Anna Mollel
POURQUOI ANNA A-T-ELLE ÉTÉ NOMINÉE ?
NO M IN É E • Pages 50–69
Grâce à Anna et à son organisation Huduma ya Walemavu des milliers d’enfants handicapés ont la possibilité de vivre dignement. Ils ont accès aux moyens dont ils ont besoin, tels que soins médicaux, opérations, kinésithérapie, thérapie et fauteuil roulant. Ils ont la possibilité d’aller à l’école et reçoivent sécurité et amour. Anna défend constamment la cause des enfants handicapés en parlant de leurs droits aux autorités, hommes politiques et organisations, mais surtout aux gens des villages perdus dans la campagne. Depuis 1990, 12.500 enfants, surtout Massaïs, ont amélioré leurs conditions de vie, grâce à Anna et à Huduma ya Walemavu. Des enfants qui, sans l’engagement d’Anna, en faveur de leurs droits auraient été négligés et seraient peut-être morts.
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Anna Mollel a été nominée au Prix des Enfants du Monde 2012 pour son combat de plus de 20 ans en faveur des enfants handicapés de la campagne pauvre du nord-est de la Tanzanie.
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Ce fut à l’âge de six ans que pour la première fois Anna Mollel comprit les difficultés des enfants handicapés des villages Massaïs du nord de la Tanzanie. Mais, le pire, ce fut bien des années plus tard, quand le combat en faveur des droits des enfants handicapés avait été engagé depuis longtemps. Anna arriva à ce qu’elle croyait être un village inhabité. Mais sur le sol d’une maison elle trouva une fillette de huit ans abandonnée qui ne pouvait pas bouger et serait morte si Anna n’était pas survenue. À la page 55, tu peux lire ce qui est advenu de la fillette, Naimyakwa.
A
nna, qui appartient au groupe ethnique des Massaïs, venait de rentrer de l’école. Elle avait six ans et comme d’habitude, elle aida maman à aller chercher le bois et l’eau, puis courut chez ses camarades dans le village voisin. Ils s’amusaient dans la cour, quand Anna entendit un
bruit provenant de l’une des maisons. – J’ai demandé ce que c’était. Mon amie a baissé les yeux avant de répondre que c’était sa sœur. L’amie d’Anna raconta que sa sœur n’avait pas le droit de sortir, sa mère ne voulait pas montrer qu’elle avait une fille qui n’était pas
« comme elle aurait dû » - Je suis entrée dans la maison pour contrôler. Il y avait en effet une petite fille. Elle était étendue sur le sol et elle a souri en me voyant, se souvient Anna. Anna rencontre Nauri
Anna aida la fille à s’asseoir et joua avec elle. La fille qui s’appelait Nauri, avait le même âge qu’Anna. Elle était heureuse d’avoir enfin de la compagnie. Anna revint le jour suivant, après que la mère de Nauri était partie chercher de l’eau. – Mais nous nous amusions tellement que nous n’avons pas vu le temps passer. La mère de Nauri est entrée comme une furie et m’a frappée avec un bâton. Elle criait que je ne devais plus mettre les pieds dans leur maison. Anna fut obligée de s’en-
fuir, mais elle était déterminée à revenir le jour suivant. – Les autres enfants avaient peur. Des coups de bâton et de jouer avec Nauri, qu’ils trouvaient bizarre. Mais je leur ai dit que tout le monde a besoin d’amis. Et puisque Nauri était l’une de nous, je pensais que c’était normal que nous allions chez elle et restions avec elle aussi. Anna réussit à convaincre ses camarades. On faisait le guet à tour de rôle, quand le gardien criait que maman arrivait, tout le monde se sauvait aussi vite que possible. Après quelques jours, Anna aida Nauri à se mettre debout et l’entraîna à marcher. Bientôt, Nauri put les suivre dans la cour pour jouer. Injuste
Quelques semaines plus tard, la mère de Nauri, vint chez Anna. – Je croyais qu’elle me gronderait, mais au lieu de cela,
elle m’a dit qu’elle savait ce que je faisais et qu’elle voulait que je continue ! Elle m’a dit que Nauri ne s’était jamais sentie si bien et que c’était un miracle qu’elle puisse marcher et courir. Comme la mère de Nauri était si contente, Anna en profita pour demander si Nauri pouvait commencer l’école, mais elle n’accepta pas. – Alors j’allais chez Nauri tous les jours après l’école et lui apprenais ce que j’avais appris pendant la journée. J’étais moi-même petite, mais je suis devenue son enseignante, la seule qu’elle ait jamais eue. J’ai ressenti longtemps un sentiment d’injustice. J’ai pu aller à l’école, mais pas elle, simplement parce qu’elle était handicapée. Elle avait les mêmes droits que moi, mais je ne pouvais pas l’aider plus que cela. Je me suis toujours dit que j’aurais dû faire plus.
Massaïs vulnérables
Est devenue infirmière
Anna fit une formation d’infirmière et commença à travailler. Un jour une femme allemande de l’église catholique d’Arusha vint à l’hôpital. Elle s’appelait Elifrieda et voulait parler à Anna. – Elle savait que j’étais Massaï et elle voulait que je lui dise comment était la situation des enfants Massaïs handicapés dans nos villages. J’ai expliqué qu’auparavant il n’était pas rare qu’on tue ou qu’on abandonne les enfants à la naissance. On croyait que les enfants handicapés étaient une punition de Dieu, parce qu’on avait fait quelque chose de mal. Mais je lui ai expliqué que la raison majeure était que nous, Massaïs sommes un
peuple d’éleveurs, et que pour survivre, nous sommes obligés de parcourir à pied de longues distances dans la savane, à la recherche de pâturages frais pour les bêtes. Un enfant handicapé qui ne pouvait pas se déplacer, était vu comme un fardeau pour tout le groupe. – J’ai expliqué que les droits des enfants handicapés étaient encore violés. Qu’on les cachait, qu’ils ne recevaient pas les soins dont ils avaient besoin, qu’on ne les laissait ni aller à l’école, ni jouer. Huduma ya Walemavu
Elifrieda demanda si Anna voulait participer à la création d’un projet pour les
La fierté des Massaïs
– Je suis Massaï et fière de l’être. Je veux que mon peuple vive bien. C’est pour cela que je me bats pour les droits de nos enfants handicapés, dit Anna.
Les Massaïs sont essentiellement éleveurs. Il existe environ un million de Massaïs, répartis entre la Tanzanie et le Kenya. Depuis le début du XXème siècle, les territoires que les Massaïs utilisaient comme pâturage ont diminué. Les autorités ont mis à la disposition une grande partie du territoire des Massaïs à des personnes et à des entreprises privées pour des cultures, des chasses privées et des parcs nationaux où les touristes peuvent voir des animaux sauvages. Les Massaïs ont été relégués dans des zones moins fertiles. En 2009, des brigades anti-émeutes ont brûlé huit villages Massaïs dans le nord de la Tanzanie pour permettre à une entreprise de chasse privée d’utiliser le terrain. Les touristes payants allaient entreprendre la chasse des grands fauves. Des gens ont été battus et chassés de leur maison. Plus de 3.000 hommes, femmes et enfants se sont retrouvés sans foyer. Les Massaïs qui laissaient leur bétail paître dans leurs zones d’origine, ont été emprisonnés. – Les Massaïs sont déjà les plus pauvres. Si les bêtes n’ont plus d’herbe, elles meurent. Et, comme toujours, les plus durement touchés, ce sont les enfants, dit Anna.
