dans l'eau Partie II
Partie III
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Ana Mendieta
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Biographie
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L'art d'Ana Mendieta
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Analyse d'une oeuvre Glass on Body Imprints – Face
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Comparaison entre Frida Kahlo et Ana Mendieta
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Conclusion
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Sources
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Introduction J'ai décidé, dans le cadre de ce travail, de me concentrer principalement sur l'art de la mexicaine Frida Kahlo (1907-54).
Dans un second temps, je présenterai l'artiste contemporaine cubo-américaine Ana Mendieta (1948-85).
J'ai toujours été très attirée par son art, que je savais autobiographique, mais je n'ai cependant jamais vraiment pris le temps de m'intéresser de plus près à sa vie. Ce travail était donc l'occasion pour moi d'en savoir plus sur cette femme qui reste aujourd'hui encore un symbole féministe fort ; elle a d'ailleurs été une icône dont on a parlé plusieurs fois le 8 mars dernier, à l'occasion de la Journée internationale pour les droits de la femme, preuve qu'elle reste aujourd'hui encore reconnue pour bien plus que les toiles qu'elle a laissées. Ses oeuvres se vendent aujourd'hui à des millions et c'est l'une des artistes féminines qui a vendu le plus d'oeuvres d'art au monde.
J'ai découvert cette artiste dans le cadre du travail précédent d'Art, Culture et Création, et j'ai été très touchée par ses intentions. Ana Mendieta, une artiste à la croisée du Land Art et du Body Art, ne fait pas d'art « gratuit ». Il s'agit toujours pour elle de faire passer un message, une idée. Le spectateur doit voir plus loin que le simple côté esthétique que pourrait avoir une oeuvre d'art.
Je vais donc m'intéresser de près à la biographie de Frida Kahlo, afin de comprendre comment sa vie et sa culture ont marqué sa création artistique.
Féministe elle-aussi, je pense qu'il n'est pas impossible qu'elle ait trouvé un peu de son inspiration dans l'art de Frida Kahlo. De plus, l'autoportrait est présent chez les deux artistes, de même que l'exploration de thèmes récurrents tels que la violence ou la douleur. Je pense qu'il est intéressant de confronter ces deux artistes et leur art, de les comparer, et c'est ce que je ferai dans la troisième partie de ce travail.
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Partie I Frida Kahlo
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Frida Kahlo Frida Kahlo (1907-1954) est une artiste peintre mexicaine connue surtout pour ses autoportraits et considérée aujourd’hui encore comme une véritable icône féministe. Les événements dramatiques de sa vie ont parfois fait parlé d’elle plus que son art, mais on « [...] [E]n dépit de toute cette peut difficilement les dissocier car son art douleur ou – plus précisément – est avant tout un art à cause d’elle, Kahlo a créé un autobiographique.
recueil de portraits déchirants, brouillant la plus intime des vérités avec le plus étrange des fantasmes, rendus avec une intensité tout aussi inflexible. [...] [L]es peintures de Kahlo ne racontent pas seulement des histoires, elles ouvrent des blessures.» 1
Frida Kahlo est née à Coyocoán (Mexico City, Mexique) en juillet 1907, mais falsifie sa date de naissance et affirme être née trois ans plus tard, le 7 juillet 1910, date de l’éclatement de la révolution mexicaine. Elle souhaitait en effet que sa vie commence avec le Mexique nouveau, moderne. 2 Là déjà, nous pouvons souligner l’implication au niveau politique et social de Frida Kahlo ; on remarque que dès son plus jeune âge elle a un esprit indépendant et rebelle et qu’elle a toujours été très liée à son pays, le Mexique, et à sa culture.
Elle a grandi dans la maison familiale où elle est née – la Casa Azul (maison bleue) – avec son père, un photographe allemand immigré, sa mère et ses trois soeurs. Cette maison est aujourd’hui un musée qui lui est entièrement dédié. Lorsque Frida Kahlo a environ 5-6 ans, elle contracte la poliomyélite (aussi appelée polio ou paralysie spinale infantile), une maladie infectieuse aiguë et contagieuse 3 qui la fait beaucoup souffrir. Bien qu’elle en fût guérie, elle en a gardé des séquelles et a boité toute sa vie. Son père l’a toujours encouragée à pratiquer des sports tels que le football, la nage et même la lutte, ce qui était très inhabituel pour une fille, afin de l’aider à récupérer. 4 En 1925, elle souffre à nouveau suite à des blessures graves dues à un accident
de bus. La médecine de l’époque a torturé son corps, notamment avec les 32 opérations chirurgicales qu’elle a subi tout au long de sa vie. A cause de cela, Frida Kahlo doit peindre depuis son lit et elle n’a jamais pu avoir d’enfants – elle a fait plusieurs fausses couches et son infertilité la dévasta.5 Le grand amour de sa vie est le peintre muraliste mexicain et communiste Diego Rivera, rencontré en 1922 alors qu’elle entre à l’Ecole Nationale Préparatoire. A l’école déjà, elle fréquente des jeunes qui, comme elle, ont une opinion politique intellectuelle. C’est durant ces années, alors qu’elle vit une amourette avec un de ces étudiants, qu’elle a son accident de bus. Pendant son rétablissement, elle finit son premier autoportrait (Autoportrait à la robe de velours, 1926). 6 Elle n'avait jamais pensé à la peinture avant ce moment-là, alors qu'elle s'ennuyait, alitée. Elle revoit Diego Rivera en 1928 et ce dernier l’encourage dans son art. Ils se marient l’année suivante et Frida Kahlo peint son célèbre tableau Frida and Diego Rivera, un portrait en pied du couple. Leur relation est tumultueuse, ils se sont mariés à deux reprises, séparés plusieurs fois et Diego Rivera lui a été infidèle – notamment avec Cristina, la soeur cadette de Frida Kahlo. Kahlo a elle-aussi eu plusieurs aventures, avec des hommes et des femmes, comme le révolutionnaire en exil Léon Trotski ou encore la femme de l’écrivain et poète André Breton. 7 Bien qu’ayant déjà rencontré le succès de son vivant, Kahlo était très modeste, car elle n’a jamais peint pour le public mais pour elle-même : « [...] Je ne sais pas ce qu’ils voient dans mes oeuvres [disait-elle]. Pourquoi veulent-ils que je les expose? ». 8 Frida Kahlo a également, dès 1943, donné des cours gratuits à l'école d'art La Esmeralda et proposait un enseignement peu orthodoxe (tutoiement, rapports de camaraderie, encouragement de l'auto développement et de l'autocritique,
