Fra Indira Ranamagar, Nepal

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Pourquoi Indira a-t-elle été nominée ?

Nominée Héroïne des Droits de l’Enfant • Pages 68–85

Indira Ranamagar

 TEXTe: EVA-PIA WORL AND phOTO: JOHAN BJERKE

Indira Ranamagar a été nominée au Prix des Enfants du Monde 2014 pour son combat, qui dure depuis 20 ans, en faveur des enfants de détenus au Népal. Indira a grandi dans une grande pauvreté et a dû se battre longtemps pour pouvoir aller à l’école. Toute petite déjà, elle savait qu’elle voulait aider ceux qui avaient aussi une vie difficile. Indira a créé l’organisation Prisoners Assistance Nepal (PA), qui a sauvé plus d’un millier d’enfants des prisons surpeuplées et sales. Les enfants y échouent parce que leurs parents ont été emprisonnés et que personne ne peut s’occuper d’eux. Les enfants qu’Indira sauve, sont placés dans l’un des trois foyers de la PA. Ils y trouvent l’enseignement et la sécurité. Ils apprennent aussi le travail du sol et à s’occuper du bétail. Aux alentours de Katmandou, la PA possède un orphelinat et l’école Jankuri. Même les enfants des villages voisins vont dans cette école. Indira insiste auprès des politiques et des autorités pour que les prisons soient plus humaines. Beaucoup de détenus viennent de familles très pauvres. Indira et la PA leur apprennent à lire et à écrire, pour qu’ils puissent se réinsérer et s’occuper de leurs enfants quand ils sortent de prison.

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Le dur combat de la fille de la jungle Les pieds d’Indira glissent dans la boue du petit sentier de la rizière. Elle a six ans. Nue, sans chaussures, elle ramasse du bois et le met dans une grande corbeille qu’elle porte sur le dos. Sur le sentier, Indira croise deux filles plus âgées. Elles portent l’uniforme scolaire et ont de longues tresses luisantes. Quand elles se rencontrent, les filles poussent Indira et la font tomber. Puis, elles s’en vont en éclatant de rire.

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ndira continue de ramasser du bois. Elle a mal. Mais ce ne sont pas les crevasses aux pieds, dues à son travail dans la boue et le gravier. C’est autre chose qui lui fait mal et qui la fait pleurer. Elle a couru, comme

d’habitude, toute la journée, à travers le village, a apporté son aide un peu partout, est allée chercher l’eau et le bois, a emmené brouter les vaches et les chèvres dans la jungle et a cherché des champignons et des racines comestibles. Elle a

attrapé quelques crabes dans le fleuve, a fait du feu et les a grillés. Indira sait qu’il faut travailler dur. On ne doit pas être paresseux. Elle aime travailler et apprendre. Au village, on l’appelle rarement Indira. Elle a deux autres noms, Kanchi qui veut dire Petiote, puisque elle est la plus jeune de la famille Magar. L’autre nom est Niguri, qui est un fruit de la jungle recouvert d’arêtes bouclées. Indira est la seule fille du village à avoir une chevelure sauvage et bouclée, ce qui la rend différente. Les cheveux doivent être lisses et raides pour qu’on


Salut maman ! Roshina va voir sa mère et son petit frère en prison. Elle-même vit au foyer d'Indira, Prisoners Assistance.

puisse en faire des tresses brillantes. Indira n’aime pas qu’on l’appelle Niguri, mais essaie de ne pas s’en faire. Dort avec les vaches Elle ne voit pas maman et papa pendant la journée. Ils travaillent aux champs chez les autres pour faire vivre la famille. Quand ils rentrent le soir, ils trouvent souvent Indira parmi les vaches, où elle aime dormir. - Kanchi, soupire maman, il faudra de nouveau enlever la bouse de vache. Leur modeste maison est bâtie sur pilotis. Elle est ouverte d’un bout à l’autre et n’a des parois que sur deux côtés. Le sol est couvert de vieux sacs de riz.