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Retour au village
– Notre but est que les enfants retournent au village et vivent comme le reste de la famille. Qu’ils aillent à l’école avec les autres enfants et fassent part de la société, dit Anna, qui vient de rendre visite au village de Lomniaki.
enfants handicapés dans les villages Massaïs, qui s’appelait Huduma ya Walemavu (Assistance aux handicapés). – J’ai tout de suite accepté. C’était exactement ce que j’attendais ! Enfin, je pouvais faire plus pour les enfants handicapés que je n’avais pu faire pour Nauri quand j’étais petite. En 1990 Anna entreprit de passer dans les villages et d’informer sur les droits des enfants handicapés. En même temps, elle chercha les enfants qui avaient besoin d’aide. L’un des premiers enfants qu’elle rencontra fut Paulina, une jeune orpheline de 15 ans, qui à la suite d’une polio ne pou52
vait pas marcher. Elle était obligée de se traîner sur le sol pour se déplacer. Anna crut que ce serait facile de convaincre les chefs de village qu’avec l’opération adéquate, on pouvait améliorer la vie de Paulina. Qu’ils trouveraient cela bien. Mais Anna se trompait. N’abandonne pas
– Ils ne savaient pas que les enfants handicapés pouvaient être opérés et aller mieux et ils ne me croyaient pas. Comme ils vivaient loin de l’hôpital, ne savaient pas lire et n’avaient pas les moyens de s’acheter une radio, ils n’avaient jamais eu la possibilité de l’apprendre. Et même si cela était vrai, ils pensaient que ce serait de l’argent gaspillé. Ces enfants ne pourraient de toute façon jamais garder le bétail ou aller à l’école. Mais mon plus grand problème était que j’étais une femme. Dans notre société,
les femmes n’ont pas voix au chapitre, ils ne m’ont pas prise au sérieux. Anna n’abandonna pas. Comme elle avait défié la mère de Nauri, elle défia les chefs de village pour aider Paulina. Il fallait quatre heures pour aller au village, mais pendant deux semaines, Anna s’y rendit cinq fois ! À chaque rencontre, elle expliquait les droits de l’enfant et qu’ils pouvaient opérer Paulina gratuitement. Et finalement, elle réussit à convaincre les hommes. – J’étais si heureuse ! Mais le
Bienvenue!
problème n’était pas résolu. J’avais réservé une chambre pour Paulina dans un hôtel de la ville, où elle pouvait résider avant et après l’opération. Mais quand je suis entrée à la réception en portant Paulina, le personnel l’a regardée comme si elle avait été un animal. Et ils ont refusé de la recevoir. La maison d’Anna
Anna était une mère divorcée qui vivait avec ses six enfants dans une petite maison. Mais elle prit Paulina à la maison. Il n’y avait pas d’autres solutions.
– Deux de mes enfants ont dormi dans le même lit pour que Paulina puisse avoir un lit à elle. Les enfants étaient un peu mécontents au début, mais je leur ai expliqué la situation et ils ont compris. J’ai baigné Paulina et lui ai donné de nouveaux vêtements propres. Comme elle ne pouvait pas s’asseoir à table pour manger, nous nous asseyions tous sur le sol pour dîner, pour que Paulina ne se sente pas seule. Après l’opération, Paulina retourna chez Anna. Elle commença à s’entraîner à
Jeux importants !
– Quand j’étais petite, j’ai eu l’amour de mes parents et j’ai pu jouer beaucoup avec mes camarades. Ce qui pour un enfant est très important. Être seul et exclu c’est la pire des choses pour un enfant. C’est pour cela que le jeu et l’affection sont si importants pour nous au centre, dit Anna.
s’asseoir et à se mettre debout. Quelques semaines plus tard, elle commença à s’entraîner à marcher avec des béquilles qu’Anna avait achetées. – Elle était très contente
150 millions d’enfants handicapés Selon la Convention relative aux Droits de l’Enfant de l’ONU, les enfants handicapés ont les mêmes droits que les autres enfants. Ils ont droit à un soutien supplémentaire et le droit d’être aidés afin de bénéficier d’une bonne qualité de vie. Malgré cela, les enfants handicapés sont parmi les plus démunis, pas uniquement parmi les Massaïs et en Tanzanie, mais dans le monde entier. Il y a 150 millions d’enfants handicapés dans le monde, dont deux millions en Tanzanie.
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Anna joue avec les enfants dans son école au village.
et moi aussi ! Quand Paulina est retournée chez elle, trois mois plus tard et est entrée au village sur ses propres jambes, les gens se sont mis à pleurer de joie ! Même si Anna était contente que Paulina puisse marcher, elle savait que Paulina devait avoir un métier pour être indépendante. – Paulina voulait être couturière, alors nous l’avons aidée à commencer une formation. Elle a très bien réussi ! Le centre à Monduli
L’histoire de Paulina se répandit dans les villages. Les gens osèrent parler de leurs enfants handicapés et voulaient qu’on les aide. Anna fit des voyages de plusieurs jours pour atteindre les enfants dans les villages éloignés qui avaient besoin de son aide. À chaque voyage, elle voyait de plus en plus d’enfants. 54
– Mais l’hôtel continuait à refuser les enfants, alors je les prenais chez moi. Mais même avec les matelas par terre et plusieurs enfants dans le même lit, à la fin ce n’était plus tenable. Nous avons écrit à des amis et à des organisations en Tanzanie et en Allemagne que nous avions besoin d’argent pour construire une maison où nous pouvions nous occuper des enfants. Avec les premiers fonds on loua quelques chambres et on logea douze enfants. On put même employer une autre infirmière, et pour la première fois Anna eut un modeste salaire. Auparavant, elle et sa famille vivaient de leur petite culture de légumes. – Il arrivait continuellement de nouveaux enfants et nous avons demandé plus d’argent. L’organisation
Caritas en Allemagne nous a aidés et en 1998 notre centre à Monduli était prêt. On engagea des kinésithérapeutes et des infirmières. Mais aussi des enseignants, car Anna savait que les enfants qu’ils aidaient n’étaient presque jamais allés à l’école. La place prévue était pour trente enfants, mais parfois il y avait 200 enfants en même temps.