FRANK Priscilla, Why Contemporary Art Is Unimaginable Without Frida Kahlo in: The Huffington Post (en ligne), http://www.huffingtonpost.com/2014/04/29/ unbound-contemporary-art-_n_5229106.html (mis en ligne le 29 avril 2014, consulté le 10 mars 2017). FRIDA KAHLO & CONTEMPORARY THOUGHTS, A short biography, http://www.fridakahlo.it/en/biografia.php (consulté le 7 mars 2017). 3 WIKIPEDIA, Poliomyélite, https://fr.wikipedia.org/wiki/Poliomy%C3%A9lite (consulté le 7 mars 2017). 4 BIO, Frida Kahlo Biography, http://www.biography.com/people/frida-kahlo-9359496#synopsis (consulté le 7 mars 2017). 5 FRIDA KAHLO & CONTEMPORARY THOUGHTS, Op. Cit. 6 BIO, Op. Cit. 7 WIKIPEDIA, Frida Kahlo, https://fr.wikipedia.org/wiki/Frida_Kahlo (consulté le 7 mars 2017). 8 KETTENMANN, Andrea, Kahlo, Cologne: Taschen, 2008. 1
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sorties pour peindre la rue, etc.). Elle y transmettait « l'amour des hommes, du peuple et le plaisir de l'art populaire ».9 Elle décède en 1954, seulement une année après sa première exposition personnelle. Officiellement, elle meurt d'une embolie pulmonaire, mais des doutes planent
Frida & Diego Rivera Frida Kahlo, Frida et Diego Rivera, 1931, huile sur toile, 39 3/8 cm x 31 cm, Musée d’Art moderne, Collection Albert M. Bender (San Fransisco)
Hôpital Henry Ford Frida Kahlo, Hôpital Henry Ford (Le Lit volant), 1932, huile sur métal, 32.5 cm x 40.2 cm, Musée Dolores Olmedo (Mexico)
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KETTENMANN, Op. Cit. Ibid.
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encore quant à un éventuel suicide. En effet, la veille, elle a laissé un mot à son mari disant « Avec joie, j'attends le départ... et espère bien ne jamais revenir... Frida. », 10 et elle faisait souvent part de ses envies de suicide dans son Journal.
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7 L'art de Frida Kahlo
Un art personnel Frida Kahlo a donc beaucoup souffert, et ce dès son plus jeune âge: que ce soit physiquement, à cause de sa maladie puis de son accident, des séquelles qu’ils ont laissées, de ses opérations, ou psychologiquement à cause de ses peines de coeurs et du fait qu’elle n’ait jamais pu avoir d’enfant. En s’intéressant donc de plus près à sa biographie (et même à son autobiographie grâce au Journal qu'elle a laissé), on remarque que les événements qu’elle a vécu sont dramatiques et ont marqué tant sa personnalité que son art. La souffrance fait partie intégrante de sa vie et influence sa création artistique, qui comprend environ 200 peintures, « le plus souvent de petits autoportraits auxquels elle doit sa célébrité internationale, mais aussi des natures mortes aux fruits ou des représentations animales » 11. L’art de Frida Kahlo est un art personnel, autobiographique. C’est le résultat d’un mélange entre les événements dramatiques qu’elle a vécu et son attachement à son pays, le Mexique, et à la culture latine de manière générale. Dans ses autoportraits, elle se représente souvent portant des vêtements simples, de paysans, ou d’un costume régional indien. Elle exprime ainsi son identification au peuple mexicain, son identité nationale. Rivera disait qu’il voyait en Kahlo « l’incarnation de toute la magnificence nationale ».12 Cette identité mexicaine se retrouve non seulement dans ses vêtements mais aussi dans les décors de ses toiles, où elle représente la faune et flore locale ou encore dans ses natures mortes, qu’elle peint presque exclusivement vers la fin de sa vie, alors que sa santé et les médicaments rendent son exécution technique moins précise, moins soignée – « le trait de pinceau léger, fugitif et même peu soigné, [...] l’épaisse couche de peinture [...] la réalisation moins exacte des détails. » 13 Kahlo a aussi porté, pendant un certain temps, des vêtements d’homme (Autoportrait aux cheveux coupés, 1940),
ce qui lui donne une allure de femme peu commune, libre et indépendante, autonome, qui correspond, je pense, à son caractère rebelle qui souhaite s'affirmer et aller au-delà des stéréotypes. Les autoportraits prédominent donc dans l’oeuvre de Kahlo. Elle dit à propos de ses autoportraits: « Je me peins parce que je passe beaucoup de temps seule et parce que je suis le motif que je connais le mieux. » 14 On s’imagine alors bien la solitude dans laquelle se trouve Frida Kahlo lorsqu’elle est en période de convalescence après son accident, seule allongée dans son lit, au-dessus duquel a été placé un miroir. Elle n’a rien d’autre à peindre que son propre reflet. Cette solitude se ressent d’ailleurs dans certains de ses autoportraits, sur lesquels elle se peint impassible, le regard figé, et souvent dans un paysage désertique ou neutre. On ne peut que rarement distinguer une expression ou des sentiments et états d'âmes dans ses peintures ; elle se peint parfois avec des larmes qui coulent de ses yeux mais son visage reste toutefois dur, impassible. Les autoportraits l'ont sans doute aidée à se trouver une nouvelle identité.
