En quoi l’architecte est-il concerné par l’hospitalité et l’accueil des migrants? LES DAMNÉSDE LA TERRE
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003 Mémoire de fin d’étude FULCHIRON Xavier Master EVAN Cycle académique 2020-2022 ENSA GéraldineDirectriceLaurieAntoineProfesseurCLermont-Ferrandencadrant:BEGELGangarossad’Étude:TEXIER-RIDEAU
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A travers cette initiation à la recherche, je souhaiterais commencer par adresser mes remerciements, avant tout, à l’en semble de l’équipe pédagogique et administrative de l’EN SACF, pour le soutien et le suivi continu dans mon cursus universitaire et plus précisément dans la rédaction de ce mé J’adressemoire.
ainsi une mention spéciale à Antoine BEGEL pro fesseur et architecte du collectif Commune pour m’avoir assisté dans l’amorce de ce travail et dans mes méthodes de recherches. De la même manière, je remercie Laurie GAN GAROSSA, qui a eu la bienveillance de remplacer Antoine BEGEL dans son rôle de professeur référent en milieu de parcours. Enseignante à l’ENSACF et architecte sans qui ce sujet n’aurait pas été aussi bien mené à terme et approfondi. Cet énoncé théorique ayant eu la chance de pouvoir se nour rir de plusieurs regards, au delà du mien, s’étant construit à partir de nombreux échanges passionnés et passionnants. Je remercie également Géraldine TEXIER, coordinatrice du mémoire en Master EVAN ainsi que Stéphane BONZANI, chercheur et enseignant à l’ENSACF dont les connaissances partagées lors des corrections croisés m’ont beaucoup ser L’initiationvies. à la recherche, est aussi construite à partir de ren contres universitaires et professionnelles. De ce fait au-delà des nombreux auteurs, philosophes, réalisateurs, étudiants et architectes dont j’ai pu convoquer les travaux, je désire re mercier Lory DUPUY. Rencontre «accidentelle» qui a contri bué à ajouter de l’expérience et une vision plus terre-à-terre de mon sujet. Bien sûr, je souhaite également adresser mes remerciements à l’ensemble de mon entourage familial et affectif de la même manière que l’ensemble des personnes qui m’ont accompa gné de manière directe ou indirecte dans cette recherche. Je pense notamment à mes parents ou à mes sœurs pour leurs conseils, leurs relectures ou encore leur soutien moral inéga lable tout au long de mes études. De la même manière, je re mercie mes amis et camarades de projet qui m’auront accompagnés ces dernières années et de part leur support, allégés la pression du Master. Je pense notamment à Clément CHE MARTIN, Emeline BATTISTI et Baptiste BARRAULT. A Almir DELFIEU également, avec qui j’ai éprouvé du plaisir à travail ler et échanger sur mon mémoire à travers plusieurs sessions commune. Enfin, pour clore ces remerciements, je souhaite adresser toute ma reconnaissance à Jeanne DELESCLUSE avec qui j’ai eu la chance de pouvoir partager mes dernières années à l’ENSACF. Elle qui a sue dans les moments diffi ciles me maintenir à flot et me réconforter, sans qui je n’aurais pu être aussi fier de l’achèvement de ce mémoire.
Remerciements
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LES DAMNÉS DE LA TERRE
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Dans ses nuits, les cauchemars d’expulsion sont réguliers Elle attend d’obtenir le statut d’réfugiée Elle mendie au feu rouge avec la détresse comme baîllon Elle se renseigne sur ses droits, petite princesse en haillons Elle imagine parfois sa vie d’étudiante dans son pays Si la justice avait des yeux, si la paix régnait en Syrie Elle sourit même parfois, quand elle trouve la force d’y penser Elle rêve en syrien mais, là, elle pleure en français J’aperçois Yadna rapidement lorsque l’feu passe au vert J’ai un p’tit pincement au cœur, mais j’suis en retard et j’accélère Les plus grands drames sont sous nos yeux mais on est pressé, faut qu’on bouge Y’a des humains derrière les regards, j’ai croisé Yadna au feu rouge
Grand Coeur Malade (Au feu rouge, PLAN B, 8 décembre 2017)
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006 ¦ Avant-propos ¦ Introduction ¦ Immersion ¦ Chapitre I Partie I Partie II Partie III Partie IV ¦ Chapitre II Partie I Partie II Partie III Partie IV ¦ Épilogue Partie I ¦ Conclusion ¦ Glossaire ¦ Annexes h ¦ Bibliographie Pourquoi la crise migratoire La crise migratoire, symptomatique de l’hospitalité Hospitalité / Hostilité / Profil «Le-dedans» Seuil La figure du camps Calais, entre espoir et rancœur Habiter la Jungle Rapport à l’univers carcéral «Le-dehors» Seuil Rejet des autres figures d’accueils Paris ville de errance La Chapelle, quartier de la fortune La ville fantôme «L’île» ProjetsSeuil Sortie et ouverture Cartographie du sujet et lexique Documents complémentaires Listes des documents SOMMAIRE : 008 - 015 016 - 033 034 - 057 058 - 111 060 - 063 064 - 073 074 - 085 086 - 101 102 - 111 112 - 165 114 - 117 118 - 131 132 - 143 144 - 155 156 - 165 166 - 193 168 - 171 172 - 193 194 - 203 206 - 217 218 - 231 232 - 251
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Avant propos, « Une des difficultés à surmonter par la société française actuelle est de se reconnaître et de se percevoir pleinement comme multi culturelle. Dans ce contexte, les médias audiovisuels peuvent jouer un rôle primordial [...]. Or il semble subsister à l’heure actuelle une nette distance entre la réalité des choses et le reflet que les médias renvoient à la société française. » (European Commission Against Racism and Intolerance, Rapport sur la France, 10 décembre 1999)
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011 POURQUOI LA CRISE MIGRATOIRE ?
Nous vivons à une époque où la question de la représen tation des minorités fait débat et divise l’opinion publique dans tous les champs de notre société. Depuis une ving taine d’années désormais, une abondante diversité d’ac teurs provenant de milieux variés comme le cinéma, le théâtre, la littérature ou encore les médias tentent de lutter contre ce phénomène et ainsi la sous-représentation des minorités. Sociétés patriarcales, discriminations raciales, rejets de certaines orientations sexuelles ou encore stig matisations des immigrés… sont autant de réalités dénoncées légitiment au titre du droit à l’égalité. Ce sont également des armes instrumentalisées pour la négation des Droit de l’Homme et du Citoyen. Ainsi il me semble impossible aujourd’hui de nier l’importance de ces ques tionnements qui paraissent comme essentiels dans nos formations professionnelles. En effet, si certains secteurs d’activités comme le cinéma par exemple, semblent ces dernières années s’être placé en défenseur des minorités dans le paysage contemporain, il semble évident que les architectes ont également leur rôle à jouer. L’un de mes principaux attraits pour l’Architecture provient de sa capacité à réunir, à fédérer des groupes d’indivi dus au sein d’un même espace, d’un même objet. Particulièrement intéressé par la sociologie, la considération que j’ai pour le rôle éminemment social que détient l’ar chitecte, pour sa capacité à réunir collectivement les indi vidus et à leur permettre de s’épanouir individuellement, motive depuis toujours mes projets. L’architecte doit avant tout connaitre les autres aussi bien qu’il se connait luimême, il lui est nécessaire d’avoir des capacités de mé diation, d’adaptation et de compréhension de la société dans laquelle il projette. Pour autant l’architecture est bel et bien personnelle et véhicule toujours avec elle un cer tain nombre de valeurs, propres à son créateur. De fait elle est souvent le reflet d’une époque, d’une idéologie ou d’une vision, ce qui la rend d’avantage intéressante à étudier. Mais si l’art de concevoir est intrinsèquement lié à l’idée de collectivité et de partage, son caractère person nel peut la rendre excluante. Comme dit précédemment, j’ai au cours de ces dernières années d’étude tenté de développer, à travers mes projets une architecture inclu (Figure 1), Buttler (Georges), «No where to go, Idomeni»
AVANT-PROPOS .
que j’avais, à travers mon rapport d’étude, mené un décryptage des modes d’habiter à tra vers les siècles, des tribus autochtones au Canada. Par définition ce terme englobe l’ensemble des populations «issues du sol », c’est-à-dire qui ne sont issues d’aucune immigration. La notion d’autochtone désigne une commu nauté non-dominante d’un point de vue politique, écono mique et culturel dans l’État où elle évolue que ce soit du fait d’un génocide, de la colonisation etc… L’intérêt d’aller analyser et décoder la culture mais aussi l’architecture de ces peuples de, « laissés pour compte »1, a été pour moi de comprendre à quel moment l’architecture peut inverser les tendances et permettre la réintégration de ces popula tions rejetées et la mise en avant des modes d’habiter de ces dernières. Les peuples aborigènes canadiens ont en fait été victimes d’une sorte de diaspora, imposée par la colonisation du Canada par l’Europe, entraînant l’établis sement forcé d’une architecture occidentale peu adaptée par rapport au mode de vie des populations locales. Une architecture importée qui ferme les yeux sur des milliers d’années de culture, de traditions et de savoir-faire. Mon rapport d’étude se concentrait ensuite sur l’émergence récente d’un courant d’architectes autochtones soucieux d’adapter l’architecture occidentale aux valeurs des tribus aborigènes. C’est ainsi que je souhaiterai inscrire mon mémoire dans le prolongement de mon rapport d’étude2, à savoir en traitant du rapport entre architecture et repré sentation des minorités. Et cela via la crise migratoire, qui de la même manière que les questions de mal-représen tation est un sujet sociétal plus que jamais d’actualité. J’ai toujours au sein de mon cursus universitaire accor dé une place prépondérante au cinéma, que ce soit pour établir des compilations de références scénographiques au service de mes projets ou bien également dans le but de nourrir mes réflexions. Ma participation à plusieurs jurys étudiants de cinéma, mêlée à mon parcours d’étu diant-architecte, m’a ainsi poussé à adopter un nouveau regard face aux œuvres cinématographiques vues non seulement comme un divertissement mais aussi comme un véritable corpus disciplinaire. C’est pourquoi mon désir de traiter spécifiquement des minorités issues de l’immi gration est né du visionnage de plusieurs longs métrages comme District 9 de Neill Blomkamp (2009)3 par exemple. 1 : Terray (Emmanuel), Les camps sont-ils les labora toires de la gouvernance mondiale des migrations et de l’asile?, Colloque, Cité de l’architecture, 24 octobre 22014:Fulchiron (Xavier), L’architecture autochtone au Canada, Rapport d’étude, 32019-2020:Blomkamp (Neil), District 9, Majority Entertainment, 5 septembre 2009 (Figure Fuocoammare,2) par-delà CopyrightLampedusa21 Uno Film
012 sive, comme au S7 durant lequel je m’étais intéressé à la question de l’accueil de réfugiés climatiques sur le terri toire d’Aubière. En parallèle je m’évertue à me question ner sur les problèmes d’exclusion des minorités (causes, C’estfondements…).selonceprisme
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Parmi ceux qui m’ont le plus marqué sur ce sujet je ci terai le film/documentaire de Gianfranco Rosi réalisé en 2016 et intitulé Fuocoammare1, par-delà Lampedusa. A travers ce documentaire scénarisé, justement récompen sé d’un ours d’or, le réalisateur tente de nous apporter un point de vue sur l’immigration différent de celui dépeint par les médias européens. Tourné sur la petite île épo nyme d’à peine 20km2, située entre la Tunisie et la Sicile, il cherche à nous faire prendre conscience des drames qui surviennent dans la mer de feu depuis que les frontières sont fermées aux migrants. C’est en effet ici que ces vingt dernières années, près de 400 000 migrants tentèrent de débarquer, fuyants conflits et misère. 15 000 d’entre eux trouvant officiellement la mort en tentant de traverser le Canal de Sicile pour gagner l’Europe2. Malgré la dureté du propos et de la réalité qu’il immortalise de son objectif jamais condescendant, Gianfranco Rosi arrive à délivrer un message d’espoir mettant en scène une faible mais pour autant présente, entraide entre réfugiés et habitants. Cependant on remarque rapidement que l’humanité à ses limites lorsque peu à peu on découvre que l’hospitalité s’estompe pour laisser place à une forme d’acceptation et de banalisation de l’accueil. Les migrants devenant ra pidement des accidents politiques et environnementaux parmi tant d’autres. Je me suis finalement toujours senti concerné par la situa tion des réfugiés sans vraiment avoir l’occasion de pou voir agir. Au-delà des œuvres cinématographiques citées précédemment je me rappelle avoir déjà été extrêmement ému lors de la lecture de nombreux témoignages de déplacés. De ce fait, à une époque où la crise migratoire ne semble plus pouvoir diminuer et qui plus est, ne pour ra que s’aggraver en raison de son étroite dépendance à la crise environnementale, il est selon moi nécessaire d’intégrer cet enjeu à nos travaux. L’architecte comme l’urbaniste a toujours eu comme rôle de répondre par la conception d’espaces vivables, lors de crises aux quelles fait face la société. Il est à la fois sociologue, anthropo logue et concepteur, de ce fait nous sommes poussés dans nos études et notamment en Master EVAN à nous interroger sur les maux et métamorphoses de nos villes. De plus ses dernières années on remarque que les écoles commence à integrer de plus en plus la question migra toire au sein des ateliers. J’ai d’ailleur eu la chance lors du semestre 7 de pouvoir commencer à amorcer mes ques tionnements au sujet du logement d’urgence. Lors de ce dernier, Antoine BEGEL, alors professeur encadrant avait évoqué l’un de ses projets réalisé au sein du collectif d’ar chitectes lyonnais Commune. Il traitait de la relocalisation 1 : Rosi (Gianfranco), Fuocoammare, par-delà Lampedusa, Météroe Films, 22016:Soyeux (Marie), «Fuocoamare, une île et des hommes», La Croix, 5 septembre 2018
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015 de familles réfugiées suite à la destruction d’un bidonville en périphérie de la commune de Villeurbanne. Ce projet a vu la mise en place d’un « village mobile »1 autour d’une salle polyvalente préexistante qui fut réappropriée de ma nière à créer des espaces d’échanges et de dialogue, pour ses nouveaux habitants. Au-delà de ce projet, nous avions alors pu dans le cadre de correction, commencer à discuter du fonctionnement des campements de migrants et notamment avec la notion d’enceinte.
A partir de cela, je me suis tourné vers d’autres collectifs comme le PEROU, spécialisé justement dans la concep tion d’habitats temporaires ou d’urgence à destination des déplacés. Actifs sur l’ensemble du territoire français ces derniers, souhaitent expérimenter de nouvelles tactiques urbaines en développant des imaginaires novateurs. Le tout dans le but de retrouver une hospitalité disparue dans nos manières actuelles d’accueillir. Dressé contre les villes et les pouvoirs publics hostiles qui proposent des réponses déconnectées de la crise migratoire, le collectif multiplie les ripostes constructives. Une manière d’aborder les flux migratoires et leurs acceptations dans nos tissus urbains qui correspond à mes idéaux. C’est donc avec un certain bagage référentiel et intellectuel que je commence cet énoncé théorique, accompagné de connaissances ar chitecturales , cinématographiques et sociologique.
1 : Collectif Commune, Vil lage Mobile, Villeurbanne
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Introduction,
”Les humanitaires et les architectes ne parviennent pas à trouver un langage commun, et parlent les uns des autres en utilisant des clichés stéréotypés. Il est temps de combler ce fossé et d’encou rager une collaboration plus étroite entre ces deux professions.
En tirant parti de la manière de réfléchir des uns et des autres, ils peuvent gagner en pertinence à l’égard des déplacés qui cherchent un abri.”
Tom Scott-Smith (Centre d’études sur les réfugiés, Université d’Oxford, 2016)
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LA CRISE MIGRATOIRE, NOUVEAU WOKE 1 : Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, aperçu statistiques, source IDMC, 18 juin 2021 2 : Verdon (Thibault), Quel accueil pour les réfugiés sur le territoire parisien?, mémoire de fin d’études, Faculté 1 Gembloux Agro-Bio Tech, Université de Liège, 2017, p.19.
Pour bien comprendre l’ampleur et la signification de ce chiffre, il faut d’abord étudier qui sont réellement les « ré fugiés » (terme générique). En effet ceux que l’on appelle nomades ne sont pas à proprement parler des migrants et ceux qu’on appelle migrants ne sont eux mêmes pas tous considérés comme réfugiés. « Lorsque l’itinérant avance avec le temps , le migrant avance contre le temps». Néanmoins, le migrant, qui avance avec le temps se construit lui aussi dans le déplacement. Il fait face à des obstacles humains et territoriaux pouvant mettre en danger son in tégrité physique et morale. On pensera particulièrement aux populations devant traverser des frontières, fran chissant des montagnes ou des mers dans des conditions indignes. Aidés de réseaux de passeurs peu scrupuleux « faisant souvent passer leur propre intérêt financier avant la dignité humaine »2. Au sens de l’ONU, un réfu gié est une personne craignant avec raison d’être persé cutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité,
INTRODUCTION . Avec les primaires formes de sédentarisation qui appa raissent pour la première fois vers le neuvième millénaire avant Jésus Christ, les sociétés primitives reposaient sur l’adaptation et le mouvement. Composées de clans no mades ces dernières vivaient au fil des saisons, se dépla çant de terre en terre quand les ressources naturelles ve naient à leur manquer. Ainsi, existaient déjà les premières formes de migrations, orchestrées par une obligation de se mouvoir pour survivre et répondre à ses besoins essentiels. L’Homme a toujours été contraint de circuler d’un territoire à un autre. Si ce constat peut nous sembler au jourd’hui désuet au regard de l’évolution des sociétés sédentaires, il n’en est rien. 82,4 millions1, c’est le nombre de personnes qui en 2019 ont fui la guerre, la persécution, les conflits ou encore les catastrophes climatiques, en quittant leur pays d’origine. Un chiffre particulièrement haut, plus élevé que jamais. En effet on remarque au cours de la dernière décennie que le nombre de personnes dé racinées a presque doublé (40 millions en 2010 pour 80 millions en 2019)1. Une augmentation de plus en plus importante qui se vérifie sur l’année 2018-2019 avec plus de 9 millions de déplacés supplémentaires. Une donnée alarmante qui traduit de la persistance et de l’aggravation des conflits à travers le monde ces dernières années et qui requestionne le métier d’architecte et sa capacité à adapter ses outils en même temps que la société.
A l’instar de la jungle de Calais, ou un véritable combat s’est tenu entre les bénévoles, ses occupants, et les pou voirs publics. Calais est le symbole même (en France), du camp pouvant devenir ville, avec de véritables qualités spatiales et une vie communautaire inusable. Elle introduit au-delà de son rôle protecteur, des valeurs de confort, de parcours ou encore de spatialité. Une figure embléma tique qui continue de faire parler d’elle, puisque malgré la fermeture officielle de ses installations, on y note cette an née encore l’arrivée de nouvelles vagues de réfugiés. Fin 2021 pas moins de 1400 réfugiés ont été accueillis tem 1 : «Convention de Genève», 24 juillet 1951 2 : Rapport Groundswell, La Banque Mondiale, 13 septembre 2021 3 : Morice (Alin), Les camps sont-ils les laboratoires de la gouvernance mondiale des migrations et de l’asile?, Col loque, Cité de l’architecture, 24 octobre 2014 4 : Un paysage global des camps, Colloque, Cité de l’architecture, 2014
019 de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouvant hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou (du fait de cette crainte), ne peut se réclamer de la protection de ce pays1. Pour autant si cette définition peut nous sembler complète, elle tend vers une désuétude inévitable dans un futur proche. Si il est évidemment essentiel aujourd’hui d’étudier ces flux migratoires par les prismes évoqués précédemment, il est nécessaire de les encrer dans les nouveaux enjeux de la société actuelle, à savoir la crise climatique. A l’heure ou nous parlons et selon la définition officielle de « réfugié » donné par l’ONU, il n’existe pas de réfugiés climatiques reconnus en tant que tel. Or la crise environnementale qui demeure une réalité depuis toujours mais dont nous ne semblons avoir pris conscience que très nouvellement, est devenue un facteur de poids dans l’accentuation des affluences migratoires. On prévoit par exemple que les aléas climatiques pourraient provoquer le déplacement d’environ 250 millions de personnes d’ici 20502 tandis que l’on pourrait en anticiper 143 millions dès 20302. Avec pour causes les mauvaises récoltes, les pénuries d’eau et la montée du niveau des mers. Néanmoins, si depuis longtemps déjà, l’accueil des réfu giés est considéré comme un sujet d’étude sociologique, anthropologique, et même (à tort) scientifique. Il en vient trop souvent à être assimilé à celui de « laboratoire » se lon les termes de Jean-Pierre Chevènement alors ministre de l’intérieur3 en 1987. Ces dernières années on note une banalisation de l’accueil des réfugiés qui ne sont pas vus comme des victimes individuelles mais plutôt comme une masse d’indésirables. Symbole de ce que nous appelle rons l’« apartheid moderne »4, les réfugiés sont privés de leur liberté d’aller et venir pourtant essentielle au maintien des droits de l’Homme et du citoyen. Se retrouvant ainsi, tels de simple prisonnier, dépouillés de tous de qui en fai sait des citoyens. Un profil d’Homme non-citoyen emerge peu à peu notamment au sein des camps d’accueil et contre lequel, associations et réfugiés ne cessent de lutter.
Frontières, logements, aménagements du territoire, hébergements... autant de sujets qui convoquent direc 1 : « A Calais, près de 1 400 migrants ont été accueillis dans le centre d’accueil temporaire », Le Monde, 10 novembre 2021 2 : Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, aperçu statistiques, source IDMC, 18 juin 2021 3 : 55 000 demandes en 2014 puis 70 000 en 2015, selon Les politiques d’he bergement et d’acceuil des réfugiés vers de nouvelles inégalités territoriales ?, Actes du séminaire ENS-IAU, 20 mai 2016, Sur les ques tions (Figureurbaines3),Calais: un migrant en garde à vue pour rébel lion et outrage après un démantèlement, Copyright La Voix du nord
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porairement dans des hangars en périphérie de la ville1 de Calais, de quoi pré-sentir la renaissance de la Jungle Cependant si l’accès au droit à la mobilité pour les ré fugiés est maintenant reconnue par le droit international et humanitaire auprès des organisations mondiales, les Etats semblent pouvoir l’appliquer à leur gré sans véri tables contraintes ni obligations. Se pose ainsi la question de l’efficacité du droit d’asile. Pour être reconnu en tant que réfugié et ainsi pouvoir bénéficier des avantages liés à l’obtention du droit d’asile, il est nécessaire d’établir une demande auprès du pays d’accueil. L’obtention d’un tel statut est essentiel à la bonne intégration des migrants. Le demandeur d’asile bénéficie d’un droit à l’héberge ment dans les CADA (Centres d’Accueil des Demandeurs d’asile) et toute autre structure bénéficiant des finance ments du ministère de l’Intérieur pour l’accueil des demandeurs d’asile et à l’ADA (allocation pour demandeurs d’asile). De plus il se retrouve alors en droit d’avoir une ac tivité professionnelle sur son territoire d’accueil de manière à pouvoir s’installer ensuite durablement en dehors de la tutelle de l’Etat. Malheureusement et bien souvent, cette requête se heurte à la souveraineté et au bon vouloir de l’Etat nation. Si certains pays semblent plus ouverts que d’autres à ce niveau là, comme la Turquie qui accueille (non sans moti vations controlitaires et financières) jusqu’à 3,7M de réfu giés2, d’autres, gouvernés par des politiques d’ostracisme peinent à appliquer ce droit à l’asile sur leur territoire Manquement qui se fait par manque de volonté politique mais aussi par manque de moyens et d’organisation. On remarque de fait en France, une certaine difficulté à accueillir correctement et durablement les réfugiés. Les guichets uniques du droit d’asile qui sont chargés sur le territoire français d’accueillir les migrants afin de leur at tribuer le statut de réfugiés se sont rapidement retrouvés submergés par les demandes, notamment pour la ville de Paris3. Face à une demande croissante, des infrastruc tures d’accueil insuffisantes et une politique intérieure plus restrictive, le nombre de déboutés ne cesse d’augmenter, contraignant certains à adopter un mode de vie illégal. Toutes ces relocalisations de communautés différentes engendrent également l’une des crises du logement les plus importantes de notre époque. Outre un manque de logements, intervient le manque d’accessibilité à ceux-ci et une pénurie en structures adaptées.
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2 : Labbé (Mickaël), Reprendre place contre l’ar chitecture du mépris, Editeur Payot, 16 octobre 2019
022 tement le rôle de l’architecte, l’invitant à repenser son en gagement social. Il serait tout de même, incorrect de résumer ou de se contenter de justifier ce refus à l’accueil d’autrui par un biais logistique. Ce dernier est également alimenté, ces dernières années, par la montée d’un repli identitaire, re pli sur soi directement lié à la disparition progressive de la notion d’hospitalité. Terme qui se défini comme, l’action de recevoir chez soi l’étranger qui se présente. Un peu partout en Europe on constate une émergence de prises de parole ouvertement contre l’accueil des migrants. On remarque ainsi que neuf des dix premiers pays les moins désireux d’accueillir des migrants se trouvent en Europe de l’Est1. Parmi ceux-ci, on retrouve notamment la Hon grie, la Slovaquie, la République tchèque, la Lettonie, l’Es tonie et la Croatie. Ou d’autres encore bordant la route des Balkans empruntée par des milliers de migrants en 2015 et 2016 à l’image de la Macédoine, du Monténégro et de la Serbie. Une forme de xénophobie fleurissante en Europe qui empêche la notion d’hospitalité d’émerger avec cette crise migratoire. Cette dernière, pointant ainsi du doigt une véritable incapacité à partager notre «cheznous». En effet s’il est vrai que les places en camps et centres de rétention/accueil ont tendance à manquer, les asso ciations s’alarment de la mobilisation des financements et des moyens humains pour surveiller et contrôler les mi grants au détriment de propositions de vraies structures d’accueil. Faisons-nous vraiment tout notre possible pour faciliter l’accueil des migrants sur notre territoire ou bien nous dirigeons-nous vers une société plus fermée et plus fonctionnelle, construite sous la barre de la «déposses sion du droit à la ville»2. Se pose alors la question même du rôle de l’architecte dans le processus d’accueil des ré fugiés. Un doute qu’il est possible d’illustrer à travers la rénovation de la place strasbourgeoise d’Austerlitz, sorte de passage obligé à qui Mickaël Labbé prête le nom iro niquement de « place to be »2. Cette place si elle peut sembler être, au premier regard, parfaitement réussie de par son attractivité, éveille en lui un fort sentiment de malaise, de honte. Une sensation qui provient de l’apparition sur ce lieu, d’aménagements exclusifs et de dispositifs ur bains de mépris qui rendent son utilisation et sa pratique moins aimable. Mickaël Labbé évoque alors une forme d’architecture « défensive » qui viserait à rejeter les in désirables de la ville de Strasbourg, à l’instar des SDF principalement mais aussi des déplacés. Cet espace ur bain est ainsi bien la preuve que nous autres architectes
1 : Sondage Gallup sur la migration, 23 août 2021
Ce mémoire s’apparentera à un essai de compréhen sion et n’a pas pour prétention de trouver des solutions parfaites pour l’accueil des demandeurs d’asile, mais de mettre en avant des idées novatrices et concrètes pour l’installation durable des migrants sur notre territoire. Il s’agira d’étudier des pistes de travail en partant de la dé construction du mythe de l’hospitalité dénoncé par Michel Agier6. Décrochage qui a été mis en lumière au 20ième siècle par la crise des migrants en Europe. Le premier temps s’appuiera sur l’évolution de la notion d’hospitali 1 : Collectif PEROU, Paris,2012 2 : Atelier Secousse, Paris,2016 3 : Collectif Sans Plus At tendre, Paris, 2010 4 : Atelier RITA, Paris, 2016 5 : Atelier RITA, Centre d’hé bergement d’urgence 6 : Les politiques d’heber gement et d’acceuil des réfugiés vers de nouvelles inégalités territoriales ?, Actes du séminaire ENS-IAU, 20 mai 2016, Sur les ques tions urbaines
Quel rôle les architectes ont-ils donc à jouer dans la re conquête de l’hospitalité mise en lumière ces dernières années par la crise migratoire ?
023 et urbanistes avons dans l’exercice de nos outils, une par tie de la solution ou bien au contraire du problème. Et cela même si les pouvoirs publics, résignés, et accompagnés des grands groupes immobiliers prennent peu à peu le pouvoir sur l’organisation et le fonctionnement des villes contemporaines. Rendant bien souvent architectes et urbanistes, normalement décideurs des question urbaines, totalement impuissants. Pour autant, de nombreux collectifs à l’instar du collectif Perou1 (composé d’architectes mais aussi de cartographes et d’anthropologues), qui expérimente de nouvelles tac tiques urbaines, travaillent à fabriquer l’hospitalité. Les architectes disposent des clés pour mettre un terme à la ville hostile et commencer à répondre à tous les dangers soulevés par l’accueil en France. Ils cherchent de plus en plus à se doter de nouveaux moyens de spatialiser et de dessiner cette hospitalité qui semble s’éloigner de plus en plus de notre discipline. L’intérêt porté à ces problé matiques augmente, poussé par des ateliers comme les collectifs secousse2, Sans Plus Attendre3 et bien d’autres, moteurs de projets novateurs et assurés. Autant de ré flexions qui ont valu à l’Atelier Rita4 , fondé par Valentine Guichardaz-Versini, le prix de la plus jeune œuvre en 2017, pour la conception d’une centre d’hébergement des réfugiés. Une récompense qui montre qu’il est pos sible de faire architecture à partir de la notion d’hospita lité et non contre cette dernière. Et « l’hospitalité ici, ce sont des chambres confortables de tailles variables, des sanitaires partagés et nombreux, des salles à manger sous forme de yourtes aux parois de toile bien isolées, des services communs, dont un pôle médical, quatre « classes intégrées » pour les enfants et les adultes, et encore deux yourtes pour servir de salles polyvalentes »5
024 té, mise en relation avec la phase d’arrivée et d’accueil des migrants. Dans un même temps nous tacherons de comprendre les différentes formes que peuvent prendre l’hostilité contre les migrants. Après avoir défini ces deux mots clés, fil conducteur de mon mémoire, nous dresse rons quelques portraits de migrants pour mieux en cerner les principaux acteurs. Ce travail aura pour intitulé, l’immersion. Suite à cette étape, qui servira à poser les bases de mes différentes parties, mon énoncé théorique se divisera en trois fractions distinctes. Nous nous inté resserons en premier lieu au « Dedans », c’est à dire à l’étude de l’architecture et de la gouvernance des camps de migrants. Plusieurs situations seront évoquées mais un grand cas d’étude sera interrogé à l’instar de la Jungle de Calais. Le deuxième temps comptera, quand à lui une seconde notion diamétralement opposée, le « Dehors ». A savoir, l’accueil des migrants au cœur de nos tissus urbains. Nous étudierons l’occupation de ses interstices citadins de manière plus ou moins informelle. Pour finir et en guise de partie introspective, nous adopterons une approche exclusivement architecturale. «L’Île», aura pour but de dépasser les deux situations précédentes en dres sant une sorte d’inventaire des dispositifs architecturaux pré-existants. Plusieurs projets seront de ce fait décorti qués et analysés. Tout cela nous permettra d’obtenir des pistes et des clés de réflexion pour repenser notre manière d’aborder la crise des réfugiés sur notre territoire, en proposant de nouvelles alternatives. L’illustration par des exemples concrets, actuels, imaginés pour d’autres communautés voir à d’autres époques permettra de nourrir une nou velle manière de procéder par rapport à celle que nous connaissons. En effet il ne suffit pas d’améliorer ce que nous faisons, il convient également de pouvoir proposer de nouvelles méthodes plus audacieuses. Notre intention est donc de montrer à travers cette étude que l’architecte est, et doit, devenir un acteur conscient des stratégies d’accueils des migrants. Nous avons un rôle à jouer dans les années à venir, en vue de nos outils et du sens même de notre profession quant à l’habiter. C’est donc essentiellement avec les outils de l’architecte, mais aussi en étudiant ceux des anthropologistes, des phi losophes et des urbanistes que nous essayerons d’identifier de nouvelles voies d’accueil susceptibles de pérenni ser la notion d’hospitalité. Il s’agit de comprendre en quoi les dispositifs architecturaux sont des influants majeurs à notre époque pour répondre au problématiques soulevées par l’accueil des réfugiés sur notre territoire.
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Parmi celles-ci, La notion de « ville refuge ». Jacques Derida, éminent philosophe, était en 1995 intervenu devant le parlement international des écrivains au sujet de la projection imaginaire d’un réseau de villes refuges Selon lui, la ville doit se distinguer de la gouvernance de l’Etat souverain. La ville refuge ou bien encore « frange», devrait pour fonctionner pleinement, disposer d’un statut unique comme autrefois certains lieux religieux. Le tout dans l’optique de se détacher de l’Etat pour répondre à la violence, l’injustice et la persécution. A travers cette notion, il nous parle du vrai sens que prend l’hospitalité dans les rapports qu’entretiennent entre eux les individus.
027 MÉTHODOLOGIE .
Cet énoncé théorique va donc chercher à s’appuyer sur un corpus de documents assez variés de manière à cer ner au mieux toute la complexité d’un sujet aussi vaste que celui de l’impact de la crise migratoire sur notre territoire. Mon énoncé prend racine à travers les textes et la pensée d’écrivains et philosophes. Avant de resserrer mon mémoire sur le cœur même de mon sujet à savoir l’accueil des migrants, je trouvais important d’interroger les trois notions principales de mon sujet par le biais d’in tervenants extérieur à la thématique architectural. Le tout dans le but de tisser rapidement des liens entre mon écrit et leurs travaux. De ce fait, je suis allé étudier différentes réflexions philosophiques portant sur les notions d’hospi talité et d’hostilité pour m’en saisir de la meilleure des ma nières avant de les relier moi-même à la crise migratoire.
Après avoir fondé cette définition de l’hospitalité je me suis naturellement intéressé à son contraire, à savoir l’hos tilité. Pour ce faire j’ai convoqué des lectures d’Hannah Arendt, du sociologue Georges Canguilhemde ou du livre Les lois de l’inhospitalité : Les politiques de l’immigration à l’épreuve des sans-papiers1. Cela m’a amené à m’inté resser à une nouvelle notion parallèle, celle de mépris so cial, notion que j’ai découverte grâce aux travaux de Guil laume Leblanc et Fabienne Brugère, et leur livre La fin de l’hospitalité, l’Europe, terre d’Asile ?2. Enfin j’ai fait le choix d’ajouter une nouvelle lecture à ma bibliographie à savoir Les voix de la jungle, Histoire des réfugiés de Calais3. Ce dernier m’a permis de mieux comprendre les trajectoires, les origines, les rêves et surtout les véritables situations d’accueil des migrants. Reccueil de témoignages dont j’ai répartis des échos dans l’ensemble de mon mémoire. En plus de ces derniers, deux écrits principaux viennent nourrir mes parties. Un paysage global de camps4 qui rend compte d’un colloque ayant eu lieu à la Cité de l’architec
1 : Fassin (Didier), Morice (Alain) et Quiminal (Cathe rine), Les Lois de l’inhos pitalité: Les politiques de l’immigration à l’épreuve des sans-papiers, La découverte/Essais,1997
2 : Le Blanc (Guillaume)et Brugère (Fabienne), La fin de l’hospitalité L’Europe, terre d’asile ?, Champs - Champs essais, 23 mai 2018 3 : Les voix de la jungle, His toire des réfugiés au camp de Calais, La guillotine avec Help refugees etJuinClimade,2020 4 : Un paysage global des camps, Colloque, Cité de l’architecture, 2014 (Figure 4), Schaep (Henri Adolphe), Ontvangst van passagiers op een schip, Accueil des passagers sur un navire, 1841 - 1870
3 : Directrice régionale ad jointe à la Drihl (Direction régionale et interdéparte mentale de l’hébergement et du logement)
2 : Directeur d’Etudes à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales) et directeur de recherche à l’IRD (Institut de recherche en développement)
028 ture et du patrimoine le 24 octobre 2014, et Les politiques d’hébergement et d’accueil des réfugiés vers de nouvelles inégalités territoriales, sur les questions urbaines1. Le pre mier offre un décryptage par un large panel d’intervenants de la gouvernance mondiale des camps de migrants ain si que de l’asile. Il est extrêmement important dans le regard qu’il porte à la fois sur les flux migratoires mais aussi sur le contrôle exercé sur les réfugiés par les autorités publiques. Il pose les réflexions fondamentales de mon sujet, à savoir l’émergence d’une volonté liberticide chez les Etats nations de vouloir, par l’accueil, mieux maîtriser la vie des réfugiés, ou plutôt ici des « encampés». Terme désignant une population figée, soumise à un contrôle et composée d’Hommes non-citoyens. Le second séminaire s’inscrit dans le prolongement direct du premier, composé de deux parties aux thématiques très différentes mais pour autant liées. Il traite de la ques tion de l’accueil des migrants, ici à plus petite échelle. La première partie portée par Michel Agier2 se concentre sur la notion d’hospitalité, pierre angulaire de mon mémoire. Ce dernier rappelle ainsi à travers différents exemples chronologiques que le terme d’hospitalité est devenu, à l’heure où nous parlons, désuet. Un exotisme qui a été notamment mis en avant par la crise migratoire devenue symptomatique de sa destruction. Une autre partie tenue quant à elle par Marie-Françoise Lavieville3 tente d’analy ser la situation de l’accueil des réfugiés en île de France. Il s’agit ici d’un constat portant sur la réalité de l’accueil des réfugiés au sein de l’agglomération parisienne. Ter ritoire où les campements informels et les expulsions, sont nombreux avec des confrontations violentes entre migrants et policiers. Symbole une fois encore d’une ré ception peu hospitalière des déplacés. Au delà de ceci, une assez conséquente partie de mes travaux repose sur l’analyse et la retranscription de don nées statistiques. Ce sujet étant fortement ancré dans la réalité de notre époque, j’ai jugé important de me saisir de chiffres majeurs. Un important tri a eu lieu à travers des banques de données comme celles de l’INSEE, du HCR ou encore de divers organismes d’études statistiques liés à des associations humanitaires. Cette sorte de compila tion en quelque sorte, permet d’appuyer mes propos par des valeurs concrêtes dans le but de préciser au mieux mes recherches et de les accompagner. Il ne s’agira bien sûr pas de retranscrire de manière brute ces chiffres mais bien au contraire de les classifier selon leur pertinence. L’une des parties la plus importante de mon écrit consis tera ensuite à montrer et reconnecter entre eux de nom 1 : Les politiques d’heber gement et d’acceuil des réfugiés vers de nouvelles inégalités territoriales ?, Actes du séminaire ENS-IAU, 20 mai 2016, Sur les ques tions urbaines
Pour aller étudier ces espaces, ces lieux (camps, villes, campements...) nous aurons recours à un important tra vail de re-dessin des dispositifs architecturaux. Ce tra 1 : Les politiques d’heber gement et d’acceuil des réfugiés vers de nouvelles inégalités territoriales ?, Actes du séminaire ENS-IAU, 20 mai 2016, Sur les ques tions urbaines
Le premier grand cas d’étude se caractérise par exemple par celui de la jungle de Calais, plus grand camps de réfugiés ayant vu le jour sur le territoire français. Son évolution et son développement au fil des années en font un exemple parfait de camp devenant ville. Aggloméra de petits campements informels ne dépassant jamais les centaines de résidents, autogérés par les réfugiés et le tissu associatif de Calais qui sont devenus un camp officiel, gouverné par l’Etat nation. Ce dernier qui accueil lait encore en 2017 plus de 9 000 habitants1, montre les capacités que les camps ont à devenir des structures urbaines. Dans ce cas précis, la force de la jungle de Calais est observable dans sa composition et dans l’émer gence de marques de socialisation entre ses murs. Les réfugiés de Calais ont su s’accommoder du contrôle et de la surveillance du camp par les autorités pour se consti tuer des espaces urbains habitables malgré la préca rité. Outre des habitations de plus en plus «dures» et construites, se sont formés des cafés, une bibliothèque, une église ou encore une salle des fêtes. Une urbanisa tion allant à l’encontre des préjugés sur le côté forcement éphémère des camps de réfugiés, qui se dresse comme le symbole de l’impuissance du gouvernement face à une volonté de faire ville. Pour ce qui est de mon autre grand cas d’étude, j’ai étudié le Très Grand Hôtel, projet réalisé au coeur du quartier de la Chapelle à Paris. Une plus grande quantité de situa tions sera ensuite étudiée, mais de manière moins poussée et essentiellement architecturale.