Le riz est leur dîner. Presque toujours que du riz, mais parfois, maman a quelques fèves de soja, qu’elle a pris sur les champs. Elle les a cachés dans ses vêtements. Les deux grands frères d’Indira vont à l’école. Elle voudrait aussi y aller. Elle veut apprendre à lire et à écrire et avoir un bel uniforme scolaire. Un chiffon rêche fait avec un sac de jute est son seul vêtement. Indira insiste encore et encore. Elle prie Dieu. Mais il n’y a pas assez d’argent. Et puis, elle n’est qu’une fille. Ce n’est pas nécessaire de payer une école pour après se marier et s’occuper des enfants. Alors Indira se penche sur l’épaule de l’un de ses frères

Les premières photos d'Indira

quand il fait ses leçons. Et elle n’arrête pas de poser des questions. Il s’énerve, mais elle continue à lui poser des questions. À la fin, il se fait une raison et se met à lui apprendre l’alphabet et les chiffres. Indira apprend vite. Elle répète tout et écrit des lettres dans le sable. Le frère donne aussi des leçons, à la maison, pour les adultes du village et, pendant qu’Indira coupe les légumes ou fait cuire le riz, elle écoute tout ce qui se dit. Il lit tout haut la vie d’hommes et de femmes célèbres, qui ont fait du bien aux autres. Indira s’emplit de tout cela et n’oublie rien. Elle sait désormais, qu’elle sera une personne qui aidera les autres. À neuf ans, Indira sait lire

et écrire et elle est convaincue qu’elle peut apprendre pratiquement tout ce qu’elle veut. « Bien sûr que je peux ! » Personne ne pourra dire qu’elle ne peut pas faire certaines choses parce qu’elle est une fille. Comme étudier par exemple. – Bien sûr que je peux ! dit Indira et tire la charrue aussi bien que les garçons les plus forts. Les forces lui viennent de sa volonté et elle est parfois même plus forte que les garçons plus âgés. Elle les bat au foot. Un enseignant a entendu parler d’Indira et a convaincu ses parents de la laisser fréquenter l’école. Les taxes scolaires, c’est son frère qui les paye en vendant des bananes. L’enseignant dit qu’elle peut commencer en quatrième année. Ce n’est pas l’avis d’Indira. La cinquième lui convient mieux, et il en sera ainsi. Mais il n’y a pas d’argent pour l’uniforme scolaire ou le cartable. Indira n’a que son chiffon de jute. Ce sera son uniforme tout le temps de sa scolarité. Il n’y a pas d’argent non plus pour les plumes et les craies. Elle s’efforce de se souvenir de tout ce que l’enseignant montre au tableau et, dès la récréation, elle s’assied sur le sol et écrit tout, de mémoire, dans le sable. Elle n’a jamais le temps de jouer avec les autres enfants. À la pause du déjeuner, elle doit courir à la maison pour emmener le bétail à un autre endroit pour paître. Ce qu’elle doit faire chaque matin, midi et soir. À l’école ça va bien. Elle est surtout douée en maths. Une année plus tard, Indira est la meilleure élève de la classe et reçoit une bourse. Et elle a de bien meilleures notes que les deux filles qui l’ont fait tomber. Elle leur a pardonné depuis longtemps. Mais elle n’accep­ t­era jamais les injustices.  69


Indira interdite de cuisine

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ndira n’avait pas beaucoup d’amis à l’école. Elle était plus pauvre que la plupart d’entre eux et appartenait à une classe inférieure aux autres enfants. Le système des castes est interdit depuis longtemps au Népal, mais dans les faits, il existe toujours. On divise les gens en castes. Ceux qui appartiennent aux castes les plus basses, ne sont pas bien traités. – Une fois j’étais chez une petite fille, raconte Indira. Sa mère est arrivée et a dit que, pour rien au monde, je ne devais entrer à la cuisine. Puisque j’étais d’une caste inférieure, j’étais « impure », et je n’avais pas le droit de toucher quoi que ce soit qui avait à faire avec la nourriture ou la cuisine. J’ai ressenti un énorme sentiment ’injustice. J’étais tout à la fois, triste et en colère. Dans un système de castes, la vie des gens est soumise à un tas de règles. Avec qui travailler et avec qui se marier, par exemple. Déjà à la naissance, tu appartiens à une classe, un groupe, qui a plus ou moins de valeur. Si tu es né dans une classe inférieure, tu appartiens à cette caste toute ta vie et tu ne peux jamais appartenir à une « belle » caste. Il y a des gens qui vivent en dehors des castes. Selon les vieilles croyances, les sans-castes n’ont aucune valeur. Ils sont très pauvres et leur travail consiste, par exemple, à vider les toilettes ou à trier les détritus. Souvent, ils doivent mendier pour survivre et on les appelle « les intouchables » parce qu’ils sont considérés comme « impurs ». Ils n’ont pas le droit de boire au même puits que les autres ni manger à la même table.

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Quand Indira vient en visite à la prison avec les enfants, les mamans ont préparé le repas pour les enfants et ils mangent tous ensemble.

