Vacance n°7

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V O YA G E U R S D U M O N D E

Osaka LA CITÉ RADIEUSE

Six mois autour du monde Japon / Tinos / Lamu / France / Lac Balaton / Chili



citation

“ La pause, elle aussi, fait partie de la musique. ”

Stefan Zweig La Confusion des sentiments (1927)

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édito

L’envers du monde Bien voyager est un acte exigeant. Pour peu que vous souhaitiez sonder la vérité intime d’un pays, il ne s’agit pas seulement d’aller à l’inverse des flux touristiques, des lieux surchargés, il faut aussi savoir garder son indépendance d’esprit. Dans un monde ultraconnecté, partir aux antipodes ne suffit plus. Prenez le Japon : Tokyo et Kyoto s’apprivoisent désormais aisément. En revanche, portez votre attention vers leur voisine méridionale, Osaka – une Marseille nippone à l’anticonformisme jubilatoire –, et le voyage retrouve sa fonction première : l’expérimentation. Sans cette exigence, imaginer l’Afrique sauvage risque en réalité de vous entraîner en Tanzanie, vers une overdose touristique. À l’inverse, le Kenya, totalement boudé, garde des perles de tranquillité. Cette quête vous amène parfois à vous intéresser à votre point de départ, la France. Un village perdu du Nord peut alors devenir votre plus belle expérience de voyage. Voilà pourquoi Vacance vous invite à explorer “l’envers du monde”. Jean-François Rial Pdg de Voyageurs du Monde

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Vacance n° 7 — Printemps-Eté 2019

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Tips Rendez-vous d’exception à Cuba, road trip au Maroc, gastronomie et solidarité au Refettorio… Une sélection de spots et d’idées pour voyageurs curieux. 22

Société Quand le GPS nous fait perdre la boussole. 26

L’usage du monde

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Petit manuel urbain pour aborder Bombay comme il faut. 34

Hôtels

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À table

Onze édens pour fantasmer votre été.

Californie : le “buzz” de la cuisine au cannabis.

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Initiative

Des polars nordiques signés

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Skateistan, l’ONG qui ride à Kaboul.

Librairie par des femmes pour rafraîchir vos lectures estivales.

Sur-mesure Tour du monde des attentions du service conciergerie de Voyageurs du Monde.

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Flash-back Marilyn au Beverly Hills, Chanel au Ritz, le Brando de Marlon… Des stars, des hôtels et une certaine mythologie du XXe siècle. 50

Rencontre Conversation sur le monde entre le jardinier-maraîcher québécois Jean-Martin Fortier et le pdg de Voyageurs du Monde, Jean-François Rial.

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ET SI VOUS APPUYIEZ SUR PAUSE ?

II Nouveau magazine féminin slow living

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Vacance n° 7 — Printemps-Été 2019

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Mars — Osaka Déambulation entre quartiers vintage et édifices sobres de l’architecte-star Tadao Ando. 74

Style En Géorgie, pause au Greyfield Inn, hôtel cossu témoin d’un certain lifestyle américain.

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Avril — Kenya L’archipel de Lamu et sa médina, la villa Arijiju Retreat dans la brousse… : des perles de tranquillité en Afrique de l’Est. 98

Portfolio Le voyage immobile de Jacqui Kenny, alias The Agoraphobic Traveller. 108

Hongrie — Mai Balade décalée au lac Balaton. 118

Place to be Chiang Mai, toujours plus hype.

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Grèce — Juin Du tricot avec les yayas de l’île de Tinos. 140

Planète food “Carbonara gate”, guerre du houmous, origines de la poutine… : les polémiques en cuisine ne manquent pas de sel.

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Vacance n° 7 Printemps-Été 2019 146

Directeur de la publication Jean-François Rial

Créateur, cuisinier, boulangère, designeuse…

Rédactrice en chef Nathalie Belloir

France — Juillet Tous venus d’ailleurs, ils font, avec goût et talent,

Rédacteur en chef adjoint Raphaël Goubet

la France d’aujourd’hui et de demain.

Directeur artistique Olivier Romano assisté de Camille Nordin

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Chili — Août Lost in la pampa, entre l’insulaire Chiloé

Responsable éditorial Baptiste Briand

et la magistrale Patagonie.

Rédacteurs Emmanuel Boutan, Lauriane Gepner, Faustine Poidevin, Daphné de Vogüé

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Secrétaire de rédaction Stéphanie Damiot Coordinatrice fabrication Isabelle Sire Iconographes Alix-Aurore Pardo, Ludovic Jacôme Ont contribué à ce numéro Marie Aline, Héloïse Brion, Catherine de Chabaneix, Charlotte Chab/The Map, Léa Chassagne/Illustrissimo, Raphaëlle Elkrief, Førtifem, Florence Joubert, Hugues Laurent, Julien Mignot, Marion Osmont, Patrick Poivre d’Arvor, Christophe Rouet, Carol Sachs, Fiona Torre, Marion Vignal Photogravure : Cesar Graphic ; impression : Imprimerie Peau ; édition : mars 2019. Crédits photos : pp. 18-19, 1re ligne © Maison Plûme/ Château d’Uzer/Maison Rousse/Maison de la Source-La Grenouillère/Bel Estiu ; 2e ligne © 35 Mai/ La Minotte/Boutik Hôtel/La Divine Comédie/ Manoir Laurette ; 3e ligne © A. L. Cimes/Misincu/ Jérôme Galland/Metafort/Couvent de Pozzo. Pp. 34-35 © Punta Caliza/Dook/Krishna for Bensley/Benedict Kim/Chablé ; pp.36-37 Read McKendree/Detlev Schneider/La Valise Tulum/ Tommaso Riva/Bawah Reserve/Gentl & Hyers. Les prix indiqués sont en vigueur à la date d’édition de Vacance n° 7, et susceptibles de modification. Se reporter aux conditions de vente et assurance sur voyageursdumonde.com Voyageurs du Monde S.A. au capital social de 3 691 510 €. 55, rue Sainte-Anne, 75 002 Paris. Tél. : 01 42 86 17 00 - RCS Paris 315459016. Immatriculation Atout France IM075100084. Assurance RCP : Allianz-N° 56039969. 1, cours Michelet - CS 30051 - 92 076 Paris-La Défense Cedex. Garantie financière : Atradius Credit Insurance NV - 44, avenue Georges-Pompidou, 92 596 Levallois-Perret Cedex.

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Néo-bungalow Échappée miniature et nature XXL en tiny houses, ces micromaisons du futur. 182

“Voyageurs du Monde s’est engagée dans une gestion responsable de ses achats papiers en sélectionnant des papiers fabriqués à partir de fibres et de bois provenant de forêts gérées durablement. Le choix d’éditer notre brochure à l’imprimerie Peau, imprimeur écoresponsable, labellisé Imprim’Vert et certifié FSC, s’inscrit dans la continuité de notre engagement en matière de protection de l’environnement. Brochure imprimée avec des encres végétales.”

Récit Alain Gerbault (1893-1941), le voyageur oublié.

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Tips

Maisons d’architectes en Espagne, rendez-vous d’exception à Cuba, road trip au Maroc, gastronomie et solidarité au Refettorio… Une sélection de spots et d’idées pour voyageurs curieux. 8

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1.

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FOCUS

La Catalogne surréaliste de Dalí

Robert Descharnes/© Descharnes & Descharnes SARL 2019

Trente ans après sa disparition, Salvador Dalí continue à nous faire voyager en terres surréalistes. Au nord-est de la Catalogne, le triangle dalinien relie sur cent kilomètres trois lieux majeurs de l’univers de l’artiste. Point de départ : le théâtre-musée de Figueras – sa ville natale – est l’une de ses dernières et sans doute la plus monumentale réalisation qui compte pas moins de 1 500 œuvres éclectiques. Deuxième étape indispensable : sa maison de Portlligat à Cadaqués, assemblage fantasmagorique, qui fut le centre de sa vie délirante. Enfin, le château de Púbol, “cathédrale Galactique” offert à son épouse et muse Gala, dans lequel le génie ne se rendait que sur invitation écrite, convention dont vous êtes bien sûr dispensés. On est fou de Salvador Dalí… L’été sera catalan ! salvador-dali.org

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EXPO

Les seventies italiennes “Nous vivons d’abord dans les images”, écrivait l’Italien et visionnaire Luigi Ghirri (1943-1992). Près d’un demi-siècle plus tard, Instagram achève de lui donner raison… Car ce sont dès les années 1970 que le photographe parcourt l’Émilie-Romagne pour documenter les modifications du paysage de sa province d’origine. Pour la première rétrospective qui lui est consacrée hors de son pays natal, le Jeu de Paume expose le fruit d’une décennie de travail. Dans les images de Luigi Ghirri, la publicité moderne – et à travers elle la société qui change – et la ville de Modène s’affichent en couleurs. Sa rigueur de géomètre guide ses compositions, son regard (parfois tendre, parfois amusé) fait le reste. Son œuvre, rare, raconte – sans dénigrer le kitsch de l’époque – l’histoire d’une Italie entre deux âges. Une belle occasion d’aller vérifier par soimême l’évolution de la Botte le temps d’une escapade à Florence ou d’un week-end à Rome…

Luigi Ghirri, Salzburg, 1977. Collection privée. Courtesy Matthew Marks Gallery © Succession Luigi Ghirri

Luigi Ghirri – Cartes et territoires, jusqu’au 2 juin, au Jeu de Paume, Paris VIIIe, jeudepaume.org

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3.

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FIXEUR

Persona grata Le terme, dérivé de l’anglais “to fix” (arranger), désigne un métier jusqu’ici réservé à la presse et au cinéma. Un correspondant local, basé généralement dans une zone territoriale complexe, capable de vous ouvrir les arcanes du pays. Soucieux de donner une vision la plus juste possible des destinations proposées, Voyageurs du Monde développe pour ses clients un service de fixeurs. La mission de ces derniers : livrer un éclairage politique, religieux, économique ou social des lieux, appuyé de rencontres impossibles à obtenir sans un solide réseau. À Cuba (photo), la tâche est assurée par un réalisateur dont le répertoire va de la scène musicale au clan Castro. Curieux d’en savoir plus ? Faites le test lors d’un prochain voyage, vous serez alors fixé.

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4.

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SOLIDAIRE

Refettorio : le goût du partage Combler la faim et l’esprit avec autant d’attention, telle est l’idée de Food for Soul. Créée par le chef italien Massimo Bottura, cette organisation à but non lucratif pilote le projet Refettorio, une association tant culturelle qu’humanitaire. Objectif : servir des repas aux plus démunis dans un cadre agréable, en ajoutant au travail de structures déjà existantes une note de culture. Bottura ouvre le premier refettorio à Milan, en 2015, lors de l’Exposition universelle, dans un théâtre abandonné. Puis, il récidive à travers le monde (Rio, Londres, Paris, et bientôt San Francisco et Mérida) selon la même recette : “restaurer” des lieux, des aliments et des êtres oubliés. En mars 2018, dans le foyer de l’église de la Madeleine, le Refettorio Paris servait ses premiers plats. Un an après, sous des voûtes habillées par le designer Ramy Fischler et les artistes Prune Nourry et JR, une centaine de dîners sont concoctés chaque soir par de grands chefs invités (Dominique Crenn, Sébastien et Michel Bras, Olivier Roellinger…). Autre défi relevé par Bottura : lutter contre le gaspillage alimentaire en improvisant une cuisine à base d’invendus. Une évidence née d’un constat sidérant : chaque année, un tiers de la production mondiale finit au rebut quand plus de 820 millions de personnes souffrent de la faim. Le Refettorio Paris, piloté par Jean-François Rial, pdg de Voyageurs du Monde (l’une des entreprises finançant le projet), sera bientôt doté d’une version mobile. En sus de sa street food, il offrira une aide médicale, juridique et éducative. Nouvel ingrédient d’une émulsion réussie en quête de bénévoles qualifiés.

Crypte de l’église de la Madeleine, Paris VIIIe, refettorioparis.com

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Après Milan, Londres, Rio et Paris, le chef italien Massimo Bottura (photo en haut à gauche) mijote deux autres refettori à San Francisco et Mérida, au Mexique.

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5. INSOLITE

© Roman Robroek/stock.adobe.com

Tchernobyl : visiter “la zone” On croyait les blancs et les béances de la carte résorbés, et voilà que l’homme en crée de nouveaux. L’explosion, en 1986, de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine, a eu cette conséquence pour trente ans. Aujourd’hui, radioactivité mesurée et réacteur confiné, “la zone”, dans des conditions de sécurité draconiennes, s’entrouvre. C’est que le blanc, ce vide intrigant, occupe et met en mouvement. Non pas sous l’effet d’une fascination hors de propos, mais parce qu’aucun lieu ne mérite d’être abandonné. En un sens, les voyageurs, qui vont partout, ravaudent la planète. Lorsqu’on gagne Kiev, pour visiter la cathédrale Sainte-Sophie et la laure des Grottes, inscrites l’une et l’autre au patrimoine mondial de l’Unesco, il semble difficile de faire comme si la fameuse zone d’exclusion n’existait pas. Voyageurs du Monde propose d’arpenter les lieux, avec prudence et attention, aux côtés d’un expert. Trace d’un événement planétaire majeur, ce lieu de sinistre mémoire raconte aussi l’importance des enjeux actuels et à venir. Voyageurs du Monde - Ukraine 01 42 86 17 60

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ITINÉRANCE

Le Maroc en side-car Amateurs de véhicules anciens et de grands espaces, ce road trip en side-car à travers le Maroc s’adresse à vous. Scarabeo Camp a imaginé un programme de cinq jours et quatre nuits (de mars à novembre) au volant de cette bécane vintage. Cinq heures de route en moyenne entre les étapes, pendant lesquelles on se relaie au guidon ou dans le panier, suffisent pour relier le désert de pierres de Marrakech aux dunes de sable d’Agadir. Une jeep suit de près, en cas de fatigue. Le matin, une équipe d’assistance prend les devants et part planter votre tente, dresser

une table féerique et mettre le tajine sur le feu. Chaque soir connaît un décor différent, toujours sauvage, toujours romantique : la rocaille de l’Agafay, les sommets enneigés de l’Atlas, les kasbahs en ruines du plateau du Souss-Massa, les grandes plages immaculées de l’Atlantique. Camp de toile mobile, tapis à même le sable, brasero, belle étoile, lampe-tempête, dîner aux chandelles : tout concourt pour se sentir l’âme d’un grand explorateur. scarabeocamp.com

© Scarabeo Camp

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7.

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WORK IN PROGRESS

© Pezo von Ellrichshausen

Ovni architectural Au sud de Barcelone, la région du Matarraña, une Provence espagnole couverte d’amandiers et de terre ocre, voit depuis six ans mûrir un projet hors normes baptisé Solo Houses. L’entrepreneur Christian Bourdais, propriétaire de cinquante hectares de nature vierge, a convié dix architectes de la nouvelle garde contemporaine – parmi lesquels Go Hasegawa, Barozzi Veiga et Smiljan Radic (auteur du spectaculaire Vik Winery au Chili) – à réaliser chacun une maison secondaire. Seule contrainte à respecter : l’environnement. Dix cartes blanches en devenir, destinées à réinventer la façon de vivre en vacances. Deux sont d’ores et déjà sorties de terre : celle du duo chilien Pezo von Ellrichshausen (photo),

une plate-forme de béton flottant à la cime des arbres ; et celle de l’agence belge Office KGDVS, un ovni tout en circonvolutions. Deux autres verront le jour cette année. Proposées à la location, ces maisons composeront à terme les suites d’un hôtel unique dans un cadre dessiné par l’architecte Bas Smets, reliant paysage, architecture et art. Des vacances d’une autre dimension, pour voir l’Espagne côté nature, loin de son urbanisation littorale erratique. En espérant que ce projet soit le signe d’un renouveau salvateur pour l’environnement. À suivre… solo-houses.com

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8. HÔTELS

Maisons françaises

Quinze adresses proches de la demeure privée : une French Touch qui dorlote ses invités. Première ligne, de gauche à droite À La Maison Plûme, en Normandie, une terrasse privée sur la Seine ; au Château d’Uzer, dans les Cévennes, un parc rien que pour soi : ces maisons de familles ou d’amis soignent leur extérieur, espace de vie à part entière. En Provence, c’est à La Maison Rousse. Architecture traditionnelle, table conviviale : de La Grenouillère, dans le Pas-de-Calais, au Bel Estiu, dans le Périgord noir, vous êtes choyés aux saveurs locales. Deuxième ligne, de gauche à droite Intimité et style restent les maîtres-mots : au 35 Mai, dans l’Ardèche ; à La Minotte, dans les Yvelines, quatre chambres seulement, tandis que Le Boutik Hôtel, à Annecy, La Divine Comédie, en Avignon, ou Le Manoir Laurette, dans le Lotet-Garonne, insufflent un même esprit contemporain dans des lieux chargés d’histoire. Troisième ligne, de gauche à droite La localisation suffit parfois à succomber, perché à La Maison Cimes, dans les Hautes-Alpes ; caché au fond d’une crique au Misincu, en Corse ; sur un causse désert au Buron de Niercombe, dans le Cantal, dans un coin de fraîcheur du Vaucluse, au Metafort, ou dans la bulle corse du Couvent de Pozzo… Sérénité,

simplicité et ce dernier atout : ne jamais déroger aux services d’un 5 étoiles. 19

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CRÉATION

Objets de résistance Trop souvent encore, il ne filtre de la Syrie et de l’Afghanistan que des images d’aridité, de guerre et de pauvreté. Pour remédier à cela, Flore de Taisne et Edmund Le Brun, couple de Français ayant vécu en Afghanistan, ont lancé la plate-forme Ishkar, dont l’objectif est de parler autrement des pays en guerre. Comment ? En mettant en lumière leur artisanat, pour en préserver les traditions millénaires et le placer au cœur d’une nouvelle économie… En esthètes engagés, ils sont allés à la rencontre de souffleurs de verre, bijoutiers, joailliers, potiers, tisserands. Depuis, ils éditent avec ces artisans une ligne d’objets de décoration et d’accessoires. Bijoux martelés ou tapis tissés à la main, les créations d’Ishkar parlent de production lente et manuelle, de matériaux naturels et, au-delà, d’espoir. ishkar.com

© Timothée Chambovet

Pop'Up Ishkar, du 27 novembre au 7 décembre : retrouvez en exclusivité une sélection d’objets à la librairie Voyageurs du Monde, Paris IIe

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10. © RedDoor Bali

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DESTINATION

Modernisme tropical Près du village de Pererenan, Bali existe encore comme dans nos rêves. À l’horizon, tous les verts se télescopent. Dans ce tableau ultravégétal, posté face à la rivière Pancaran, le RedDoor tient de l’observatoire privilégié. Loin de dénaturer le panorama, cet éco-resort se fond dans les forêts de banyans, la mangrove, les cocotiers et les frangipaniers. Parlant couramment le “modernisme tropical”, il en maîtrise les codes et l’esthétique – l’architecture de l’hôtel a banni les murs et voit l’extérieur se prolonger à l’intérieur, l’air et la lumière naturelle s’infiltrer sans retenue. Le mobilier sur mesure rappelle les

lignes danoises des années 1960, et partout, le nuancier égrène les beiges, sable, grès, argile. Prolongeant ce tête-à-tête avec la nature, les quatre suites jouent de voilages ouvrant sur les rizières ou sur le murmure de la rivière Pancaran. Et cette porte rouge dont l’hôtel porte le nom ? Cachée derrière les bougainvilliers. Doucement, la langueur guide vos pas, du lit à la piscine ou du spa à la table, éclairée à la bougie… Voici distillés, dans ce sanctuaire enchanteur, tous les éléments d’une retraite lumineuse. Le RedDoor, à Bali (Indonésie), reddoorbali.com

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société

Dans 100 mètres, faites demi-tour À trop l’utiliser, le GPS pourrait nous faire perdre la boussole.

Q

UAND IL A RÉSERVÉ SES BILLETS D’AVION POUR L’ISLANDE, dans l’espoir de voir des aurores boréales, Noel Santillan n’imaginait pas qu’il ferait les gros titres de la presse locale. Un matin de février 2016, cet Américain de 28 ans, originaire du New Jersey, atterrit à l’aéroport de Keflavík, récupère sa Nissan de location, et entre dans son GPS l’adresse de l’Hótel Frón, situé à quelques kilomètres de là, où il a réservé une chambre pour la nuit. Six heures de route sur des chemins glacés et enneigés plus tard, Noel Santillan commence à se dire que quelque chose cloche. Une intuition qui se confirme lorsque son GPS lui indique qu’il a atteint sa destination, dans la petite ville de pêcheurs de Siglufjördur, au nord de l’île. À quelque 430 kilomètres de l’aéroport de la capitale. S’il se retrouve aussi loin de son hôtel, situé rue Laugavegur à Reykjavík, c’est que le site via lequel il a booké sa chambre a malencontreusement écrit l’adresse avec un “r” de trop : Laugarvegur. En quelques heures, Noel Santillan devient “le touriste perdu” pour les médias locaux et fait le tour des émissions de télé et de radio. Par chance, son histoire s’est bien finie. Ce n’est pas toujours le cas.

Pour preuve, les dizaines d’accidents qui ont lieu chaque année à cause des GPS. Aux États-Unis, le phénomène a même un nom et une page Wikipédia : Death by GPS (Mort par GPS). Dans la Vallée de la Mort, en Californie, les exemples sont si fréquents (tel couple s’engageant sur une route qui n’en est pas une, tel autre se retrouvant coincé sous une chaleur étouffante après des détours sans fin) que les autorités ont dû installer des panneaux invitant les touristes à ne pas suivre aveuglément toutes les indications GPS. Toujours aux États-Unis, en septembre 2018, le département des Transports de Caroline du Nord a conseillé aux habitants d’éviter d’utiliser Google Maps et Waze en plein ouragan Florence, en alertant : “Il n’est pas prudent de leur confier votre vie.” Au Brésil aussi, la presse a mis en garde les touristes après qu’un couple, attiré par erreur dans la favela de Niterói par l’application Waze, s’est fait tirer dessus par des narcotrafiquants. “Quelque chose est en train de nous arriver”, écrit le journaliste américain Greg Milner dans Pinpoint: How GPS Is Changing Technology, Culture, and Our Minds (W. W. Norton & Company, 2016). Alors que la technologie satellitaire est censée nous permettre de savoir exactement où nous nous trouvons, nous semblons ne jamais avoir été aussi perdus. Aurions-nous égaré tout bon sens… de l’orientation ?

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“Chaque bond technologique nous fait abandonner une compétence. Le GPS peut être considéré comme un outil de confort, mais l’homme risque d’y perdre ses racines.”

Hippocampe mon amour Le sujet a de quoi passionner les chercheurs qui, depuis des années, essaient de comprendre par quels mécanismes l’homme parvient à se repérer et se déplacer dans l’espace. Durant plus de trois décennies, des centaines de milliers de souris ont tourné dans des labyrinthes pour qu’en 2014, la découverte la plus importante sur le sens de l’orientation soit enfin auréolée du prix Nobel de médecine. Nous sommes en 1971 et l’AméricanoBritannique John O’Keefe démontre l’existence des “cellules de lieu”, dans une région du cerveau appelée l’hippocampe où se constituerait une carte cognitive de notre environnement. “Ces découvertes ont inspiré des décennies de recherche, explique Ineke van der Ham, professeure assistante en neuropsychologie à l’université néerlandaise de Leiden. À la fin des années 1990, les chercheurs sont capables de prouver que les humains ont aussi ces cellules.” En 2005, le couple Edvard et May-Britt Moser poursuit les recherches d’O’Keefe et démontre l’existence des “cellules de grille”, des neurones, présents chez de nombreuses espèces, permettant de connaître leur position dans l’espace, et ainsi de se créer une représentation mentale de l’espace. Complémentaires, ces travaux connus sous le nom de “système de géoposition dans le cerveau” fascinent jusqu’au Comité Nobel. Depuis, le domaine de recherche est en plein essor. “Comprendre la manière dont notre cerveau se représente l’espace est très complexe, complète la chercheuse. Pour se déplacer, l’homme observe son environnement, utilise les repères spatiaux autour de lui, comme une église, un magasin, une boîte aux lettres. Notre hippocampe code notre position dans l’espace et crée une carte mentale qui nous permet de nous déplacer.”

Si un individu sollicite davantage cette partie de son cerveau, elle peut finir par se modifier anatomiquement, comme le prouve une étude menée en Grande-Bretagne sur une dizaine de chauffeurs de taxis londoniens. En scannant leurs cerveaux, des chercheurs de l’University College de Londres ont démontré que leurs hippocampes étaient plus gros que la moyenne. La raison ? Le cerveau des chauffeurs de Black Cab a dû s’adapter pour pouvoir amasser des centaines d’informations de navigation : ils sont tenus de connaître 320 itinéraires sur 25 000 rues et leur sens de circulation, là où un chauffeur Uber, lui, a simplement besoin de son téléphone. “Use it or lose it” : le cerveau en danger ? Dans les années 2000, la démocratisation du Global Positioning System, ou système de géolocalisation par satellite, a quelque chose qui relève presque de la science-fiction. Avec lui, la promesse qu’un jour des voitures autonomes pourraient se déplacer seules. Qu’un drone pourrait livrer un colis dans notre jardin. Que les couples n’auraient plus besoin de se hurler dessus pour une carte autoroutière lue à l’envers. Vingt ans plus tard, nous y sommes. Dans nos voitures et nos smartphones, les GPS sont capables de nous indiquer précisément où nous nous trouvons, et les applications qui utilisent sa technologie nous permettent de nous rendre d’un point A à un point B sans réfléchir. Une révolution technologique qui facilite notre façon de nous déplacer, et modifie aussi notre rapport à l’espace, notre sens de l’orientation, ainsi que certaines capacités fondamentales de notre cerveau, au risque parfois de menacer la survie humaine… 24

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C’est ce qu’a démontré en 2004 Claudio Aporta, professeur associé au programme des Affaires marines de l’université de Dalhousie, au Canada. Lorsqu’au milieu des années 1990, le GPS fait son arrivée à Igloulik, la zone est si proche du pôle Nord que la force des champs magnétiques rend les boussoles inutilisables. Mais l’outil se révèle dangereux assez rapidement : certains habitants tombent sur des routes de glace trop fine ou se perdent une fois la batterie du GPS à plat, incapables de faire marche arrière, et encore moins de décrypter les signes de la nature comme le faisaient leurs ancêtres. En effet, au fil du temps, dans la toundra, les Inuits avaient appris à se fier à d’autres moyens pour se repérer : la direction des vents, les chutes de neige, les comportements des animaux ou même l’astronomie. “L’utilisation outrancière du GPS incite moins notre cerveau à s’intéresser au monde extérieur. Et créera moins ces fameuses cartes mentales internes. L’hippocampe travaille moins aussi”, ajoute Ineke van der Ham. “Use it or lose it”, alertent même certains chercheurs américains. Si le cerveau arrête d’utiliser certaines compétences, progressivement il les perdra… “Il faut garder à l’esprit que le cerveau humain est très fainéant, détaille Thierry Baccino, chercheur au laboratoire Cognitions Humaine et Artificielle de l’université de Paris-VIII. Pour une même action, il aura tendance à se laisser tenter par des outils qui lui permettent d’arriver au même résultat avec le moins d’efforts possible. Chaque bond technologique nous fait abandonner une compétence. Le GPS peut être considéré comme un outil de confort, mais l’homme risque d’y perdre ses racines.” Depuis, des dizaines d’expériences ont été menées qui tendent au même constat. Du plaisir de s’égarer En se fiant plus à son Google Maps qu’à son sens de l’orientation, l’homme risque de se désengager de son environnement, de ne plus savoir comment lire une carte, ou s’il doit tourner à droite ou à gauche en sortant de chez lui. Pire, le GPS risque aussi de lui faire perdre la boule. Pour une simple et bonne raison : la mémoire et l’espace sont intimement liés. Les hommes en sont convaincus depuis l’Antiquité. Les Grecs utilisaient l’espace pour se souvenir d’un discours par exemple. Ils visitaient plusieurs fois un bâtiment, dans le même ordre afin de pouvoir le visualiser dans son intégralité. Ils prenaient un discours qu’ils découpaient en symbole et déposaient par la pensée dans les pièces du bâtiment. En visitant le bâtiment par la pensée, leur discours leur revenait en mémoire. Cette méthode, dite des loci, est présente dans les écrits jusqu’au XVIIe siècle. “Il existe un vrai débat aujourd’hui sur la manière dont les mémoires externes altèrent la mémoire humaine, assure Francis Eustache, chercheur en neuropsy-

chologie, spécialiste de l’étude de la mémoire. C’est un domaine où nous avons encore peu de résultats tangibles, mais la particularité de cette révolution, c’est qu’en deux décennies à peine ces mémoires numériques sont devenues omniprésentes.” Dans son laboratoire de l’université de McGill à Montréal, Véronique Bohbot, professeure en psychiatrie, est plus catégorique. Depuis plusieurs années, elle mène des recherches de grande ampleur pour montrer combien l’utilisation du GPS peut avoir un effet négatif sur les fonctions cérébrales, notamment ce fameux hippocampe, centre de contrôle de l’orientation et de la mémoire. “Dans les vingt prochaines années, je pense que nous allons voir de la démence arriver de plus en plus tôt”, assène-t-elle, suggérant de la retenue dans l’usage du GPS, en l’éteignant par exemple lorsque l’on se dirige vers un lieu que l’on connaît déjà. En effet, à mesure que l’utilisation des GPS est devenue systématique, des guides de bonnes pratiques et d’éthique sont apparus. Et si, à l’instar des liseuses et des SMS qui ont respectivement créé une nostalgie des livres et de l’écriture, le GPS menait lui aussi à un retour à la flânerie ? Ainsi de l’application Kompl qui vous invite à découvrir les lieux incontournables d’une ville sans vous en indiquer l’itinéraire. À mesure que vous vous rapprochez, des informations vous sont dévoilées. Quant à Pretty Street, elle ne vous indique pas le chemin le plus court, mais le plus beau, pour vous rendre d’un point A à un point B. Autant de moyens de réapprendre à musarder et de transformer l’angoisse de se perdre en véritable plaisir.