Un art entre réel et imagination Les autoportraits de Frida Kahlo sont sincères, honnêtes: elle ne cherche jamais à s’embellir et peint son mono-sourcil caractéristique, sa moustache, tels qu’ils le sont en réalité. Elle mélange toutefois cette réalité avec beaucoup d’éléments surréalistes – ce qui lui vaut d’être classée dans ce mouvement par certains historiens d’art. Elle développe, comme les surréalistes, son propre langage visuel, très imagé, et elle utilise beaucoup de symboles dans ses oeuvres. Son travail est, comme depuis ses premiers autoportraits, toujours profondément personnel. Sa toile Hôpital Henry Ford, par exemple, la représente nue sur un lit d’hôpital, entourée d’un foetus, symbolisant sa deuxième faussecouche, un escargot ou encore une fleur.
GROSENICK, Uta (éd.), Women Artists: Femmes artistes du XXe et du XXIe siècle, Cologne: Taschen, 2005. KETTENMANN, Op. Cit. Ibid. 14 Ibid. 11
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Cette toile peut nous faire penser aux peintures surréalistes de Dalí par exemple, dans lesquelles on voit souvent des éléments étranges flotter. Pourtant, « Frida Kahlo se défend d’être surréaliste : ‘‘On me prenait pour une surréaliste. Ce n’est pas juste. Je n’ai jamais peint de rêves. Ce que j’ai représenté était ma réalité.’’ » 15 A ce sujet, un article publié dans Vogue par Bertram D. Wolfe se range de son côté et marque la différence entre l’art de Kahlo et celui des Surréalistes :
« Bien qu’André Breton [...] lui ait dit qu’elle était une surréaliste, elle n’est pas parvenue à son style en suivant la méthode de cette école. [...] Sans les symboles freudiens et la philosophie dont sont possédés les peintres surréalistes officiels, son style est une sorte de surréalisme naïf qu’elle a inventé pour elle-même. [...] Alors que le surréalisme officiel s’occupe surtout de rêves, de cauchemars et de symboles névropathes, l’esprit et l’humour dominent dans la variante de Madame Rivera. » 16 Kahlo peint donc sa réalité, sans avoir pris connaissance des toiles des peintres surréalistes, et elle invente son propre langage visuel et imagé ; elle utilise des symboles qui lui sont propres, et s'exprime ainsi à travers son art. On ne peut peutêtre pas voir les expressions de Kahlo dans ses autoportraits, mais il est certain qu'elle s'exprime toutefois beaucoup à travers son art – il suffit de savoir décoder son vocabulaire visuel. Même avec ses éléments irréels ou fantastiques, Frida Kahlo ne se détache jamais vraiment de la réalité. Le réel et l'imagination s'entremêlent dans ses oeuvres comme souvent dans l'art mexicain.17 Les limites entre le réel et l'imagination sont floues dans l'art de Kahlo.
Un art lié à la culture mexicaine Il est sûr que la force qui se dégage de ses peintures, très personnelles mais qui ont su toucher un large public, ainsi que le caractère et la personnalité de Frida Kahlo ont beaucoup marqué le monde de l'art, et ce de son vivant déjà. Une des raisons est sûrement aussi que les situations autobiographiques
WIKIPEDIA, Frida Kahlo, Op. Cit. KETTENMANN, Op. Cit. 17 Ibid. 18 Ibid. 19 Ibid. 20 Ibid. 15
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que Frida Kahlo peint renvoient aussi à des problématiques socio-culturelles. Elle se base en effet beaucoup sur la culture mexicaine, qui est sienne, et précolombienne, reprenant par exemple des tableaux votifs populaires ou des représentations de martyrs et de saints chrétiens omniprésents dans la culture populaire. 18 Toujours en lien avec cet attachement à la culture mexicaine, et dans ce cas plus précisément à l'ancienne mythologie mexicaine, on retrouve très souvent dans les toiles de Kahlo le principe de la dualité : le dédoublement de sa personnalité, la dualité de son être. Des toiles telles que Les Deux Fridas (1939), Arbre de l'espérance, reste ferme (1946), ou encore L'étreinte amoureuse de l'univers, la terre (Mexique), moi, Diego et Monsieur Xolotl (1949), illustrent ce principe dualiste, opposant le soleil, le jour, le feu, le sud, le blanc, à la lune, la nuit, le nord, l'eau, le noir. Cette opposition, qui selon les aztèques garantit l'équilibre du monde 19, est très présente dans l'art de Kahlo. Kahlo ne se sentait d'ailleurs pas à sa place lors de son séjour aux Etats-Unis, où elle a suivi Diego Rivera. Elle trouvait le Nouveau Monde industriel froid et mort et l'a représenté dans des tons gris, opposé aux couleurs chaudes du Mexique dans le tableau Autoportrait à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis (1932). On retrouve d'ailleurs toujours, avec cette toile, le principe de dualité et d'opposition qui lui est cher. Frida Kahlo a donc toujours été très attachée à son pays, et ses toiles traitent des problématiques propres au peuple mexicain même si l'artiste ne le voyait pas comme cela : « Ma peinture n'est pas révolutionnaire. Pourquoi me donnerais-je l'illusion qu'elle est combative ». Cependant, la façon dont elle s'identifie à sa culture mexicaine ne peut être comprise uniquement comme une représentation de sa vie et de ses problèmes personnels ; il s'agit vraiment d'une prise de position « déterminée par l'évolution politique et culturelle de l'après-révolution » 20. C'est en cela que l'art de Frida Kahlo est, encore de nos jours, considéré comme une véritable prise de position politique et sociale.
