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Influence de la parodontite sur la grossesse et la naissance
Introduction Depuis deux décennies, la parodontologie étudie l’influence de la parodontite sur la grossesse, la faiblesse pondérale à la naissance ou la naissance prématurée. Les taux de naissances prématurées et de faiblesse pondérale à la naissance augmentent dans le monde entier et sont la principale cause de morbidité et de mortalité néonatales. La nécessité d’agir en matière de prévention, d’éducation et de soins médicaux pour les femmes enceintes concerne le monde entier. Cet article donne tout d’abord un aperçu du sujet et aborde également la nécessité d’une thérapie gynécologique et médico-dentaire interdisciplinaire. De cette manière, le personnel dentaire du cabinet peut continuer à apporter une contribution modeste mais non négligeable à l’amélioration de la situation des femmes affectées et de leurs enfants.
Parodontite et maladies systémiques Au cours des vingt dernières années, la recherche s’est concentrée sur les liens potentiels existant entre la parodontite et les maladies systémiques. La parodontite a été reliée au diabète, à la polyarthrite rhumatoïde, à la démence, à l’obésité, au syndrome métabolique et aux maladies cardiovasculaires (LINDEN et al. 2013). Une association avec les naissances prématurées et le faible poids à la naissance est également examinée (MADIANOS et al. 2013).
Naissances prématurées L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la naissance prématurée comme une naissance avant la 37e semaine complète de grossesse ou avant 259 jours, calculée à partir du premier jour des dernières règles (OMS 2018). Les principales causes de naissance prématurée spontanée sont les inflammations et les infections urogénitales (CHALLIS et al. 2009, GOLDENBERG et al. 2008). Toutefois, jusqu’à 50% de toutes les naissances prématurées spontanées restent d’étiologie inconnue (GOLDENBERG et al. 2008, IAMS et al. 2008). Les enfants survivants sont plus susceptibles de souffrir de handicaps à long terme, de troubles du développement du système nerveux, de problèmes respiratoires et d’anomalies congénitales (CHRISTIANSON et al. 1981, HACK et al. 1983, MCCORMICK et al. 1993, YU 2000).
Méd. dent. Jasmina Opacic Berne
Poids réduit à la naissance Le poids réduit à la naissance a été défini par l’OMS comme un poids inférieur à 2500g (UNICEF 2004). Les causes sont multiples, telles que le déclenchement précoce de l’accouchement, les césariennes, les grossesses multiples, les infections, ainsi que les maladies maternelles chroniques comme le diabète ou l’hypertension (LARROQUE et al. 2001). En raison de la diminution du poids à la naissance, le risque de mortalité et de morbidité fœtales et néonatales, de troubles du développement cognitif et de maladies chroniques augmentent avec l’âge. (RISNES et al. 2011). Il existe souvent une corrélation entre les issues défavorables de la grossesse, les naissances prématurées et la réduction du poids à la naissance. Les bébés prématurés sont plus susceptibles d’avoir un poids réduit, mais il n’est pas encore établi que les mêmes processus pathologiques se produisent ici (IDE & PAPAPANOU 2013).
Grossesse et maladies parodontales Le risque de maladie parodontale est accru pendant la grossesse (LAINE 2002). Si elle est déjà présente, une exacerbation significative se
Figure 1: Mécanismes pathologiques possibles entre parodontite chronique et grossesses à problème (OPACIC ET AL. 2019, MODIFIÉE DE SANZ & KORNMAN (2013).
Voie indirecte
Les bactéries et les médiateurs inflammatoires parviennent au foie et entraînent la production de médiateurs inflammatoires additionnels.
Voie directe
Les bactéries et leurs produits parviennent dans l’unité fœto-placentaire par propagation hématogène.

PGE-2 TNF
Voie indirecte
Les médiateurs inflammatoires parviennent dans l’unité fœtoplacentaire par propagation hématogène.