Par RAPHAËLLE ELKRIEF

Voyageurs du Monde met à disposition de ses clients une application smartphone. Véritable carnet de voyage électronique, elle réunit tous les contacts utiles, ainsi qu’une sélection de bonnes adresses personnalisées, accessibles même hors connexion. Comme quoi, la géolocalisation a du bon.

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l’usage du monde

Namasté Bombay

© Véronique Durruty

À faire ou à ne pas faire ? Petit manuel urbain pour aborder sereinement la mégalopole indienne. Vos chakras vous diront merci.

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l’usage du monde

On laisse ses

Oubliez le menu “entrée/plat/dessert” :

PLACE AU THALI Repas complet servi sur une feuille de bananier

Pas juste un mantra,

DOSHA en ayurvéda : vata, pitta ou kapha ?

Dans les transports, on n’enjambe, ni n’effleure personne

DU PIED

à l’extérieur

On mange avec sa main

OM

C’est quoi ton

CHAUSSURES

est une intonation sacrée, symbole de l’absolu et du principe divin

DROITE La gauche a un but unique et précis

Vous ne caressez pas

LA TÊTE DES ENFANTS au risque de salir leur âme

Parlez-vous hindi ? Essayez :

“MATA PITA GURU DEIVAM” (“Mère Père Maître Dieu”, par ordre d'importance)

Ne confondez pas le symbole de bon présage du

Une décision à prendre ? Consultez un

SVASTIKA

ASTROLOGUE

avec “l’autre” croix gammée

pratique courante chez les Indiens

Adieu teint terne, arthrite et cheveux secs : misez tout sur l’huile de

Ne refusez jamais (mais alors jamais)

et le curcuma

Par politesse et parce que c’est délicieux. Cette boisson traditionnelle mélange lait entier, thé noir, épices (cardamome, gingembre, cannelle…) et beaucoup de sucre

COCO UN CHAÏ 27

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influence

© H. Laurent/Vaisselle Merci

Cuisine sous

La Californie est à l’avant-garde d’une nouvelle cuisine… au canabis. Chronique d’une tendance loin d’être fumeuse.

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à table

G

NOCCHIS AU BEURRE DE MARIJUANA, FAUX-FILET ET SON CHIMICHURRI RELEVÉ AU THC, légumes rôtis au miel infusé à l’herbe, Green Mac & Cheese… Leur point commun s’appelle Cannabis sativa indica (son nom scientifique), chanvre indien ou tout simplement cannabis. Et ces recettes herbacées disent en substance à ceux qui voyaient, par exemple, le retour à la cuisine de grand-mère comme la dernière tendance culinaire : “Regardez ailleurs. Plus loin !” Direction Los Angeles, Californie. Là-bas, les chefs toqués de cette nouvelle cuisine “cannabis infused” évoquent d’une voix une tendance de fond, amorcée bien avant la légalisation du cannabis à usage récréatif (en 2016 en Californie). L’un de ces ambassadeurs, le chef Holden Jagger, explique : “Il pousse en Californie un cannabis de renommée mondiale : c’est donc naturel qu’elle soit devenue leader sur ce secteur, à la fois sur un terrain légal et sur les marchés non réglementés.” Précurseur, Jeff Danzer a été le premier à organiser des dîners clandestins explorant le cannabis dans l’assiette, sous le nom de “Jeff The 420 Chef ” (“420” désignant en argot la consommation d’herbe). Ces dîners ont commencé à attirer l’attention des médias, puis d’un public de plus en plus large, faisant émerger l’idée d’un nouveau lifestyle autour du cannabis. De la pop-culture aux pop up dinners Depuis 2016 et la Proposition 64, loi qui autorise la consommation récréative de la marijuana en Californie, le mouvement s’est accéléré. De nouvelles perspectives s’ouvrent alors et la food scene californienne, au diapason, est avide d’intégrer à la cuisine la feuille hier défendue. Même le groupe Vice Media lance l’émission Bong Appétit, sur Munchies, une de ses chaînes de télévision sur internet. Chaque épisode voit un chef préparer un plat à partir de marijuana. L’émission dévoile l’art et la manière de cette cuisine : des techniques d’extraction des cannabinoïdes au stockage de l’herbe, à la question des saveurs, accords, dosages et effets recherchés… Un succès phénoménal qui a valu à Bong Appétit de se décliner en livre de recettes, paru en octobre 2018. Derrière sa couverture rose pâle, l’ouvrage fournit tous les conseils nécessaires pour devenir un parfait cordon

vert. Mais au-delà de l’appropriation du sujet par la popculture, quelle réalité dans les cuisines des chefs ? La cuisine infusée au cannabis apparaît timidement au menu de certains restaurants de L. A., comme chez Shibumi, où la feuille est frite en tempura, ou chez Gracias Madre, un restaurant mexicain où le CBD (cannabidiol) s’invite dans les cocktails. Mais la plupart expérimentent autour d’un autre format : les pop up dinners, ces dîners tenus en petit comité et sur réservation, s’inscrivant dans la continuité des dîners qui se tenaient avant 2016, à la lisière de la légalité. Parmi ces pop up dinners très prisés, le Bull & Dragon, ouvert depuis 2013, distille une haute gastronomie sous influence, concoctée par Aaron Ziegler, 35 ans : “Je me passionne pour la cuisine, les herbes et l’agriculture qui les produit. La fleur de cannabis en fait partie ! Et je recherche depuis le début de ma carrière les manières de l’intégrer à la gastronomie.” Ainsi, en incorporant les cannabinoïdes en micro-quantités pour qu’ils s’accordent aux saveurs de chaque plat et à leur ordre dans le repas, il offre aux convives une autre expérience du dîner : “La cuisine infusée est aussi là pour donner à l’ensemble de la soirée un autre relief, réimaginer l’un des moments les plus humains qui soit : le partage d’un repas.” Le chef Holden Jagger partage cette ambition et propose d’aller encore un peu plus loin. Pour cela, il a créé en 2016 Altered Plates, un “cannabis club” privé proposant un service traiteur. L’offre-signature est la suivante : un dîner qui joue sur l’accord mets-cannabis. Se définissant lui-même comme un “gangier” (une sorte de sommelier du cannabis), Holden Jagger considère sa mission avec le plus grand sérieux : “Avec les accords entre la cuisine et le cannabis, nous pouvons éduquer nos convives au terroir et au profil aromatique des différentes variétés. C’est un bon moyen de développer cette compréhension de la culture cannabis, de démystifier les idées reçues et de rétablir la vérité sur les effets des différents cannabinoïdes.” Ses dîners suivent un véritable rituel initiatique : du cocktail au dessert, l’accord metscannabis est au centre de l’attention, avec – avant ou après chaque plat, en fonction des arômes et effets recherchés – la dégustation d’un joint composé d’une variété spécifique de cannabis.

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Pensez à un plat, un péché mignon : il en existe certainement déjà une version infusée aux cannabinoïdes. Huile d’olive, kombucha jasmin-citronTHC, cookies, chips… tout y passe. Vanessa Lavorato, l’une des rédactrices en chef de Bong Appétit, s’est aussi penchée sur la question de la gourmandise et du cannabis. Inspirée par l’écrivaine américaine Alice B. Toklas, compagne de Gertrude Stein, qui livrait dès 1954, dans The Alice B. Toklas Cook Book, la recette du Haschich Fudge, un gâteau aux dates et à la cannelle relevé de sativa, elle a eu envie de créer Marigold Sweets, une confiserie de cannabis. Pas de “space cake” ici, mais de savoureuses truffes au chocolat infusées au THC. Un outil politique stupéfiant Si les produits dérivés au cannabis sont très présents sur la côte Ouest, c’est qu’avant de légaliser l’usage récréatif de la marijuana, la Californie légalisait dès 1996 son utilisation médicale. Pensez à un plat, une sucrerie, un péché mignon : il en existe certainement déjà une version infusée aux cannabinoïdes. Huile d’olive, kombucha jasmin-citron-THC, cookies, chips… tout y passe. Y compris la promesse d’augmenter son bien-être, de trouver le chemin de la détente… différemment. Aaron Ziegler regrette cet effet de surenchère : “Cela me pose problème, car l’objectif de ces snacks vise à annuler le goût et l’odeur de l’herbe plutôt que de s’assurer qu’ils sont intacts après leur transformation. Ce qui est à l’opposé de notre démarche de chefs !”

lexique —

En parallèle de ce marché, les chefs qui s’intéressent de très près à cette cuisine continuent d’y voir un outil politique. Et un champ des possibles infini : “On est seulement en train de découvrir la partie émergée de l’iceberg et on est déterminés à explorer l’immense variété des cannabinoïdes, pour mieux comprendre et développer leur potentiel – et la manière de les valoriser”, explique Holden Jagger. En pionnière toujours, la Californie verra bientôt éclore le premier restaurant entièrement dédié à la cuisine sous influence, à Santa Monica. Baptisté The Herb, il est l’œuvre du chef Christopher Sayegh (aka The Herbal Chef ), 27 ans, fervent ambassadeur de la cause. Un contexte qui devrait donner des idées aux autres États où le cannabis à usage récréatif est légal : le Colorado, l’Alaska, le Massachusetts, l’Oregon, Washington, le Vermont, le Maine, le Nevada… Et en France ? Il faudra vraisemblablement attendre encore un peu pour assister à l’avènement du CBD… Et à la transformation, au restaurant, de la formule “bonne dégustation” en “bong dégustation”.

Par LAURIANE GEPNER

THC

Prop 64

Cannabinoïde

CBD

420

Molécule du cannabis et cannabinoïde de référence. Forts effets psychoactifs.

Loi adoptée fin 2016 qui autorise l’usage récréatif pour les majeurs. L’usage médical est légal depuis 1996. La vente, depuis le 1er janvier 2018.

Molécule présente dans le cannabis. Il en existe près de 100 types/ variétés différent(e)s.

Consommé pour ses effets calmants, il est le cannabinoïde le plus couramment utilisé dans les produits infusés au cannabis.

Code de ralliement, inventé par des ados de San Rafael en 1971, qui fait référence à l’heure à laquelle ils se retrouvaient sur le campus pour fumer.

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à table

Kiva Confections

PRODUITS DÉRIVÉS

Petra Cannabis-Infused Mints

Pot d’Huile

Pastilles au thé vert matcha et à l’huile essentielle d’eucalyptus microdosées en THC – et donc consommables au quotidien.

Pot d’Huile

© M. Nilsson

La rencontre d’extraits de fleurs de cannabis californien et d’une huile d’olives extra-vierge produite artisanalement dans le nord de l’État. Effet planant garanti pendant trois à cinq heures.

Bong Appétit Le livre de l’émission de Vice Media, Bong Appétit, rassemble les techniques et recettes de chef pour devenir un parfait cuisinier en herbe (chez Pavilion Books).

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librairie

Froids polars Un choix orienté Grand Nord et composé exclusivement de romancières. De l’Antarctique à Reykjavík, d’un village suédois au désert de glace du Groenland, les contrées scandinaves inspirent… Et soufflent un air rafraîchissant sur vos lectures d’été.

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librairie

ADN

L’Île des absents

Marquée à vie

d’Yrsa Sigurdardóttir (Islande) – Éditions Actes Sud

de Caroline Eriksson (Suède) – Éditions Presses de la Cité

d’Emelie Schepp (Suède) – Éditions Harper Collins

Yrsa Siguardardottir est l’étoile montante du polar islandais. Au centre de l’intrigue de son cinquième ouvrage, il y a Freya, psychologue pour enfants, et Huldar, officier de police. Ils sont face à trois meurtres unis par une signature : une étrange liste de chiffres laissée par le tueur sur les lieux du crime. De détails savamment distillés en descriptions sanglantes, on se sent comme pris en otage dans les ruelles de Reykjavík.

En Suède, tout près d’une forêt inquiétante, il est un lac que l’on appelle Cauchemar. À la surface de ce mauvais présage, une eau noire et stagnante surmontée d’un îlot. Une fille et son père s’y baladent, ne rentrent pas. Restée sur une barque à les attendre, Greta vit peut-être une illusion… Caroline Eriksson, psychologue de formation, fouille les méandres de la perversité humaine avec un sang-froid exemplaire.

Premier volet d’une trilogie mettant en scène Jana Berzelius, une jeune procureure. Appelée à élucider le meurtre du directeur de l’office d’immigration suédois, elle finit par découvrir le corps du meurtrier. Il s’agit d’un enfant. Signe particulier : une scarification sur la nuque. Jana a la même. Au-delà des allers-retours entre histoire personnelle et collective, l’intrigue aborde en filigrane la question du sort des migrants.

Boréal

Le Filet

L’Expédition

de Sonja Delzongle (Groenland) – Éditions Denoël

de Lilja Sigurdardóttir (Islande) – Éditions Métailié

de Monica Kristensen (Norvège) – Éditions Babel Noir

Cap sur l’inlandsis du Groenland, cet immense plateau glaciaire posé sur l’océan Arctique. Là, plongés dans l’obscurité permanente, huit scientifiques sont en mission de veille sur les conséquences du réchauffement climatique. Ils découvrent un jour un cimetière de bœufs musqués aux carcasses prisonnières de la glace. Bientôt rejointe par une biologiste, l’équipe se désintègre progressivement… Entre exploration croisée du Groenland et de la psyché, réflexion sur l’écologie et suspense de l’intrigue, un thriller glacial et exaltant.

Qui entame la lecture du second tome des aventures de Sonja sans avoir lu le premier pourrait croire à la vie tranquille qu’elle mène avec son fils aux États-Unis. La vérité est autre : Sonja a fui sa Suède natale sur fond de scandale financier et de trafic de drogues. Suite à l’enlèvement de son fils, elle est contrainte de renouer avec son activité de passeuse de drogues… Chapitres courts, plume acérée, un thriller psychologique qui dresse le portrait d’une héroïne d’aujourd’hui.

Le policier suédois Knut Fjeld est appelé à intervenir sur un campement installé au 87e parallèle nord. Là, une expédition polaire est troublée par une épidémie fulgurante qui tue le musher et ses chiens. Glaciologue de formation, Monica Kristensen a été la première femme à avoir dirigé une expédition polaire en Antarctique. En équilibre entre le roman d’aventures, le huis clos et le polar, elle livre un opus singulier et fascinant.

Le Journal de ma disparition

Les Enquêtes de Fredrika Bergman

de Camilla Grebe (Suède) – Éditions Calmann-Lévy

de Kristina Ohlsson (Suède) – Éditions J’ai Lu

Tout commence avec un “cold case”, l’affaire d’une fillette assassinée dans une ville isolée. Dix ans plus tard, la profileuse Hanne et l’inspecteur Lindgren reprennent l’enquête. Ils sont aidés par Malin, jeune policière qui, par un curieux effet de hasard, avait elle-même découvert le corps de la fillette. De disparitions en kidnapping, de secrets en suspense, un thriller tissé avec talent par l’auteure acclamée d’Un cri sous la glace.

Kristina Ohlsson est analyste pour la police nationale suédoise et a travaillé au ministère des Affaires étrangères en tant qu’experte du Moyen-Orient. Deux matières dont elle s’inspire pour l’écriture de ses polars et la narration des aventures de son héroïne, Fredrika Bergman, enquêtrice de la police suédoise. Intrigues bien menées, angoisse et suspense font partie de ce tome qui rassemble les trois premières affaires de Fredrika.

La librairie Voyageurs du Monde Un passage obligé ! On y trouve tout pour préparer son voyage. Cartes géographiques, atlas, guides, livres photo, littérature d’aventure, polar, bd… Nos libraires passionnés sont là pour vous orienter et vous conseiller – ils ont sélectionné ces huit polars du froid signés par des femmes. 48, rue Sainte-Anne, Paris IIe

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hôtels

Nuits d’été Bulles tropicales, île privée, nature préservée : une palette d’édens pour rêver au soleil.

Punta Caliza Holbox Holbox Où/ Sur une île robinson, au nord de la péninsule du Yucatán. Quoi/ Un bijou de poche réinterprétant l’architecture maya. Stylo éco et déco. Design contemporain tout en sobriété mariant bois, pierre et eau. On en rêve/ Nager jusqu’à sa chambre, admirer la vue depuis la tour, s’enivrer de silence. On y va avec/ Son/sa bobocool préféré(e).

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hôtels

Beyond Benguerra Island

Capella

Mozambique Où/ Dans l’archipel Bazaruto, au cœur d’une réserve marine. Quoi/ Treize bungalows sophistiqués respectant style traditionnel, confort ultime et environnement. On en rêve/ Le grand show sous-marin des dugongs, dauphins et requinsbaleines. On y va avec/ Son diplôme de plongée pour mieux en profiter.

Bali Où/ Au cœur de la Keliki Valley, délicatement posé entre rizières, forêt tropicale et rivière sacrée. Quoi/ Une réminiscence coloniale imaginée par le designer Bill Bensley, un esprit d’aventurier sous une tente de luxe. On en rêve/ La piscine privée à la cime des arbres. On y va avec/ Miss Jane ou Docteur Jones.

Gladden Private Island

Chablé

Belize Où/ Sur un grain d’île privée accroché à la plus grande barrière de corail de l’hémisphère Nord. Quoi/ Une villa au luxe barefoot, à vivre à deux, maximum quatre. On en rêve/ Butler, concierge, chef : le staff se tient discrètement à disposition sur l’îlot voisin. On y va avec/ Son double solitaire.

Yucatán Où/ Au centre de la péninsule, niché aux portes de Mérida et de la jungle. Quoi/ Quelques poignées de casitas très privées et contemporaines, articulées autour d’une hacienda du XIXe. On en rêve/ Les douceurs du spa au bord du cénote, sous les étoiles, bercé par les bruits de la forêt. On y va avec/ L’envie de tourner le dos à la plage.

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hôtels

Nihi Sumba Sumba Où/ Sur une île sauvage à quatre cents kilomètres de Bali. Quoi/ Un refuge de luxe écologique imaginé par deux surfeurs, régulièrement élu meilleur hôtel du monde par la presse spécialisée. On en rêve/ Le spot et la vue sur les rizières plongeant dans l’océan. La richesse culturelle de l’île. On y va avec/ Sa planche de surf.

The Slow Bali Où/ Au cœur de Canggu, nouveau havre du cool balinais. Quoi/ Une retraite à mi-chemin entre brutalisme architectural et good vibes tropicales. On en rêve/ La collection d’art du propriétaire et créateur de mode George Gorrow habille les murs, un studio de L. A. diffuse la bande-son. On y va avec/ Un complice trendy.

Scorpios Cyclades Où/ À Mykonos, éternelle noctambule des Cyclades. Quoi/ Un mix bien rythmé d’esprit bohème et festif, de BPM et de nourritures saines. On en rêve/ Explorer ses “jardins intérieurs” à travers des workshops qui soignent le corps et l’esprit (yoga, méditation, soundtherapy…) On y va avec/ Son gourou électro.

Nihi Sumba

La Valise Tulum

The Slow

Quintana Roo Où/ À Tulum, paradis barefoot de la gypset internationale. Quoi/ Une tranche de tranquillité discrètement calée entre jungle et mer des Caraïbes. On en rêve/ Que d’air ! Six mètres de hauteur sous les plafonds en palapa de votre chambre bercée par les alizés. On y va avec/ Un grand besoin de déconnecter.

Bawah Reserve Archipel des Anambas Où/ Sur un confetti posté en mer de Chine du Sud. Quoi/ Une île privée, 13 plages, 3 lagons et 35 cocons éco-design (construits à la main, en tek recyclé, bambou, coco et pierre locale) nichés entre l’eau et la forêt primaire. On en rêve/ L’arrivée en hydravion. On y va avec/ L’Origine des espèces de Charles Darwin.

Coqui Coqui, Casa de Los Santos Yucatán Où/ À Izamal, la plus ancienne cité du Yucatán. Quoi/ Le dernier opus yucatèque de la famille Coqui Coqui. Le lieu jongle entre pierres mayas, tapisseries antiques et esprit mystico-chic. On en rêve/ Régénérer ses chakras par un soin à base d’avocat et d’aloe vera. On y va avec/ Un ou une explorateur (trice) aux pieds tendres.

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Scorpios

La Valise Tulum

Bawah Reserve

Coqui Coqui

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Depuis douze ans, l’Australien Oliver Percovich et son ONG Skateistan offrent une planche de salut aux enfants de Kaboul : une école de skate qui soutient l’éducation et encourage la jeunesse à sortir des carcans imposés.

Bienvenue au Skateistan S

© DR

WEAT À CAPUCHE, CASQUETTE ET REGARD CLAIR, Oliver Percovich a tout d’un grand adolescent. Il a pourtant accompli la prouesse d’importer en Afghanistan une discipline née en Californie, ancrée dans la culture urbaine US. Il a, dans le même mouvement, créé un ambitieux programme d’éducation pour les enfants de Kaboul, auquel une team de 80 salariés se consacre aujourd’hui à plein temps. L’histoire débute en 2007, quand ce trentenaire australien qui skate depuis toujours – il se souvient de ses premières figures, enfant, dans la piscine vide de ses parents – quitte un job confortable à Melbourne pour rejoindre sa petite amie, chercheuse en poste à l’université de Kaboul. Un peu désœuvré, entre recherche d’emploi et cartons à déballer, il fait ce que tout skateur fait en arrivant dans une ville inconnue : il parcourt les rues sur sa planche, manière d’explorer son nouveau territoire de vie, d’humer l’ambiance et jauger la pulsation de Kaboul. Ses déplacements attirent des foules curieuses. Alors, en bas de chez lui, avec les

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© Andy Buchanan for Skateistan

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À Kaboul, 50 % des skateurs sont des skateuses. Ou quand une simple planche devient un outil d’émancipation.

repères —

50 %

2/3

18 %

1

45 %

des enfants afghans n’ont pas accès à l’école.

des filles ne sont pas scolarisées.

des jeunes femmes savent lire et écrire, contre 50 % des jeunes hommes.

enfant sur 10 travaille.

des Afghans ont moins de 15 ans.

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Pachtounes, Tadjiks ou Hazaras, gamins des rues survivant de petits boulots, enfants des classes moyennes ou fils de ministre, tous se retrouvent pour glisser sur les rampes. trois planches emportées dans ses valises, Oliver entreprend d’enseigner les rudiments de la glisse à quelques ados. Bientôt, il accueille une quarantaine d’enfants dans un hangar désaffecté. Très vite, l’espace ne suffit plus. Il fonde l’ONG Skateistan et obtient les financements pour construire le plus vaste équipement sportif de la ville, un skatepark indoor de 1 700 mètres carrés. Pachtounes, Tadjiks ou Hazaras, gamins des rues survivant de petits boulots, enfants des classes moyennes ou fils de ministre, tous se retrouvent pour glisser sur les rampes : le skatepark rassemble et fédère. Du skate, Oliver n’a pas importé les fanzines, les vêtements, le lifestyle : “C’était très important pour moi de ne pas imposer de valeurs occidentales.” Il veut transmettre la technique et la créativité, la confiance en soi et l’esprit d’entraide.

18 ANS 2,6 c’est l’âge moyen de la population.

millions d’Afghans vivent en exil.

1 heure au skatepark, 1 heure à l’école Pratiquer le skate c’est aussi défier les lois de la gravité comme les carcans imposés. Et il semble qu’en la matière, Oliver ait appris de ses années de glisse : à Kaboul, 50 % des skateurs sont des skateuses. Incroyable, car en Afghanistan, les filles n’ont pas le droit de faire du vélo, jouer au foot, faire voler des cerfs-volants, ou toute pratique jugée “inappropriée”. “En Afghanistan, personne n’avait jamais vu de board. Le skate était trop nouveau pour être associé à un genre”, s’amuse Oliver. Dans les rues poussiéreuses de Kaboul, on peut ainsi voir des jeunes filles foncer sur leur planche, slalomer entre chèvres et nids-de-poule, dévaler des courbes raides, sauter sur les trottoirs… Quand on sait les efforts à déployer pour féminiser le skate en Occident, on reste stupéfait ! Skateistan, c’est aussi un lieu où apprendre. “J’ai vu passer beaucoup de consultants étrangers extrêmement bien rémunérés pour cher-

cher des solutions afin de transformer l’Afghanistan, sans rien connaître du pays. Je pense que ce sont les Afghans qui doivent trouver leurs propres solutions. Mais pour cela, il faut que les jeunes – dans un pays où près de la moitié de la population a moins de 15 ans – aient accès à l’instruction.” Les 400 élèves de Skateistan adhèrent à ce contrat : 1 heure au skatepark, 1 heure à l’école. Et pour ceux qui n’ont jamais été scolarisés, des cours de mise à niveau sont dispensés et un accompagnement personnalisé est mis en place pour leur faire intégrer l’école publique. Et la scolarisation mène parfois à la professionnalisation. Douze ans après la création de Skateistan, tous les membres de l’équipe de Kaboul sont afghans – parmi eux, Hanifa, l’une des plus ambitieuses sur la rampe, est aujourd’hui instructrice. Avec elle, les gamins répètent leurs gammes, tricks, ollies et flips. Elle transmet son savoir-faire avec bonheur. Il y a quelques mois, elle vendait du thé dans la rue pour survivre… “Empowering children !” L’ONG compte aujourd’hui quatre écoles de skate : deux en Afghanistan, une au Cambodge et une en Afrique du Sud, ouverte en août 2016. À Johannesbourg, la Satyagraha House, musée et maison d’hôtes, prend part au projet en soutenant le programme d’éducation développé par Skateistan. Les enfants se voient ainsi proposer des cours de danse (pour les filles), des visites de la demeure historique où séjourna Gandhi, des goûters dans le jardin… Tout cela en continuant de rider, de rêver et d’avancer avec confiance vers un futur plus libre.

Par MARION OSMONT

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Conciergerie Envie de chambouler votre voyage ? Besoin d’une dépanneuse à motoneige, d’un interprète au Japon, d’un personal shopper en Inde ? Les 142 concierges Voyageurs du Monde vous prêtent main forte 24/7. Tour du monde des attentions de la maison.

À vos souhaits ! _Kyoto, Japon

Illustrations Charlotte Chab/The Map

Le Japon en hiver, c’est très joli, mais c’est bien humide. Le rhume vous a fauché. Les idéogrammes, c’est très joli aussi, mais comment s’écrit paracétamol en japonais ? Vous ne prenez aucun risque et envoyez la photo de la boîte du médicament à votre concierge bilingue. Il vous répond dans l’instant, votre mal de crâne s’en trouve déjà allégé.