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Autoportraits Frida Kahlo, Autoportrait au Singe, 1938, huile sur masonite, 40,6 x 30,5 cm, Albright-Knox Art Gallery (Buffalo) Frida Kahlo, Autoportrait aux Cheveux défaits, 1947, huile sur fibre dure, 61 x 45 cm, 1947, collection privée
Les Deux Fridas Frida Kahlo, Les Deux Fridas, 1939, huile sur toile, 173.5 cm x 173 cm, Musée d’Art moderne (Mexico)
Ma Naissance Frida Kahlo, Ma Naissance, 1932, huile sur métal, 32.5cm x 40.2cm, Musée Dolores Olmedo (Mexique)
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10 Anaylse d'une oeuvre
Ce que je vis dans l’eau (1938) est une huile sur toile très symbolique de Frida Kahlo, considérée comme une de ses oeuvres les plus surréalistes. On y voit en quelque sorte un autoportrait : on reconnaît la jambe droite blessée de Kahlo dont on voit la cicatrice sous l’eau, en bas à droite, et son gros orteil droit déformé, brisé, dans la moitié supérieure du tableau. Une des causes de sa souffrance physique est alors illustrée par ses blessures, et nous permet d'affirmer que c'est bien Frida Kahlo elle-même qui prend ce bain. Il s’agit d’une oeuvre complexe, composée de beaucoup de détails. Elle reprend des éléments de sa vie et de ses oeuvres ainsi que d’autres oeuvres de l’histoire de l’art. Parmi les oeuvres reprises dans cette toile, on trouve : Les Deux Fridas (1939), avec les veines desquelles s'écoulent du sang, sur le goulot de la baignoire, au centre, Souvenir (1937), avec la robe rouge et verte qui flotte à la surface de l'eau du bain, en bas à gauche, Hôpital Henry Ford (1932), avec le corps de femme nu, ou encore Mes Grands-parents, mes Parents et moi (1936), avec le portrait de ses parents, en bas à gauche. On retrouve également un détail du Jardin des Délices de Jérôme Bosch (1505), avec l'oiseau couché sur l'arbre et représentant la mort, sous son pied droit, et un élément de A Ninfa Echo de Max Ernst (1936), avec les feuilles autour du portrait de ses parents. La tour
Ce que je vis dans l’eau qui jailli du volcan est un détail qu'on retrouve sur un de ses précédents dessins, O Sonho (1932), et représente peut-être la renaissance. Elle y peint également des coquillages et des roches brisés, cassés – sur la gauche – sans doute pour représenter son propre corps, lui-même brisé. 21
Frida Kahlo, Ce que je vis dans l’eau ou Ce que l’eau me donna, 1938, huile sur toile , 91 x 70,5 cm, collection Daniel Filipacchi (Paris)
Cette toile, comme d'autres, « visualise des choses qui ont déjà dépassé le rêve et qui sont devenues un trauma ».22 Les images flottant à la surface de l’eau évoquent la vie de Frida Kahlo, ses souffrances. Une certaine nostalgie s'en dégage. On imagine bien l’artiste dans son bain, laissant ses pensées flotter au fil de l’eau, laissant libre cours à son imagination.
LE FOND DE L'OeIL, Frida Kahlo, à travers le masque, YouTube, https://www.youtube.com/watch?v=Fr3z0-Hkofw (mis en ligne le 29 janvier 2016, consulté le 24 mars 2017). GROSENICK, Uta (éd.), Women Artists: Femmes artistes du XXe et du XXIe siècle, Cologne: Taschen, 2005.
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« Les toiles révélaient une extraordinaire force d'expression, une description précise des caractères et un réel sérieux. [...] Elles possédaient une sincérité plastique fondamentale et une personnalité artistique propre. Elles véhiculaient une sensualité vitale encore enrichie par une faculté d'observation impitoyable, quoique sensible. Pour moi, il était manifeste que cette jeune fille était une véritable artiste. » – Diego Rivera, à propos des toiles de Frida Kahlo
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Partie II Ana Mendieta
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Ana Mendieta Ana Mendieta (1948-1985) est une artiste cubo-américaine sculptrice, peintre, vidéaste et artiste de performance dont les œuvres principales se trouvent à la croisée du Land art et du Body Art. Elle est de nos jours surtout connue pour son oeuvre Earth-Body et « Evoluant à partir de deux mou- sa série Siluetas.
vements distincts des années 60 – Land Art et Body Art – Mendieta a synthétisé ses influences avec [...] une véritable expression, formant ce qu’elle a appelé un "dialogue entre le paysage et le retour du corps féminin à la source maternelle". Elle a développé ses Earth Body à partir d’un paysage émotionnel complexe enraciné dans son exil politique.» 23
Issue d'une famille bourgeoise comptant plusieurs hommes politiques importants, Ana Mendieta naît à La Havane, la capitale de Cuba, en novembre 1948. En 1961, soit deux ans après la révolution castriste (le coup d'état de Fidel Castro contre le gouvernement autoritaire du président Fulgencio Batista, en 1959), Ana Mendieta est envoyée aux Etats-Unis avec sa soeur aînée Raquelin dans le cadre du programme gouvernemental américain qui retire les enfants du régime cubain et les transfère aux USA. Ana Mendieta et sa soeur passent leurs premières semaines dans un camp de réfugiés de l'Iowa (USA), avant d'être placées dans un orphelinat catholique. Elles sont passées par différentes institutions et familles d'accueil.24 Leur mère et leurs petits frères ne les rejoignent pas avant 1966, et leur père, qui a passé 18 ans en prison à Cuba à cause de son implication dans le débarquement de la baie des Cochons (une tentative ratée d'invasion militaire de Cuba par des exilés cubains soutenus par les États-Unis en avril 1961 pour renverser le nouveau gouvernement établi par Fidel Castro.) 25 les rejoint en 1979. Ana Mendieta obtient la nationalité américaine en 1971.