Voie directe
Les bactéries accèdent au fœtus par le conduit uro-génital. Bactéries et leurs produits Médiateurs inflammatoires
Voie hématogène
Voie non-hématogène
produit pendant la grossesse (BOGGESS & EDELSTEIN 2006). Selon la littérature, l’incidence de la gingivite pendant la grossesse varie entre 30% et 100% (LOE & SILNESS 1963, MAIER & ORBAN 1949). La parodontite chronique est observée chez 5 à 20% de toutes les femmes enceintes, c’est une maladie clinique qui accompagne fréquemment les femmes enceintes (BOGGESS & EDELSTEIN 2006, LAINE 2002). La pathogenèse exacte de la gingivite gestationnelle n’est pas clairement élucidée. En conséquence, différentes hypothèses sont discutées (FIGUERO et al. 2010). Une première explication possible réside dans le changement de l’équilibre hormonal pendant la grossesse. Du deuxième au huitième mois de la grossesse, les concentrations des hormones sexuelles féminines progestérone et œstrogène augmentent. La gencive possède des récepteurs sensibles aux œstrogènes et à la progestérone
qui influencent sa morphologie tissulaire pendant la grossesse (VITTEK et al. 1982). Il en résulte une perméabilité vasculaire accrue, une dilatation capillaire et une prolifération vasculaire, ce qui peut contribuer à une augmentation de l’inflammation gingivale (LINDHE & ATTSFROM 1967, LINDHE & BRANEMARK 1967, LINDHE et al. 1967). En outre, des mécanismes immunologiques de la susceptibilité accrue aux maladies parodontales pendant la grossesse sont examinés (LOPATIN et al. 1980, O’NEIL 1979, RABER-DURLACHER et al. 1991). Pendant la grossesse, les hormones sexuelles féminines provoquent une légère immunosuppression de la mère afin d’éviter le rejet du fœtus. La gingivite de grossesse pourrait donc être une réaction du corps immunodéprimé
Fiche d’information: rendez-vous dentaires pendant la grossesse
Fiche d’information: rendez-vous dentaires pendant la grossesse
Premier trimestre
Phase de plus grande vulnérabilité pour le fœtus
Conseils, prévention et traitement de la gingivite, de la parodontite, des érosions et des caries.
Gingivite associée à la grossesse: optimisation de l’hygiène bucco-dentaire à la maison, emploi éventuel de solution à la chlorhexidine 0.1-0.2% (également en cas de nausée et de mauvaise hygiène bucco-dentaire), huile de tea-tree ou propolis. • Régime: éviter les aliments et les boissons acides, neutraliser éventuellement avec des produits laitiers et stimulation de la steralivation avec des chewing-gums. • Nausée liée à la grossesse: éviterle brossage des dents après le réflexe nauséeux, employer des solutions bucco-dentaires fluorées.
Deuxième trimestre
La nausée a disparu et les patientes peuvent rester allongées une heure.
Nettoyage dentaire professionnel et instruction sur l’hygiène bucco-dentaire à la maison.
Traitement en cas d’indication, pas de chirurgie parodontale.
Radiographies: peuvent s’effectuer en respectant les mesures de sécurité habituelles (tablier de plomb sur le bassin). Lors de tout examen radiologique pendant la grossesse, des complications liées à la grossesse peuvent cependant rapidement apparaître –indépendamment du lien de causalité –et nuire à la relation entre médecin et patiente. Il est incontestable toutefois que la présence d’une infection (dentaire) non décelée chez une femme enceinte peut constituer un problème bien supérieur pour l’enfant à naître qu’une radiographie et d’éventuelles substances thérapeutiques (P ATCAS et al. 2012, PERTL et al. 2000). Anesthésie locale: l’articaïne, la bupivacaïne et l’étidocaïne sont recommandées (G IGLIO et al. 2009, PATCAS et al. 2012). Ne pas employer de prilocaïneet de lidocaïne (P OPOVIC et al. 2016). Médicaments: les analgésiques (paracétamol) et les antibiotiques systémiques (pénicilline, céphalosporine et érythromicine) sont sûrs. La tétracycline est contreindiquée. Aminosides et métronidazole uniquement en cas d’infections graves et sur stricte indication (P ATCAS et al. 2012, PERTL et al. 2000).
Troisième trimestre
Limitations pour la position de la patiente (syndrome de compression de la veine cave).
Conseils sur la santé dentaire et prophylaxie de l’enfant à naître.
de la femme enceinte à la charge bactérienne habituelle du biofilm dans la bouche (O’NEIL 1979). Enfin et surtout, les modifications du biofilm oral sont examinées (JONSSON et al. 1988, KORNMAN & LOESCHE 1980, RABER-DURLACHER et al. 1994). Kornmann et Loesche (1980) ont pu prouver qu’entre la 13 e et la 16 e semaine de grossesse, l’équilibre est déplacé en faveur des bactéries anaérobies (KORNMAN & LOESCHE 1980). Comme ce déséquilibre se poursuit jusqu’au troisième trimestre, on peut supposer que la maladie parodontale est fortement favorisée (KORNMAN & LOESCHE 1980).
