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Juin
from Vacance n°5
© M. Salvaing / Voyageurs El Rocio.
Andalousie p. 114 Sur le sentier de la joie
Philippines p. 130 Carnet de voyage ×
À pied, à cheval ou en tracteur, une foule hétéroclite chemine pendant plusieurs jours, dans la poussière et la chaleur, au rythme des sabots des bœufs qui tirent roulottes et charrues. Les chants andalous et gitans résonnent sur les chemins ensablés du Sud de l'Espagne et les danses animent les nuits de chaque campement. Dans un même élan extatique, cette procession sublime vient célébrer la « virgen del Rocio », lors de ce grand pèlerinage de la Pentecôte.
Double page précédente, à gauche : La sieste du bon « Rociero ». À droite : Chaque année, à la Pentecôte, l'Espagne a rendez-vous avec son cœur et sa joie. Ci-contre : À cheval ou à pied, procession devant l'entrée de l'église ornée de la coquille, symbole éternel des pèlerins.
est un village du bout du monde qui n’existe pas, ou presque pas. Avec sa terre ocre, ses bars de cow-boys et ses étranges rues désertes croulant sous le cagnard, on peut d’abord penser à un repaire abandonné de chercheurs d’or au cœur de la pampa andalouse. Mais, une fois par an, début juin, le hameau d’El Rocio se remplit de joie au point de littéralement déborder et devenir, pendant trois jours, l’épicentre d’une Espagne prête à perdre la tête.
On est à la Pentecôte, sept semaines après Pâques, en route vers l’été. Pour l’Andalousie, c’est la saison des moissons, des nids de cigognes et des jacarandas qui fl amboient. La semaine sainte et la feria sont terminées à Séville, et la vie pourrait reprendre son cours le long du Guadalquivir, s’il n’y avait cette folie autour du Rocio. Chaque année, dans un même élan, aux quatre coins du pays, un million de pèlerins prennent le chemin, à pied, à cheval, en tracteur, à dos de mule, en carriole ou roulotte, afi n de converger vers l’estuaire du grand fl euve, ce réservoir de vie, et célébrer la Vierge del Rocio, la grande déesse andalouse, dans une ferveur que l’on ne connaissait plus. Exaltation, adoration, fi èvre, il n’y a pas assez de grandeur dans les mots pour résumer l’intensité de la « Romeria del Rocio » tant l’événement échappe à la raison. Certains en ont écrit des livres, beaucoup y consacrent leur vie. La « Romeria del Rocio » est le plus grand pèlerinage d’Espagne. Le plus dingue aussi. Par miracle, aucun touriste ne s’y intéresse ou si peu. Dans le sud du Sud de l’Espagne, à deux doigts de l’Afrique, entre mer et terre, c’est la célébration de la passion, de la nature, de la famille, de l’amitié, de l’authentique et du post modernisme. Le religieux se mêle au paganisme, la tradition à la bigoterie, le passé à l’avenir. On communie en liesse, entre rires et larmes, foi et joie, symbole et souvenir. Enracinée dans une longue tradition, la première « Romeria » remonterait, offi ciellement, à 1652. Trois siècles plus tard, l’engouement ne cesse de croître. De plus en plus de puristes passionnés, vedettes de tous poils, mais aussi des familles entières, mettent entre parenthèse leur vie le temps de ce camino de juin. Une semaine hors de tout, 15 jours pour ceux qui viennent de loin, durant lesquels plus rien ne compte… Sauf le chemin. Marcher, jouer, chanter, danser… À la vie, à la mort. On se réunit en confrérie (hermandad) d’une même ville (Almonte, Grenade, Cadix, Cordoue…), quartier (Triana, Macarena…) ou petit bourg (Villamanrique…). Et on se lance un beau matin, en se tenant par la main.
Chaque année, 119 hermandades honorent le chemin de leur présence. Ils vont aff ronter poussière, chaleur, fatigue, foule et inconfort. La beauté sera leur monnaie d’échange. Au cœur d’une nature somptueuse, défi lé de landes, pâturages, forêts et marais, chacun va rendre hommage à la vie en se parant de mille trésors. C’est l’Andalousie puissance 1 000. Flamencas, volants, froufrous, châles et chignons ornés deviennent des azulejos voltigeant sur la route de sable blond. Les hommes enfi lent leur tenue de campagne, l’austère traje corto gris et noir et le chapeau de feutre au bord large. C’est Fellini au pays de Buñuel. Mais vous n’avez encore rien vu : lorsque la cavalerie passe, le temps se fi ge, c’est Velasquez en mieux, car sous vos yeux défi lent les plus belles croupes d’Espagne. Les robes lustrées, les crinières ondulantes et gominées, le pas souple, chaque cheval est une gravure et son cavalier un funambule. Un trio de Cartujanos gris pommelé file dans un canter silencieux, suivi d’amazones escortant la roulotte des enfants et des vieillards. Les cuirs précieux viennent de Cordoue, et chacun chemine bardé de tiges de romarins odorantes.