Cet exil forcé a été douloureux pour la jeune artiste et il a développé chez Mendieta un intérêt marqué pour la culture cubaine et afro-caribéenne. Ana Mendieta peignait déjà avant son départ aux Etats-Unis. Cette discipline lui vient de sa grand-mère maternelle, qui avait elle-même été peintre dans sa jeunesse. Cependant, Mendieta a délaissé les pinceaux car elle jugeait que la peinture n'était pas assez « réelle » (voir citation page 18). C'est donc dès 1972, alors qu'elle étudie à l'université de l'Iowa, qu'elle réalise ses premières performances. 26 En 1983, elle gagne le prix de l'Académie américaine de Rome, obtenant ainsi une bourse pour étudiants en art et un séjour à l'American Academy in Rome. 27 Grâce à son art, elle ne voyage pas seulement en Italie mais dans de nombreux pays, comme au Mexique, par exemple, en plus des Etats-Unis et de Cuba. En 1985, elle épouse le peintre et sculpteur minimaliste américain Carl Andre. Ana Mendieta décède le 8 septembre 1985, 8 mois après son mariage avec Carl Andre et à seulement 36 ans. Elle chute de la fenêtre de son appartement newyorkais, au 34ème étage. La mort d'Ana Mendieta a été sujette à de nombreuses controverses, car juste avant sa chute, ses voisins l'auraient entendue se disputer violemment avec son mari Carl Andre au sujet du fait qu'il était plus exposé au public qu'elle ne l'était. Carl Andre sera d'abord accusé du meurtre de sa femme avant d'être, en 1988, acquitté. La mort de Mendieta sera finalement décrite comme un possible accident ou un suicide, ce qui agace les féministes du milieu de l'art et reste, encore aujourd'hui, très controversé. 28
FLARE ARTS JOURNAL, Blood and Fire: Ana Mendieta, http://www.flarearts.org/?p=257 (mis en ligne le 10 novembre 2010, consulté le 10 mars 2017). UNIVERSALIS, Mendieta Ana (1948-1985), http://www.universalis.fr/encyclopedie/ana-mendieta/ (consulté le 20 mars 2017). WIKIPEDIA, Débarquement de la baie des Cochons, https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9barquement_de_la_baie_des_Cochons (consulté le 20 mars 2017). 26 UNIVERSALIS, Op. Cit. 27 WIKIPEDIA, Prix de Rome, https://fr.wikipedia.org/wiki/Prix_de_Rome_am%C3%A9ricain (consulté le 20 mars 2017). 28 WIKIPEDIA, Ana Mendieta, https://fr.wikipedia.org/wiki/Ana_Mendieta, (consulté le 3 février 2017). 23 24
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14 L'art d'Ana Mendieta
Un art vecteur de message Le travail de Mendieta aborde principalement des thèmes telles que le féminisme et le genre, la violence, la vie, la mort, la Terre et l’appartenance. De plus, ses oeuvres ont, pour la plupart, une portée politique, sociale ; Mendieta cherche souvent à déranger, à choquer, mais elle ne le fait jamais gratuitement. Ana Mendieta, par son art, cherche à véhiculer des messages, à exprimer son point de vue sur des situations sociales et culturelles, et à dénoncer des injustices et des inégalités qui sont parfois encore des sujets très actuels. Pour elle, l’art sert à cela. Elle pense en effet qu'il a un rôle spirituel important, car il influence la société et contribue au développement intellectuel et moral de l’humanité. On comprend donc qu'elle ne fait pas de l'art juste pour l'art, mais pour qu'elle puisse passer un message, et qu'elle touche un public qui puisse interpréter et comprendre ses oeuvres. A cette fin, les performances d'Ana Mendieta sont, je pense, très efficaces, car elles ne laissent pas le spectateur indifférent – il doit réfléchir pour comprendre la portée de l'oeuvre. Mendieta le dit elle-même, ses performances sont une sorte de réponse personnelle à des situations dont elle ne peut avoir une approche purement théorique 29. Cela apporte à son art une dimension très personnelle. Un art centré sur le corps et la nature La création artistique d'Ana Mendieta se trouve quelque part à la croisée de deux mouvements : le Body Art et le Land Art. Elle met en effet son corps au centre de ses oeuvres, qu'elle lie très souvent à la nature dont il est issu et vers laquelle il repartira.
Son oeuvre Earth-Body, pour laquelle elle est principalement connue, en est un parfait exemple : Ana Mendieta y établit un lien direct entre la notion afro-caribéenne de la Mère Nature et le naturel du corps féminin, 30 sexué. On retrouve d'ailleurs d'autres références à la culture cubaine et afro-caribéenne dans les oeuvres d'Ana Mendieta, ce qui montre qu'elle était, en dépit de son exil, très attachée à ses racines et ses origines. Un art féministe Ana Mendieta travaille donc beaucoup autour du corps humain dans ses oeuvres, mais elle a surtout la volonté d'user de son propre corps, qui est sexué, féminin. Mendieta travaille aussi souvent sur l'apparence de ce corps en la modifiant (Untitled (Facial Hair transplants), 1972, Untitled (Facial Cosmetic variations), 1972, Untitled (Glass on Body Imprints – face), 1972). L'apparence du corps féminin influence la façon dont la société perçoit les femmes, et ce encore de nos jours, malheureusement. Le corps féminin est, à l'époque de Mendieta mais toujours aujourd'hui, considéré comme vulgaire, privé et très souvent censuré dans les sociétés occidentales. Ana Mendieta dénonce cela dans plusieurs de ses oeuvres, en montrant ce corps sexué que la société souhaiterait cacher. Dans l'oeuvre Siluetas (1973-1980) – une série qui montre l'absence de son corps féminin, l'empreinte qu'il a laissé dans le paysage – il est question pour Mendieta de reprendre un des éléments clé du féminisme des années 70, qui cherchait à réclamer la représentation des corps féminins. Avec Venus Negra (1981), une oeuvre qui fait partie de la série des silhouettes, Ana Mendieta fait référence à la légende de
29 TATE, Ana Mendieta, Untitled (Rape Scene), 1973, http://www.tate.org.uk/art/artworks/mendieta-untitled-rape-scene-t13355 (mis en ligne en octobre 2009, consulté le 4 avril 2017). 30 ART AND WOMEN SP 2015, Ana Mendieta, http://artandwomensp2015.blogspot.ch/2015/04/ana-mendieta.html (mis en ligne le 8 avril 2015, consulté le 5 avril 2017).