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Ha les cro-cro-cro, les cro-cro-diles _Everglades, Floride Trois mètres d’écailles et de muscles et soixante-six dents bien aiguisées. Vous n’avez pas la berlue, il y a bien un alligator dans la piscine de votre villa. Il semble évident que la cohabitation ne sera pas sans anicroche, mieux vaut vous en remettre à votre concierge Voyageurs. Il dépêche les rangers professionnels les plus chevronnés pour rétablir l’ordre et faire quitter les lieux au squatteur reptilien.

Cette chère Maria _La Havane, Cuba Derrière le comptoir crasseux d’une réception plutôt miteuse, la femme n’a pas l’air commode. Vous chevrotez : “Maria ?”. Elle grommèle un “Sí” peu engageant. Perplexe, vous ressortez passer un appel à votre concierge. Il dissipe rapidement le malentendu : votre Casa Maria se trouve quelques rues plus loin. Vous filez sans demander votre reste.

Se prendre un vent

Amours chiennes

Cheers !

_Madère, Portugal

_Champagne, France

Seul sur son île au large de l’Atlantique, ce petit chiot perdu a rapté votre cœur. Face à une paire d’yeux humides et suppliants, vous n’avez jamais trop su rester ferme. Allô, concierge ? Le surlendemain, une puce électronique, un vaccin et un passeport canin plus tard, Tango voyage à vos pieds en classe Affaires.

Alors qu’ont sonné depuis belle lurette les douze coups de minuit, c’est sans retenue que vous vous êtes adonné aux plaisirs éponymes de cette région viticole. Qui n’a jamais confondu 0,5 g /l et 5g/l ? Un appel aussi digne que possible à votre concierge Voyageurs, et bientôt une berline vous ramène à l’hôtel alors qu’un aimable chauffeur manœuvre votre Fiat 500.

Un massage et ça repart _Aéroport de Johannesbourg, Afrique du Sud Une escale de nuit, un vol retardé d’heure en heure. Vous avez écumé les boutiques d’œufs d’autruches et de viande séchée, vous campez assis sur votre valise, un gamin joue sur son iPhone avec le volume au plus fort dans votre oreille. Quelques WhatsApp au concierge Voyageurs et, vingt minutes plus tard, étendu sur la table de massage de l’InterContinental de l’aéroport, l’attente se fait beaucoup plus supportable.

Qui fait l’malin…

_Java, Indonésie _Wahiba Sands, Oman Frondeur, vous êtes parti sans guide à l’assaut des flancs du volcan Bromo et êtes parvenu victorieux jusqu’au sommet. Le soleil s’est levé, il faisait chaud, vous avez ôté une épaisseur. Le vent s’est levé, il soufflait fort, la chemise s’est envolée. Les clés de la voiture étaient dedans. Heureusement, pas votre portable. Le concierge a pris l’appel et deux heures plus tard, un Hindou Tengger monté du village le plus proche escaladait la roche, et faisait tomber la chemise…

Il fallait bien que ça arrive. C’était plus excitant en hors piste, vous vous imaginiez bringuebalant d’une dune à l’autre, en plein Paris-Dakar. Jusqu’à cette côte fatale, prise sans élan dans le sable meuble. Dépité, vous contemplez votre Toyota fichée bien profondément dans le désert immense. Le faible réseau vous permet d’envoyer un SOS à votre concierge. Alertés par connaissances interposées, des bédouins vous remorquent, vous, la Toyota et votre ego un peu meurtri.

Sari or not sari ? _Udaipur, Inde Au hasard de votre périple, vous avez sympathisé avec une élégante famille râjasthâni qui vous fait l’honneur de vous convier aux noces de sa fille aînée. À trois heures du dîner, un affreux doute vous saisit : quel dresscode ?! Au téléphone, votre concierge note vos mesures. Deux saris chatoyants se matérialisent dans votre suite, acquis prestement sur le marché aux étoffes.

Toujours plus de followers _Raiatea, Polynésie française Elle est douce, elle est belle, elle est l’amour de votre vie, elle est bloggeuse. Si le moment fatidique où vous lui passez la bague au doigt n’apparaît pas sur ses stories, c’est presque comme si ça n’était pas arrivé. C’est là que votre concierge Voyageurs intervient en toute discrétion pour immortaliser ses soupirs énamourés. #nofilter

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© David Gahr/Getty Images

Suites de légendes

Le Ritz de Chanel, le Beverly Hills pour Marilyn, l’hôtel de la beat generation dans le Quartier latin… En palaces étoilés ou chambres bohèmes, les célébrités ont contribué à la mythologie de ces lieux. À moins que ça ne soit l’inverse.

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Chelsea Hotel

© JoenStock/Getty Images/E+

New York Le chanteur canadien Leonard Cohen, chambre 424, y croise Janis Joplin, chambre 411. La réalisatrice d’avant-garde Shirley Clarke y tourne en une nuit Portrait of Jason. La chanteuse Patti Smith y vit avec le photographe Robert Mapplethorpe. Sartre avec Beauvoir… Fermé depuis 2011, l’immeuble de douze étages doit rouvrir en 2019 sous pavillon De Niro. Si les résidents historiques, qui font de la résistance, le permettent.

Janis Joplin (1943-1970), l’une des plus grandes chanteuses de l’histoire du rock’n’roll, a séjourné au Chelsea Hotel (ici, en mars 1969). Les paroles de Chelsea Hotel #2, écrites par Leonard Cohen en 1974, lui sont dédiées.

L

ES DIEUX HABITENT L’EMPYRÉE. ET LES CÉLÉBRITÉS LE RITZ. Telle Coco Chanel. Il y a dans les “vies hôtelières” des beautiful people comme le reflet d’une mythologie. Ce n’est pas le photographe Slim Aarons (1916-2006) qui aurait dit le contraire, lui qui a fait de la présence de la jet-set dans ces lieux luxueux le sujet de ses images d’art. L’hôtel est d’ailleurs le domaine propre de la renommée. Accueillie et choyée, la star y est reçue avec les honneurs attendus. Imaginez-vous Marilyn Monroe traînant ses malles dans les jardins du Beverly Hills ? Montand aurait tiqué. Le service est l’apanage des illustres mais, par lui, le commun s’y relie. Grooms et bagagistes sont les anges de la comédie sociale et scintillante où nous entendons tous briller un quart d’heure. À Londres, dans cet ascenseur du Savoy, le liftier qui commande l’étage où perche votre chambre a peut-être mené en apesanteur Louis Armstrong ou Judy Garland. On ne monte pas seu-

lement se coucher : “I kiss the sky”, comme aurait dit Jimi Hendrix, qui logeait au Cumberland. Futile ? Oui, et c’est magnifique ! Le sel des mondanités relève le brouet de la vie. Et le luxe devient dispensable. Le Chelsea, à New York, qui a vu passer tout ce que la contre-culture a produit de ludions, empilait les stars, pas les étoiles. Lorsqu’il vint rue Gît-le-Cœur écrire Kaddish, Allen Ginsberg ne demandait pas à l’hôtel Rachou, le mémorable Beat Hotel, la porcelaine et l’argenterie ; à preuve, son compère William Burroughs y mettait alors au point Le Festin nu. Les maisons modestes autant que les palaces ont des titres de gloire. Ce qui compte au fond, c’est que l’établissement, mieux qu’un chez-soi, permette l’épanouissement de son hôte. Les photos que Helmut Newton a prises dans de si nombreux hôtels expriment à leur manière cette vie mise en tension par la poésie du lieu. Laquelle peut confiner à l’abstraction. Sait-on à quoi ressemble le Hilton Hotel Amsterdam ? Il se réduit à une fenêtre et un

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bout de lit avec John Lennon et Yoko Ono dessus : “Bed-in for Peace”. Certains font d’une chambre un état d’âme. D’autres le prolongement d’une œuvre, tels Charlie Chaplin et Paulette Goddard qui après le tournage des Temps modernes (1936) filent à l’hôtel Métropole de Hanoï pour y passer leur lune de miel. On aime fréquenter la chambre, les couloirs, la cour des grands. Cela donne du standing. Les salons indo-saraceniques du Taj Falaknuma Palace auraient-ils le même pouvoir d’attraction si le nizâm de Hyderabad n’avait pas intégré le Raj britannique ? À Johannesburg, la Satyagraha House entretient, elle, l’esprit décidé et non violent de Gandhi. Cela met la paix à l’âme. Des ombres voyageuses vous suivent dans vos déplacements, ainsi Agatha Christie au Old Cataract à Assouan, au Pera Palace à Istanbul. À la clé, Mort sur le Nil et Le Crime de l’Orient-Express. Puis, il y a le pur glamour. L’hôtel du Cap-EdenRoc, au cap d’Antibes. Gerald et Sara Murphy, américains, jeunes, riches, cultivés y attirent la Génération perdue, Scott et Zelda Fitzgerald en tête. Le bain de soleil acquiert parmi cette colonie turbulente ses lettres de noblesse récréative.

Après guerre, les participants au Festival de Cannes prennent le relais. Orson Welles apporte le génie, Liz Taylor et Richard Burton des amours compliquées, le duc et la duchesse de Windsor ou Gianni Agnelli les élégances, Alain Delon Alain Delon. Les fêtes succèdent aux fêtes… Et Hemingway dans tout ça ? On a fait sur son nom tant de publicité douteuse dans tant d’endroits qu’il faut prendre avec des pincettes les rappels de sa présence ubiquitaire. Si la matière de Paris est une fête est sortie d’une malle oubliée au Ritz, la “libération” de l’hôtel par l’écrivain à la fin de la guerre relève de la légende. Mais sa fréquentation assidue du bar et ses exploits éthyliques afférents sont avérés. À Madrid, le Gran Vía et l’Hotel Palace, place Canovas del Castillo, l’ont eu pour hôte. Le premier n’en tient pas compte, par indifférence. Le second le classe parmi d’autres, dont Richard Strauss, Federico García Lorca, Rita Hayworth… Comme dans l’empyrée, il faut savoir jouer des coudes dans les palaces.

Marilyn Monroe (1926-1962) avait ses habitudes et son bungalow favori au Beverly Hills. En 1960, lors du tournage du Milliardaire, elle logeait dans le bungalow voisin de celui d’Yves Montand.

Par EMMANUEL BOU TAN

Beverly Hills Hotel Los Angeles

© Beverly Hills Hotel

Dès 1912, la bonne société s’installe dans les murs “Spanish Colonial Revival” de l’hôtel de Sunset Boulevard. On s’y trouve entre gens du même monde, mais avec Marilyn Monroe, room 7, les mauvaises manières font irruption. Liz Taylor et Richard Burton peuvent alors se faire servir de la vodka au petit déjeuner.

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© Beverly Hills Hotel

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Marlon Brando (1924-2004) et la jeune vahiné et comédienne Tarita Teriipaia, qui fut son épouse de 1962 à 1972, sur le tournage des Révoltés du Bounty.

© Grey Villet/The Life Picture Collection/Getty Images

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The Brando Tetiaroa, Polynésie française C’est le tournage des Révoltés du Bounty de Lewis Milestone, en 1962, qui a mené l’acteur star dans l’archipel de la Société. C’est le coup de foudre : Brando achètera l’atoll de Tetiaroa en 1966. Et fera en sorte de préserver les lieux dans leur pureté polynésienne et sa vie privée. Jusqu’à sa disparition, “le Parrain” portera seul la charge financière de l’atoll. Aujourd’hui, The Brando assume l’héritage et concilie luxe et durabilité : bilan carbone zéro. thebrando.com

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Raffles

Satyagraha House

Downtown, Singapour

Orchards, Johannesburg

C’est au Long Bar du Raffles, un peu avant 1915, que le premier Singapore Sling a été servi : gin, cherry brandy, orange, pamplemousse et citron vert. Et le monde a basculé autour d’un verre. Avant cela, Rudyard Kipling, de passage, y écrivait Le Livre de la jungle (1894), et chantait la geste du colonialisme britannique à son apogée. Le romancier Somerset Maugham lui succéda pour faire la chronique du crépuscule de l’Empire : flamboyant, mais condamné. Singapour pouvait s’émanciper. Le Raffles, l’un de ces hôtels qui, par le luxe et la traduction exacte de l’esprit de l’époque, appartiennent au panthéon voyageur, a fait aujourd’hui peau neuve. Tout en préservant son héritage, la maison a pleinement réussi son entrée dans le XXIe siècle. Le bar, lui, est ouvert à de nouveaux mélanges. raffles.com/singapore

La maison d’Hermann Kallenbach, à Orchards, dans laquelle Gandhi a vécu entre 1908 et 1909, avant son retour en Inde, est désormais un musée. C’est aussi une maison d’hôtes attentive à préserver les principes dont se nourrissait le développement du futur Mahatma. Sept chambres confortables d’une lumineuse simplicité – deux d’entre elles donnant directement dans la partie musée –, une cuisine végétarienne conciliant la règle et les papilles. Le Kraal historique de Kallenbach et le bâtiment contemporain de Rocco Bosman actualisent à leur manière l’esprit universel et non violent qui a porté l’une des grandes épopées politiques et humaines du XXe siècle. Ici, la mémoire a de l’avenir. satyagrahahouse.com

Belmond Hotel Caruso

GoldenEye

Côte amalfitaine, Italie

Oracabessa, Jamaïque

Le Belmond Hotel Caruso, des hauteurs de Ravello, a beau offrir une vue royale sur la baie de Salerne ; ses murs anciens dater du XIe siècle ; les aménagements les plus importants des XVIe et XVIIe ; les fresques XVIIIe étonner les spécialistes et ravir tout le monde, les chambres être des rêves de décoration napolitaine et de confort contemporain, les vergers de citronniers embaumer, le restaurant exalter l’Italie, la piscine à débordement donner au nageur le sentiment de se dissoudre dans le bleu de la plus belle Méditerranée. Et Greta Garbo et Virginia Woolf l’y avoir précédée. Rien n’y fait, le Belmond, c’est Jackie O. belmond.com

Dans sa maison de Jamaïque, Ian Fleming recevait le gratin international, de l’acteur Errol Flynn au Premier ministre britannique Anthony Eden, du photographe Cecil Beaton à Liz Taylor et Lucian Freud. Et c’est dans ce contexte de paradis tropical que les aventures de James Bond sortaient de sa machine à écrire. Des scènes clés de 007 contre Dr. No (1962) et de Vivre et laisser mourir (1973) seront tournées dans les alentours… En 1977, un an après Bob Marley, le patron d’Island Records Chris Blackwell rachète la propriété. Au début des années 1980, Sting vient y écrire Every Breath You Take… Au fil des ans, l’évolution du GoldenEye s’est faite avec naturel, en ajoutant au domaine, en protégeant les récifs de corail, et en assurant aux hôtes le luxe ultime : la simplicité. goldeneye.com

Steam Ship Sudan Nil, Égypte 1933, Agatha Christie accompagne son époux en Égypte et descend le Nil sur le Steam Ship. Les raffinements, les loisirs, le clignotement des berges que l’on regarde depuis les ponts dans l’air doux du soir, les dinner suits, l’atmosphère en un mot, inspirèrent le fameux Mort sur le Nil. 1978, John Guillermin adapte un film du roman. Et en tourne les intérieurs sur le même bateau. C’est peu dire que la reine du crime est liée à l’histoire de ce steamer commandé avant la Grande Guerre par la société Thomas Cook and Son ! Aujourd’hui, modernisé dans le strict respect de son plan, il promène entre Louxor et Assouan son élégance Belle Époque et le plaisir nostalgique d’un voyage en harmonie E. B. avec l’Égypte. steam-ship-sudan.com

Chateau Marmont Hollywood, Californie La crise de 1929 a décidé du sort du Chateau Marmont. Immeuble d’appartements, il devient en 1931 l’hôtel des acteurs et des réalisateurs des studios de cinéma voisins. D’Anna Little, qui tint la caisse après avoir fait les beaux jours des westerns dans les années 1910, à Sofia Coppola qui y tourna Somewhere en 2009, la légende d’Hollywood s’y fournit en personnages et en gossips. Musiciens et écrivains ne sont pas en reste. De John Bonham, le batteur de Led Zep, qui pénétra dans le hall avec sa moto, jusqu’au Blues Brother John Belushi qui, lui, en sortit les pieds devant. Plus tard, Bret Easton Ellis y vécut quelque temps, comme son personnage Clay, dans Suite(s) impériale(s). Helmut Newton, auteur de clichés noir et blanc sulfureux, y prit ses quartiers d’hiver durant vingt-cinq ans, avant de se tuer en 2004 dans sa voiture devant l’établissement où il aura immortalisé les filles les plus sexy de la planète. chateaumarmont.com

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Gentleman fermier Envoyer promener ses idées, débattre de l’actualité… : tel est l’objet de ce rendez-vous sans prétention donné par Jean-François Rial, le pdg de Voyageurs du Monde. Conversation avec le Québécois Jean-Martin Fortier, propriétaire d’une microferme bio-intensive, engagé pour l’environnement. 50

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© Julien Mignot

Jean-Martin Fortier

Jean-Martin Fortier, dans ses Jardins de la Grelinette, aux portes de Montréal.

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La chemise à carreaux et le teint hâlé, le regard pétillant et la décontraction naturelle suffisent à deviner que la ville n’est pas son écosystème naturel. D’ailleurs, ce grand gaillard québécois se définit lui-même bien volontiers comme un “jardiniermaraîcher”. Outre le métier et la passion, c’est aussi le titre d’un best-seller paru en 2012 dont ce quadragénaire est l’auteur, vendu à plus de 100 000 exemplaires, et traduit en sept langues – dont le coréen. Des plateaux de télévision aux formations en ligne regroupant des centaines d’élèves dans plus de trente pays, Jean-Martin Fortier raconte l’histoire de son petit miracle écologique. En moins de quinze ans, ce génie agronome est parvenu à faire sortir de terre un nouveau modèle d’agriculture, à la fois biologique et intensif. Situés dans les verdoyants Cantons-de-l’Est, aux portes de Montréal, ses Jardins de la Grelinette (du nom de cet outil qui permet d’ameublir la terre sans la retourner) produisent sur un hectare l’équivalent d’une surface cinq fois supérieure cultivée au tracteur. Des rangs serrés, travaillés uniquement à la main par Jean-Martin, sa femme MaudeHélène Desroches et une poignée d’apprentis bien décidés à gratter les enseignements de ce potagerlaboratoire qui en plus de produire le meilleur mesclun du pays est naturellement beau. “Avec beaucoup de travail et un peu de chance, nous avons réussi à créer ce que Bill Mollison (pape australien de la permaculture – ndlr) appelait un ‘beau désert’”, sourit le gentleman fermier. Un écosystème simple dans lequel l’organisation ingénieuse permet de produire mieux. Bête comme chou ? Ce modèle de microfermes ultra-rentable fait grincer les rouages de l’agriculture industrielle, attire les investisseurs et germe en dehors des frontières de la Belle Province. Une révolution par le potager.

avec d’autres voyageurs, qui m’ont apporté un certain éveil spirituel. À mon retour, j’avais vraiment envie de faire des études en lien avec la nature et les inégalités sociales. Je suis donc allé à l’université McGill pour suivre un cursus en études environnementales, durant trois ans. Mais j’ai toujours été sensible à l’environnement : l’été, je partais planter des arbres dans l’Ouest ou j’allais ramasser des morilles dans le Yukon. À l’université, j’ai rencontré beaucoup d’altermondialistes, dont ma future femme.

J.-F. R. : La création d’une ferme biologique a-t-elle germé suite à cette période ? J.-M. F. : À l’époque, nous rêvions simplement d’autre chose que d’une carrière administrative. Nous sommes partis au Mexique travailler quelques mois dans des fermes de café équitable, avant de remonter jusqu’au Nouveau-Mexique pour apprendre la construction de maisons alternatives dans le désert. Cela nous a ouvert les yeux. Là, nous avons travaillé pour un maraîcher québécois, Richard Bélanger, grâce à qui nous avons fait nos premières armes. Sur une surface de deux hectares, il produisait les plus beaux légumes de tous les environs de Santa Fe. Chaque samedi matin, les gens faisaient la queue devant son kiosque, il était remercié par tous, et il gagnait bien sa vie ! Nous avons ainsi découvert l’énergie positive qui entourait la communauté des agriculteurs, des personnes travaillant dur, mais accueillis comme des héros.

J.-F. R. : Cette vision du métier d’agriculteur vous a-t-elle guidé ? J. -M. F. : Clairement. Ce premier contact avec le maraîchage bio a été déterminant. Je découvrais un métier qui signifiait travailler à l’extérieur, dans un bel environnement, être populaire, et générer des revenus confortables. À Santa Fe, nous avons finalement repris une exploitation en mauvais état, sur laquelle nous avons mené nos premières expériences pendant deux ans. Une période d’observation très constructive durant laquelle j’ai visité beaucoup d’autres fermes, et me suis nourri de nombreuses lectures sur l’agroécologie. En deux années, nous avons appris énormément au contact de la communauté et par la mise en pratique de nos innovations. Au même moment, Hélène est tombée enceinte de notre premier enfant, nous avons alors décidé de rentrer au Québec.

Jean-François Rial : Comment est née votre réflexion sur l’agriculture biologique ? Jean-Martin Fortier : J’ai grandi dans une banlieue de Montréal plutôt conformiste, des maisons qui se ressemblent, encadrées de pelouses bien vertes… J’ai fréquenté de bonnes écoles, mais avant mon entrée à l’université, à 17 ans, j’ai acheté une voiture à 500 dollars et suis parti avec un copain faire un voyage de trois mois dans l’Ouest canadien. À mon retour, je me suis inscrit pour suivre des études en management. Ça a duré trois mois, puis j’ai laissé tomber pour repartir en Amérique centrale : Mexique, Guatemala, Salvador, Honduras. Ce voyage m’a ouvert l’esprit. Il m’a permis de sortir du schéma unique que je connaissais jusqu’alors, et partagé par la plupart des jeunes gens de mon âge. Ce sont mes rencontres, notamment

J.-F. R. : L’aventure aurait pu s’arrêter là, comment la transition s’est-elle opérée ? J.-M. F. : Effectivement, le modèle que nous avions découvert – vivre sous un tipi et cultiver son jardin de ma-

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“Ce sont mes rencontres, notamment avec d’autres voyageurs, qui m’ont apporté un certain éveil spirituel. À mon retour, j’avais vraiment envie de faire des études en lien avec la nature et les inégalités sociales.”

nière non-mécanique – était loin de celui pratiqué au Québec. Mais nous étions décidés. Nous avons loué un lopin de terre, construit notre tipi et commencé à cultiver et vendre nos légumes par l’intermédiaire du réseau ASC (Agriculture soutenue par la communauté, soit l’équivalent québécois de nos Amap – ndlr). Deux saisons plus tard, nous avons acheté un terrain de quatre hectares au cœur duquel il y avait un clapier à l’abandon. Nous y avons créé un potager de moins d’un hectare et construit une maison inspirée des projets écologiques auxquels nous avions participé au Nouveau-Mexique. Une bonne alternative au tipi qui n’était vraiment pas adapté au climat québécois !

que j’avais pu lire sur la permaculture, de manière à organiser une bonne synergie entre les différents écosystèmes de l’exploitation. Un environnement dans lequel ils se nourrissent les uns des autres et génèrent une production durable.

J.-F. R. : Durable rime-t-il avec profitable ? Lorsqu’en 2005, vous avez créé les Jardins de la Grelinette, ce modèle de microferme biologique n’existait pas au Québec. Est-il rentable quinze ans plus tard ? J. -M. F. : Après trois ans, la ferme l’était déjà. En cinq années, nous avions atteint le meilleur rendement à l’hectare de tout le Québec, soit un chiffre d’affaires annuel de 150 000 dollars. Des exploitations cinq fois plus grandes que la nôtre, entièrement mécanisées, ne font pas mieux. Donc, oui : l’agriculture bio-intensive est rentable. Aujourd’hui, nous avons déjà inspiré d’autres maraîchers biologiques qui réussissent très bien ! Je suis également impliqué dans un autre projet, la ferme des QuatreTemps, un modèle de ferme de polyculture du futur. Elle a été pensée sur le principe de la permaculture, qui associe maraîchage bio et différents élevages gérés en milieu naturel et avec respect sur des espaces de pâturages en rotation. L’an dernier, la ferme a généré 500 000 dollars de chiffre d’affaires. L’objectif n’est pas de produire toujours plus, mais de produire mieux des produits de grande qualité, et d’avoir une plus belle qualité de vie.

J.-F. R. : Les voyages ont-ils continué à nourrir votre inspiration ? J.-M. F. : Sans aucun doute. Je rentre juste de Bretagne où j’ai pu observer chez un maraîcher bio une technique de filets à haricots. C’est tout simple, mais cela va changer beaucoup de choses pour moi. C’est en voyageant – en France, aux États-Unis, etc. – que ma réflexion évolue sans cesse. Je rêve de partir au Japon pour apprendre leurs techniques ancestrales. Avant de construire notre maison, l’hiver nous poussait à nous échapper. À Cuba notamment, où nous avons beaucoup appris sur les techniques de maraîchage nonmécaniques et sur l’agriculture bio-intensive (tels les organopónicos, ces potagers urbains cultivés en rangs serrés – ndlr). Au retour, nous avons mis en pratique sur notre hectare tout ce que nous avions appris, combiné à ce

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“Ma mission est d’inspirer et de donner une méthode concrète aux maraîchers du monde entier pour les amener à créer des fermes à échelle humaine qui soient écologiques et rentables.”

d’inspirer et de donner une méthode concrète aux maraîchers du monde entier pour les amener à créer des fermes à échelle humaine qui soient écologiques et rentables. C’est le moment ou jamais de remplacer la production de masse de l’agriculture industrielle par une production par la masse de petites fermes à échelle humaine. J’ai la conviction qu’ainsi nous viendrons à bout du poison et de la destruction créés par l’agriculture industrielle au profit d’un système alimentaire fondé sur le respect de la nature et de la communauté. Cependant, abandonner les intrants chimiques et faire changer les mentalités dans les grandes instances agricoles prend du temps. Je constate que la France est en mouvement sur cette réflexion. Il y a une prise de conscience chez les “citoyens-mangeurs”. C’est primordial, car eux seuls peuvent faire la démarche d’aller à la rencontre du producteur. De notre côté, nous devons continuer à apprendre en permanence. D’ailleurs, nous n’avons rien inventé : la plupart de nos méthodes s’inspirent de ce que faisaient les maraîchers au XIXe siècle, notamment autour de Paris. Les savoirfaire se sont partagés de génération en génération avant que la chaîne ne soit brisée par la mécanisation. Il ne s’agit pas de faire une révolution, mais c’est une autre façon de penser. Il faut rester humble et faire de son mieux.

J.-F. R. : Sur quels principes repose le succès de votre microferme ? J.-M. F. : Si je devais résumer en une formule, je dirais : “Small is profitable”. La taille humaine de notre exploitation nous permet de gérer l’ensemble à deux ou trois personnes, sans tracteur mais avec des outils appropriés, ce qui minimise considérablement les coûts. Il s’agit de mettre l’agriculteur au centre du projet, son savoir-faire, sa passion, pas la machine. Le fait de travailler sur une petite surface nécessite d’intensifier notre production. Exit la classique culture en rangs, nous travaillons sur des bandes de terre surélevées (appelées planches – ndlr) qui ne sont jamais labourées, car ce sont les vers de terre qui le font pour nous ! Ces planches sont alimentées de manière organique avec un sol de grande qualité. Nous nous soucions en permanence de la santé des sols et des écosystèmes. Les légumes y poussent très serrés. Enfin, nous fonctionnons sur un circuit court de distribution, nous produisons des paniers de légumes de saison qui alimentent hebdomadairement deux cents familles de Montréal et sa région, et nous sommes présents chaque semaine sur les deux marchés fermiers des environs.

J.-F. R. : Pensez-vous que votre vision puisse s’exporter, en France notamment, et transformer le paysage agricole ? J.-M. F. : Bien entendu. C’est l’idée des stages, de la formation en ligne, suivie dans une trentaine de pays, et des conférences que je propose. Ma mission est

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Le marché du bio En France, la transition vers un modèle agricole plus vertueux est encore longue. Mais quelques données laissent bon espoir.