Pas seulement les Massaïs
– Au début, nous ne travaillions qu’avec les enfants Massaïs, mais plus maintenant. Nous nous occupons de tous les enfants qui ont besoin de notre aide, quels que soient le groupe ethnique ou la religion. Ici, nous avons des musulmans et des chrétiens, ainsi que des enfants qui ont fui la guerre dans les pays voisins. Le combat pour les droits de l’enfant n’a pas de frontières, dit Anna.
– Même si nous n’avions pas de place, nous prenions tous les enfants. Les familles étaient si pauvres qu’elles ne pouvaient pas payer, mais nous n’avons jamais renvoyé personne.
Naimyakwa – Je n’oublierai jamais le jour où j’ai trouvé la petite Naimyakwa seule dans le village abandonné. Elle avait huit ans et était étendue sur le sol de sa maison. Elle respirait à peine. Ça sentait l’urine, car à cause de son handicap, elle ne pouvait aller nulle part. Je ne croyais pas qu’elle survivrait, dit Anna, qui a les larmes aux yeux en repensant à ce jour, il y a maintenant sept ans.
La nouvelle école
– Je veux être sûre que le travail avec les enfants continuera après moi. C’est pourquoi j’ai confié la responsabilité à une femme fantastique qui s’appelle Kapilima et ai pris ma retraite en 2007, raconte Anna. Après sa retraite, Anna a continué son combat en faveur des enfants vulnérables. Elle a construit une école dans son village pour les enfants qui sans cela ne seraient jamais allés à l’école. Tu peux visiter l’école d’Anna à la plage 68. c
N
«
ous voyagions avec notre clinique mobile dans la région où se trouvait une petite orpheline, atteinte d’IMC. Beaucoup d’enfants handicapés venaient nous voir pendant la journée, mais Naimyakwa n’accompagnait plus ses frères et sœurs adultes et leur famille, comme elle faisait d’habitude.
avaient fait pour l’emmener. Je sentais que je devais aller voir sur place. Pour en avoir le cœur net. Nous avons parqué la jeep sous un arbre et avons fait le dernier bout à pied. Tout
Quand j’ai demandé si quelqu’un savait où elle était, une femme a dit que la famille était partie avec le bétail pour chercher des pâturages frais, car c’était la saison sèche. J’ai eu un mauvais pressentiment. Je savais à quel point Naimyakwa avait de la peine à se mouvoir et je me demandais comment ils 55
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Il y a plus de 20 ans qu’Anna a aidé Paulina et depuis la vie de 12.500 enfants handicapés a bénéficié d’une nette amélioration grâce à Huduma ya Walemavu. Aujourd’hui, 30 personnes travaillent pour l’organisation.
Anna a sauvé
La garde-robe de Naimyakwa – J’adore les vêtements ! Quand je serai grande, je serai couturière pour coudre mes vêtements. Je garde mes vêtements, ici dans l’armoire du dortoir.
– Voici mon vêtement de fête. Je l’ai reçu du prêtre. – Une fille du Canada, en visite chez nous, m’a donné cette robe élégante...
était silencieux. Nous n’avons vu personne. Le village était complètement abandonné. Je me disais que la famille avait pu emmener Naimyakwa. Nous venions de nous mettre en route vers la voiture quand j’entendis un gémissement.
…et ces belles chaussures de soie ! C’est une vraie amie !
– Le pullover fleece…
…et les pantalons de training c’est Anna et Huduma ya Walemavu qui me les ont offerts.
Un lion ?
D’abord j’ai cru que c’était un lion. Deux collègues et moimême avons rassemblé tout notre courage et sommes retournés au village. Près d’une des maisons, on a entendu à nouveau le drôle de bruit. J’ai eu peur, mais j’ai guigné à l’intérieur et j’ai
demandé s’il y avait quelqu’un. En guise de réponse, un bruit étouffé. Je ne voyais rien. Petit à petit les yeux se sont habitués à l’obscurité et je n’oublierai jamais ce que j’ai vu. Sur le sol, immobile, se trouvait Naimyakwa et elle respirait à peine. Ça sentait les excréments, car à cause de son handicap, elle ne pouvait pas bouger. À côté d’elle il y avait une calebasse qui avait contenu du lait. Elle était vide, mais je sentais l’odeur de vieux lait. Et il y avait une calebasse avec un très petit reste d’eau.
Paralysie due à une lésion cérébrale L’IMC ou paralysie cérébrale, peut survenir pendant la gestation, lors de l’accouchement ou avant que l’enfant ait atteint l’âge de deux ans. Les causes principales sont le manque d’oxygène et l’hémorragie cérébrale. Certains enfants sont légèrement handicapés tandis que d’autres sont paralysés. Beaucoup d’enfants atteints d’IMC, souffrent en plus des diffi-
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cultés motrices, d’autres infirmités comme épilepsie, troubles de la parole et de la vision. On ne peut pas guérir l’IMC, mais avec la kinésithérapie, l’ergothérapie et de l’entraînement, on peut améliorer considérablement la vie de ceux qui souffrent de l’IMC. - Les troubles de l’IMC sont courantes ici, car cela se produit le plus souvent lors de l’accouchement.
Beaucoup de gens vivent si loin des hôpitaux et des dispensaires que soit, ils n’arrivent pas à temps, soit ils n’ont pas les moyens d’y aller au moment de l’accouchement, dit Anna Mollel. Cours au village sur l’IMC Si un enfant naît avec l’IMC, les parents, voisins et chefs de villages, peuvent venir au centre Huduma ya Walemavu pour
y suivre un cours de deux semaines et apprendre comment s’occuper au mieux de l’enfant. On enseigne des exercices simples et de la gymnastique appropriée au développement de l’enfant. Huduma ya Walemavu veut par ces cours que tout le village s’informe et se sente collectivement responsable de l’enfant.
Naimyakwa était très faible et a remarqué à peine notre présence. Personne ne pouvait dire combien de temps elle était restée ainsi, mais au moins une semaine, car elle était déshydratée et très amaigrie. Est-ce que la famille l’avait vraiment abandonnée ainsi ? Il arrivait souvent que les familles laissent leurs enfants handicapés au centre et nous ne voyions plus les parents. Mais laisser son enfant de cette façon ? C’était des choses d’un autre temps. Naimyakwa est sauvée
Je me suis assise près de Naimyakwa, je me suis penchée près de son oreille et j’ai demandé si elle était seule. Elle a fait oui de la tête. Puis je lui ai demandé si elle voulait que je la prenne avec moi au centre, pour qu’on puisse s’occuper d’elle. Elle a de nouveau fait signe que oui. Elle voulait. Je me suis mise à pleurer. Tous mes collaborateurs de Huduma ya Walemavu pleuraient. En la
soulevant dans mes bras, je me suis dit que si d’autres n’avaient pas donné à Naimyakwa l’amour dont elle avait besoin, je le lui donnerai. J’aimerai cette enfant. Plus tard, il s’est avéré que Naimyakwa n’avait pas compris que sa famille était partie pour un long voyage. Elle attendait qu’ils reviennent, comme d’habitude. Jour après jour. Nuit après nuit. Mais ils ne sont jamais revenus. Pas avant deux mois, quand la pluie s’est mise à tomber, alors ils sont revenus. Si nous n’étions pas venus au village, Naimyakwa serait morte de faim et de soif. L’instant où nous avons trouvé Naimyakwa est parmi les pires que j’ai vécus. En même temps, cela m’a donné une énorme force qui m’a permis de continuer à me battre pour lui apporter à elle et aux autres enfants défavorisés une vie meilleure. Alors, j’ai décidé que jusqu’à ma mort, je continuerai le combat pour leurs droits »
Le centre abrite 30 enfants. Certains attendent d’être opérés, d’autres ont été opérés et sont en rééducation (kinésithérapie et entraînement). D’autres enfants, en congé de leur internat, séjournent quelques jours au centre. Et il y a des enfants comme Naimyakwa, qui ont le centre pour foyer.