Indira veut aider les Où qu’elle aille, les gens reconnaissent Indira Ranamagar. – Namaste Aama, « Bonjour maman », ainsi la saluent tous, enfants des rues, politiques et hommes d’affaires. Ils savent qu’elle libère les enfants pauvres de la prison. Quand elle arrive dans son sari blanc et scintillant, c’est difficile d’imaginer qu’Indira a couru nue dans la jungle. Qu’elle ne savait ni lire ni écrire. Mais Indira n’oublie jamais son enfance pauvre. C’est ce qui la motive à aider les autres.

A

17 ans, Indira a quitté son village pour continuer l’école à Katmandou, la capitale. Elle travaillait dur, faisait des ménages et la lessive pour les autres pour pouvoir payer ses études. Elle a aussi travaillé comme enseignante. Dans une école, Indira a rencontré

Parijat, une femme écrivain connue, qui écrivait beaucoup sur les droits humains. Parijat dénonçait le fait qu’on emprisonnait des gens parce qu’ils protestaient contre les injustices. Dans ses écrits, elle parlait aussi de la mauvaise situation des prisonniers et elle visitait les prisons pour distribuer de la nourriture et des vêtements. Veut aider les autres Un jour, Parijat a demandé à Indira ce qu’elle voulait faire dans la vie. – Je veux aider les autres, a répondu Indira. Surtout ceux qui sont aussi pauvres que je l’ai été.

Alors Parijat a dit qu’elle aimerait qu’Indira travaille avec elle. – La première fois que je suis allée dans une prison, j’avais peur, raconte Indira. Je croyais que les détenus étaient dangereux, mais j’ai vu que c’étaient des personnes comme les autres. La plupart étaient très pauvres et ne savaient ni lire ni écrire. Indira visitait les prisons les week-ends où elle n’avait pas l’école. Elle y donnait des cours d’écriture et de lecture et envoyait des vêtements et de la nourriture. Elle était choquée de voir tous ses enfants obligés de vivre avec leurs


La cellule de papa.

Attendent papa.

Au revoir, papa !

Il arrive !

pauvres parents dans des prisons sales et surpeuplées. – C’était un affreux environ­ nement pour des enfants, dit Indira. Elle a essayé de placer les enfants dans différents foyers, mais c’était difficile. Les foyers étaient aussi pleins d’enfants pauvres. Le premier enfant Indira a vingt ans et elle s’apprête, comme d’habitude, à visiter une prison. À l’entrée

Indira avec sa fille Subani et Anjali, la première fille dont elle s'est occupée.

Indira accompagne deux frères pour qu'ils puissent rendre visite à leur père, en prison.

de la prison, elle s’arrête soudain. Juste devant la porte, il y a un enfant recroquevillé qui dort. C’est une petite fille et elle changera la vie d’Indira. La petite fille a trois ans et s’appelle Anjali. Son père vient d’être interné et sa mère est morte. Anjali s’est couchée devant la porte de la prison pour être le plus près possible de son père. Elle n’a personne d’autre. Indira, qui a déjà placé

beaucoup d’autres enfants dans des foyers, essaie de trouver aussi une place pour Anjali. Mais aucun n’a de place pour la fillette. Indira décide alors de s’occuper personnellement d’Anjali. Elle est déçue des foyers. Ils donnent rarement aux enfants l’amour et les soins dont ils ont besoins. Indira a compris que les enfants de détenus ont particulièrement besoin d’amour et de sécurité, car ils ont souvent vécu des

choses horribles. Plus ils restent en prison, plus leur développement s’en ressent. Indira fréquente le lycée et elle prend Anjali avec elle pendant les leçons. Avec Anjali, Indira doit travailler différemment. Plutôt que de laisser les enfants qu’elle libère de la prison, dans les foyers, elle s’en occupe personnellement. À un certain moment, les enfants sont si nombreux, qu’elle doit, ellemême, ouvrir de nouveaux

« C’est moi ou les enfants ! » Indira avait recueilli et s’occupait de trois enfants quand elle a rencontré un homme dont elle est tombée amoureuse. Ensemble ils ont eu une petite fille, Subani. Indira continuait son travail dans les prisons et parfois Subani la suivait. Le mari d’Indira trouvait qu’elle consacrait trop de temps aux enfants des prisons. Et qu’il y a avait trop d’enfants dans la maison. – Il faut que tu choisisses, lui a-t-il dit. Moi ou les enfants. – Ce n’était pas difficile, dit Indira. Il ne respectait pas mon travail. Alors, j’ai compris qu’il ne m’aimait pas. Évidemment, j’ai choisi les enfants.

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foyers. Plus tard, elle ouvre également des écoles et des cours d’agriculture partout au Népal. Aujourd’hui, 22 ans ont passé depuis qu’Indira a découvert la petite fille dormant devant la porte de la prison. Anjali est adulte et a une famille. Indira a sauvé ainsi plus d’un millier d’enfants de la prison et a fait en sorte qu’ils grandissent dans un climat de sécurité et qu’ils aillent à l’école. 