37 000

90 % de la consommation mondiale de produits bio se situe en Amérique du Nord et en Europe. “Ne doutez jamais qu’un petit groupe de citoyens engagés et réfléchis puisse changer le monde. En réalité, c’est toujours ce qui s’est passé.” Margaret Mead anthropologue américaine

C’est le nombre d’exploitations bio en France (au minimum). En 2017, de janvier à juillet, 3 700 agriculteurs étaient en conversion biologique. En 2018, sur la même période, ils étaient 4 300. D’ici 2022, les surfaces agricoles consacrées au bio seront passées de 6,5 % à 15 %.

8,3

69 %

35

DES PRODUITS BIO CONSOMMÉS EN FRANCE ONT UNE PROVENANCE FRANÇAISE.

traitements sur les pommes de l’agriculture intensive : 22 fongicides, 9 insecticides, 2 herbicides et 2 régulateurs de croissance.

96 organopónicos ont été recensés en 2016, à Cuba. Ces exploitations urbaines composées de parcelles surélevées permettent la culture sur terrain pollué. Leur mode de fonctionnement favorise le lien consommateur/producteur.

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milliards d’euros. C’est, en 2017 dans l’Hexagone, la valeur des achats al i m e ntai res iss us de l’agriculture biologique. Soit une croissance de 17 % en un an.

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calories d’énergie fossile sont n é cess a i res p ou r p ro du i re 1 calorie alimentaire. En 1940, le rapport était de 1 pour 2,3. En cause : l’agriculture industrielle.

25 %

de diminution du risque de cancer, tous types confondus, chez les consommateurs réguliers de bio.

“Aujourd’hui, on importe 4 milliards d’euros de fruits et légumes par an alors que près de la moitié pourrait être produite chez nous.” Maxime de Rostolan agroécologiste français

5 règles définissent la démarche des Amap : respecter les principes d’une agriculture paysanne, soutenir une pratique agro-écologique, coproduire une alimentation de qualité, avoir une participation d’éducation populaire et développer une relation solidaire sans intermédiaire.

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Exploration d’une ville gourmande, joyeuse et anticonformiste, ponctuée des architectures de Tadao Ando.

Les trésors de l’Afrique de l’Est : de Lamu à l’Arijiju Retreat, en passant par Nairobi.

108 — 117 Mai. Hongrie

124 — 139 Juin. Grèce

Tout le charme suranné d’une flânerie autour du lac Balaton, la “mer hongroise”.

À Tinos, 12 yayas et 150 pelotes de laine pour valoriser l’artisanat en Méditerranée.

146 — 161 Juillet. France

162 — 173 Août. Chili

En France lovers transis, ils ont quitté leur pays pour transmettre leur savoir-faire. Portraits.

De la tranquillité de l’île de Chiloé aux grands espaces de solitude de la Patagonie.

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mars — japon

Osaka, punk minimale Dans une anarchie jubilatoire, Osaka mixe ses néons flashy et ses échoppes traditionnelles à la sobriété des édifices de l’architecte Tadao Ando. Exploration, loin du Japon lisse et tiré à quatre épingles, d’une ville anticonformiste où même les retraités ont les cheveux verts.

L’ascétisme du musée de Sayamaike, dessiné par Tadao Ando, vs. la tour pop de Tsutenkaku.

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mars — japon

es poulpes rouges géants s’accrochent aux façades. Un peu plus loin, des crabes mutants, des gyozas XXL et d’énormes poissons-lunes suspendus à de grandes cannes à pêche leur volent la vedette. Dans le quartier de Dôtonbori, à deux pas du canal éponyme, la grande rue piétonne est un spectacle à elle seule. Les restaurants se régalent d’afficher leurs spécialités en 3D, comme dans un parc d’attractions, quand ils n’exhibent pas à même le bitume leurs trésors : takoyaki, petits beignets de poulpes et autres taiyaki, gaufres en forme de poissons. La cuisine s’étale partout avec la même gourmandise assumée, sur les trottoirs et dans les marchés. En tête, celui de Kuromon, dans le quartier de Nipponbashi, réputé pour la fraîcheur de ses poissons et crustacés. Il n’y a qu’à Osaka, royaume de la street food et des chefs étoilés (la ville comptabilise 123 étoiles Michelin, soit plus que New York), où la gastronomie se transforme en une grande fête populaire. Plus bordélique que Tokyo l’esthète contemporaine ; plus excentrique que sa voisine Kyoto, raffinée et un poil snob, la capitale du Kansaï se veut joyeuse et volontiers rebelle. Beaucoup la comparent à Marseille, pas tant pour son port, car le sien est industriel et loin du centre, mais pour sa gouaille et son franc-parler. Ici, la foule vibrionne du matin au soir, laissant chanter son accent du sud, dans de grands éclats de rire. Les enseignes électrisent la ville lui donnant des accents kitsch pleins de charme. Cette métropole à l’architecture hétéroclite ne frime pas. Elle ne cherche pas non plus à entrer dans les cases de la bienséance et du bon goût. Au contraire, elle se plaît à cultiver une forme de liberté décomplexée, voire d’extravagance au regard des Japonais de passage qui la considèrent comme la plus anticonformiste de l’archipel. Pas étonnant qu’Osaka ait enfanté de nombreux artistes, inventeurs et fortes personnalités de la création contemporaine. Parmi eux, Osamu

Tezuka, le père du manga et auteur des cultes Roi Léo et Astro Boy ; les avant-gardistes du mouvement Gutaï, dans les années 1950-60, dont les performances ont influencé l’action painting de Jackson Pollock et ouvert le champ à de nouvelles pratiques. Tadao Ando fait partie de ces grandes figures. Né à Osaka en 1941, l’architecte international y a construit ses toutes premières œuvres, dont la Maison Azuma en 1976, à deux pas du grand sanctuaire shinto Sumiyoshi, dans le sud de la ville. Dans cette minuscule construction en béton plus longue que large, encore visible de la rue, il affirmait sa vision d’une architecture à la fois minimale dans la forme et maximale dans l’expérience. En prise directe avec les éléments, comme l’air, la lumière et l’eau. Une façon de prendre le contrepied de la reconstruction frénétique d’Osaka sur le modèle des grandes villes américaines et de rappeler quelques fondamentaux de la culture japonaise. Des rings de boxe au port de Marseille À 78 ans, récompensé par de nombreuses distinctions dont le très coté prix Pritzker 1995, Tadao Ando reste profondément attaché à sa ville natale où il continue de travailler. Son studio se situe dans le quartier d’Umeda, dans une maison qu’il a conçue pour des clients privés dans le courant des années 1970, qu’il a rachetée, puis modifiée à maintes reprises. Les habitants d’Osaka peuvent le voir courir tous les matins dans les parcs. Il fait d’ailleurs rentrer dès qu’il le peut plus de nature dans la ville en plantant des allées de cerisiers ou des murs végétaux. Comme celui de cent mètres de long, le Wall of Hope (“Mur de l’espoir”), qui s’étend au pied de la Umeda Sky Building. Tour jumelle iconique du début des années 1990 aux allures de construction Lego, elle continue d’attirer pour son observatoire à 360 degrés, entièrement rénové en 2018 pour les 25 ans de la tour, et son jardin flottant sur son toit-terrasse. On y accède par un Escalator suspendu dans les airs, à presque deux cents mètres de hauteur. Vertigineux et grisant. Malgré sa notoriété, Tadao Ando n’a pas perdu pied avec la réalité. Il continue de revendiquer son enfance modeste dans le quartier populaire d’Asahi-ku et son apprentissage de la vie dans la rue, les livres, les petits ateliers des artisans et sur les rings. Faute

L’Osakien Tadao Ando, architecte star et grand admirateur de Le Corbusier, qu’il a découvert par hasard chez un bouquiniste.

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Osaka, ou l’expérience de l’architecture poétique de Tadao Ando.

La bibliothèque du musée-mémorial Ryotaro Shiba. Tadao Ando l’a imaginée en hommage à son ami, grande figure du roman historique japonais. Courbe, elle fait onze mètres de hauteur et contient 20 000 ouvrages. Impression de verticalité infinie et ambiance quasi spirituelle.

d’avoir les moyens de faire les études dont il rêvait, il pratique la boxe en professionnel et s’offre avec ses premiers cachets un voyage pour la France. L’autodidacte n’a qu’une idée en tête : découvrir physiquement les bâtiments de Le Corbusier qu’il vénère depuis qu’il a découvert par hasard, chez un bouquiniste, un ouvrage sur son travail. À l’âge de 24 ans, il embarque sur un bateau à Yokohama, rejoint Pékin, monte dans le Transsibérien. Il arrive en septembre 1965 à Paris, puis direction Marseille et la Cité radieuse. Il rate l’architecte suisse de peu. Le maître de l’équerre s’est noyé le 27 août près de son Cabanon minimaliste de Roquebrune-Cap-Martin. Tadao Ando semble s’être donné pour mission de poursuivre l’entreprise de Le Corbusier : donner ses lettres de noblesse au béton. Ce qu’il n’a cessé de faire, offrant à ce matériau modeste toute sa délicatesse japonaise. Avec lui, le béton se fait soyeux et sensuel. L’exposition Le Défi, qui s’est tenue jusqu’en décembre 2018 au Centre Pompidou à Paris, proposait ainsi un panorama complet de son œuvre minimale, mettant à l’honneur ses créations pour l’île de Naoshima, sa réhabilitation de la Pointe de la Douane à Venise, et son projet pour la Fondation Pinault à la Bourse de Commerce, à Paris. On pouvait aussi y découvrir la maquette et le dessin de L’Église de la lumière, située à Ibaraki, à vingt-cinq kilomètres au nord-est d’Osaka. Avec son mur en béton fendu d’une croix par laquelle la lumière extérieure jaillit, celle-ci reste l’une de ses réalisations majeures et préférées. Au sud de la ville, en direction de Tondabayashi, se cache une autre construction emblématique de sa démarche, le musée de Sayamaike. On y vient autant pour faire l’expérience de l’architecture poétique de Tadao Ando que pour y découvrir l’histoire du lac Sayama et de son système d’irrigation millénaire. Le

bâtiment, inauguré en 2001, est en effet situé au bord du plus grand lac artificiel du Japon. Une digue de 15 mètres de hauteur et de 62 mètres de longueur et d’anciens systèmes d’irrigation en bois du XVIIe siècle constituent les pièces maîtresses du musée. “Au VIIe siècle, la capitale du Japon se situait dans cette région, nous explique Tadao Ando. Elle s’est ensuite déplacée à Nara, puis Kyoto et enfin Tokyo. Ce lac contient de nombreux outils et inventions liés à l’ingénierie civile japonaise.” Le musée est aussi l’occasion de comprendre le rôle phare de certains grands prêtres bouddhistes, comme Yoki (période de Nara) qui fut également ingénieur, architecte et grand restaurateur du barrage. Le lieu consiste “en une séquence d’espaces appropriée à l’échelle du musée de manière à ne pas bousculer le paysage”, résume Tadao Ando. Pour faire le lien entre le musée et le lac, il a tenu à planter des allées de cerisiers qui révèlent chaque printemps leur couleur rose. Atmosphère méditative et silence En arrivant, on découvre d’abord un immense mur de béton gris clair. L’entrée se fait ensuite le long d’un bassin et de fines cascades d’eau, débouchant sur un espace circulaire en contrebas, dominé par un grand pilier aux allures de plongeoir. Les formes en béton découpent le ciel, les cadrages évoquent la photographie, l’atmosphère méditative invite au silence. Comme souvent chez Ando, les éléments naturels font partie intégrante du projet architectural. Et chacun apporte sa mélodie à la composition. “L’eau du bassin extérieur se transforme ainsi en fonction de la lumière, de la présence de feuilles qui flottent et des mouvements du vent, souligne Tadao Ando. À certains moments, l’eau peut briller comme une feuille d’acier poli, avoir un aspect métallique. En hiver, la brume et le gel donnent encore d’autres métamorphoses.”

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mars — osaka

À 25 kilomètres l’un de l’autre, le dernier cinéma érotique, à Shinsekai, pourrait très bien cohabiter avec le musée de Sayamaike.

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mars f é v— japon rier Groenland / Pôle alternatif

Un vieux travesti, aux faux airs de petite écolière effarouchée, fait l’accueil du dernier cinéma érotique de la ville.

En 2001, Tadao Ando a offert à Osaka un autre petit bijou d’architecture : le musée-mémorial Ryotaro Shiba, dédié à son ami écrivain et journaliste. L’endroit discret se trouve dans le quartier d’Higashi au fond d’un jardin privatif sur le site même où l’intellectuel vécut jusqu’à sa disparition en 1996. Pour rendre hommage à cette grande figure du roman historique connu pour ses livres sur les shôguns des périodes Edo et Meiji, Tadao Ando a construit une bibliothèque courbe à triple hauteurs de onze mètres de hauteur alignant 20 000 ouvrages. Les livres sont tous rangés dans un même quadrillage de compartiments donnant une impression de verticalité infinie. “Tous les ouvrages stockés sont des références utilisées par Ryotaro Shiba pour ses romans. Ils représentent une partie de sa bibliothèque sur l’histoire du Japon, explique Tadao Ando. Cet espace illustre la profondeur et l’étendue du monde créatif de Shiba, qui s’intéressait autant aux petits détails qu’à la structure d’ensemble.” Lieu de consultation et de recueillement, cette bibliothèque compte parmi les dix plus belles au monde. Il y règne une ambiance quasi spirituelle. Une façade en verre laisse deviner le jardin. Le silence de la lecture se mêle à la douce vibration de la nature alentour. Osaka recèle de nombreux autres lieux secrets et inattendus. Traverser la ville, c’est faire des bonds dans le temps, se retrouver d’une scène de cinéma à une autre. Parfois, les époques et les mondes se télescopent, comme dans le jardin japonais de Keitakuen, dans le parc Ten-

noji. Au bord de l’étang couvert de nénuphars, entre les mousses, les pierres et les petits arbres sculptés, apparaît la majestueuse tour Abeno Harukas qui n’est autre que la plus grande du Japon. Inaugurée en 2014, elle s’élève à trois cents mètres et offre, du haut de son soixantième étage, une vue époustouflante sur la ville. Un Japon bordélique et vintage Éclairée de couleur pop, la tour de Tsutenkaku, dans le quartier de Shinsekai, promet une plongée surréaliste dans le Japon des années 1970-80. Aucune trace de la mondialisation dans les rues de ce “nouveau quartier” (traduction littérale de “Shinsekai”), qui fut un parc d’attractions dans les années 1960 et qui est resté un lieu hors du temps. Dans la galerie couverte principale, des érables en plastique jaune et orange fluo nous rappellent vaguement l’automne. Les hommes se rassemblent encore pour des parties de jeu de go ou de shôgi (sorte d’échecs japonais) dans des petits clubs. On se sert au comptoir des restaurants pour dévorer les spécialités locales, les kushikatsu, brochettes panées de légumes. Le tout dans une ambiance enfumée autant par les cuisines que par les cigarettes des clients. C’est comme si le Japon bordélique et vintage avait élu domicile à Shinsekai. Au pied de la tour, il ne reste plus qu’un cinéma érotique, le dernier de la ville dit-on, qui continue de peindre ses affiches à la main. Un vieux travesti y fait l’accueil avec de faux airs de petite écolière effarouchée. À quelques encablures, dans un entrelacs de ruelles se succèdent des karaokés grands comme des mouchoirs de poche. Les rues piétonnes principales alignent, elles, des arcades de jeux vidéo tous plus vintage les uns que les autres.

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Dans un café de Shinsekai.

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Les jeunes comme les vieux s’y pressent pour une partie de Pac-Man ou de Smart Ball. Pourtant, aucun sentiment de nostalgie ici. C’est comme si ce décor suranné avait résisté à l’épreuve du temps et de la globalisation. Le voyage dans le temps se poursuit chez Madura, un barsalon de thé du quartier d’Umeda niché au sous-sol du petit centre commercial Osaka Thimae Dai-ichi Building. L’endroit n’a pas changé d’un iota depuis son ouverture au début des années 1970 et affiche toujours les mêmes fauteuils en skaï, banquettes rondes, tables basses en Formica, lumières mordorées et paravents miroirs. Le fils du fondateur, qui gère l’endroit, veille à préserver ce décor digne d’un “James Bond – Mission Osaka”. Des retraités en costume et cheveux aux reflets verts, coiffure typique d’Osaka, pénètrent dans le bar, escortés par un serveur travesti. Du décor aux clients, tout participe à donner au lieu une réjouissante ambiance rétro. Un peu plus à l’est, le quartier de Kitashinchi dévoile quant à lui une version contemporaine de la vintage mania. De petites maisons en bois, parmi les rares préservées de la ville (elles avaient été délaissées par les artisans après la guerre), y ont été restaurées et réinvesties par une nouvelle génération. Aujourd’hui, les rues de ce microvillage sont truffées d’échoppes branchées : friperies, bars à jus bio, boutiques de café torréfié, salons de coiffure au design minimal, pâtisseries. Un bar s’est installé dans une de ces maisons en ruine où l’on prend place dans des fauteuils en vieux cuir troués ou sur des coussins à même le plancher en bois. Les jeunes bobos d’Osaka s’y donnent rendez-vous. On sent déjà que demain, d’autres lieux s’ouvriront à la faveur de nouveaux occupants. De manière naturelle, les hipsters migreront un peu plus loin dans un autre quartier, moins cher, un peu plus rebelle, venant encore ajouter d’autres couleurs au puzzle géant et joyeusement dissonant que compose Osaka.

Par MARION VIGNAL Photos CAROL SACHS

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Le marché de Kuromon, dans le quartier de Nipponbashi, réputé pour la fraîcheur de ses poissons et crustacés.

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PARTIR À OSAKA carnet pratique

À votre arrivée Angelo, votre contact privilégié

• Superficie : 223 km² • Population : 2 663 096 (11 980 habitants/km2) • Océan : de la baie d’Osaka au Pacifique • Point culminant : monts Rokkô (931 m)

Grand passionné du Japon, Angelo, notre Like a Friend, travaille dans le tourisme depuis 2009. Installé à Osaka, il est un des premiers Français à s’être intéressé à cette ville encore un peu méconnue. Depuis 2012, il y propose des balades originales, accordant beaucoup d’importance à montrer un Japon moins “carte postale”. Ça tombe bien, pour cela Osaka est la ville idéale pour mieux comprendre les différentes facettes des Japonais.

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lieux

Musée historique Chikatsu Asuka Créé par Tadao Ando sur un site archéologique, le lieu évoque l’histoire et la tradition des kofun, ces structures funéraires japonaises. Une expérience.

L’Église de la lumière L’une des œuvres les plus importantes de Tadao Ando. Visite sur réservation et selon le calendrier imposé par la communauté protestante qui y officie.

Sur place À voir La tour Abeno Harukas. La plate-forme du 60e et dernier étage de la tour la plus haute du Japon (300 mètres de hauteur) et son bar à ciel ouvert offrent une vue spectaculaire sur la ville.

À lire Tadao Ando – Le Défi collectif (beau livre, Flammarion), Le Dernier Shôgun de Ryotaro Shiba (roman, Picquier), Osamu Tezuka – Une vie en manga de Piero Macola (biographie/manga, Pika Édition).

À table Washoku Labo Arata. Trois jeunes chefs surdoués y officient. On s’installe face à eux au comptoir (de seulement douze couverts) pour un menu dégustation de neuf plats, dont une succulente bouillabaisse à la japonaise. Voyage gustatif et exaltant dans la haute gastronomie d’Osaka.

Dormir Hotel The Flag. Idéalement situé dans le quartier de Shinsaibashi, à quelques encablures de la grande avenue Midosuji et du canal de Dôtonbori, ce petit hôtel au design minimal offre des chambres calmes et fonctionnelles.

Shuhari. Les meilleurs soba de la ville sont servies dans ce restaurant de Kitashinchi. La pâte est faite sur place, à la main. Le décor, raffiné, est celui d’une maison traditionnelle. Un délice des sens.

L’année de l’Exposition universelle, organisée pour la deuxième fois à Osaka. Le thème : “Concevoir la société du futur, imaginer notre vie de demain, et ses objectifs”. Vingt-huit millions de visiteurs sont attendus en six mois.

Focus Jinaimachi À Tondabayashi, ce quartier préservé offre le témoignage unique de l’époque Edo. On y compte environ 200 maisons traditionnelles, dont certaines du XVIIe siècle sont encore habitées. En sortant du quartier, impossible de ne pas être surpris par l’étrange PL Peace Tower qui érige son immense silhouette dans le ciel. Cette tour blanche, à l’antithèse du minimalisme poétique d’Ando, appartient à la secte Perfect Liberty, qui honore la mémoire des morts des guerres de toutes les religions. Chaque année, le 1er août, le plus grand feu d’artifice du pays y est tiré.

Inspirations

Shopping Tower Knives Osaka. Au pied de la tour de Tsutenkaku, ce magasingalerie présente le meilleur de la coutellerie japonaise. Les vendeurs y sont d’excellents conseillers.

Le chiffre

Keitakuen garden Un petit bijou de jardin japonais à deux pas de la tour Abeno Harukas, qui reflète sa silhouette dans son étang entre les nénuphars, les cerisiers et les érables…

2025

L’empire du mignon Au programme, de Tokyo à Osaka, en passant par Matsumoto, etc., mangamania et samouraïs pour (re) découvrir le Japon avec des yeux d’enfant. 13 jours à partir de 3 600 € Le Japon impérial, bouddhique et insulaire Des sites et adresses pour vivre la culture japonaise. Monastères, villages de pêcheurs, vous arpenterez entre autres Kyoto et Osaka dans les pas d’expatriés français à la découverte des artisanats du Japon traditionnel. 18 jours à partir de 5 500 €.

Voyageurs du Monde 01 84 17 19 48 Des voyages zéro carbone Les émissions de CO2 générées à chacun de nos voyages sont compensées à 100 % par des projets de reforestation.

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Aux États-Unis, en Géorgie, le Greyfield Inn témoigne d’un certain lifestyle américain. Véritable voyage à travers le temps, cet hôtel cossu distille l’agréable sensation de s’y sentir comme chez soi.

MAISON DE FAMILLE “Bienvenue à la maison !”, lance Mitty Ferguson, le maître des lieux, depuis le ponton du Greyfield Inn. Le voyageur arrive à Cumberland Island après quarante minutes d’une traversée maritime. Le bateau reste l’unique façon d’accéder à l’île depuis le port de Fernandina Beach, en Floride. Le chemin qui mène à la maison qui sera la nôtre ces prochains jours passe sous d’épaisses frondaisons de chênes ancestraux bordés de fougères et de mousses. Au loin, des chevaux sauvages cavalent. Ils sont les descendants des premiers purs-sangs abandonnés au milieu du XVIe siècle par les colons espagnols. Le bond dans le temps s’accélère lorsqu’à l’horizon une belle façade de style colonial annonce notre demeure. Afin de saisir la poésie de ce lieu aux airs de Downton Abbey du Sud américain, un minimum d’histoire et de géographie s’impose. L’île de Cumberland abrite de rares maisons privées disséminées dans une nature préservée. Protégée par son statut de parc national, l’île limite le nombre de visiteurs quotidiens à 300 (à peine plus que ses chevaux). Premier arrêt devant les ruines de Dungeness, réplique d’un château écossais qui fut établi par Thomas Carnegie, l’un des barons de l’acier de Pittsburgh qui, en 1882, acquiert la quasi-totalité de Cumberland. Le Greyfield Inn fut

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Le tableau représente le portrait de Lucy R. Ferguson, qui a hérité de la maison et l’a transformée en Inn en 1962.

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Dans les années 1930, Greyfield recevait la famille et les amis de Lucy, parmi lesquels les Kennedy.

La majorité des fruits, légumes et herbes proviennent du potager bio du domaine. Mitty Ferguson, le maître des lieux, et son épouse Mary.

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d’abord une retraite hivernale construite en 1900 que Carnegie offrit à sa fille Margaret à l’occasion de son mariage avec Oliver Ricketson. Dans les années 1930, Greyfield reçut la famille et les amis de leur fille Lucy et de son époux R.W. Ferguson, parmi lesquels certains membres de la famille Kennedy, tombés eux aussi sous le charme des lieux. (soixante-dix ans plus tard, en 1996, John Fitzgerald Kennedy Jr. , épousera Carolyn Bessette dans une chapelle, au nord de l’île, à l’abri de la presse et des paparazzis). En 1962, les quatre enfants de Lucy l’ont convaincue d’ouvrir les portes de cette demeure en la transformant en hôtel. Aujourd’hui, ce sont ses petits-enfants qui gardent le domaine sur lequel chacun a sa maison. Si Greyfield a connu de légères rénovations, sa structure reste inchangée et l’essentiel du mobilier et des objets de décoration sont là depuis les origines. Guidés par nos hôtes, la sensation d’être accueillis chez des amis de longue date est saisissante. Nous croisons des personnalités plus accueillantes les unes que les autres, voyageurs de passage ou employés.

L’esprit de famille flotte dans toute la maison – du salon, ponctué des portraits des aïeux et rempli de jeux de société et d’objets anciens, à la bibliothèque. Au bar, chacun se sert librement et note ses consommations, respectant un “honor system”. La cuisine, commune, est ouverte à toute heure. Dans les chambres, pas de clés. Le seul rempart est formé par les deux marches qu’il faut gravir pour atteindre son lit. Chaque habitation distille une décoration unique. Dans les salles de bains : des baignoires anciennes sur pieds invitent à y passer des heures. Cuisine de saison, potager bio et fleurs fraîches À l’heure du “sundowner” (un verre au soleil couchant), rendez-vous est pris sous le porche, à l’avant de la maison, pour retrouver les autres membres de cette “famille” recomposée. Le roulis des rockingchairs rythme les conversations. Lorsque la cloche annonce le dîner, ce petit monde rejoint la salle à manger et son imposante table. Christopher, le sommelier, annonce alors le menu du jour, concocté par la géniale cheffe Whitney Otawka (qui sortira son

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La chapelle en bois blanc où s’est marié John Fitzgerakd Kennedy Jr. en 1996.

premier livre de recettes, The Saltwater Table, à l’automne 2019) et son équipe. Une cuisine de saison, qui sublime les produits du potager bio. Grand d’un demi-hectare et entretenu par un jeune couple passionné, il fournit les fleurs fraîches déposées dans chaque pièce, le miel du domaine et la majorité des fruits, légumes et herbes utilisés.

bijoux, des couverts et des accessoires pour la table. À partir de squelettes d’animaux, de bois flotté, de plantes et de coquillages, elle réalise des merveilles. “Ma grand-mère serait fière”, confie Mitty dont le plus grand souhait est de préserver cet esprit “maison de famille”, proche de la nature, sans wifi ni télévision. Le calme et l’harmonie du Greyfield et de l’île attirent régulièrement des artistes venus écrire, peindre, s’inspirer et qui reviennent régulièrement, comme beaucoup d’autres fidèles séduits eux aussi, par un lieu devenu peu à peu leur deuxième maison.

Sans wifi ni télévision Christopher annonce également la carte des activités proposées le lendemain : balades à vélo, parties de pêche, parcours en kayak. Deux naturalistes proposent aussi chaque jour des excursions en pick-up à travers les chemins, les dunes, les marécages, le long de la plage. Au lever du soleil, c’est l’occasion d’admirer les dauphins, de chercher dans le sable dents de requins et oursins plats. Les plus casaniers se dirigent vers la maison de Gogo, la sœur de Mitty Ferguson. Depuis des années, elle s’inspire de la nature pour créer des

Par H É L O Ï S E BR I O N Ph o to s CHRISTOPHE ROUET

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Retour à Lamu

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Serti d’océan Indien et de mangrove, isolé au nord-est du Kenya, l’archipel de Lamu est un bijou qui reflète le passé et l’avenir du pays. Les ruelles en lacis de sa ville pluricentenaire, alternance de murs de corail, de portes finement sculptées et d’ingéniosité architecturale, témoignent de l’extrême richesse de la culture swahilie – qui signifie “peuple de la côte” – et de son ouverture sur le monde. Un dialogue entamé au XIVe siècle avec les civilisations arabes, perses, indiennes, européennes et même chinoises (des fragments de porcelaine Ming seraient encore enfouis dans le sable de Lamu) qui trouve aujourd’hui écho dans l’identité nationale. “Être kenyan, c’est être multiple”, dit l’écrivaine de Nairobi Yvonne Adhiambo Owuor. Un hymne à la tolérance, doublé d’une douceur de vivre, qui dès les années 1960 fait de Lamu une destination chérie par les voyageurs, avant qu’un voile sombre ne soit jeté sur l’archipel. Aujourd’hui, Lamu retrouve la lumière. Face à ses nouveaux défis, elle inspire une exploration inédite, à poursuivre à travers tout le Kenya.