06h00 Bonjour ! Naimyakwa et ses amis sont réveillés par les mamans du centre qui dorment dans les dortoirs avec les enfants. Quand Naimyakwa est arrivée, elle pouvait à peine utiliser ses bras et ses mains. Il lui était impossible de se brosser les dents, de s’habiller et de manger toute seule. Après un long entraînement, sa vie a entièrement changé. Ici, elle se brosse les dents avec ses camarades Modesta, 13 ans et Mdasat, 11 ans.
La journée de Naimyakwa
au centre d’Anna 07h00 Petitdéjeuner Pour le petit-déjeuner, bouille de maïs Uji.
08h00 Rassemblement matinal
Anna n’abandonne personne – Naimyakwa est arrivée ici, il y a sept ans et est restée. Nous ne renvoyons jamais un enfant à la maison si nous n’avons pas la certitude qu’on s’occupera bien de lui. Sinon, nous essayons de trouver une nouvelle famille pour les enfants. Mais c’est difficile de s’occuper d’un enfant handicapé. Rentrer au village avec le fauteuil roulant de Naimyakwa dans le sable, est presque impossible. Suivre les migrations des familles avec le bétail est encore plus difficile, dit Anna.
Le matin, tout le monde se retrouve dans la salle de réunion pour la prière et la gymnastique.
08h30 Ronde matinale Le personnel s’entretient avec chaque enfant pour décider s’ils doivent aller chez le kinésithérapeute, l’infirmière ou directement à l’école du centre. Naimyakwa doit montrer qu’elle peut passer son pull toute seule. Si elle peut le faire, on pourra déterminer quelle kinésithérapie lui conviendra pour que son état s’améliore encore.
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09h00 1: L’école
2: Kinésithérapie
Naimyakwa est aidée par l’enseignante Flora Moses Kiwelu. Quand les enfants ont terminé le traitement, on les aide à soit commencer à l’école du village, soit dans une école spéciale, comme un internat pour enfants malvoyants ou handicapés moteur.
Naimyakwa a une demi-heure de kinésithérapie par jour pour devenir de plus en plus indépendante. Ce sont les kinésithérapeutes du centre, Eva Paul Mush et Anna Njuu (tresses) qui l’aident.
4: Ortho pédiste
3: Pavillon des soins
L’orthopédiste Mireille Eusebius Kapilima essaie de nouvelles attelles pour les jambes de Modesta Cryspin, 13 ans. Au centre on fabrique ses propres attelles et prothèses.
L’infirmière Veronica Kirway nettoie la paie de l’opération de Loserian Simanga, 11 ans et refait son pansement.
5: Éducation ménagère Dans la cuisine Neema Mevukori, 11 ans, et quelques camarades, coupent le légume sukuma wiki. Aujourd’hui c’est à elle d’aider à la préparation du repas. – C’est amusant d’apprendre à cuisiner. Comme ça, je pourrai mieux aider ma famille à la maison. Je vais être opérée bientôt et je suis vraiment impatiente. Je veux avoir de jolies jambes et être jolie. Puis, je veux commencer l’école du village. Avant, ça n’aurait pas été possible.
10h00 Pause et jeux ! Les pauses et les jeux c’est important. Les enfants s’amusent et s’entraînent à faire des mouvements différents. Naimyakwa essaie d’attraper le ballon et de le jeter plus loin.
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6: Atelier d’assistance Dans l’atelier d’assistance Kadogo Songura est aidée par Loshilari pour le réglage de ses béquilles. – J’ai eu une infection dans une jambe quand j’étais petite. Quand je suis arrivée ici, ma jambe était si mal en point qu’on a dû l’amputer. Après on m’a donné une prothèse et je me suis entraînée à marcher. C’était très dur, mais maintenant c’est de mieux en mieux, raconte Kadogo.
12h30 Déjeuner – Mon plat préféré c’est riz et haricots. On l’a deux fois par semaine, dit Naimyakwa.
13h30 École et vaisselle
16h00 Loisirs et lessives
Tous les jours, quelques enfants aident à faire la vaisselle avant de retourner en classe. Aujourd’hui, c’est Tuplwa Longorini, 12 ans, Rebeca Peter, 16 ans et Kadogo Songura, 19 ans.
La plupart jouent au foot, se balancent, font des tours de manège ou parlent. Certains lavent leurs vêtements. Au centre, laver les vêtements fait partie du traitement. Les enfants entraînent des mouvements utiles et apprennent à faire des tâches importantes.
20h00 Nouvelles
18h30 Dîner
Tous les soirs, les enfants regardent les nouvelles. Anna et ses collègues de Huduma ya Walemavu pensent que c’est important que les enfants connaissent ce qui se passe en Tanzanie et dans le monde. Mais, bien évidemment, ils peuvent aussi regarder des films et des émissions divertissantes.
21h00 Bonne nuit !
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– Dors bien, dit Halima Mkopi, la maman du foyer en tapotant Naimyakwa sur la joue. Halima dort chez les enfants, ainsi elle peut entendre si quelqu’un a besoin d’aide ou de consolation pendant la nuit. Il y a trois dortoirs et dans chacun se trouve une maman du foyer.
Papas, faites attention !
– Je n’aime pas les pères qui n’assument pas leur responsabilité quand ils ont un enfant handicapé. Malheureusement, c’est très courant que les pères abandonnent leurs enfants quand cela arrive. Les mères autant que les pères ensemble doivent prendre soin de ces enfants, qui sont plus vulnérables, dit Martha Lota, maman et cuisinière au foyer. 59
Une clinique sur quatre roues pour 51 villages
Huduma ya Walemavu travaille dans une grande région peu peuplée dans le nord-est de la Tanzanie, une région de savanes, désertique et montagneuse. La plupart des gens ici vivent dans de petits villages sans chemins de liaison. – Les familles sont souvent très pauvres et n’ont pas les moyens de venir chez nous, nous rendons visite aux enfants handicapés dans les villages, dit Anna. Huduma ya Walemavu atteint 51 villages dans son travail. On a une « clinique mobile » dans laquelle les infirmières et les kinésithérapeutes font leurs tournées avec une jeep avec quatre roues motrices afin d’atteindre tous les enfants qui, sans cela, n’auraient jamais d’aide. Il faut plus de deux jours pour arriver au village le plus éloigné. On va dans tous les villages une fois tous les trois mois.