Dans les foyers d’Indira, on encourage les enfants à faire beaucoup d’exercice.

Se moque que les filles ne puissent pas faire de vélo Indira n’est pas seulement célèbre parce qu’elle libère les enfants des prisons, mais aussi parce qu’elle est la première femme, au Népal, à avoir participé à des compétitions de vélo tout terrain. Quand elle a commencé, beaucoup pensaient que les filles ne Avant, au Népal, beaucoup pensaient que le vélo, ce n’était pas pour les filles. Indira s’en moquait bien.

devaient pas faire de vélo du tout. Mais Indira s’en moquait bien. Elle trouvait que c’était amusant. Et bon pour la santé. Elle a gagné beaucoup de compétitions et a inspiré d’autres filles. Aujourd’hui, il est plus courant de voir les filles faire du vélo au Népal.

Beaucoup de foyers qu’Indira a ouverts, initient les enfants au vélo tout terrain. Utiliser son corps, bouger, faire du vélo, courir et nager font du bien aux enfants. – Quand on a un bon physique, on renforce la confiance en soi, dit Indira.

Subani a des centaines de frères et sœurs Subani, 17 ans, est la fille biologique d’Indira. Elle a été élevée avec plusieurs centaines de petits frères et sœurs. - Je n’ai jamais été jalouse des autres enfants, dit-elle. Ce sont comme mes vrais frères et sœurs. Parfois, j’aimerais avoir plus de temps avec maman, mais je comprends son travail et je suis fière d’elle. Où que nous allions, les gens l’admirent.

Indira et Subani.

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Subani, la fille d’Indira joue volontiers pour les enfants du foyer.


Tous les enfants arrivent en courant depuis le foyer pour accueillir Indira, qui les embrasse tous.

Tous les enfants ont une lumière – J’ai appelé le foyer pour enfants près de Katmandou, Junkiri, qui signifie luciole, dit Indira. – Quand j’étais enfant, je les suivais dans leur vol. Je pensais que tous les êtres, les gens, tout ce qui vit a une lumière intérieure. Nous devons chercher cette lumière dans chaque enfant ! C’est ce que nous faisons ici. Voilà pourquoi le foyer s’appelle Junkiri.

Les enfants du foyer et de l'école lavent leurs propres vêtements.

Cultive et sois fier

Les vrais délin­quants sont libres

Dans chaque foyer d’Indira il y a des animaux et des cultures. – On se sent bien avec les animaux et la culture, dit Indira. En s’occupant des animaux, les enfants mûrissent et acquièrent le sens des responsabilités et le respect de la nature. Les enfants découvrent qu’ils peuvent semer une petite graine et la faire pousser et les légumes qui en résultent nous nourrissent. « C’est moi qui ai cultivé cela ! » C’est un sentiment formidable.

– Ceux qui sont en prison ne sont pas les plus mauvais, dit Indira. La plupart sont de pauvres diables qui ont peut-être volé de la nourriture pour sur­vivre. Ou ils ont été entraînés à commettre des délits pour le compte de quelqu’un d’autre, contre un peu d’argent. – La pauvreté est le plus grand des délinquants. Les autres criminels, ceux qui gagnent de l’argent dans des affaires louches et exploitent leurs semblables, sont toujours en liberté. – Je suis si furieuse de constater ceci dans mon pays ! Le Népal a tellement de ressources et son peuple est magnifique. Nous pourrions être un pays formidable si tout le monde y mettait du sien.

Indira et « Prisoners Assistance » • Dirigent trois orphelinats, deux écoles et un programme pour jeunes sur l’agriculture organique et l’artisanat. • Assistent les filles des villages pour qu’elles aillent à l’école. Elles reçoivent un vélo car, souvent, l’école se trouve loin de chez elles. • Recherchent les familles des enfants et les aident à s’occuper des enfants. • Vérifient que les enfants rencontrent leurs parents en prison.

• Ont mis au point un programme pour que les enfants aillent à l’école pendant la journée et dorment, la nuit avec leur mère, en prison. Ils dispensent également un enseignement scolaire et un apprentissage aux mères. • Assistent les prisonniers libérés pour qu’ils retrouvent leurs enfants. • Sont la voix des plus vulnérables et se battent pour que les détenus, surtout les femmes et leurs enfants, soient traités d’une façon juste et humaine.

Les garçons au foyer d'Indira nettoient une citerne pour l'eau.