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uspendu au mur, le tirage délavé reflète une vue de la côte prise depuis la mer, au début des années 1960. Perspective identique à celle observée peu avant sur une barque motorisée reliant l’île de Manda, depuis sa piste d’atterrissage arrachée à la mangrove, à celle de Lamu. Sur le cliché, un minaret entouré de quelques cabanes aux toits de palmes surplombe le petit port de Shela. Un long terrain plongeant vers l’eau se distingue lui aussi. C’est ici, qu’un demi-siècle plus tôt, Anne Spoerry fit construire la maison où nous nous trouvons. Unique femme-médecin à intégrer les “Flying Doctors” de l’Amref (première ONG africaine de santé publique), l’ancienne résistante française avait pris l’habitude de poser ici son Piper, l’Alpha Zoulou Tango. Un point de ravitaillement lors de ses campagnes de vaccination menées à travers tout le nord-est du Kenya, pendant trente-cinq ans – Mama Daktari, surnommée ainsi affectueusement par les Kenyans, a piloté jusqu’à sa mort, à l’âge de 80 ans. Aujourd’hui, la maison restaurée par son neveu est devenue la Moon Houses et reçoit les voyageurs. Autour du petit embarcadère, les constructions ont bien poussé…

Enchanteresse et menacée À quelques exceptions près, le village de Shela respecte l’héritage de la ville historique de Lamu, témoin d’architecture et de culture swahilies le mieux préservé de toute l’Afrique orientale, qui baigne encore dans son jus pluricentenaire, à trois kilomètres de là. Version miniature et aseptisée, Shela reprend subtilement les influences arabes, perses, indiennes et européennes qui ont façonné cette escale commerciale majeure sur la route des Indes. Sur une rive escarpée, bordée d’un côté par les dunes sauvages et de l’autre par un chenal abrité de l’océan Indien, se dessine un labyrinthe. Des venelles habillées d’imposants murs de corail soutenant des cascades de bougainvilliers, des façades omanaises blanchies à la chaux relevées de toit en makuti, protégées derrière d’épaisses portes en bois, finement sculptées. À chaque ruelle, un nouveau voyage dans le temps. Ici, un enfant trotte sur son âne chargé de briques – l’animal reste le moyen de transport numéro 1 de l’île, malgré l’apparition récente des motos, qui menacent de faire perdre à Lamu Town sa place au patrimoine mondial de l’Unesco. Là, assis autour du daka (le porche swahili),

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À Sheila, l’influence omanaise se reflète dans l’architecture.

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Depuis sept siècles, la vieille ville de Lamu abrite un mode de vie quasi immuable. Le village balnéaire de Shela, ses ruelles et ses maisons à l’architecture swahilie traditionnelle.

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Pour sauver sa perle rare, la communauté lamusienne se mobilise, avec ses humbles armes, mais sur tous les fronts. Les initiatives privées se multiplient.

Entre sauvegarde patrimoniale et humanitaire Pour sauver sa perle rare, la communauté lamusienne se mobilise, avec ses humbles armes, mais sur tous les fronts. Les initiatives privées se multiplient. La fondation Thune, qui œuvre depuis vingt ans pour préserver le patrimoine swahili de l’archipel, réalise aussi des projets sociaux, notamment la première piscine de Shela réservée aux femmes musulmanes de la communauté. L’association The Flip Flopi a débuté une grande croisade contre le plastique qui jonche l’océan tandis que le Marine Conservation Trust se bat, lui, pour protéger l’habitat des tortues marines menacé par l’activité humaine. À l’inverse, vivre coupé du monde a un prix. Dans l’archipel, nombreux sont les villages reculés qui n’ont accès à aucun soin de santé, particulièrement depuis la désertion des ONG suite à la menace sécuritaire. Trentenaire charismatique née sur l’île voisine de Pate, Umra Omar n’a pas hésité à quitter New York, où elle commençait une carrière humanitaire, pour venir au chevet de Lamu. Son association, les Safari Doctors, permet aujourd’hui d’emmener par bateau une équipe médicale vers ces zones isolées. “Le projet avait été initié par la famille d’Anne Spoerry, mais abandonné après le kidnapping de 2011. Reprendre la mission était pour moi une évidence. Soigner bien sûr, mais aussi éduquer et créer un lien social, telle est l’idée”, explique la jeune femme, assise sur le pont d’un dhow. Celui-là vogue vers une dernière rencontre entre le soleil et l’horizon, emmenant à son bord des touristes, récemment moins frileux à revenir sur les plages immaculées de Shela. Une bonne nouvelle car eux aussi ont un rôle à jouer dans la résurrection de Lamu. Une partition délicate à interpréter sans bouleverser la nature de ce lieu à part. “Lorsque j’ai débarqué en 2004, les moteurs étaient rares, témoigne une habitante. Aujourd’hui nous sommes rattrapés par le rythme occidental, il faut répondre aux mails dans l’heure, la 4G passe partout. À moto,

six anciens disputent une partie de dominos, plus loin deux femmes passent, leurs voiles fuchsia emportés par le vent. La sérénité flotte de nouveau sur Lamu. Aube nouvelle pour une île enfin sortie d’une nuit obscure et interminable entamée à l’automne 2011. Ce soir-là, Marie Dedieu, sexagénaire française qui depuis quinze ans passe ses hivers sur Manda, dans sa maison face à Shela, est kidnappée par le groupe djihadiste somalien des Shebab. Sa tragique disparition s’ajoute à celle d’un touriste britannique quelques semaines plus tôt sur la côte, et porte un coup fatal à la région. Du jour au lendemain, plus un visiteur ne met le pied à Lamu. Suivant les recommandations officielles, les propriétaires européens déguerpissent eux aussi. En 2014, d’autres actes terroristes frappent, à 120 kilomètres de là, mais suite à un changement constitutionnel, l’ensemble du comté s’appelle désormais Lamu. “Les médias parlaient de terrorisme à Lamu, et l’opinion comprenait l’île de Lamu, même si cela n’avait rien à voir !”, regrette Nina Chauvel, parisienne expatriée depuis quinze ans. S’ensuit une longue traversée du désert pour un archipel qui vit à 80 % du tourisme. Le gouvernement lui tourne le dos préférant miser sur l’enjeu politique, au risque de voir disparaître un patrimoine historique qui n’a plus les moyens de ses restaurations. Pire, depuis 2015, Nairobi projette d’implanter à dix kilomètres au nord de l’île, l’un des plus grands terminaux pétroliers d’Afrique de l’Est, le Lapsset Corridor. Destiné à accueillir, d’ici une dizaine d’années, 17 millions de tonnes de marchandises, mais aussi trois aéroports, trois villes, une autoroute et une ligne ferroviaire. L’épée de Damoclès écologique et sociale porte ses premiers coups à la mangrove et la voix des Shebab pourrait trouver écho chez les jeunes pêcheurs privés de ressources.

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Lamu Town n’est plus qu’à cinq minutes de Shela. C’est pourtant tellement plus agréable d’y aller en bateau, cela permet de se rencontrer, de discuter”, poursuit-elle. Maman de deux enfants, elle préfère vivre en face, sur Manda, où électricité et eau courante viennent à peine d’apparaître.

“Les artistes adorent Lamu. C’est une île enchantée qui invite à la création”, se réjouissait dans le Wall Street Journal (2015) le galeriste londonien Nicholas Logsdail, à la tête de la Lisson Gallery de Londres. Tombé sous le charme de Lamu en 2002, ce dénicheur de talents acquiert dans la vieille ville un ancien palais du XVIIIe siècle puis, quelques années plus tard, une usine d’huile de palme à l’abandon, qu’il rénove dans un esprit minimaliste. The Factory devient alors une résidence artistique, oasis contemporaine en pleine ville historique, où Anish Kapoor vient peindre une série de gouaches et Marina Abramovic filmer, un mois durant, ses confidences à un âne… “J’ai découvert à Lamu un autre espace- temps”, confiait alors la performeuse serbe. Délire artistique qui fait sens sur cette terre swahilie où il est coutume de dire : “Un homme sans âne est un âne lui-même.” Dans l’un des ateliers, le Kenyan Richard Onyango a quant à lui laissé une toile qui illustre le cauchemar d’un futur Lamu surpeuplé, traversé de tankers et de quatrevoies. Une mise en garde terriblement belle qui invite à veiller sur cette île parchemin.

Une oasis où vivre et créer Depuis sa fondation, l’île accueille les visiteurs et cultive un islam modéré. Burqas et rastas se côtoient, l’homosexualité est tolérée quand ailleurs le pays la condamne. Tolérante, Lamu répondait déjà dans les années 1970 aux aspirations d’une foule hippie en quête d’un “Katmandou africain”. Vingt ans plus tard, ce fut au tour des familles princières, des grands entrepreneurs, des artistes et autres célébrités de trouver ici leur nirvana. Certains se contentèrent d’y vivre une parenthèse loin des regards, d’autres choisirent de bâtir leur jardin secret derrière des murs épais. Des cocons de tranquillité et de style, qui réinterprètent la maison traditionnelle swahilie – un design ingénieux optimisant la circulation de l’air et privilégiant l’intimité – en l’adaptant au mode de vie contemporain. Dans la cour intérieure s’invite une piscine, les chambres grimpent d’un étage pour profiter de la vue, les terrasses réservent des cachettes où paresser et créer.

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Dans le petit port de Sheila, les barques à moteur ont fait leur apparition il y a seulement vingt ans.

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Les crêtes du mont Kenya, omniprésentes depuis chaque pièce de l’Arijiju.

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De Lamu à la brousse

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ur les plaines de Laikipia, Arijiju Retreat se fond avec discrétion dans le décor de la réserve de Borana. Ou comment sublimer l’art du vivre caché. Le chemin descend à travers les hautes herbes et les jeunes acacias, lorsque le regard est aimanté à l’horizon. Surplombant un patchwork de forêts et de plaines blondes, le double pic du mont Kenya se dresse, plâtré de neige fraîche. Magie africaine. Au premier plan, à dix mètres à peine, apparaît alors une autre vision tapie dans la brousse. Un fort carré, enfoui dans le flanc de la colline à qui il doit son nom : Arijiju. La concrétisation d’un rêve d’enfance, celui d’un Anglo-Nigérien discret et investi dans les énergies renouvelables, qui a trouvé dans la réserve de Borana – considérée par de nombreux experts comme le Masai Mara d’il y a trente ans –

l’emplacement idéal d’une maison de famille. Retraite pour les siens, et d’autres qui peuvent désormais louer (uniquement dans sa totalité) ce bijou, ce lieu “off grid” (hors réseau) est né après trois longues années passées à scruter le terrain, la lumière, le vent et la faune. Un vœu d’invisibilité qui concorde avec le mantra du sanctuaire où paissent les derniers rhinocéros noirs d’un pays qui, à condition d’une taxe conséquente destinée à la protection animale, a accordé droit de sol à cinq lodges, dont cet ovni. Harmonie infinie Passé une lourde porte de bois, soudain l’Afrique s’efface. Elle cède la place à un cloître bordant un jardin provençal. Parfum de jasmin et roses blanches, buissons de romarin et d’origan, zinzin des butineuses

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autour des lavandes. Le cœur végétal serti d’eau est encadré d’une galerie voûtée, directement inspirée par l’abbaye du Thoronet, édifice cistercien bâti dans le Var au XIIe siècle. La configuration semi-enterrée évoque quant à elle les églises éthiopiennes de Lalibela, miracles taillés à la même époque et restés ignorés de l’Occident quatre siècles durant. Trésor caché, L’Arijiju est ouvert sur le monde par de monumentales verrières qui reflètent des mirages de brousse. À l’intérieur, une harmonie infinie. Équilibre entre la rusticité d’une table massive du Congo et la finesse d’un lustre de Jaipur. Quatorze anges gardiens veillent sur la sérénité de leurs hôtes. En cuisine, rien qui ne soit pas préparé maison : pâtes fraîches, smoothie et houmous (à partir des fruits et légumes du jardin), pain cuit à la demande, orné d’un brin de romarin – le sens du beau dans les moindres détails. À l’ouest, la maison fait l’éloge de la paresse, sur les daybeds de Lamu, sous un olivier noueux, et au bord d’une piscine débordant dans le ciel, sirotée à l’occasion par les

éléphants. Au spa, des mains de fées préparent des soins à base de fruits, de sels himalayens et d’huiles essentielles locales. Elles prodiguent des massages profonds inspirés de techniques massaï et samburu. Tout semble flotter en silence dans le parfum des fleurs fraîches et chacun adopte la démarche chaloupée des girafes qui passent au loin. Plus rien ne sert de courir. Enfin, les cinq “cellules” récitent sous d’immenses nefs les louanges d’un confort divin baigné de la lumière de l’Afrique. Malles-armoires en cuir d’Inde, baignoire anglaise en cuivre, cheminée crépitante. Une retraite de damné, regagnée chaque soir sous l’immense voûte céleste, définitivement vouée, elle aussi, à l’Arijiju.

Par BAP TISTE BRIAND Photos OLIVIER ROMANO

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PARTIR AU KENYA carnet pratique

À votre arrivée

• Superficie : 580 367 km² • Population : 41 800 000 (72,02 habitants/km2) • Côtes : 536 km • Océan : Indien • Point culminant : mont Kenya (5 199 m)

Bainito, votre contact privilégié Basé à Nairobi, sa ville natale, Bainito assure notre service conciergerie au Kenya. Francophone (un atout rare dans son pays), intuitif, ultra-réactif, le jeune trentenaire trouve des solutions in situ : envie de visiter une maison privée à Lamu, de connaître le dernier rooftop de Nairobi… ? Un “Allô, Bainito” suffit. Joignable 24/7, via l’application Voyageurs du Monde.

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lieux

Fort de Shela À L’entrée du chenal, les dunes plongent dans l’océan. Le fort, demeure privée d’inspiration omanaise, a été construit là par Claudio Modola… en 2003.

Pate Island L’île garde les premiers vestiges de civilisation de la région. Parmi les plus marquants, le fort en corail de Siyu, un village longtemps plus peuplé que Lamu.

Sur place À voir Résidences d’artistes. La vieille ville de Lamu abrite plusieurs lieux de création réservés aux artistes (Voyageurs du Monde vous en ouvre les portes). Outre The Factory de Nicholas Logsdail, il faut découvrir la Saba Artist Residency de l’architecte kenyan Moran Munyuthe. À faire Lamu Town. Ses ruelles sont un voyage dans le temps swahili. Aux côtés d’un spécialiste, il est possible de visiter certaines maisons vernaculaires. Dormir Hôtel Peponi. Une institution sur la plage de Shela. Sa terrasse est un point de ralliement, son restaurant l’un des plus fins de l’île, et ses 28 chambres des bulles de sérénité.

Swahili House Museum Cette maison du XVIIIe restitue l’architecture intérieure swahilie traditionnelle. Meubles et objets artisanaux d’époque y sont exposés.

Focus Des edens à louer Lamu house. Belle alternative pour vivre dans l’authenticité de la vieille ville. Une maison traditionnelle swahilie revisitée en havre moderne. Shopping Aman. À Shela. Caftans kenyans et indiens, bijoux massai… : la boutique de Sandy Bornman se visite aussi pour la beauté du lieu et la rencontre avec une figure discrète de l’île. À lire Celle qui plante les arbres de Wangari Maathai (autobio, Éd. Héloïse d’Ormesson), Les Séismes du Rift de Bruno Meyerfeld (récit, Éd. Nevicata), Kilianna Song de Benjamin Flao (BD, Futuropolis), Là où meurent les rêvent de Mukoma Wa Ngugi (polar, Éd. de l’Aube).

Le chiffre C’est le nombre de vols hebdomadaires entre Paris et le Kenya. Au départ de l’aéroport Charles-deGaulle : 10 vols sont assurés (3 par Air France et 7 par Kenya Airways). À noter qu’à partir du 31 mars 2019, Air France effectuera 2 vols supplémentaires. Pour Nairobi, les vols directs sont quotidiens.

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Shela collectionne les belles villas, propriétés d’expatriés (dont de nombreux Français) très souvent disponibles à la location. Havres confortables, elles s’inspirent de l’architecture swahilie, reprenant certains éléments clés tels le daka (espace de réception) et le zidaka (mur de niches décoratives) et utilisant les matériaux locaux – bois de mangrove, niru (béton lissé). Salon ouvert, terrasse surplombant la mer, jardin et piscine complètent le cadre. Cuisine, ménage, gardiennage sont généralement proposés. Une belle façon de vivre Lamu en famille, entre amis et en toute autonomie. Réservation via Voyageurs du Monde

Inspirations

Lamu & Laikipia Voyageurs du Monde propose de réunir en un voyage, trois nouveaux visages du Kenya. Loin des classiques. Après un Nairobi arty, cap sur la région de Laikipia et la bulle de l’Arijiju en privatisation totale (cinq chambres). Lamu marque un dernier volet à la fois culturel et idyllique. 10 jours à partir de 8 900 €

Safaris et plages Le Kenya est un fantastique terrain de safaris, sinon le plus beau d’Afrique. Les parcs de Samburu, d’Amboseli et de Tsavo en sont la preuve. Avec, au bout de la piste, les plages de Diani et en ouverture Nairobi, le voyage sera complet… 14 jours à partir de 5 500 € Voyageurs du Monde 01 86 95 65 68 Kenya Airways dessert plus de quarante destinations vers l’Afrique et l’océan Indien. Membre de l’Alliance Skyteam, la compagnie propose plusieurs services de l’alliance (SkyPriority…) et un programme de fidélité commun (Flying Blue).

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Le Nairobi de Katungulu Mwendwa, créatrice de mode À 30 ans, elle fait partie de la nouvelle garde des créatrices kenyanes. Son surnom, Katush, est aussi celui de sa marque, fondée en 2012. Une mode punchy qui reflète le visage d’une capitale en plein mouvement. Interview coup de vent.

Nairobi est-elle un nouveau hub de créativité ? L’intérêt pour l’art, la mode, la musique et le cinéma africains est croissant. Même si la distinction régionale demandera encore du temps… À Nairobi, s’expriment des talents qui sont passés par l’étranger avant de revenir aux sources. Je pense à la réalisatrice de Rafiki, Wanuri Kahiu, ou à l’artiste Michael Soi qui confrontent la société kenyane à ses archaïsmes.

Comment définir votre travail ? Quelles sont encore les limites à l’expression artistique kenyane ? Mes créations s’inspirent de différentes cultures africaines et de souvenirs d’enfance, réinterprétés à travers mes expériences à l’étranger. Notre créativité n’a qu’une limite : sa visibilité. Mais les choses changent. En mode, la notoriété du duo 2ManySiblings, distribué en Angleterre, ou le concept-store Made in Kenya, qui représente une centaine de marques, mettent en valeur notre travail.

Qu’est-ce qui caractérise le “made in Kenya” ? Les Kenyans sont très attachés à la qualité, à la durabilité. Le pays n’a jamais connu de production de masse. Créer de manière locale et responsable est une démarche naturelle. Le triptyque “créativité, héritage et responsabilité” donne naissance à des lieux alternatifs comme The Alchemist ou le Goat Social Club, café-galerie de l’artiste Fitsum Berhe, du pur Nairobi !

Adresses • Katush / katungulumwendwa.com • Made in Kenya / madeinkenya.co.ke • The Alchimist / alchemist254.com • The Goat Social Club / the-goat-social-club.business.site

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VOYAGE IMMOBILE The Agoraphobic Traveller

Grâce à Google Street View, Jacqui Kenny, agoraphobe, photographie le monde sans sortir de chez elle. Ses Street View Portraits révèlent des scènes empreintes d’une étrange mélancolie. Pérou, Russie, Sénégal, Émirats arabes unis, Kirghizstan : Jacqui Kenny photographie les endroits les plus reculés de la planète… depuis son salon. Agoraphobe, elle a découvert en se baladant virtuellement sur Google Street View le moyen détourné d’exprimer son talent en barrant la route à ses angoisses. Les personnes agoraphobes ont une peur démesurée des endroits publics, des foules… Ils craignent les lieux où ils ne se sentent pas en sécurité et dont ils ne pourraient s’échapper facilement. Diagnostiquée à 20 ans, cette quarantenaire néo-zélandaise installée à Londres est parvenue par deux fois à prendre l’avion. La première, après une longue thérapie, pour assister au mariage de sa sœur dans son pays natal, la seconde en 2017 à destination de New York où une galerie de Soho exposait son travail. Une mise en lumière inattendue pour l’Agoraphobic Traveller et ses Street View Portraits, nom de son compte Instagram suivi par plus de 100 000 personnes. De ses voyages imaginaires, l’artiste tire des clichés poétiques. “J’adore cette vue à 360° qui offre des perspectives assez irréelles et une approche cinématographique. J’y retrouve ma vision du monde. Les grands espaces y sont propices… La lumière étant un critère essentiel, je m’intéresse à des zones aux températures extrêmes”, raconte-t-elle. Une quête méthodique de scènes insolites nourrie de hasard – des “gemmes” qui nécessitent parfois des semaines d’errance virtuelle. Si l’auteur ne se considère pas photographe, elle affirme par le choix de ses captures, des jeux de couleurs, de symétrie et d’ombres, un œil bien particulier. Une démarche artistique grâce à laquelle Jacqui Kenny repousse ses propres limites : “Le soutien reçu du monde entier m’aide beaucoup”, confie celle qui cède la modeste recette de ses ventes à une fondation de recherches comportementales. La suite de cette thérapie par l’art se profile : un projet entre film et photos pour lequel l’artiste agoraphobe pourrait bien avoir à voyager de nouveau.

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États-Unis Cact us

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Sénégal Lad i e s Out si d e M o sque

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Kirghizstan W hi t e H o rse

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Kirghizstan M o bi le H o me

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Mexique Ye llo w Wall

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Émirats arabes unis Syncro ni se d Came ls

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États-Unis Gas St at i o n

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Pérou Empt y Playg round

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Toutes les images © Google/Created by Jacqui Kenny

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États-Unis Building Shadow

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Oublié pendant vingt ans, le lac Balaton a retrouvé ses voiliers et ses baigneurs à bonnets. Une Hongrie doucement vintage et décalée.

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L’

autoroute M7 n’est pas mauvaise. On la quitte à la hauteur de Balatonaliga, en direction de Balatonfüred. La route 71 longe le nord du lac, jusqu’à Keszthely et Balatonszentgyörgy. Là-bas, à deux heures de route au sud-ouest de Budapest, tout est “Balaton quelque-chose”. Le voyageur ne peut ignorer où il se trouve. Étrangement, car longtemps durant le trajet, il ne voit que des rideaux de peupliers, d’acacias et de saules. Pourtant, non loin de Balatonfüred, un pli de terrain et une échancrure dans la végétation révèlent soudain un large à-plat d’eau scintillant. Puis, de nouveau, le paravent d’arbres. Si on ne séjourne pas dans la “capitale” régionale, où l’on trouve des hôtels Flamingó comme en Floride, on peut ne plus jamais voir le lac. D’une superficie de 596 kilomètres carrés, sa discrétion étonne.

Nous poursuivons jusqu’à l’apparition d’un fort relief et du panneau indiquant Tihany. De façon subreptice et discontinue, l’eau s’insinue aux abords de la chaussée, où stationnent locomotive, missile, voilier. Nous nous arrêtons à Zánka, porte du bassin de Káli, à peu près au mitan de la côte nord. La rue principale du village conduit soit à la plage, soit à l’église posée sur la colline. La rive septentrionale du lac Balaton est bordée de quelques coteaux qui le séparent de deux dépressions aplanies, Káli-medence et Pécselyi-medence. Les Romains ont les premiers planté des vignes sur ces levées. Puis, le village a dégringolé vers le lac. Une disposition commune dans le secteur. La rue aboutit à un banc sous un platane, face à la nappe liquide. Sur le pourtour, c’est un embarcadère, ou un ponton, qui plante précautionneusement quelques pilotis et

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On pénètre sur la plage via un tourniquet métallique, comme dans le métro. semble mener à l’infiniment peu profond – trois mètres en moyenne. Et l’on voit bien souvent les baigneurs indécis, qui ont pied longtemps, restés à quelques encablures du bord, émergeant à moitié. Glacières, toboggans et guitounes à lángos On pénètre sur la plage via un tourniquet métallique, comme dans le métro. Au printemps ou en automne, l’accès est libre. L’été, face à la forte affluence, il en coûte quelques deniers. Le sable est du gazon. De grands arbres fournissent l’ombre. Les Hongrois viennent ici en solo, à deux, en bande ou en famille. Ici, nulle contrainte d’apparence : corps bodybuildés, tatoués, filiformes ou plus rebondis et à l’adiposité paisible se côtoient. Les enfants courent autour des glacières quand ils ne profitent pas des toboggans. Cabines, douches, bancs, transats…, l’équipement est discret mais fonctionnel. Buvettes, restaurants, guitounes à lángos (petits pains en forme de galette cuits dans l’huile) assurent l’inten-

dance. Lorsque les baigneurs sont partis, les pêcheurs s’installent. Une fois l’appât placé et la canne fixée à l’horizontale, ils semblent entrer en méditation. À la dernière heure du jour, lorsque le ciel et l’eau font varier indéfiniment toutes les nuances de bleu, les pêcheurs aussi se parent d’azur, devenant diaphanes. Les radios éteintes, le silence lui-même bleuit, seulement souligné par le frisson des roselières. Il est grand temps d’aller se sustenter et de goûter le poisson local (d’élevage, car les prises qui sont faites dans le lac ne peuvent être commercialisées), arrosé d’un Fröccs, rafraîchissant mélange de vin et d’eau gazeuse en proportions variables. Pour voir de haut l’aluminium étincelant du lac, on part pour Csopak, à l’est de Balatonfüred. On s’installe sur la terrasse du domaine Jásdi, au milieu des ceps, où l’on se délecte de vins exprimant les bigarrures du sol avec cohérence et finesse. La tectonique a donné naissance au Plattensee (Balaton en allemand), elle a aussi fait le lit du vin. Au lever du soleil, la péninsule de Tihany

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ressemble à un roller coaster plongeant dans le lac. On randonne dans le parc national – les sentiers et les points de vue sont réjouissants. Dans sa partie ancienne, le village de Tihany possède de jolies maisons traditionnelles, vouées au commerce de la lavande et de tout ce dont l’artisanat local entend séduire les voyageurs. Son abbaye bénédictine met un baroque triomphal au service de la mémoire hongroise. Au parapet du jardin, on perd ses forints (la devise hongroise) à ne voir que du bleu dans les longues-vues.

Lujza et les grandes villas de la rue Honved témoignent du passage de ces élégants. Un peu plus bas, on déambule bourgeoisement sous les arbres de la promenade Tagore. Parmi les nombreuses statues célébrant des illustres, celle de Sandor Korösi Csoma (1784-1842), linguiste et fondateur de la tibétologie, regarde avec attention les pédalos dauphins multicolores qui dodelinent à l’amarre. De jeunes mariés posent pour des photos. Un accordéoniste joue des csárdás (airs traditionnels pour la danse de couple, à deux ou quatre temps) un peu asthmatiques. Dans la marina, les gréements claquent clair et métallique. De petits bateaux à ponts couverts emportent les touristes pendant que les voiliers processionnent le long de la côte de Tihany, bientôt simples esquilles pâles dans la brume de chaleur. Selon le photographe britannique Martin Parr, auteur entre autres de Life’s a Beach, un livre-objet sorti en 2012 : “On peut en apprendre énormément sur un pays en regardant ses plages…” Le lac Balaton ne fait pas exception.