Endeshi n’a pas de langage Dans un petit village, des enfants handicapés et leurs parents sont assis sous un arbre et parlent avec le personnel de Huduma ya Walemavu. Parmi eux, une jeune fille sourde de huit ans du nom d’Endeshi. Elle n’a pas de langage, mais Nailolie Lebahati, sa mère, raconte :
– Esther et Loito, la grande sœur et le grand frère d’Endeshi, sont aussi sourds. Huduma ya Walemavu nous a toujours aidés pour qu’ils puissent aller à l’école pour enfants sourds. Je sais que tous les enfants ont droit à l’école, mais je n’ai pas les moyens de payer moi-même, alors je leur suis très reconnaissante ! – J’aimerais qu’Endeshi aussi aille à l’école et ait une langue. Elle a le droit de parler avec les autres et d’exprimer ses opinions. Et ne pas être isolée comme elle l’est maintenant. Je suis venue aujourd’hui pour demander si Huduma ya Walemavu peut aussi aider Endeshi. Et ils ont dit oui ! Je suis si heureuse ! 60
Rêves d’avenir
Esther, 18 ans, la grande sœur d’Endeshi et Loito, 15 ans, son grand frère, connaissent la langue des signes et expliquent leur rêves d’avenir : – Je veux être infirmière, dit Esther. – Je n’ai pas encore décidé, dit Loito. Nailolie, leur mère se fait un peu de souci en entendant les enfants parler de leur avenir. – Nous n’avons aucune idée à quoi Endeshi rêve. J’espère qu’elle pourra le raconter quand elle aura suivi l’école. Je veux savoir de quoi tu rêves, dit Nailolie en enlaçant Endeshi.
« Sans Anna, nous ne serions jamais allés à l’école. Parce que nous sommes handicapés et parce que venons d’une famille pauvre. Si dans une famille pauvre, il y a deux enfants et l’un des deux est handicapé et si on n’a pas les moyens de les envoyer tous les deux à l’école, c’est toujours l’enfant ‘en bonne santé’ qu’on en enverra. La plupart des gens pensent que ce n’est même pas
On aurait dû mendier – Si Anna ne nous avait pas aidés, notre vie aurait été horrible. Nous aurions été obligés de mendier dans la rue pour manger, dit Loeku.
la peine d’envoyer un enfant handicapé à l’école, car ils ne croient pas que l’enfant réussira. Beaucoup croient que si un enfant ne voit pas ou a d’autres formes de handicap, sa tête est aussi malade. Et alors, ils pensent que l’enfant ne réussira jamais à travailler, à gagner de l’argent et à aider sa famille. C’est pour cela qu’ils se disent que c’est de l’argent jeté par les fenêtres que d’envoyer un enfant handicapé à l’école. C’est ce qui s’est passé pour nous. Les autres enfants allaient à l’école, mais pas nous.
Puis Anna est venue et nous a donné notre chance d’une vraie vie. On nous a bien soignés et nous avons été admis dans une école pour enfants aveugles. Cela fait sept ans que Huduma ya Walemavu nous aide économiquement. Grand-mère et grand-père n’auraient jamais pu le faire. Au centre d’Anna, nous avons appris que ce qui nous est arrivé, comme le fait de ne pas commencer l’école,
c’est de la discrimination et constitue une violation de nos droits. Tous les enfants ont le droit d’aller à l’école. Les enfants comptent tous de la même façon ! Je le dis à tous ceux que je rencontre. J’espère que cela améliorera la vie des handicapés. Que nous serons traités avec respect et nos droits reconnus au même titre que ceux des autres. Plus tard, je veux être président et me battre pour les droits de tous les enfants de Tanzanie ! »
Anna soutient les rêves Tetee, 16 ans et Phillipo, 15 ans sont frères et sœur et rêvent de devenir enseignants quand ils seront grands. – Sans Anna ce rêve ne pourrait jamais se réaliser. Mais comme Huduma ya Walemavu me soutient, je sais que c’est possible, dit Tetee.
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La clinique mobile s’arrête dans le village où vivent Loeku, Tetee et Phillipo, trois enfants aveugles de la même famille. Ils sont orphelins, mais avec l’assistance de Huduma ya Walemavu, ils sont admis dans un internat. D’habitude les trois enfants vivent dans l’école, mais en ce moment, c’est les vacances et Anna veut s’assurer qu’ils soient bien chez leurs grands-parents. Loeku, le plus grand raconte :
Anna m’a donné ma chance
Loeku veut être président
Lomniaki
est tenu caché
Lomniaki naquit avec les jambes tournées du mauvais côté. Il avait de la peine à s’asseoir et ne pouvait pas apprendre à marcher. Son père ne voulait pas que les gens du village le voient et il enferma Lomniaki dans la maison. Il ne put pas jouer avec les autres enfants, ni aller à l’école. – Je ne comptais pas. C’était comme si je n’étais pas vraiment un être humain. Puis Anna Mollel est venue et elle m’a sauvé. Elle m’a donné une nouvelle vie et je l’aime, dit Lomniaki Olmodooni Mdorosi, 15 ans.
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uand Lomniaki était petit, on le laissait couché toute la journée dans l’obscurité de la petite maison. En entendant rire et jouer les autres enfants à l’extérieur, il ne souhaitait qu’une chose, y participer. Parfois en fermant les yeux, il s’imaginait être vraiment avec eux. Puis, quand il réalisait qu’il ne pouvait pas utiliser ses jambes et qu’il était étendu là, séparé des autres par une cloison de pierre,
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c’était toujours la même tristesse qui l’envahissait. – Je ne sais pas exactement pourquoi papa ne voulait pas que les autres me voient, mais je crois qu’il avait honte qu’il y ait un enfant handicapé dans la famille. C’est pourquoi il m’interdisait de sortir. Maman ne pensait pas du tout comme ça, mais c’était papa qui décidait. Maman ne pouvait rien dire. Mais parfois quand papa était dehors avec le bétail, elle me faisait sortir en cachette et me couchait un instant sous un arbre du village. C’est là que je voyais comment les autres enfants jouaient. Mais personne ne jouait ni ne parlait avec moi, raconte Lomniaki.
j’aille à l’école puisque je ne pourrai jamais m’occuper du bétail ni trouver un travail et gagner de l’argent pour aider la famille quand il serait
Détestait papa
Quand les autres enfants du village commencèrent l’école, le père de Lomniaki l’en empêcha. – Il a dit que j’étais difforme. Et qu’il ne comprenait pas pourquoi il faudrait que Lomniaki, en tant qu’élève de l’internat en ville...