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la déesse cubaine du même nom. Cet imaginaire de la déesse et des religions adorant les dieux a été beaucoup utilisé par les femmes artistes comme affirmation du pouvoir féminin, du corps féminin, de la volonté féminine et des liens et héritages des femmes 31. Il s'agit donc là clairement d'une oeuvre profondément féministe, comme le sont beaucoup d'autres chez Ana Mendieta. Un art "ensanglanté" Outre ses oeuvres basées sur le corps féminin et son lien avec la nature, Mendieta explore aussi le thème de la violence, et utilise notamment du sang dans certaines de ses performances les plus dramatiques. Une de ses oeuvres les plus connues car très controversée est sa performance Untitled (Rape scene), 1973. Elle y reconstitue une scène de viol 32: elle est penchée sur une table, présentant le bas de son corps, nu et ensanglanté, au
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ART AND WOMEN SP 2015, Op. Cit. Ibid.
spectateur. Cette oeuvre prouve une fois de plus que l'art de Mendieta n'est pas gratuit ; ce n'est pas de l'art juste pour l'art. Il est question pour elle de s'exprimer sur des sujets d'actualité, de dénoncer. Dans la société que Mendieta dénonce et qui est malheureusement, encore une fois, toujours la nôtre, le corps de la femme est vu comme un objet dont l'homme peut profiter. L'homme peut agresser ce corps féminin (qui n'a d'ailleurs pas d'identité car on ne peut voir le visage de la femme ; il s'agit juste d'un corps féminin, de tous les corps féminins) simplement parce qu'il le désire et qu'il cède à ses pulsions masculines. On retrouve également l'usage du sang dans d'autres performances d'Ana Mendieta, telles que Untitled (Self-portrait wtih Blood) (1973), Untitled (Death of a Chicken) (1972), Untitled (Body Tracks) (1982), ou encore Untitled (Sweating Blood) (1973). Certaines font usage de sang en référence à la religion.
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Silhouette Ana Mendieta, Silueta Works in Mexico , 197378, photographie couleur, 50.8 x 33 cm
Scène de viol Ana Mendieta, Untitled (Rape Scene), 1973, photographies couleur, 25.4 x 20.3 cm, Galerie Lelong (New York)
Corps mutilé Ana Mendieta, Untitled (Mutilated Body on Landscape), 1973, performance, Oaxaca, (Hotel Principal)
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Glass on Body Imprints – Face est une oeuvre de Body Art de l'artiste Ana Mendieta. Il s'agit d'une série de six photographies couleurs. Chaque photographie est un portrait d'Ana Mendieta elle-même au format vertical, coupé juste au-dessous des épaules. L'artiste y apparaît, nue, sans maquillage ni aucun artifice et les cheveux attachés, pressant différentes parties de son visage (la bouche, le nez, la joue, le front, l'oreille) contre une plaque de verre qu’elle tient fermement de ses deux mains. Comme souvent dans le travail d’Ana Mendieta, l’art n’est pas gratuit mais plutôt vecteur d’un message ; il s’agit ici d’une œuvre avec une portée politique et féministe. En se collant contre cette vitre, tentant presque de passer au travers, elle s’interroge sur la place et le rôle de la femme dans la société. Elle a voulu « symboliser le mur invisible sur lequel les espérances féminines se heurtent ». 33
Verre sur les Empreintes du Corps Ana Mendieta s’identifie comme une artiste, mais avant tout comme une femme, à une époque où le monde de l’art était essentiellement masculin. Son corps sexué est donc son médium de prédilection. Elle utilise sa présence physique dans l’espace comme médium mais aussi comme message, en le marquant et en le transformant visuellement dans ses œuvres. 34
Ana Mendieta, Untitled (Glass on Body Imprints—face), 1972, série de 6 photographies couleur, chacune 49 cm x 32.5 cm., Galerie Lelong (New-York)
Dans les années 70, le militantisme féminisme est très présent dans le monde de l’art. Ana Mendieta sera une des artistes à s’être identifiée au féminisme et à faire du corps féminin un sujet prépondérant 35, et a réalisé plusieurs œuvres qui vont dans ce sens. La série Glass on Body Imprints en fait partie.
WIKIPEDIA, Ana Mendieta, Op Cit. LIVE AUCTIONEERS, 7 : Ana Mendieta Untitled (Facial Hair Transplants), 19, https://new.liveauctioneers.com/item/11523646_ana-mendieta-untitled-facial-hair-transplants-19, (consulté le 6 février 2017). 35 SAVIGNAC ROUSSEAU, Sara, La militance féministe chez Ana Mendieta par la réappropriation de Déesses, Revue ExSitu, https://revueexsitu. com/2010/04/23/la-militance-feministe-chez-ana-mendieta/, (mis en ligne le 23 avril 2010, consulté le 6 février 2017). 33
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« Le tournant dans mon art a été en 1972, quand j’ai réalisé que mes peintures n’étaient pas assez réelles pour ce que je voulais qu’elles transmettent, et par "réelles" je veux dire que je voulais que mes images aient du pouvoir, soient magiques. » – Ana Mendieta, à propos de son art
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Partie III Comparaison entre Frida Kahlo & Ana Mendieta
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L’art de Frida Kahlo et celui d’Ana Mendieta, bien que ne datant pas de la même époque, peuvent être rapprochés et comparés. Il s’agit dans les deux cas d’un art personnel et autobiographique, marqué par les expériences vécues des artistes et abordant des thèmes similaires. Féministes, elles ont toutes deux un engagement politique et social. Frida Kahlo et Ana Mendieta sont deux femmes artistes d’Amérique latine – mexicaine et cubaine, respectivement – mais ce n’est pas leur seul point commun. Bien que n’appartenant pas à la même génération et ayant été à peine contemporaines l’une de l’autre (Mendieta voit le jour en 1948 alors que Kahlo décède en 1954), on peut trouver des ressemblances et des liens plus ou moins évidents entre leurs oeuvres et surtout leurs intentions. Je pense également qu’il est assez probable que Mendieta ait été influencée d’une manière ou d’une autre par Kahlo. Le premier rapprochement que l’on puisse faire