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 TEXT: EVA-PIA WORL AND phOTO: JOHAN BJERKE

Nima Le monde de Nima est une cour en ciment sombre, entouré de hauts murs. Sur l’un des côtés, se trouve un bâtiment avec d’étroites ouvertures. Il s’agit d’une ancienne étable, dans laquelle vivent dix détenus, chacun dans un box. Nima sait que, au-delà des murs, il y a un autre monde, mais il ne sait plus comment il est.

N

ima a deux ans quand sa mère meurt. La seule personne qui peut s’occuper de lui est son père. Mais il est en prison. On emmène Nima de son petit village à Katmandou, dans la prison de la capitale. Beaucoup d’autres enfants vivent aussi avec leurs parents en prison. Les enfants jouent beaucoup ensemble. Ils font des ballons avec de vieux bas

– Quand on fait des tankas, il faut être très concentré, dit Nima. Sinon, comme dit notre maître, autant rentrer chez soi.

Nima Rima, 15

Nima, il y a quelques années, après plusieurs années dans le foyer d'Indira.

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Veut être : Ingénieur. Loisirs : Le dessin. Livre préféré : Tout livre sur

les sciences. Film préféré : Spiderman. Aime bien : Faire des choses nouvelles. Ce qui me met en colère : Qu’on ne rende pas ce que l’on a emprunté.


a grandi en prison et jouent au volley et au foot. Mais Nima est rarement avec eux. Il aime bien regarder les hommes jouer aux échecs et il adore dessiner. Il dessine, dessine, mais n’est jamais content de ses dessins. Il les jette tous et recommence. Ses dessins sont sombres. Noirs et gris, avec parfois du rouge qui ressemble à du sang. Années de prison Les gardiens donnent aux détenus des rations alimentaires et ensuite chacun cuisine son repas sur une cuisinière à gaz. Le petit déjeuner c’est un morceau de pain ou un bis­ cuit. Le déjeuner, que du riz, sauf une fois par semaine où on donne aux détenus des légumes au curry avec le riz. Pendant la journée, papa et les autres détenus confectionnent des bonnets. Les enfants ont une sorte d’enseignement quelques heures par jour. Mais ça n’intéresse pas Nima.

Il s’assied quelque part et se demande ce qui se trouve derrière les murs. On entend des bruits dehors, mais il ne comprend pas ce qui se passe. En prison, les jours se ressemblent tous. Ils se confondent jusqu’à faire des années. Il ne se passe pas grandchose à l’intérieur des murs. Mais il y a des occasions où tous les détenus sont heureux et c’est presque la fête. C’est quand une femme vient leur rendre visite. Elle distribue de la nourriture et des fruits. Par­ fois elle apporte des vêtements à Nima et aux autres enfants. La femme s’appelle Indira Ranamagar et elle enseigne à lire et à écrire aux détenus. Elle leur lit les journaux, leur dit qu’ils ont des droits, eux et leurs enfants, même s’ils sont en prison. Un nouveau monde À cinq ans Nima a eu une grosse fièvre. Les médecins de

la prison n’ont pas de médicaments et son père est très inquiet. C’est devenu dangereux de vivre en prison pour Nima. C’est étroit et sale et on dort les uns sur les autres. Les bactéries se répandent vite et la guérison n’est pas sûre. Quand Indira vient la fois suivante, papa lui demande de l’aide. Elle est d’accord avec lui, Nima doit être pris

en charge par un vrai hôpital. – Quand Nima sera guéri, il pourra venir dans mon foyer et commencer l’école, suggère-t-elle. Nima et son père trouvent que c’est une bonne idée. Le jour où Indira prend Nima par la main et ensemble ils passent les portes grillagées, un monde nouveau s’ouvre pour le petit garçon. Nima n’a aucun souvenir de la vie à l’extérieur de la prison. C’est un monde qui va beaucoup trop vite. Qui scintille, clignote, cogne, klaxonne et hurle. C’est quoi une chaise ? – J’étais mort de peur, raconte Nima. Comment faisaient les voitures pour bouger ? Tout allait si vite. Et il y avait des gens partout, des magasins, des vélos. Et les couleurs ! Je n’avais jamais vu autant de couleurs. J’en avais le vertige. Il serre fort la main d’Indira

”Faire des tankas m’aide à l’école” Le tanka peinture est un ancien art népalais et tibétain. Il existe aussi bien dans la religion bouddhiste et hindouiste. Les peintures et les récits sont riches de détails et de symboles. Il faut beaucoup d’années pour devenir un bon peintre de tankas. On doit travailler lentement et être totalement concentré. Nima apprend cet art avec un maître de tanka peinture. – Il voit tout de suite si on n’est pas concentré, dit Nima. « Si on n’est pas concentré, il nous dit qu’on peut tout aussi bien retourner chez soi ». Quand on peint des tankas, il n’y a rien d’autre. Rien à l’extérieur, rien qui puisse distraire. – Pour moi, la peinture a signifié beaucoup pour l’école. J’ai plus de facilité pour me concentrer. Quand je fais des maths, par exemple, il n’y a que les maths et rien d’autre. Rien ne me distrait.