029 breux cas d’études réels observés sur le territoire Fran çais, dans le but de fonder une mosaïque hétérogène de camps et campements. L’idée n’étant pas de les aborder chacun selon le même prisme mais de les observer sous des angles différents afin de m’ouvrir à un échantillon nage diversifié et aux intérêts variés. On note ici une vraie volonté de prendre connaissance du plus grand nombre possible de cas d’étude pour s’en nourrir mais également pour ici aussi, les classer par degré d’intérêt. Cette compilation de cas d’étude me permet une fois bien analysés et incorporés, d’élire ce que nous appellerons des «Grand cas d’étude». Ces derniers qui serviront, de part l’identi fication d’enjeux primordiaux, à réunir l’essentiel de mes questionnements sous une unique bannière. Ainsi nous questionnerons l’ensemble de mon corpus de situations à travers ces exemples fédérateurs.
vail méticuleux a pour but de dresser un portrait imagé de mes recherches auprès des lecteurs mais surtout de m’interroger personnellement sur mes cas d’études. Se plier à l’exercice du re-dessin est pour moi la meilleure porte pour entrer dans la dimension architecturale de mon mémoire. De fait ce temps s’appliquera dans chacune des parties de mon mémoire. Que ce soit avec un inventaire de l’espace public et de son mobilier, une compilation des morphologies d’habitat à Calais... Ce travail sera également réalisé à travers les travaux d’étudiants de l’ENSA Clermont-Ferrand qui avaient eux-même questionné la crise migratoire avec diverses opérations de recherche. Je pense par exemple à l’inventaire des formes d’accueil construites et érigées par Aubin Prost1. Un temps impor tant sera aussi porté à la création de cartographies, sou vent peu utilisée pour parler d’hospitalité. Nous quitteront ainsi le re-dessin pour réaliser des dessins originaux. La cartographie va prendre une place très importante dans l’ensemble de mon mémoire puisqu’elle n’ai au final que très peu utilisé pour parler de la crise migratoire. Je me suis de ce fait beaucoup questionné sur la manière de re présenter les spatialités évoquées par les architectes, les sociologues, moi-même et surtout les migrants. Au-delà de cartes, j’ai travaillé à faire ressortir tout le long de mon mémoire les termes relevant de spatialisation. Soucis qui c’est également traduit par la réalisation d’une carte men tale et de nombreuses définition des termes les plus utili sés et Au-delàobservés.desprojets et des cas d’études cités précédemment, j’irai étudier différents projets répondant à des thé matiques similaires à celles soulevées par la crise migra toire. Au contrario de la place Austerlitz à Strasbourg, contre exemple de l’hospitalité, je m’intéresserai à des projets plus inspirants. Parmi ceux-ci, j’irai étudier les tra vaux de l’architecte néerlandais Aldo Van Eyck, notam ment axé autour de son rejet de la surveillance. Auteur de plus de 700 aires de jeux à Amsterdam, ce dernier à développé à travers l’étude de « l’espace ludique »2 de nouveaux moyens de penser le gardiennage de ces lieux. Les conflits d’usage entre les générations, le danger que représente la voiture, et le développement des activités virtuelles (télévision, ordinateur, jeux vidéo…) ont contri bué au retrait progressif des enfants de l’espace public ou au cadrage spatial de leurs loisirs dans des aires de jeux fermées. Aldo Van Eyck, tente de contrer ces formes de surveillance excessives par l’architecture. Il propose de repenser l’enceinte comme capable d’assurer sécu rité, surveillance et intimité. Remplaçant par exemple les 1 : Prost (Aubin), Inven taire des formes d’accueils construites, EVAN, ENSACF, M1 2018-2019 2 : Nouvelles perspectives ludiques en ville : Jeux par tout et bleus pour tous, Le Moniteur, M1 21 juin 2013
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grilles par des plantations dont la dimension poétique fa vorise l’enrichissement et l’intensification des possibilités de jeu. Les limites doivent tomber, être invisibilisées ou du moins ré-inventées pour brouiller toute trace de contrôle de ces espaces Car si l’enceinte est importante et plus que nécessaire pour protéger les migrants des nombreuses formes de xénophobie, elle doit aller au delà de l’apparence de limites physiques. De ce fait, il est possible d’étudier les projets d’Aldo Van Eyck, mais aussi de David Rockwell ou encore des agences BIG et Constructo pour en adapter les mécanismes d’in-définition de l’espace luttant contre les formes de contrôles abusifs. La question de l’enceinte est un élément majeur dans ce mémoire et de fait il s’agit pour moi de le mettre en perspective dans l’ensemble de mes parties.
032 (Figure 5) La Grèce installe un mur d’acier à la frontière turque, Août 21, 2021 Nouvelles du Monde
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034 HostilitéHospitalitéEntrée, Profils ”L’a-t-on déjà remarqué ? Bien que le mot n’y soit ni fréquent ni souligné, Totalité et Infini nous lègue un immense traité de l’hos pitalité” Jacques Derrida (Adieu à Emmanuel Lévinas, 1996)
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ENTRÉE DANS L’HOSPITALITÉ .
1 : Derrida (Jacques), Foi et Savoir, Seuil, 2000, pp30-31
Bien qu’architecte, il est utile de baser mes recherches sur la définition philosophique de mes termes principaux pour mieux les ingérer au fil de mon écrit. Je vais donc m’attar der ici sur celui d’hospitalité en m’intéressant à l’écrivain et philosophe Jacques Derrida. Selon Jacques Derrida, il existe deux types d’hospitalité bien distinctes qui s’opposent entre elles, l’invitation et la visitation. Dans le cas premier, celui qui est amené à ac cueillir le fait en fonction des règles en usage chez lui, il y a une forme de sélection faite au préalable. Dans le second, l’hôte ouvre sa porte et fait feu de l’ensemble des barrières qui le protégeaient de l’étranger. Dans ce caslà, l’hospitalité est considérée comme absolue, incondi tionnelle et réellement pure. L’hôte accepte de s’exposer à ce visiteur dont les lois et les comportements sont impré visibles. De se transformer, au risque de voir son identité changée. Il accepte en quelque sorte que le visiteur dicte sa propre loi. De fait l’hospitalité dite « pure» n’est pas le fruit d’une programmation, ni une règle de conduite ou bien une notion politique et juridique, mais plutôt une question de culture. Selon Jacques Derrida, c’est bien cette hospi talité inconditionnelle qui doit être adoptée et maintenue dans le monde. Elle est un concept liée à la structure de messianité qui se caractérise par la croyance dans l’expérience humaine « nous sommes irréductiblement exposés à la venue de l’autre »1 La véritable hospitalité n’est ainsi pas un choix ni une dé cision, l’accueil ne se fait pas à partir d’un chez-soi déjà établi, mais à partir d’une acceptation de l’autre qui n’est pas acquise, mais promise. L’hospitalité se déclare. C’est une invitation de l’autre qui utilise un nouveau langage allant au-delà de la langue courante et des pensées poli tiques actuelles. Elle doit ainsi commencer par une forte idée de paix. Pour autant, selon Derrida, il n’y a rien de naturel dans l’hospitalité « pure », elle est extrêmement dif ficile à atteindre tant elle est intenable et inconditionnelle. Dans ce mouvement de subjectivation, le chez-soi ne procure ni sol stable, ni fondement, ni enracinement. Avec l’ouverture à l’étranger, c’est un événement unique, qui est chaque fois réitéré. Elle réside dans la création d’une altérité, une confrontation bien souvent « ethnique», dans laquelle l’hôte craint de devenir au fil du temps l’otage2. Le destinataire est par définition inconnu, il peut différer des attentes que l’hôte peut avoir de lui, le fait de vouloir at teindre une certaine hospitalité revient ainsi a laisser une place majeure à l’imprévu dans l’accueil. Ceci renforce
2 : Delain (Pierre), Les mots de Jacques Derrida, Guilgal, 2004-2017
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Enfin, Jacques Derrida fait un parallèle entre la notion d’hospitalité et la notion de tolérance qui prend elle aussi plusieurs sens. Au sens chrétien, la tolérance est avant tout charitable « J’accepte de supporter l’autre, bien que nous n’ayons pas la même appartenance, mais je garde le contrôle sur mon chez-moi »2. L’autre tolérance est pensée comme incontrôlable, mais pour autant incontour nable, elle se place dans un respect continu de l’altérité et de l’hétérogénéité du monde dans lequel nous nous plaçons. La notion d’hospitalité est donc très difficile à cerner, car multiple, de plus, elle ne semble prescrire aucune règle à suivre auquel il serait bon de se référer, aucun com portement à adopter. Cependant, au fil des dernières années, à force d’avoir tenté d’en percer les secrets, de nombreux concepts ont émergés peu à peu. L’un des plus marquants étant sûrement celui de « ville refuge » évoqué par Jacques Derrida dans les années 19953, de vant le Parlement international des écrivains. Ce terme de «ville refuge » est directement lié aux questions que le philosophe relevait déjà ci-dessus au sujet de l’hos 1 : David (Pascal), Autour de Jacques Derrida, De l’Hospitalité, passe du 2001,vent,p24 2 : Derrida (Jacques), Sémi naire 1995-98 Hospitalité, Volume 1», Seuil, 2020, p27 3 : Derrida (Jacques), Rapporté dans Cosmopolites de tous les pays, encore un effort!, Galilée,pp22-231997,
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inévitablement la peur d’exposition chez celui qui fait le geste d’accueillir qui peut potentiellement craindre de se retrouver en danger en ouvrant grand sa porte. D’où une importante dualité entre hospitalité et hostilité. De fait, même si les deux hospitalités citées précédemment sont bien distinctes et totalement hétérogènes, elles sont cependant fatalement indissociables l’une de l’autre. Si l’hospitalité « pure » est insoutenable, elle n’en est pas moins incontournable. Elle va bien au-delà de toutes les institutions que nous connaissons. Il est impossible de savoir à l’avance de quoi sera fait cette hospitalité. Au jourd’hui, cette dernière est toujours conditionnée, mé diatisée par un tiers que ce soit une institution, la justice, l’Etat... Elle n’est jamais « pure ». C’est pourquoi, il est, selon Derrida1 , plus qu’essentiel d’arriver à établir un lieu de discussion, de rencontre et de compromis pour penser le droit, au-delà du droit. Toute la difficulté pour at teindre cette pureté de l’hospitalité résidant au final dans le fait qu’elle ne peut exister sans rapport au tiers, là où le tiers peut à certains moments se révéler dangereux, menaçant. L’hospitalité est donc intrinsèquement liée à la notion d’hostilité même si cette dernière doit rester contrôlée et minime. Il s’agit surtout de remplacer selon les termes du philosophe, l’insuppléable ce qui signifie l’ir remplaçable.
terme de ville-refuge ne remonte pas à Jacques Derrida, mais à bien avant, puisqu’elle était déjà bien présente dans la Bible ou encore chez de nom breux théoriciens grecs et romains comme Cicéron. Elle fût notamment utilisée par l’Eglise durant l’époque médié vale pour établir des espaces de « sauvetés » (appelé hospice) mis à disposition des plus persécutés. Les Lu mières en hériteront à la fin du 18e siècle avec nommé ment Kant, qui publiera à ce sujet Article définitif en vue de la paix perpétuelle2 à une époque où la France et la Prusse signent les accords de paix de Bâle de 1795. « Si nous nous référons à la ville, plutôt qu’à l’État, c’est que nous espérons, d’une nouvelle figure de la ville, ce que nous renonçons presque à attendre de l’État. »3 C’est ainsi que Jacques Derrida rappelait le principe au fonde ment de la lutte pour la création des « villes-refuges » de vant le congrès du Parlement des écrivains à Strasbourg en 1995. Pour lui, la ville-refuge ne peut aucunement exister sans se distinguer de la souveraineté de l’Etat nation, c’est pourquoi il rapproche cette notion à celle de ville franche. Pour lui, l’hospitalité est une Loi, un droit inconditionnel offert à quiconque. Un principe irréductible auquel il faut répondre dans l’urgence, face à la violence et à la persécution. Cette urgence fait que l’accueil ne peut se faire que de manière inconditionnelle, non anticipée, ni contrôlée. C’est pourquoi les villes devraient disposer de leur propre pouvoir décisionnaire pour contourner l’Etat qui assassine trop souvent l’hospitalité en cherchant à l’encadrer. À partir de là, il est donc impossible d’imaginer l’émergence de « villes-refuges » sans que celles-ci ne puissent se distinguer et se détacher de l’Etat pour ap pliquer ses propres règles en terme d’accueil. Les prin cipes sur lesquels reposent les « villes-refuges » ne sont pas sans faire écho au messianisme, un thème richement abordé par Jacques Derrida.
1 : Derrida (Jacques), Sémi naire 1995-98 Hospitalité, Volume 1», Seuil, 2020, p27
3 : Derrida (Jacques), Rapporté dans Cosmopolites de tous les pays, encore un effort!, Galilée, 1997, pp22-23
038 pitalité. « Une Ville, peut-elle se distinguer d’un Etat, prendre de sa propre initiative un statut original qui, au moins sur ce point précis, l’autoriserait à échapper aux règles usuelles de la souveraineté nationale ?»1 « Peutelle contribuer à une véritable innovation dans l’histoire du droit d’asile, une nouvelle ville cosmopolite, un devoir d’hospitalité revisité ? »1. Ces questionnements s’ins crivent dans une époque marquée par des violences et des négligences faites envers les réfugiés, les exilés ou encore les L’apparitionapatrides.mêmedu
2 : Kant (Emmanuel), Vers la paix perpétuelle, 1795
039 Le « messianisme », c’est le fait de laisser venir l’autre, cela revient à s’exposer à la surprise absolue de sa déci sion, sans rien en attendre en retour. De fait, elle ne peut pas découler d’une quelconque anticipation ou préfigu ration par rapport à la venue de l’autre. Ainsi, tout acte messianique est un événement singulier qui vient déstabiliser l’ordre ordinaire des choses auquel nous faisons face. Il revient donc à s’ouvrir en étant passif car dans l’incapacité de décider, s’exposant au meilleur comme au pire. L’hospitalité, comme l’a construit Jacques Derrida, est donc une action messianique1. Elle ne peut être, que si elle accepte de s’ouvrir à toute contamination dans sa Jacquesvulnérabilité.Derrida, s’est beaucoup inspiré et appuyé sur les travaux du philosophe Emmanuel Levinas à qui il consa crera d’ailleurs un ouvrage entier intitulé Adieu à Emmanuel Levinas2, publié en 1995. Si leurs deux pensées au tour de la notion d’hospitalité se croisent sur de nombreux points, il est tout de même intéressant d’aller en étudier la définition. Lévinas relie différents mots autour de la no tion d’hospitalité: accueil, visage, parole, intentionnalité, formant une chaîne d’équivalence non pas ontologique, mais au contraire métaphysique. Se caractérisant par l’ex périence de l’altérité de l’autre. Selon lui, il ne peut y avoir hospitalité, sans considération de l’autre séparé (qui nous est étranger). Comme pour Derrida, Levinas met en place un traité de l’éthique, séparant l’hospitalité et l’ordre po litique. L’hospitalité chez Lévinas n’est pas une question de droit, mais « l’éthicité même, le tout et le principe de l’éthique »2. Elle est déclenchée par une individualité et non une institution, elle nécessite un rapport direct entre les différents partis. Éthique, car elle se fait sans program mation, sans but précis autre que celui d’accueillir et de s’ouvrir à une deuxième personne. Dans Adieu à Emmanuel Levinas, Derrida se demande comment penser ensemble éthique et politique. Pour cela, il va s’appuyer sur plusieurs pensées mises en place par son compère Emmanuel Lévinas : Le paradoxe même de l’hospitalité qui réside dans le fait qu’elle implique une res ponsabilité infinie et inconditionnelle envers celui qui nous est étranger mais aussi l’intervention d’un tiers (souvent une institution politique) qui va trahir l’hospitalité en vou lant la contrôler et en tirer profit. Il s’appuie aussi sur une éthicité qui ne serait pas qu’éthique, mais aussi un rapport à l’autre marqué par l’hétérogénéité, la dissymétrie.
1 : Derrida (Jacques), Foi et Savoir, Seuil, 2000, pp30-31
2 : Derrida (Jacques), Adieu à Emmanuel Lévinas, Galilée,1995
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1 : Le Blanc (Guillaume), Brugère (Fabienne), La fin de l’Hospitalité, Flammarion,2017 (Figure 6), Réseau Solidarité Migrant-es Chablais,ChablaisLAC ENTRÉE DANS L’HOSTILITÉ .
L’étranger, qui « pouvait tenir sa place par le fait qu’il venait d’un autre monde, assurant une sorte de passage entre l’ici et l’ailleurs a été dépouillé de toute sacralité. Il n’est plus celui à qui on doit l’hospitalité du fait qu’il est étranger »1. C’est selon ces mots que Guillaume Le blanc et Fabienne Brugère dépeignent le portait actuel de l’hospitalité en Europe. Il convient bien-sûr que cette dernière semble toujours connaitre quelques rares sur sauts de vigueur inspirés par des associations bénévoles, comme ce fut le cas à Calais, à Grande-Synthe ou encore à Vintimille. Cependant il semblerait que cet élan né « de la certitude sensible que n’importe quelle vie équivaut à n’importe quelle autre vie »1 tend à s’essouffler. De plus en plus notre société, notamment car elle s’est auto-per suadée que l’hospitalité relevait de la force politique et non collective, dévie de l’héritage de Derrida et de Kant.
2 : Arendt (Hanna), Nous autres réfugiés, Seuil, 2013 3 : Sandrine Warsztacki, L’hospitalité réinventée, 42019:Le Blanc (Guillaume), Brugère (Fabienne), La fin de l’Hospitalité, Flammarion, 2017
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Lui-même qui nous avait civilisé sur cette notion, distin guant le droit à l’hospitalité et l’accueil durable, le définis sant comme universel à chaque individu menacé. Mais alors pourquoi nous éloignons nous de plus en plus de cette vision ? De nos jours l’Europe paraît, du moins dans sa gouver nance en matière d’immigration, se barricader face à ces étrangers, hommes, femmes et enfants qu’ils qualifient froidement de migrants. « La Méditerranée est le berceau de l’Europe, elle est devenue aujourd’hui le théâtre de son plus grand échec »1, déplorait le journaliste Wolfgang Bauer au sujet du traitement réservé aux immigrés arrivés à nos frontières. Accompagnée peu à peu de l’établisse ment sur le vieux continent d’une indifférence à l’égard de leurs histoires, de leurs souffrances ou encore de leurs rêves, cette impassibilité égoïste se retrouve notamment dans certains textes de la philosophe et écrivaine Hannah Arendt. Soit, à travers des termes ou des faits différents mais en réalité comparables, visant à pointer du doigt un renversement de l’hospitalité vers son direct opposé, l’hostilité. Sorte de mépris à l’encontre d’une population « animalisée »2 passée sous silence ou dissimulée dans des camps comme réduite au simple état primaire bes tial. Ainsi après avoir défini les principes de l’hospitalité, il s’agit de s’attaquer à ceux qui construisent l’hostilité pour comprendre le climat dans lequel ce mémoire œuvre. 1979 : Sur la mer de Chine, 120.000 Vietnamiens, Cambodgiens, Laotiens fuient les dictatures communistes. Pour accueillir les boat-people, la France affrète des na vires équipés comme de véritables hôpitaux flottants.3 2019. En Méditerranée, les bateaux des ONG qui se courent les migrants en danger sont refoulés aux portes de Malte et de l’Italie, leurs capitaines poursuivis par les Enautorités.3l’espace de 40 ans, nous avons doucement renié le sens d’un mot apparu dans le dictionnaire en 1206, à savoir celui d’hospitalité. « Les civilisations anciennes s’accordaient sur un point, faire de l’étranger un hôte. Nous sommes en train de faire l’inverse, de transfor mer l’hôte en étranger »4. Si comme le dénonçait si bien Michel Agier, le renforcement de la crise migratoire ces 20 dernières années a été le cadre parfait pour illustrer ses propos, elle n’en est pas la seule. C’est un cadre plus général d’obscurantisme et de repli identitaire qui, à notre époque, aspire au remplacement définitif de l’hospitalité
1 : Allocution, alors en route pour l’Italie dans un navire de migrant, Wolfgang Bauer
L’hostilité entraine inévitablement le mépris et par in cidence le sentiment pour les personnes visées d’être rejetées, forme de destitution ordinaire sujette à l’invisi bilité. Le sentiment d’inutilité et de honte qui résulte de l’expression de cette hostilité envers soi confère à celui qui l’endure l’impression d’être relégué socialement dans une périphérie sociale productrice de solitude par la mise à l’écart. Il entraîne une forme de relégation voir d’invisibilité au sein de la société nous entourant. Cette forme d’hostilité sociale se lit comme une volonté de disqualifier sa victime jusqu’à nier ses compétences sociales. C’est de cette manière que naissent, dans les zones d’ombre de notre structure sociale, parias et « rebuts ». Ici, sa conséquence directe est donc le mépris social, s’annon çant comme un déni de reconnaissance de l’autre pour ce qu’il est. Remplaçant les marques normatives de recon naissance, à savoir l’amour, le droit, la solidarité par des régimes d’activités diamétralement opposés, la violence, l’exclusion et l’humiliation. Ce processus provenant d’une volonté directe, voir même désinvolte, de faire perdre à quelqu’un son sentiment d’humanité en l’invisibilisant, le repoussant ou en niant son importance. Mécanisme si milaire à celui évoqué par Hannah Arendt précédemment sur Motivéel’animalisation2parde nombreuses raisons, l’hostilité peut prendre diverses formes et être portée auprès d’une seule personne mais aussi d’une communauté/d’un groupe en tier d’individus. L’une de ses formes est la xénophobie qui est une hostilité à ce qui est étranger. Principalement motivée par la peur de l’inconnu et influencée par des croyances populaires, cette dernière choisit ses victimes selon la nationalité, l’origine géographique, l’ethnie, la race présumée, la culture ou la religion. Discriminatoire, la xénophobie est considérée comme une violation des droits de l’Homme et de l’Humanité.
043 par l’hostilité. L’hostilité peut s’exprimer de différentes ma nières, elle est un sentiment humain d’inimité envers une personne, une attitude d’opposition. De manière plus vio lente, le terme d’hostilité est également utilisé pour parler de manœuvres ou de conflits militaires. Il s’agira ici de questionner la première définition donnée en nous intéressant à l’impossibilité de faire œuvre, c’est-à-dire d’agir avec les autres et d’appartenir ainsi à une vie plus vaste. Pour ce faire, nous étudierons les recherches du philosophe Georges Canguilhem1 au sujet de l’hostilité et de ses conséquences sur les individus concernés.
1 : Canguilhem (Georges), Le normal et le pathologique2013, 2 : Arendt (Hanna), Nous autres réfugiés, Seuil, 2013
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Photo/Michelled’extrême-droiteManifestationàCalais,7septembre2014,APSpingler
L’hostilité envers l’étranger passe donc par la manifes tation de mouvements nationalistes, de volonté de déni grement et de rejet, de destruction culturelle ou encore agression verbale. Le tout dans le but de «protéger» son propre groupe social, appelé «endogroupe», de l’inconnu.
1 : Fassin (Didier), Morice (Alain), Quiminal (Cathe rine), Les lois de l’inhos pitalité : Les politiques de l’immigration à l’épreuve des sans-papiers, La Découverte, septembre 1997 (Figure 7),
L’Europe mais égalemnt la France, est bel et bien deve nue une terre d’accueil hostile répondant entre-autre aux lois de l’inhospitalité selon les termes Didier Fassin, Alain Morice et Catherine Quiminal.1 D’abord un pays devient inhospitalier quand il fragilise le statut d’étranger, sépare des familles, ne procure aucune véritable aide envers les jeunes ou encore maintient volontaire des situations de sans-papier. Enfin son hostilité se perçoit dans la vision économique qu’il a de la crise migratoire notamment au niveau du droit de travail, les étrangers étant forcés à tra vailler de manière illégale. Moindre coup pour l’Etat qui n’a pas de couverture sociale à octroyer, moindre coup également pour l’entreprise avec de la manœuvre sans contrat, à bas prix. Avec le mouvement des sans-papiers, avec la loi Debré sur l’immigration vivement critiquée par l’opinion popu laire, avec les premières décisions du gouvernement de Lionel Jospin, la question de l’hospitalité est devenue un enjeu majeur de la vie publique française. Les mobilisa tions collectives ont révélé les incohérences d’un dispositif législatif et administratif qui non seulement avait peu d’ef fet sur l’immigration clandestine, mais produisait lui-même l’irrégularité qu’il était censé réprimer. Depuis plus de 20 ans désormais le statut d’étranger et de réfugié ainsi que les conditions de l’immigration n’ont cessés de devenir plus restrictives : Limitation du droit d’asile, entrave au regroupement familial, précarisation dans le monde du travail, tolérance ou silence à l’égard des actes racistes... La société devient ainsi de plus en plus hostile à l’égard des étrangers, d’où les difficultés actuelles pour les ar chitectes, urbanistes à produire des architectures hospita lières. L’enjeu sera donc de rendre compte du rôle qu’ils peuvent jouer dans cette reconquête.
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Avant de nous plonger au cœur de notre sujet d’étude et après en avoir défini les deux termes antinomiques, il est désormais temps d’établir une constellation de profils. L’idée de cette étape est de réaliser en préambule à mes 2 parties, en proposant une synthèse des différents indi vidus qui seront étudiés au travers de ces dernières. Non pas tous les acteurs auxquels nous ferons appel tout au long de ce mémoire bien sûr, mais plutôt ceux que nous appelons « migrants ». Cet annuaire, s’il peut être appelé ainsi, intervient présentement car il servira à mieux appré hender les profils qui composeront les deux fractions de cet énoncé théorique. En plus d’une simple compilation de profils, les subséquentes pages convoqueront des don nées sociologiques et anthropologiques ainsi que des té moignages. Ceci dans l’idée d’apporter le plus d’éléments possible sur la table, qu’ils soient scientifiques ou beau coup plus concrets. Les populations migratoires se distinguent du reste de la population « ordinaire » par des profils sociologiques bien précis qui permettent de les caractériser en tant que réfugiés ou simples migrants. Deux statuts qui comme évo qués précédemment ici sont totalement différentes de par les chances qu’ils octroient ou non aux personnes concer nées. Il s’agira alors de s’intéresser plus particulièrement au cas des réfugiés, même si néanmoins diverses res semblances existent. Certains facteurs peuvent même, au sein de ces profils créer des distinctions, des écarts de chances : le sexe, l’âge, les qualifications, les origines... Ces facteurs agissent en amont de l’accueil et de l’accep tation des migrants aux noyaux de notre société. Parfois même, et c’est le cas finalement assez souvent, ces pa ramètres ont un impact important sur la balance de l’hos pitalité/hostilité. Un phénomène qu’il est assez facile de dépeindre au regard des différentes vagues migratoires que la France a connu ces dernières années. Certaines communautés s’étant assimilées plus ou moins facilement comme les communautés polonaises au sortir de la 1ere guerre mondiale en 1920. C’est à cette date que plus de 700 000 migrants seront accueillis les bras ouverts sur notre territoire. Le même accueil sera déployé pour les communautés portugaises qui au fil des âges ont vu l’émergence d’une véritable diaspora en France. En 2015, c’était ainsi à hauteur de 2 650 000 que l’on estimait le nombre de français d’origine portugaise. Aujourd’hui les migrants sont de moins en moins acceptés et cela sure ment en raison des facteurs évoqués précédemment. La vague migratoire polonaise par exemple était princi
ENTRÉE DANS LES PROFILS .
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1 : L’ensemble des données et graphiques sont un condensé et un retravail des documents fournis par l’INSEE (Institut National de la Statistique et des Études Économiques)
047 palement composée d’hommes, entre 20 et 40 ans, plus ou moins qualifiés pour la reconstruction de la France. A l’heure où nous parlons, les profils sont plus variés et ne répondent pas à une volonté de la part de la France d’ac cueillir de la main d’œuvre. Elle ouvre grand les bras pour son propre bien mais claque sèchement les portes de ses frontières à ceux qui en ont le plus besoin, les réfugiés. Nous pouvons nous demander quels sont les profils et les critères qui les construisent qui permettent à la France de décider ou non de leurs accorder humanité ?
41% 31.9% 16.2% 10.9% ¦ Immigrés arrivés en France en 2019 selon leur continent de naissance Afrique Amérique, océanieAsieEurope ¸ graphique construit à partir d’une étude de L’INSEE
¦ L’ORIGINE : Dans un premier temps, il faut s’intéresser à une donnée dont nous avons déjà parlé précédemment au sujet de l’hostilité et de l’avancée ces dernières années des mouvements identitaires. Ce facteur semble en effet être très im portant dans l’accueil des réfugiés puisqu’au sein de l’Eu rope, on remarque de gros écarts au niveau des chances d’obtenir un emploi pour les réfugiés par rapport aux natifs selon leurs origines géographiques1. A titre d’exemple, un réfugié provenant d’un pays européen voisin dispose de -0.07% de chance tandis qu’un réfugié d’Afrique du Sud ou d’Asie fera lui face à des chances de -0.23% environ. Cette étude met d’ailleurs en avant qu’il ne fait pas bon de fuir l’Afrique du Nord, dont les chances d’emploi par rapport aux natifs tombent à -0.33%. Un chiffre d’autant plus important qu’il faut savoir qu’en France notamment, le nombre de réfugiés en provenance de cette région du monde s’élève à 111 700 personnes en 2020 (part la plus importante). Tandis que les réfugiés européens, sujets à des écarts bien plus faibles sont un tiers moins nombreux. L’origine géographique compte bien donc, et malheureu sement elle ne fait qu’ajouter de nouvelles faiblesses à notre hostilité.
L’AGE : Un autre facteur important dans l’accueil des migrants et la compréhension de ces profils provient de l’âge des indi vidus étudiés. Une nouvelle fois, les réfugiés ne sont pas assimilés de la même manière en fonction de cette valeur. De fait on remarque que les immigrés âgés entre 25 et 54 ans sont les plus nombreux et cela pour des raisons souvent économiques ou liées à l’emploi. Cette tranche d’âge est la plus recherchée sur le marché du travail, les reconversions sont plus faciles et la jeunesse ou l’expé rience de ces réfugiés facilite leur insertion et la valorisa tion de leurs capacités. De même pour les personnes de plus de 55 ans qui, de la même manière sont en capacité dès leur arrivée à entrer sur le marché du travail français. Les tranches d’âges les moins représentées sont quand à elle les plus jeunes, les réfugiés ayant moins de 24 ans représentant seulement 14% de la part totale. Un chiffre assez bas mais tout de même important qui s’explique notamment par les difficultés liées aux risques encou rus lors de ces vagues de migrations. En parallèle, c’est également les réfugiés présents au sein de cet intervalle d’âge qui sont les plus à même d’être aidés. Les jeunes réfugiés étant sujet à de nombreux soutiens, avec la mise en place d’enseignements gratuits ou subventionnés, de placements en centre spécialisé ou en famille d’accueil. De plus il est plus compliqué pour eux de retourner dans leur pays d’origine, ce sont les + de 55 ans qui font le 34.2% 51.6% 8% 6% ¦ Population immigrée en 2020 selon l’âge + de 55 ans - de 15 ans16 à 24 ans25 à 54 ans ¸ graphique construit à partir d’une étude de L’INSEE
¦
Histoire de décortiquer encore un peu plus ces données, il faut savoir que les 3 pays principaux desquels sont issus ces vagues de migration sont autant de pays situés dans l’hémisphère nord du continent africain. Ils représentent d’ailleurs 21% de ces flux à eux seuls. Il s’agit du Maroc (9.5%), de l’Algérie (7%) et de la Tunisie (4.5%). Entre 2006 et 2019, le nombre d’immigrés arrivés en France est passé de 193 400 à 272 400.
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¦ Population étrangère en 2020 selon le sexe moins de 62% des immigrés ayant décider de quitter leur pays d’origine ¦ LA STRUCTURE FAMILIALE
049 chemin inverse désireux de retrouver leur pays d’origine, de se rapprocher de leurs familles. ¦ LE SEXE : Le sexe des réfugiés est également une donnée à prendre en considération mais à étudier sur la durée. En effet, on remarque ces dernières années que le rapport s’est équi libré jusqu’à pencher en faveur des femmes. Si cela est le cas depuis 2018 avec des chiffres quasiment similaires, cette variable n’a pas toujours versé en ce sens. En 2011 déjà, les hommes étaient plus nombreux chez les réfugiés avec 50.6 %. En 1998, ces derniers représentaient pas 51.5% 48.5%
¦ Population immigrée en 2020 selon le sexe Femmes Hommes ¸ graphique construit à partir d’une étude de L’INSEE 50% 50%
La communauté internationale a reconnu dans un cer tain nombre de déclarations que la famille est l’élément fondamental de la société1. Il en résulte donc un droit à l’unité familiale qui, à son tour, impose certaines obliga tions aux autorités nationales. Or, il est très rare que des familles entières se retrouvent à migrer en même temps. De nombreux pays en Europe ne reconnaissent pas le droit à l’unité de la famille sous prétexte que la sépara tion familiale est souvent auto-infligée. Malgré le fait avéré que de nombreux nouveaux venus ne peuvent tout sim plement pas rentrer dans leur pays d’origine, et ce, pour des raisons identiques à celles qui les ont contraints à fuir. Il en est ainsi, non seulement pour ceux qui bénéficient de l’asile, mais aussi pour ceux qui cherchent à obtenir ce
¦ LE NIVEAU D’ÉTUDE et LA PROFESSION : Un autre facteur dans l’accueil des réfugiés est le niveau d’étude et la profession de ces derniers. Il est très diffi cile et donc très rare que des jeunes immigrés arrivent à intégrer des établissements liés à l’enseignement. Un grand nombre d’entre eux se retrouvent donc rapidement en déscolarisation, ne facilitant pas leur intégration. Heu reusement des associations proposent des systèmes de familles d’accueil et de parrainages pour réintroduire les jeunes réfugiés dans le système scolaire des pays d’accueil. De la même manière, l’emploi, comme le fait d’étu dier, est devenu ces dernières années, une condition pour les réfugiés s’il veulent obtenir le droit d’asile. Il arrive que certains d’entre eux soient renvoyés dans leurs pays en cas de situation de chômage ou de nouvelle déscolari sation. Cependant, trouver un emploi en France pour un réfugié reste très compliqué car à niveaux d’études iden tiques, il est demandé aux employeurs de favoriser des embauches de « locaux ». Souvent les réfugiés doivent ainsi faire face à des reconversions ou des dévalorisa tions professionnelles. En effet, parmi les réfugiés il est
050 statut et pour bon nombre de ceux qui bénéficient d’une protection temporaire ou subsidiaire. De plus, au delà de cette incapacité pour les réfugiés à pouvoir à nouveau fouler leur terre d’origine s’ajoute les difficultés liées à la dangerosité des routes migratoires. Se séparer de sa fa mille n’est jamais un choix pour la plus-part des réfugiés.
Dans de nombreux cas tous les composants d’une famille n’arrivent pas à échapper aux risques qu’ils encourent chez eux. De nombreux parents se retrouvent obligés de quitter leur pays d’origine sans leurs enfants pour établir, une fois dans le pays d’accueil, une situation stable de manière à pouvoir prétendre à un regroupement familial. Cela car les enfants risquent de ne pas survivre lors de ce genre de périples qui n’offrent aucun véritable encadre ment et dont les parents redoutent les conditions. Aujourd’hui, les familles des réfugiés restent extrêmement éclatées à travers le monde, déchirées entre l’appel de leur pays d’origine et celui des terres d’accueil. Pour autant les témoins des souffrances endurées par les fa milles séparées savent que c’est une erreur de refuser le droit à l’unité de la famille, aussi bien pour les réfugiés, que pour les membres de la famille restés dans le pays d’origine ou le pays hôte. Faciliter le regroupement contribue à garantir le bien être physique, la protection, l’équilibre affectif et souvent aussi l’autosuffisance écono mique des communautés de réfugiés.
051 possible de croiser une énorme diversité de profils et d’emplois allant de l’ingénieur à l’agriculteur. Actuelle ment, selon les données communiquées par l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, le secteur qui emploierait le plus de réfugiés serait celui de l’hôtellerie-restauration avec pas moins de 180 000 postes à pourvoir. C’est notamment l’histoire qu’a connu Majda Al-Ibrahim, réfugiée syrienne, qui après avoir été ingénieure à du se reconver tir pour s’adapter à la restauration1.
1 : Alboz (Dana) et Louarn (Anne-Diandra), Des ingé nieurs devenus restaurateurs : la reconversion réussie d’une famille de réfugiés syriens à Marseille, Info Migrant, 2019
SORTIE AVEC LES PROFILS .
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Il est dorénavant temps de clore cette immersion dans les vestibules de mon mémoire afin de glisser plus profondé ment dans son développement. Cependant, avant cela je souhaite donner la parole aux principaux intéressés pour leur permettre de vous raconter leurs histoires. Les réfu giés ont fui leurs pays d’origine déchirés, laissant der rière eux des êtres chers, leurs rêves d’enfants et leurs racines, dépossédés de leur image. C’est pourquoi je juge important de les écouter. A travers les quelques témoi gnages1 qui vont suivre, j’ai espoir à permettre de mieux comprendre l’étendue de ce qu’ils ont enduré, leurs épo pées tragiques ou grisantes ainsi que leurs peurs et leurs forces. Dans cette partie, nous nous intéresserons plus particulièrement à leur vie d’avant celle de réfugié, leur trajectoire sur le sol français et notamment à Calais qui fera le cas d’une étude plus précise dans le « Dedans». Je fais le choix ici de laisser les témoignages bruts pour ne pas altérer leurs histoires ou bien déformer leurs visions des événements. ¦ Ali Bajdar, du Pakistan (p37) i Mon père et mon frère travaillaient dans une grande ville loin du village. Ils approvisionnaient les familles et devaient y aller pour gagner de l’argent et qu’on ait à manger. Pen dant la guerre ils ne pouvaient parfois pas revenir au village On les voyait peut être une fois par mois. On entendait parler de la guerre à la radio, que Daesh tuait, que des personnes âgées et des jeunes femmes étaient capturées et tuées. On le voit même sur Facebook. Quand on entend et qu’on voit ces choses, quand ont sait de quoi ils sont capables, on sait ce qu’il faut faire quand Daesh arrive : courir. Un matin à 7 heures, on entend des tirs dans le village et les gens hurlaient: « Daesh arrive! ». J’ai couru à ma maison pour protéger ma mère. Elle n’était pas à la maison, je n’ai pas pu la trouver. La seule chose qu’on pouvait faire était de courir, donc c’est ce qu’on à fait, et j’ai du partir sans elle. On ne pouvait rien prendre avec nous, on n’avait pas le temps.j
1 : Les voix de la Jungle : Histoire de réfugiés au camp de Calais, La Guillotine, avec La Cimade et Help Refugees, 18 juin 2020 (Figure 8), Profils, Télérama/ Fabrice Spica, p 54-55
¦ Africa, du Soudan (p54-57) i Un agent du gouvernement est venu dans mon magasin. C’était en mars. Il m’a demandé : « où est votre décla ration d’impôt? » Je lui ai montré. « Bien, vous devez payer vos impôts». « Pourquoi? ». « Pour l’année prochaine ». J’avais
053 payé mes impôts trois ou quatre semaine plus tôt. Pourquoi devrais-je payer pour l’année prochaine? Je ne savais même pas si je serais encore en vie à ce moment-là. Le lendemain on frappait à ma porte. J’y suis allé pour recevoir peut être un ami, quelques chose comme ça. Quand j’ai ouvert, on m’a im médiatement couvert le visage. Quatre ou cinq personne mon mis dans un pick-up et on à roulé pendant peut être 15 mi nutes. Puis il m’ont jeté une pièce de trois mètres sur quatre. On ne voyait rien. On entendait seulement des cris. Ils ont commencé à me demander si je soutenais un autre parti (celui de l’opposition). Ils m’ont dit que je collectais de l’argent pour ces gens afin qu’ils puissent acheter des armes. Je n’ai pas fait ça. Au bout d’un moment, ce qu’ils disent devient réel. Ils ont prit leur revanche sur moi. Par la force. Ils ont commis beau coup de chose horrible. Au bout de deux semaines, mon oncle a parlé à un officier et lui à demander comment me faire sortir.