Le rôle de la parodontite dans les grossesses à l’issue défavorable Il n’existe pas encore de pathomécanisme précis permettant d’établir un lien entre la parodontite et une issue défavorable de la grossesse. Les quatre voies actuellement connues sont clairement indiquées dans la figure 1. Dans la littérature, une distinction est faite entre deux voies directes et deux voies indirectes (SANZ et al. 2013). L’une des voies directes décrit l’ascension de la bactérie via le vagin et le col de l’utérus dans la cavité utérine et vers les membranes placentaires (PIZZO et al. 2010). Les infections urogénitales sont considérées comme la cause la plus fréquente des naissances prématurées, représentant 40 à 50% de tous les cas (LAMONT 2003). L’autre voie directe est la propagation hématogène de micro-organismes à partir de la cavité buccale. En cas d’infection parodontale, les bactéries anaérobies à Gram négatif atteignent les vaisseaux sanguins via l’épithélium des poches et peuvent se frayer un chemin jusqu’à l’unité fœto-placentaire. L’agent pathogène parodontal Porphyromonas gingivalis a été détecté dans le placenta de femmes enceintes ayant des menaces de naissances prématurées. (KATZ et al. 2009). En tant que mécanismes biologiques indirects, deux approches sont également abordées. Ici, les médiateurs de l’inflammation produits par l’organisme jouent un rôle décisif. D’une part, l’infection orale entraîne une excrétion accrue de médiateurs inflammatoires locaux, qui à leur tour atteignent l’unité fœto-placentaire par la voie hématogène. La concentration accrue d’interleukine-1 β (IL-1 β) et de facteur de nécrose tumorale- (TNF- ) peut produire une synthèse accrue de prostaglandines. Cela peut
entraîner des contractions musculaires de l’utérus, une dilatation du col de l’utérus et une rupture prématurée du sac amniotique pendant la grossesse (OFFENBACHER et al. 1996, PIZZO et al. 2010). D’autre part, les bactéries et leurs produits peuvent pénétrer dans le foie par le sang et y provoquer une libération accrue de médiateurs inflammatoires.
Parodontite et naissances prématurées La relation entre la parodontite chronique et les naissances prématurées a été analysée dans de nombreuses études. Jeffcoat et collaborateurs (2001) ont étudié l’association dans le cadre d’une vaste étude prospective effectuée aux États-Unis. Au total, 1 313 femmes enceintes, dont 82 % d’Afro-Américaines, ont été examinées et les résultats ont révélé une association positive statistiquement significative (JEFFCOAT et al. 2001). Cependant, l’association n’a pas été démontrée de manière cohérente dans toutes les études. Une étude britannique a montré une association négative, car en 2004, Moore et son équipe ont examiné 3738 femmes de condition socio-économique supérieure présentant une gravité moindre de la parodontite dans une étude prospective réalisée à Londres. Aucune différence significative n’a été constatée dans l’examen de l’hygiène buccale, des saignements au sondage, de la profondeur du sondage ou de la perte d’attache clinique entre les femmes ayant accouché avant terme et celles ayant accouché normalement (MOORE et al. 2004).
Parodontite et poids réduit à la naissance Comme lien entre la maladie parodontale et le faible poids à la naissance, on suppose que la parodontite chronique peut déclencher une réaction inflammatoire susceptible d’endommager le placenta et de nuire à son approvisionnement en sang (OFFENBACHER et al. 1996). Bretelle et ses collègues (2004) ont indiqué dans une publication que l’inflammation du placenta entraîne une mauvaise irrigation sanguine du fœtus. Lors d’examens histologiques, des lésions ressemblant à des lésions athérosclérotiques ont été mises en évidence dans l’unité utéro-placentaire. Comme l’endothélium vasculaire est le lien clé entre le fœtus et le placenta, ces dysfonctionnements endothéliaux entraînent un retard de croissance du fœtus (BRETELLE et al. 2004). Le fait que les infections dentaires puissent provoquer une inflammation chronique, qui est associée à l’athérosclérose, a déjà été postulé par Beck et ses collègues en 1999 (BECK et al. 1999).