Nima, au milieu, a passé ses premières cinq années en prison. Quand il est arrivé dans le foyer d'Indira, il s'est passionnée pour le dessin et à présent il apprend à faire des tankas.

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Nima, tout devant au centre, quelques années après son arrivée au foyer d'Indira. Il est reconnaissant qu'Indira l'ait sauvé de la prison.

et pose des questions sur tout ce qu’il voit. À l’hôpital, Nima voit un médecin qui leur donne des médicaments. Il doit rester quelques semaines à l’hôpital. Quand il va mieux, il est trans­féré dans le foyer d’Indira, où se trouvent déjà les autres enfants qu’elle a sauvé de la prison. – Il y avait des tapis et des meubles que je n’avais jamais

Les jeunes apprennent l'artisanat traditionnel comme la sculpture sur bois. Indira a démontré que les filles peuvent aussi le faire. Avant seuls les garçons en avaient le droit.

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vus, raconte Nima. J’ai montré du doigt une chose bizarre et Indira m’a expliqué que c’était une chaise. On pouvait s’asseoir dessus. C’était si grand ! Dire que j’aurais pu ne jamais voir une chaise. Je me souviens aussi que j’ai mangé une mangue. Je n’en avais jamais mangé. Je n’avais jamais rien goûté de si bon ! Pour la première fois depuis des années, Nima

Nima ne perd pas une occasion de dessiner.

n’était plus enfermé. – On m’a donné un lit à moi ! Je pouvais bouger comme j’en avais envie et sortir du jardin. Éclatement de couleurs Maintenant, Nima a 15 ans et s’intéresse à la mécanique. Il vit dans une maison, située dans une ville près de Katman­ dou où Indira dirige deux foyers pour jeunes. Un pour filles et un pour garçons. Ils appren­­ nent à être indépendants et à se débrouiller pour accomplir toutes les tâches quotidiennes. Tous les soirs, à tour de rôle, ils font la vaisselle. Le matin, les jeunes gens vont à l’école et l’après-midi, ils apprennent différents métiers d’artisanat. Certains apprennent la sculpture sur bois et la céramique. Nima apprend à peindre les tableaux traditionnels népalais. Un art qui s’appelle tanka peinture. Il adore encore peindre et dessiner, mais maintenant ses peintures éclatent de couleurs. – Je suis si heureux maintenant, dit-il. Je vais à l’école et j’ai une grande famille. Indira est comme une mère pour moi. Nima voudrait surtout devenir ingénieur. Il rit. – Maintenant je sais que c’est l’essence qui fait marcher les voitures, et qu’il n’y a pas de vrais bonhommes à l’intérieur du poste de télé­ vision. 

Le tanka peinture est une ancienne forme d’art népalais. Les peintures contiennent beaucoup de symboles et de détails.


Roshani

passe de la prison au foyer pour enfants d’Indira C’est la première nuit que Roshani est dans la rue. Elle retient son souffle et écoute. C’est quoi ce bruit ? Il y a à peine quelques heures, des policiers ont frappé chez Roshani et ont emmené sa mère et son père.

L

a police a dit que sa mère et son père devaient aller en prison. Roshani ne sait pas pourquoi. Personne ne pouvait s’occuper des enfants, alors les deux petits frères de Roshani sont allés en prison avec les parents. Quelques voisins devaient s’occuper de Roshani, mais quand elle va chez eux, ils ne

Roshani, 9

D'abord Roshani était à la rue, ensuite elle a vécu avec maman en prison. Finalement elle est arrivée au foyer d'Indira.

Veut être : Infirmière et s’occuper des malades. Jeu préféré : Feu et glace. Meilleur livre : Mon manuel d’anglais. Meilleur film : Don’t say no. Un film d’amour. Aime bien : Les mangues. Ce qui me met en colère : Les moqueries et le harcèlement.

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Deux des petits frères de Roshani ont pu venir avec elle dans le foyer d'Indira, mais le plus petit est encore en prison avec maman.