Les droits des filles – C’est incroyable de constater que le fait que maman veuille que je joue avec les autres enfants et que j’aille à l’école, n’a pas été pris en considération. C’est papa qui décidait. Un point, c’est tout. Les opinions de maman n’avaient aucune importance. Anna Mollel m’a appris que ce n’est pas juste. Garçons et filles comptent de la même façon et doivent par conséquent pouvoir exprimer leurs opinions et être écoutés. Nous avons les mêmes droits. En tant qu’avocat, je me battrai pour les droits des filles.
L’arbre de vie vieux. De plus, il a dit qu’il serait obligé de me porter de l’école à la maison et de la maison à l’école puisque je ne pouvais pas marcher. Je détes-
tais papa à ce moment-là. Je le détestais parce qu’il gâchait ma vie. À la fin, Paulina, sa mère n’en put plus. Elle était si malheureuse de voir que Lomniaki était si mal traité, qu’elle quitta son mari. Un jour, elle prit Lomniaki sur son dos et ils quittèrent le village pour toujours. Paulina marcha dans la savane jusqu’au village de ses parents où ils furent reçus avec chaleur par le grand-père de Lomniaki ainsi que par ses oncles et leur famille. Autant mourir
Au début Lomniaki crut que tout se passait bien. Il n’était plus enfermé dans la maison, il rencontrait d’autres personnes qui étaient gentilles avec lui et qui lui parlaient. Sa mère ou l’un de ses oncles le sortaient le matin et le couchaient sur une peau de bête sous le grand acacia pour qu’il ne se sente pas seul. Mais même s’il se sentait bien, il se … et en tant que berger Massaï dans la savane.
sentait quand même seul sous l’arbre. Et différent. – Puisque je ne pouvais pas courir et jouer comme eux, les autres enfants se fatiguaient vite d’être avec moi. Ils couraient plus loin. Et quand ils allaient à l’école, je restais sous l’arbre. C’était impossible d’y aller pour moi, car l’école se trouvait très loin. Les adultes n’avaient pas non plus de temps à me consacrer. Les hommes étaient dehors avec le bétail et les femmes étaient très occupées à la maison. Lomniaki avait besoin d’aide pour pratiquement tout. S’habiller, se déplacer et aller aux toilettes. – C’était gênant de ne pas pouvoir se débrouiller seul et j’étais de plus en plus déprimé. Je me suis souvent demandé pourquoi mon père avait honte de moi et pourquoi j’étais né comme ça. Petit à petit j’ai réalisé ce que serait ma vie. Je ne pourrai jamais jouer et fréquenter vraiment les autres au village.
Anna Mollel rend visite à Lomniaki. Ils s’installent sous le grand acacia et parlent. Anna veut savoir comment ça va et s’il a besoin de quelque chose. – Avant, cet arbre, était l’arbre de la déception. C’est ici que je me suis retrouvé tout seul, immobile quand les autres jouaient et allaient à l’école. Mais maintenant je le vois comme l’endroit où Anna m’a sauvé et où ma nouvelle et vraie vie a commencé ! dit Lomniaki.
Et je ne pourrai jamais aller à l’école. Je ne trouverai jamais de travail ni ne pourrai m’occuper du bétail de la famille. C’était injuste, je ne
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Protection contre les animaux sauvages
me sentais pas l’égal des autres. J’aurais pu tout aussi bien mourir.
Quand Lomniaki garde le bétail, il a son bâton, son couteau et parfois une massue, dans le cas où il serait obligé de protéger le bétail contre les animaux sauvages.
– Mon nom Lomniaki, signifie « bénédiction », mais je me suis dit qu’il devait y avoir une erreur. Le nom devait s’adresser à un autre garçon. Je n’étais pas une bénédiction. J’étais une malédiction. Mais quelqu’un avait entendu parler de Lomniaki et pensait qu’il avait la même valeur que les autres et n’abandonnerait pas avant d’avoir donné à Lomniaki une vie décente. C’était Anna Mollel. – Je n’oublierai jamais l’après-midi où Anna est venue pour la première fois au village. J’avais presque neuf ans et étais seul sous l’arbre et je dormais. Je me suis réveillé en sursaut en entendant le bruit d’une jeep. Je n’avais jamais vu une voiture et j’ai eu très peur quand je l’ai vue s’approcher. Je criais et je pleurais. Une femme est sortie de la jeep, est venue vers moi et s’est assise à côté de moi. Elle souriait et me caressait gentiment la tête, elle essayait de m’apaiser. Elle m’a dit de ne pas avoir peur et
Lions et hyènes – Les éléphants et les girafes se promènent souvent juste à l’extérieur et les hyènes viennent toutes les nuits. J’aime les animaux sauvages qu’on trouve ici, mais pour empêcher les bêtes de proie affamées de s’attaquer au bétail, nous avons fait une barrière avec des buissons épineux autour du village. Au loin vers les montagnes et les forêts il y a des lions, des guépards et des léopards. Une fois, alors que je gardais le bétail, j’ai vu un lion, j’ai eu très peur et je me suis mis à courir ! Quand je serai plus grand, on me donnera une lance comme les autres guerriers Massaï. Cela me donnera peut-être du courage, dit Lomniaki en riant. Ici, son oncle Simon s’entraîne avec une lance.
Ensemble – Quand je rentre pendant les congés, je peux garder le bétail de mes parents, comme tous les autres garçons du village. Souvent on le fait ensemble. Le bétail, c’est ce qu’il y a de plus important pour nous les Massaï et pouvoir travailler avec les bêtes, me tient très à cœur, dit Lomniaki. Il garde les chèvres avec ses amis Juma (en rouge) et Musa, tous les deux âgés de 16 ans.
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Anna Mollel
qu’elle venait m’aider. C’était Anna. Anna a dit à Paulina, la maman de Lomniaki que son fils pouvait se soumettre à une opération qui lui permettrait de marcher. Elle a aussi dit que c’était tout à fait possible pour Lomniaki de commencer l’école comme tous les autres enfants. – Maman était folle de joie et voulait qu’Anna me prenne avec elle immédiatement. Mais comme mes oncles n’étaient pas à la maison, ce n’était pas possible. Maman devait avoir la permission de ses frères et Anna est partie sans moi. La troisième fois, ce fut la bonne
Anna savait que plus Lomniaki grandissait, plus ce serait difficile de redresser ses jambes. S’il ne se faisait pas opérer très vite, le handicap s’aggraverait et il ne pourrait jamais apprendre à marcher. C’était urgent. Alors plutôt que d’attendre trois mois, le temps que la clinique mobile revienne, comme prévu, au village, elle revint quelques semaines plus tard pour parler avec les oncles. Cela se
passa sous les acacias et Anna expliqua aux oncles et au vieux grand-père comme se déroulerait l’opération et comment se présenterait l’avenir de Lomniaki. Pour Lomniaki c’était quelque chose de complètement nouveau. – Je n’avais jamais vu une femme qui osait parler ainsi à des hommes. Je n’avais jamais vu non plus des hommes qui écoutaient ainsi une femme comme le faisaient mes oncles sous l’arbre. Anna était vraiment différente. La famille de Lomniaki devait payer une petite somme pour couvrir une partie des frais d’entretien au centre. Comme ils n’avaient pas d’argent à ce moment-là, on décida qu’Anna reviendrait trois semaines plus tard pour emmener Lomniaki. En attendant qu’Anna revienne, Lomniaki se prit à espérer que sa vie changerait. Mais cet espoir mourut avant que les trois semaines se soient écoulées. Quand Anna revint la troisième fois, Paulina, la mère de Lomniaki, avoua avec désespoir qu’on n’avait pas réussi à recueillir l’argent nécessaire.