Il a fallu qu’il paie : il l’a fait. Voilà, j’ai vu une personne à une table et j’ai dit oui, j’ai signé. Quand je suis sorti, je lui ai demandé à quoi j’avais dit oui. « Tu as signé et tu as dit oui, tu soutiens le parti de l’opposition. QUe tu n’est pas autorisé à sortir de ce pays et aussi que tu ne peux pas aller voir un médecin, jamais. ».j ¦ Babak Inaloo, d’Iran (p26-27) i Dans l’un de mes souvenirs d’enfance, je cours de toutes mes forces. Au coeur de mes journées colorées, je m’arrête sur le chemin de fois. Mon enfance : j’attends mes amis, pour jouer ensemble. Qu’elle était douce l’enfance, quand le seul soucis était de savoir si on allait trouver un copain avec qui jouer! Quand le seul souci, problème était de ne pas rentrer avec des vêtements sales! Quand la seule inquiétude était que la pluie ne contrarie pas nos jeux! J’ai vieilli trop vite. Mes pensées sont devenues trop vastes. Je ne suis pas le seul à avoir grandi : mon entourage a vieilli avec moi. Mes parents ont vieilli encore et encore. Mon frère est un homme maintenant. Mes problèmes ont grandi eux aussi. Mes craintes également, mes ennuies. Désormais je pense au lieu de jouer. Je réfléchi à comment vivre, à comment être heureux. Comment tracer mon chemin vers le bonheur? Plus je le cherche, plus il m’échappe. J’ai compris que le bonheur n’était pas quelques part. Le bonheur n’est pas ce que nous pouvons trouver et réussir. Le bonheur se sont mes pensées! Je dois le créer. J’ai compris que la vie est un tableau, et que j’en suis l’artiste. Je peux être l’artiste de ma propre vie. Je suis celui qui construit sa vie ; le bonheur est un état d’âme. Je pourrais sans doute bénéficier des meilleurs conditions de vie qui soient tout en étant malheureux, et être heureux dans les pires conditions.j
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056 ¦ Teddy, d’Érythrée (p65) i Je travaillais au Soudan du Sud en tant qu’infirmier pour Médecin Sans Frontières. Où que vous alliez, vous ver rez la diaspora érythréenne : Soudan du Sud, Soudan du Nord, Ouganda et même Kenya, mais aussi Europe et Amé rique du Nord. Je déteste la politique. Des choses affreuses ar rivent à notre famille et à nos amis à cause de la politique. En Afrique, nous connaissons un peu partout le même problème de dictature, de corruption et d’absence de droits de l’Homme. Nous soutenons les partis démocratiques de l’opposition mais ils ne peuvent pas tenir de réunions. Quand on est libre, on peut discuter avec ses amis ou utiliser les réseaux sociaux. En Erythrée, on a peur de discuter politique, même sur Facebook.j ¦ Safia, d’Afghanistan (p39) i Ma vie en Afghanistan se passait bien, j’étais infirmière et mon mari était médecin. Il travaillait avec des ONG à Jalala bad. Je travaillait dans des hôpitaux, et j’avais la belle vie parce que je disposais de tout. J’avais tout ce qu’il fallait, et puis les problèmes ont commencé. Nous menions une vie agréable mais il y a les talibans. Ils tuent certaines personnes. Ils n’ai ment pas les gens instruits, comme les médecins ou les ingé nieurs. Si vous travaillez avec des ONG ou avec l’armée, les talibans vous prennent pour cible. Ils punissent tous ceux qui travaillaient avec eux parce qu’ils ne sont pas musulmans. Ainsi les talibans considéreront que vous n’êtes pas un bon musulman. Or, nous sommes musulmans. Mais si vous tra vailler avec une ONG ils vont penser que vous n’êtes pas mu sulman, surtout si vous travaillez avec une ONG américaine. C’est pour cela que c’est devenu épouvantable, et que nous avons décidé de partir d’Afghanistan .... C’est mon pays. C’est un très beau pays, pourtant je ne peux pas y retourner. Mon pays serait bien sans les talibans. Le danger est omniprésent, de jours comme de nuit. Et pour les femmes instruites, c’est vraiment difficile. Pour les femmes sans éducation ou qui restent au foyer, ça va, pas de problème.j
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«Tandis que l’isolement intéresse uniquement le domaine politique de la vie, la désolation intéresse la vie humaine dans son tout. Le régime totalitaire comme toutes les tyrannies ne pourrait pas exister sans détruire le domaine public de la vie, c’est-à-dire sans détruire, en isolant les hommes, leurs capacités politiques. Mais la domination totalitaire est un nouveau type de régime en cela qu’elle ne se contente pas de cet isolement et détruit égale ment la vie privée. Elle se fonde sur la désolation, sur l’expérience d’absolue non-appartenance au monde, qui est l’une des ex périences les plus radicales et les plus désespérées de Hannahl’homme»Arendt (Le Système totalitaire, Paris, Seuil, 1972, p. 226)
Le Dedans,
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060 SEUIL
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Pour bien comprendre le dehors, il est nécessaire de com mencer par regarder le dedans. Car si l’errance des réfu giés est essentiellement le fruit d’un voyage extra-muros, libre de toutes frontières, elle est inévitablement liée au dedans. Une intériorité qui n’est toute fois qu’une part du dehors comme un simple «pli» selon les écrits de Gilles Deleuze, « comme si le navire était un plissement de la mer »1. Pour bien cerner les tensions qui résident entre ses deux notions à la fois antonymes et indissociables, nous allons nous intéresser à leurs définitions données par le romancier Alain Damasio dans son livre Le dehors de toute chose2. Pour ce dernier, la zone du dedans se rapporte à la fi gure soi-disant utopique du Cerclon, un lieu gouverné par un système administratif parfait et autarcique dont le fonctionnement aurait pour valeur d’être un modèle. Pe tit monde urbain, protégé du reste de l’univers par une enceinte close symbolisant la sauvegarde de l’humanité. Cette cité reprend une organisation millimétrée, chaque individu-résident faisant comme parti du mécanisme bien huilé d’une horloge reprenant la géométrie d’un cercle ac compli. Cette géométrie du Cerclon n’est cependant pas uniquement présente en plan mais aussi d’un point de vue social. La colonie se découpe en plusieurs cercles entre lacés les uns dans les autres, avec au cœur de tous, la place du cube symbolisant le pouvoir. Le centre de tout étant le foyer du gouverneur appelé « bienfaiteur » mais aussi un lieu de justice ou ce dernier ce charge d’exécuter les « fautifs » qui rêvent de franchir les portes du Cerclon. Rapidement, cette urbanité utopique se transforme par la main de son auteur et créateur en un véritable modèle panoptique3 (Figure 9). Sa formation en cercle ainsi que la présence dans chacun d’entre eux de tour de garde et d’immeubles dont les façades sont entièrement faites de verre rappelle peu à peu une architecture carcérale. Ses constituants tendant vers la visibilité de chacun et le contrôle de tous par tous. Comme le disait Jeremy Ben tham4, cette architecture « combine deux caractéristiques fondamentales : la capacité d’un surveillant à voir chaque surveillé – la transparence des sujets – et l’impos sibilité des surveillés à voir le surveillant. »5. Prompte ment Damasio nous dépeint alors non plus l’image d’une ville parfaite, colonie salvatrice mais tout au contraire d’un lieu hostile, rempli de méfiance. Le dedans de Damasio se constitue ainsi par une organisation citadine totalitaire, les individus étant privés de réel chez-soi, la frontière du public l’emportant sur celle du privé jusqu’à disparaitre pour ne former qu’un espace continu Par tous ses aspects, le Cerclon se rapproche de la fi gure du camps, enclos gouverné par un désir de domina 1 : Deleuze (Gilles), Le Pli, Leibniz et le Baroque, 1988 2 : Damasio (Alain), Le dehors de toute chose, La Volte, 2016 3 : Foucault (Michel), Surveil ler et punir, Gallimard, 2016 4 : Philosophe utilitariste du 18ième siècle, inventeur du système carcéral « panop tique » 5 : Bentham (Jeremy), Le Panoptique, 1988 (Figure 9), Le panoptique, « The works of Jeremy Bentham vol. IV, 172-3 », Bentham (Jeremy), p 62
061 tion tyrannique porté sur les individus qui y résident, qui le subissent. Si le Cerclon est bel et bien un objet de fiction, il est facile d’y voir une sorte de métaphore des camps de migrants. Les deux se rattachent à un même modèle panoptique qui repose sur les privations de liberté et la surveillance. Tous comme les habitants du Cerclon, les réfugiés se retrouvent obligés de vivre dans un dedans censé les accueillir mais qui au contraire va se contenter de les restreindre. Ils sont considérés comme des produits standardisés, gérés comme de la simple marchandise. La vie à l’intérieur étant similaire à celle d’une production, démunie de toute spontanéité et de libre arbitre puisqu’il n y a plus d’autonomie, ni de place à l’initiative. Le dedans de Damasio est donc celui d’une prison, d’un espace hostile se cachant derrière une façade composée des va leurs d’un semblant d’hospitalité. Dedans transparent, exposé, contrôlé, géré qui ne fait que renforcer la conviction d’une majeur partie de son peuple de s’aventurer vers ses franges. A savoir, son dehors, duquel il fait parti, symbole d’inconnus mais aussi et surtout de liberté et de rêverie Dans cette première partie, nous nous intéresserons donc à décortiquer l’ensemble de cet univers du dedans en étudiant la figure bien précise du camps de migrants.
Cette dernière, qui ouvrira ainsi mon développement au sujet de l’hospitalité de nos sociétés et de nos architec tures à l’égard des migrants, s’intéressera ainsi aux infrastructures d’accueils. Il s’agira de comprendre et d’étudier la figure du camp de manière générale en premier lieu puis de manière plus précise par la suite. Si l’idée est tout de même de conserver un regard centré sur la France, nous partirons d’une vision plus globale à l’échelle européenne de manière à bien cerner le fonction nement des camps de migrants. Le but étant de com parer les systèmes d’accueil français à leurs voisins pour mieux les situer et les préciser. Une fois ce portrait général posé nous irons questionner un premier grand cas d’étude par l’intermédiaire de la Jungle de Calais. Il s’agira dans un premier temps d’en comprendre toute l’importance en retraçant son histoire et son impact sur les tissus alen tours : de son impact sur la ville de Calais à ses rouages internes. Nous analyserons ensuite de manière encore plus détaillée ce camp de migrants en le rattachant à différentes notions comme celles de confort, de parcours ou encore de dispositif habité. Il y sera aussi question de témoignages et de scènes de vie. Enfin, pour clore cette partie nous reviendrons sur l’imaginaire du Cerclon de Damasio pour interroger le rapport entre les camps de migrants et le système carcéral. Nous reviendrons ainsi sur les notions d’enfermement et d’enceinte notamment avant de nous plonger vers le dehors.
062 (Figure 9) Le panoptique, « The works of Jeremy Bentham vol. IV, 172-3 » Jeremy Bentham
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1 : La genèse des camps de concentration : Cuba, la guerre des Boers, la grande guerre de 1896 aux années vingt, Mémorial de la Shoah, Revue d’Histoire de la Shoah, N°189, 2008 2 : Steinhoff (Hans), Obm Krüger, 1941 3 : Ferro (Marc), Comment on raconte l’histoire aux enfants, Payot, 1992, p 133. (Figure 10), Boer War: people, tents and the field hospital at the women’s laager in Mafeking, South Africa. Halftone, 1900 , W. H., Reverend
064 I LA FIGURE DU CAMP .
La notion de « camps de migrants » en son sens stricte correspond à un lieu de concentration urbain et tem poraire de populations civiles. Ce terme naît à la fin du 19ième siècle. Ce sont les britanniques qui en définissent les fondements en lui donnant le terme de « camps de concentration », à l’occasion de la seconde guerre des Boers en Afrique du Sud ayant sévi entre 1899 et 19021 Si la notion de « camps de concentration » semble nous ramener à des formes de contrôle et de détention de population dans des conditions de vie sinistres, il est nécessaire de comprendre que sa définition n’a pas été immuable au cours des siècles. En 1941, soit 30 ans après la fin de la Guerre des Boers, un film de propagande nazi anti-britannique, «Obm Kü ger»2, voit le jour . Issu d’une commande ordonnée par le régime totalitaire allemand suite à la débâcle de la bataille d’Angleterre, Hans Steinhoff se lance dans le tournage d’un long métrage aux moyens dérisoires. A travers ce dernier, le réalisateur se joue à prêter aux anglais la paternité des « camps de concentration » tel que les nazis les mettront en place durant la Seconde Guerre Mondiale. Le tout à travers un scénario on ne peut plus expressif : « À l’extérieur, une femme, entourée d’un groupe de prisonnières, agite sa boîte de conserve: elle est avariée. Le médecin du camp la renifle et hasarde, auprès du commandant survenu entre-temps, une remarque sur «la mauvaise nourriture». Les femmes se font me naçantes. Le commandant abat froidement l’une d’elles de deux coups de revolver… »2. Marc Farro au sujet de ce film, dira « le refoulé interfère avec le véridique et l’affa bulatoire. Effectivement, les Anglais ont créé, pendant la guerre des Boers, les premiers camps de concentration; mais à cette date, ils n’avaient ni la même fonction ni le même fonctionnement que les camps nazis »3. Toute la différence réside dans l’absence d’une « solution finale» dans les camps anglais, ces derniers avaient pour objectif de contrôler une partie de la population africaine de Boers mais de les libérer une fois la guerre terminée.
Ces premiers camps de concentration appelés alors Laagers (Figure 10) (c’est le terme utilisé, signifiant «camp» en afrikaaner) proviennent d’une volonté militaire et éthique du parlement anglais. Ses derniers lancent un «nettoyage », voulant débarrasser la région en guerre de toutes ressources pouvant aider la guérilla (chevaux, moutons, refuges…). Cependant, il souhaitait recueillir et protéger les civiles, notamment les femmes et les enfants en les plaçant dans des camps hors de la zone de com bat. Des médecins, des cuisiniers et des infirmières sont alors envoyés sur place ainsi que du matériel .
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Lord Kitchener alors leader des troupes britanniques va pour autant mépriser les directives de la couronne et négliger ces installations laissant peu à peu sombrer ces camps dans l’horreur. Le nombre de camps explose en même temps que les épidémies en leur sein, la situation sanitaire empire et un scandale éclate à Londres sur la gestion véritable de ses derniers. Cette perception des premiers camps nous amène alors vers de nouvelles réflexions. Fruit d’une décision militaire portée sous la coupe de décisionnaire politique, ces derniers sont un vé ritable échec. L’enfermement massif de civiles dans des espaces de fortunes s’apparentant fortement à des lo giques de déportation plutôt que de protectorat. Toutefois, les camps ne sont pas gardés secrets, ils n’ont pas pour but d’exterminer une population. Le Petit Robert définira alors à travers cet exemple la figure du camp comme « Un lieu où l’on groupe, en temps de guerre ou de troubles politiques, sous la surveillance des autorités de guerre militaires ou policières, les suspects, les étrangers, les nationaux ennemis »1. Cette définition qui peut en réalité sembler incomplète excuse en quelque sorte le camps de concentration en les liant intrinsèque ment à des conditions de guerre. De nombreux camps vont alors s’inscrire dans le sillage de ceux du Boers. C’est le cas des camps d’internement de la première guerre mondiale en France ou en Grande-Bretagne. C’est également le cas des centres d’assignation à résidence surveillée dans la métropole parisienne, dans laquelle plus de 10 000 algériens seront envoyés et internés. Nous pourrions encore multiplier et multiplier les exemples si milaires. L’important est cependant de bien comprendre que les mots ont une histoire. Ainsi l’unique expression « camps de concentration » s’est vue utilisée de manière très différente au fil des âges, prenant au cours du temps des significations variées. Certaines tirant vers la concen tration autoritaire, liberticide et mortuaire et d’autre vers l’accueil, la protection et l’hospitalité. Une dualité difficile à cerner qui va dès les années 1920, amener à requestionner l’utilisation de ce terme trop gé nérique. L’afflux croissant d’apatrides comme les russes ou encore les arméniens pour des raisons de survie va entrainer d’importantes réflexions sur l’établissement de nombreuses règles quant à la création d’un titre de réfu gié. Renforcés par le chaos du sortir de la seconde guerre mondiale, ces questionnements vont alors déboucher sur la création en 1951, de la convention de Genève2. Le HCR (Haut Commissariat pour les Réfugiés), établira suite à ses accords les différents critères d’obtention du statut de réfugié. C’est à partir de cette même date que naîtront et se multiplieront les premiers camps de réfu giés uniquement tournés vers l’accueil et la protection. Ces derniers s’éloignent des logiques précédentes dans 1 : Rey (Alain), Robert (Paul) et Rey-Debove (Josette), Le Petit Robert, Dictionnaires Le Robert, N°1, 1967 2 : Convention de Genève, traités internationaux, 4 textes originaux, 1951
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1 : Shérer (René), Zeus hospi talier: Éloge de l’hospitalité, La Table Ronde, 1933 2 : Les politiques d’heber gement et d’acceuil des réfugiés vers de nouvelles inégalités territoriales ?, Actes du séminaire ENS-IAU, 20 mai 2016, Sur les ques tions urbaines
Ainsi, il est facile de prendre conscience que la notion de camps de réfugiés a toujours reposée sur une im portante ambiguïté entre espoir de protéger et volonté de contrôler. Mais alors comment se fait-il qu’en partant d’un désir d’hospitalité la figure du camp semble ne pouvoir réellement fonctionner. Selon, René Sherer, « l’hospita lité est insaisissable et se dérobe dès que l’on tente de la saisir dans une forme unique, elle est privée et publique, présente et absente, chaleureuse et hypocrite »1. De ce fait de par la mondialisation du terme, l’encadrement de l’hospitalité par un certain nombre de règles et de directives, cette dernière en vient à perdre toute son essence énon cée précédemment par Jacques Derrida. L’hospitalité de par ce nouveau modèle occidental de camps en vient à tomber en désuétude en raison notamment de sa relation trop étroite au domaine publique. Michel Agier, considère que lorsque l’hospitalité est to talement institutionnalisée, elle se retire peu à peu pour disparaître2. C’était déjà le cas d’ailleurs au Moyen-Age, époque dont le philosophe fait référence pour mettre en exergue l’incapacité des camps de réfugiés à fonctionner efficacement. Au Moyen-Age, on note l’apparition en quelque sorte, de l’ancêtre du camps de réfugiés tels que nous en avons parlé plus haut, en l’objet des hospices de Saint-Vincent de Paul. L’Église qui dès lors prédomine sur l’état, se soucie de porter secours aux personnes les plus démunies. Elle décide pour ce faire de créer un im portant réseau d’établissements prêts à accueillir les miséreux. Ces hospices peuvent ainsi faire rapidement échos à notre système humanitaire actuel. Proposés par l’Église et orchestrés par des communautés de moines, les hospices avaient un but purement hospitalier et dé sintéressé, autre que celui de protéger. Cependant leur fonctionnement est tombé dans le domaine public, les mo narchies souhaitant avoir la main mise sur leurs rouages. Les moines qui s’en occupaient se retrouvent alors épiés, contraints de transmettre aux autorités politiques les infor mations sur chaque personne hébergée. C’est alors que les hospices basculent dans une logique de domination de ses hôtes.
067 leurs fonctionnement, faisant appelle aux états mais éga lement à de conséquentes logistiques humanitaires. Ils conservent tous de même des aspects temporaires, un fort lien à la notion de conflit et s’engouffrent malgré eux ou consciemment dans des mécanismes de contrôle et de surveillance. Comme pour ses prédécesseurs, modèles refoulés, les camps de réfugiés modernes s’enlise dans une ambivalence néfaste, entre désir de protéger et besoin de superviser.
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Le lien d’Homme à Homme est fortement affaibli voir ré duit à néant par une rationalisation administrative systé matique de la structure d’accueil axée volontairement sur un système de contrôle des populations. On constate alors au 20ième siècle que l’hospitalité disparaît au profit de grands dispositifs de contrôle et de surveillance des indésirables. La volonté d’accueillir est désormais unique ment feinte. Ce changement de paradigme est notamment du au renforcement des Etats Nations en pleine crise face à des mobilités internationales de plus en plus importantes à l’échelle mondiale. Et si ce droit est reconnu par le droit international et humanitaire, les Etats l’appliquent ou non selon leur bon vouloir, sans contrainte véritable. Le droit d’asile se heurte au poids des nations dont la souverai neté sur leur territoire prévaut sans conteste. Ils peuvent ainsi choisir librement, les modalités d’accueil des réfugiés. Les questions de confort, d’architecture ainsi que les modalités d’accueil sont laissés en retrait, dans l’ombre d’un ostracisme grandissant, moteur imperturbable d’un besoin de protection de sa population et de contrôle des «réfugiés ». A l’échelle de l’Europe on distingue alors une grande variété de camps que nous pouvons classer en différentes catégories (Figure 11). Ces derniers se divisent ainsi en 4 catégories distinctes allant du simple centre d’accueil selon sa définition officielle, à un véritable espace de détention pouvant s’apparenter à des infrastruc tures carcérales. Nous retrouvons ainsi, les camps de réfugiés présents sur le territoire d’un Etat et en attente d’expulsion, les camps de réfugiés qui viennent d’arriver sur le territoire d’un Etat, en attente d’admission, ceux combinant les deux fonctions et enfin les prisons de droit commun utilisées pour la détention « administrative » des étrangers1. En France on relève la présence uniquement des deux premiers types de camps cités précédemment. Mais à l’échelle de l’Europe, toutes les déclinaisons du camp de réfugiés sont identifiables, présentant pour cha cune leur propre méthode de fonctionnement et offrant des architectures disparates.
- Les camp pour les réfugiés qui viennent d’arriver sur le territoire d’un Etat, en attente d’admission, Palaiseau -Massy.Lesdeux, Trandum Uhendingsinternat.
- Les prisons de droit commun, Limerick Prison.
1 : Carte des camps, Mi greurop, Cinquième édition, (Figure2012 11), ptoire»étrangersdétentioneuropéenne«Cartographiedesespacesdeetd’accueildessurleurterri,Fulchiron(Xavier),68-69
070 Ainsi, à partir du moment ou la structure d’accueil tombe dans une gestion collective publique, plus aucun individu ne semble être responsable des gens accueillis.
- Les camp pour les réfugiés présents sur le territoire d’un Etat et en attente d’expulsion, Saint-Jacques de la Landes.
A la question : qu’elle est la réelle figure du camp?, il nous est donc impossible de répondre de manière simple puisque cette dernière est multiple. Elle peut prendre de nombreuses formes, servir différents objectifs, être orien tée de différentes manières et bien souvent même quitter les sentiers tracés par le HCR, pour tourner le dos à la notion première d’hospitalité. Le modèle du camp de réfugiés s’il en existe un s’est façonné au fil des époques, il est le reflet de l’évolution de notre société, des enjeux nationaux et internationaux. Bâtis sur des fondations contestables, ces mécanismes interrogent à une époque où l’on remarque un décrochage par rapport à la notion d’hospitalité. Fracture mise en avant continuellement du rant le 20ième siècle et renforcée en ce début de 21ième, parallèlement à la crise migratoire qui frappe l’Europe Il devient donc primordial de réinterroger notre rapport à l’hospitalité, à une échelle plus réduite, à savoir celle de la France.
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072 (Figure 12) Une figure du camp multiple, «LABYRISMEN 11»,Constant1968
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CALAIS, ENTRE ESPOIR ET RANCŒUR .
Suite à cette lecture globale de la figure du camp il est temps pour mieux en étoffer notre compréhension de nous pencher sur un cas d’étude bien précis. Parmi pas moins de 32 camps de réfugiés présents en France1, nous allons recentrer notre regard sur une situation bien précise, à savoir celle de la Jungle de Calais. Ce camp a suscité autant de passions, de polémiques et de peurs que de luttes solidaires. La Jungle est devenue une des figures françaises les plus emblématiques de ces der nières années (h3). Si aujourd’hui il ne reste presque plus rien de la Jungle de Calais par rapport à ce quelle fût il y a 10 ans, il est important d’en parler pour en appréhender le dedans. Car, déjà le terme de « Jungle » pose ques tion. Ce dernier à été adopter par les migrants eux même puisque beaucoup jugeaient que des humains ne pouvait pas vivre dans de telles conditions. Son nom provient ainsi de la dureté de son milieu et renvois à l’imaginaire de la foisonnance. La Jungle est constituée d’habitation éparses, s’étant relativement librement réparti au milieu d’un Soucieuxmarécage.decomprendre et d’étudier pourquoi elle reste un point de fixation pour la société française et les ac teurs locaux. Le réalisateur Christophe Ruggia disait à ce sujet, « Ce qui se passe à Calais symbolise tout […] le manque d’anticipation de l’état, l’indignité de l’accueil, la montée de l’extrême droite. En racontant la Jungle, on raconte l’état de l’Europe et de la France »2. Calais té moigne parfaitement de la complexité de la situation et dé voile le nœud du problème de la migration en concentrant en son dedans, dans une zone restreinte, par superpo sition d’espaces et de logiques une multitude d’acteurs. Que ce soit à travers ceux qui gravitent autour de la vie du camp ou de par la pluralité des nationalités qui y sont représentées. La Jungle de Calais symbolise notre rap port à l’hospitalité entre désir de venir en aide et désenga gement à répétition. Son existence à permis de soulever de nombreuses problématiques novatrices qu’elles soient d’ordre économique, technologique, sociologique, archi tecturale ou encore sécuritaire. Posant des problèmes sur la gestion de l’espace pour arriver à répondre aux besoins de chacun tout en prenant en compte l’hétérogé néité des populations accueillies. Le nord de la France a toujours été un territoire prisé pour l’installation gouvernementale ou non de campements, un phénomène ni ponctuel ni même récent. La chute de l’URSS au début des années 1990 va entraîner de nom breuses crises politiques locales, forçant des milliers de familles à quitter leurs pays pour rejoindre l’Europe. Ces dernieres cherchent à rejoindre les cotes anglaises en empruntant des voies terrestres les menant pour la plus
074 II
1 : Carte des camps, Mi greurop, Cinquième édition, 22012:Ruggia (Christophe), Appel de Calais, Au sujet du film, (Figure201613), «Calais, entre camp et centre-ville», Fulchi ron (Xavier) (h3), « Calais face au temps », Fulchiron (Xavier), p 218
076 part aux alentours de Calais. Le nombre grandissant de réfugiés arrivant dans le nord de la France à cause de la guerre du Kosovo et une augmentation du nombre de refus d’entrer sur le territoire britannique va provoquer une stagnation de ces populations sur le territoire français. Jusqu’en 1998, des réfugiés vont ainsi malgré eux, pro longer leur séjour au sein d’infrastructures portuaires calaisiennes, forçant la Chambre de Commerce et d’Industrie, propriétaire des lieux à ordonner l’expulsion des personnes concernées. L’Etat Français se retrouve alors dans une situation inédite, devant désormais reloger des centaines de réfugiés. C’est alors que plus de 200 personnes, dont une majeure partie des familles sont contraintes de quitter la zone portuaire pour tenter d’occuper des jardins ou bien des places publiques dans le centre ville de Calais. Face à cette situation, les élus de la commune, accompa gnés par de nombreuses associations vont œuvrer pour la mise en place d’une premier camp de réfugiés. Ainsi va naître le centre d’accueil de Sangatte, au cœur d’un hangar de 27000m2, prévu pour accueillir pas moins de 800 habitants1. Un lourd dispositif de surveillance à l’en trée et à la sortie du bâtiment va alors être mis en place, avec des fouilles corporelles et des détecteurs de métaux. Le hangar devient ainsi au delà de son rôle de canopée (survolant et protégeant de l’extérieur des centaines de tentes) une véritable enceinte. Il permet entre autre de cloisonner le camp, réduisant ses accès à une unique entrée, la seconde étant condamnée. Ce système de contrôle va rapidement prendre le pas sur toutes ques tions architecturales, favorisant le bon fonctionnement du couvercle hermétique plutôt que le confort des vies qu’il renferme. Ce dernier va fatalement atteindre le pic des 1800 résidents, allant bien au delà de sa capacité maxi male première. C’est cette saturation qui va renforcer les conditions de vie insalubre que nous connaissons et pro voquer sa fermeture dès 20021. Deux jours plus tard le hangar est détruit pour éviter que de nouvelles vagues de réfugiés viennent l’occuper à leur tour, annoncant le premier aveux d’impuissance de l’Etat. Suite à la fermeture du camp de la Croix rouge de San gatte, ses occupants vont être obligés en l’absence totale de stratégie de relogement de la part de l’Etat, de retour ner habiter de manière illégale les interstices urbains de la ville de Calais. Les petits campements informels se remettent alors à foisonner autour et dans Calais. De 2002 à 2015, la Jungle de Calais n’aura pas de localisation ou de forme précise, les squats dans des immeubles vacants se multiplient, des migrants installent des micro-camps sur des terrains vagues, choisissant tou jours des espaces discrets. Bien au courant des risques qu’ils encourent au regard de leur situation, ils mettent en Carrère (Violaine), San gatte, un symbole d’impuis droit, 2003
1 :
sance, Plan
Les migrants y sont alors perçus comme des Hommes non-citoyens, privés de leur liberté de mouvement et forcés à une forme de stagnation tels des esclaves mo dernes ne pouvant quitter le domaine de leurs maîtres. De nombreuses restrictions que les migrants vont réussir à surmonter, s’en accommodant jusqu’à la rendre pleine ment habitable. Malgré une volonté claire de l’Etat d’en 1 : Agier (Michel), L’étranger qui vient : repenser l’hospita lité, Seuil, 2018 2 : Les politiques d’heber gement et d’acceuil des réfugiés vers de nouvelles inégalités territoriales ?, Actes du séminaire ENS-IAU, 20 mai 2016, Sur les ques tions urbaines
077 place des camps de petites tailles toujours composés de moins de 100 occupants. L’idée étant de perdre en visibilité pour éviter d’être expulsé par les autorités locales. Au-delà de ces occupations illégales et auto-attribuées nous allons rapidement noter une prise de conscience des conditions de vies délétères dans lesquelles vivent les migrants. Une étude va démontrer qu’une part, certes minoritaire, des Calaisiens, va se mobiliser et mettre en place des barrages afin d’empêcher les évacuations à ré pétition des migrants. Si le camp de Sangatte symbolisait déjà les propos de Michel Agier au sujet de la non-viabilité de l’hospitalité publique1, cette situation va voir naître une hospitalité privée. La naissance d’un réseau d’aide asso ciatif et civile survient alors. S’en suivront des distributions journalières de nourriture, de vêtements, des possibilités d’apprentissage de la langue ou encore l’accueil de mi grants au sein même d’habitations privées. L’hospitalité privée émergente à Calais va alors fonctionner, stabilisant et encrant la situation migratoire de la ville. Cependant cette dernière va provoquer une nouvelle réaction de la part de l’Etat souhaitant reprendre le contrôle sur cette crise. A partir de 2015, des bulldozers vont être déployés pour détruire les campements informels, les squats ré gularisés et de ce fait l’Etat va pouvoir reprendre en main la gestion des migrants, aux dépends des Associations et des habitants. En avril 2015 va alors être mise en place une zone dîtes de « tolérances » à l’égard des migrants, implantée sur le site d’une ancienne décharge et en plein cœur de sols marécageux. Établie à a peine 5 kilomètres du centre ville de Calais, cette dernière va se raccrocher au centre d’accueil de jour des migrants, Jules Ferry. Cette zone, qui fonctionne à la manière d’un vaste camp de réfugiés va servir à reloger les personnes évincées par les auto rités. Déplacements rendus obligatoires par l’Etat qui va également interdire dès le mois de mars, les distributions de nourriture et de vêtements aux réfugiés en dehors des infrastructures publiques de la zone de tolérance. Très rapidement le camp de la Jungle de Calais devient alors l’expression de la souveraineté de l’Etat Français dont nous parlions dans la partie précédente. Ce dernier de vient peu à peu un espace fortement délimité avec une interdiction de circuler librement autour. C’est Michel Agier qui dira à ce sujet que Calais est le symbole même de la souveraineté de l’Etat-nation2
078 faire un espace précaire et temporaire, ses habitants vont s’en approprier les lieux pour y développer une véritable urbanité. Vient alors l’espoir. Au courant de l’année 2015, la Jungle de Calais va connaître une importante vague de développement urbain avec l’ouverture d’une partie sud, composée majoritairement de cabanes construites officieusement par les migrants et les associations mo bilisées. Cette extension se démarque de la partie nord du camp qui fait preuve d’un contrôle extrêmement stricte quand à son développement. Au sud une micro société s’éparpille dans des bâtiments informels tandis qu’au nord l’état instaure une cité dortoir, les familles y sont ran gées méthodiquement dans des conteneurs qu’elles ha bitent tel de simples marchandises. Face à cela, l’Etat va rapidement réagir en déclarant la zone sud de la Jungle insalubre, en profitant pour lancer dès la fin d’année un plan de nettoyage des campements informels. De nom breux logements, des espaces publics et sociaux sont alors détruits malgré les marques incontestables de la présence d’une architecture singulière et intime. Le tout pour rebâtir sur ses ruines une micro-ville fonctionnelle, une cité parfaitement réglée et ordonnée avec l’ajout de nouveaux conteneurs pouvant recevoir jusqu’à 1500 habi tants. Ce choix témoigne d’une volonté claire de renforcer les contrôles et la surveillance des migrants avec la mise en place de nouveaux guichets, grillages et miradors. Ainsi en 2016, la Jungle de Calais s’apparente de plus en plus à l’imaginaire du Cerclon de Damasio1. Cette des truction puis réédification, Michel Agier la voit comme un désir de dynamiter « les marques naissantes d’une socia lisation »2. L’Etat perd la main sur son camp en y voyant s’y développer une véritable ville avec ses propres commerces, ses parcours, ses lieux de rencontres et ses habitations. Malgré ces événements la Jungle de Calais connaîtra la même année, son plus haut pic d’affluence, atteignant les 9000 habitants durant le moi d’août. Sou cieux de voir ce nombre décroître, l’Etat Français décide un mois plus tard, de démanteler à son tour la partie nord du camp et de retirer la majeure partie des habitations containers présentes sur les lieux. Un mur anti-migrant (Figure 14) est également construit autour du port de Calais pour empêcher l’arrivée de nouvelles populations et évi ter qu’elles rejoignent les cotes britanniques. Début 2017, les affrontements font rage entre migrants et policiers, les premiers refusant de quitter la Jungle pourtant meurtrie et réduite en un simple terrain vague parsemé de cabanons. L’Etat comme ce fût le cas pour le camp de la Croix Rouge de Sangatte, fait marche arrière et demande l’évacuation totale et définitive de la Jungle. Les migrants sont envoyés partout en France dans des établissements d’accueil, ou bien réexpédiés dans leurs pays d’origine. L’Etat décide une nouvelle fois d’interdire les distributions de repas et cela même au sein de la Jungle arrivant par 1 : Damasio (Alain), Le dehors de toute chose, La Volte, 2016 2 : Agier (Michel), Bouagga (Yasmine), Galisson (Maël), Hanappe (Cyrille), Pette (Mathilde), Wannesson (Phi lippe), La jungle de Calais, Presses Universitaires de France, 2018 (Figure 14), Mur Anti-Migrant, Calais, lumokajlinioj
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080 la force, à faire chuter le nombre de résidents à 300 seu Aulement.vude
se parcours rocambolesque, la Jungle de Ca lais a réussi à marquer les mémoires de ses habitants et des Français. Extrêmement médiatisée comme ce fût le cas notamment à travers la publication en 2015 de l’appel de Calais,qui lui a permis de ne jamais réellement disparaître des consciences3. De ce fait le désengagement des pouvoirs publics par rapport à l’Hopsitalité n’aura pas suf fit à étouffer les cendres de ce microcosme. La Jungle n’a ainsi jamais cessé d’accueillir dans ses alentours de nouveaux exilés, continuant de symboliser l’espoir mal gré la rancœur. Aujourd’hui, 5 ans après sa fermeture officielle de nouvelles vagues de migrants débarquent par centaines autour de la zone portuaire de Calais dans l’objectif de pouvoir rallier les cotes anglaises. Une situa tion qui reste illégale, réprimée par les autorités locales forçant les migrants à se cacher et se précipiter vers les passeurs pour quitter la France. C’est ainsi que le 27 novembre 2021, 27 migrants trouvèrent la mort en essayant de traverser la manche2. Une nouvelle catastrophe qui ne fait que continuer de pointer du doigt la mauvaise gestion (française et européenne) de cette crise migratoire, parti culièrement dans le nord de l’hexagone. Ainsi, à travers ce tracé historique de la formation et de l’évolution de la Jungle de Calais au fil de ces 20 der nières années, il est possible de la considérer comme une figure globale. Entité générique et symptomatique de la crise migratoire qui apparaît comme galvanisant l’ensemble des enjeux et des maux liés à l’ambiguïté à laquelle se heurte l’image des camps de réfugiés. La Jungle est en quelque sorte un microcosme, cette der nière fonctionne comme une petite société indépendante, reflet et caractéristique d’une image réduite du monde. Et en tant que microcosme il est nécessaire d’aller inter roger son rapport à la notion de frontière. Car si la ville de Calais n’est située qu’à quelques kilomètre du camp, ce dernier en est séparé par de nombreuses entraves de natures diverses. Selon Antoine Hennion, la ville se construit sur un entrelacement de frontières se superpo sant à l’image de calques3. Ces dernières doivent cepen dant amener à être des points de traversées, d’échanges entre ses différents occupants et le dehors. Ici, dans la Jungle, les frontières sont telles, qu’elles en font un es pace totalement clos, inspiration directe du Cerclon de Damasio4. La Grande-Bretagne a financé pas moins de 170 kilomètres de barbelés pour s’assurer de rendre physique ses frontières juridiques. Une double rangées de remparts d’acier couplées avec une présence policière démesurée tout autour du camp qui ne fait qu’accroître l’imperméabilité du lieu. Une frontière souhaitée, renfor cée par la situation du camp bordé en direction de la ville 1 : L’appel de Calais, Publi cation libre, 800 signataires, 22015:Vasseur (Victor), «Mort de 27 migrants dans la Manche : une première victime identifiée, Mariam voulait rejoindre son fiancé», France Inter, 2021 3 : Hennion (Antoine) et Thiéry (Sébastien), La lettre à ses concitoyens que la maire de Calais n’aura pas écrite, extrait du chapitre 4 du livre «Jardins en Politique», Hermann, Gilles Clèment, 2018 4 : Damasio (Alain), Le dehors de toute chose, La Volte, 2016
081 1 : Agier (Michel), Un monde de camps, La Découverte,2014 (Figure 15), «La Jungle et Calais, un tissu d’accueil diffus», Fulchiron (Xavier),p82-83 par une autoroute infranchissable. Ainsi, les interactions entre la ville et le camp, le Dedans et le Dehors deviennent quasiment impossibles. Au delà d’une frontière physique, elle est également identitaire et protectrice. Les communautés de réfugiés se repliant sur l’intériorité du camp pour se construire une communauté solidaire. Les frontières agissent aussi comme une enceinte, préser vant ses enclavés de toutes formes de racisme.