 TEXTe: EVA-PIA WORL AND phOTO: JOHAN BJERKE

la laissent pas entrer. La porte est fermée à clé. Elle frappe encore et encore. Elle appelle. La nuit tombe. Des ombres bougent dans le noir. Il y a des bruits menaçants. Roshani, n’a que six ans. Elle se recroqueville sur le trottoir, se fait toute petite. Son cœur bat très fort. Il y a des fantômes partout. C’est comme s’ils se faufil­ aient autour d’elle. Elle ne peut pas dormir. Le jour suivant Roshani reste sur le trottoir. Elle ne sait pas où aller. Mais quelqu’un la voit et appelle la police. On va chercher Roshani et on l’emmène chez sa mère en prison. Mieux que de vivre dans la rue – J’étais si contente, raconte Roshani. Je ne voulais qu’une chose, être avec maman et papa. Au début, elle était avec maman dans une petite cellule, de onze personnes. – Les gardiens criaient et braillaient et on était serrés, dit Roshani. Mais c’était mieux que de vivre seule dans la rue. Quelques semaines plus tard, la famille est transférée dans une autre prison. Le père de Roshani vit dans la section réservée aux hommes et le reste de la famille dans la partie des femmes. – Le samedi, on pouvait aller rendre visite à papa. Chaque semaine, il mettait de 78

côté une partie de son riz pour nous le donner. En prison, il y avait beau­ coup d’enfants avec lesquels Roshani pouvait jouer. Le bâtiment est un vrai labyrinthe, avec plein d’escaliers et de petites pièces un peu partout. Il n’y a pas de portes entre les pièces. – On y jouait à cache-cache, raconte Roshani. Va à l’école Indira Ranamagar de Prisoners Assistance, qui aide les détenus et leurs enfants, venait souvent visiter la prison. Elle distribuait de la nourriture et des vêtements et apprenait aux détenus à lire et à écrire. Elle s’occupait aussi des enfants de la prison, qui pouvaient trouver une place dans l’un de ses foyers. Roshani et ses frères avaient passé une année en prison, quand Indira est venue les chercher pour les emmener dans son foyer, près de Katmandou. C’est là qu’ils vivent à présent, dans une grande maison à la campagne avec plus de 70 autres enfants. Ils vont à l’école et apprennent à travailler la terre. Les enfants s’occupent aussi des animaux. 24 chèvres, quelques chiens et une vache. – J’adore être ici, dit Roshani, même si maman et papa me manquent beaucoup. Mais dans quelques jours, j’irai leur rendrai visite en prison. 

En visite chez

Quand Roshani va à la prison, sa mère lui fait à manger.

C’est fantastique de se revoir, mais c’est aussi un peu triste.


maman en prison

Maman arrange les cheveux de Roshani.

Les visites sont terminées. Les mères crient encore quelques mots à leur enfant.

Quand Roshani va à la prison, sa mère veut la cajoler.

Roshani s'attarde un instant devant la grille fermée de la prison, pour prendre congé de maman et du petit frère.

- Ne sois pas triste Roshani, dit maman quand elles se séparent. On se verra bientôt !

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Le premier jour de liberté pour Joshna Joshna a cinq ans et a passé deux ans en prison. Aujourd’hui, elle peut enfin en sortir. Indira l’emmènera dans son foyer pour enfants de détenus.

11H00 Indira parle avec Joshna et sa mère. – Je suis si heureuse que Joshna puisse sortir d’ici et commencer l’école, dit la mère de Joshna.

13H00 À la prison centrale de Katmandou tout le monde connaît Indira. Elle est repartie de là avec beaucoup d’enfants. Aujourd’hui c’est le tour de Joshna.

15H00 Joshna a déjà trouvé une amie, Mamita, qui était dans la même prison. Il y a beaucoup de choses à découvrir dans la maison. Et on peut regarder au-dehors. Ce qu’on ne pouvait pas faire en prison.

Bienvenue Joshna ! Les autres enfants du foyer à Katmandou souhaitent la bienvenue à Joshna. Ils lui mettent un beau châle autour du cou. C’est ainsi que l’on souhaite la bienvenue au Népal. Cela s’appelle « Sawagatan ».

14H00 16H00 D’abord, Joshna est intimidée. Ça fait un peu peur de quitter maman et la prison.

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 TEXTe: EVA-PIA WORL AND phOTO: JOHAN BJERKE

19H00 18H00

Indira et Joshna jouent. En prison il n’y avait pas d’animaux en peluche.

Le soir, on dîne tous ensemble. De grandes portions de riz avec des légumes. Après, chacun lave son assiette.

20H00 L’heure de se coucher. Joshna dormira avec son amie. Indira, ou un autre adulte du foyer dort toujours avec les nouveaux enfants. Ils ont besoin de sécurité.