S’étourdir d’odeurs et de lumières Plus dans les terres, au nord-ouest de Zánka, le site basaltique Hegyestu, à Monoszló, fait belvédère sur la campagne arlequinée du bassin de Káli. Il suffit de suivre les petites routes, de village en village, pour s’étourdir des odeurs et des lumières clignotantes d’une ravissante contrée. Les églises dressent leurs clochers blancs sur le moutonnement vert des forêts et des prés, envahis de coquelicots ou peuplés d’animaux. Longues ondulations du paysage. Des buttes très érodées ponctuent la plaine. Pour finir le voyage, un retour à Balatonfüred s’impose. À la Belle Époque, la double monarchie y venait en cures thermales pour soigner ses affections cardiaques, s’y ventiler et promener ses uniformes et ses robes à tournure. Les beaux édifices néoclassiques de la rue Blaha

Par EMMANUEL BOU TAN Photos FLORENCE JOUBERT

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PARTIR AU LAC BALATON carnet pratique

À votre arrivée

• Superficie Hongrie : 93 028 km² • Population : 9 850 845 (106 habitants/km2) • Pays frontaliers : 7 (Roumanie, Croatie, Slovaquie, Slovénie, Autriche, Ukraine, Serbie) • Monnaie : le forint

Péter et Julien, vos contacts privilégiés Péter est hongrois d’origine, francophone de cœur. Julien, lui, a quitté sa France natale pour s’installer à Budapest. À eux deux, ils ont développé un solide carnet d’adresses. À l’écoute des envies de chacun, ils partagent les meilleures tables, dénichent des billets pour les bains, réservent une croisière privée sur le Balaton, vous font découvrir les sites géologiques du bassin de Kali, rencontrer pêcheurs ou viticulteurs…

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lieux

La péninsule de Tihany Sorte de microcosme hasardé dans le lac, à la fois témoin de l’histoire et espace ouvert aux randonneurs et aux VTT, elle synthétise la Hongrie.

Veszprém Les reines y coiffaient couronne, ce qui donnait un certain standing à la ville. Aussi, lorsqu’il s’est agi de la “baroquiser”, ont-ils fait les choses de façon soignée.

Sur place À table Jasdi Borterasz. À Csopak. On y déguste, sous les roses du jardin, des vins élégants qui inspirent des conversations en français sur le monde comme il va, et le vélo. Neked Föztem. À Zanka. Ce petit restaurant plein de charme réunit d’abord les gens du coin. Les autres profitent facilement des agréments de la carte… Baricska Csarda. À Balatonfüred. Pour déjeuner de poisson frais, arrosé de vin des coteaux environnants, sur une terrasse ventilée, c’est ici ! À voir Vaszary Villa. Dans le quartier Belle Époque de Balatonfüred. Il s’agit de l’ancienne résidence

Le chiffre En kilomètres carrés, c’est la superficie du lac Balaton. Plus étendu que Budapest (525 km2), il est aussi le plus grand lac d’Europe centrale.

Dörgicse La partie ancienne du village, avec ses maisons aux toits de chaume et ses clos fleuris, évoque le Balaton d’avant les bains.

Focus Les vins du Balaton d’un prince de l’Église, qui accueille expositions et manifestations culturelles. Le café installé dans le jardin fait une halte délicieuse après une promenade au bord du lac. À faire Les plages. Le sud du Balaton est aménagé pour le balnéaire en grand, desservi par l’autoroute. Les plages gazonnées du nord, égrenées le long de la route 71, sont plus petites et discrètes, elles ont gardé un caractère “entre-soi” et un horizon lacustre serein. L’été, une obole est demandée aux baigneurs. À lire Le Mendiant de la beauté de Jozsef Attila (poésie, Éd. Le Temps des cerises), Les Braises de Márai Sándor (roman, Éd. LGF), La Porte de Magda Szabó (roman, Éd. LGF).

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Dans le Haut-Balaton, il y a de jolis vins, que l’on boit dans les auberges et dans les caves. Il est bon et c’est tout ce qu’on lui demande. Ce n’est pas toujours le même, ce qui est bien agréable. Les vignerons en sont fiers et vous le versent gaillardement. Ils connaissent leur métier. On se perd rapidement dans les cépages et les types de sols, mais les bouteilles vous rappellent qu’il est question de boire avant de savoir. Ceux qui y tiennent vraiment potasseront, les autres iront directement au plaisir. Et à la conversation qui va avec.

Inspirations

La Hongrie au fil de l'eau De Budapest au lac Balaton, des adresses en phase avec la sensibilité de l'époque : néo-rococo et rooftop à Budapest, esprit champêtre chic au milieu des vignes. Visites privées de Buda et de Pest, et balades gourmandes autour du lac. 7 jours à partir de 1 900 €

L’Europe centrale en 3 temps Budapest, Vienne et Prague sont les anciennes capitales de l’Empire austro-hongrois. Dotées d’un patrimoine culturel et artistique unique, elles dégagent une atmosphère aussi poétique que festive. Et la gastronomie y est un vrai melting-pot culinaire… 8 jours à partir de 1 600 € Voyageurs du Monde 01 55 42 78 42 Des voyages zéro carbone Les émissions de CO2 générées à chacun de nos voyages sont compensées à 100 % par des projets de reforestation.

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CHIANG MAI EXPRESS

Déjà hype, la ville de la slow life se fait hub d’art contemporain et ne cesse d’aimanter. Vacance est allé passer vingt-quatre heures dans l’incontournable de Thaïlande. Loin de la vieille ville, de ses rues saturées de backpackers, de tuk-tuks et de salons de massages cheap, la rue Nimmanhaemin (dites “Nimman”) se déploie – comme partout en Thaïlande – en un labyrinthe de “soi” (“couper en fines tranches”, en thaï). Ses ruelles abondent en galeries d’art et cafés à baristas. Dans ce quartier récent, Chiang Mai se réinvente et attire les hipsters qui, sur leurs fixies ou en scooters, slaloment entre les badauds et quelques moines en robes orange se dirigeant vers les temples situés à l’extérieur de Nimman.

Les artistes thaïlandais, tels le réalisateur Apichatpong Weerasethakul, né à Bangkok et grandi à Khon Kaen (Palme d’or 2010 pour Oncle Boonmee…), ou le plasticien local Navin Rawanchaikul, la plébiscitent. Tout comme les digital nomads, créatifs américains, australiens et européens qui la choisissent pour ses loyers abordables, sa qualité de vie, ses montagnes, sa jungle tropicale et la qualité de sa connexion internet… L’université prestigieuse, les écoles de design et d’architecture, et, depuis 2014, la Design Week, ajoutent à son attraction et insufflent une énergie nouvelle à la ville.

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9h

11 h

Petit-déj arty et…

… expo au MAIIAM

Bowl de riz noir, quinoa, légumes braisés, roquette et avocat servis dans de belles pièces de céramiques réalisées par des artisans de la région : SS1254372 Cafe & Gallery Seescape est notre adresse préférée pour un petit-déjeuner (ou un brunch) frais, coloré et savoureux. C’est aussi une galerie fondée par le plasticien Torlarp Larpjaroensook, dont la programmation est assurée par le Français Sébastien Tayac, observateur de la scène d’art contemporain en Thaïlande depuis plus de quinze ans, qui enseigne en thaï à la faculté des beaux-arts de l’université de Chiang Mai.

De nombreux artistes thaïlandais de renommée mondiale, vus au Palais de Tokyo ou au Guggenheim, vivent à Chiang Mai, et l’ouverture du MAIIAM, en juillet 2016, leur a donné une plus grande visibilité dans leur pays. Fondé par l’antiquaire français JeanMichel Beurdeley, son épouse Patsri Bunnag, aujourd’hui disparue, et leur fils Eric Bunnag Booth, le MAIIAM est la toute première vitrine exclusive de l’art contemporain thaïlandais. Dans d’anciens entrepôts du district de San Kamphaeng, à dix kilomètres du centre de Chiang Mai, 3 000 mètres carrés sont dédiés à la collection privée des Bunnag-Beurdeley, constituée depuis plus de trente ans (avec notamment des œuvres de Montien Boonma ou Pinaree Sanpitak). Alors, on s’échappe un moment de Nimman pour aller admirer, entre autres, la monumentale toile de Navin Rawanchaikul, Super(M)Art Bangkok Survivor, 260 x 1 140 cm de délire pop – une foule de bouddhas armés de AK47, de moines tatoués –, qui se déploie en triptyque, telle l’œuvre d’un Jérôme Bosch du XXIe siècle.

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13 h Une pause à la villa Mahabhirom Quatorze maisons de bois centenaires, acheminées pièce par pièce du centre de la Thaïlande et reconstituées à l’identique, dans Chiang Mai. À l’écart des foules et non loin du temple Wat Umong, ce lieu hors du temps et confidentiel est né de la passion de trois amis thaïs, collectionneurs de maisons traditionnelles. Les trois partenaires ont mis sept ans pour réaliser ce projet de rêve qui mêle l’essence de l’habitat traditionnel thaï aux standards d’un hôtel de charme.

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15 h

22 h

Du design à shopper

Un cocktail sacré

Céramique, soie, coton… À Chiang Mai, l’artisanat est de tradition ancienne. La ville a toujours été un véritable laboratoire créatif. Aujourd’hui plus encore, avec l’arrivée de nouveaux designers audacieux qui font twister les savoir-faire. Ateliers et showrooms se succèdent alliant fabrication traditionnelle et lignes contemporaines. Le Daily Craft, concept-store du TCDC (Thailand Creative and Design Centre), tel un salon imaginaire, propose une sélection pointue.

Après un riz gluant, un saï ouaa bien pimenté et un savoureux khao soi, on grimpe au bar de l’hôtel Akyra pour siroter un cocktail. Au loin, on peut apercevoir la montagne sacrée Doi Suthep, en songeant que demain, peut-être, on gravira les 306 marches qui mènent au Wat Phra Phat Kaew. Par MARION OSMONT

17 h Atelier céramique Jirawong Wongtrangan a étudié pendant quatre ans la céramique et la gravure à Chiang Mai, avant d’y ouvrir son studio, In Clay. Ses réalisations raffinées, distinguées lors des deux dernières Design Week, sont identifiables, entre autres, par son utilisation d’une technique de poterie japonaise : le nerikomi. Son atelier est installé dans le jardin attenant à sa maison, au bout d’une allée pierreuse. Il y accueille débutants ou initiés, qu’il forme à son art avec la même passion.

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PARTIR À CHIANG MAI carnet pratique

À votre arrivée Nalinee, votre contact privilégié Nalinee est née à Bangkok et a grandi à Lampang (à environ 90 km de Chiang Mai). Après des études en science politique à Aix-en-Provence, elle reste une dizaine d’années en France. En 2016, elle s’installe à Chiang Mai, et est nommée rédactrice en chef de la Design Week. Les derniers showrooms, les artistes et les artisans : Nalinee vous accueille et partage avec vous son carnet d’adresses.

Sur place À table Ristr8o Lab. Ici, les latte valent ceux des meilleurs baristas de Sydney. Normal, le propriétaire, Arnon “Tong” Thitiprasert, a perfectionné sa technique en Australie. Shopping Rubber Killer Store. Écoresponsable, le designer Saroengrong Wong-Savun recycle les chambres à air pour en faire des pièces de bagagerie uniques. À lire Au royaume de l’éléphant blanc de Bock Charles (récit, Éd. Olizane), Tickets to Thaïlande de Walter Gaspard (beau livre, Éd. de la Martinière), Le Crime de Martiya Van Der Leun de Mischa Berlinski (roman, Éd. Albin Michel).

Inspirations Thaïlande essentielle Bangkok effervescente, Chiang Mai arty, et Krabi confidentielle : adopter la Thaïlande en trois temps. Avec cours de cuisine inclus. 13 jours à partir de 3 600 € Tête-à-tête et sérénité Chiang Mai, Bangkok, Andaman : cultiver l’art du lâcher-prise en adresses intimistes, des montagnes du nord aux plages du sud… 15 jours à partir de 4 500 € Voyageurs du Monde 01 84 17 19 47 Des voyages zéro carbone Les émissions de CO2 générées à chacun de nos voyages sont compensées à 100 % par des projets de reforestation.

L’une des quatorze maisons de la villa Mahabhirom.

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Elles sont douze, entre 70 et 90 ans, à avoir tricoté tout l’été. Ici Agneza, née à Tinos en 1929.

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Les yayas de Tinos

La marque marseillaise Atelier Bartavelle poursuit sa ligne créative engagée et durable. Pour valoriser le savoir-faire artisanal en Méditerranée, elle a demandé aux grands-mères de l’île de Tinos de tricoter des pulls. Une aventure humaine précieuse.

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S

a Vespa file sur une route de campagne qui embaume la myrte. Sur fond d’Égée, elle slalome entre les pigeonniers blanchis à la chaux et vise le cœur de Chora, cheflieu de Tinos, île discrète des Cyclades. Boucles auburn au vent, Caroline Perdrix sillonne les ruelles aux dalles de marbre, passe sous l’église orthodoxe de Panagía Evangelístria, traverse l’avenue Megalochari. Elle se gare devant la poissonnerie et salue Markos, le pélican domestiqué, qui en sort, le pas chaloupé et heureux. Comme tous les jours depuis un mois, après un premier bain, une virée au marché et un pique-nique improvisé, la jeune styliste marseillaise rejoint le café Kapi où l’attendent “ses” grands-mères – les “yayas” comme on les appelle ici. Aux yeux de Caroline, cofondatrice d’Atelier Bartavelle, c’est un jour important : le point final de trente jours de tricotage et d’échanges, la concrétisation d’un projet créatif tissé de beaux sentiments. Avec son associée Alexia Tronel, consultante en développement durable, elles ont convaincu une quinzaine de yayas de reprendre les aiguilles, malgré la chaleur de l’été. Objectif : créer douze pulls à l’âme solaire, des pièces

uniques et pleines de sens, qui après une exposition au musée d’Athènes seront vendus en ligne sur le site d’Atelier Bartavelle. Cette escale à Tinos représente la première étape d’Itinérance, un projet associatif axé sur une mode “slow et responsable”, alliant créativité et solidarité, que les deux amies ont imaginé en cinq actes méditerranéens (voir encadré p. 139). “L’idée est à la fois d’étudier la transmission des savoir-faire et de repenser son rapport à la mode, en mettant en lumière, à chaque vêtement, la personne qui l’a créé”, raconte Caroline en poussant la porte du Kapi. Le gang des 12 Ici, il faut montrer patte blanche. Habituellement, le café Kapi ne reçoit que les seniors, tiniotes de naissance, et les commandes se prennent dans la langue officielle. Le carrelage est assorti aux murs jaunis par les volutes des grands-pères fumant librement, en disputant leurs parties de tavli (le backgammon grec) courbés autour de grandes tables en bois. La décoration minimaliste se résume à quelques tableaux de guingois aux motifs fleuris. Entre le claquement des pions, des rires trébuchent sur des mots railleurs mais joyeux.

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Caroline Perdrix, cofondatrice d’Atelier Bartavelle, à l’association des femmes de Tinos, Sylogos Lenecon.

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À Tinos, le tricot reste la meilleure façon de tenir au chaud les jambes et le lien social. 128

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Au café Kapi, lieu de rendez-vous des seniors tiniotes, où se rassemblent à l’étage les prêtresses de la maille.

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“Au-delà de la transmission du savoir-faire, cela permet une vraie rencontre avec ces femmes et leur histoire.”

Le parfum du café préparé dans le traditionnel pot en cuivre, le briki, monte à l’étage. Suivant le sens du fumet, Caroline rejoint en quelques marches le repaire des yayas. Agneza, Athina, Maria, Sophia, Koula, Lisa, Philomena, Rosa, Rita, Veta, Sofia, Anna ont entre 70 et 90 ans, et sont toutes originaires de Tinos. Leur vitalité confirme les bienfaits du tricot sur la santé, à moins que ce soit la douceur de vivre tiniote. Un peu des deux sans doute. C’est ici, au-dessus du Kapi, que d’octobre à mai, le gang des grands-mères se retrouve pour tricoter. Croisé, mousse, jersey, torsadé : chacune travaille son point depuis l’enfance. Certaines ont même appris à filer la laine – à l’époque, c’était une nécessité pour ne pas avoir froid l’hiver. Aujourd’hui, le tricot reste, lors des mois les plus frais, la meilleure façon de tenir au chaud les jambes et le lien social. Sur les étagères, des pelotes et quelques pièces restant de la saison dernière. Des pulls, des bonnets, des gilets qu’elles vendent sur le marché au profit des associations pour les petits Tiniotes. Si les ventes sont bonnes, cela permet de réapprovisionner le stock de laine pour la saison suivante. 150 pelotes expédiées par ferry L’été est généralement consacré à la famille qui vient en vacances, puis, comme le dit en riant Agneza, “à cette période, il fait trop chaud pour toucher de la laine !” Pourtant, cette année, les yayas font une exception pour relever le défi d’Alexia et Caroline. Elles sont fières de participer à un projet de mode français emmené par un duo qui a l’âge de leurs petites-filles. “L’expérience est tellement riche

humainement, commente Caroline. La création de ces pulls n’est qu’un outil qui, au-delà de la transmission du savoirfaire, nous permet une vraie rencontre avec ces femmes et leur histoire.” Pas question ici d’objectif commercial, ni de marges. À 290 euros pièce, contre un mois passé sur place – loyer, location de scooter, et tavernes comprises – le modèle économique d’Itinérance en Grèce ferait pâlir le plus magnanime des banquiers européens. Non, la vraie valeur ajoutée du projet Itinérance, la seule qui compte, est bien la valeur humaine. C’est sans doute cette approche, combinée à la vitalité du jeune duo, qui a séduit les mamies. En coulisses, les reines du tricot avouent aussi à l’unanimité une certaine satisfaction à l’idée d’être représentées “au pays de la mode”. Et cela arrondira la fin du mois. La styliste de Bartavelle n’est pas venue les mains vides. Lors de ses repérages à Athènes, Caroline a déniché la société Molokotos, l’un des derniers fournisseurs grecs à filer la laine à tricoter. Elle a fait expédier par ferry près de 150 pelotes de belle laine épaisse, aux couleurs méditerranéennes. Outre le style de la maille, l’épaisseur a permis à chaque yaya de remplir son contrat dans les temps : un pull en un mois. La jeune créatrice a distribué les couleurs et croqué à main levée quelques directives pour chacune. Le point est resté libre à l’interprétation des doyennes. Croiser le fil des destinées Dans la cuisine de son appartement qui surplombe le port, Agneza a préparé de la pastèque. Athina arrive avec des figues de son jardin. Sur ce balcon, Caroline a passé des heures joyeuses à échanger, autour d’une limonade, sur le tricot et sur le monde. En maniant les aiguilles au rythme soutenu de ses deux aînées, qui sont heureuses que la “petite Française” ait cherché à en apprendre plus sur leurs techniques de tricot et sur leur vie. Agneza, née à Tinos en 1929, a été élevée dans le village de Koni avant de rejoindre Athènes pour une place de gouvernante chez l’ambassadeur du Canada. Une fois à la retraite, la nonagénaire est revenue s’installer à Chora, ramenant dans ses bagages la maîtrise de l’anglais, qui lui permet aujourd’hui de faire le lien entre le projet Itinérance et les yayas.

Chez Agneza, avec sa nièce Poppi portant les créoles en crochet safran et Athina, attablée.

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Régulièrement, Agneza et Athina lèvent le nez de leur tricot pour commenter par de longs “popopopo” le débarquement des touristes, de plus en plus nombreux à venir profiter des miracles de cette île encore un peu dans l’ombre de ses voisines cycladiennes. L’icône de la Vierge, Megalochari, la beauté de l’architecture des pigeonniers, véritables broderies de pierre qui émaillent la campagne, les carrières de marbre vert et blanc, les vallées où l’on cultive vignes et légumes, la délicatesse du miel et de l’artichaut… Tout est prétexte à un pèlerinage sur Tinos. Caroline, elle, a trouvé le sien dans les moments quotidiens suspendus au balcon, tissant un lien entre deux générations qui a priori n’avaient aucune raison de croiser le fil de leurs destinées. Un grand show hiver en plein été L’heure de la messe sonne le moment de remballer les pelotes. Métronome naturel sur une île qui juxtapose les paroisses orthodoxe et catholique. Dieu et tricot se partagent l’emploi du temps des yayas. À côté de l’église de la Panagía Evangelístria, l’association des femmes de Tinos, la Sylogos Lenecon, réunit d’autres prêtresses de la maille. Des petites jeunes, de 50 à 65 ans, qui tricotent le jeudi, chantent le lundi, dansent le mardi, visitent un

coin de l’île le mercredi et peignent des icônes le vendredi. Elles aussi ont participé au projet d’Atelier Bartavelle et sont présentes lors de la remise des tricots finis, au Kapi. Tour à tour, chaque yaya dévoile son œuvre et découvre avec curiosité celle des copines. Elles se complimentent, essaient les pulls, dont les dimensions ont pris parfois un peu de liberté par rapport aux cotes de Caroline. Qu’importe, ils ont chacun une âme bien tissée. Les commentaires fusent sur le choix des mailles et des couleurs. Un grand show hiver en plein été. Les boucles créoles crochetées, accessoires plus délicats commandés par Caroline, ont trouvé leur place dans le cœur et le panier des yayas. Une idée à garder au chaud pour l’hiver prochain, et une belle façon de continuer à nouer le fil entre les générations.

Par CATHERINE DE CHABANEIX ET BAP TISTE BRIAND Photos FIONA TORRE

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PARTIR À TINOS carnet pratique

À votre arrivée

• Superficie Tinos : 195 km² • Population : 10 000 (51,28 habitants/km2) • Côtes : 114 km • Mer : Égée • Espérance de vie des femmes en Grèce : 84 ans

Kostas, votre contact privilégié Marié à une Française, féru de politique et d’actualité, Kostas est notre Like a Friend athénien et l’hôte idéal. Au programme, balade improvisée selon vos goûts (vous êtes plutôt souvlaki ou galeries ?) et moments d’échanges sur la vie quotidienne des Grecs qui permettent aussi de recueillir une mine de conseils pour la suite du voyage…

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lieux

Le nord Le septentrion de l’île offre des paysages lunaires. Entre les sphères de granit se trouve Volax, un village à ne pas manquer pour sa beauté et ses vanniers.

Marlas La route vertigineuse qui relie ce village à celui de Koumelas traverse les carrières de marbre blanc et vert taillées dans la montagne.

Sur place À table Nautilus. À Isternia. Sur une petite plage abritée du vent. Merveilleux spots d’oursins, poulpes et poissons frais, dans un cadre délicieux. Sta Fis’Aera. À Aetofolia. Cuisine inventive concoctée à base de produits locaux, dans un cadre champêtre et sur fond de juke-box. San To Alati. À Chora. Sur la plage d’Agio Fokas, on craque pour la feta panée au miel. À voir Musée contemporain du marbre. À Pyrgos. Créé par la Fondation Piraeus, ce lieu raconte les techniques d‘exploitation du matériau et le savoir-faire dans l’architecture et l’art depuis l’antiquité.

Isternia Nid d’aigle, le village offre une vue magistrale sur l’île. La terrasse de l’Exomeria est un spot agréable pour un verre au couchant.

Focus Le projet Itinérance Biennale de Moutandos. Un rendezvous estival d’art contemporain organisé par une amoureuse de Tinos, l’artiste belge Mireille Lienard. À faire La baignade. Tinos collectionne de belles options : eau cristalline et rochers sculptés de Livada, Malia et son toboggan vintage… Dormir Diles & Dinies. Près de la plage d’Agios Fokas, ces villas avec piscines privées surplombent l’Égée. Un Tinos de luxe.

Depuis leur rencontre et la création d’Atelier Bartavelle en 2014, Alexia Tronel et Caroline Perdrix s’attachent à replacer l’humain au centre de leurs créations. Le projet Itinérance s’inscrit comme le prolongement d’une vision responsable, dans laquelle chaque création est le marqueur d’une identité. Après la Grèce, les deux jeunes femmes envisagent, durant les deux ans à venir, un itinéraire de quatre étapes en Méditerranée (Tunisie, Liban, Maroc, Turquie). Objectif : mettre en lumière les ressources et savoir-faire locaux en valorisant chaque maillon humain du processus de création donnant naissance à une édition limitée. Une initiative méditerranéenne engagée et positive qui interroge sur le sens de la mode.

Inspirations

À lire L’Été grec de Jacques Lacarrière (roman, Plon ou Pocket), Suites cycladiques d’Éric Bance (beau livre, Éd. Trans Photo), Les Îles grecques de Lawrence Durrell (roman, Éd. Omnia).

Le chiffre Le nombre de pulls tricotés à Tinos par les yayas. Avant d’être proposée à la vente, cette série limitée a été exposée au musée Benaki d’Athènes, en présence de leurs créatrices.

Athènes et Tinos Escale incontournable, la capitale grecque mérite que l’on s’y perde. Afin d’explorer ses coulisses, Voyageurs du Monde met à votre disposition un accompagnateur francophone. Tinos, elle, se vit en liberté et en cocon douillet à l’écart des foules. 8 jours à partir 2 200 €

Diptyque d’îles À l’écart des Cyclades convoitées du Sud, Andros, comme Tinos, permet de passer un été tranquille. Cottage enfoui au milieu d’un verger, criques sauvages à rejoindre en Vespa, tavernes et marchés… 8 jours à partir 2 300 € Voyageurs du Monde 01 84 17 21 63 Des voyages zéro carbone Les émissions de CO2 générées à chacun de nos voyages sont compensées à 100 % par des projets de reforestation.

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ON NE VA PAS EN FAIRE TOUT UN PLAT ?! Les relations diplomatiques ne tiennent parfois qu’à un spaghetti… Du “carbonara gate” à la guerre du houmous, en passant par le pedigree de la poutine, les polémiques s’accumulent. Comment la food est devenue politique.

Des tomates, un peu de poivrons, des œufs durs… et du poulet au miel. C’est ce que servait le chef Thierry Marx sous le nom de “pan bagnat” dans son restaurant de l’aéroport de Nice. Servait, car les sandwichs ont rapidement fait hurler les Nissarts, très attachés à leur spécialité locale – ce pain rond garni de tomate, cébette, poivron vert, œuf dur, fèves, artichaut violet, radis, olives noires, thon, anchois, basilic, huile d’olive, vinaigre, ail, poivre, sel. Si le chef doublement étoilé a promis de rebaptiser ses créations, les polémiques autour de la gastronomie ne cessent de se multiplier. Cet été, le mythique chef britannique Jamie Oliver était taxé d’appropriation culturelle après avoir lancé son nouveau produit, le “Punchy Jerk Rice”, un sachet de riz et d’épices à placer au micro-ondes, un peu trop librement inspiré de cette marinade jamaïcaine traditionnelle inventée par des esclaves africains au XVIIe siècle. En 2016, c’est la poutine qui se trouvait au centre d’un débat sur son origine, entre Canadiens et Québécois. Et durant son dernier mandat, le

Président Obama lui-même s’est affranchi de son progressisme pour défendre, sur Twitter, un guacamole traditionnel auquel le New York Times avait commis l’affront d’ajouter des petits pois ! Des querelles qui montrent que, loin de se réduire à la seule question du ventre, l’alimentation et la gastronomie revêtent des enjeux plus complexes autour de la culture, de l’identité, du patrimoine. “Nous sommes ce que nous mangeons, affirme le sociologue de l’alimentation Claude Fischler. Il existe une forte identification au travers de la cuisine. D’ailleurs, on surnomme souvent l’étranger à partir de son aliment de base. Les Anglais sont les Rosbeefs, les Italiens les Macaronis… Ces questions sont donc, forcément, potentiellement politiques.” À l’heure où l’alimentation n’a jamais été aussi mondialisée (vous pourrez facilement vous faire servir une choucroute au Japon ou un plat de sushis en plein Ipanema), les signes de résistance et de retour à la cuisine authentique sont plus que jamais visibles. Alors : respect sensible des traditions ou conservatisme rigoriste ?