La frontière telle qu’elle est pour la jungle met en confron tation ceux qui peuvent la traverser (les autorités, les jour nalistes…) et ceux qui ne le peuvent pas (les migrants) renforçant les conflits. Cette dernière marque donc une différenciation entre ceux qui habitent le Dedans et ceux qui habitent le Dehors. La frontière pousse le camp à vouloir affirmer son existence en tant qu’espace habité durable, malgré une volonté de l’État de lui en nier la qua lité en invisibilisant ses occupants.
Voici donc tout le paradoxe de la Jungle de Calais qui censée être provisoire, lutte pour se consolider et s’ancrer dans un paysage urbain complexe. De part ce désir de négation, de l’interdiction d’habiter pleinement la jungle, les migrants ont réussi à y fonder un véritable lieu de vie et d’échange. Sa qualité urbaine semble ainsi bien réelle mais reste pour autant sans arrêt reniée par ceux qui pensaient la contrôler. Michel Agier remarquait à ce sujet qu’ «un camp n’est jamais cartographié »1, comme s’il n’avait pas lieu de perdurer dans le temps. Cependant malgré de nombreuses entraves, la cartographie montre un certains nombres d’inter-relation entre la Jungle et la ville de Calais. De plus la Jungle à réussi à se dévelop per toute seule, créant un espace urbain non planifié. Ce dernier répondant d’avantage aux besoins et aux désirs des migrants qu’à une vision anticipée du lieu Il est donc primordiale de soulever cet outil à la grande échelle avant de rentrer dans le détail du camp (Figure 15). A partir de ce constat global il est temps de rentrer dans le cœur du maillage complexe de la Jungle de Calais pour tenter d’en percer les mécanismes. A travers la convoca tion de divers outils, nous allons chercher à comprendre pourquoi la Jungle, fait office d’urbanité.
083 La jungle et Calais, un tissu d’accueil diffus LégendeCentre: Jules Ferry Hopital Le Pass Médecin Sans Frontière Kitchen In Calais Caravane de premier secours Belgian Kitchen Maison Bédouin/Koweïtien Good chance théâtre Gynéco Sans Frontière Maison Peace Centre pour femmes, enfants et mineurs Centre de vaccination Jungle Books École Quartierd’artdes poètes Ashram Kitchen École du chemin des dunes Hangar Paul Devot (campements) Eglise Saint-Pierre Saint Paul (campements) Square Henry Barbusse (associations) Rue Lamy (Campements) Boulevard des Allier (campements) Le Vestiaire (associations) BCMO (campements) Quai de la Tamise (association) Sous préfecture Quai de la Gironde (campements) Squats des Égyptiens Squats des Albanais Squats rue Mouron131217151413121043215678916111234567891011 (Figure 15), «La Jungle et Calais, un tissu d’accueil diffus», Fulchiron (Xavier), réalisé grâce aux données de : Passeurs d’hospitalités : des exilés à Calais (Wannes son Philippe), «Que condi tionne le développement de phénomènes auto-orga nisationnels des migrants dans le cas de Calais, et quelles peuvent être leurs retombées sur l’expérience de transit par la « jungle » ?» Mémoire de Master 1 « Migrations internationales » Bouclier Bertille, « Cartogra phie 2017 des àvolontairesengagementsetsolidairesl’international»FranceVolontaire.
084 31 (Figure 16) «Limite 1», Atlas d’une cité potentielle, Calais, New Jungle, 2015-2016PEROU
085
La jungle de calais apparaît dans un premier temps pour ceux qui l’habitent comme un espace transitoire, une cité dortoir associée à l’attente. Elle est d’abord perçue comme une simple étape d’un parcours long de milliers de kilomètres à travers le monde. La Jungle ne semble jamais durable, du moins au départ, comme cela a été écrit dans le journal de bord d’Atef, un réfugié syrien, « Je ne sais pas comment je vais aller en Angleterre, et je ne sais pas quand, mais je vais y aller. Il n’y a pas devie ici dans la jungle »1. Néanmoins, et comme vu lors de la partie précédente, il est incontestable de voir dans la Jungle de Calais, une appropriation de son tissu par ses résidents. Les migrants qui l’ont occupée pendant plusieurs années ont réussi à l’habiter pleinement en so lidifiant et personnalisant leurs abris tout en y dévelop pant de véritables espaces d’interaction sociale. C’est Michel Agier qui disait alors, que la Jungle de Calais, de par ses habitants, rendait compte d’une requalification des formes de l’hospitalité urbaine2. Les migrants y ayant transité ont réussi à dépasser l’aspect temporaire de leur séjour pour y proposer de vrais espaces de vie. Un acte d’appropriation fort, qui met en évidence une volonté de la part de ses édificateurs de maîtriser leur milieu et d’y survivre malgré une mise en retrait par rapport au reste de la ville. De ce fait il est possible d’y voir une sorte de modèle de ville auto-construite avec des architectures singulières et fédératrices. En effets, si les premières formes d’habitation que l’on a vu recouvrir le par-terre désert et marécageux de la Jungle étaient rudimentaires, flottant au dessus du sol en un amas épars de tentes de fortune, des abris en durs les ont rapidement remplacés. Les tentes et autres abris de fortune déployés tant bien que mal par les migrants à leur arrivée présentaient le soucis d’une promiscuité subie entre les espaces privés et les espaces partagés. De par leur exiguïté, il était également impossible d’y ajouter de véritables espaces intimes, des sanitaires ou en core un espace de restauration. A ses débuts les abris de la Jungle entraînaient une perte d’intimité chez les migrants, à quoi s’ajoutait une situation de surexposition aux caméras des journalistes. Ce manque de chez-soi débouchant bien souvent sur une privation de dignité. De plus le caractère fragile de ses habitations provoquait un sentiment d’insécurité chez leurs usagers, craignant d’être volés ou agressés. C’est dans l’idée de reconquérir ces notions de foyer personnel que de nouvelles habitations ont vu le jour au sein de la Jungle de Calais.
Confectionnées à partir de matériaux récupérés directe ment sur site (principalement bois et tôle), une multitude de cabanes (Figure 17, 19 et 20) ont été déployées au sein
086 III HABITER LA JUNGLE .
1 : Atef, Extrait du journal de bord, Syrie, 2016 2 : Agier (Michel), Mi grations, réfugiés, exils, Colloque Fulchiron«Cohabiter(FigurepJungle»,(FigureBully(FigureBully(Figurepolitique»,anthropologique,aujourd’hui.«L’hospitalitéUnequestionurbaineet201617),«Lescabanes»,(Éléonore)18),«Lafacade»,(Éléonore)19),«HabiterdanslaFulchiron(Xavier),9220)danslaJungle»,(Xavier),p93
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088 du camp. Elles sont le fruit d’une entraide silencieuse entre migrants et associations humanitaires présentes sur place, comme MSF (Médecin sans frontière et l’Au berge des migrants). Ces cabanes reproductibles à ré pétition et utilisant une même structure ont grandement permis l’émergence des premières marques d’appropria tion soulevées par Michel Agier1. Au-delà de la possibilité de rajouter des systèmes de verrouillage aux portes des cabanes, leur aspect identique d’apparence à fait l’objet d’un grand nombre de personnalisation2. Avec l’aide de MSF les migrants ont pu à partir de collage, de peinture ou encore d’écriteaux les différencier les unes des autres en y apportant une touche personnelle3. Ses actes qui peuvent sembler anodins de prime abord permettent entre autre aux migrants de s’affranchir du contrôle exercé par l’État sur le camp. De se détacher des tristes rangées de containers habités, d’une affligeante homogénéité seu lement brisée par des numéros différents, estampillés en caractères noirs et impersonnels sur leurs façades tristes. Naît ainsi au cœur de la Jungle de nouvelles formes d’appropriation de ses espaces auto-construits. Sans nous rappeler les travaux de l’architecte Pascale Geoffroy4 de par l’importance porté pour le traitement des façades. Le concept de façade est au final sûrement l’un des élé ments les plus fondateurs de l’architecture des habitations de la Jungle de Calais5. Elle tient un rôle primor dial dans l’établissement et l’expression du chez-soi. Si elles ont d’abord un but de séparation entre l’espace privé et l’espace public, les façades des cabanes et les porches fonctionnent comme le miroir de leurs habitants. Assujettis à un soucis de personnalisation, ces dernières répondent à des logiques d’exposition, les migrants s’en servant pour raconter leur trajectoire de vie, leurs origines ou encore leurs inspirations. Telles de gigantesques pan neaux d’affichage, les façades extérieures des cabanes sont là pour nous témoigner des histoires singulières de chacun de leurs résidents. Les façades mettent ainsi en scène la confrontation entre une volonté de faire corps avec son milieu, de s’y stabiliser et un besoin de s’en extirper. Parmi ces différents messages nous retrouvons à titre d’exemple, « One ticket to hope » (un ticket pour l’es poir), inscrit sur la cabane d’un migrant soudanais du nom d’Isaak (Figure 18). On y retrouve également des messages à portée revendicatrice et pacifiste. Profitant de la surex position médiatique de la Jungle de Calais, de nombreux migrants ont utilisé les façades de leurs abris pour y dé noncer les causes de leur misère. Atef, un réfugié afghan a ainsi utilisé la façade de son restaurant de fortune pour s’indigner de l’intervention des Etats-Unis en 2001 sur le territoire afghan. « Nous ne serons pas toujours pauvres, nous récupérerons notre honneur et vous paierez ce vous avez fait dans notre pays »6, cette phrase tirée d’une chanson révolutionnaire pachto, cherche à pointer du 1 : Agier (Michel), Un monde de camps, La Découverte, 22014:Macé (Marielle), Nos cabanes, Babelio, 2019 3 : «Partir, rester, habiter : le projet migratoire dans la littérature exilaire », Revue européenne des migrations internationales, vol. 29, Gourcy, 2013 4 : Agence GEOFFROY Archi tectes, Reims 5 : Boccagni et Brighenti, «Immigrants and home in the making : thresholds of domesticity, commonality and publicness», Journal of Housing and the Built Envi ronment, vol. 32, 2017 6 : Atef, Extrait du journal de bord, Syrie, 2016 (Figure 18), «La facade», Bully (Éléonore), p 87
Pour commencer nous allons nous intéresser aux espaces d’enseignements parmi lesquels l’école laïque du chemin des dunes, la Darfour School ou encore les «jungles books». Ces infrastructures jouaient un rôle primordial dans l’insertion des migrants à leur arrivée à Calais. Leur permettant de se sensibiliser à la culture du pays d’asile souhaité ainsi qu’à sa langue, tout en leur facilitant l’accès aux démarches administratives.
089 doigts les agissements des Etats-Unis envers son pays d’origine. De ce fait, l’élément architectural de la façade est pour les migrants un échappatoire, un nouveau moyen de communiquer avec le reste du monde pour tenter d’at ténuer leur invisibilité imposée.
Cependant les dimensions assez restreintes des habitations et leur non-alimentation en eau1 et en électricité ont poussé les migrants vers les interstices urbains de la Jungle. Car comme dit ci-dessus, le camp de Calais est fortement marqué par un affrontement perpétuel entre es paces privés et espaces communs. Ainsi, les habitants de la Jungle se sont vu peu à peu poussés vers des espaces de circulations. Autant d’intervalles qu’ils ont su, accompagnés du tissu associatif, modeler selon leurs be soins et leurs envies. Donnant naissance à de nombreux points de socialisation, comme des écoles, des lieux de cultes, des cafés…2 que nous classerons en différentes catégories pour mieux en étudier les intérêts.
Ensuite, nous remarquons la présence de nombreux lieux de cultes prêchant une grande variété de religions pour accompagner les migrants et les raccrocher à leurs croyances. De la même manière que les lieux d’apprentissage cités précédemment, ces derniers à l’image de l’Eglise érythréenne (Figure 21) de la Jungle avaient pour but de rythmer le quotidien des résidents. Elle proposait de nombreuses activités pour quitter l’ennui de la Jungle et tisser du lien avec ses voisins, ses compagnons de for tune. On retrouve également des espaces de restauration qui, à eux seuls constituaient la plus grande partie des pratiques de socialisation3. Plusieurs restaurants (Fi gure 22) ont vu le jour au sein même de la Jungle de Calais portés par des initiatives de migrants afghans et iraniens principalement. Ces derniers présentaient la particularité et l’avantage par rapport aux distributions journalières de nourriture, de proposer de véritables espaces couverts d’alimentation en eau, électricité et denrée alimentaire. Soutenus massivement par des associations comme l’Au berge des migrants ou encore help Refugee, ils étaient en partie auto-financés par les migrants eux-mêmes. De la même manière, ont note la présence dans la Jungle de Calais d’un certain nombre de « Shop » qui, grâce à la réappropriation des cabanes offraient des espaces de services importants aux migrants. Nous y retrouvions ain si à la vente, des crédits téléphoniques, des cigarettes ou 1 : L’appel de Calais, Publi cation libre, 800 signataires,2015
2 : Collectif PEROU, Atlas d’une cité potentielle, Calais, New Jungle, 2015-2016, Juil let 2016 publication digitale 3 : Collectif PEROU, L’autre journal d’informations de la ville de Calais, Avril 2016 publication digitale (Figure 21), «Célébrer dans la Jungle»,(Xavier),Fulchironp94 (Figure 22), «Partager dans la Jungle»,(Xavier),Fulchironp95
La superposition maladroite de l’ensemble de ces équipements a débouché sur l’établissement d’une micro-ville au sein de la Jungle1. Stabilisant la vie de pas moins de 9000 habitants en l’accompagnant de plusieurs dizaines de bâtis aux usages variés, dédiés au partage et à la consolation. Cette urbanité communautaire a ainsi dé bouché sur la mise en place d’un vrai lieu de vie pour les habitants de la Jungle malgré la précarité de leur situa tion. L’abondance et la diversité d’activités proposées aux migrants aura permis de créer de nouveaux parcours au sein du camp. Parcours plein de fractures, placés entre volonté d’interagir les uns avec les autres et promiscui té pernicieuse. Cet exemple semble mettre en exergue la pensée de Michel Agier selon laquelle l’hospitalité ne peut être atteinte qu’en se détachant de la gouvernance publique des camps2. Ici, elle a été rendue possible par la multiplication des initiatives populaires menées par les mi grants et les associations humanitaires présentes sur les lieux. Parmi les nombreux parcours qui peuvent émerger de ses installations, l’un semble s’affirmer plus que les autres comme une colonne vertébrale sur laquelle se rac crocherait le maillage social de la Jungle3. Parallèlement à l’autoroute, séparée par des talus artificiels sillonne au cœur du camp une artère commerciale, semblable à un main street improvisé. Elle s’éloigne des infrastructures de la ville de Calais, mise en retrait par un fossé et un no man’s land sableux et suit les berges broussailleuses du plan d’eau filant dans la Jungle. Autour d’elle gravite les alcôves communautaires mises en place par les mi grants, lui permettant d’occuper une place centrale dans la formation du tissu urbain du camp. Le tout en concen trant la majeure partie des équipements dont nous par lions plus haut, dans cette sous-partie.
Habiter de manière pérenne la Jungle de Calais a alors été rendu possible en partie par la capacité de ses habi tants à s’imprégner de ses espaces et de sa morphologie. Mais l’un des points que nous avons omis d’aborder ici, et qui pourtant a été un vecteur indispensable du développe ment du camp reste sa dimension constructive. L’installa tion des migrants à Calais a, en raison de leurs origines diverses et de leurs connaissances hétéroclites, facilité l’émergence d’un génie constructif. Pour en symboliser l’importance le collectif PEROU, utilisera le terme de « micro-ville de la débrouillardise »3 en parlant de la Jungle Une expression qui vise à mettre en avant la plus value que peut apporter l’un des symptômes en apparence de 1 : Paquot (Thierry), Lussault (Michel), Younès (Chris), Ha biter, le propre de l’humain. Villes, territoires et philoso phie, La Découverte, 2007
090 encore des produits de toilette. Ces dispositifs d’alimenta tion se sont vu également renforcés par la greffe entre les différentes habitations, de cuisines communautaires Ses dernières prenaient la forme de véritables espaces de vie solidaires ou les gens pouvaient s’arrêter quelques instants pour échanger entre-eux autour d’un repas.
2 : Agier (Michel), Un monde de camps, La Découverte, 32014:Collectif PEROU, Atlas d’une cité potentielle, Calais, New Jungle, 2015-2016, Juil let 2016 publication digitale
091 ce territoire, à savoir l’omniprésence des déchets. Ac compagnés des architectes-chercheurs du PEROU, les migrants ont ainsi appris à développer leur propre mode de construction à partir du réemploi1 (h4). Une approche qui fait référence aux logiques de réemplois qui traversent actuellement la discipline architecturale. Avec notamment l’idée de Low Tech, qui prône des valeurs de résilience.
Son but étant d’innover de manière frugale en trouvant de nouveaux modes de construction durables et réutilisables.
Ils se sont ainsi attardés à imaginer la création de briques de sable pour équiper d’assises les espaces publics du camp. L’idée étant de faciliter les échanges et les ren contres entre les migrants à des endroit où il était difficile jusqu’alors de s’arrêter. Ces installations ont alors rapide ment investi les alentours du Main Street calaisien. Leur réalisation a été faite à partir de vêtements récupérés dans lesquels les migrants venaient couler un mélange de sable et d’eau de manière à obtenir matière à mouler des briques. Une technique que le collectif PEROU s’est attardé à transmettre à chaque migrant à travers des ateliers réalisés dans les écoles du camp ou bien en allant di rectement à leur rencontre. Le but étant pour ces assises de venir également peupler les espaces semi-privés liés aux cellules d’habitation. Ces mini-chantiers ont parti cipé activement à favoriser les interactions au sein de la Jungle de Calais, en mettant en évidence une nouvelle structuration du camp. Contrairement aux apparences, les espaces de vie communautaires ne se contentent pas d’exister uniquement autour des espace communs, ils sont tout autant présents dans les interfaces peuplant les zones à habitations denses.
1 : Collectif PEROU, Atlas d’une cité potentielle, Calais, New Jungle, 2015-2016, Juil let 2016 publication digitale (h4), « Le génie collectif », Collectif PEROU et Leroy (Nicolas), p 219
(Figure 19)
(Figure 20)
(Figure 21)
(Figure 22)
Avant de clore cette dernière partie au sujet des manières d’habiter la Jungle de Calais, j’aimerais redonner la parole aux migrants que j’avais convoqués dans le préam bule de mon mémoire. Cette fois-ci pour les laisser nous raconter leurs propres expériences au sein de la Jungle L’idée est de laisser notre vision exterieur au camp au porte de ce dernier pour les croiser avec celle de ses ha bitants. Comme auparavant il ne s’agit pas d’interpréter leurs propos mais à contrario de les laisser tel quel, consi dérant qu’il est important dans ce genre de sujet de lais ser au sein de mon écrit une importante place à la parole migratoire. Les seuls modifications faites par rapport aux textes originales sont la mise en valeur de certain terme significatif de l’existence d’une spatialité, dans ou autour de la Jungle ¦ Ali Bajdar, du Pakistan (p173/182/170) i Je vis dans une tente avec des gens qui sont devenus mes amis. La nuit nous nous retrouvons dans la tente et parlons de l’avenir, de nos projets et de nos rêves. Nous parlons du pas sé, de la vie en Irak et de la guerre. On a envie de se demander : «Qu’es-ce que tu as vu? Qu’es-ce que tu as fait? Qu’es-ce que tu penses du présent, et qu’es-ce que tu penses de l’avenir. Il y a encore des jours ou je ne peux pas manger ou marcher, alors je reste dans ma tente, parfois pendant des jours. Je prends du paracétamol quand je vais voir le médecin du camp. C’est tout ce qu’ils peuvent faire pour moi ici. Quand j’ai déménagé à Dunkerque, il n’y avait pas d’école donc je ne pouvais plus pratiquer mon anglais. Parfois, il n’y a pas à manger. Si j’ai faim, je dois attendre le lendemain. Nous avons tous deux paires de chaussures ici : une pour le camp et une autre pour aller dehors. A cause de la boue. Quand vous entendez les gens vous dire de ne pas s’inquiéter, c’est différent. Ils donnent de l’énergie. Quand je vais en ville, on dirait que les Francais font semblant de ne pas comprendre ce que je dis et qu’ils ne veulent pas me parler. Je ne dis pas que tous les Francais font ça, mais j’ai des amis d’Angleterre, de Suisse, d’Allemagne, de Belgique, du Danemark qui viennent ici et passent leur temps à aider. Je vois rarement des Francais j
¦ Africa, du Soudan (p136-137/165) i Ca a été beaucoup de soucis pour moi quand je suis arrivé à Calais. Je n’arrivait pas à croire que c’était l’Europe. Cet en droit existe-t-il vraiment? Où est l’humanité, où est la démo cratie? Où sont toutes ses conneries? C’est juste écrit sur le pa pier. Parce qu’on est venus ici, je crois qu’on est plus des êtres humains, on devient des animaux, une nouvelle sorte d’ani mal apparu à cette époque, connue sous le nom de réfugié. Beaucoup se demandent pourquoi je n’ai pas demandé l’asile en France. Mais cette situation, ici, dans la jungle, n’encou 1 : Les voix de la Jungle : Histoire de réfugiés au camp de Calais, La Guillotine, avec La Cimade et Help Refugees, 18 juin 2020
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¦ Teddy, d’Érythrée (p121/144/180) i Les tentes bleues ont été montées par le gouvernement après la démolition. Il y a jusqu’à quinze personnes dans une tente ; ça fait beaucoup de monde. Quand il fait froid, les habitants se réchauffent en brûlant du bois - et aussi du plastique parce que nous n’avons pas assez de bois. Ça peut entrainer tant de conséquences, notamment des maladies respiratoires. Ces plastiques sont dangereux, ils sont mauvais pour les poumons et pour l’environnement, ils aggravent le changement clima tique. Parfois je suis épuisé, non pas parce que j’essaie la nuit de me rendre au Royaume-Uni, mais par ce que je dois rester debout toute la nuit pour garder l’église, à cause des incendies. Nous faisons cela à tour de rôle ; nous sommes dix chaque soir. Je joue au foot avec mes amis. Avant on jouait dans des tentes, mais elles ont été démolies. Tout le monde a envie de regarder l’euro 2016, mais pour la ligue des champions de l’UEFA, il fallait payer 2 euros par match pour regarder dans un café et il y avait trop de monde, plus aucune place. Dans la «jungle», des personnes de différentes nationalités jouent au foot et au cricket ensemble. Je ne joue pas au cricket, Mais j’aime regarder c’est le jeu préférer des afghans. En Erytrhée, où que tu ailles, les gens courent et font aussi du vélo, qui est le sport le plus populaire. Je me souviens que j’ai pris cette photo pour montrer comment les gens stressent et comment ce stresse part en jouant. Je joue au foot, mais là c’est une photo de mes amis qui jouent. Certains ne font que regarder j
097 rage pas à s’enregistrer en France. Tu sais pourquoi on ne veut pas aller au Royaume-Uni? Je vais répondre à cette question. Je suis ici depuis trois mois, dans ce monde merveilleux qu’est la jungle. Honnêtement, c’est merveilleux. Grâce aux gens qui sont à l’intérieur, qui sont fantastiques. Tu peux voir de nombreuses nations se dire « bonjour, salut », dans diffé rentes langues. On trouve ce qu’on veut. Si une personne voit quelqu’un qui a froid, elle lui donnera peut être sa couverture: « prend ça tu as plus froids que moi ». Depuis mon arrivé ici, je n’ai pas rencontré de bénévole Francais, ou peut être un ou deux. Comparé au nombre de bénévoles britanniques. Ici il n’y a pas de différence entre noir et blanc. On te respecte en tant qu’humain. Tu ne rencontreras personnes ici qui te cherche des ennuies. On t’accueillera et on te souhaitera la bienvenue. C’est ce qui en fait un endroit merveilleux. Je n’ai pas de bons voisins ici, j’ai des frères. J’ai des frères de Syrie, d’Érythrée, du Soudan, du Kurdistan, d’Afghanistan, d’Irak, d’Égypte. Six milles personnes, ce sont mes frères. Je n’ai rien payé pour cette caravane. Elle a été mise ici pour m’aider. Je porte des vê tements que je n’ai pas achetés. J’ai une bonne vie, je suis dans une bonne situation. Manger, boire, porter des vêtements, bien dormir : je n’ai besoin de rien d’autre. «Dieu vient en aide à son serviteur tant que ce dernier vient en aide à son frère.».j
¦ Safia, d’Afghanistan (p39) i C’était dangereux avec les enfants. Il avaient un gilet de sauvetage mais ce n’était pas bien avec trois enfants. Ça nous a pris trois mois pour venir. Nous étions en Allemagne avant d’arriver à Calais ; nous sommes arrivés en avril 2016. La «journée de la beauté » organisée par le Blue Bus, c’est super. C’est bien parce qu’on peut prendre soin de ses ongles et de ses sourcils. On vient se faire masser, se vernir les ongles, se ma quiller, tout. Une fois, quelqu’un est venu et je me suis fait coiffer avec une autre femme j
¦ Babak Inaloo, d’Iran (p135/140/146) i Il y a une route à l’extérieur du camps. Les réfugiés marchent sur cette route quand ils essaient d’aller au Royaume-Uni. C’est un passage désagréable et dangereux, fortement éclairé. Je me suis senti vraiment mal en voyant ces équipements des tinés à empêcher de passer et à inonder de lumière. Je me sou viens que la première semaine, quand je suis arrivé au camp de Calais, après deux nuits horribles, je suis allé dans le dôme ou des bénévoles encadraient des activités physiques. Les gens chantaient des chansons et tout le monde montait sur la scène à tour de rôle. J’ai toujours détesté ma voix. Je n’avais jamais chanter avant, mais cette nuit là je suis monté, j’ai fermé les yeux et j’ai chanté une chanson. Tout le monde à aimé et j’ai gagné un prix. J’ai réalisé que c’était facile. Il suf fit de fermer les yeux sur nos peurs. J’ai pris une photo d’un homme assis sur sa chaise devant un container. Il fait beau et il regarde le ciel ; il a fait du thé. C’est chez lui. Je crois qu’il vit seul ici. Il tient à son chez lui. Je bois du thé avec lui parfois. Il vient du Soudan. Ce que les gens font c’est construire une ville. Ils essaient d’en faire une ville, de maintenir la vie ici. Ça ne ressemble pas à la vie. C’est tout ce qu’ils ont. Un groupe de bénévoles à écrit « lieu de vie » sur de nombreux bâtiments : la police a alors compris que des gens vivaient là et ne les a pas démolis j (Figure 23), «Jeune Wasef, Athènes, Grèce», Devienne (Chloé Kritharas) (Figure 24), «Jeune afghane venant d’arriver au camp Skala Sykaminias, île de Lesbos, Grèce», Devienne (Chloé Kritharas)
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1 : Collectif PEROU, Atlas d’une cité potentielle, Calais, New Jungle, 2015-2016, Juil let 2016 publication digitale 2 : Damasio (Alain), Le dehors de toute chose, La Volte, 2016 (h5), « Axonométrie de la Jungle », Fulchiron (Xavier), p 220-221
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Jungle a rassemblé des milliers de migrants autour d’un principe simple, celui de faire ville (h5). Ses habitations permettant de s’approprier les lieux de façon im périssable, évitant l’ennui de ses usagers en fondant un étroit réseau de lieux communs. Qu’ils soient destinés à l’apprentissage, la célébration ou tous simplement à la rencontre, ses derniers ont permi d’y développer une cohésion communautaire. Comme dans une micro-ville, des parcours quotidiens et récurrents se sont mis en place d’habitation à habitation, d’habitation à église…1 avec entres ces destinations quantité d’espaces publiques favorisant l’insertion. Ce sont les migrants eux-mêmes, qui ont œuvré pour stabiliser ce lieu, de prime a bord transitoire et inconfortable. Et la majeure partie des té moignages relate de l’importance et du poids émotionnel de cette capacité du camp à faire ville. Que ce soit de part ses activités musicales, ses journées thématisées ou encore ses cafés… Cette étude nous permet pour ainsi dire que la Jungle de Calais a été bien plus qu’un simple camp mais au contraire un maillage urbain complexe, re flet de chaque personnalité l’ayant vécue. Cependant la Jungle continue de poser des questions, non pas dans sa capacité à faire ville mais plutôt sa ca pacité à faire corps avec le Dehors. Car il est nécessaire de rappeler que la critique principale faite au travers de l’image du Cerclon de Damasio2, réside dans sa stricte émancipation vis-à-vis du monde l’entourant. Il est donc désormais temps de nous pencher sur le der nier acte de cette première partie portant sur le Dedans A partir de l’ensemble des éléments compilés et analysés dans le développement de cette dernière, il est temps de requestionner la figure globale du camp. Pour ce faire, nous allons repartir d’un constat effectué plus haut au su jet de la notion d’enceinte et de frontière, que nous al lons creuser. Car si le camp peut faire ville, il n’en reste pas moins un espace clos, détaché des territoires extra-muros
En mettant en relation ses 5 témoignages calaisiens avec le constat dressé en préalable, il est possible d’identifier la Jungle de Calais comme une figure atypique. Bien qu’elle s’apparente dans son histoire, sa gouvernance et sa morphologie globale aux autres camps, elle réussit l’exploit de proposer un archipel habitable pour ses usa gers. La Jungle à au fil du temps dépassé son aspect de territoire relais pour se consolider une véritable personnalité. Ses habitants et les associations humanitaires se sont alliées dans le but d’en faire un espace ou l’habiter va au-delà de la simple cité dortoir. Tous ses mécanismes auto-réfléchis dépeignent un désir d’affranchissement visà-vis de l’État. La prise en main du camp par ses habitant à d’ailleurs sûrement été la clé de son inscription dans les Lamémoires.
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En 2018, le Pavillon Central aux Giardini et à l’Arsenal a accueilli 71 participants venus proposer différentes ex positions dans le cadre de la 16ème biennale internatio nale d’architecture de Venise1. Choisis par les commis sionnaires Yvonne Farrell et Shelley McNamara, ces derniers ont développés des travaux autour du thème de « Freespace »2. Si cette notion avait pour but d’aborder les espaces de contraintes et de privation de libertés, un seul projet sur les 61 présentés s’intéresse à la figure du camp, celui de l’atelier français, Obras Architectes. Il pro pose une réponse au manque d’hospitalité rencontré par les migrants à leur arrivée sur le sol français. Ce seul projet s’attarde alors sur les moyens dont dispose l’architecte pour embrasser l’ensemble des questions territoriales liées à l’accueil des migrants avec une main humaniste et généreuse, à toutes les échelles. Ainsi, il est rare d’appré hender frontalement la dimension carcérale que peuvent prendre la plus part des camps de réfugiés construis en France. Néanmoins cela reste une réalité, de nombreuses similitudes existent et ce sont ces dernières que nous al lons désormais étudier. Avant de nous pencher sur les dispositifs architecturaux prônant l’enfermement des migrants, il est d’ordre de revenir sur les modalités de détention de ces popu lations pour comprendre la contiguïté entre migrants et prisonniers. Comme c’est le cas dans le système carcéral, les migrants sont placés en détention pour des temps limités définis par les instituions nationales et les autorités locales3. Ce placement provisoire se fait sous la surveillance d’une force judiciaire et peut se voir allongé ou diminué selon les cas. Cependant le profil du migrant, s’il ne diverge pas tellement de celle du prisonnier dans son traitement, s’en distingue de par les raisons de sa détention. Aucun crime n’est véritablement imputés aux migrants, à part celui d’être rentrée illégalement sur le territoire d’un pays autre que le sien. Son placement dans un camp est réalisé en vue de son expulsion. Ils ne sont pas des criminels mais des demandeurs d’asiles, des dé boutés ou encore des individus présents sur le territoire depuis des années mais dont le titre de séjour est épuisé. Comme dans une prison les profils sont variés, ces der niers peuvent être des étudiants, des familles, des travail leurs, des victimes politiques, des opposants ou encore des pacifistes ayant fuit l’oppression de régime totalitaire. Et pour autant, ils se voient considérés comme de simple Cesprisonniers4.15dernières années, l’Europe et ses différents ac teurs s’est lancée dans le développement de nouvelles technologies sécuritaires accompagnées par les pou voirs publics et des géants industriels de la défense. Des sommes considérables ont été soulevées et dépensées 1 : Biennale Architettura 2018, 16th ArchitectureInternationalExhibition , 2.labiennale.org: « «Freespace» : une architecture à visage humain à la Biennale de Venise», FranceInfo Culture, 2018 3 : Arbogast (Lydie), «La détention des migrants dans l’Union européenne : un business florissant», Migreu rop, 2016 4 : Poupart (Jean), Lafortune (Denis) et Tanner (Samuel), Questions de criminologie, Paramètres, 2010 (Figure 25), «Prisons imagi naires», Piranèse
102 IV RAPPORT À L’UNIVERS CARCÉRAL .
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Traités comme une marchandise, ces derniers font ainsi l’objet d’un plan de contrôle des populations dans lequel les camps se multiplient, se perfectionnent et renforcent leur capacité de surveillance. En vue de ces nouvelles po litiques d’accueils, la gestion des migrants est rapidement tombée dans une banalisation de l’enfermement de ces populations. Ces logiques de détentions passent par un large panel de dispositifs architecturaux multiples plus ou moins évocateurs de leur nature. Certains camps sont directement aménagés dans des bâtiments préexistants présentant des limites physiques facilement observables. C’est le cas notamment avec la saisie de vieux hangars, la superposition de préfabriqués, le réaménagement d’anciennes casernes militaires ou encore directement le placement des individus au cœur de prisons. Bien sou vent, ces camps fermés sont enclavés de murs, de barbe lés ou encore de grillages. Dans ces cas là, la référence à l’univers carcéral est ra pidement établie. L’enfermement par la mise en place de palissades tout autour du camp dépasse l’unique bar rière physique mais reprend les principes médiévaux de terreur2. Si, l’enceinte close quitte l’aspect monolithique des murailles en pierre dessinées par Piranèse dans ses travaux sur les « Prisons imaginaires » (Figure 25), elle n’en reste pas moins un levier mental pour contenir les populations. Les grillages et les barbelés malgré une ap parence fragile et perméable, maintiennent chez les dé tenus une peur de les franchir avec leurs ornementations de pics et la possibilité d’être vu même une fois échappé du camp. De ce fait l’architecture joue un rôle primordial dans la concentration des migrants au sein des camps de réfugiés, par son aspect symbolique et la limite physique qu’elle engendre. Pourtant l’enfermement ne s’arrête pas à ces modèles de camps, d’autres « ouverts » s’inspirent de l’héritage carcéral pour invisibiliser la détention des mi grants avec des durées d’enfermement pouvant atteindre jusqu’à 18 mois avant toute ré-expatriation1. Pour continuer dans cette lignée des dispositifs archi tecturaux visant à renforcer l’incarcération des migrants, il est nécessaire d’évoquer la figure du mirador et des 1 : Arbogast (Lydie), «La détention des migrants dans l’Union européenne : un business florissant», Migreu rop, 2016 2 : Claustre (Julie), Les prisons médiévales de Paris, (Figure2015 25), «Prisons imagi naires», Piranèse, p103
104 dans le but de renforcer l’imperméabilité de nos frontières. Parmi ses projets, nous retrouvons des « chiens renifleurs mécaniques » (projet Handhold – 3,5 millions d’euros), des drones pour surveiller les frontières ter restres ( Projet Talos – 12,9 millions d’euros ) et maritimes ( Projet I2C – 9,9 millions d’euros ) ou encore un système de surveillance satellitaire ( Projet Limes – 11,9 millions d’euros )1. Parallèlement à cela mais dans une même optique, les états nations membres de l’UE ont entrepris de développer tout un arsenal législatif et administratif pour accueillir les migrants, les trier et enfin les renvoyer.