Ils ne pouvaient pas payer. – Je me souviens comment Anna m’a regardé et m’a dit : « Ne t’en fais pas, Lomniaki. Ça va aller. Je ne vais pas te laisser tomber. On va trouver une solution ! » D’abord j’ai pensé qu’elle plaisantait, mais ce n’était pas le cas. L’aprèsmidi, Anna emmena Lomniaki dans la jeep. Le voyage vers une nouvelle vie venait de commencer. Un du groupe
Lomniaki se plut tout de suite et énormément au centre d’Anna. En plus du fait qu’Anna et les mamans du centre faisaient de tout pour qu’il se sente bien, il put enfin commencer l’école et apprendre à lire et à écrire. C’est là qu’il apprit aussi les droits de l’enfant. Et pour la première fois de sa vie, il rencontra d’autres enfants handicapés. – C’était si agréable de rencontrer tout le monde. À la maison j’étais le seul enfant handicapé. J’avais toujours été seul et m’étais senti délaissé. Au centre, j’ai eu, tout d’un coup, des tas de nouveaux amis. Nous pouvions parler de tout, nous nous
comprenions si bien. Et je n’étais pas couché tout le temps comme à la maison. Il y avait toujours un de mes nouveaux amis qui me promenait en fauteuil roulant et je pouvais participer à tout. Pour la première fois de ma vie, je ne me sentais pas différent, mais appartenant à un groupe. C’était un sentiment merveilleux ! Deux semaines plus tard, Lomniaki fut opéré à l’hôpital de la ville. Quand il revint au centre, il entreprit la kinésithérapie et les exercices de marche. – La première semaine, j’avais mal aux jambes et je tombais tout le temps. Mais c’est allé de mieux en mieux et vite j’ai pu marcher avec des béquilles. Après une année de kinésithérapie, j’ai osé lâcher les béquilles et j’ai pu marcher tout seul. Ç’a été le plus beau jour de ma vie ! Veut être avocat
Après encore une année, Lomniaki allait si bien qu’il put quitter le centre. Anna l’aida à commencer l’école. Dans un premier temps, on avait pensé à l’école du village, mais il aurait fallu
Lomniaki Olmodooni Mdorosi, 15 AIME : Lire et apprendre. Géographie et histoire. DÉTESTE : Ne pas être avec les autres. Être seul, ce n’est pas une vie. LE MEILLEUR : Quand Anna m’a donné la possibilité de me faire opérer et d’aller dans une école ordinaire. Être une personne comme tout le monde, une vraie personne. LE PIRE : Que mes droits aient été bafoués quand j’étais petit. On m’a caché et je n’ai pas pu aller à l’école. ADMIRE : Anna Mollel, bien-sûr ! Elle m’a sauvé la vie. VEUT ÊTRE : Avocat et se battre pour tous les enfants qui ont besoin de moi. RÊVE DE : Que tous les enfants handicapés du monde vivent bien et soient heureux.
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marcher très longtemps. – Mes jambes n’étaient pas assez solides pour que j’ose aller et revenir de l’école au milieu du désert, de plus, je n’aurais pas pu me mettre à l’abri des animaux sauvages. Alors, Anna m’a aidé à me faire admettre dans un internat. Je vais au collège et Huduma ya Walemavu continuent de payer tout pour moi. L’uniforme, les livres, tout ! Je leur en suis si reconnaissant ! Sans eux, je n’aurais
jamais eu la chance d’aller à l’école. Lomniaki adore être à la maison, dans le village pour les vacances et maintenant il peut se rendre utile en gardant le bétail avec les garçons de son âge. Mais son rêve est de continuer à étudier et d’être avocat. – Je veux être comme Anna et consacrer ma vie à lutter pour les droits des enfants démunis, comme elle s’est battue pour moi. Elle a fait
trois fois ce long et dur voyage à travers la savane jusqu’à mon village pour me sauver. Elle s’est vraiment donné de la peine pour moi. Je ne l’oublierai jamais. Si Anna avait renoncé et n’était pas revenue, je serais resté couché seul dans la maison ou sous l’arbre sans pouvoir bouger. Au lieu de cela, elle m’a donné une vie digne d’être vécue.
Informaticienne Naraka, 12 ans, la petite sœur de Lomniaki, va chercher l’eau, trait les vaches et les chèvres et aide, tous les jours, à la préparation des repas. Mais elle va aussi à l’école. – Je vais commencer la septième et plus tard, je veux travailler dans l’informatique, dit Naraka.
Histoires autour du feu Lomniaki est assis en compagne de Karaine, son oncle plus âgé (à gauche) et d’autres hommes autour du feu. Ils font griller une chèvre. – Le soir, toutes les familles sont assises autour du feu et préparent le repas en parlant. Souvent, on se raconte des histoires de bétail et d’animaux sauvages que nous avons vus dans la savane. J’adore ça, dit Lomniaki.
Né avec la fluorose du squelette La maladie des os avec laquelle Lomniaki est né, s’appelle fluorose du squelette et provient d’une trop grande absorption de fluor qui est contenu dans l’eau. Le fluor s’entrepose dans l’ossature et peut provoquer raideurs, douleurs, déformations et paralysies. Cela touche des millions de personnes dans le monde. Une haute teneur naturelle de fluor dans l’eau se trouve souvent au pied de hautes montagnes volcaniques, comme dans la Vallée du Rift en Afrique de l’Est où habite Lomniaki. Beaucoup de zones avec une teneur dangereuse en fluor sont très sèches, ce qui fait que les personnes qui y vivent sont obligées de boire beaucoup d’eau, malgré tout. En Tanzanie 30 % de l’eau potable du pays contient trop de fluor.
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TE X TE: ANDRE AS LÖNN PHOTO: TOR A MÅRTENS
Jolies calebasses
Quand Lomniaki rentre avec le bétail, il s’assied sur le pas de la porte et boit du lait avec sa mère, Paulina et sa petite sœur, Nashipai, 6 ans. Ils boivent dans des calebasses que Paulina a décorées avec de belles perles. – J’aime maman parce qu’elle a osé quitter papa. C’est la preuve qu’elle m’aime et que je compte vraiment pour elle. Je n’ai plus revu papa depuis.