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Attentats culinaires en Italie Le coup de tête de Zidane sur Materazzi ? Une réminiscence de la bataille des Alpes ? Non, le dernier incident diplomatique qui a bien failli nous coûter le rappel de l’ambassadeur italien tient à quelques millilitres de crème fraîche. En 2014, le site français Demotivateur, connu pour ses vidéos de plats-minute, publie une recette de carbonara à base de crème fraîche. Aussitôt, levée de boucliers dans la Botte où la presse dénonce un attentat culinaire. “La mort de la carbonara, la (désastreuse) recette du site Demotivateur”, titre le Corriere della Sera. L’Italie est, à ce jour, la meilleure incarnation de cette rigidité culinaire et identitaire sur son patrimoine gastronomique qu’elle semble bien attachée à préserver (Starbucks, tout juste implanté au pays de l’espresso, a des raisons de s’inquiéter quand on voit que les Florentins ont réussi, à force de happenings et de pétitions, à avoir la peau du McDonald’s de la piazza del Duomo). “La cuisine italienne est devenue la plus populaire de la planète, où elle est imitée, transformée. Dans le même temps, il existe une identité très forte et revendiquée de cette gastronomie. La cuisine fonctionne comme la langue : elle évolue, fluctue, change et on s’interroge sur sa pureté”, explique Claude Fischler. À ce titre, l’Italie fait figure de pays conservateur. En 2015, l’Amar (Associazione Maestri d’Arte Ristoratori Pizzaioli) entame une campagne pour que l’activité des pizzaïolos européens soit régulée au moyen d’une licence. “Dans les années 1990 déjà, une délégation de cuisiniers italiens avait débarqué aux États-Unis pour donner une liste de règles : diamètre, recette, hauteur des bords. Un journal avait titré alors : ‘The Pizza Police was here’”, se souvient Claude Fischler. Si voir les Italiens crier au sacrilège quand le New York Times publie une recette de bolognaise blanche en 2016 – forçant le chef Bruno Barbieri à intervenir pour en rappeler les étapes officielles – peut prêter à sourire, les liens entre alimentation et identité sont parfois repris à très mauvais compte. “Cette question peut prendre des dimensions politiques, comme en Lombardie, où la Ligue du Nord avait distribué en 2010 des tracts ‘Sí alla polenta, no al cous cous’ – la polenta étant la semoule traditionnelle des pauvres.” Une rengaine nauséabonde reprise en 2016 à Vérone, où le désormais ancien maire, Flavio Tosi (Ligue du Nord, puis Fare!), afin de préserver “la tradition et la spécialité culturelle du territoire”, proposait de bannir les kebabs de la ville…

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Chiche ! Une purée de pois chiches, et neuf peuples pour en revendiquer la paternité. Au Proche-Orient, les tensions diplomatiques se jouent aussi dans les assiettes de mezzé. Arménie, Égypte, Grèce, Israël, Jordanie, Liban, Palestine, Syrie et Turquie se considèrent chacun comme la nation du houmous. Israël et le Liban se battent à coups de Guinness des records pour pouvoir se vanter d’avoir servi le plus grand houmous du monde. Les historiens s’écharpent pour retrouver les premières recettes. L’un d’entre eux, Charles Perry, écrit avoir trouvé une recette dans un livre de cuisine datant du XIIIe siècle en Égypte. Le houmous tel que nous le connaissons aujourd’hui daterait en fait du XVe siècle, et proviendrait de différentes régions de l’Empire ottoman. Avant de devenir, pour les États actuels, un moyen de s’ancrer dans l’histoire et dans la terre… “Les frontières de ces pays sont récentes, elles datent pour la plupart de la décolonisation, explique l’historien de la gastronomie Patrick Rambourg. Le houmous est un plat antérieur à ces questions nationales, il est normal qu’on en trouve dans plusieurs pays de la même zone géographique. Un plat comme celui-ci devrait être diplomatique.” C’est ce qu’avance le réalisateur Trevor Graham dans son documentaire Make Hummus Not War, dans lequel il interroge des Israéliens, des Syriens et des Libanais sur ce plat, qui devrait être celui de la réconciliation.

Un soft power à la française La gastronomie française échapperait-elle à ce type de polémiques ? Loin de là. Les querelles de clocher entre régions sont légion. La caillette est-elle de la Drôme, la brandade est-elle nîmoise ? Et la plus sensible d’entre toutes : le cassoulet est-il de Castelnaudary, de Toulouse ou de Carcassonne ? “À partir du XIXe siècle, les régions ont revendiqué leur identité à travers des spécialités régionales, explique Patrick Rambourg. La cuisine est un moyen identitaire, économique, culturel et touristique et la France utilise depuis longtemps les chefs et son art de vivre dans la diplomatie internationale.” Un soft power que notre pays a voulu entériner en 2008 en demandant à l’Unesco l’inscription du “repas gastronomique des Français” au patrimoine culturel immatériel de l’humanité – label obtenu en 2010. “L’idée, c’est de protéger notre avantage comparatif par rapport aux autres États européens dans la perception que les étrangers ont du pays”, explique Yves Schemeil, professeur de sciences politiques. L’honneur de la table française étant sauf, vous reprendrez bien un peu de guacamole aux petits pois ?

Par RAPHAËLLE ELKRIEF

INTERVIEW AVEC JULIA CSERGO SPÉCIALISTE DES CULTURES ALIMENTAIRES, RESPONSABLE SCIENTIFIQUE DE LA CANDIDATURE FRANÇAISE AU PATRIMOINE CULTUREL IMMATÉRIEL DE L’UNESCO. Que peut-on lire entre les lignes de ces polémiques gastronomiques ? C’est très étonnant, car il n’y a rien de plus évolutif qu’une recette. La cuisine n’a rien de figé, les recettes ont toujours évolué et tout le monde a toujours été libre de les adapter. Les Italiens ont beau défendre corps et âme leur pizza, de Naples au reste de l’Italie et jusqu’aux États-Unis, les pizzas n’ont rien à voir entre elles. Peut-on parler de nationalisme culinaire ? On peut, mais cette réaction a quelque chose de très désuet. On comprend aisément qu’à une période de globalisation succède une de relocalisation. Mais ceux qui estiment que le patrimoine culinaire d’un pays doit être ancien et immuable ont une conception très européenne du patrimoine : comme si la nourriture était un monument historique qu’on devait préserver et ne jamais modifier. La cuisine nous rend-elle conservateurs ? Certains d’entre nous, oui, qui en font le lieu d’un combat pour une supposée identité nationale. Mais ils se trompent. Le patrimoine culinaire peut et doit rester vivant. Aucune recette n’est immuable. Existe-t-il des droits sur les recettes ? Non, absolument aucun. En 1981, le chef Michel Bras, inventeur du fondant au chocolat, avait lancé le débat sur la protection des recettes, puisque la sienne avait été récupérée dans le monde entier, notamment par l’industrie agroalimentaire. La question de la protection de la création contemporaine a un sens. Celle de breveter une recette beaucoup moins.

Voyageurs du Monde et le guide Fooding. En exclusivité pour ses clients, Voyageurs du Monde glisse une sélection de bonnes tables spécialement concoctée par le guide gastronomique iconoclaste. Indispensable pour éviter la pizza contrefaite.

Illustrations LÉA CHASSAGNE

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Hamid Miss, ou la nouvelle bistronomie toulousaine. Ici, dans son restaurant La Pente douce.

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Comme de nombreuses personnalités – Azzedine Alaïa, Andrée Chedid, Tahar Ben Jelloun, Jane Birkin, Françoise Giroud, Amedeo Modigliani, Marjane Satrapi… –, ils ont quitté leur pays de naissance et sont venus vivre en France. L’évidence s’est imposée à eux, parfois dès leur plus jeune âge : ils souhaitaient exercer leur passion dans ce pays fantasmé, regorgeant de possibilités pour un œil étranger. Au cuisinier, l’excellence des produits et le règne de la gastronomie française ; au designer ou au styliste, l’inspiration de la capitale de la mode, de “la Parisienne”, de la dentelle de Calais. À d’autres, l’amour, la liberté, les droits de l’homme, la culture… Finalement, leur histoire est celle de la transmission. De cette vocation ressentie un jour au contact d’un autre artisan ou en feuilletant un livre, à l’apprentissage auprès de Compagnons ou de mentors. Aujourd’hui ancrés dans ce pays, ils nous offrent à leur tour leur savoir-faire. Vacance est parti à la rencontre de ces nouveaux passeurs venus d’ailleurs qui font la France du présent et de demain.

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Yasuhiro Shiota, bottier à Paris Les secrets de fabrication d’un Nippon passionné Yasuhiro Shiota a choisi d’être bottier par amour de la curiosité. Étudiant en anglais et en photographie près d’Osaka, au Japon, il s’amuse à découdre ses vêtements pour étudier leur patronage, avant de les recoudre en les structurant différemment. Un jour, il part à la découverte de sa chaussure. C’est un modèle anglais, une derby cinq œillets. Il n’y comprend rien, en est émerveillé, et va plus loin en momifiant son pied dans un scotch très large sur lequel il dessine la chaussure de ses rêves. Il en découpe les contours et fabrique sa première chaussure à partir de ce patron de fortune. Fait avec des chutes de cuirs et de tissus, ce prototype est mou et importable. “À l’époque, je ne savais même pas qu’on utilisait des formes pour mouler les chaussures.” Mais le jeune homme est décidé, il part en Angleterre pour étudier la botterie à Leicester. Boursier du Rotary Club, il y reste un an, met de l’argent de côté et débarque à Paris pour exposer ses premières créations.

“Je suis tout de suite tombé sous le charme. La ville me paraissait très humaine. J’en étais fan depuis que j’avais vu Les Amants du Pont-Neuf de Leos Carax. Je voulais absolument voir la Seine.” Mais Yasuhiro Shiota galère entre de petits boulots et une coloc avec un autre acolyte nippon. Il parvient à donner son CV à Monsieur Massaro, le bottier de chez Chanel. À ses côtés, il apprend le travail du cuir à la française, apprécie la pureté des lignes : “Les modèles ne sont ni macho – à l’italienne –, ni classique – à l’anglaise. Il n’y a rien de trop dans une chaussure française, la ligne est parfaitement fluide.” Porté par l’excellence des autres bottiers parisiens, le jeune homme ne se verrait pas vivre ailleurs. Avant d’être retenu par la maison Aubercy, où il travaille depuis cinq ans, il a eu la chance de côtoyer de véritables Compagnons bottiers, chez Corthay : “Non seulement vous avez encore beaucoup des tanneries en France, mais vous avez aussi ce maintien d’un savoir-faire traditionnel qui se transmet à chaque génération.” Malgré ses partages avec eux, Yasuhiro Shiota sait que ses Compagnons artisans ne lui ont pas tout montré : “On a tous nos secrets de fabrication…” Alors, il continue d’apprendre auprès de ses “meilleures professeures” – de vieilles paires françaises trouvées en brocante – et de démonter les modèles qui le fascinent pour les étudier et reproduire l’objet jusqu’à ce qu’il soit parfait.

Blouse blanche en gabardine de coton épais et élégance toute japonaise pour Yasuhiro Shiota, dans l’atelier parisien de la maison Aubercy.

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Laura Vidal, sommelière à Marseille Une Québécoise en amour avec le vin nature Cette grande brune pétillante a une addiction : les vignes. Laura Vidal, née à Montréal, ne peut pas vivre à moins de 2 h 30 de voiture de vignobles. Et pas n’importe lesquels : des vignobles travaillés par des paysans qui transmettent leur passion à leurs vins, souvent natures. C’est pourquoi elle a choisi Marseille. Après avoir fait plusieurs tours du monde avec le chef Harry Cummins, complice de tous ses délires nomado-gustatifs, elle s’est d’abord posée à Arles. Ensemble, ils ont inventé la résidence de chefs et ont ensuite pris racine dans le quartier Noailles, à Marseille, à La Mercerie, en association avec la gestionnaire Julia Mitton (une Canadienne qui a toujours rêvé d’être française). Le lieu est d’une fraîcheur communicative. Ici, tout le monde sourit, des clients jusqu’au plongeur. Laura Vidal court avec des magnums sous le bras, raconte avec vivacité le quotidien des vignerons qui ont fait, mais surtout vécu ce que l’on va boire. “En tant que sommeliers, nous ne sommes que des messagers qui transmettons l’histoire d’une famille, d’un paysage, d’une météo, d’hommes pris aux tripes par leur métier.

Quand je vais les rencontrer, je rencontre aussi leur femme, leur chien, leurs enfants, leurs batailles…”, raconte Laura Vidal en nous servant un verre de vin blanc. Amoureuse des vins de Loire, de Bourgogne, du Jura, elle passe un tiers de son temps à sillonner les routes et à débarquer chez les vignerons sans prévenir : “Ce que je préfère, c’est arriver pendant les vendanges. Les vignerons détestent ça, car c’est le moment où ils sont face à leur vulnérabilité. Un vigneron, s’il commence jeune et vit vieux, aura la chance de faire quarante millésimes. C’est peu quarante chances pour faire au mieux. Quand j’arrive à l’improviste et qu’ils vendangent, je leur file un coup de main et là, je vois le millésime se faire.” La jeune femme a viscéralement besoin de cette relation aux vignerons pour exercer ce métier qui s’est imposé à elle comme une évidence en 2008, en goûtant pour la première fois un vin nature : “Je ne comprenais pas ce que je buvais, c’était fait à base de raisin, mais ça allait beaucoup plus loin que ça.” Ce jour-là, elle expérimente une forme d’épiphanie. Mise face à l’inconnu, elle sait que sa vie se passera en France. En tant que voyageuse, l’inconnu l’aimante, et elle le retrouve avec enthousiasme dès qu’elle repart sur les routes du vin à la française.

Vins natures et cuisine gourmande à La Mercerie, l’adresse marseillaise festive et créative de la pétillante Laura Vidal.

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Hamid Miss, cuisinier à Toulouse De Fès la bleue à la Ville rose Hamid a découvert l’électricité en 1986. Il avait 13 ans. Deux ans plus tard, il partait seul pour la France, caché dans un container, à la recherche de son père. Né au Maroc dans un petit village proche de Fès, il a grandi entre sa grande sœur, sa mère et ses tantes. Dès sa naissance, sa mère le promeut marmiton. Elle est une grande cuisinière réputée pour les banquets de mariage. Au bled, cuisiner est impossible pour un garçon. Hamid est l’exception. Arrivé en France, il comprend que tout est possible. Dire ce qu’on pense, profiter de l’anonymat pour manger du cochon, parler aux filles, “se balader à poil” ! Surtout, il retrouve son père, dans le Tarn-et-Garonne, qui le reconnaît avant de le mettre dehors. Abandonné et en tongues, il va s’inscrire au collège, apprend à parler et écrire français, et vit ses rêves. Il veut être mécanicien de précision dans l’aviation – ce qu’il devient à Toulouse. Appelé pour son service militaire, il décide d’être chasseur alpin : il apprend à skier

et fait son service dans les Écrins. Il plante tout lorsqu’il se rend compte qu’il veut être cuisinier. Il a 24 ans. À la télé, Joël Robuchon (dans Bon appétit, bien sûr) a démontré que les hommes pouvaient cuisiner en France. Paul Bocuse, les Troisgros et Alain Passard vont l’aider à se perfectionner par l’intermédiaire de livres consultés à la Fnac. En parallèle, Hamid entre dans le métier en faisant la plonge et sort de la culture du traditionnel cassoulet/confit de canard grâce à de jeunes sommeliers actifs dans le monde du vin. Un réseau commence à se créer, et il rencontre Michel Sarran (qui n’a pas encore d’étoile à l’époque) à Toulouse. Lorsqu’en 2008, il ouvre La Pente douce dans la Ville rose, avec sa femme, il fait déjà la cuisine libérée qui le caractérise aujourd’hui. “J’étais autodidacte, je n’avais pas de règles. Quand j’ai découvert le cochon, je l’ai cuisiné bleu (comme dans les hauts lieux de la bistronomie depuis quelques années – ndlr). J’ai tout de suite imaginé des associations terre-mer comme les tripes avec des langoustines.” Autour de lui, tout le monde s’étonne de cette créativité débridée. Mais Hamid Miss ne fait que traduire ce qu’il ressent depuis qu’il vit en France : une liberté d’expression telle que tout est possible avec les meilleurs des produits.

À La Pente douce, le restaurant qu’il a ouvert en 2008 à Toulouse avec sa femme, Hamid Miss réalise une cuisine créative à son image, libre et décomplexée.

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Rabih Kayrouz, couturier à Paris Un Libanais fasciné par le mythe de “la Parisienne” Né au Liban, entre un père propriétaire de boulangeries et une mère attentive au foyer, le jeune Rabih Kayrouz suivait depuis son village de Ghazir l’effronterie de Jean-Paul Gaultier et la montée en puissance de Christian Lacroix. Dans un cahier, précieux comme un journal intime, il collectionnait les images des magazines et rêvait de Yamamoto et d’Yves Saint Laurent. Il était naturel que Rabih atterrisse à Paris. Le jeune étudiant est instantanément happé par le flow de la capitale : les gens qui courent après le bus, les femmes qui prennent des cafés en terrasse, le mouvement perpétuel des étoffes dans une architecture immuable. “J’aime toujours la Parisienne à l’allure élégante mais effrontée, furtive, et le contraste que cela crée lorsqu’elle croise une touriste qui prend son temps, découvre…” Cette dichotomie stimule le styliste qui, après une installation à Beyrouth, de 1995 à 2008, a choisi de revenir en France. “Mes racines sont au Liban. Paris est simplement ma maison. Et il n’y a qu’en France que j’aime cuisiner.”

Adepte des marchés d’Aligre et Raspail, il se laisse porter par la beauté des produits, adore flâner dans les rues marchandes, s’imagine en Babette préparant son festin. Il trouve probablement là l’inspiration de ses coloris si francs qui donnent vie aux tissus lyonnais ou aux dentelles de Calais qu’il aime tant travailler. Au-delà des matières, son amour pour la France s’exprime dans ses errances. Pour réfléchir ou au contraire se vider la tête, il lui arrive de prendre sa voiture et de filer. Destination favorite : la mer. Il se perd sur les chemins de traverse, se délecte de la diversité des paysages, mais finit toujours par rentrer à Paris. Les actrices anonymes de la capitale le fascinent encore et toujours : cette femme qui fume dehors en serrant son col contre son cou pour se protéger des frimas de l’hiver, une autre qui joue le dénudé du début d’été ou encore celle dont le pli du manteau évoque la hâte avec laquelle elle se rue vers la vie. “Parfois, je cours après des femmes pour recopier une démarche, une attitude.” Ce style, Rabih Kayrouz ne le trouverait sûrement pas dans le chaos du Caire, dans l’histoire empesée de Florence ou la furie new-yorkaise. Aucun doute, Paris est sa maison…

Le couturier a fondé la Maison Rabih Kayrouz en 2008. Il a ouvert son deuxième atelier il y a deux ans, où ses créations vont du prêt-à-porter sur mesure à des pièces couture uniques.

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Gesa Hansen, designeuse d’intérieur à Courances Entre rigueur danoise et douceur frenchy Lèvres fines et large sourire, elle a la bouche de celle qui choisit bien ses mets. Gesa Hansen, designeuse germanodanoise à l’origine de la marque Hansen Family, a adopté la France dès ses 22 ans. Rapidement, elle intègre les bureaux de l’architecte Jean Nouvel et est épatée par le temps que les équipes passent à table. “On pouvait travailler jusqu’à 4 heures du mat, mais il fallait déjeuner tous les midis au Chateaubriand !” Elle trouve cela étrange, mais prend vite l’habitude des bonnes choses. “Aujourd’hui, je ne veux pas partir de France à cause de la bouffe !” Bien avisée, elle s’est mariée avec Charles Compagnon, restaurateur de très bon goût à la tête des néobrasseries Richer et 52, dans le Xe arrondissement de Paris. Ensemble, ils se sont installés à Courances, dans une belle bâtisse du XIXe siècle. Elle y mêle ses influences nordiques à son style de vie tout joyeux. Arbres fruitiers, herbes aromatiques et jardins fleuris nourrissent ses créations que l’on ne peut pas qualifier de scandinaves, stricto sensu. Elles ont un petit plus : “J’aime travailler

le noyer français, si beau ; les tissus de Pierre Frey qui cassent mon design. La France m’a sortie d’un minimalisme qui me collait à la peau. Mon style est plus doux depuis que je suis ici, moins protestant”, rigole-t-elle. Elle a élargi sa palette de matières. Monomaniaque du trio bois/ béton/cuir, elle s’autorise maintenant du laiton, du marbre… Dans son atelier, elle laisse infuser longtemps les idées de meubles qu’elle imagine avant de les coucher sur papier. Enfin, elle les modèle dans une pâte super malléable qui sèche avec le temps. Cela lui rappelle quand son grand-père menuisier lui fabriquait un bateau ou un lit pour sa poupée : comme par magie, les objets prenaient vie entre ses doigts. Aujourd’hui, elle reproduit l’histoire familiale, voyage avec ses miniprototypes jusqu’à l’atelier de son père, en Allemagne, et ajuste ses créations directement avec les menuisiers. En sortant de sa zone de confort scandinave, elle obtient des lignes plus courbes, plus rondes. Si dans son métier, elle dévie en douceur, dans sa vie elle a en revanche totalement embrassé la culture française : “Ici, on peut rire de tout. Et surtout on peut manger des moelleux au chocolat. Quand tu y penses, c’est fou ce croustillant qui libère du chocolat coulant !” De la rondeur et du coulant : exactement ce qu’il fallait à cette Germano-Danoise minimaliste.

Formée notamment dans les ateliers de Jean Nouvel à Paris, c’est aujourd'hui chez elle, en Essonne, dans une belle bâtisse du XIXe siècle, que Gesa Hansen conçoit ses lignes de mobilier chaleureuses et fonctionnelles.

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Selim Salem, champignonniste à Saumur Un Cairote formé à l’art de l’humus “Les champignons, c’est un petit monde dans lequel se cache d’autres petits mondes. Quand on pense que le mycélium a réussi à écraser la roche-mère pour en faire de l’humus et donner lieu à la vie. Ou encore que les champignons sont l’internet des forêts : ils permettent aux arbres de communiquer entre eux. À chaque fois que j’y pense, ça m’entraîne vers l’infini.” La longue silhouette de Selim Salem se courbe à l’entrée des champignonnières. Au-dessus des caves, une autre silhouette se dresse : celle du château de Saumur. La ville lui a prêté les locaux depuis quelques mois. L’Égyptien né au Caire n’aurait jamais imaginé atterrir ici. Petit, il se rêvait styliste. Un crochet par l’Italie, puis par Paris, fera dévier son destin. Il tombe amoureux de Margot et reste deux ans dans la capitale avant de regagner les terres de sa dulcinée : Saumur. La lumière sur les pierres de tuffeau a un éclat particulier. Selim est piégé. Fasciné par cette région qui recèle d’historiettes mais aussi d’histoire, il suit une formation et devient guide au Musée du champignon de la ville.

Il découvre un monde insoupçonné et décide d’en faire son métier. Selim Salem est un rêveur, un sensible. Il suffit de le voir se pencher vers les shiitakes ou les pholiotes (ses “bébés”) pour comprendre. Il grimace : “Ils ont trop chaud. Laissez la porte ouverte.” Dehors, il pleut et le mercure n’indique pas plus de 10 degrés. Malgré ce climat, il avoue ne pas pouvoir faire ce métier ailleurs. “Ici, le champignon est un art. En Égypte, la pluie est une attraction. Lorsqu’il pleut, on se retrouve dehors pour sauter dans les flaques.” Même s’il ne fait pas souvent la cueillette dans les forêts alentour, on comprend qu’il aime l’humidité de sa région d’adoption, où pleurotes, shiitakes, pholiotes, boules de neige et bientôt enokis, crinières de lion et erengis émergent en de drôles de sculptures à la fois minérales et végétales. Dans une atmosphère proche du monde à l’envers de Stranger Things, les consécrations roses ou blanches poussent ici et là, donnant aux caves du château de Saumur une dimension chimérique. Selim Salem, lui, est devenu une part bien réelle de l’histoire de sa région. Par MARIE ALINE Photos JULIEN MIGNOT

Selim Salem est fier de ses “bébés”, qu’il voit pousser dans les caves du château de Saumur. La ville lui a prêté les lieux : un honneur et une belle reconnaissance pour ce Cairote passionné.

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PARTIR EN FRANCE carnet pratique

À votre arrivée Olga, votre contact privilégié

• Superficie : 551 600 km² • Population : 65 000 000 (117,83 habitants/km2) • Côtes : 5 853 km • Touristes : 86 918 000 (en 2017)

De Paris, elle aime l’architecture, la richesse culturelle et le savoir-vivre. Son péché mignon : s’improviser personal shopper et faire découvrir les plus belles boutiques de la capitale. Olga partage ses tables préférées, vous conseille l’expo à ne pas manquer, les balades en marge des foules, réserve une croisière sur la Seine ou une visite des coulisses de l’opéra Garnier.

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lieux

Les jardins d’Eyrignac Roseraies, fontaines, tapis de gazon, bassins, fleurs et légumes composent les jardins français et champêtres du manoir d’Eyrignac, joyau du Périgord noir.

Le Cap Croisette Le soleil sur les roches blanches, l’eau translucide, l’odeur du poisson grillé, nous sommes au bout du bout du Cap Croisette, presqu’île marseillaise.

Sur place À voir Le coucher de soleil sur le Mont-SaintMichel. Mais autrement : depuis le ciel, à bord d’un ULM. À table La Chassagnette. Cet étoilé camarguais 100 % bio se situe au milieu d’un immense potagerverger. Le chef Armand Arnal a imaginé un menu au fil des saisons pour respecter et sublimer les produits du Sud. Le Comptoir à manger. À Strasbourg, locavores jusqu’au bout des ongles, Carole et Bérangère proposent un menu unique shooté au végétal. À faire Voiles et aquarelles. Laissez-vous séduire par le féerique archipel de Bréhat, et réalisez, d’île en île, un carnet d’aquarelles au rythme des marées.

Dormir Les Maisons marines d’Huchet. Sur la côte landaise, ces grandes maisons de style colonial restaurées par Michel et Christine Guérard sont parfaites pour une échappée sauvage. Shopping Empreintes. Ce concept-store de 600 mètres carrés dans le Marais, à Paris, est dédié aux métiers d’art. Tous les objets proviennent des ateliers de toute la France. À lire Nouveaux artisans de Magali Perruchini (beau livre, Éd. Eyrolles), Savoir-faire extraordinaires de France de Maud Tyckaert (beau livre, Éd. Dakota), Osons la fraternité ! Les Écrivains aux côtés des migrants collectif (récit, Éd. Rey).

Le chiffre C’est le nombre de fromages français ! Chaque terroir possède son fromage emblématique : le brie de Meaux en Île-de-France, le munster en Alsace, l’inimitable roquefort des Causses…

La butte Bergeyre À quelques pas des Buttes-Chaumont, à Paris, le discret vignoble de la butte Bergeyre produit un vin de qualité et offre une vue imprenable sur le Sacré-Cœur.

Focus La cabane écologique de Jean Imbert Ce petit nid douillet, suspendu dans les arbres et hors du temps, a été pensé par le chef Jean Imbert comme un refuge tourné vers la nature. Vous vivez chez lui, selon un programme qu’il a imaginé pour ses hôtes : réveil matinal dans la cabane, récolte des œufs dans le poulailler, puis direction la criée d’Erquy, c’est ici qu’on trouve les meilleurs homards de la région, parole de Breton ! L’après-midi, on affronte le vent au Cap Fréhel. Réchauffés et revigorés, on passe en cuisine : quel bonheur de travailler les légumes du potager en permaculture… Du local, du frais, du bio.

Inspirations

Un été en Provence Un voyage méridional d’une beauté déboussolante, des étapes de (grand) charme dopées de pauses culturelles et savoureuses. Balade gourmande en Avignon, atelier cuisine après le marché et Arles en privé sont au programme. Un doux équilibre entre Provence essentielle et contemporaine. 8 jours à partir de 2 500 €

Pérégrinations périgourdines C’est un territoire habité par l’homme depuis l’ère paléolithique, une frise semée de mille et un châteaux. Aujourd’hui, le Périgord se décline à l’envi et offre des activités pour tous : belles adresses et grandes tables à savourer en famille, visite à la ferme, chasse à la truffe, châteaux et manoirs… 7 jours à partir de 1 700 € Voyageurs du Monde 01 42 86 17 20 Des voyages zéro carbone Les émissions de CO2 générées à chacun de nos voyages sont compensées à 100 % par des projets de reforestation.