Apprends à saluer ! Joins les mains comme Bibash, 11 ans. Penche légèrement la tête vers les mains. Relève la tête et regarde la personne que tu salues dans les yeux. Dis : « Namaste » et souris.

Lit pour maman « Quand je vais voir maman en prison, je lui fais la lecture. Elle est si fière que je sache lire ! Elle n’est jamais allée à l’école. Je serai la meilleure de la classe et ensuite je gagnerai de l’argent. Quand je serai riche, je ferai construire une grande maison pour maman et pour moi. » Swastika, 12

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De la prison Les garçons ont construit la maison avec l’aide de leur maître d’œuvre.

Les cultures des garçons À l’Aama Paradise Home, on cultive des tomates, des concombres, de l’ail, des oignons jaunes, des haricots, des mangues, des papayes, du gingembre, des pommes-de-terre, des bananes, du curcuma, du coriandre, du café, des gombos, des fruits du jacquier, du piment, des fraises, des brocolis, des choux fleurs, des patates douces, du chou blanc, du topinambour, des aubergines, des citrons, des carottes, des grenades, des poires, des pêches, des pomelos, des ananas, du maïs, des litchis, et des plantes aromatiques.

 TEXTe: EVA-PIA WORL AND phOTO: JOHAN BJERKE

Suman se met tout de suite au travail dans le potager avec les autres garçons du foyer d'Indira, qu'il connaît déjà. Aujourd'hui ils vont planter des tomates.

Indira souffle sur le feu. Il n’y a pas d’électricité, ici. – Je veux que ce soit simple et près de la nature, dit Indira

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au paradis Suman, 18 ans, est nerveux. Aujourd’hui, il s’installe à l’Aama Paradise Home, situé tout en haut dans la jungle, dans l’exploitation agricole d’Indira où les jeunes des prisons apprennent à cultiver la terre et à s’occuper des animaux.

L

es nuages s’effilochent sur les maisons. On voit à des kilomètres à la ronde. L’eau potable coule toute l’année des ruisseaux provenant de la chaîne de l’Himalaya. L’eau est dirigée vers les cultures organiques, passe par la cuisine à feu de bois et aboutit aux douches extérieures parmi les manguiers. Un groupe d’adolescents s’occupe de l’agriculture. La plupart ont été sauvés de la prison au Népal et ont grandi dans l’un des foyers d’Indira. Indira a trouvé Suman quand il avait cinq ans. Il vivait dans la rue avec sa mère, qui était alcoolique et ne pouvait pas s’occuper de lui. - Sans Indira, je ne serai pas vivant aujourd’hui, dit-il. Grâce à elle, j’ai une vie fantastique. Et à présent, je peux vivre ici. C’est si beau ! Dorment sous le ciel étoilé Les autres garçons d’Aama Paradise, font visiter les environs à Suman. Ils se connaissent bien. Ils ont grandi ensemble dans le foyer pour enfants d’Indira. Après le déjeuner, c’est l’heure de planter les tomates.

Indira a trouvé Suman dans la rue quand il avait cinq ans. À présent, il a 18 ans et vient de s’installer dans l’exploitation agricole tout en haut, dans la montagne.

Les garçons apprennent a tailler des planches.

Le lit a un socle et est bientôt prêt. Cette nuit, Suman dormira à la belle étoile.

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Indira prépare du poulet pour le dîner. Les garçons aiment sa cuisine.

Un enseignant en agronomie dirige le travail et on mélange théorie et pratique. Il y a aussi un employé menuisier, qui apprend aux garçons à construire toutes sortes de choses, des meubles aux maisons. Après le travail, les garçons

courent vers le fleuve qui coule dans la vallée. Là, ils peuvent nager, se rafraîchir et pêcher. Pour le dîner, Indira cuisine du poulet sur le feu de bois. Il n’y a pas d’électricité. Quand c’est l’heure de dormir, les garçons transportent leur lit

dans le jardin. Ils veulent dormir dehors. – Je vais me plaire ici ! dit Suman en levant les yeux vers le ciel étoilé. 


Les garçons se rafraîchissent dans le fleuve après le travail des cultures. Ici, ils peuvent aussi pêcher.

Champignons contre les morsures de serpents Dans la jungle, il y a beaucoup de plantes utilisées comme médicaments. Les garçons de Palpa vont souvent en chercher. Aujourd’hui, ils ont trouvé un champignon bizarre qui s’appelle dame voilée. - Si un serpent nous mord, on applique le champignon sur la morsure pour qu’il absorbe le poison, explique Indira.

– Cette racine, on la cuit dans les cendres, dit Indira. On doit en manger au moins une fois par an pour rester en bonne santé. Indira et les garçons l’ont trouvée dans la jungle.

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