entre l’art de Frida Kahlo et celui d’Ana Mendieta est qu’il s’agit dans les deux cas d’un art très personnel, que l’on peut même qualifier d’autobiographique. Elles utilisent leurs corps, leurs ressentis et leurs expériences vécues pour s’exprimer à travers leur art – en peinture pour Frida Kahlo, et au travers de performances de Land Art et de Body Art pour Mendieta (rappelons qu’au début de sa carrière, Ana Mendieta a aussi fait un peu de peinture, avant de passer à quelque chose qui, pour elle, était plus « réel », en se concentrant sur des performances). Les deux artistes s’impliquent elles-mêmes complètement dans leur art. Kahlo est surtout connue pour ses autoportraits (Autoportrait au Singe, 1938, Autoportrait aux Cheveux défaits, 1947, par exemple) mais elle peint aussi des toiles où elle raconte sa propre histoire, avec sa famille (Mes Grands-parents, mes Parents et Moi, 1936), son mari (Frida et Diego Rivera, 1931), ou même encore sa naissance (Ma Naissance, 1932). Cette dernière est illustrée de manière crue. Elle peint « sa naissance » sans chercher à la rendre esthétique ; elle se peint juste en train de naître, donc littéralement en train de sortir du vagin de sa mère. On comprendre alors pourquoi elle est qualifiée de peintre réaliste : elle représente fidèlement le quotidien – et plus précisément son propre quotidien –
tel qu’il est, sans chercher à l’adoucir ou à le rendre beau. J’aime d’ailleurs son refus d’être cataloguée comme une peintre surréaliste. Pourtant, lorsque l’on ne connaît pas son art et que l’on voit certaines de ses oeuvres, il est facile de les considérer comme des peintures surréalistes. Là encore, on reconnaît son esprit de rébellion : elle refuse que son art soit considéré comme surréaliste, car elle affirme ne peindre que la Réalité, qui n’est peut-être pas celle de tout le monde mais qui est sienne, et cela lui suffit. Ce genre de petite anecdote nous permet d’entrevoir toute la complexité fascinante du personnage qu’est Frida Kahlo, qui s'affirme en tant que femme artiste. Mendieta, quant à elle, s’implique aussi personnellement dans ses oeuvres, qui sont également marquées par ses expériences vécues, tout comme Kahlo. Dans ses performances, Mendieta exprime ses opinions, dénonce ce qu'elle trouve injuste. Il s'agit toujours de présenter ses réactions personnelles face aux situations. Ana Mendieta utilise son corps dans ses performances de Body Art/Land Art. Elle montre son corps sous toutes ses coutures, sans artifices, avec ses défauts – tout comme Kahlo peint son propre portrait sans chercher à l'embellir. Mendieta expérimente son corps, aussi, cherchant à le modifier (Untitled (Facial Hair Transplants), 1972, Untitled (Facial Cosmetic Variations), 1972), le déformer (Untitled (Glass on Body Imprints—face), 1972), ou encore le recouvrir de sang (Untitled (Mutilated Body on Landscape), 1973). Parfois, son corps n’est pas présent physiquement mais laisse son empreinte, la trace de son passage, comme c’est le cas dans sa série de silhouettes dans la nature (Siluetas, 1973-80). Kahlo invite parfois la nature dans ses oeuvres en y représentant la faune et la flore mexicaine, et la nature a également une place importante dans
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l'art de Mendieta. Ainsi, elle lie son corps à la nature dans son travail Earth Body notamment, qui est pour elle un moyen de ne faire qu’un avec Mère Nature : « Mes sculptures terre/corps constituent un moyen pour ne faire qu’un avec la terre… Ainsi, je deviens une extension de la nature et la nature devient une extension de mon corps. Cet acte obsessionnel de réaffirmer mes liens avec la terre est réellement la réactivation des croyances primordiales. […] une force féminine omniprésente, l’image […] d’être englobée dans l’utérus, est une manifestation de ma soif d’être ». 36 Puisant dans leur vécu, elles explorent toutes deux des thèmes semblables. On l’a vu, chez Frida Kahlo, c’est la souffrance qu’elle a vécu toute sa vie tant physiquement que moralement qu’elle exprime dans ses oeuvres. Ana Mendieta, qui elle a souffert de son exil, explore aussi des thèmes tels que la souffrance et la violence à travers certaines de ses performances artistiques. Toutes deux sont également très liées à leurs origines et à leur culture, et cela s'en ressent également dans certaines oeuvres. Un autre point commun entre ces deux artistes est que le féminisme qui se dégage de leur art pourrait trouver racine dans le fait qu'elles vivaient toutes deux dans une société où les inégalités homme/femme étaient encore très présentes. Il n'était pas toujours facile
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WIKIPEDIA, Ana Mendieta, Op. Cit.
d'être considérée au même niveau qu'un homme artiste lorsqu'on était une femme, et ce d'autant plus que leurs maris respectifs étaient eux-aussi des artistes connus et reconnus. Au début de sa carrière, Kahlo était dans l'ombre de son mari, Diego Rivera, qui était déjà un célèbre peintre muraliste. Quant à Mendieta, sa mort controversée pourrait être la conséquence d'une dispute avec son mari qui était plus exposé qu'elle... Je pense que pour toutes les deux, l'art a été un moyen d'extérioriser leurs ressentis, leurs souffrances. On sait que Frida Kahlo se sentait très seule lorsqu'elle a commencé à peindre : elle a comblé sa solitude avec son art, ne s'inspirant de rien d'autre que son vécu, sa réalité. Ce faisant, elle touche aussi, peut-être involontairement, à des sujets plus larges, qui concernent sa culture et son pays. Ana Mendieta, quant à elle, utilise son art en tant que vecteur de messages, qu'ils touchent à toute une société ou qu'ils soient plus personnels, comme ceux de Frida Kahlo. Il y a fort à parier qu'Ana Mendieta a été touchée, de près ou de loin, par l'art de Kahlo, car on retrouve, chez l'une comme chez l'autre, cette volonté de s'affirmer en tant que femme artiste, et en tant que femme avant tout, dans une société où il y a encore trop d'inégalités sociales entre les hommes et les femmes.