Thérapie parodontale non chirurgicale chez les femmes enceintes L’étude relative à l’influence de la thérapie parodontale non chirurgicale sur l’issue de la grossesse est actuellement controversée. López et ses collègues (2002) ont montré dans une étude portant sur 400 sujets que la thérapie non chirurgicale peut réduire de manière significative le taux de réduction du poids à la naissance et de naissances prématurées chez les femmes enceintes souffrant de parodontite (LOPEZ et al. 2002). Michalowicz (2006), en revanche, a mené une étude contrôlée randomisée à grande échelle, en double aveugle, aux États-Unis. Les résultats ont montré que le traitement parodontal non chirurgical pendant la grossesse ne réduit pas le taux de naissances prématurées accompagnées d’un manque pondéral. À cette fin, un détartrage et un surfaçage radiculaire ont été effectués chez 413 patientes avant leur 21e semaine de grossesse. En outre, ces sujets ont reçu une instruction mensuelle sur l’hygiène buccale et le polissage de l’émail. Le groupe témoin de 410 femmes a bénéficié d’un nettoyage sous-gingival professionnel des dents après l’accouchement. Les résultats ont montré qu’une thérapie non chirurgicale pendant la grossesse améliore la santé parodontale des sujets. Toutefois, aucun effet positif sur les issues de grossesse défavorables, telles que les naissances prématurées et la réduction du poids à la naissance, n’a été observé (MICHALOWICZ et al. 2006).
Discussion Lorsque l’on examine le résultat de l’étude concernant la parodontite et les éventuelles issues défavorables de la grossesse, il faut certainement tenir compte du fait que l’ethnicité et les différents contextes socio-économiques des populations étudiées jouent un rôle important et ont une incidence. Des associations positives entre la parodontite chronique et les naissances prématurées, ainsi que le poids réduit à la naissance ont été largement démontrées dans des études menées aux États-Unis, dans des régions essentiellement urbaines comptant une part proportionnellement élevée de population afro-américaine (SRINIVAS et al. 2009). Cette population affiche généralement une incidence supérieure de naissances prématurées. En Europe, la population a un large accès aux
soins de santé. Les études menées montrent une incidence significativement plus faible de naissances prématurées et de poids réduit à la naissance et aucune association positive avec la parodontite n’a été démontrée (AGUEDA et al. 2008). De plus, les variations dans les diagnostics cliniques rendent difficiles les comparaisons globales et l’interprétation des données d’études épidémiologiques.
Auteure Méd. dent. Jasmina Opacic 2011-2017 Université de Berne: études de médecine dentaire. 7 août 2017 Examen d’Etat: médecin-dentiste avec diplôme fédéral, Université de Berne. Depuit 2018 Médecin-dentiste assistante auprès de la Dr méd. dent. Lucie Rohrer, Gümligen. Dissertation (en cours) Clinique d’orthopédie dento-faciale à la Clinique odontostomatologique de Berne auprès du PD Dr méd. dent. Nikolaos Gkantidis.
Correspondance: Méd. dent. Jasmina Opacic Aeschiweg 8 3066 Stettlen jasmina.opacic@bluewin.ch
Pertinence clinique Il est essentiel que la médecine dentaire puisse contribuer de manière significative à ce que la grossesse et l’accouchement soient exempts de complications. Les futures mères doivent être informées de l’importance que revêt une bonne santé bucco-dentaire dès le début de la grossesse. La favorisation d’une bonne santé buccodentaire et le maintien d’une hygiène buccodentaire optimale sont les principaux objectifs à poursuivre pour les femmes enceintes. Les patientes doivent être informées de la tendance accrue à développer une gingivite et une parodontite pendant la grossesse et recevoir un traitement préventif. Par conséquent, le dialogue et la coopération interdisciplinaires entre les dentistes et les gynécologues sont essentiels (SADDKI et al. 2008). L’organogenèse a lieu au cours du premier trimestre de la grossesse. Pendant cette phase, le fœtus est le plus sensible aux influences environnementales. C’est au cours de la seconde moitié du troisième trimestre que le risque d’accouchement prématuré est le plus élevé (NIERLING 2008). En général, les procédures orales ou parodontales facultatives doivent être évitées durant ces phases. Si un examen parodontal pendant la grossesse révèle des signes de maladie inflammatoire des gencives, le deuxième trimestre est le moment le plus sûr pour effectuer un traitement parodontal non chirurgical (GIGLIO et al. 2009). Comme l’a démontré l’étude interventionnelle de Michalowicz et collaborateurs, la thérapie parodontale non chirurgicale pendant la grossesse est considérée comme sûre pour la mère et l’enfant (MICHALOWICZ et al. 2006).
Une publication a paru sur le même thème dans le Swiss Dental Journal, Vol 129 7/8 2019.
Bibliographie sur www.dentalhygienists.swiss