105 autres infrastructures mises à disposition des autorités pour assouvir un contrôle permanent. Nous abordions dans le seuil de cette première partie à travers le Cerclon de Damasio1, les qualités voyeuristes des tours de surveil lance aussi intitulées tours panoptiques. « Chaque secteur possédait sa tour qui, quoique fichée en plein centre et dominant par sa taille tous les autres bâtiments, avait ceci de remarquable que personne n’en parlait jamais. (…)] [Les tours panoptiques] étaient ouvertes à tout le monde (…). A partir du dixième [étage], sur le pourtour, face à la baie vitrée, avaient été aménagés une cinquan taine de boxes, fermés par des portes, qui pouvaient ac cueillir une personne. (…) On s’installait à la table, on ajustait les jumelles et on commençait à balayer l’hori zon. »1 (Figure 26) Damasio met en scène dans son ou vrage une dizaine de miradors quadrillant l’ensemble du Cerclon. Ces derniers supportent le poids de la sur veillance au sein de la cité en permettant au citoyen en charge de la supervision de cette dernière de mirer chaque individu. Ces tours, si elles se font moins nombreuses à notre époque avec le développement des nouvelles tech nologies de sécurité continuent cependant d’être des ar chitectures récurrentes dans les camps de migrants. La vidéosurveillance est d’ailleurs fortement présente dans l’œuvre de Damasio et comme dans les camps de réfugiés la tour panoptique2 a en faite, une portée psychologique sur les migrants. L’importante visibilité qui lui est donnée depuis les rues étroites des camps, renforce son impact symbolique. Même si elle n’est pas la première méthodes de surveillance, la tour panoptique plonge les migrants dans un sentiment d’être épiés en permanence, millimétrant leur moindre geste. Cette pratique fait naître au sein des camps une forme d’auto-contrôle de ses dé tenus qui participent inconsciemment à leur enfermement. Elle profite ainsi des typologies d’habitations rudimen taires, pouvant pénétrer le peu d’intimité laissée aux mi grants. Comme ce fût le cas à Calais avant l’installation des cabanes habitées où seules la toison translucide des tentes séparait les foyers des espaces communs Là encore, il est possible de tracer une filiation entre ces camps et le Cerclon de Damasio1. Son auteur décrivait les habitations des résidants du Cerclon, comme des boites impersonnelles confectionnées à partir de pan neaux transparents. Aucune limite visuelle n’y est pensée, de telle manière que l’ensemble des infrastructures de surveillance pouvaient pénétrer l’intimité des logis sans encombre. Processus qui n’est pas sans rappeler le fonc tionnement du système carcéral avec ses cellules ébréchées de barreaux métalliques, chacune tournée vers les espaces de circulations utilisées par les gardiens, sur lesquels viennent se greffer caméras et détecteurs3 Ces lieux se voulant « ouverts » font le choix de se pla 1 : Damasio (Alain), Le dehors de toute chose, La Volte, 2016 2 : Foucault (Michel), Surveil ler et punir, Gallimard, 2016 3 : Chareton (Gabriel), Bienvenue en prison, Mé moire d’architecture,2018-2019année (Figure 26), «Le système panoptique», Recherches scénographiques, Vue de cerclon, Kessler (Daniel),p107
106 cer dans des territoires isolés, mettant à l’écart ses po pulations migratoires sous couvert d’une volonté de les accueillir. Se détournement des voies classiques s’appa rente plus à une logique de confinement, de mise en retrait des migrants. Si la Jungle de Calais, compile les deux typologies d’enfermement, elle se présente comme un exemple parfait d’archipel, perdu au milieu d’un dehors inaccessible. Même si nous enlevions les clôtures entourant la Jungle une par une, elle n’en resterait pas moins fortement isolée du reste de la ville. Cependant se pré sente à nous la question de la perméabilité de ces lieux qui s’ils sont privatifs de liberté n’en gardent pas moins un certain rapport au dehors. L’anthropologue Didier Fassin disait au sujet des prisons « l’univers carcéral a beau être fermé, il n’en est pas moins poreux »1, il n’a pas vocation à être strictement hermétique. Son enceinte est pensée de manière à maintenir en permanence un lien entre le dedans et le dehors. Pour les prisonniers, c’est l’objet du parloir2 qui fait office de contact avec les individus extérieurs à l’enceinte. Ce dernier permet au détenu d’éviter de sombrer dans des sentiments d’oublis ou de rejet, elle les maintient partielle ment dans la société qui les a écarté. Ainsi comme dans les camps, on note l’émergence de zones d’échanges avec l’extérieur. Les prisonniers pouvant utiliser le parloir pour se rassurer, s’exprimer et discuter avec leurs proches tandis que les migrants, eux, se servent des cafés et des restaurants pour dénoncer et revendiquer leurs conditions de vie auprès des médias. On retrouve également un second moyen de communication sem blable à ces deux figures. La discussion épistolaire, qui même si elle est bien souvent contrôlée et détournée par les autorités permet aux migrants comme aux détenus de chercher des soutients extérieurs. Les lettres pouvant être échangées sur de longues distances, donnent la possi bilité aux migrants de garder un contact stable avec leur pays d’origine3. Enfin, intervient la dimension paysagère avec l’ampleur des vues vers l’extérieur. Bien souvent, ses dernières sont extrêmement limitées, se résumant à un cadrage mo notone du ciel. Que ce soit depuis les espaces de circulation ou bien depuis les cellules, la prison n’offre qu’un champs de vision considérablement restreint. L’absence de vue vers le lointain, de perspéctive ou encore de per cée paysagère provoquant de forte perte de repère chez les hommes, elle les enfonçe dans l’enfermement. Voir uniquement un ciel ne permet pas de se sentir libre, et cela le système carcéral l’applique à merveille, en obs truant de barreaux et de caillebotis la moindre ouverture vers l’extérieur4. Depuis les espaces de promenades ce sont sur des filets et des murs en bétons que les regards sont portés. 1 : Fassin (Didier), L’ombre du monde : Une anthropolo gie de la condition carcérale, Seuil, 2015 2 : Chareton (Gabriel), Bienvenue en prison, Mé moire d’architecture, année 32018-2019:DelGrande (Giulia), L’importance des lettres dans l’expérience migratoire, 42017:Foucault (Michel), Surveil ler et punir, Gallimard, 2016 (Figure 26), «Le système panoptique», Recherches scénographiques, Vue de cerclon, Kessler (Daniel)
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Mais l’enceinte peut avoir une double signification, si elle est souvent rattachée à l’élément qui entoure, elle est éga lement l’élément entouré. L’enceinte est à la fois la fron1 : Krolund (S), «La sortie de prison, dans Les Pieds sur terre», France Inter, 2014 2 : Collectif PEROU, Atlas d’une cité potentielle, Calais, New Jungle, 2015-2016, Juil let 2016 publication digitale (Figure 27), «Les limites visuelles», PEROU, p110
Ainsi, il semble que la prison n’offre à voir qu’elle-même. Une logique et une volonté que l’on retrouve également dans les camps de réfugiés qui d’apparence ouvert, reste des territoires isolés. Une manière de réfléchir l’architecture comme une œillère qui pose des questions éthiques quand à la santé mentale de ses usagers. Sou cis porté sur le devant de la scène par un ex-détenu in vité au plateau de l’émission « les pieds sur terre », qui disait à ce sujet « ça fait du bien d’être dehors. Je vois autre chose que des murs et des barreaux. Je revis »1. La Jungle de Calais reprend parfaitement cette corrélation à l’archétype du «donner à voir » présent dans l’univers carcéral. Le camp a été implanté au cœur d’anciens marécages, légèrement en deçà de la chaussée de l’autoroute. Au nord, là où il pourrait aller chercher des vues sur le littoral, la jungle donne à voir sur des massifs d’arbres méthodiquement alignés, agissant comme un écran et interdisant toute fuite visuelle vers la Manche. Ses autres côtés font quant à eux front à la présence de soulevées de sable créant de nombreux talus. Ce procédé empêche notamment les migrants de voir depuis leurs habitations et les espaces de circulation, autre chose que le toit des camions circulant sur les axes routiers qui enclavent au Sud, à l’Ouest et à l’Est, le camp2. Même si de rares regards peuvent être portés sur les plaines agricoles ou encore l’aérodrome de Calais, ses derniers sont contraints par des barrières visuelles (Figure 27). Ce ne sont ici pas des barreaux ou bien des caillebotis qui bloquent les vues, mais des grillages ou des barbelés, découpant les quelques percées paysagères sur le Dehors. Une nouvelle fois, la figure du camp se mêle à l’univers carcé ral de par sa logique nombriliste, renforçant le sentiment d’enfermement chez ses usagers. Cette dernière sous partie revient en quelque sorte ap puyer le constat effectué en début de partie, sur la décon struction et l’aspect néfaste de la figure du camp. Si nous avons démontré qu’un camp est capable de proposer des espaces de vie habitables et de constituer une micro-so ciété, il n’en est pas moins vrai de dire qu’il favorise l’en fermement. Un point nettement développé dans cet ultime acte au travers de la référence à l’univers carcéral. Parmi l’ensemble des procédés décortiqués précédemment, j’ai merai revenir sur la notion d’enceinte pour nuancer mon propos au sujet de son rôle dans les camps. Le système carcéral s’est contenté de développer l’enceinte comme un élément purement privatif de liberté. Comme les murs démesurés d’une forteresse privatrice de liberté de mou vement, dont le seul but serait de poser des barrières infranchissables aux usagers qui l’habitent.
L’enceinte à vocation à protéger les migrants de tout acte terroriste en provenance de son monde extra-muros. La crise migratoire alimente ces dernières années les débats politiques, nourissant la xénophobie et le racisme de nombreux individus. Face à cela, les camps doivent se prémunir et protéger leurs occupants. En 2020, trois per sonnes, deux réfugiés et un médecin, ont ainsi trouvé la mort lors d’un acte terroriste lancé à l’encontre d’un camp malien1. Ces attaques sont récurrentes partout dans le monde et de ce fait rendent la figure architecturale de l’enceinte plus complexe que dans l’univers carcéral. Se posant la question de comment la rendre plus habitable, de renverser peu à peu son rôle d’enclave pour tendre vers un redessin des camps de réfugiés. La question de l’invisibilisation de l’enceinte sera d’ailleurs reconvoquée et développée dans la troisième partie à partir des travaux de l’architecte Aldo Van Eyck2 sur les aires de jeu. Les camps de réfugiés entretiennent ainsi de nombreux rapports à l’univers carcéral que ce soit de par la réutilisa tion de typologies bâtis, l’utilisation de technologies de vidéosurveillance, une perméabilité relative ou encore une communion quasi inexistence avec le paysage. Néan moins, il est nécessaire de contraster ce bilan comme le montre la figure de l’enceinte. Les deux univers, migra toire et carcéral, ne peuvent être étudiés selon les mêmes prismes ce qui reviendrait à nier la différences entre déte nu et migrant.
109 1 : «Mali : un camp de la MINUSMA ciblé par deux explosions », RTBF Info, 2020 2 : Chareton (Gabriel), Bienvenue en prison, Mé moire d’architecture,2018-2019année tière et l’intériorité. Si dans l’univers carcéral cette der nière se suffit à définir les limites physiques de la prison, elle occupe une place plus nuancée dans les camps de réfugiés. Au-delà de son rôle de conteneur l’enceinte est aussi une ceinture protectrice du Dedans par rapport au Dehors, et non l’inverse. Elle à cette double fonction de devoir enfermer et concentrer une population de manière autoritaire tout en usant de sa force pour protéger ses détenus. Elle est néfaste et bénéfique à la fois puisqu’elle est nécessaire à l’état nation pour assouvir son contrôle, au tant qu’elle l’est pour les migrants face au repli identitaire.
110 7Dans la jungle DANS LA JUNGLE (Figure 27) «Limite 1», Atlas d’une cité potentielle, Calais, New Jungle, 2015-2016PEROU
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«La définition la plus claire que les pouvoirs avaient finalement donnés au Dehors tenait en un mot : Zone. Et ce mot était le grand sac qui enveloppait tout, qui ne cherchait surtout pas à décompo ser cette complexité mouvante de formes et de forces qui, au reste, faisait peur. La zone du Dehors c’était simplement ce qui n’était pas Cerclon : un non-Cerclon si l’on voulait. Un non lieu... Un non lieu pour tous les délinquants, les tueurs et les fous furieux.» Alain Damasio (La Zone du Dehors, 2009)
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Le Dehors,
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A travers cette seconde partie il est désormais temps de nous pencher sur la signification du Dehors, zone sans la quelle aucun Dedans ne serait envisageable. C’est cette chose qui englobe toute autre, il est donc nécessaire de réaliser un saut d’échelle pour quitter celle du camp et se concentrer sur les tissus qui l’entourent. Pour rendre compte de ce Dehors nous allons reprendre, ou plutôt prolonger notre étude du texte Le dehors de toute chose rédigé par Alain Damasio en le reprenant où nous l’avions laissé. C’est-à-dire lorsque le Dedans en venait à perdre son masque d’hospitalité, poussant ses habitants à se tourner vers ses abords. De manière paradoxale, la grandeur et l’utopisme préten dus du Cerclon est entaché par un important manque, d’espaces privés et de ce fait d’intimité. Une sensation amère qui va pousser ses résidents à porter de nouveaux regards vers l’extérieur de la colonie. D’abord présenté comme insignifiant, vide, informe ou encore négligeable, le Dehors va rapidement basculer avec onirisme, en nou vel Eldorado. Émerge ainsi, l’idée d’un Dehors, dans l’au-delà de ce monde clos. Cerclon est « une coquette prison construite au compas, lisse et aplanie, […] avec sa gravité constante, son oxygène homogénéiquement bleu qui suintait des turbines, ses tours sans opacité, ses avenues sans ombre, blanche de la peur des angles morts »1. Tandis qu’a contrario le Dehors apparait lui comme un monde sauvage à conquérir, immense et sans limite se dressant comme le théâtre des possibles. Le Dehors se veut en quelque sorte comme une expansion de l’être intime, un territoire propre à l’imagination. Son «immensité intime », comme l’expliquait Gaston Bache lard dans son ouvrage poétique de l’espace2, relève de la rêverie et de l’infinité. C’est dans ce Dehors que les individus pourront libérer leurs esprits, autrefois assujettis par le fonctionnement du Cerclon. Cette zone se présente donc comme un nou veau souffle, un for-intérieur émancipé de toutes restrictions et surveillance. Le Dehors est un territoire de liberté qui existe en faisant fi de toutes règles, il ne répond pas à la dictature instaurée au sein du Cerclon. Il devient presque un non lieu où toutes les cartes sont rebattues. « La raide figure de Cerclon, idée parfaite, n’est qu’un masque mort, hypocrite, une défiguration, alors que la figure labile du Dehors, aussi imparfaite que l’humani té, est un visage, un soi qui perce la figure et s’exprime»3. 1 : Damasio (Alain), Le dehors de toute chose, La Volte, 2016 2 : Bachelard (Gaston), La poétique de l’espace, PUF, 31957:Levinas (Emmanuel), Totalité et infini, Livre de poche, 1971
114 SEUIL .
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Le Dehors est accueillant et hospitalier, il invite les habitants des camps à s’aventurer dans ses marges et ses recoins. A savoir dans un à-côté qui balance entre pro messe et exclusion. Cette seconde partie s’éloignera de la figure du camp étu diée en amont sans pour autant en quitter les principes et les mécaniques analysées. L’idée étant de les ré-interro ger sous un nouveaux regard, celui du Dehors, de ma nière à nourrir un nouveau cas d’étude. Dans un premier temps, nous nous attellerons à la compréhension de ce rejet des infrastructures d’accueil françaises. Pour cela nous retracerons des parcours de vie de migrants et discu terons des conditions d’obtention du titre de réfugié. Dans un seconde partie, il s’agira de faire appel à notre second grand cas d’étude, Paris, ville de errance. La capitale étant l’hôte forcée de multiples infrastructures d’accueil illégales que nous auront à cœur d’analyser ensemble. Une fois un portrait général de la situation parisienne dressé, nous nous intéresserons au cas du quartier de la Chapelle. Et cela plus précisément en portant notre re gard sur le Très Grand Hôtel qui a accueilli pendant de nombreuses années l’un des projets les plus marquants d’hospitalité envers les migrants. Enfin, suivant la trame de la première partie, nous terminerons ce deuxième acte en allant étudier le rapport qu’entretient le Dehors avec l’idée de mépris. Chose que nous développerons à travers le mobilier urbain et l’aménagement des espaces publics à l’aide des travaux de Mickael Labbé au sujet de l’archi tecture du mépris1 1 : Labbé (Michel), Archi tecture du mépris, Payot,Editeur2019
De ce fait, le Dehors de Damasio malgré son imparfait, peut être perçu comme une émancipation. Si nous consi dérions précédemment le Cerclon comme une méta phore des camps de réfugiés, cette allégorie s’en voit renforcée. En effet, la crise migratoire et notamment son ampleur en France nous a révélé un important rejet des systèmes et des infrastructures d’accueils. Un refus du Dedans qui a été accompagné par un désir de s’en extir per pour rejoindre son à-côté. De ce fait à notre époque de plus en plus de réfugiés tentent de s’accommoder et de survivre en Dehors de ces institutions en vivant tel des ermites au sein même du tissu urbain français. Il ne s’agit plus d’habiter le camp mais bien de faire de la ville un foyer, un nouvel horizon des possibles. Ce Dehors dont parle donc Damasio s’apparenterait dans le cadre de mon énoncé théorique à la ville, son tissu et ses réseaux. Une terre hospitalière d’apparence mais cependant toujours imparfaite, comme empoisonnée par le système so ciétal générique.
116 (Figure 28) La zone du dehors Blade Runner 2049, 2017
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1 : Etablissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte), Directive 2013/33/UE du parlement européen et du conseil, 2013 2 : Spire (Alexis), Histoire et ethnographie d’un sens pra tique : le travail bureaucra tique des agents de contrôle de l’immigration, Recherche 3 : (Marie-Laure),Basilien-Gainche
118 I REJET DES AUTRES FIGURES D’ACCUEIL .
Regard critique sur le régime d’asile européen commun. La persistance d’une conception restrictive de la protection, (FigureArt 29), «Chambre 1», Photographie, Fedasil, 2020 (Figure 30), «Chambre 2», Photographie, Fedasil, 2020 (Figure 31), « l’enregistre ment des demandes d’asile», Photographie, Fedasil, 2020
La directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 considère qu’ « il convient d’adopter des normes pour l’accueil des de mandeurs qui suffisent à leur garantir un niveau de vie digne et des conditions de vie comparables dans tous les États membres »1. Cette directive adoptée dans un contexte d’augmentation du nombre de migrants sur le territoire européen met en évidence une tendance politique à vouloir nourrir si ce n’est intensifier une vision restrictive de l’accueil. La phrase ci-après qui résume le droit d’asile en Europe à « une incitation au détourne ment de la procédure d’asile à des fins migratoires »1, montre que l’étranger est perçu comme un « fraudeur »2. Un constat pointé du doigt par de nombreux intellectuels qui va amener l’Europe à reconsidérer une nouvelle loi en 2015. Cette dernière, si elle va tendre à proposer de nou velles garanties aux migrants, va dans un même temps accentuer un conditionnement de leurs droits. Mais son plus grand manquement, s’exprimera à travers les mo dalités d’hébergement des migrants qui ne vont pas être requestionnés. Un manque mis en avant par Marie-Laure Basilien-Gainche, soulignant que « la sous-dotation structurelle du dispositif national d’accueil et l’insuffi sance manifeste de l’allocation temporaire d’attente […] ne peuvent garantir aux demandeurs d’asile des condi tions de vie dignes »3. Afin de nous projeter vers le Dehors nous allons nous pencher sur le cas d’autres struc tures d’accueil que les camps de migrants pour mieux comprendre ce rejet des centres d’accueil en général. Au-delà du camp, font office de centre d’hébergement les CADA (Centre d’Hébergement des Demandeurs d’Asile) accompagnés par quelques autres structures d’accueil, toutes supervisées par les pouvoirs publics. Ces derniers sont lancés en 1991, deux mois seulement après la suppression du droit au travail des demandeurs d’asile. Les CADA ont été instaurés pour venir épau ler les CPH (Centre provisoire d’Hébergement) qui se concentrent uniquement sur l’accueil des étrangers ayant obtenu le titre de réfugiés (Figure 31). Ces structures d’hé bergement se distinguent du camp car elles ne sont pas intrinsèquement liées à la notion de Dedans, elles ne sont que partiellement fermées. En effet, les demandeurs d’asile qui y sont logés peuvent entrer et sortir de ma nière relativement libre. La circulation des résidents est permise mais toutefois extrêmement controlée et régulée, comme le montre ce passage tiré d’un contrat de séjour «le demandeur d’asile qui souhaite s’absenter plus d’un
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120 jour doit en informer l’équipe du centre. Toute absence de plus de cinq jours doit être autorisée par le respon sable du centre.»1. Dans un souci de contrôle similaire, les entrées sont également surveillées et cela notamment pour éviter que les résidents ne permettent à des migrants extérieurs de profiter des locaux. De fait il était nécessaire de traiter différemment la figure du camp des autres infrastructures d’accueil, plus poreuses. Avec ces deux infrastructures administratives (CADA et CPH) s’opère également une distinction entre le demandeur d’asile et le réfugié. Les CADA ayant pour but de loger et de permettre aux migrants en attente d’une validation de leur demande d’asile de bénéficier d’un accompagnement social et administratif. Le CADA n’est pas à proprement parler une infrastructure de lo gement, puisqu’il préconise un éclatement de l’héberge ment des demandeurs d’asile. Ces derniers se voyant pla cés dans différents foyers éparpillés aux quatre coins de la ville, voir de la région sur laquelle le CADA rayonne. Comme pour l’obtention du titre de réfugié, l’acceptation d’une demande de placement au sein d’un CADA consti tue une denrée rare. Malgré une augmentation sensible chaque année des capacités de ces centres, on remarque que ces derniers sont incapables d’accueillir l’ensemble des demandeurs2. De plus les demandes sont triées selon différents critères d’urgence sociale. Les priorités d’accès sont ainsi les suivantes2 : demandeurs d’asile ayant des problèmes de santé, jeunes majeurs isolés, primo-arri vants, femmes seules. Et additionellement à cette pre mière sélection, un second tri est réalisé au sein même des « catégories » énoncées ci-dessus en raison du nombre de demandeurs éligibles qui dépasse largement les capacités d’accueil. Les CADA mettent donc en place de nombreuses formes de contrôle au sein de leurs murs et au-delà, que ce soit à travers les déplacements de leurs résidents ou bien sur le choix des populations accueillies. Une volonté de controle qui ne s’arrête pas là car de nom breux autres dispositifs sont mis en place, pour rendre l’accès et les conditions de vie des résidents de plus en plus difficiles. Couplées avec la suppression du droit du travail des demandeurs d’asile, les subventions allouées aux migrants par les CADA renforcent la dépendance économique des demandeurs d’asile vis-à-vis de ces infrastructures3. Dans l’incapacité de disposer d’un salaire ou d’un revenu personnel, cette dépendance économique va renforcer une main mise sur les demandeurs d’asile. Les CADA prennent en charge le coût de l’hébergement, les dépenses liées à la nourriture et aux déplacements
1 : Extrait d’un règlement intérieur d’un Cada que les nouveaux arrivants devaient signer en 2003 2 : Kobelinsky (Carolina), « Accueil ou contrôle ? », Plein droit, 2015, n°105 3 : Boutiflat (Jean-Marie), « Accueillir et non contrôler », Plein droit, 2009, n°81
1 : Kobelinsky (Carolina), Il n’y a que l’expulsion à l’ho rizon » : Le dilemme des tra vailleurs sociaux des centres d’accueil pour demandeurs d’asile en France, Le sujet dans la cité, 2012 (Figure 29), «Chambre 1», Photographie, Fedasil, 2020,p119 (Figure 30), «Chambre 2», Photographie, Fedasil, 2020,p119
121 avec le don de tickets de métro. Une aide sociale mini male et calculée pour simplement permettre à ses bé néficiaires de survivre. Tout cela va les inciter à travailler dans l’illégalité en Dehors des centres. Une pratique qui perdure et qui place l’étranger dans une situation encore plus précaire, en plus de l’infantiliser en le mettant volontairement sous tutelle de l’Etat. Les encadrants des CADA eux-même, dénoncent une situation dans laquelle les mi grants sont « traités comme des enfants à l’école »1. Le recours au travail clandestin devient en quelque sorte iné luctable en raison des politiques d’accueil de l’Etat. Cette situation va ensuite faciliter les procédures d’expulsion des résidents des CADA en cas de mise en évidence de la fraude. Mécanisme pervert qui pousse les migrants à mettre en danger leur séjour en France. Ces difficultés à habiter viablement les CADA se traduisent également d’un point de vue architectural. En effet, de part l’éclatement de l’hébergement au sein de différents foyers et les rotations d’un logement à l’autre, toute ap propriation d’un lieu est rendue impossible. Comme pour les containers du camp de Calais, les logements sont par conséquence froids et impersonnels, sans véritable qualité spatiale (Figure 29) et (Figure 30). La plupart partagés, ils n’offrent pas de véritable chez-soi aux migrants qui n’y trouvent aucune intimité. Les pièces d’eau et autres espaces de toilettes sont centralisés renforçant par la même occasion cette sensation de promiscuité avec au trui et d’inconfort. Les CADA prônent une architecture transitoire et efficace, axée « dortoir ». Si quelques salles communes présentent des usages autres que ceux de la chambrée, ces dernières font toujours office d’une sur veillance accrue. C’est par exemple le cas des salles de lecture dans lesquelles les demandeurs d’asile reçoivent leur courrier. Ces courts moments d’évasion pourtant pri sés, sont fortement contrôlés par les travailleurs sociaux des CADA. Les destinataires des lettres se retrouvent obliger de devoir lire leur courrier sous la tutelle d’une tierce personne1. Courrier ensuite photocopié et archivé par l’administration de chaque centre d’hébergement, marquant ainsi une nouvelle violation de l’intimité des ré Peusidents.àpeu on remarque que la fonction sociale des CADA s’est vu dépassée si ce n’est remplacée par une logique de chiffrage en accord avec celle de contrôle. Les tra vailleurs sociaux tels des comptables reconnaissent euxmêmes subir une politique du chiffre. « Je suis pessimiste mais je sens que je ne fais plus de l’accompagnement social, que tout ce que je fais relève de l’administratif.
Il est donc impossible de voir dans les Centre d’Accueils et d’Hébergement des demandeurs d’asile une solution durable pour les étrangers car leur seule finalité semble être l’expulsion. Constat mis en avant par Florence, in tervenante dans un CADA à travers ces phrases, «T’as vu ce matin Céline [une des responsables du CADA] dire que s’ils sont rejetés c’est plus facile [Elle mime la scène] : “je n’ai aucun mal à virer les déboutés”. Tout est pour faire semblant… Ce n’est pas des personnes, que des chiffres, c’est pour ça qu’on a fait sortir les Ashi. Maintenant on préfère les débouter, ça part plus vite »4 Le rôle des travailleurs sociaux oscille entre leurs idéaux 1 : Kobelinsky (Carolina), Il n’y a que l’expulsion à l’ho rizon » : Le dilemme des tra vailleurs sociaux des centres d’accueil pour demandeurs d’asile en France, Le sujet dans la cité, 2012, (notes de terrain, 17/02/04)
2 : Missions des centres d‘accueil pour demandeurs d‘asile, aux d‘admissionmodalitésdanscescentres et de sortie de ces centres et au pilotage du dispositif national d‘accueil, Circulaire n° DPM/CI3/2007, 2007 3 : Kobelinsky (Carolina), Il n’y a que l’expulsion à l’ho rizon » : Le dilemme des tra vailleurs sociaux des centres d’accueil pour demandeurs d’asile en France, Le sujet dans la cité, 2012, (notes de terrain, Estelle, intervenante au cada, 30/11/07)
Je ne suis plus dans le social. [Avant] je sentais que je participais à une réflexion, maintenant il n’y a plus de réflexion, il n’y a plus de social. On travaille pour en trer dans le cadre du règlement, pour faire du chiffre et c’est tout. »1. Ce bilan est particulièrement présent dans la gestion des sorties, l’Etat exerçant une pression énorme sur les CADA pour intensifier les rotations au sein des centres. Tout semble être pensé de manière à réduire le plus que possible le temps de transit des demandeurs d’asile. De plus, au-delà du fort contrôle exercé sur les résidents et de leur infantilisation, les temps d’accueils posent également question. Les demandeurs d’asile ne disposent que de 3 mois pour obtenir le statut de réfugié leur octroyant les droits d’accès aux CPH ou bien aux allo cations sociales2. Un délai trop court qui accentue pour les demandeurs d’asile, une perspective d’expulsion de tous les centres d’accueils étatiques. Une fois le délai expiré, le demandeur d’asile doit trouver une solution individuelle et dispose d’un unique mois pour quitter définitivement le centre. En effet désormais faire sortir les déboutés du droit d’asile par la force fait partie intégrante des taches des travailleurs sociaux. «Ils vont être contraints de quit ter les centres manu militari, je ne sais pas concrète ment comment ça va se faire mais dans les textes c’est possible (…) Et nous dans tout ça, je pense qu’on va basculer vers… on n’est plus dans l’humain. On va être des interlocuteurs des agences de voyages. [Changeant la voix] T’es congolais, attends j’appelle l’ANAEM et on fixe une date pour le départ. Je vais venir habillée en gen darme. »3. La métaphore du gendarme utilisée ci-dessus par l’intervenante ne fait que mettre en avant l’abandon des principes fondateurs du travail social. Le métier d’ori gine se voyant écrasé par des logiques administratives, des logiques de contrôle et des logiques de chiffrage et de rentabilité.
4 : Kobelinsky (Carolina), Il n’y a que l’expulsion à l’horizon » : Le dilemme des travailleurs sociaux des centres d’accueil pour de mandeurs d’asile en France, Le sujet dans la cité, 2012, (notes de terrain, Florence, intervenante, 17/02/04)
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Cependant malgré ces troubles et ces souffrances psy chiques les migrants semblent peu à peu préférer vivre illégalement dans un Dehors pourtant hostile et précaire plutôt que de dépendre des camps ou des CADA. La rue, et à plus grande échelle les villes offrent de nouvelles perspectives de vie pour ces derniers. Paris en est d’ail leurs sûrement l’exemple le plus parlant. Au fil des der nières années de nombreux réseaux s’y sont développés en dehors du système d’accueil officiel Français. On peut y observer à la fois une mobilisation massive des habi tants et un renforcement du tissu associatif local. Tous deux œuvrant souvent main dans la main pour pallier aux manquements des infrastructures d’hébergement. Il es tfacile de constater que Paris connaît ces dernières an nées, de plus en plus de difficultés à répondre aux be soins des migrants.
3 : Rapport, SAMDARRA : Santé mentale, précarité, de mandeurs d’asile et réfugiés en Rhône-Alpes
123 et les pratiques autoritaires qui leur sont imposées. Les CADA ne peuvent offrir un accueil hospitalier et poussent les étrangers à quitter cet entre-deux en les obigeant à fuir vers le Dehors, malgré une précarisation de leur si tuation. Ne reste plus aux migrants alors, que la rue Si, la plupart des anciens résidents des CADA se voient projetés à l’extérieur de ces institutions, ils ne font que rejoindre une grande partie des demandeurs d’asile déja présents sur le territoire Français. Comme dit pré cédemment, les places dans ce genre d’infrastructure d’accueil se font rares et difficiles à obtenir en raison du système de tri. En effet, on remarque qu’une majeure partie des primo-arrivants se retrouve dès leur arrivée en France, contraint à survivre dans la rue. Ce sont pour la plupart des hommes, ces derniers étant tenus à l’écart des centres d’hébergement, errants au Dehors du système d’accueil. Livrés à une immense précarité, ils sont toutefois acceptés dans certaines autres infrastructures d’hébergement, au maximum 2 nuits par semaine1. Pour résister à l’insécurité et l’épuisement dominant leur vie, ils tentent quelque fois de se réfugier dans les salles d’attente des hôpitaux qui les tolèrent temporairement. Ces habitants de la rue sont victimes de nombreux trau matismes psychiques comme le relève l’UMAPPP2. Le manque de continuité de leur existence, intensifié par une anxiété permanente liée à une perte de confiance en leur futur, en autrui ou en eux-mêmes entraine une déréalisa tion et la venue de graves troubles psychiques. Ce phéno mène aussi appelé syndrome de dépersonnalisation met en évidence chez les migrants un détachement de leur propre corps ou de l’environnement qui les entours3.
1 : Jan (Olivier), « Bienvenus en France ? », VST - Vie sociale et traitements , n°1202013, 2 : Rapport, Unité mobile ac tion psychiatriqueprécariséespersonnes
Comme pour les habitants du cerclon1, les demandeurs d’asile rêvent donc de se projeter vers l’extérieur, vers un Dehors, incertain et inconnu mais peut-être plus hospita lier. Cette volonté de fuite est d’ailleurs plus que présente dans les témoignages des résidents de la Jungle de Ca lais que nous convoquions dans notre partie précédente et dans l’immersion. C’est pourquoi avec les témoignages de ces derniers, nous mettrons un terme à cette première sous-partie pour exposer dès maintenant l’attrait que représente, le Dehors
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1 : Damasio (Alain), Le dehors de toute chose, La Volte, (Figure201632), « L’accompa gnement », Photographie, Armée du salut, 2020
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Ali Bajdar, du Pakistan (p229) i Je rêve simplement de vivre comme les autres. Je ne veux pas de guerre. Je rêve d’aller à l’école comme tout le monde. Je veux une famille. Une petite famille, pas plus de trois enfants. Peut être même un ou deux. J’adorerais devenir comptable, parce que ma famille n’a jamais eu d’argent, donc je veux aider les pauvres. Mon plus grand rêve (si j’avais beaucoup d’argent) serait d’ouvrir un hôpital où les gens pourraient recevoir par exemple des greffes de rein. Je voudrais vivre au Royaume-Uni parce qu’il y a un système d’assurance maladie, et parce que ma mère m’a dit qu’ils pourront s’occuper de moi là-bas. Je veux apprendre l’anglais, je pratiquais tous les jours à Calais, dans la «jungle». J’avais un bon professeur. Elle me disait de ne pas essayer de sauter à bord d’un train. C’est trop dange reux pour moi. Alors je ne le fais pas. Mon ami essayait de sauter un soir et le gars avec qui il était est tombé sur les rails Mon village tel que je le connaissais a disparu. Je n’ai pas de famille là-bas. Ils sont tous partis. Une partie de la famille de mon ami s’est noyée dans la mer Egée. Nous avons beaucoup perdu et la guerre continue chaque jour en Irak. Il n’y a rien à retrouver là-bas. Je pourrais en parler, mais pas maintenant. Je ne peux plus écrire à ce sujet pour l’instant. Quand je serai en Angleterre, je vous raconterai le reste. On ira à un café et je vous dirai tout ce que j’ai à dire. Une fois au Royaume-Uni, la difficulté à entrer dans l’enseignement supérieur sans accès au crédit ainsi que les grandes incertitudes liées à l’attente d’un statut deviennent problématiques, même pour les étu diants potentiels les plus motivés.j ¦ Africa, du Soudan (p222/233) i J’ai passé mon entretien préliminaire. Je n’ai pas beaucoup de contacts avec mon avocat; elle me dit simplement que je dois attendre. Je n’ai pas le droit de travailler. Je ne peux pas of ficiellement me porter bénévole, à moins qu’une organisation écrive une lettre au ministère de l’Intérieur pour demander la permission. Je ne veux pas : le ministère de l’Intérieur pour
1 : Les voix de la Jungle : Histoire de réfugiés au camp de Calais, La Guillotine, avec La Cimade et Help Refugees, 18 juin 2020
Pour nous plonger pleinement dans le Dehors et quitter cet entre-deux que représentait les CADA, nous allons convoquer une dernière fois une série de témoignages1 Ces derniers qui ont été recueillis au près des 5 mêmes individus qu’auparavant montrent une envie de la part des migrants de s’extirper des systèmes d’accueils réglemen taires. Ce sont des récits qui ont été entendus dans la Jungle de Calais et qui évoque l’après camp. Entre désirs, espoirs et rejet, les interviewers s’éxpriment ici sur leur perspective de vie. La plus part d’entre eux quitteront Calais volontairement ou contraint par la force quelques mois plus tard. Il s’agit donc de leur laisser la parole une troisième et dernière fois.
Quand je suis au centre-ville, je bois le thé dans un café tenu par des Érythréens. Beaucoup d’Africains y vont. Je suis dé tendu là-bas parce que je n’y ressens pas de racisme. Hier, j’avais un ticket de bus pour rentrer du centre-ville. Le chauf feur m’a demandé ma destination, puis il m’a répondu que le bus n’y allait pas, alors que je savais que c’était le bon bus. Je lui ai dit que ça ne le regardait pas, où j’allais, ni pourquoi. Je suis descendu du bus et j’ai pris le suivant. Parfois j’ai du mal à dormir et je fais des cauchemars. Le médecin m’a don né des somnifères, mais je n’en ai pris que quelques-uns; je ne veux pas devenir dépendant. Le ministère de l’Intérieur ne nous traite pas comme des personnes; il ne veut ni nous voir ni nous entendre. On nous traite moins bien qu’on traiterait un animal. j ¦ Teddy, d’Érythrée (p188/229)
i Nous, les Africains, nous n’avons pas d’argent pour les passeurs. La plupart de mes amis du camp sont partis en Angleterre. Certains sont allés en Allemagne. D’autres ont demandé l’asile en France. Dans le camp, on récolte des in formations sur les pays européens et ensuite on décide. J’at tends de voir ce qui va se passer pour aller en Angleterre. J’ai un projet, c’est pour ça que je suis ici. On souffre. Quand on demande l’asile, on obtient à manger et un toit pour vivre. Maintenant, on marche jusqu’à quatre heures pour atteindre la frontière. On est repoussés par la police. On peut survivre à tout. Aujourd’hui, la situation empire et il y a moins de places pour monter dans les camions. Certains parkings de camions ont été démolis. Si la situation ne s’améliore pas, j’irai peutêtre ailleurs, à Paris ou en Allemagne. J’aimerais améliorer ma compréhension des choses par les connaissances. J’admire les héros tels que Nelson Mandela et Malcolm X; leur force me porte. Je ne veux cependant soutenir personne aveuglément, je veux améliorer la situation. Il convient de juger si une idée est utile pour les autres. Je suis intéressé par des cours de type édu cation civique; j’ai choisi cette filière après l’école. J’aimerais en savoir plus. Je me fiche de l’argent, je veux devenir quelqu’un de meilleur. Je veux devenir un homme accompli. j
127 rait ne pas apprécier. C’est dur d’attendre et de ne rien faire : j’aime être occupé et organiser des choses. Parfois, j’aimerais être dans la «jungle», ma « ville dorée». Les conditions étaient très dures, mais je pouvais faire beaucoup de choses. Je fais du bénévolat de façon informelle près de chez moi, j ai travaillé un mois pour une association qui donne des vêtements aux ré fugiés, pour une église qui distribue à manger, et là je traduis pour de nouvelles familles syriennes qui ne parlent pas an glais. J’aimerais suivre des cours d’anglais, mais l’université doit me rappeler, les classes sont complètes pour l’instant. Il y a aussi des cours d’arts martiaux qui reprendront bientôt.
128 ¦ Safia, d’Afghanistan (p189) i Nous réfléchissons aussi à l’asile en France, peut-être qu’une fois que je connaîtrai la langue et les gens, ça ira mieux. Des responsables du gouvernement français sont ve nus avec une carte et m’ont montré certaines régions, mais il n’y avait pas de villes. Ils nous montraient et il fallait se déci der : «Je pourrais aller ici, ici, ou ici à la campagne... Toulon.... Toulon, oui, ici. » Alors ils sont venus au camp et nous ont dit : « Cela prend tant d’heures pour aller ici et tant d’heures pour aller là-bas.» Nous voulions Paris parce que c’est une ville, qu’il y a des hôpitaux, que les villes ont tout le nécessaire. Nous pouvons tout acheter à proximité, tout ce qu’il faut. Ce n’est pas le cas à la campagne, il n’y a rien. J’étais infirmière et mon mari médecin. Je souhaite reprendre mon travail. C’est un travail très respectable, un bon travail. Peut-être que nous resterons ici, nous n’en savons rien. Quand la police viendra, nous resterons ici dans la caravane, parce que nous n’avons aucun autre endroit où aller. Si on nous donne un autre loge ment, nous irons peut-être. Mon voisin est allé dans un centre d’hébergement gouvernemental et est revenu en disant que ça n’allait pas. Il avait une très petite chambre, les lave-linges n’étaient pas bien non plus, donc il est revenu ici. En fait, deux ou trois familles sont allées dans ces logements pour fi nalement revenir dans la «jungle». C’est pour ça que nous ne faisons pas vraiment confiance au système. Nous demande rons peut-être l’asile, nous ne savons pas. Les gens discutent, certains reviennent dans la « jungle» et préfèrent rester ici Je ne veux pas aller à la campagne. En Afghanistan, je vivais en ville. Tout est possible en ville. Surtout pour les hôpitaux, où nous pourrions travailler. À la campagne, sans voiture on ne peut rien faire, on ne peut même pas aller chez le méde cin. Il n’y a pas de travail là-bas. Nous voulons une vie dont nous pouvons profiter, pas une vie épuisante. Espérons que les choses s’améliorent.j ¦ Babak Inaloo, d’Iran (p236-237) i Dans la nuit sombre, leurs visages couverts et inquiets, ils traversent les rues de Calais. En petits groupes, tous le monde dans la même direction, vers le bateau des rêves, peut être le train des rêves. Quand la nuit et le silence enveloppent Calais, mes amis se réveillent. Quand la journée se termine pour beau coup de gens, une nouvelle journée commence pour eux. Ils s’en vont à l’autre bout de la ville. Personne ne sait comment les nuits se passeront à Calais, et sur quoi le jours se lèvera. Ils vont se battre contre les ténèbres, dans les ténèbres. Combien de temps ces guerres vont elles continuer? Cette ville devien dra-t-elle une ville un jours j (Figure 33), «Jeune Wasef, Athènes, Grèce», Robin (FigureHammond34), « Patricia Fatima Houiche, écrivaine de 66 ans», Robin Hammond
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130 (Figure 35) Asad Abdiassiz Dahir, 16 ans Richard Hammond
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132 II PARIS, VILLE DE ERRANCE .