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Conclusion Frida Kahlo et Ana Mendieta ont toutes deux un art personnel et autobiographique, marqué par leurs expériences vécues, leurs souffrances, leur volonté de s'affirmer en tant que femme et en tant qu'artiste. Il s’agit de deux personnalités féministes et rebelles, cherchant à être impliquées au niveau politique et social et liées à leurs origines latines.
marqué le monde de l’art de manière générale. D’ailleurs, le 8 mars dernier a eu lieu la Journée Internationale des Droits des Femmes. Lors de cette journée, ce sont des personnalités comme Rosa Parks, Marie Curie ou encore, justement, Frida Kahlo qui ont été mises en avant. La preuve qu’en 2017 Frida Kahlo trouve toujours sa place tant elle a marqué le monde – et pas seulement celui de l’art.
L’art de Kahlo se veut réaliste et non pas, contrairement à ce qu’on pourrait croire en voyant ses toiles, surréaliste : elle nous montre sa propre réalité, le monde dans lequel elle vit. Elle a peint beaucoup d’autoportraits et de toiles montrant son quotidien, ses proches, son pays. Ayant beaucoup souffert dans sa vie, la peinture fut sans doute pour elle une manière d’extérioriser, de s’exprimer.
L’art de Mendieta n’est pas gratuit non plus. Il y a toujours chez Mendieta, comme relativement souvent dans l’art contemporain en général, un message, une idée à transmettre ; son art est une façon de faire réfléchir le spectateur sur le thème présenté. Ces thèmes tournent souvent autour de la femme et de sa place dans la société, de la violence, ou encore de la nature, thèmes que l'on retrouve dans les toiles de Frida Kahlo.
Frida Kahlo a, je pense, beaucoup influencé les artistes contemporains et
Il y a certes une génération entre ces deux artistes, l’une appartenant à l’art moderne et l’autre à l’art contemporain, mais je pense que leur art et leurs idées se ressemblent. Frida Kahlo et Ana Mendieta deux femmes artistes d’Amérique latine, féministes et rebelles, qui expriment leurs réalités et leurs opinions à travers l’art et s'affirment en tant que femmes.
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Sources Livres GROSENICK, Uta (éd.), Women Artists: Femmes artistes du XXe et du XXIe siècle, Cologne: Taschen, 2005. KETTENMANN, Andrea, Kahlo, Cologne: Taschen, 2008. REBEL, Ernst, Autoportraits, Cologne: Taschen, 2008.
Sites internet ART AND WOMEN SP 2015, Ana Mendieta, http://artandwomensp2015.blogspot.ch/2015/04/ana-mendieta.htm. BIO, Frida Kahlo Biography, http://www.biography.com/people/frida-kahlo-9359496#synopsis. FLARE ARTS JOURNAL, Blood and Fire: Ana Mendieta, http://www.flarearts.org/?p=257. FRANK Priscilla, Why Contemporary Art Is Unimaginable Without Frida Kahlo in: The Huffington Post (en ligne), http://www. huffingtonpost.com/2014/04/29/unbound-contemporary-art-_n_5229106.html. FRIDA KAHLO & CONTEMPORARY THOUGHTS, A short biography, http://www.fridakahlo.it/en/biografia.php. LIVE AUCTIONEERS, 7 : Ana Mendieta Untitled (Facial Hair Transplants), 19, https://new.liveauctioneers.com/item/11523646_ ana-mendieta-untitled-facial-hair-transplants-19. SAVIGNAC ROUSSEAU, Sara, La militance féministe chez Ana Mendieta par la réappropriation de Déesses, Revue ExSitu, https://revueexsitu.com/2010/04/23/la-militance-feministe-chez-ana-mendieta/. TATE, Ana Mendieta, Untitled (Rape Scene), 1973, http://www.tate.org.uk/art/artworks/mendieta-untitled-rape-scene-t13355. UNIVERSALIS, Mendieta Ana (1948-1985), http://www.universalis.fr/encyclopedie/ana-mendieta/. WIKIPEDIA, Ana Mendieta, https://fr.wikipedia.org/wiki/Ana_Mendieta.
WIKIPEDIA, Débarquement de la baie des Cochons, https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9barquement_de_la_ baie_des_Cochons. WIKIPEDIA, Frida Kahlo, https://fr.wikipedia.org/wiki/Frida_Kahlo. WIKIPEDIA, Poliomyélite, https://fr.wikipedia.org/wiki/Poliomy%C3%A9lite.
WIKIPEDIA, Prix de Rome, https://fr.wikipedia.org/wiki/Prix_de_Rome_am%C3%A9ricain.
Vidéos ARTNET, Raquel Cecilia Mendieta on Ana Mendieta at Galerie Lelong, YouTube, https://www.youtube.com/watch?v=ZHD7_ ACrFsg. BLOUIN ARTINFO, Ana Mendieta at Galerie LeLong, YouTube, https://www.youtube.com/watch?v=KbYFjJomZag. LE FOND DE L'OeIL, Frida Kahlo, à travers le masque, YouTube, https://www.youtube.com/watch?v=Fr3z0-Hkofw. NART, 3 coups de pinceau: Frida Kahlo, YouTube, https://www.youtube.com/watch?v=onqgd8HOANE. NINO, Chez Frida Kahlo ARTE Documentaire 2016 HD, YouTube, https://www.youtube.com/watch?v=s4JtmXTfWXk. THE SAN DIEGO MUSEUM OF ART, ArtStop: Ana Mendieta, YouTube, https://www.youtube.com/watch?v=HaT0ACGH7_k. ZARADOCFILMS, Frida Kahlo: Entre l'extase et la douleur (extrait), YouTube, https://www.youtube.com/watch?v=HX2EdF7v94M.
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