Anna m’a donné l’espoir au quotidien ! – Après l’opération je peux danser avec les gens du village. Les danses c’est très important pour nous Massaï, alors je suis très content. Je n’aurais jamais cru que je pourrai un jour danser comme tout le monde. Jamais ! Mais Anna a rendu cela possible. Ici, Lomniaki danse la danse Longwesi, qui veut dire Jour de semaine. Dans la danse, les garçons se lancent des défis. Celui qui saute le plus haut gagne. Ici, Lomniaki se mesure à son ami Babu.
Jacob veut courir !
N’est pas seul
À l’hôpital Arusha Lutheran Medical Centre, Jacob Loishooki Lazer est étendu dans un lit, les deux jambes dans le plâtre. Il vient de subir la même opération que Lomniaki et il est heureux.
Jacob est à l’hôpital depuis quatre jours et pendant tout ce temps, jour et nuit, Neema, la maman du centre d’Anna, est à ses côtés. – C’est très important que les enfants ne se sentent pas seuls. Je leur raconte des histoires, je leur lis des livres et je les console si c’est nécessaire, dit Neema Eliphas Mollel. – Quand tu partiras d’ici, il faudra bien soigner ta jambe. C’est important que tu sois toujours bien propre, pour qu’il n’y ait pas d’infections dans la plaie, d’accord ? Dans six semaines, tu reviendras. Si tout va bien, on enlève le plâtre et tu peux commencer la kinésithérapie et les exercices de marche au centre, dit Lilian Michael, l’infirmière.
« Au début ça faisait mal, mais c’est de mieux en mieux. Je suis si heureux parce que je pourrai bientôt marcher et alors je pourrai vraiment aider ma famille. Avant de venir ici, j’essayais de garder nos vaches et nos chèvres, mais c’était dur pour moi parce que j’avais si mal aux genoux. Je pourrai bientôt marcher longtemps avec nos bêtes, pendant la saison sèche, quand elles ont besoin de pâturage frais. Et je vais pouvoir jouer avec mes copains. Ce que je désire le plus au monde c’est enlever le plâtre et courir tout de suite avec mes jambes ! »
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Leçons sur les droits de l’enfant Comme tous les lundis matin, Anna rencontre les enfants de la petite école : – Bonjour tout le monde, comment allez-vous ? demande Anna. – Bonjour grand-mère ! Nous allons bien ! répond la classe avec enthousiasme. – Bien ! C’est amusant à l’école ? – Oui, grand-mère !! – Bien ! Vous prenez bien soin les uns des autres ? – Oh oui ! – Bien, c’est très important. Est-ce que quelqu’un peut me dire quels sont vos droits, les enfants ? demande Anna. Les mains des enfants se lèvent. Beaucoup veulent répondre. – Aller à l’école, dit Theresia, 12 ans. – Aller à l’hôpital si on en a besoin, dit Baraka, 9 ans. – Jouer et participer..., répond Violet, 7 ans. – Exactement, ce sont quelquesuns de vos droits. Et qu’en est-il des enfants handicapés ? – C’est la même chose, grandmère, répond Violet. – Exactement. Les enfants handicapés ont exactement les mêmes droits que les autres. Aller à l’école, les soins, jouer et être aimés. Nous sommes tous des créatures de Dieu et devons être traités avec respect. Ne l’oubliez pas ! dit Anna avec un sourire de tout son être en regardant « ses » enfants.
L’école d’Anna pour tous S
ur une petite colline à Moivo, le village natal d’Anna Mollel, se trouve la petite école qu’elle a créée en 2009, après avoir pris sa retraite de Huduma ya Walemavu et être retournée au village. En massaï, l’école s’appelle Engilanget, l’école de lumière. Les 25 enfants sont très pauvres. Beaucoup sont orphelins, certains sont handicapés, d’autres ont le sida. Chez Anna tous les enfants sont les bienvenus. Surtout les enfants dont personne ne veut s’occuper.
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« On ne bat pas mes enfants » – Dans mon école c’est interdit de battre les enfants. On ne doit jamais battre un enfant. On ne doit jamais effrayer un enfant. Seulement expliquer et aimer. Un enfant battu, en battra d’autres. Dans les écoles de Tanzanie, les châtiments corporels c’est courant, mais si un enseignant battait un de mes enfants, il serait immédiatement renvoyé ! dit Anna.
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– Je savais que beaucoup d’enfants handicapés n’avaient aucune chance d’aller dans les écoles fréquentées par les autres enfants. C’est trop loin et trop cher. C’est injuste et j’ai décidé d’ouvrir une école où enfants handicapés et non handicapés seraient ensemble. Une école où les enfants apprennent que nous avons tous la même valeur, les mêmes droits et le même besoin d’être aimés, dit Anna.
Gratte-ciel – Nous construisons un gratte-ciel, dit Fanuel. – Oui et quand nous serons grands, nous en construirons de vrais. Nous n’avons jamais vu de gratte-ciel en vrai, seulement dans les journaux et à la télé, dit Baraka, 9 ans, son ami.
Adore le foot – Dans mon école tout le monde peut jouer. Nous nous aimons bien, dit Fanuel, qui adore jouer au foot pendant la récréation.
Anna aime tous les enfants ! « Je suis heureux quand je vais à l’école. Nous sommes tous ensemble. C’est comme si nous étions frères et sœurs et nous prenons soin les uns des autres. Je suis orpheline et j’habite avec ma grand-mère. Nous n’aurions jamais eu les moyens d’aller dans une autre école. J’aime tellement Anna qui me permet de venir ici. Elle a un grand cœur et s’occupe toujours de nous, plus que les autres adultes » Theresia Edward, 12 ans
L’atelier de couture d’Anna aide les enfants – Beaucoup d’enfants de mon école viennent de familles si pauvres qu’ils ne peuvent payer ni l’uniforme scolaire, ni les livres, ni la modique taxe scolaire, qui couvre le salaire de mes deux enseignants. J’ai un petit atelier de couture où je confectionne et vend des tissus qui s’appellent koikoi. Avec l’argent, j’achète les uniformes, chaussures, livres, plumes et tout ce dont ont besoin les enfants les plus pauvres de la classe, dit Anna.
Une découverte ingénieuse Theresia dans le potager d’Anna – Je cultive des haricots et d’autres légumes que l’on sert aux enfants. De cette façon, je sais que même les enfants les plus pauvres ont au moins un vrai repas par jour, dit Anna.
– Ce rouet s’appelle chaka. Je l’ai fait avec mon fils en prenant une vieille roue de vélo. Ce n’est pas nécessaire d’avoir beaucoup d’argent ni des machines coûteuses pour aider les autres. Mais on a besoin d’imagination et d’initiative ! Si on attendait que quelqu’un nous donne de grosses sommes d’argent avant de commencer, on attendrait très, très longtemps. Il y a tellement d’enfants qui ont besoin d’aide. C’est pourquoi nous trouvons nos propres solutions, dit Anna en riant.
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