Depuis toujours la capitale a suscité admiration et es poir chez les migrants, portée par son image de « ville lumière» associée au romantisme, à la rêverie et à la réussite. Si Paris a pris une place essentielle dans l’insertion de ses populations immigrantes, elle en en a accepté les influences culturelles par de nombreux aspects1. Ces échanges se sont faits de manière constante et continue au fil des époques avec la succession de déplacés ve nus d’horizons extrêmement variés. Ce sont bel et bien les migrants qui ont activement nourri l’effervescence des cafés, ateliers, marchés ou encore des représentations intellectuelles et culturelles parisiennes. Pas de cafés ni de brasseries, ces hauts lieux de la sociabilité parisienne, sans les Auvergnats, les Aveyronnais, les Kabyles ni, plus récemment, les Wenzhous1 (Figure 36). Il en va de même pour la construction de la ville telle que nous la connaissons aujourd’hui. Pas de grands boulevards haussmanniens, de métro ou encore de périphérique sans des ouvriers recrutés à travers le monde entier. Paris a bâti son image, et cela depuis toujours, avec les colonies françaises et autres immigrés, profitant d’un système d’accueil basé sur une situation d’échange2. L’accueilli s’intégrant dans la ca pitale à la sueur de son front certes, mais dans un climat relativement hospitalier. C’est d’ailleurs, Anne Gotman qui disait que l’hospitalité ne peut qu’exister, en reposant sur un système d’échange3. Asymétrique, elle fait éclore un mécanisme de dons et de contre dons. L’hospitalité ne peut avoir lieu que si les deux parties, l’hôte et l’accueilli acceptent cette situation. En dépit de son passé étroitement lié à l’accueil des mi grants et leur inclusion au sein de sa société, Paris semble avoir perdu ses valeurs de ville hospitalière. Elle nie s’être nourrie des populations immigrantes ou en a tout simple ment oublié l’influence portées sur son dynamise et ses métamorphoses. La capitale française plus que jamais, peine à accueillir de manière durable. Utilisant de plus en plus souvent des mécanismes autoritaires pour réprimer la présence illégale des migrants dans son enceinte. Au trefois bénéficiaire et désormais s’auto identifiant comme victime de la migration, Paris se rend coupable de nom breuses hostilités envers les demandeurs d’asile. Volon tairement ou non d’ailleurs. Les guichets du droit d’asile qui sont chargés en Ile-de-France de recevoir les dépla cés afin de leur attribuer ou non le profil de réfugié sont actuellement dans l’incapacité totale de traiter l’ensemble des demandes. Une réalité qui ne fait que se confirmer d’année en année proportionnellement aux demandes qui 1 : Steiner (Anne) et Conord (Sylvaine), « Portrait d’un bistrot des faubourgs : Le Mistral », Ethnologie fran çaise, vol. 42, 2013 2 : Clerval (Anne), Paris sans le peuple. La gentrification de la capitale, La Décou verte, 2013 3 : Gotman (Anne), Le sens de l’hospitalité: essai sur les fondements sociaux de l’accueil de l’autre, Presses Universitaires de France, (Figure2001 36), « Paris Ville Lumière », Yelter (Nil)
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1. Certains déplacés préférant bien sou vent vivre dans la rue et l’ombre de la capitale plutôt que d’aller en province là où les places dans des infrastructures d’accueil existent. De fait, Paris est sûrement vic time auto-désignée de son succès. Symbole d’espoir pour les migrants, la ville s’inscrit entre des volontés individuelles d’accueils et des lignes politiques de rejets. Pour étudier cette dualité il est temps de nous plonger pleine ment dans son Dehors. Depuis 2014 et cela de manière continue et perpétuelle, des milliers de migrants vivent dans les rues parisiennes2. On pouvait d’ailleurs observer en 2019 l’atteinte d’une situation sans égale dans l’histoire de la capitale avec un pic de 2500 migrants sans abris3 rien qu’à Paris. Constat dont la gravité est renforcée par le profil de ces derniers qui pour au moins 15%3 d’entre eux seraient des « migrants statutaires ». Terme désignant les demandeurs d’asile qui auraient, au vu des critères d’obtention du sta tut de réfugié, dû obtenir sans difficulté un titre de séjour et un hébergement parisien. Pour comprendre en quoi Pa ris est une ville de l’errance nous allons nous appuyer sur deux cartes de l’agglomération parisienne. Elles dévoilent deux « mouvements » successifs. Le premier relate de l’installation des migrants dans les interstices urbains de Paris. Un mode d’habiter informel et principalement illé gal, prenant différentes formes, celles de squats, camps, logements chez l’habitant… Formant une pluralité ha bitée sur laquelle nous reviendrons en détail plus tard dans cette partie. Le second mouvement traite quant à lui de logiques affirmées de réprimandes à l’encontre de ces foyers de fortune. Une nouvelle étape répondant à la première, non plus axée sur une volonté de débusquer pour mettre à l’abri les migrants mais à contrario de débusquer pour les chasser. Les migrants et les forces de l’ordre se livrant à un violent jeu du chat et de la souris moderne. Les deux cartes sur lesquelles nous nous ap puiront s’inspirent de données en provenance d’une mul titude de source compilée. 1 : Les politiques d’heber gement et d’acceuil des réfugiés vers de nouvelles inégalités territoriales ?, Actes du séminaire ENS-IAU, 20 mai 2016, Sur les ques tions urbaines 2 : Migreurop 3 : Brancato (Rémi), « Paris : les associations pointent un nombre «jamais vu» de migrants à la rue », 2019
134 augmentent, 55 000 en 2014 pour 70 000 en 20151. Ainsi les déplacés en attente d’audience mais aussi les nom breux déboutés du droit d’asile (77% des demandeurs) se voient obligés d’établir des camps éphémères et d’inves tir des logements laissés vides. Ces camps éphémères et illégaux sont à la fois une réponse à l’incapacité de la région à traiter l’ensemble des demandes mais aussi à un non-respect du schéma national de la réforme du droit de l’asile. Si ce dernier préconisait une répartition équitable des demandeurs sur l’ensemble du territoire Français, on remarque rapidement que 43% d’entre elles sont faites en Ile-de-France
Pour commencer au sujet des parcours d’errance des mi grants (Figure 37), il faut s’intéresser aux boulevards et aux rues empruntées par ces derniers. Ces déplacements ne se font pas forcement, comme pourrait le laisser pen ser leur caractère illégal, uniquement faits le long d’axes routiers mineurs. On note d’ailleurs une grande concentration de mouvements autour des quais de Seine (quai Saint-Bernard, quai d’Austerlitz, quai Henry IV…)1. De la même manière, les migrants incluent dans leurs trajets des axes à forte visibilité. On y retrouve aussi par exemple certains boulevards (boulevard Diderot, boulevard de la Chapelle…) ou rotonde (rotonde Stalingrad)1. Ces grands axes sont choisis pour plusieurs raisons. La principale étant la présence de nombreuses bouches de métro, architecture sombre et enterrée que les migrants habitent ou utilisent pour se réfugier et fuir la police. L’architecture souterraine de Paris offre aux migrants et aux sans-abris un véritable labyrinthe de sous-sol à l’abri des règles et des lois du dessus. Le métro parisien de part son agitation et ses recoins est une sorte d’échappatoire pour les migrants qui peuvent se fondre dans la masse ou s’immiscer dans ses coulisses. Le métro est un monde à part, un univers de la marge comme le mettait en avant dans son film Subway2, Luc Besson. Nous livrant l’histoire d’une course poursuite entre les forces de l’ordre et un voleur de bas étage cherchant refuge dans l’ombre de plu sieurs stations parisiennes. Les boulevards sont ainsi des portes d’accès privilégiées à ces espaces cachés, qui de part une importante fréquentation, proposent des capacités d’invisibilisation importante par assimilation à la foule piétonne. Au niveau des axes de circulation principaux on retrouve également des espaces de transit au sein de tunnels piétons. Ces derniers sont notamment visibles dans le 19e arrondissement de Paris et Le Pré-Saint-Gervais en Seine-Saint-Denis3. Mal éclairés, embrumés de fu mée et écrasés par le vacarme des voitures qui roulent au dessus, les tunnels permettent aux migrants de se couvrir et de se mettre à l’abri. Cependant, creusés sous les périphériques ils subissent des conditions sanitaires abominables pour leurs résidents. Enfin pour en terminer au sujet des axes routiers, les migrants empruntent également de nombreuses rues secondaires à l’abri des regards. Le parcours d’errance des migrants dans la capitale parisienne gravite autour de nombreuses infrastructures d’utilité variée. Dans un pre mier temps on remarque que les concentrations les plus 1 : Brancato (Rémi), « Paris : les associations pointent un nombre «jamais vu» de migrants à la rue », 2019 2 : Besson (Luc), Subway, Les Films du Loup, 1985 3 : Mohammad (Hajera), « Migrants : familles et jeunes mineurs vivent depuis des mois dans un tunnel sous le périphérique parisien », France Bleue, 2021 (Figure 37), « Le Paris des parcours », (Xavier),Fulchironp136
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D’un point de vue plus essentiel on retrouve également des cafés, des espaces de restaurations et des bains douches publiques malgré des politiques communales récentes visant à supprimer ces derniers. De nombreux espaces sont aussi mis à disposition des migrants grâce aux efforts des habitants et des associations locales. 1 : Migreurop 2 : Brancato (Rémi), « Paris : les associations pointent un nombre «jamais vu» de migrants à la rue », 2019 3 : Scoffier (Richard), Sémi naire EVAN une certaine idée du Beau, ENSACF, 2020 4 : Architecte, philosophe, critique et écrivain (Figure 38), « Le Paris de l’appropriation », Fulchiron (Xavier), p 137
136 hautes de migrants se trouvent aux abords des gares ferroviaires. Un constat facile à expliquer, la majeure partie des migrants arrivant à Paris par voie ferrée, les flux y sont assez importants. Les gares sont ainsi les points de départ de leurs trajectoires. On en relève quatre majori tairement actives, à savoir la Gare du Nord, la Gare de l’Est, la Gare de Lyon et la Gare d’Austerlitz1. Néan moins, ces structures ne sont pas uniquement des es paces de transit, les berges des voies étant souvent utilisées pour y installer des campements de fortune. Ces dernières, en retrait par rapport aux espaces publics et dénuées de toute autre population sont des points straté giques pour vivre dans l’illégalité. Les parcours se font également aux alentours voir même bien souvent à l’intérieur de parcs et de places publiques (Figure 38). Ces derniers (Jardin des plantes, Jardin Tino Rossi, Parvis de Beaubourg, Place de la république 2) sont des espaces de revendication vi sant à visibiliser les conditions de vie des migrants. On y trouve en quelque sorte des logiques d’occupation in formelle établies dans le but de se dresser contre ou de répondre aux politiques de répression. Les espaces publics sont des espaces capables de faciliter l’occupation en raison de leurs infrastructures mais aussi de la quali té de leurs sols. C’est Richard Scoffier3 qui évoquait l’im portance du sol dans l’architecture au sujet de la place de la république4. Cette dernière faite d’un sol plein, plat et lisse permet par la création d’un espace horizontal de répondre à tout les possibles. Elle est une architecture de la puissance et de l’acte laissant aux peuples et ici aux migrants la possibilité de se l’approprier et de la modu ler. Ainsi certaines places sont pensées dans l’optique du «non-symbolique», comme des territoires des possibles sans contraintes et pleinement appropriables. D’où l’im portance de ces dernières dans les questions migratoires. Pour prolonger notre analyse des différentes étapes de ce parcours de l’errance dans le Dehors parisien, nous allons nous intéresser aux architectures visitées et mises à la disposition des migrants. On retrouve ainsi un grand nombre d’espaces culturels comme des bibliothèques mais aussi plus directement des musées (Institut du monde arabe, Musée des Arts et Métiers, BnF…).
Ainsi ce premier mouvement complexe et assez dense met en évidence l’ampleur du déploiement des parcours des migrants au sein de la capitale parisienne. Révélateur de l’importance de ce Dehors dans la survie et la sociabilisations des migrants, ce dernier se heurte rapi dement à notre second mouvement, la répression. On relève autour de ces trajets la présence d’un véritable harcèlement policier à l’égard des migrants. Les contrôles sont principalement effectués aux alentours de bâtiments réquisitionnés et de campements de fortune (Avenue Jean Jaurès, Avenue de Flandres, Rotonde Stalingrad, Caserne Château Landon). Ils sont sympto matiques des politiques de rejet dont nous parlions dans la première sous partie du Dehors. Pour la plupart d’une extrême violence, ils montrent toute l’ambiguïté d’un Dehors parisien, bercé entre volonté populaire d’accueillir et politiques étatiques d’expulsion. Ces confrontations entre policiers et migrants sont malheureusement de plus en plus présentes dans le paysage parisien. L’une des plus marquantes etant sûrement celle ayant eu lieux place de la République, le 23 novembre 2020. Cette place pu blique, dont nous parlions plus haut, s’est vue investie par les migrants suite à l’évacuation d’un camp de demandeurs d’asile à Saint-Denis2. Pendant des semaines les autorités se sont appliquées à intervenir quotidiennement pour disperser et empêcher les migrants de dormir3 et de se reposer. Ainsi, armés de matraques et de gaz la crymogène, les forces de l’ordre ont assiégé le Place de la République symbole du peuple, jusqu’à la désertifier. Luttant à la fois contre les migrants, les associations et quelques citoyens venus en aide à ces derniers. Ce genre de pratiques tendent de plus en plus à se multiplier. Elles sont symptomatiques d’une politique globale d’hostilité envers les migrants. Elle fragilise l’hospitalité du Dehors pourtant non négligeable tout en renforçant la précarité des demandeurs d’asile livrés à la rue.
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Au-delà des occupations de places publiques, on note alors la réquisition citoyenne de nombreux bâtiments. On retrouve sur cette liste notamment le Lycée Jean Jaurès, le Lycée Jean Quarre ou encore les locaux de l’asso ciation « ni putes, ni soumises »1. Ces bâtiments sont avant tout et à l’image de ceux cités précédemment des espaces de sociabilisation et de survie. Ils ont pour but d’améliorer les conditions de vie des migrants grâce par exemple à des distributions de repas gratuits, des capacités d’hébergement plus importantes… Mais ils ont égale ment pour but de réunir ces mêmes exilés autour d’activi tés culturelles et sociétales. Evitant une déconnexion de ces derniers par rapport au monde dans lequel ils errent.
1 : Migreurop 2 : « Plusieurs centaines de migrants à la rue après le démantèlement d’un campement de migrants à Saint-Denis », Le Monde2020, 3 : Laurentin (Emmanuel) « le démantèlement est-il une politique? », cultureFrance,
138 (Figure 37) Le Paris des parcours Xavier Fulchiron
139 (Figure 38) Le Paris de l’appropriation Xavier Fulchiron
Enfin cette précarité se heurte également à d’autres enjeux urbains allant au-delà du simple fait d’arme des autorités communales. La situation des migrants est aussi fragilisée par le poids de la spéculation foncière et le glaive de l’ex pulsion forcée1. Ces plans peuvent être d’origines variées mais il s’agira dans le cas de Paris de nous concentrer sur ceux liés à des projets urbains. Ils sont pour la plupart, dissimulés derrière l’intérêt commun et sont en lien avec des projets de développement et de rénovation urbaine visant l’amélioration de l’environnement et de la vie des habitants : l’embellissement des villes, les grandes mani festations économiques ou sportives ou bien la construc tion de nouvelles structures de logements. Ce genre de programmes est souvent prévu sur des terres occupées temporairement par des migrants (Figure 39).
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Si certains projets verront effectivement le jour une fois les indésirables expulsés, d’autres seront abandonnés car amorcés principalement pour évacuer les sols en ques tion. Cette pratique va à l’encontre totale des droits de l’Homme qui privilégient la sécurité d’occupation, car elle ne fait que renforcer la précarité de population déjà for tement impactée. Malgré cela les villes répondent géné ralement positivement à la pression du poids du foncier. Elles préfèrent déployer d’importants moyens « légaux » et autoritaires pour récupérer des terrains occupés gra tuitement afin d’en tirer un profit économique. Motivées financièrement et politiquement, elles disent souhaiter embellir les villes en remplaçant les installations des migrants par des structures architecturales consen suelles. L’expulsion forcée au-delà d’un renforcement de la précarisation des migrants entraine de nombreux maux. Discriminatoires, violentes et arbitraires, ces pratiques dé gradantes participent à invisibiliser les conditions de vie des migrants et à les exposer à un retour au néant, obli gés à l’errance dans les rues parisiennes. Leur arrachant un repère auto-construit pour les renvoyer au point de dé part. Le poids du foncier et les questions de gestion des sols jouent donc un rôle extrêmement important dans la construction d’un Dehors hostile. Cependant malgré la violence de tels actes et leur répétition ces dernières années, certains et certaines archi tectes se sont emparés de ces questions de sols en tran sition. Développant de nouvelles stratégies de projets pour proposer des logements certes temporaires, mais viables, au sein de parcelles programmées pour l’accueil futur de projets de densification. Approche que nous étu dierons en partie 3 de ce mémoire. 1 : Les expulsions forcées, Organisation des Nations Unies, (Figure201439), « Territoire en transition, vers l’expulsion », Guillot (Francois), p 142
Une ambivalence malsaine à laquelle les exilés semblent s’être habitués et s’adapter avec plus ou moins de succès au fil du temps. En dépit des politiques locales souhaitant limiter le nombre de migrants dans la capitale, ces derniers continuent de fonder des micro-sociétés. Semblables à celles observées dans la Jungle de Calais, de véritables villes dans la ville ont vu le jour à Paris. Elles apportent de nouvelles manières d’habiter durablement un Dehors longuement rêvé et pourchassé. Son exemple le plus probant étant sûrement celui que nous étudierons dans la sous partie suivante, à savoir, le Très Grand-Hotel, quartier de La Chapelle : Lazaridis (Marie) et Weber (Serge), Les Paris des migrants, Hommes & Migrations, n°1308
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2014,
Paris est donc bel et bien une ville de l’errance, géante au pied d’argile chancelant perpétuellement entre hospita lité et hostilité, ne sachant de quel côté se laisser tomber. Entre choisir d’assumer son passé d’accueil ou le renier. Entre laisser ses habitants venir en aide aux migrants ou envoyer ses forces de l’ordre démanteler leurs installations. Entre multiplier les infrastructures officielles d’accueil et peu à peu lier les mains des travailleurs so ciaux pour contraindre les demandeurs d’asile à tenter un fuite vers le Dehors. Paris, cristallise l’ambiguïté qui réside dans la question de l’accueil des migrants par sa capacité à créer des parcours urbains semés d’étapes et d’activités, tout en les réprimant1 dans un même temps.
1
142 (Figure 39) Territoire en transition, vers l’expulsion Guillot (Francois), 2020
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1 : Beaulieu (Cécile), « Migrants : «la Chapelle, c’est la porte de l’enfer», s’inquiètent des riverains », Le Parisien, 2018 2 : Collectif PEROU, Berthou mieu (Maëlle), Très Grand Hôtel et chantier, Atlas, 2020 3 : Collectif PEROU, Paris, (Figure2012 40), « La chapelle, territoire de lien », Collectif PEROU
L’accueil des migrants à Paris, du point de vue de l’he bergement ne s’est jamais contenté de reposer unique ment sur les infrastructures sociales portées par l’Etat. Trop fragiles et sous-évaluées, ces dernières n’ont pu que constater leur incapacité à faire hospitalité. Poussés vers la rue, de nombreux migrants se sont retrouvés dans des situations d’extrême précarité, malgré comme nous le disions au préalable, d’importantes interventions as sociatives. Nous parlions des parcours de ces derniers, passant finalement que brièvement sur le sujet des structures d’hebergement créées par les parisiens et les as sociations. Pour autant ce sont bien elles, qui le plus sou vent arrivent à faire l’hospitalité de ce Dehors parisien. Considérant le migrant comme un véritable habitant de Paris, ayant besoin de se reposer, d’apprendre mais aussi d’interagir et de participer à la vie d’une communauté. Intervient alors la communauté migrante de La Chapelle En 2018, les habitants de La Chapelle unis sous la ban nière de l’association Quartier Solidaire, se retrouvent dans les locaux de l’entreprise Syndex. Ils y invitent, voisins, équipes de recherche, commerces locaux et d’autres collectifs d’aide aux migrants. Cette rencontre avait pour but principal de contredire les idées reçues et de changer les regards extérieurs portés sur le quartier de La Chapelle qui tendent à affirmer que ses résidents subiraient négativement la crise migratoire. Plus de 2000 migrants concentrés sous la «bulle», porte de La Cha pelle étaient à reloger en raison de la construction à la place de cette dernière du campus Condorcet1. Certains voyant cette remise en circulation des migrants comme un fléau et d’autres comme une opportunité de réinterro ger notre accueil. Les membres de Quartier Solidaire se posant une unique question à partir de ce déclencheur : comment faire de La Chapelle un quartier d’accueil ?2 Parmi les différents acteurs mobilisés par cet appel à la prise de conscience, des profils remarquablement variés vont intervenir. Le collectif PEROU3, des étudiants en ar chitecture, des écrivains, des anthropologues, des musi ciens ou encore des géographes. Cette multitude disciplinaire va permettre d’activer de nombreuses réflexions et de combiner un grand nombre d’outils pour tendre vers plus d’hospitalité. L’idée étant de faire d’un quartier soi-disant condamné par les migrants, un symbole de réussite culturelle et sociale d’insertion. Parmi les nombreux dispo sitifs d’envergure diverse nous allons nous intéresser plus particulièrement aux travaux du collectif PEROU. Avec comme cas d’étude le «Très Grand Hotêl».
144 III LA CHAPELLE, QUARTIER DE LA FORTUNE .
145 19ETCOLLECTIVESOLUTIONUNEQUARTIERD’UNL’ÉCHELLEÀUNEPROPOSITIONCITOYENNE RÉSILIENTEDYNAMIQUEUNE HOSPITALITÉUNE LOCALEVIEUNE RIVERAINSDESPAR DESPAR PHASEENET POTENTIELLEMENT
L’intensification de ce maillage urbain vise à créer une constellation d’acteurs, d’activités et d’évènements dis tincts mais cependant interdépendants. Parmi les lieux de vie identifiées on retrouve par exemple des cinémas, des auberges, des espaces de restaurations, des écoles ou encore des institutions culturelles. Ces espaces sont essentiels pour l’insertion des migrants dans l’optique de leur redonner le choix, de nouvelles possibilités après des mois voir des années d’enferfement dans des structures d’accueil
. Le « Très Grand Hôtel » cherche par la mise en relation, à réactiver les réseaux d’un Dehors en perte de vitesse en y greffant de nouveaux usages : collectes de vêtements, cuisines participatives… Replaçant le migrant dans une situation d’échange ou il peut lui-même partici per à la vie du quartier dont il fait parti. Ainsi, le « Très Grand Hôtel » et ses nombreux usagers ont permis, en s’appuyant sur un tissu existant, de redéfinir de nouveaux espaces publics partagés. L’un des plus remarquables étant sûrement, la « cour du Maroc » (h7). Ce parc pendant longtemps laissé en friche par la commune parisienne, a rapidement intéres sé par ses dimension et son emplacement au cœur de la Chapelle, le Quartier Solidaire. Sa renaissance va ainsi
1 : Collectif PEROU, Berthou mieu (Maëlle), Très Grand Hôtel et chantier, Atlas, 2020 (Figure 40), « La chapelle, territoire de lien », Collectif PEROU, p 145 (h7), « Plan de la cour du Maroc », Atelier Courajoud et Descombes (Georges), p 224
D’abord, le «Très Grand Hotêl» a été pensé et redéfi ni comme une amplification des gestes architecturaux et urbains déjà observés à Paris et ailleurs. Tout en tenant compte des freins posés à l’hospitalité actuellement et en réinventant de nouveaux gestes d’accueil pour intensi fier ceux du passé. Le «Très Grand Hotêl» doit porter une politique de l’affirmation « de ce qui a lieu, de ce qui pourrait avoir lieu et de ce qui aura lieu »1. Aucun geste n’est à sous estimer pour constituer une communauté acceuillante et soudée. Face à la fragilité des migrants, de part leurs histoires et leurs situations précaires il est important de comprendre l’importance du moindre geste entre étrangers et hébergeurs, sans-abris et passants…
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Car il réside une réelle force dans l’acte d’être accueilli dans la confiance, sans la moindre exigence en retour. Le «Très Grand Hotêl», se conçoit comme, bien au-de là d’un simple hébergement, une micro-société basée sur une multitude d’échanges et d’interactions entre migrants et non migrants, tous habitants d’un même quartier. Car le quartier de La Chapelle présente la faculté d’offrir un maillage interne complet sur lequel va venir se greffer de nouvelles vies. Ce quartier regroupe une quantité im mense de liens attendant simplement d’être mis en tension les uns par rapport aux autres (Figure 40) pour réussir à faire hospitalité
147 provenir d’une volonté citoyenne d’en faire un vaste jardin de 42 000m2, voué à offrir aux migrants et aux habi tants de La Chapelle un espace de festivité et de pro menade. De fait en 2007, il va faire l’objet d’un redessin simple, visant à mettre à l’honneur la vie associative du lieu. Simple, car tendant vers « un usage social du parc, qui est jamais une démission sur la forme mais c’est la forme qui soutient le vie. »1. Des déjeuners vont y être organisés, des évènements sportifs, des soirées à thème, autant d’activités autrefois perdues, redonnant un sens à ce parc abandonné. En 2012, le grand parquet confié à la mairie de Paris va accentuer cette idée d’espace festif. Vont s’ajouter aux animations migrantes une archi tecture foraine des années 1930-1980. La Marie de Paris y installant de nombreux dispositifs tels des carrousels ou des espaces de restauration rétro. Cependant cette dynamique de divertissement va rapidement être mise à mal en 2015, avec une re-définition de la cour du Maroc. Cette fois-ci dans un bafouement totale des valeurs prônées par les associations locales. Des grillages vont être installés, l’esplanade ou avait lieu les représenta tions sera « sécurisées » (fermées) et les espaces verts clôturés. Ce projet de «reprise en main » de la cour du Maroc à fortement divisé le quartier de La Chapelle entre pro-migrants et anti-migrants. Néanmoins ces dernières années on remarque que les migrants ont peu à peu réus si à faire leur retour dans cet espace public. En 2018, par exemple s’y était tenu un « petit-déjeuner dansant »2 lors duquel le quartier avait pu à nouveau, célébrer sa mixité et sa capacité à accueillir les migrants. Au-delà de ces logiques d’espace public et de constella tion urbaine, le quartier de La Chapelle à été marqué par des modes d’habiter. Notamment en raison de l’organi sation et de la composition du « Très Grand Hotêl » que nous allons désormais décortiquer. Il est temps mainte nant de s’intéresser aux « chambres » du « Très Grand Hôtel ». Nous parlions auparavant de l’importance du geste citadin dans l’accueil des migrants au sein du quartier de La Chapelle. Ce dernier va prendre une place d’autant plus considérable dans la question du logement. L’idée n’est en aucun cas de reproduire les mécaniques des centres de gestion d’hebergement francais à l’image des CADA L’Hebergement ne doit pas être motivé par un « devoir » d’accueillir qui pourrait laisser penser que l’hospitalité coûte quelque chose à celui qui la propose. L’idée est d’arrêter de considérer l’étranger comme un indésirable destiné à l’inhabitable modulaire, inscrit dans la ville sans 1 : Descombres (Georges), au sujet de sa participation au réaménagement de la cour du Marco et la concep tion des jardins d’éoles. 2 : Collectif PEROU, Berthou mieu (Maëlle), Très Grand Hôtel et chantier, Atlas, 2020
jamais véritablement y être invité. Le «Très Grand Hôtel» est en quelque sorte un contre centre d’hébergement Ce dernier veut se reposer sur des leviers déjà existants et altruistes. A partir de cela, le logement du migrant peut prendre bien des formes en fonction de l’hôte qui fait le geste de l’accueillir. Chez l’un, il est une chambre, chez l’autre un appartement entier, quelque fois pour des mois mais parfois aussi, seulement pour un soir. Le « Très grand Hôtel » ne souhaite pas chercher seulement les espaces actuellement inhabités mais tout au contraire des milieux de cohabitation1. Que ce soit l’appartement d’une retraitée, la chambre d’enfant libre d’une famille éclatée, les coulisses d’un théatre de quartier ou encore le bureau innocupé d’une entreprise locale.
C’est un haut lieu de vie de la ville. Le « Très Grand Hôtel », articulé par une centaine d’autres espaces a été l’objet d’un souci architectural permanent. Architectes, étudiants, constructeurs, menuisiers et artisans en tout genre … se sont prêtés main forte pour faciliter l’emmer gence de lieux de vie appropriables et intimes pour les migrants. Le travail de l’architecte s’y rapproche de celui d’un acupuncteur, tentant temps bien que mal de broder de nouveaux espaces de vie dans le tissu d’un quartier d’apparence délaissé. Les logements saisonniers va cants ou encore les boutiques désaffectées sont autant de lieux à métamorphoser. L’architecte se raccrochant à la structure d’un local abandonné par la Mairie pour y greffer de véritables espaces de vie à destination des mi Degrants.nombreuses typologies habités (figure 41, 42, 43 et 44) émergent donc à partir de ce massif assemblage. Sou vent le logement du migrant se résume à une seule pièce, parfois dans sa déstination de base mais aussi à certains moments dans son détournement. Les accueillis se re trouvent alors à devoir installer leur chambre dans un bureau, une salle à manger ou encore un salon. Dans d’autres cas ce sont des appartements entiers sont vont pouvoir hériter les migrants. Logements inhabités et prê tés durant les vacances, appartement en attente de relo cation voir même quelques fois des étages entiers d’au berges de jeunesses en hors saison. Une nouvelle fois le 1 : Collectif PEROU, Berthou mieu (Maëlle), Très Grand Hôtel et chantier, Atlas, 2020 (Figure 41), « Relevé du plan de l’appartement de Lise », Fulchiron (Xavier), p 150 (Figure 42), « Relevé du plan de l’appartement de Nicole », Fulchiron (Xavier), p 151 (Figure 43), « Relevé du plan de l’appartement d’Aimée», Fulchiron (Xavier), p 152 (Figure 44), « Relevé du plan de l’appartement de Marc», Fulchiron (Xavier), p 153
Comme dans les CADA, l’hebergement est bien sûr fractionné mais il l’est de manière accompagnée par des hébergeurs volontaires. Le « Très Grand Hôtel » trouve toute sa grandeur dans la multiplicité des espaces qu’il offre aux migrants. Son tissu fragmentaire se veut en mouvance continue, d’une intensité variable en fonction des capacités des hôtes mais cependant toujours durable.
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« Très Grand Hôtel » quitte là le simple caractère dortoir de l’hebergement. On remarque rapidement de nombreuses appropriations, les hébergeurs laissant le soin de décorer et de constituer des espaces plus intimes aux migrants (h6). Suppléés par des architectes, des constructeurs ou encore des associa tions ces derniers vont ainsi garder une main mise sur au moins un espace privé dans chaque logement. De plus au regard de l’important réseau d’entraide et d’échange constitué dans le quartier de la Chapelle, les logements de migrants vont peu à peu se remplir de ressources et d’objets de toutes sortes. Créant de véritables chez-soi, dans lesquels l’hébergeurs comme le migrant arrive à ap porter sa culture et à satifaire ses besoins. L’architecture du « Très Grand Hôtel » devenant celle du mélange, du puzzle, avec la composition de milieu reflétant l’hétérogénéité de ses résidents. Symbolisant l’hospitalité même, synonyme d’accueil mais aussi et surtout de partage. De plus les nombreuses chambres du « Très Grand Hotêl » réussissent là ou les cabanes du camp de Calais ne pouvaient le faire. Leur rapport intrinsèque au Dehors limite au maximum l’enfermement ressenti au sein de la Jungle. Si le tissu urbain du « Très Grand Hôtel » offre des espaces de partage similaires à ceux des camps dont nous parlions plus haut, leur rapport aux parcours et aux paysages est bien plus important. Les chambres chez l’habitants, permettent déja de maintenir un lien direct entre migrant et habitant, avec la possibilité de discuter, d’échanger sur ses traditions, de se rassurer en faisant tomber la crainte de l’autre. Les migrants ne sont plus uni quement inscrits dans une micro-société fermée avec des interactions limitées entre étrangers et tissu associatif. Dans la même idée de relation au Dehors, le «Très Grand Hôtel » permet un meilleurs rapport au lointain. Puisqu’il ne nie pas le paysage qui l’entoure. Ainsi les logements profitent de vues sur Paris et ses autres quartiers. Tout n’est pas autocentré sur le lieu d’accueil, permettant aux migrants de s’en évader facilement. Enfin, avec ses infrastructures préexistantes, ses dispositifs réactivés et notamment la cour du Maroc, le « Très Grand Hôtel » forme un ensemble urbain concentré. Et encore une fois, il dépasse le Dedans du camp de Calais. Il reste connec té au reste des infrastructures extérieures au quartier, notamment aux places et espaces publics de Paris dont nous parlions dans la partie précédente… Il agit ainsi à toutes les échelles. (h6), « Appropriation des chambres du Très Grand Hôtel », Collectif PEROU, p 222-223
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(Figure 41), Relevé du plan de l’appartement de Lise
«Comme un petit contrat en leur disant que ça n’est pas éternel. Ce qui était hyper chaud c’était de se dire qu’à un moment tu vas leur dire : « Bon, bah voilà, maintenant vous pouvez allez dehors, et moi je vais revenir dormir chez moi. » En même temps comme ils étaient vachement intégrés dans les petits dej’, les gens se sont mobilisés pour les héberger.»
(Témoignages recueillis par le Collectif PEROU)
(Témoignages recueillis par le Collectif PEROU)
(Figure 42), Relevé du plan de l’appartement de Nicole «[...]une chambre pour moi, qui ferme à clé, passage obligatoire vers la salle de bains. Toilettes et cuisine accessibles directement de la salle à manger. Celle-ci accueille leurs futons individuels le soir, ses deux bat tants sont fermés la nuit. Nous partageons mon armoire où je n’ai plus guère de place.»
Pour la plupart, ils ont toujours dormi à plusieurs dans une même pièce. Ça n’a pas l’air de les déranger de dormir ensemble et partager cet espace.»
(Témoignages recueillis par le Collectif PEROU)
(Figure 43), Relevé du plan de l’appartement d’Aimée
« Je crois qu’il se trouve bien ici, il est comme chez lui. Sa place préférée le soir c’est d’être allongé sur le canapé avec le plaid sur lui et regarder la télé. [...] Le plaid, ça oui, il se l’est vite approprié. C’est une de mes petites filles qui me l’a offert pour Noël. Et je lui ai bien dit : « Regarde ce que Emma nous a offert ! »«Ils peuvent rester là, comme ils restent toute la semaine dehors, dans le froid sous la pluie, ils ont envie que d’une chose c’est de ne plus bouger. Les rideaux peuvent être fermés pendant toute la journée, même s’il fait beau, ils sont dans le noir, à la limite, ils dorment, ils se reposent, ils écoutent de la musique, donc oui je vais pas... C’est une adaptation. Ils s’approprient l’espace quoi.» «Vous voyez qu’il y a une carte du monde sur le mur. Chaque fois qu’on entend à la télé les informations, parler d’un pays, on le situe sur la carte. »
(Figure 44), Relevé du plan de l’appartement de Marc «Ce qu’il y a aussi, c’est que moi je suis un adepte, entre guillemets, du camping, et je m’accommode assez vite des contraintes de logement un peu… voilà, un peu camping, je dirais ici, c’est un peu camping.»
«Ils peuvent rester là, comme ils restent toute la semaine dehors, dans le froid sous la pluie, ils ont envie que d’une chose c’est de ne plus bouger. Les rideaux peuvent être fermés pendant toute la journée, même s’il fait beau, ils sont dans le noir, à la limite, ils dorment, ils se reposent, ils écoutent de la musique, donc oui je vais pas... C’est une adaptation. Ils s’approprient l’espace quoi.»
(Témoignages recueillis par le Collectif PEROU)
154 Le « Très Grand Hôtel » du quartier de La Chapelle reprend en définitif chacun des éléments hospitaliers vus au préalable dans la figure du camp et du CADA pour les sublimer. Comme le voulait le collectif PEROU, il réutilise certaines pratiques et les applique de façon différentes conscient de leurs limites. Sa force réside sûrement dans sa capacité à faire reposer son encrage sur la notion de Dehors, de fait, son tissu est plus distendu et poreux per mettant flexibilité et échanges. Malgré une hostilité certaine dans Paris, le « Très Grand Hotel » arrive à pro poser une situation privilégiée pour les migrants livrés à la rue ou dans l’attente d’obtention d’un statut de réfugié. Cependant cette micro-ville reste fragile et peut être re mise en question par certains programmes communaux visant à déposséder les migrants de leur droit à la ville. Pratiques que nous avons notamment observées avec la « sécurisation » de la cour du Maroc. Pratique d’un genre qui se multiplient à l’échelle du territoire francilien. Nous intéressant au Dehors il est désormais temps d’identi fier les freins à de telles projets urbains tels que celui du «Très Grand Hôtel ». Ces derniers ayant tendance à ce généraliser de plus en plus. Les identifiers permettra d’ob tenir de nouvelles pistes pour comprendre comment faire l’hospitalité.
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1 : Damasio (Alain), Le dehors de toute chose, La Volte, 2016 2 : Derrida (Jacques), Rapporté dans Cosmopolites de tous les pays, encore un effort!, Galilée, 1997 3 : Labbé (Mickaël), Reprendre place, contre l’architecture du mépris, Payot, 2019 4 : Lefebvre (Henri), Le droit à la ville, Economica, 2009 (Figure 45), Le droit à la ville, « Speculative proposal for renovation of housing block in Paris. », Lefebvre (Henri)
156 IV LA VILLE FANTÔME . Via l’exemple du «Très Grand Hôtel», quartier de La Chapelle ou encore des parcours urbains présents dans les rues de Paris, le Dehors pourrait alors nous appa raitre comme pleinement vivable pour les migrants. S’il a démontré par bien des aspects son caractère hospitalier, il s’agirait de revenir sur ce Dehors tel qu’imaginé par Alain Damasio1. Perçu lui aussi comme un territoire de rédemption, vers lequel fuir l’interieur du Cerclon et son pouvoir autoritaire, il n’en n’est pas moins ambivalent. Le roman cier, nous décrit ce monde de l’au-delà comme inconnu et finalement profondément hostile. Il est désert et dépeint comme toxique par les autorités supervisant le Dedans d’où une certaine peur ou retenue à s’y aventurer. Si de nombreux migrants franchissent le pas dans un ultime refus des infrastructures d’accueils officielles, d’autres préfèrent s’en tenir éloigné. On remarque de ce fait que le Dehors de Damasio tout comme l’image renvoyée par la capitale francilienne, repose sur une forte dualité. Car si nous avons réussi à démontrer le manque d’hospitalité du Dedans à travers la déconstruction de la figure du camp, nos villes sont encore bien loin de celles imaginées par Jacques Derrida2. Le temps n’est pas à la ville refuge mais au contraire à la ville flottante. Balançant entre une approche hospitalière et une architecture du mépris. A travers son livre Reprendre place contre l’architecture du mépris3, l’anthropologue Mickaël Labbé tente de nous sensibiliser à la privatisation des espaces urbains. Il pointe du doigt une politique visant à réduire peu à peu les droits des Hommes à la ville. Pour bien comprendre les bases de cette critique, il est d’abord nécessaire de com prendre ce que signifie le « droit à la ville ». Ce terme à été imaginé par Henry Lefebvre dans son livre éponyme, Le droit à la Ville4. Cet ouvrage visionnaire sur bien des aspects posait les bases d’une ville durable comme celle de l’inclusion et de la coexistence des individus entre eux (Figure 45). Idéologiquement situé dans le sillon de Karl Marx, Lefebvre, critiquait l’industrialisation des villes et leur quête sans fin de profit au depend de logiques sociales et culturelles. Chaque espace solvable étant appréhendé dans une perspective de rentabilité plutôt que d’humanité. La société urbaine y est dépeinte comme un lieu essen tiellement culturel et intellectuel favorisant le partage et la mise en commun des ressources communes. La ville telle qu’elle est pensée par Henry Lefebvre, fonctionne comme l’extension de l’Homme. Parmi de nombreuses définitions données par son auteur, l’une d’entre elle, semble parti culièrement reprise dans les traveaux de Mickaël Labbé.
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« Le droit à la ville se manifeste comme forme supé rieure des droits : droit à la liberté, à l’individualisation dans la socialisation, à l’habitat et à l’habiter. Le droit à l’œuvre (à l’activité participative) et le droit à l’appropria tion (bien distinct du droit à la propriété) se retrouvent dans le droit à la ville»1. Ici, il est question d’une ville dans laquelle chaque habitant serait l’égal de l’autre, sans discrimination ou stigmatisation de la part des autorités.
Car selon Henry Lefebvre, le droit à la ville ne doit en aucun cas se limiter à un simple droit de visite ou de passage, c’est un droit de prendre possession, d’habiter la ville. L’individu étant la pièce maitresse de la construction de la ville, il ne peut en être mis à l’écart sans l’anéantir.