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Yoko Furukawa, boulangère Dans l’Hérault, une Japonaise au pays du pain au levain Au-dessus de Saint-Étienne de Gourgas, en direction de SaintPierre-de-la-Fage, se trouve le hameau de La Roque. L’horizon y est sans fin, oscillant entre le vertde-gris des herbes sèches et l’azur clinquant du sud de la France. Yoko Furukawa s’est installée dans l’Hérault pour la lumière. Elle avait 25 ans quand elle est arrivée à Paris. Après avoir travaillé dans les boulangeries les plus françaises de Tokyo, elle est partie au pays du pain au levain, sans connaître un Parisien, ni un mot de français. Elle pétrit mécaniquement pendant quatre ans entre la Bretagne, Lodève et Sète. Jusqu’au jour où elle voit Philippe œuvrer. Il vit en Ariège et fait du pain au levain une fois par semaine. Lui pétrit à la main, dans un grand pétrin en bois, et cuit son pain dans le four en pierre construit dans sa cuisine. Yoko redécouvre la délicatesse de ce pain. Le levain est vivant, il ne faut pas le brusquer, car les farines de blé locales ont un gluten fragile. Les gestes de Philippe sont permissifs, pour que la pâte pousse bien, que le pain soit bon. Elle retrouve là des gestes et un goût qui lui rappellent ses années d’étudiante au Japon, lorsqu’elle faisait tout à la main. Touchée au cœur, Yoko sait ce qu’elle cherche. Elle troque maintenant son pain contre du bois de châtaignier pour alimenter son four. Dans son hameau d’adoption, tout est réuni : une campagne vivante avec laquelle une nouvelle génération d’artisans travaille des produits uniques. Ça, elle ne le troquerait pour rien au monde.

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L’âme du Chili

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“En Patagonie, celui qui se dépêche perd son temps…”, dit une expression chilienne. La devise pourrait s’appliquer au pays tout entier. Ainsi Vacance s’est imposé l’exercice : prendre le temps chilien et explorer cette bande de terre longiligne courant du nord au sud, du désert d’Atacama à la Terre de Feu, sur plus de 4 000 kilomètres. Partir de l’océan, puis glisser vers l’extrême-sud : un voyage en deux escales qui incarnent, chacune à sa façon, le caractère du Chili. Tout d’abord, l’archipel de Chiloé, dont les éléments (sur)naturels, légendes, croyances et superstitions tissent en filigrane la singularité. Puis, Torres del Paine et les cimes de la Patagonie chilienne, spectaculaires. Un territoire qui prolonge l’escale précédente pour vite s’en détacher – le panorama y est plus sauvage encore, la présence humaine moins réelle. Les lignes dessinées par les caprices de la nature sont aussi celles d’un Chili poétique, celui de Pablo Neruda ou de Luis Sepúlveda… Récit d’une fugue dans ce “Monde du bout du monde”.

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Construites entièrement en bois, les églises de Chiloé possèdent des nefs centrales en forme de coque de bateau renversée. Ici, l’église de Tenaún.

U ne lettre et une fine bande d’océan séparent Chiloé du reste du pays. De Santiago, c’est d’abord l’envol jusqu’à Puerto Montt, avant d’emprunter en bateau le canal de Chacao. À l’arrivée à Isla Grande, la plus grande île de Chiloé (100 kilomètres du nord au sud), le paysage est tout entier plongé dans l’obscurité. Comme la terra incognita dort, on se plaît à en imaginer les pentes douces, au contact de cette route qui se courbe, s’élève progressivement dans les airs et redescend, prend à gauche sur un chemin de piste façonné par les éléments comme autant d’étapes naturelles à franchir. Au matin, la vallée apparaît. La baie est calme. La lumière se farde de rose, les nuages s’effacent, se fondent avec l’eau, jouent avec les contours du rivage. Les couleurs ne cessent de changer à mesure que les heures passent. Sans éprouver les éléments, on les devine : la brume des premières heures du jour, les quelques gouttes de pluie froide, la danse du vent et les ondulations de l’océan. Hypnotisante Pachamama, la Terre-Mère. Nous prenons contact avec la Patagonie chilienne par le large. Par l’archipel de Chiloé, au nord, qui pique le Pacifique de plusieurs pointillés d’îles que l’écrivain chilote Francisco Coloane surnommait “les 40 sœurs”. Le bateau jaune et bleu est amarré. Il s’appelle Williche, en hommage à l’une des communautés indiennes natives de Chiloé. À bord de cette cabane de bois glissant

sur l’eau, le large dévoile un tout autre spectacle, où les derniers manchots de Magellan se dirigent vers la Terre de Feu, les pélicans volent au ras de l’eau et, au loin, des dauphins agitent la surface d’un léger clapotis. Quelques embarcations de bois peint filent sans bruit. Nous nous amarrons au quai de Mechuque où, au détour de maisons aux bardeaux fanés, l’île semble prise au piège du temps. Son isolement géographique a forcé certains habitants à partir – mais beaucoup n’ont pas vendu leurs maisons. L’attachement à ce bout d’île est trop fort pour être rompu. On se sent chilote avant d’être chilien. La végétation s’est emparée des maisons abandonnées. Un horizon que Sandro, pêcheur rencontré dans le village, ne quitterait des yeux pour rien au monde : “Je suis venu de San Antonio et je ne suis jamais reparti. Les gens ne savent pas ce qu’ils ont à Mechuque. La tranquillité… C’est ce qui me tient ici.” De sa maison, un petit palafito (maison typique en bois, sur pilotis) qu’il a construit lui-même après l’avoir vu en rêve, l’océan est le seul voisin. Le bois d’alerce, matière première reine de Chiloé On emporte ses paroles avec nous à bord du Williche. Le bateau est l’expression d’un art chilote, celui des charpentiers de l’île, les “carpinteros de ribera”. Il ne reste à Chiloé que dix ateliers de construction de bateaux. À la tête de l’un d’eux, David Pachuque répète depuis ses 15 ans les gestes appris de son père et de son grand-père. Dans son atelier sur pilotis, un hangar ouvert aux vents, trois bateaux en devenir, châssis de bois aux proportions magistrales. Il les a construits en suivant le tracé de courbes esquissées dans sa tête, songeant à la façon dont chaque bateau fendrait les flots. Où le savoir-faire vit et se transmet par le geste, la science paraît artificielle. David pointe du doigt sa dernière réalisation, un bateau destiné à assurer la liaison entre les îles de l’archipel de Chiloé, comme un trait d’union entre ces pointillés de terre isolés les uns des autres. Le bois d’alerce est la seule matière première de Chiloé. Il raconte l’Histoire et les histoires de l’île. Celle de la centaine d’églises construites sous l’occupation catholique espagnole, durant les XVIIe et XVIIIe siècles.

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À l’entrée de Castro, pêle-mêle de palafitos, ces maisons sur pilotis qui s’avancent sur l’océan. Premier contact avec la Patagonie.

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L’attachement à ce bout d’île est trop fort pour être rompu. On se sent chilote avant d’être chilien.

Aujourd’hui, seize d’entre elles sont classées au patrimoine mondial de l’Unesco. Colorées, elles sont entièrement en bois (même les clous ont été remplacés par des chevilles de bois). Autre élément-signature : les nefs centrales en forme de coque de bateau renversée. Et regardent toutes en direction du large. À Chiloé, le dialogue entre océan et spiritualité se tisse jusque dans les détails : dans l’église de Nercón, des bateaux-mobiles voguant dans les airs réalisés par des pêcheurs ont été installés là en guise d’offrande. De bois aussi, les palafitos formant une ligne irrégulière à l’entrée de Castro, la capitale de l’archipel. Les voilà perchés sur la rive, entre la terre et l’eau – ni vraiment sur l’une, ni vraiment sur l’autre, accessibles par les deux. Comme les églises, les maisons de Chiloé, comme sorties d’un film en Technicolor, se jouent du nuancier naturel de l’île. À les regarder de plus près, un élément intrigue. Certaines ont une petite porte au premier étage : “C’est une façon de dire aux sorcières qu’elles sont les bienvenues”, nous raconte-t-on. La superstition est partout, diffuse, ancrée dans les mœurs. Résumée en une phrase populaire qui révèle l’esprit de l’île : “Je ne crois pas aux sorcières, mais… est-ce qu’elles volent ? – Bien sûr que oui.” Car Chiloé abrite une faune mythologique peuplée de créatures venant des forêts et des mers, où même les navires sont fantômes. L’écrivaine chilienne Isabel Allende l’évoque dans son roman Le Cahier de Maya : “Chiloé a sa propre voix. (…) Le vent, la pluie, le crépitement des bûches (…) et, parfois, les violons lointains du Caleuche, un bateau fantôme qui navigue dans la brume et qu’on reconnaît à sa musique.” Sur la côte ouest de l’île, face au Pacifique, Marcello Orellana, artiste-sculpteur lui aussi chilien, a donné corps à cette légende. Construit en 2005, le Muelle del alma (le “Pont des âmes”) est un ponton de bois qui serpente de la terre à l’océan. Il marque l’endroit exact, à Punta Pirulil, où les âmes attendent le bateau qui les conduira vers l’au-delà.

Quittant l’océan et Chiloé, le voyage se poursuit vers l’extrême sud du pays, pour rejoindre le cœur de la Patagonie chilienne, sur les pas de Francisco Coloane (son tout premier voyage le fit regagner Punta Arenas au terme d’un périple de 2 000 kilomètres). Après l’atterrissage, notre voiture se lance sur la “route de la fin du monde”. À voir les kilomètres de steppes qui s’étirent et s’allongent, indifférents à la perte de repères qu’ils provoquent, le nom fait écho… Cette Patagonie dont les images défilent prolonge l’escale précédente pour vite s’en détacher : ici, la nature est souveraine, et la présence humaine se fait très rare. Et la steppe patagonienne prend vie… Quelque 300 kilomètres de ligne droite plus tard, le moteur s’arrête. Si loin de tout que l’on ne distingue plus rien de familier. Le matin, les premiers rayons de soleil s’emparent d’un paysage à la physionomie intimidante : une terre sèche, semée de ronces noueuses et de petits buissons. Derrière, quelques collines aux angles effacés par les années et le vent. Et, tranchant avec tout le reste, le massif de Torres del Paine : trois immenses sommets qu’on croirait tracés à la pointe fine. Ils font partie de la cordillère del Paine, dont la formation remonte à plusieurs millions d’années. Une partie seulement de la Cordillère s’élève dans le parc naturel de Torres del Paine, créé en 1958 et couvrant environ 240 000 hectares. À l’image du vertige des chiffres, aborder ce parc exige de se défaire de ses repères, de les laisser glisser dans l’infinité de la steppe. À mesure que l’œil s’habitue à l’épaisseur de l’obscurité et s’empare des kilomètres de cette terre sèche battue par les vents, petit à petit les contours et les reliefs se dessinent, les couleurs se nuancent. La steppe patagonienne enfin prend vie, quelques guanacos (camélidés sauvages apparentés au lama) s’y déplacent, rapidement suivis par leurs petits. Cette terre

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Aborder le parc naturel de Torres del Paine exige de se défaire de ses repères, de les laisser glisser dans l’infinité de la steppe. 169

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Torres del Paine : une terre marbrée de lacs et de lagunes.

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Dans l’une des estancias, le ranch d'Amérique du Sud.

Fascinante et changeante Laguna amarga (“lagune amère”).

est marbrée de lacs et lagunes formées par l’érosion, qui rappellent en couleurs qu’il y a 12 000 ans, les glaciers couvraient toute la région. Le glacier Grey en témoigne qui, surplombant le paysage, semble veiller sur lui. La pluie se déclare et donne à la contemplation un tour nostalgique. L’air de chamamé crépitant, musique folklorique qui s’échappe de la radio de la voiture, n’y est pas étranger. Ce morceau vient de Puerto Natales, aux abords de la frontière avec l’Argentine, à une vingtaine de kilomètres. Au dehors, l’herbe s’avance et danse sur une lagune, un sommet enneigé se détache de l’horizon et dévoile, sous une fine couche de nuages, des arbres rougis par l’automne. Partout, le silence règne comme un écho aux paroles de Luis Sepúlveda dans le récit de ses aventures patagoniennes, Dernières nouvelles du Sud : “La steppe patagonienne invite les humains au silence car la voix puissante du vent raconte toujours d’où il vient.” Dans le même silence, les gauchos chiliens, que l’on

rencontre le lendemain, s’affairent et équipent les chevaux de l’estancia. Entre deux gestes précis et élégants, ils évoquent leur vie de baqueanos, la proximité des éléments, leur rudesse aussi. L’été marque le temps de la transhumance et les condamne à trois ou quatre mois de solitude. Ainsi vont l’homme et le cheval, très loin de la rumeur du monde. Et l’exploration du Chili se referme sur les notes du carnet de voyage de Sepúlveda : “En Patagonie, on dit que faire demi-tour et revenir en arrière porte malheur. (…) On ne doit avoir dans son dos que la guitare et les souvenirs.” Peut-être doit-on chercher là, au-delà de la poésie des mots, la sagesse du voyage.

Par LAURIANE GEPNER Photos ALIX PARDO

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Vue sur la steppe et la lagune patagoniennes depuis l’hôtel Tierra, fondu en pleine nature.

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PARTIR AU CHILI carnet pratique

À votre arrivée Beatriz, votre contact privilégié

• Superficie : 755 276 km² • Population : 17 574 003 (23,26 habitants/km2) • Côtes : 6 435 km (le pays est long de 4 200 km) • Océan : Pacifique Sud • Âge moyen : 32 ans

Belgo-chilienne d’origine, fille de diplomate et styliste de profession, Beatriz vit au Chili depuis plusieurs années. Passionnée par l’histoire et la géographie du pays, elle s’est reconvertie en guide francophone. Elle est donc une mine d’informations et vous saurez grâce à elle où déguster les meilleurs vins autour de Santiago, dénicher un guide privé pour explorer Valparaíso ou le désert d’Atacama, réserver un chauffeur pour explorer la Patagonie…

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lieux

La ferme bio de l’île de Quinchao Créée par Sandra Naiman, qui y cultive pommes de terre, ail, graines, pommes, et y élève des animaux. Un autre visage de Chiloé…

Estancia Lazo Ranch situé sur la rive sud du lac Sarmiento. Rencontre des baqueanos et balade à cheval, des forêts aux sommets.

Sur place À table Fogon del Lenador. À Puerto Montt. Adresse familiale et carnée. La viande est sélectionnée avec soin, saisie sur le feu et escortée de vins chiliens. Tradiciones Morelia. À Chiloé. Une cantine où goûter de délicieux empanadas – frits, dorés et rebondis –, assis à de grandes tablées communales.

Focus Les hôtels Tierra Museo Don Checo. À Mechuque. Une maison transformée en musée pour saisir l’âme de ce bout d’île et de ses habitants. Feria Artesanal Manos Chilotas. À Dalcahue. Marché d’artisanat où glaner plaids en laine, paniers tressés des femmes Mapuche et livrets sur les légendes de l’île…

Damiana Elena. À Punta Arenas. Une table qui met l’accent sur la pêche du jour. Réservation conseillée. À faire Les églises de Chiloé. Érigées par les jésuites espagnols aux XVIIe et XVIIIe siècles, elles sont seize à être inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco.

Le chiffre En kilomètres. C’est la longueur de la Ruta de los Parques de la Patagonia, inaugurée en septembre 2018. De Puerto Montt au Cap Horn, elle relie 17 parcs nationaux chiliens.

Laguna amarga Cette “lagune amère”, aux portes du parc Torres del Paine, intrigue par sa couleur, qui change avec les heures du jour. Un nuancier poétique naturel.

Derrière le nom Tierra, une collection d’hôtels d’exception au Chili. Soit trois adresses qui se fondent dans la nature – face au Pacifique à Chiloé, toisant les sommets de Torres del Paine en Patagonie et scrutant le désert à Atacama. Matériaux bruts, courbes organiques, éléments de design contemporain chilien et artisanat local signent l’esthétique Tierra. Mention particulière pour la sélection d’excursions proposée par chacun des hôtels, et pour l’attention accordée au bien-être. Après les journées d’exploration, faire escale au spa le temps d’un soin et de quelques brasses dans la piscine – sans jamais interrompre son tête-à-tête avec la nature.

Inspirations À lire Tierra del fuego de Francisco Coloane (contes, Éd. Phébus/ Libretto), Dernières nouvelles du sud de Luis Sepúlveda et Daniel Mordzinski (récit, Éd. Métailié), La Maison aux esprits d’Isabel Allende (roman, Éd. Livre de Poche).

2 800

Le Chili en liberté… Un grand voyage pour prendre la mesure des richesses du Chili, de Santiago et Valparaiso à la Patagonie. Road trip dans le désert d’Atacama, randonnée dans la réserve de biosphère de Torres del Paine et visites privées ponctuent le périple. 15 jours à partir de 5 000 €

… ou en adresses confidentielles Conjuguer l’appel des grands espaces et le goût d’un certain art de vivre en un voyage, du désert d’Atacama à Valparaiso. Des paysages grandioses et de belles adresses. 16 jours à partir de 6 900 € Voyageurs du Monde 01 83 64 79 44 Des voyages zéro carbone Les émissions de CO2 générées à chacun de nos voyages sont compensées à 100 % par des projets de reforestation.

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néo-bungalow

L’ÉCHAPPÉE MINIATURE

© Un Cercle

Capsule, igloo, cabane, tipi… La micromaison se réinvente et séduit les voyageurs en quête de nouvelles façons de s’évader. En plus d’offrir un accès XXL à la nature, son faible impact écologique la rend essentielle.

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néo-bungalow

Canada Tower Studio Où/ Île de Fogo, province de Terre-Neuve-et-Labrador. Quoi/ Une capsule miniature (il y en a quatre en tout) et résidence d’artistes sur l’une des îles les plus isolées de la planète, face à l’Atlantique Nord. Design/ Todd Saunders. Pour qui/ Réalisateurs, écrivains, musiciens… invités pendant plusieurs mois à trouver la sérénité et l’inspiration face à la vacuité de l’espace. Grandiose/ Le lieu, quintessence de la solitude bousculée par les éléments. fogoislandarts.ca

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© Panorama Glass Lodge

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Islande Panorama Glass Lodge Où/ Hvalfjörður. Quoi/ Un igloo rectangulaire de bois et de verre, posé aux portes de Reykjavík, en suspension au-dessus du Hvalfjörður (“Fjord des baleines”) et face aux montagnes. Design/ Conhouse. Pour qui/ Explorateurs douillets. Grandiose/ Voir danser les aurores boréales audessus de son lit ou/et du jacuzzi. panoramaglasslodge.com

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Portugal The Dove Cote

© Nelson Garrido

Où/ Soutelo, région de Braga. Quoi/ Un ancien colombier réinventé en cabane de béton, en lévitation. À l’étage, une salle de jeux pour les enfants ; au rez-de-chaussée une pool house. Design/ AZO. Pour qui/ Petits et grands rêveurs. Grandiose/ L’esprit cachette douillette en bois dans une coquille de béton en suspension. azoarq.com

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Finlande Nolla Cabin

© Nolla Cabin

Où/ Île de Vallisaari, Helsinki. Quoi/ Un tipi de pin de neuf mètres carrés, discrètement camouflé entre le ciel et l’eau sous un toit-miroir. Expérience environnementale bordée de design minimaliste. Design/ Robin Falck. Pour qui/ Les glampeurs écoresponsables et exigeants. Grandiose/ La vue et cette impression d’ouvrir sa toile de tente face au grand large. robinfalck.com

États-Unis Folly

© Sam Frost

Où/ Parc national de Joshua Tree, Californie. Quoi/ Posée en plein désert, cette double structure de métal rouillé abrite un intérieur épuré, dopé à l’énergie solaire. Une douce expérience de l’aridité, si loin du monde. Design/ Cohesion Studio. Pour qui/ Bande de cowboys solitaires. Grandiose/ La “suite” à ciel ouvert, ou comment redéfinir la nuit à la belle étoile. follycollection.com

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© Jules Couartou

France La petite maison Viking Où/ Fermanville, Cotentin. Quoi/ Une cabane de pêcheurs des années 1950 restaurée, douze mètres carrés optimisés en équilibre sur un rivage où, au IXe siècle, débarquaient les vikings. Intérieur nordique extra-lumineux. Design/ FREAKS Architecture. Pour qui/ Beach addicts sensibles au style. Grandiose/ L’air du large qui s’invite en permanence, les chaises design de Valdimar Harðarson pour recevoir en petit comité. freaksarchitecture.com

Tasmanie Bruny Island Hideaway

© Rob Maver

Où/ Alonnah, Bruny Island. Quoi/ Sur une île au large de la Tasmanie, cette retraite privée de vingt-huit mètres carrés, inspirée par le minimalisme japonais, a été conçue comme un meuble dans lequel chaque élément est imbriqué. Design/ Maguire + Devine Architects Pour qui/ Grand voyageur agoraphobe. Grandiose/ Les baies coulissantes qui démultiplient la surface en reliant deux terrasses en bois où s’incruste une baignoire. maguiredevine.com.au

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© Ark Shelter

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Slovaquie Ark Shelter Où/ Région de Kysuce. Quoi/ Une maison modulaire en pin blond, quarante mètres carrés d’ingéniosité, autonome et durable, à placer où vous voulez : près d’un lac dans une forêt, au fond du jardin… Design/ Michiel De Backer, Martin Mikovčák. Pour qui/ Écologistes des temps modernes. Grandiose/ La baignoire encastrée dans le sol et cachée sous un lit qui remonte au plafond ! ark-shelter.com Par BAP TISTE BRIAND

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néo-bungalow

© DR

Quatre micromaisons à vendre

© Disappear Retreat

Wikkelhouse. Une maison en carton solide et très écolo. Imaginés par un designer hollandais, ces modules de cinq mètres carrés, assemblables à l’envi, sont à poser où vous voulez. À partir de 30 000 €. wikkelhouse.com

© Archipod Ltd

Disappear Retreat. L’invisibilité est l’obsession de l’architecte américaine Carly Coulson. Objectif : réduire à zéro l’empreinte carbone, sans oublier le design. À partir de 22 000 €. coulson.co

Archipod. À l’origine conçue comme un espace de travail, cette sphère en bois de trois mètres de diamètre se détourne facilement en chambre… à poser au fond du jardin. À partir de 17 000 €. archipod.com

© Muji

Muji Hut. Imaginée par le designer Naoto Fukasawa, cette cabane (photo ci-contre) condense le minimalisme japonais en neuf mètres carrés (ni cuisine ni salle d’eau). À partir de 24 000 €. muji.com

La Muji Hut : neuf mètres carrés d’ingéniosité japonaise.

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© Imagno/Getty Images

Alain Gerbault à bord du Firecrest, en 1932, au départ de Marseille.

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récit

LE VOYAGEUR OUBLIÉ

Aviateur, joueur de tennis, dandy, pionnier de la navigation, Alain Gerbault mena une existence des plus palpitante. Las, il fuit les mirages de la civilisation moderne, et passa du paradis des îles polynésiennes à l’enfer d’une fin de vie faite d’errances.

J’ai découvert pour la première fois Alain Gerbault autour d’un court de tennis. C’était en 1929, à RolandGarros, du nom de l’aviateur français disparu onze ans plus tôt dans un combat aérien à la toute fin de la Grande Guerre. Mais c’est un tout autre héros que l’on s’apprête à célébrer en ce 28 juillet, lors de la finale de la Coupe Davis France-États-Unis. Lorsque notre ami Gerbault pénètre dans la tribune présidentielle, au moment où se dispute le double, l’arbitre de chaise annonce son arrivée aux quelque 10 000 spectateurs et provoque de fait l’interruption de la rencontre. Le public, comme un seul homme, se met à entonner La Marseillaise, et Borotra et Cochet, les finalistes français, abandonnent leurs raquettes et se précipitent vers Alain Gerbault pour l’embrasser.

Pourquoi cet accueil de star ? Pas uniquement parce qu’il fut lui aussi, pendant la guerre, un as de l’aviation. Pas davantage parce qu’il fut un remarquable tennisman, finaliste du double à Roland-Garros en 1921 et du simple l’année suivante au tournoi de Monte-Carlo. Non. Le 26 juillet, Alain Gerbault bouclait un incroyable tour du monde à bord de son mythique voilier, le Firecrest. Arrivé au Havre, il avait été accueilli triomphalement par une foule immense (il recevra même la Légion d’honneur quelques jours plus tard). Ainsi, pour reprendre les bonnes vieilles habitudes, il s’était rendu au stade Roland-Garros, accompagné de la grande championne Suzanne Lenglen, une amie intime avec laquelle il disputa de nombreux doubles mixtes.

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récit

Alain Gerbault ressent l’appel de la mer lorsqu’il est enfant, à Dinard, sur le yacht paternel. L’homme qu’il est devenu a de la constance dans les idées et sait sortir des sentiers battus. Ainsi, une première fois, il ose une traversée de l’Atlantique d’est en ouest. Sur son petit bateau de onze mètres, il essuie vents et courants contraires et met plus de cent jours pour relier Nice à New York, en 1923. Il en fait le récit dans Seul à travers l’Atlantique (1924), immense succès de librairie.

ché une certaine idée du paradis. Il y fouille tous les archipels du Pacifique Sud, y apprend les langues locales et fait renaître des traditions de populations colonisées par l’administration mais aussi par l’alcool. Il retrouve enfin les Marquises tant aimées de son premier tour du monde. Jamais il n’oubliera cette “route du vrai retour”. Il y aura goûté la sérénité, ce qu’il rapporte dans Iles de beauté (1941), l’ouvrage de la réconciliation avec le monde vivant. Il partage le quotidien des pêcheurs, leurs jeux, leurs rires, leurs traditions. Mais au fil des années, sa vision de la Polynésie se fait plus sombre. Un paradis se meurt (parution posthume en 1949) est le titre de son livre-testament, que je recommande à chaque voyageur partant à la découverte du Pacifique.

Les fortunes de mer ne le décourageant pas, il ne reste en France qu’une petite année, le temps de renouer fugacement avec sa vie de dandy et de bourreau des cœurs. Car Alain Gerbault s’ennuie. Il lui faut à la fois plus de mer, plus d’aventure, plus d’évasion. Il imagine donc un nouveau voyage, encore plus palpitant et beaucoup plus long. Toujours sur son Firecrest et toujours en solitaire, il repart de New York le 2 octobre 1924, pour un tour du monde de cinq ans. Cap sur les îles : Bermudes, Tahiti après le canal de Panama, Fidji, La Réunion, Sainte-Hélène, le Cap-Vert… Jusqu’à cette arrivée héroïque au Havre en 1929. Le Tout-Paris se l’arrache, il croule sous les invitations, Yvonne Printemps lui consacre une chanson… Mais il n’est pas heureux en France. D’autant qu’en 1932, sa tendre amie la navigatrice Virginie Hériot disparaît à l’âge de 42 ans. “Mes trois ans de retour à la vie civilisée me semblent vides, terriblement vides, plus vides qu’une semaine passée dans un atoll, tant la vie trépidante et compliquée de la civilisation moderne appauvrit la mémoire en enlevant le temps de réfléchir. Seul subsiste le souvenir d’un tourbillon perpétuel et incessant de voyages.” Il lui faut donc repartir. Voyager : la grande affaire d’Alain Gerbault.

Malgré cela, il aura fait quelques mauvais choix, bien éloignés des réalités métropolitaines : Pétain plutôt que de Gaulle. Et alors que l’Océanie se rattache à la France libre, il lui faut fuir. Les îles Samoa, Tonga. Toujours plus loin, toujours l’errance. Il passe le détroit de Torrès et arrive dans l’océan Indien. Le voilà au Timor portugais. Il vit à moitié nu sur son bateau, sa maigreur fait peur, il traîne sur la plage, rongé par la malaria. Le navigateur tente de repartir, mais son bateau s’écrase contre les récifs. Lui s’en sort en nageant, mais très affaibli par la maladie, il agonisera pendant une semaine. Soixante-dix ans plus tard, je suis retourné à Dili, au Timor. Puis à Bora-Bora, où Alain Gerbault a fini par être enterré, chez ceux qu’il aimait. Sa tombe était reléguée derrière les poubelles du port. Avec quelques amis et les autorités locales, nous avons financé sa restauration. En mémoire de celui qui avait écrit : “Le marin appareille sur son navire Toujours il reprend le large Un jour, pour la première fois, il avait pris la mer. Et c’est elle qui le reprend toujours. Le marin s’est enseveli avec son navire. Il ne bravera plus l’orage Toujours il reprenait la mer Et c’est elle qui l’a pris pour toujours.”

J’aurais tellement aimé qu’il m’embarque à son bord, le 28 septembre 1932, à Marseille d’où il appareille avec son nouveau bateau, dont il avait dit qu’il serait son tombeau… Sans fausse modestie, il lui avait donné le nom d’Alain Gerbault… Après des années d’errance, sans jamais revenir en France, la prophétie du marin se réalise le 16 décembre 1941, sur l’île de Timor où il rend l’âme. Entretemps, tout au long de ces neuf ans de vagabondage dans les îles polynésiennes, il aura appro-

Par PATRICK POIVRE D’ARVOR

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