Car 50 ans après la publication de son ouvrage, les mêmes critiques sont faites à nos villes sous la plume de Mickaël Labbé. Nous avons en effet été dépourvus de notre droit à la ville, dépossédés de notre capacité à pouvoir librement occuper et habiter les lieux dans lesquels se déroulent précisément nos vies. Nous nous rappro chons de plus en plus d’une forme de privatisation de la ville, basée sur l’exclusion, le contrôle et la dépossession du « nous ». Une nouvelle ville plus fonctionnelle mais surtout stéréotypée, guidée par un sentiment grandissant d’ostracisme et une volonté d’exclusion envers certaines population minoritaire. Prêtant une attention toute parti culière à bien soigner leur image, les villes profitent de leur force décisionnaire pour développer des espaces pu blics exclusifs. L’architecture du mépris en est une de la ségrégation, visant à mettre à l’écart les indésirables. Ce lourds travail peut prendre de nombreuses formes, la plus importante d’entre elles étant peut-être le mobilier urbain. Chaque année, la fondation Abbé Pierre s’attaque non sans cynisme à dénoncer les mobiliers anti-sdf qui sur peuplent les rues francaises (h8) À travers une cérémo nies de remise de prix2, la fondation établit un inventaire de ces micro-architectures selon différentes catégories, avant de remettre plusieurs prix. Si cette pratique prend des airs de parodie, elle ne manque pas de vouloir sensibiliser les gens aux droits des réfugiés et des sans-abris. Le principal étant celui de pouvoir sortir dans la rue et habiter les espaces publics. L’espace urbain par définition est un espace politique qui renvoie de manière « douce » car cachés, des signaux de reconnaissance mais aussi et surtout de mépris. C’est notamment le cas à tra
D’où sa critique des politiques post industrielles qu’il ima ginait déja arriver et dont nous ne pouvons que constater les dérives aujourd’hui.
158 1 : Lefebvre (Henri), Le droit à la ville, Economica, 2009, p 140 2 : Cérémonie des Pics d’or, Fondation Abbé Pierre (h8), « Cartographie du mobilier anti-sdf », Fulchiron (Xavier), p 225
Une dépossession silencieuse qui prouve et appuie les propos de Michel Agier selon lesquels la société contem poraine dans laquelle nous évoluons, s’éloignerait à tire-d’aile de la notion d’hospitalité1. Les métamorphoses urbaines œuvrent pour la mise à l’écart des indésirables et un renfermement sur eux-mêmes de nos modes d’ha biter. Le tout, nous empêchant de devenir membres d’une communauté urbaine. Et se sont d’ailleurs l’architecte et l’urbaniste qui détiennent l’habilité de pouvoir influer en bien comme en mal sur les identités et les manières de façonner l’environnement de nos villes. Un rôle primordial qui paramêtre ceux qui peuvent se sentir légitime ou non d’habiter la ville Dans les temps actuels, le migrant se retrouve dans l’in capacité d’habiter le Dehors, il ne peut s’y asseoir, s’y reposer ou encore s’y abriter. Ce qui vient renforcer ainsi sa place d’ermite et la précarité de sa situation. Dans cette perspective de privation d’espace urbain, d’autres pra tiques sont observables, moins directes et encore moins visibles encore. Car si le mobilier change, les mentalités aussi, et certains commerçants et promoteurs profitent de ces logiques pour eux aussi tourner le dos aux migrants. Certains espaces de rencontres et d’échanges comme les bars, cafés, restaurants participent également à ces logiques d’exclusion2. En augmentant leurs tarifs, en ban nissant certains services et placant délibérément certains clients dans des endroits inconfortables, ils repoussent les migrants et les sans-abris. Il propose des espaces d’ap parence chaleureuse mais inabordable en faisant grim 1 : Les politiques d’heber gement et d’acceuil des réfugiés vers de nouvelles inégalités territoriales ?, Actes du séminaire ENS-IAU, 20 mai 2016, Sur les ques tions urbaines 2 : Labbé (Mickaël), Reprendre place, contre l’architecture du mépris, Payot, 2019 (Figure 46), « Inventaire de l’architecture du mépris », Fulchrion (Xavier), p 161 (h9), « Mobilier anti-sdf », Fulchiron (Xavier), p 226-227
Il faut garder l’œil ouvert en permanence pour observer ces changements. Car si pour nous une assise reste une assise, pour un migrant ou un sans abri, la surface plane et continue d’un banc, si elle vient à etre interrompue par des accoudoirs métalliques, perd son hospitalité.
159 vers l’installation de mobiliers anti-sdf dont les formes sont pensées pour évoquer autre chose que le rejet et l’exclu sion. Car si certains ne cachent pas leur utilité première en revetant simplement l’apparence de piques, d’autres, de manière plus pernicieuses se fondent dans le décors (Figure 46 et h9). Ce souci porté à la conception d’un mobilier anti-sdf « design » renforce leur invisibilisation et ainsi leur normalisation au sein de nos espaces urbains. Un espace de couchage pour un demandeur d’asile se voit remplacé par une série de boules en granite. La devan ture d’un magasin pouvant servir d’assise à un migrant se dote soudainement d’un ornement métallique. Ou bien en core, un banc se voit remplacé par deux chaises pour évi ter d’y voir s’allonger un réfugié, épuisé par son voyage.
160 per les prix aux alentours des espaces publics. Face à cette incapacité de s’offrir de tel prestations, on remarque une perte de légitimité à pratiquer certaines zones de la ville. De la même manière, certains quartiers se voient octroyer de nouveaux statuts comme ceux de « Business Improvment Districts » (BID) par exemple. Ces espaces similaires à des zones pavillonaires, des « Gated Communities » par leur organisation, participent à l’atomisa tion de la ville, selon les termes de Jerôme Fourquet1. Cette dernière se fragmente et couronne le capitalisme avec la création d’archipels comme les BID notamment. Archipels à l’architecture aseptisée, surveillée et réser vée à une élite, dissuadant les migrants de s’y aventurer. Pour illustrer ses recherches, Mickaël Labbé s’est dans un premier temps tourné vers une lecture urbaine et ar chitecturale centrée sur la ville de Strasbourg2 dans laquelle il exerce mais est avant tout habitant. Ses interro gations sur l’hospitalité des villes contemporaines s’étant principalement développées à travers la rénovation de la place strasbourgeoise d’Austerlitz, sorte de passage obligé à qui il prête ironiquement le nom de « place to be ». Cette place si elle peut sembler être au premier regard parfaitement réussie en raison de son attractivité, éveille en lui, « un fort sentiment de malaise, de honte ». Sensa tion qui provient de l’apparition sur ce lieu public d’amé nagements exclusifs et de dispositifs urbains de mépris, en rendant la pratique bien moins aimable. Mickaël La bbé évoque alors une forme d’architecture « défensive » qui viserait à rejeter les indésirables de la ville de Stras bourg, à l’instar des SDFs mais aussi des migrants. Ainsi les bancs conviviaux ont céder leur place à des chaises individuelles et à des assises collectives, toutefois entre coupées d’accoudoirs centraux. De la même manière les commerces alentours ont changés, les buvettes tradition nelles ont été remplacées par des « cafés branchés », froids et inhospitaliers3. Les propriétaires de ces nouveaux lieux ne cachant même pas les raisons les ayant poussés à défigurer l’âme de leurs enseignes. L’un d’entre eux a pris la parole dans la presse locale pour avouer avoir vu dans la revitalisation de cette place, « une occasion pour lui de changer de clientèle afin d’éloigner les indési rables, en augmentant les tarifs et interdisant la vente de boissons chaudes après une certaine heure »2. Cette phrase met bien en évidence un volonté politique mais également populaire de réserver la ville et ses par-terre, à une certainne catégorie de personne. Elle marque la fin des espaces publics collectifs par l’apport d’espaces publics exclusifs. Tout individus ne pouvant en profiter pleinement.
1 : Fourquet (Jérôme), L’Ar chipel Naissancefrançaisd’une nation mul tiple et divisée, Seuil, 2019 2 : Labbé (Mickaël), Reprendre place, contre l’architecture du mépris, Payot, (Figure201946), « Inventaire de l’architecture du mépris », Fulchrion (Xavier)
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A partir de cet exemple il est assez simple de tirer une question à savoir, « peut ont accepter une urbanité nouvelle porte drapeau d’une volonté d’éviction d’une certaine par tie de la population ?» Un désir de revitalisation à lui seul peut-il légitimer de telles actes ? »1 On remarque à partir de là un changement dans le visage des villes, un glissement qui sous l’excuse du progrès et du développe ment nous pousse vers un Dehors sans identité. Les pouvoirs publics résignés, accompagnés des grands groupes immobiliers prennent peu à peu le pouvoir sur l’organisation et le fonctionnement des villes contempo raines. Rendant bien souvent architectes et urbanistes, normalement décideurs et acteurs des questions urbaines impuissants « face à une ville qui se vide d’elle-même, de sa substance intrinsèque, à savoir la construction d’une communauté sociale composite et multiforme »2. Une communauté ne peut assurément pas se construire n’importe où, sa construction nécessite des espaces de rassemblement puisque comme le rappelait Anna Arendt, elle n’est rendue possible que par la coexistence, une pluralité humaine3. Or c’est bien cela que l’Architecture du mépris semble décidée à faire s’évaporer. En effectuant une sorte de séléction en fonction des profils, des origines et des cultures, la ville d’aujourd’hui se prive de ce qui l’animait autrefois. Les espaces qu’elle propose ne sont plus que de simples espaces de passage qui s’éloignent peu à peu de ce que nous sommes et sur lesquels nous n’avons plus aucune capacité de mise en forme. Nous sommes donc tous touchés par ces politiques de mise à l’écart de certaines populations. Ce n’est pas seulement le migrant ou le sans abris qui est laissé aux portes de la ville mais tous ses habitants. Les espaces urbains se sont stabilisés, neutralisés, offrant pour la plupart des espaces praticables mais pas appropriables. Autant de lo gique allant à l’opposé même du droit de la ville énnoncé par Henry Lefebvre4 Pour autant, on remarque tout de même que certains architectes marque une prise de conscience au sujet de cette privatisation de la ville. Si les exemples sont nom breux je souhaiterai m’attarder quelque peu sur le cas de la ville de Saint-Etienne. Une étude menée par Christelle Morel Journel et Valérie Sala Pale5 au sein du tissu ur bain de la préfecture ligérienne, montre de nombreuses expérimentations quant aux manière de produire la ville. Leur étude a permis de montrer comment au sein d’un quartier oublié et délétère, les rez-de-chaussées aban donnés ont été reconvertis pour des usages publics al 1 : Scheek (Luc), Gigleux (Cé line), Loeffler (Elke), Terrien (Olivier) et Daval (Agnès), La place d’Austerlitz, une concertation innovante pour un projet symbole de la ville durable, Rapport 2 : Labbé (Mickaël), Reprendre place, contre l’architecture du mépris, Payot, 2019 3 : Arendt (Hannah), Condi tion de l’homme moderne, Pocket, 1994 4 : Lefebvre (Henri), Le droit à la ville, Economica, 2009 5 : Beal Cauchi-Duval(Vincent),(Nicolas), Gay (Georges), Morel Journel (Christelle) et Sala Pala (Valérie), Sociologie de SaintÉtienne, La Découverte, 2020
2 : Beal (Vincent), Cauchi-Duval (Nicolas), Gay (Georges), Morel Journel (Christelle) et Sala Pala (Valérie), Sociologie de SaintÉtienne, La Découverte,2020 3 : Laborey (Claire), Main mise sur la ville, 2015
163 ternatifs. Ainsi les stéphanois sont arrivés à reprendre la main sur leur quartier en déprise pour y développer de nouveaux lieux de vie. En raison de pratiques commu nautaires, ils ont réussi à renouer un temps soit peu avec une autre définition d’Henry Lefebvre, à savoir celle de droit à la vie urbaine. « Parmi ces droits en formation figure le droit à la ville (non pas à la ville ancienne mais à la vie urbaine, à la centralité rénovée, aux lieux de ren contres et d’échanges, aux rythmes de vie et emplois du temps permettant l’usage plein et entier de ces moments et lieux »1. Une prise de position d’autant plus importante qu’elle a été appuyée par des institutions locales à l’image de l’EPA (Établissement public d’aménagement) qui sou haitait transposer cette approche à d’autres quartiers de LeSaint-Etienne. Dehors peut donc bel et bien être percu comme un territoire hostile pour les migrants et de manière plus géné rale pour chacun d’entre nous et cela à différents degrés bien évidemment. Un constat est sans appel. Il semblerait que la ville devient de moins en moins accueillante, hos pitalière et fonctionnelle, « les migrants ne peuvent plus squatter l’espace urbain et les familles ne peuvent plus s’y poser »2. Ces choix ne sont pas pour autant aléatoires mais bien au contraire révélateurs de politiques souhaitant éviter les conflits et les débordements au détriment de l’hospitalité. Cependant, bien heureusement on remarque de plus en plus de prises de paroles d’acteurs variés, souhaitant lutter contre ces nouvelles formes de privatisation de la ville. Nous pouvons notamment faire référence au documentaire, main mise sur la ville3, dans lequel des in dividus s’insurgent contre des mises en formes urbaines rectilignes, sécuritaires et excluantes. Combat auquel une majeure partie des architectes se rallient pour retrouver une véritable identité urbaine au sein de nos villes. Dotés d’une identité fondée sûr la mixité sociale, la libre circulation et la capacité de s’approprier le milieu urbain. La ville hospitalière. Et c’est d’ailleurs sur ces formes d’ar chitectures novatrices et résistante que portera mon épilogue, faisant office de 3ième et ultime partie.
1 : Lefebvre (Henri), Le droit à la ville, Economica, 2009,p146
164 (Figure 47) La ville fantome Lithographie en 5 couleurs par Nicolas de CRÉCY, 2017
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166 L’Île, « Un mix de cabane bois/roseau, de baraque en argile et de pavillons «à la balinaise» éparpillés dans les creux et les bosses de l’île. Plus un hameau collectif, positionné facon soleil au centre du Javeau. Depuis deux ans, ils tournent en autonomie alimentaire. Ils «exportent» même vers la ville. Ca marche tellement bien que ca attire plein de gringos qui te falire le paradis à portée de pagaie. Ils y viennent squatter le fleuve tout prêt. Ou ils se greffent carre ment sur l’Île avec leurs péniches . On les accepte. » Alain Damasio (Les Furtifs, 2019)
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1 :
168 SEUIL .
L’étude que nous avons réalisée du Dedans et du Dehors nous a amené à mettre en valeur un certain nombre de cas dans lesquels ces deux espaces géographiques pouvaient faire preuve d’hospitalité. Que ce soit de par des formes de sociabilisation naissante, d’appropriation, de confort ou encore de parcours, ces derniers, par l’ar chitecture ont réussi à dépasser leur hostilité primante. Le Dedans n’est pas seulement impersonnel et contrôlé, il est également partagé et arrangé par ses habitants. De la même manière, le Dehors n’est plus seulement un no man’s land de l’inconnu mais tout au contraire un jardin modulable. Ainsi, malgré une hostilité prédominante dans ces deux milieux, émergent des starters de l’hospitalité. Ce que nous appellerons ici, les îles de l’hospitalité. Dans la dystopie dépeinte par Alain Damasio à travers son ouvrage les furtifs, se créent des ZAGs (Zone Auto-Gou vernée) et des ZOUAVEs (Zone Où Apprivoiser le Vivant Ensemble), dans lesquels les exclus, aussi appelés les re fuzniks (migrants) de l’hypertraçabilité, vont se construire de nouveaux foyers. Fuyant un « monde mort qui est le nôtre, où le moindre événement violent, c’est-à-dire vi vant, vient affoler la litanie sécurituelle de la confor(t) matrice »1, ces derniers tentent d’y faire germer de nou veaux modes d’habiter. Dans les Furtifs on relève de ce fait l’apparition de micro-sociétés, prenant forme sur des îles. Plusieurs fleuves de France mais aussi d’Europe vont être amenés à accueillir des archipels flottantes, in vesties par les migrants et les sans toits. « très vite l’idée, plutôt géniale, avait été reprise et multipliée sur tous les fleuves de France et elle essaimait en Europe. Entre Arles et Port-Saint-louis, on comptait désormais une dizaine d’îles qui constituaient l’archipel des Javeaux »1. L’une des plus fonctionelle et mise en avant dans l’ouvrage de Damasio reste celle du Javeau-Doux. Cette dernière ap parait comme un véritable havre de paix pour pas moins de 200 habitants. On y observe une société alternative reposant sur l’entraide, le partage des taches ou encore des principes de « corvées communes » pour consolider les digues de l’îles ou entretenir les réseaux d’irrigation. Ce sont des lieux d’échange et de mélange, chacun y étant accepté. L’île est ainsi appréhendée par Damasio comme un es pace d’appropriation dans lequel les habitants peuvent expérimenter de nouvelles manières de faire société. Que ce soit d’un point de vue constructif, agricole ou encore Damasio (Alain), Les Furtifs, La Volte, 2019
169 juridique. Elle est le théatre de tous les possibles, libé rées des chaines du Cerclon1 leur indépendance leur at tribue une certaine autonomie propice à l’innovation. Les îles sont ainsi en quelques sorte des « villes refuges»2, terres lointaines en marge du reste du monde dans la quelle chaque Homme, quel qu’il soit, peut se projeter librement. L’île se qualifie ainsi par sa marginalité et son Maisindépendance.celanes’arrête pas uniquement à un constat géo graphique, car Alain Damasio ne se contente pas de don ner un unique sens à cette notion d’Île. Elle n’est pas seu lement incarnée par sa mise à l’écart mais aussi par la cohésion de groupe. Accueillant les individus indésirables du monde entier, l’Île, repose sur une nécessité de ses habitants à faire corps, ensemble. C’est la «Horde » qui la peuple et qui, à l’image de leur foyer, se constitue comme un groupe d’individus marginaux et autonomes. Rebut d’une société qu’ils ont fui, les membres de la Horde vivent à l’encontre des rêgles de cette dernière. « Imaginer, pré sident, une horde de voltés avec des étendards campés au milieu du fleuve… Le courant les frappe de plein fouet. Ils ne bronchent pas : ils résistent. Alors c’est l’eau qui s’érode, qui commence à s’égratigner. »3. Comme l’île qui résiste contre vents et marrées, ces derniers s’unissent pour faire face à l’hostilité du Dedans et du Dehors. L’île est de ce fait un espace de résistance, dans lequel semblent pouvoir émerger de nouvelles formes d’hospita lité pensées et construites par l’Homme. Et c’est ce que nous allons aborder succintement dans cette dernière partie. Voyant ces îles comme des projets d’architecture, échappant à un Dedans et un Dehors hostile envers les migrants, il s’agira d’en identifier une dizaine pour en com prendre les mécanismes. Car depuis toujours le faire pro jet peut devenir un acte de résistance, une main tendue envers les populations dans le besoin. Cet acte permet aux architectes de revendiquer et de dénoncer, de mar quer une prise de position par rapport à l’état de notre so ciété. Si l’architecture fait fatalement partie d’un Dedans ou d’un Dehors, elle permet surtout de créer des entités initiatrices et rebelles. Sa « Horde » se compose des migrants mais également de certains architectes qui de par leurs outils permettent la création de ces îles. Et ce sont à ces derniers que nous allons désormais nous in téresser. Que ce soit avec les travaux d’architectes mais aussi d’étudiants, tous cherchant l’innovation.
1 : Damasio (Alain), Le dehors de toute chose, La Volte, 2016 2 : Derrida (Jacques), Rapporté dans Cosmopolites de tous les pays, encore un effort!, Galilée,pp22-231997, 3 : Damasio (Alain), Les Furtifs, La Volte, 2019
170 (Figure L’Île48) Richard Starkings, 2020
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172 I CHU, D’IVRY SUR SEINE .
Valentine Guichardaz-Versini, fondatrice de l’Aterlier RITA, a alors imaginé un véritable village de 400 habitants. Village suspendu par un système de pilotis au dessus des bassins filtrants du site, laissés à l’abandon. Donnant une sensation de flottement renforcée par les infrastructures peuplant la plateforme surélevée, eux mêmes montés sur des piles en béton (210 modules préfabriqués en bois de 2,5 à 3 m x 6 m). « Offrir refuge en pensant l’usage et le confort est un préalable à toute velléité d’écriture. »2, un important interet est porté sur les aménagements intérieurs et les typologies de logements convoqués. L’idée est de garder un lien continu entre l’habitation et les espaces extérieurs. Intelligemment hiérarchisés ces derniers vont du plus public sur l’axe central de desserte au plus intime sur le seuil d’en trée des logements. Les habitations en rez de chaussé disposent d’un accès direct à des cours partagés et facilement appropriables pour les résidents. Ceux placés en étage quand à eux sont desservis par des coursives métalliques extérieures, pouvant être transformées en balcon par les migrants.L’accent est mis sur la création d’espaces de partage dans la continuité de l’intimité des logements Cet intérêt porté sur l’espace commun se prolonge même au cœur des six unités de vie, accueillant chacune 67 ha bitants. L’ensemble des « rues » relient les logements à une place publique centrale. Ponctuée de Yourtes cette dernière met à disposition des habitants des lieux convi viaux de sociabilisation à l’image de salles à manger collectives ou bien de salles polyvalentes
Architecte(s) : Atelier RITA1 Situation : Ivry-sur-Seine Surface : 5 000m2 Statut : livré en 2017 Ce projet est né de la rencontre de l’Atelier RITA et de l’or ganisation non gouvernementale Emmaüs Solidarité avec pour aspiration de répondre à la crise migratoire et aux afflux massifs de migrants en France. Plus précisément pour accueillir de manière pérenne les familles, femmes isolées et les couples de réfugiés en attente de validation de leur demande d’asile. Ce dernier prend place sur les restes d’une ancienne usine des Eaux de Paris, cédée par la ville L’architecte.
1 : Atelier RITA, Paris, 2016 2 : Guichardaz-Versini (Va lentine), «...», Citation (Figure 49), «Centre d’hé bergement d’urgence d’Ivry -Sur-Seine», axonométrie, Atelier RITA (Figure 50), «Centre d’hé bergement d’urgence d’Ivry -Sur-Seine», photographie, Atelier RITA, Boureau (David)
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Situation
174 II CHU, LA PROMSESSE DE L’AUBE .
2 : Olivier Leclercq et Cyrille Hanappe, Paris, 2000 (Figure 51), «CHU La Pro messe de l’Aube», Photogra phie, Moon Architecture (Figure 52), «CHU La Pro messe de l’Aube», photogra phie, Moon Architecture
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Architecte(s) : Moon Architecture1 et Air Architecture2 : Paris Surface : 2 785m2 Statut : livré en 2016 Le Centre d’Hébérgement d’Urgence de la Promesse de l’Aubre est né de la volonté d’offrir de nouveaux es paces de vie à des migrants isolés ou en famille orientés par le SIAO Urgence. Un cadre autre que celui de la rue ou encore des hôtels sociaux parisiens. Le projet prend place à Paris, avenue de la fortifiaction, à quelques pas des bois de Boulogne. Ce dernier se dessine comme un ensemble de 9 batiments modulable en bois, répartis en 3 catégories en fonction de leurs usages. Un est destiné à l’accueil et au service, quatre à l’hébergement de personnes seules et les autres à l’hébéergement de familles. Les chambres pour migrants isolés sont constituées d’une seule pièce de 9m2 ayant accès à un bloc sanitaire commun par étage. Les appartements familiaux quant à eux se consti tuent de deux chambres, un espace de vie ainsi qu’une pièce d’eau privée. Au dela des logements, Moon ar chitecture s’est appliqué à accompagner ces espaces de lieux communs. Ainsi la sociabilisation des migrants est facilité de par la présence au sein même du CHU de tisa neries, de salons partagés, de salles de jeux... Autant d’espaces de partage que les migrants peuvent s’appro prier pour organiser des repas ou des activités. Ce sont au total 200 personnes qui sont accueillies au sein de ce centre, pouvant profiter à la fois d’intimité et d’échanges. Les résidents bénéficient aussi de soutien pour des projets individuels et formateurs. ils sont aidés sur des questions de scolarisation, d’orientation vers une formation, d’aide à la parentalité, de sensibilisation aux questions d’hygiène, de recherche d’emploi... Au delà du travail effectué au niveau de la mise en ten sion des chambres et des espaces communs au sein des batiments, on retrouve l’idée d’enceinte protectrice Cette dernière n’est pas pensée comme un simple mur mais tout au contraire, profite du cadre paysager. Le pro jet bénéficie d’un retrait naturel, séparé par un important filtre végétal de 50m d’épaisseur par rapport aux habitations. Pensée de manière poreuse l’enceinte offre des percées visuelles dans les bois, proposant un cadre pay sager idyllique repris par les variations de hauteurs des batîments
1 : Guillaume Hannoun, Paris, 2007
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176 III CHU, BASTION DE BERCY .
1 : Guillaume Hannoun, Paris, (Figure200753), «CHU Bastion de Bercy», axonométrie progra matique, Moon Architecture (Figure 54), «CHU Bastion de Bercy», photographie, Moon Architecture
du tissu urbain et ainsi des infrastructures du centre-cille parisien, l’atelier Moon Architecture a souhaité penser le centre comme un village. Une mixité des usages est ainsi recherchée pour contribuer à la vie du lieu et permettre une meilleure insertion des résidents. Ainsi des bureaux de start-up ont été implantés entre les unités de vie. En plus de ces espaces, les architectes ont imaginés la greffe de communs et de terrains de sport aux batiments pour accentuer l’effet de micro-ville. Facilitant les activités et la sociabilisation des personnes acueillies. L’idée étant au-delà de loger les migrants, de leur donner un accès direct aux soins, à un accompagne ment dans leurs démarches administratives... Pensé comme un village, une place centrale faisant office d’agora se trouve au coeur du batiment. Cette dernière située en toiture, prend la forme d’un espace commun en plein air, placé sous la canopée d’un toile translucide. Idée que l’on retrouve également avec les terrains de sport, eux aussi placés en toiture mais cette fois-ci laissés à ciel ouvert. En plus de ces espaces de partage, nous retrouvons deux typologies de logement. Des appartements in dividuels (9m2) ainsi que des appartements familiaux (18m2). Les blocs sanitaires sont répartis sur chaque étage et mis en commun pour l’ensemble des habitatns du CHU. Tous les composants de ce dernier ont été pen sés à partir de préfabriqués en bois et métal pour deux raisons. La rapidité de mise en oeuvre et le caractère ré versible et modulaire occtroyé au lieu. La première à notamment permis de loger les premiers habitants plusieurs mois avant la finalisation du projet.
Architecte(s) : Moon Architecture1 Situation : Paris Surface : 4 809m2 Statut : livré en 2017 Ce centre d’hebergement d’urgence offre 308 places au migrants isolés ou à des familles en attente de validation de leur demande d’asile. Le projet prend racine le long de l’ancienne fortification de Thiers entre le boulevard Po niatowski et le quai de Bercy. Il compose avec un passé laissé à l’abandon et un site classé monument historique à Fortementréspecter.éloigné
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178 IV CHU, STENDHAL .
1 : Delalex (Gilles) et Moreau (Yves), Paris, 2003 (Figure 55), Studiode(FigureStudioexterieurs»,«EspacesPhotographie,Muoto56),«CHUBastionBercy»,Photographie,Muoto
Ce projet diffère des autres de par les nombreux pro grammes qu’il a à coeur de convoquer et d’unir au sein d’un seul et unique batiment. Il est à la fois centre d’herbergment d’urgence, crèche et un immeuble de logements classiques. Ainsi il joue sur l’intêret que peut avoir la cohabitation de ces programations et surtout de ces usagers, les uns avec les autres. Une mise en relation qui permet de ne pas isoler les migrants accueillis et de ren forcer leur sociabilisation en les associant à une multitude de profil. Le regroupement de ces 3 programmes va avoir lieu au sein d’une barre composite, rue Stendhal, avec un dia logue binaire entre rue et intérieur d’ilot. Coté cour, des balcons et des espaces de vie sont ajourés de manière à profiter le plus que possible d’un bon ensoleillement et de vues sur un cadre verdoyant. La cour prend la forme d’un vaste carré de pelouse amménagé pour accueillir des évenements et des activités déstinés à la fois aux mi grants et aux enfants de la crèche. Ce dernier recouvre deux réservoirs d’eau qui servent à alimenter le batiment Coté rue le projet se voute comme pour s’atténuer, et utilise un dialogue architectural en facade, voué à l’ins crire dans la skyline du quartier. On y note à nouveau la présence de balcons facilement appropriables pour les migrants qui peuvent les amménager de manière à pro longer l’interieur de leur unité de vie d’un Dehors. Ces balcons sont également des espaces protégés, grace à un système de volets permettant à leurs usagers d’en profiter sans se sentir observés ou surveillés. Le batiment se découpe de manière à trouver des aéra tions naturelles mais surtout à offrir de nombreuses per cées vers le lointain parisien. Permettant une nouvelle fois aux migrants accueillis de tendre vers le Dehors et de ne pas se sentir enfermés par le centre. La composi tion de ces programmes cherche également à mettre en tension ces espaces tout en les séparant. Notamment le centre d’hébergement qui fonctionne indépendamment, qui dispose d’un espace exterieur intime et d’aucun vis à vis sur la crèche. Permettant aux migrants de pouvoir disposer de leurs propres espaces et ainsi de conserver un sentiment d’intimité.
Architecte(s) : Muoto1 Situation : Paris Surface : 5 180m2 Statut : livré en 2017
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180 V CHRS, RICHELIEU .
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1 : David (Stéphanie) et David ( É ric), Saint-Etienne, 22014:A-MAS, «...», Citation (Figure 57), «Depuis la rue Richelieu», Photographie, Cyrille (FigureWeiner58),«Depuis la cour intérieur», Photographie, Cyrille Weiner
Le batiment projeté s’articule ainsi sur les restes de l’église, formant un important vide voué à devenir une vé ritable pièce à ciel ouvert. Prenant la forme d’une cours commune pour les résidents, cet espace dispose d’une abondance de lumière puisque le CHRS ne s’enveloppe autour de cette dernière que de deux cotés, Sud omis. La cour offre un espace calme et à l’abri de l’urbanité du quartier, fonctionnant comme un cloitre. Elle marque une centralité dans le projet puisque l’intégralité des espaces collectifs y est diretement raccordée. Concentrées en RDC et sur l’aile nord du bâtiment, ces pièces sont déstinées à un usage d’accompagnement des résidents dans leurs démarches administratives et sociales. L’entrée dans le programme de logement ne se fait pas par cette cour mais directement depuis la rue Richelieu de manière à banaliser l’accès. Disposant de 6 niveaux, le batiment accueille 17 unités de vie au total. Un im portant travail a été éffectué dans les espaces communs pour les décloisonner et favoriser une plus grande fluidité de déambulation au sein du batiment. Cela permet de maintenir une relation de qualité entre les habitatns et les accompagnateurs. De plus ces derniers sont très lumi neux, ouverts sur de grandes baies vitrées et un puit de Leslumière.appartement, eux, s’étirent dans la longeur (2,20m de large, 7,50m de long) de manière à travailler sur la suc cession des espaces de vie. « Entrer et accueillir, se rafraîchir autour d’un point d’eau, se reposer ou dormir, s’asseoir à une table au pied de la fenêtre... »2. L’idée est de porposer un lieu qui ne se contente pas d’être un par cours autour du lit. Chaque appartements est pensé pour offrir le plus de vues possible vers l’exterieur du CHRS. Coté rue un dispositif de volets pliants-coulissants en mé tal a été déployé en facade de manière a permettre aux habitants de conserver le plus possible d’intimité.
Architecte(s) A-MAS1 Situation : Villeurbanne Surface : 2 916m2 Statut : livré en 2017
Le CHRS richelieu se structure autour d’un projet de trans formation d’une ancienne église en une centre d’héber gement et de réinsertion sociale. Objet architectural que les architectes ont décidé de «retourner» en lui en levant son toit et en arasant ses murs à 4,80m de haut.
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Architecte(s) : Oboh1 Situation : Paris Surface : 1 931m2 Statut : livré en 2020 Ce projet a été conçu au coeur d’une ancienne parcelle marêchaire entourée de jardins familiaux encore exploi tés. Il s’inscrit dans une volonté de prendre le contre-pied des dispositifs d’accueils actuels en luttant contre l’ex clusion et poposant au dela de logements une aide conti nue dans la scolarisation et la recherche d’emploi. Le postulat de départ était d’intégrer 30 logements sur un terrain éxigu, prêté par la mairie pour une durée de 10 ans. Ainsi l’idée était de créer des habitations mo dulables, démontables et remontables dans différentes situations avec à chaque fois la possibilité d’imaginer une nouvelle configuration. Le choix d’habitations mo dulables est égalment porté par une envie d’éviter tout sytématisme dans l’architecture proposée. On note la présence de quatre bandes habitées dans lesquelles se retrouvent quatre typologies d’unités de vie à chaque fois. Chacune d’entre elles, dispose d’une piece de vie en rez de chaussée avec une hauteur sous plafond assez importante pour venir accueillir une estrade-lit à l’étage pouvant être cloisonné selon les envies des résidents. Les habitations sont à la fois désservies par des entrées individuelles et une coursive pouvant faire office d’espace collectif. Cette denrière située dans le prolongement des habitations permet d’entretenir un lien permanent avec l’exterieur et de par ses décrochages d’offir de nombreux espaces partagés investis par des activités collectives. Ainsi un interet particulier est porté sur la question des paliers entre espace collectif, semi-collectif et privé. Chaque batiment entretient un rapport réfléchi avec le site. Le choix et les variations de gabarits, les vues et les vis-à-vis sont pensés dans l’optique de créer un vé ritable village autonome tout en jonglant entre la vie en collectivité et l’intimité des logements. Les migrants sont invités à réinvestir les maraichages pour profiter d’une activité commune autour de laquelle ils vont se retrou ver et partager. La facon dont ont été mise en oeuvre les habitations, les pans de toiture ou encore les matériaux utilisés rappelle l’archetype de la cabane telle que nous l’avions vu dans la partie sur la Jungle de Calais. Cepen dant elle lui rend hommage en la rendant plus généreuse et lui donnant des accès directs à un Dehors avec des jardins partagés
182 VI HABITATIONS DE TRANSITION, STAINS .
1 : Savigny (Séverine) et Sinéus (Merril), Paris, 2018 (Figure 59), «Module», Axo nométrie éclatée, Oboh (Figure 60), «Ligne bati», Photographie, Nicolas Walte faugle
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1 : Architecte, Paris, 2005 (Figure 61), « Vue aérienne », Photographie, Le Parisien (Figure 62), «Sous la «bulle » », Photographie, Julien Beller
Architecte(s) : Julien Beller1
184 VII CENTRE H, LA «BULLE» .
Situation : Paris Surface : 4 534m2 Statut : livré en 2016 Le centre d’hebergement de la « bulle » est né d’une volonté de l’Etat et de la mairie de Paris de répondre à la multiplication du nombre de campements informels et de primo-arrivant laissés à la rue dans la capitale francil lienne. Ce dernier est un projet de prise en charge de ces populations, il va prendre place à proximité d’un ancien entrepôt de la SNCF, en voie de reconstruction. Il s’agit donc pour Julien Beller d’imaginer un abri au coeur même d’un espace en transition. Le projet se divise en deux pôles différents ayant chacun un progamme propre. La « bulle » fait office d’accueil, ses 950m2 abritent 18 conteneurs dont la déstination vise à rediriger les migrants vers les infrastructures d’accueils les plus adaptées. On y retrouve également un espace santé, dont la gratuité permet aux accueillis de profiter de soins et d’une aide psychologique nécessaire après avoir passé des mois dans l’errance. Le pôle santé est un pas sage obligé pour sortir de la structure gonflable, avant de rejoindre l’ancienne halle SNCF. C’est dans cette dernière que l’ensemble des espaces d’hebergement ont été pensés et disposés, avec sa ca pacité de 400 places et ses 3 376m2. Cette dernière à du subir d’importants travaux pour être prête à accueillir les migrants dans les meilleures conditions, suppression de fenêtres, création de deux escaliers en échafaudage pour accéder à l’étage depuis l’extérieur. Composée en 8 quartiers distincts avec pour chacun 12 chambres, un réfectoire, une cantine et des sanitaires, la halle se conçoit comme un micro-ville. Chaque chambre fait envi ron 16m2 et présente de nombreuses commodités comme le chauffage, la wi-fi... La typologie utilisée rappelle en quelque sorte les cabanes de la Jungle de Calais avec la présence d’un porche devant les habitations. Ce der nier permet un recul par rapport aux espaces partagés et fait office de nombreuses appropriations par les migrants. Enfin, une laverie, des espaces plantés, des baby-foots et des équipements sportifs ont été ajoutés pour faciliter les rencontres et la sociabilisation des résidents entre-eux et avec les encadrants. Renforcant l’image de micro-so ciété avec des espaces communs variés poussant à l’échange tout en conservant des espaces plus intimes en retrait.
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186 VIII LE VILLAGE MOBILE .
Architecte(s) : Atelier Commune1 Situation : Villeurbanne Surface : indéterminée Statut : indéterminé Le village mobile est un projet qui a été pris en charge par l’atelier d’architecte lyonnais, «commune». Il répond à une volonté de la part de ces architectes et de la commune de Villeurbanne de loger des familles de migrants suite à la démolition d’un bidonville. Le site choisi se localise sur une parcelle relativement innocupée sur les bords du Rhône La situation choisie présente la particularité de ne pas être totalement vague puisqu’elle est occupée entre autre par un large espace sablé de stationnement, directement lié à une salle polyvalente. Infrastructure vaccante dé laissée par la commune et ses habitants. L’atelier d’ar chitectes a ainsi choisi de réimplanter sur ce terrain les habitations développées par l’association Habitat et Hu manisme. Ce sont pas moins de 16 logements qui se sont alors installés sur la parcelle (4.9 par 6.1m par unité de vie). L’intervention est au final assez modeste mais elle tient à prendre en compte de nombreux paramêtres pour garantir un certain confort à ses destinataires. Nous parlions tout au long de ce mémoire de l’importance des vues, des parcours, et des espaces partagés, autant de biais par lesquels l’atelier Commune à tenu à développer son village mobile Ainsi, chaque unitée de vie est directement connectée à un sentier exterieur filant devant les habitations et mis en retrait par rapport à ces dernières par des espaces végétalisés. Cette coursive maintient une continuité dans le village tout en conservant l’intimité des habitants. Au-delà de desservir les logements, ce sentier permet de rejoindre la salle polyvalente pré-existante. Cette der nière s’étant vue reconvertie en un lieu commun pour les migrants. Espace convivial et de rencontre, il renforce l’existence d’une sociabilisation et d’échanges au sein du village. De plus le sentier assez large pour être trans formé en espace public offre de genéreuses vues sur le paysage des berges du Rhône. Le travail réalisé sur l’en ceinte du village ayant été pensé de manière à conserver une certaine perméabilité. Elle n’est pas un simple mur de béton, aérée elle protège les migrants des habitants réti cents à leur installation tout en garantissant un lien direct au paysage proche du site. Les migrants ayant de ce fait également la capacité à se projeter hors du village
1 : Barruet (Roxane), Begel (Antoine), Favennec (Ma rine), Putot (Louis), Rollin (Martin), Stremsdoerfer (Alexis), Urli (Léo), Vergnaud (Louise), Lyon, 2018 (Figure 63), «Sentier et seuils», Dessin, Atelier (FigureCommune64), «Rapport au paysage», Coupe, Atelier Commune)
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Architecte(s) : Collectif Sans Plus Attendre1 et Atelier Secousse2 Situation : Paris Surface : 800m² Statut : Présenté entre 2014-2015
188 IX SAGA-CITÉ .
1 : Collectif Sans Plus At tendre, Paris, 2010 2 : Duckert (Daniel), Genest (Nicolas), Faugeron (Yoann), Paris, 2016 3 : Association loi 1901, Mondzain (Marie-José), Paris, (Figure201265), «Espace parta gés», Projection, Atelier Sans Plus (FigureAttendre66),«Espaces habi tés», Projection, Atelier Sans Plus Attendre
Ce projet a été imaginé dans le cadre de l’appel à projet « Paris de l’hospitalité » mené par le Collectif d’architecture PEROU3 en 2014. Le collectif Sans Plus Attendre accompagné de l’Atelier Secousse s’est penché sur la concep tion d’une zone d’habitations nomades pour les migrants et sans abris présents à Paris. Soucieux de créer une micro-cité indépendante et auto gérée ces deux ateliers d’architecture ont travaillé sur la notion d’autonomie. De ce fait ils ont fait le choix de mettre en place des tourelles solaires, des toilettes sêches, un assainissement local ainsi que l’inclusion dans les toitures de panneaux solaires. Ainsi la Saga-Cité ne se rac corde au réseau rubain que pour l’arrivée d’eau potable au sein du village. Le projet se constitue donc comme une société indépendante, qui s’organise par une hiérar chisation des couches d’usage. Ce projet est particulièrement attentif à l’articuluation des différents espaces (pu blic/privé, ouverts au public/partagés par les encadrants/ réservés aux migrants.) Le but étant de proposr toutes les qualités spatiales d’une véritable ville tout en conservant le plus que possible l’intimité de ses résidents. Les logements s’organisent en grappe autour des tou relles énergétiques, au nombres de 28, ces modules habitables offrent différentes typologies. 20 chambres simples (10m2), 4 chambres doubles (20m2) ainsi que 3 chambres pour les encadrants, incluant des bureaux (10m2). Les tourelles énergétiques qui alimentent les habitations en chauffage et électricité viennent centraliser les espaces de vie communs. A savoir les salle d’eau et les cuisines. Elles se répartissent tout du long de la zone habitée, créant des marqueurs dans le paysage bati. Un large sol capable laisse la liberté aux résidents du lieu et aux visiteurs de se rencontrer en exterieur. De plus ce dernier vient accueillir 7 chapiteaux, avec pour chacun des usages différents. On y retrouve par exemple un ac cueil, un cybercafé, des bains publics, une infermerie et même une recyclerie. L’accent est mis sur la convoca tion des migrants dans la vie de la cité et sa construction. Ils sont eux même appelé à moduler ces espaces et à les faire fonctionner.
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Architecte(s) : Aldo Van Eyck Situation : Amsterdam Surface : indèterminée Statut : livré entre 1950-1990 Si le réseau d’aires de jeu pensé par l’architecte Aldo Van Eyck1 pour la ville d’Amsterdam ne s’adresse pas direc tement aux migrants, il entretient un important rapport à la notion d’espaces publics hospitaliers. Au sortie de la seconde guerre mondiale se monte un collectif de pen seurs-architectes, appelé Team 102 dont Aldo van Eyck va être l’une des figures de proues. Leur but est de combatre la stérilité des quartiers modernes construits dans les années 50 où, habitations et activités sont strictement Aldoséparées.Van Eyck qui en tout concevra pas moins de 700 aires de jeu au Pays-bas, oeuvre pour fabriquer la ville comme un espace de sociabilisation et de partage. Souhaitant une ville moins rectiligne et plus organique dans laquelle les individus et les usages se croisent. Cette re conquête des tissus urbains va passer par la figure de l’enfant. Partisan de l’ouverture des aires de jeu vers la ville, Aldo Van Eyck va permettre à Amsterdam de re penser son maillage urbain, les trottoirs redevenant des espaces de rencontre, les carrefours des lieux de repos... Pour cela il decide de placer l’enfant au centre même de la ville au lieu de le confiner dans des espaces clos (écoles, jardins d’enfants, chambres...).
190 X LES AIRES DE JEU .
Un important travail va être réalisé au niveau des frontières de ces espaces publics puisque Aldo Van Eyck va y projeter des lieux in-définis. Il fait feu de toutes les frontières qui pouvaient autre fois séparer les aires de jeux du reste de la ville. L’enceinte se veut invisibilisée, les barrières et grillages disparaissant peu à peu. Ainsi, l’espace public doit se mêler au tissu urbain avec tous ses dangers et ses inconvénients. Il n’y a pas volonté à contenir les usagers de ces lieux mais tout au contraire à les laisser libres de trouver leur propre limite. La conception de l’espace public selon Aldo Van Eyck pourrait ainsi parfaitement s’appliquer dans le cadre de l’accueil des migrants. Puisque leurs réfléxions s’inscrivent parfaitement à l’encontre de l’architecture du mépris3 dépeinte par Mickaël labbé. La place retrouve sa vocation à accueillir, invisibilisant ses frontières pour offrir une zone de sociabilisation ouverte à tous. Imaginée avec simplicité et sans limite elle est facilement appropriable à l’image de la Cour du Maroc4 1 : Architecte, Amsterdam, 21951:Team 10, Jaap Bake ma, George Candilis, Rolf Gutmann , Peter Smithson, puis Aldo van Eyck, Bill and Gill Howell, Alison Smithson, John Voelcker et Shadrach Woods, 1953 3 : Labbé (Mickaël), Archi tecture du mépris, Editeur Payot, 16 octobre 2019 4 : Cour du Maroc, conf «La chapelle, Très Grand Hôtel de la Fortune», p (Figure 67), «Aires de jeux d’Aldo van Eyck à Ams terdam», photographie, Catsaros (Christophe) (Figure 68), «Aires de jeux d’Aldo van Eyck à Ams terdam», photographie, Catsaros (Christophe)
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Ce projet se constitue de batiments répétés prenant la forme de barettes greffées perpendiculairement au cour d’eau de l’Artière. Prenant place en zone inondable, ces logements convoquent l’archetype des pilotis, l’étage habité étant surelevé par rapport au sol L’ensemble du projet libère les terres pour augmenter les surfaces agricoles au pied des habitations. L’idée étant d’accueillir les migrants dans un milieu en capacité à leur proposer des activités d’insertion. L’accent est mis sur la mise en commun. Des sols, avec l’agriculture mais éga lement des espaces. Sous les habitations ont été im plantées des pièces de transformation des ressources cultivées avec des fumoirs et des sêchoirs dont les cheminées traversent le batiment en le chauffant. Les circulations qui filent devant les logements sont assez larges pour s’inscrire dans le prolongement des foyers. Ils sont facilement appropriables et modulables pour y accueil lir des salons exterieurs, des espaces de rencontre Cette coursive vient desservir au bout de chaque barettes habitées une salle commune donnant à voir sur l’Artière et servant de cantine et de zone de partage pour l’ensemble des migrants accueillis. L’idée étant de pous ser les résidents à se réunir autour d’activités variées. Un second espace de circulation à également été pen sé en dessous des habitations et de la platforme su relevée. Cette dernière suspendue a pour but de relier le centre historique du bourg d’Aubière avec sa zone pavillonaire. Cette passerelle file au-dessus des terres cultivables et reste pratiquable même en cas d’inonda tion du site. Elle invite également les habitants d’Aubière à venir profiter des vues créées par ces habitations et des activités qui y sont proposées. Ces batiments ayant pour volonté de ne pas ghétoiser le lieu mais au contraire d’y regrouper étrangers et locaux. Les appartements sont tous confectionnés de manière traversante avec une unique pièce de vie (salon/séjour). Cet espace est mis en retrait par rapport à l’entrée par la cuisine qui donne à voir sur les maraichages ainsi que sur la pièce de vie par un passe plat. Les pièces d’eau sont quand à elles toutes centralisées de manière à facili ter les descentes d’eau. (Figure 69), «La barette», Axonométrie, Chemartin Clément et Fulchiron Xavier (Figure 70), «Espace com mun», Croquis, Chemartin Clément et Fulchiron Xavier
Etudiants-Architecte(s) : Chemartin Clément et Fulchiron Xavier Situation : Clermont-Ferrand Surface : Indéterminée Statut : Présenté entre 2019-2020/S7/ENSACF
192 XI LE VILLAGE SUSPENDU (ETUDIANT).
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Conclusion, – Pourquoi avez-vous décidé que vous seriez architecte ? – Je ne le savais pas alors, mais c’est parce que je n’ai jamais cru en Dieu. – Ne pouvez-vous pas parler sérieusement ? – Parce que j’aime cette terre. Elle est tout ce que j’aime. Mais je n’aime pas la forme des choses qu’on construit sur cette terre. J’ai le désir de les changer. Ayn Rand (La Source Vive (The Fountainhead), 1943)
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196 SORTIE .
La ville occidentale a toujours été l’écrin ambivalent de la tragédie, du crime et de l’intrigue, dont Jean-Luc Nancy disait qu’elle est « toujours sauvage, toujours profondé ment barbare »2. Théatre urbain de l’Hostilité de l’Homme envers l’alter égo, les villes par leur dedans et leur dehors semblent dissimuler des logiques d’accueil relatives à la notion d’hospitalité. Effectivement aujourd’hui ce sont ces mêmes espaces qui ont remplacé le partage par le contrôle et la surveillance. Supervisés par une gouver nance spatiale de gestion des flux, d’identification et de concentration des indésirables dans des espaces neutralisés et de dépossession des espaces publics. Ces politiques hostiles aux droits des citoyens, s’appliquent à toutes les échelles, intra et extra muros reprenant parfaitement la dystopie du Cerclon3, mise en fiction par le romancier Damasio. Le Dedans, métaphore du camp se conçoit comme un espace clos, il est pour le migrant semblable à une prison, enclavé de frontières et concentré sur lui-même. S’il tient sa création d’une volonté d’accueil, ce dernier à rapi dement cédé sa place à des mécaniques d’enfermement. Il finit par calquer son organisation et sa composition par bien des égards sur le système carcéral panoptique mainte fois étudié par Michel Foucault4. Les migrants se retrouvent prisonniers des camps, privés d’intimité, de paysages ou encore de connexions avec le Dehors. Pla
Avant de nous lancer dans cette conclusion, je souhai terai indiquer que ce mémoire est un essai de compré hension. Il a pour but de chercher à exposer mais éga lement à comprendre le fonctionnement de l’accueil des réfugiés sur notre territoire sous l’angle architectural. En effet, l’hospitalité est une notion à la fois dense et vague, comme l’énonçait René Scherer, « hospitalité insaisis sable et qui se dérobe dès que l’on tente de la fixer sous une forme unique, de la prendre en un sens univoque »1. Cette dernière évolue de jour en jour par l’initiative de l’Homme et en accord avec notre société. De fait, ce mémoire ne peut prétendre présenter toutes les «bonnes» manières d’accepter l’étranger chez-soi, il s’applique plutôt à déceler les rouages de l’accueil en France, à en com prendre les fonctionnements et les formes les plus mar quantes. Son objectif est d’étudier un certain nombre de pistes architecturales, paysagères et urbaines pour dres ser l’état de l’art des actes novateurs et réfléchis en vu d’ une possible re-domestication de l’hospitalité.
1 : Shérer (René), Zeus hospi talier: Éloge de l’hospitalité, La Table Ronde, 1933 2 : Nancy (Jean-Luc), Au loin… Los Angeles, La Ville au loin, Paris, Fayard, 1999, p. 21 3 : Damasio (Alain), Le dehors de toute chose, La Volte, 2016 4 : Foucault (Michel), Surveil ler et punir, Gallimard, 2016
197 cés sous la surveillance des autorités, ils sont fortement restreints, ne pouvant moduler l’espace selon leurs désirs ni s’approprier les interstices. Le Dedans est une enti té architecturale et urbaine imperméable, hostile aux mi grants et concentrationnaire. Le Dehors, quant à lui, revêt les mêmes traits que ceux imaginés par Damasio. Il se dresse tel une terre d’espoir plongée dans l’inconnu. Le Dehors, c’est l’ensemble des rues, des immeubles, des places et des jardins parisiens, une vaste étendue habitée par une multitude de profils. Là-aussi, quoi que moins contrôlé, il fait l’objet d’une importante surveillance. De manière différente mais toute aussi violente, cet à-coté se présente comme hospitalier et hostile en même temps. Les migrants se confrontant avec le soutien des associa tions et de certains citadins à de nombreuses formes de Voilàmépris1de quoi, de prime à bord, semble se constituer le Dedans et le Dehors de nos sociétés actuelles. Néan moins la démarche utilisée pour ce mémoire, à savoir la recherche de dispositifs, de situations particulières et d’idées novatrices, m’a permis de venir contrebalancer et nuancer ce bilan. La Jungle de Calais mais aussi le Très Grand Hotel du quartier de la Chapelle nous ont démontré que l’archi tecture pouvait également révéler l’émergence de dispo sitifs spatiaux et architecturaux hospitaliers. Je pense par exemple, aux cabanes de la Jungle pour leur capacité d’appropriation, au « main street » calaisien regroup pant une multitude d’espaces de partage et d’évasion Autant d’espaces publics essentiels à l’accueil des migrants que l’on retrouve tout autour et à l’intérieur du quartier de la Chapelle, plus particulièrement avec la cour du Maroc. Cette hospitalité, nous la retrouvons éga lement aux travers des appartements partagés du Très Grand Hôtel. Chaque cas d’étude a permis de démon trer des installations et des principes architecturaux forts, œuvrant pour un accueil hospitalier des migrants, que ce soit en-Dedans, ou en-Dehors. Dans les deux premières parties de ce mémoire il s’agissait ainsi, de montrer des formes de résurgence architecturale non planifiées ou si non très Finalement,peu.il semblerait que le rôle de l’architecte face à l’hospitalité et la crise migratoire réside plus dans sa capacité à ne pas restreindre les futurs usagers de ses architectures. De ne pas leur imposer les espaces et les usages, il ne doit pas vouloir dicter la vie des migrants mais tout au contraire venir l’accompagner. Sa place est bel et bien aux cotés des associations et des migrants, en 1 : Labbé (Mickaël), Reprendre place contre l’ar chitecture du mépris, Editeur Payot, 16 octobre 2019
198 tant que créateur d’espace non-défini, appelés à évoluer avec celui qui l’habite, qui l’occupe…L’architecture d’ur gence si elle se veut hospitalière doit prendre en compte la vulnérabilité de son usager et la partager. Elle doit lui of frir un espace de vie durable mais pour autant modulable dans la durée. Les dispositifs rencontrés lors des deux cas d’étude vus dans les deux premières parties nous ont appris que l’architecture était hospitalière lorsqu’elle ne cherchait pas à contrôler. Elle doit autant provenir de l’architecte que du migrant, le premier en tant que dessina teur et constructeur et le second en tant qu’habitant. Ainsi, l’architecte ne doit pas penser à l’avance son bâtiment, sans prendre la mesure du terrain. L’hospitalité le rappelle à son aspect d’enquêteur, l’obligeant à étudier minutieu sement, un site, des profils, une culture, une histoire… Il s’agit de ne pas projeter en étant déconnecté de son sujet. Cela-dit, elle n’est pas non plus forcement non planifiée, et c’est sur quoi porte la 3ème partie. Elle peut être mé ticuleusement pensée en amont, durant et en aval de sa conception. Le plus bel exemple étant sûrement le camp d’accueil récompensé d’un prix de la première oeuvre, conçu par l’atelier Rita. Ces architectures sont pensées pour durer et pour répondre à des problématiques ur baines complexes mais tout en gardant un rapport intra sèque à leur rôle de foyer. Les matériaux, la situation, l’implantation… tout est réfléchi, étudié pour offrir les meil leurs conditions de vie aux futurs occupants. De plus, ces architectures sont solides et posent certaines règles tout en laissant une grande part d’appropriation à l’usager, avec des pièces modulables, des espaces capables… C’est dans le mélange de tous ces aspects que l’archi tecture peut se révéler pleinement hospitalière pour les Lesmigrants.projets analysés dans la 3ième partie de ce mémoire révellent ainsi les parametres d’une architecture accueil lante envers les migrants. Un souci porté à la pojection de véritables lieux habitables pour les indésirés, trahissant la présence d’îles au sein de notre société. Îles archtiecturales qui, au même titre que celles décrites par Alain Damasio1, brillent sur notre territoire de par leur rareté et leur capacité à faire hospitalité. Si le Dedans comme le Dehors reste en suspend entre hostilité et hospitali té, ce n’est pas le cas des îles. Ses dernières arrivent à faire projet au-dela du mépris et du rejet pour devenir des foyers pleinement charitables. Quoi que variés, ses derniers convoquent inlassablement les mêmes sujets, à savoir l’enceinte, l’intimité, le collectif, l’accompagne ment ou encore, le faire ville. Autant de notions incontour 1 : Damasio (Alain), Les Furtifs, La Volte, 2019
199 nables pour concevoir dans une optique d’accueil et non de Maiscontrole.alors,« quel rôle les architectes ont-ils à jouer dans la reconquête de l’hospitalité mise en lumière ces der nières années par la crise migratoire ? ». Sûrement celui de concepteur et d’accompagnateur. La ville hospitalière est celle de l’expérimentation architecturale, de la riposte constructive attentive aux Hommes et consciente de leurs besoins. Je rappelais au début de cette introduction toute la diffi culté à saisir pleinement la notion d’hospitalité, et toute la complexité de la crise migratoire. Le rôle de l’architecte, à mon sens, prime par sa plurialité. Il ne peut l’exercer qu’en convoquant un large pannel de connaissances et de disciplines. Constat dont je me suis rapidement rendu compte lors de la rédaction de ce mémoire. Cette obli gation de revêtir par moment la cape de l’anthropologue, du géographe, du philosophe ou encore du journaliste ne m’a pas dérangé dans ses exigences de diversité intellec tuelle. Mais plus, dans le maintien de mon regard d’archi tecte à travers l’entièreté du déroulement de mes parties. De faire en sorte de classer ces différents relevés pour faire prédominer dans mon mémoire une vision architec turale du sujet. Un autre difficulté que j’ai pu rencontrer dans la rédaction de cet énoncé théorique réside dans la compilation d’in formations. Etant un sujet extrêmement sensible, il est as sez compliqué d’obtenir des données autres qu’écrites ou chiffrées au sujet des camps de réfugiés, des prisons de non-droit ou encore des CADA. Ce sont des espaces qui restent assez mal représentés graphiquement, soit qu’ils ne semblent pas intéresser assez, soit que les or ganismes et les dirigeants ne mettent pas à disposition ce type de documents. Heureusement, certains architectes comme les collectifs PEROU, Secousse ou encore Sans Plus Attendre donnent accès librement à leurs relevés sans quoi je n’aurais pas pu produire mes propres figures spatiales. Toute la complexité ici a été de réunir le plus d’informations brutes et techniques pour ensuite les traduire avec mes outils, à savoir la cartographie, le témoi gnage, le re-dessin…
Enfin, la troisième difficulté à laquelle j’ai du faire face, a été de ne pas avoir pu me rendre sur mes principaux cas d’études, et cela pour différentes raisons. Si la crise sanitaire a certes joué un rôle ici, il n’en est que mineur. Le choix de cas d’études assez épares et éloignés de
Clermont-Ferrand m’a posé des problèmes d’ordre uti litaire. J’aurai pu faire le choix de me concentrer sur la région pour faciliter mes déplacements mais j’aurai selon moi, manqué des figures emblématiques de l’accueil en France. De plus, me rendre à Calais aujourd’hui n’aurait pas eu autant de sens qu’il y a 5 ans, étant donné le démentellement total du camp. De plus, cela m’a permis de conserver mon regard intact, puisque je m’étais déjà ren du à Sangatte et à Calais durant mes années de collège, ce qui m’avait notamment motivé à me saisir de ce sujet.
Malgré cela, je pense avoir réussi à répondre à mes at tentes et à mes objectifs même si le nombre de cas d’étude et de dispositifs architecturaux pourrait être nourri à l’infini. L’idée, au delà de déceler le rôle de l’architecte dans la crise migratoire était également de convoquer de nouveaux outils, pouvant être utilisés pour parler d’hospitalité. Je parle notamment de la cartographie qui bien que complexe à établir m’a beaucoup aidé et a présenté un intérêt certain dans la construction de mon mémoire. Il était important selon moi de mettre l’accent sur la dimen sion spatiale de ce sujet. Chose que j’ai tenté de faire à travers la carte, mais aussi tout au long de mon texte en relevant chaque mot caractéristique d’un lieu. Glossaire qui m’a permis d’établir une dernière cartographie du sujet selon les espaces convoqués par mon mémoire. Révé lant l’importance de certains lieux par rapport à d’autres dans l’accueil hospitalier ou non, des migrants. La réalisation de ce mémoire et le choix de son sujet vont en adéquation avec mes orientations pour le PFE et surtout pour mon futur en tant qu’architecte diplômé. J’ai tou jours apprécié me prêter à des exercices de rédactions et c’est un outil que je prends toujours à cœur de convoquer. En vue du plaisir que j’ai pris dans la finalisation de cet énoncé théorique j’aimerais dans le futur ne pas me limiter à l’unique casquette d’architecte. J’ai désir d’intégrer un agence regroupant une multitude de profil varié à l’image du Collectif PEROU dont la manière de préparer leurs pro jets, passe toujours par des Atlas, des enquetes, et bien d’autres écrits. Une démarche qui prend une place impor tante dans l’enseignement au sein du Master EVAN et qui m’a motivé à rejoindre ce domaine d’étude il y a 1 an. Au delà de mes perspéctives professionelles, ce travail m’a également donné envie de prolonger mes recherches et, de pourquoi pas, dans quelques années me prêter de nouveaux à un tel exercice à travers une thèse. De façon à ne pas me cantonner à l’architecture pûre, mais à conti nuer de développer de nouvelles manières de faire projet à partir de profils, de notions, de maux...
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Parmi les nombreuses notions que j’ai été ammené à soliciter au travers de ce mémoire, certaines m’ont ani mé au-dela du sujet stricte de ce dernier. Si l’hospitalité ou encore le « droit à la ville » sont des sujets qui m’ont beaucoup interessé, de par leurs thématiques et leur am plitude, une notion en particulier semble ressortir. La crise migratoire telle que je l’ai appréhendée dans cet énnoncé théorique, m’a engagé à étudier le concept d’enceinte et d’enfermement. Un questionnement qui s’est retrouvé tel un fil rouge tous au long de mes parties. Que ce soit avec la question du camp, de l’univers carcéral, des espaces publics... L’enceinte est une notion primordiale et incontournable en architecture et ce, pas uniquement dans le cadre de l’accueil des migrants. « Le XXIe siècle sera celui des murs »1, entre les pays mais également à l’interieur des villes, pour enfermer mais également pour se protéger. Aux grandes heures d’une société devenue sécessionniste, de plus en plus de stratégies d’enfermement se développent. D’un part à l’encontre des migrants (enfermement subi) et d’autre part organisées par des individus pour se mettre à distance. De ce fait on remarque l’emmergence d’un phénomene d’auto-enfermement allant à l’encontre même des fondements de l’hospitalité, à savoir en contre pied des notions de diversité et d’échanges. D’un point de vu architectural cette logique prend le nom de « Gated communities».
Ces quartiers privés sont des espaces résidentiels sécessionistes et sécuritaires qui créent de fortes dis parités et des tensions sociales au sein des tissus urbains. Facilement identifiables de par leur morphologie et les archetypes qu’elles mettent en oeuvre, les « Gated communities » font fortement échos à l’architecture des camps. Les deux étant des espaces de vie communotaire, entourés de clôtures ou de murs et accessibles uniquement par certains points d’entrée. Là où dans les camps, les sorties sont controlées, ici se sont les entrées qui sont scrutées. Dans les deux cas ces espaces sont cloisonés, renfermés sur eux même et extremement sou mis à des dispositifs de surveillance. Un dialogue constant qui passe à la fois par le facadisme et les mécaniques de projets, auxquels Sohpie Suma s’était attaqué en 20162. De ce fait j’aimerai ouvrir mon mémoire sur ce rapport que semble entretenir les camps (Figure 71) et les « Gated communities » (Figure 72), dans leur mise en oeuvre et leur fonc tionnement. Pour comprendre les logiques d’auto-enfermement, en miroir de celles d’emprisonement, avec une question simple, « Que se passe t’il derrière le mur ? ». Certaine personne se faisant enfermer et d’autre s’enfer ment d’elles mêmes pour se protéger. 1 : Moreira (Paul), Bunker Cities, Premieres lignes tele vision, ARTE France, 2019 2 : Suma (Sophie), Fake vie et espaces factices Des gated communities à la téléréalité, Dans : séminaire Cultures vi suelles : faits, fakes, fictions, Université de Strasbourg,2016 (Figure 71), «Et derrière le mur, le camp», photomon tage, Fulchiron (Xavier),192p (Figure 72), «Et derrière le mur, la gated photomontage,communitie»,Fulchiron(Xavier),p193
201 ET DERRIÈRE LE MUR... .
« Derrière le mur » Le CAMP (Figure 71)
« Derrière le mur » La GATED COMMUNITIE (Figure 72)
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206 Glossaire, «Tout refus de communiquer est une tentative de communication ; tout geste d’indifférence ou d’hostilité est appel déguisé.»Albert(l’étranger,Camus1942)
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208 Les Spatialités, vue par l’architecte DEDANS CADA Jungle De Calais Hangar Camps Logement Centre de réten tion Sanitaires Bibliothèque Camp de Calais Appartement Yourte Hospice Métro Tour de Garde Camps de migrant Chambres Campement informel Ecole Eglise Chemin Lieu de culte Espaces de revendication Cabane Shop Espace d’appropriation Cuisines communautaires Centre d’accueil Café Pôle santé Espace Restaurant Camps de concentration Campements Jungle Village Entités initiatrices et rebelles Tente Bar Casernes militaires Tour panoptique Parloir Prison Unité de vie Seuil Camps de réfugié Espace de résistance Cabanon Contai ners Intériorité Préfabriqués Foyer Espace Intime Infrastructures d’accueils Institution Centre d’hébergement Espaces de toilettes Salles communes Commerce Salles de lecture Espace publics prisons de non-droit Place Camps éphémères Stations Espaces de transit Camps d’internement Campements de fortune Espaces culturels CPH Espaces de sociabilisation Laa gers Terrains occupés Sols en transition Cerclon Espaces de restaurations Espace de détention Gated communities Cellule Infrastructures préexistantes Lieu de vie Porche Lieux de partage Prison de droit DEHORScommun Pays d’origine Territoire Ville Pays d’accueil Rue Sols Place Espaces publics Guichet uniques Immeuble vacant Ville de Paris Café Europe Tissus urbains Unité de vie Espaces ludiques Ville franche Terre Pays Espaces résidentiels Territoire d’accueil Places publiques Ville hostile Espaces urbains Infrastructures d’accueils Aire de jeu Route Ville refuge Pays Hote Gated communities Monde urbain Métropole Centre-ville Jardin Autoroute Axes routiers Chambres Terrain Vague Sols marécageux Port Artère commerciale Salles d’attente Hôpitaux Agora Aérodrome Hopital Campements Terre d’accueil Main Street No man’s land Berges Espace de promenade Plaine agricole Zone portuaire Monde extra-muros Entités initia trices et rebelles Exterieur Paysage La Chapelle Territoire européen Région Ateliers Tente Seuil Squats Marchés Bibliothèque Ecole Espace Eglise Lieu de culte Magasin Restaurant Brasserie Boulevards Périphérique Camps éphémères Camps informel Camps Logements chez l’habitant Quai Rotonde Espaces cachés Espaces de transit Tunnel Gares ferroviaires Voie ferrée Campements de fortune Parcs Espaces de revendication Terre d’espoir Espaces culturels Musées Lycée Espaces de sociabilisation Logements Terrains occupés Capitale Sols en transition Quartier Auberge Cinéma Espaces de restaurations Cour du Maroc Espace de festivité Carrousels Appartement Théatre Bureau Logements saisonniers Boutique Local abandonné Salles à manger Auberge de jeunesse Espace intime Etage Salon Infrastructures préexistantes Micro-ville Espace solvable Bar Espace politique Zones pavillonaires BID Com merce Espaces de rassemblement Lieu de vie Fleuves Lieux de partage et de mélange Espace d’appropriation Espace de résistance Ancienne usine Village Hôtel sociaux Aire de jeu Tissus Trottoirs Espace clos Refuge Abris Entre-deux Milieu Chez-moi Infrastructure Par-terre Microcosme Enceinte Cité Zone restreinte Barrière Interstices Lieu Frontière Limite Espace Frange Installation Sortie Entrée Non lieu Colonie A-coté Entre-deux Recoin Coulisse Marge Ciel Îles Village Modules Logement Espaces extérieurs Yourte Cour partagées Coursive Espace de circulation Rue Espace commun Place Balcon Espace collectif Lieux conviviaux Salles polyvalentes Lieu de vie Batiment modulable Chambres Pièce Tisaneries Centre d’hébergement Salons partagés Espace d’appropriation Salles de jeu Lieux de partage Pièce d’eau privée Enceinte protectrice Espace Paysage Terrains de sport Unité de vie Place centrale Bureau Espaces publics Toiture Appartements familiaux Appartements individuels Préfabriqués Barre Îlot Intérieur Espaces de sociabilisation Pelouse Crêche Espace intime Espace de résistance Centre Espace protégé Quartier Cloitre Parcelle marêchaire Piece de vie Rez de chaussée Jardins familiaux Entrées individuelles Village autonome Cabane Jardin partagé Abris Espace de transition Containers Pole santé Seuil Exterieur Cantine Réfectoire Infrastructures d’accueils Laverie Espace planté Village mobile Etage Sentier Salon Berges Lieu commun Habitations nomades Micro-cité Tourelles solaires Cuisine Salle d’eau Sol capable Café Recy clerie Infirmerie Appartement Accueil Lieux in-définis Sols en transition Cour d’eau Platforme suspendu Fumoir Sêchoir Passerelle Maraichage Surface agricole Porche Palier Barette Lit
Passé
Entre-deux
Légende : Spatialité : Spatialités courrament utilisées Spatialité : Spatialités observables dans deux catégories d’un unique profil
Parking de camion Ecole Rails Route Café Mer Egée Université Centre-ville Toit Ailleurs Régions Train des rêves Campagne Ville Autre logement Centre d’hébergement gouvernemental Chambres Chez le médecin Bateau des rêves Rues de Calais bout de la ville Europe Hopital Exterieur Afghanistan Érythrée Chez-moi Pakistan Mon village Village Iran Soudan Mon magasin Pièce Chemin Hôpital Foyer Prison Maison
Spatialité : Spatialités observables dans trois catégories d’un unique profil Spatialité : Spatialités observables auprès de deux profils distincts (architecte et migrant)
Spatialité : Spatialités les plus utilisées (définies)
209 Les Spatialités, vue par le migrant DEDANS Eglise Ecole Village Café Scène Jungle Ville dorée Camp Cara vane Tente Intérieur Ici Tentes bleues Blue Bus Camp de Calais Dôme Toit Containers Chez lui Lieu de vie Batîment DEHORS
Autre endroit Frontière Là-bas Ciel
L’autre
Espace (243) : De manière historique l’espace à d’abord été défini comme temporelle, hérité directement du latin « spatium ». Cepen dant, il a toujours été étroitement lié aux individus et notamment au milieu naturel où l’Homme se meut et s’épanouit. Très rapidement, est née la notion d’espace architectural, ici, il est question d’un milieu volontairement délimité présentant des frontières physiques ou non. Cependant, ce ne sont pas ses frontières qui le définissent, mais le vide qui est créé et l’activité de l’Homme au sein de ce dernier. L’espace se caractérise au final par sa capacité à accueillir les usages de l’Homme.
Camps (254) : Un camp de réfugiés est un camp temporaire construit par des gouvernements ou des ONG pour recevoir des réfugiés. C’est un espace humanitaire artificiel, fondé sur un système urbain pour une durée limitée à la suite d’une catastrophe naturelle ou d’une crise politique. Certains camps peuvent accueillir jusqu’à plusieurs milliers de personnes. Il est possible d’en relever une grande pluralité à sa voir les camps de concentration, les camps de prisonniers, les camps d’internement, les camps de réfugiés, les camps militaires ou encore les camps de transit. Chacun connaissant une graduation différente au niveau de son enfermement et de sa surveillance.
Ville (190) : C’est un espace géographique et social reposant sur la ré union d’un important nombre d’individus au sein d’un même endroit. Elle se caractérise par un maillage complexe avec des bâtiments, des réseaux viaires, des espaces publics... Selon le droit à la ville1, énoncé par Henry Lefebvre dans son livre éponyme, elle se veut durable, ba sée sur l’inclusion et la coexistence des individus entre eux. Sa richesse résident dans sa mixité et sa capacité à créer du partage entre les in dividus sans aucune forme de discrimination. C’est l’essence même de notre société. Pour les migrants, elle est comme tous dehors, souvent perçue comme cela, mais finie par se révéler hostile et méprisante par bien des aspects. Jungle (150) : Dans son sens strict la jungle définie une zone de végétation dense soumise à un climat chaud et humide. Ici, il s’agit d’une zone de campement de fortune ou les migrants se regroupent. Ce dernier a été adopté par les migrants eux même puisque beau coup jugeaient que des humains ne pouvaient pas vivre dans de telles conditions. Son nom provient ainsi de la dureté de son milieu et ren vois à l’imaginaire de la foisonnante, puisque constituée d’habitations éparses et s’étant librement réparti au milieu d’un marécage. Dehors (104) : Le dehors est la partie extérieure d’une chose ou bien d’un individu, c’est un hors-lieu qui se déploie à l’extérieur. Se lon Damasio, le dehors se conçoit comme un territoire inexploré, une zone des possibles à la fois hostile et hospitalière. Il est l’au-delà, qui entoure de sa vastété la cité dite du Cerclon (voir dedans). Pour les mi grants, il est la clé du rejet des systèmes d’accueils gouvernementaux, il est la rue, la ville et ses espaces publics. C’est un territoire d’espoir et capable d’accueillir de manière plus ou moins hospitalière.
210 1 : Lefebvre (Henri), Le droit à la ville, Economica, 2009 Les Spatialités, les plus citées
Espace collectif (48) : Pour Harribey1, un espace collectif est un bien commun qui se caractérise par une non-exclusion et la non-rivali té. Contrairement à l’espace commun dans lequel peuvent exercer des formes de rivalité, ici l’occupation de l’espace collectif par un individu ne peut pas venir gêner sa pratique par autrui. La rue par exemple est un espace collectif, car elle est accessible à tous et le fait qu’un per sonne à accès à cette dernière n’empêche pas les autres de l’investir.
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Il s’agit des espaces de circulation, mais aussi de places, de jardins ou encore de parcs. Il se différencie de l’espace privé ou bien semi-public qui, ce dernier, même s’il reste ouvert à l’usage de tous peut contrô ler les populations qui le pratique (centres commerciaux...). Pour les migrants, les espaces de publics sont des lieux de vie et surtout de visibilité, leur permettant de pointer du doigt leurs conditions de vie, et ce à quoi ils aspirent.
Logement (51) : C’est un local dont l’utilisation est destinée à l’habi tation, il est indépendant et clos, il dispose de sa propre entrée débou chant sur l’extérieur ou bien des pièces communes. Si l’on en relève 4 principales typologies (résidences principales, résidences secondaires, logements occasionnels, logements vacants), on observe des cas par ticuliers. Les chambres meublées et les habitations précaires ou de for tune sont des logements au sens de l’INSEE même s’il ne respecte pas tous les critères énoncés précédemment.
Quartier (44) : Un quartier est un découpage, un morceau d’une ville ou bien d’un territoire. Son échelle plus restreinte lui permet souvent une meilleure appropriation de la part de ses habitants. De ce fait chaque quartier présente des caractéristiques urbaines et so ciales particulières, lui permettant de fonctionner comme une entité urbaine à part. Un quartier se distingue d’un autre, de par ses habi tants, son architecture, son image, ses fréquentations et sa situation géographique. Rue (39) : Voie de circulation bordée par des immeubles ou des es paces publics, la rue est un élément fondateur des tissus urbains. Elle a également une connotation populaire, elle est un espace d’insur rection et de revendication. Pour les migrants qui bien souvent sont amenés à l’habiter, elle est un dehors plein d’espoir, souvent préférée au camp ou au CADA. De ce fait, chaque rue peut faire partie d’un parcours, offrir un abri pour une nuit...
Espace public (62) : Un espace public est un lieu destiné à la collec tivité, auquel chaque individu peut prétendre sans aucune restriction.
Dedans (45) : Le dedans est ce qui est contenu, c’est l’intérieur. Pour Damasio, il prend la forme d’une immense cité appelée Cerclon. C’est un espace fermé soumis à de nombreuse surveillance et forme de contrôle. Ainsi, le dedans s’oppose au dehors, il est neutre et enclavé avec des limites bien définies. Nous pouvons également le relier dans le cadre de ce mémoire à la notion de prison et à l’univers carcéral.
1 : Jean-Marie Harribey, La Richesse, la valeur et l’inestimable, Les Liens qui Libèrent, 2013, p. 392-405.
Territoire (61) : Un territoire est une étendue présente sur la surface terrestre et sur laquelle habite une communauté d’humain. Ce dernier à des limites, des frontières et est soumis à de nombreuses règles en fonction de sa souveraineté. De ce fait, un territoire peut être lié à un groupe d’Homme précis qui se l’approprie en son nom.
Terre (38) : Par définition la terre qualifie le milieu de vie des Hommes, elle est ce qui est habité et qui fait monde. C’est la surface solide sur laquelle l’Homme habite, vie, construit... L’Homme, ainsi, entretient un rapport intime avec la terre, avec sa terre, cette dernière pouvant avoir un caractère personnel. La terre d’une personne peut évoquer son passé, le lieu d’où il vient, chaque migrant à une terre d’origine et une terre d’accueil qu’il pratique différemment.
Frontière (37) : C’est la confrontation, là où il y a des frontières la paix persiste, c’est un paradoxe, on ne peut pas s’en passer. Il faut une clôture pour avoir une liaison, il n’y a de vie que circonscrite, le lieu sacré se distingue dans l’espace par un emmanchement , barrière, clos (lieu en hauteur ou des fois crypte.), « le faible demande une frontière et le fort n’en veut pas ». (cours d’apport théorique UE4.1 de Stéphane BONZANI).
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Campement (34): Installation provisoire et rudimentaire, lieu en désordre où on est ainsi installé. Contrairement au camp, le campe ment de migrants est illégal et spontané, il n’est pas encadré ni contrô lé officiellement par l’état ou toute autre organisation. On le défini souvent d’informel, d’illégal ou encore de « campement de fortune » pour mettre en avant son aspect auto-fondé et son manque de gou vernance étatique. Chambre (33): Dans sa définition stricte, la chambre est une pièce dans laquelle un individu se couche, elle peut faire partie d’une ha bitation ou bien être totalement indépendante. Pour les migrants, la chambre représente l’espace le plus intime, c’est l’endroit où il se coupe du reste de la communauté. Sa capacité d’appropriation lui oblige à être traité comme un espace privé dans lequel un ou plusieurs individus se connaissant vont pouvoir s’isoler. Enceinte (31): Espace intérieur ainsi entouré, ce qui entoure un lieu pour en délimiter ou en défendre l’accès. Dans le cadre des camps de migrants, elle est à la fois requise par l’Etat Nation pour parker les réfu giés, mais aussi nécessaire dans bien des cas pour les protéger d’actes racistes. Elle est à la fois un objet architectural hostile et hospitalier. Présente dans les prisons et les camps, mais aussi les « Gated commu nities », l’enceinte peut être souhaitée comme subie.
Camps (7) : p 210 Jungle (7) : p 210 Tente (8) : Une tente est un habitat temporaire et démontable, c’est un des premiers habitats construit par l’Homme. Son caractère pré caire s’inscrit dans une logique de déplacement de population. La tente est un abri qui n’est pas fait pour rester à un unique endroit, mais au contraire pour suivre son usager dans ses déplacements. Elle est principalement utilisée par des populations nomades à l’image des migrants qui en font leur lieu de vie principal. C’est l’habitat le plus utilisé dans les camps et campements de migrant, fort de son aspect mobile et facile à déployer. Village (8) : Un village est une agglomération qui se caractérise par un habitat concentré et surtout une vie communautaire étroitement liée. Son échelle inférieure à celle de la ville lui permet de meilleurs liens entre ses habitants. La Jungle est perçue par exemple comme un village de par les migrants qui l’occupent de par sa densité, mais aussi la présence dans ce lieu d’infrastructure de première nécessite. On y retrouve généralement une place et une artère principale sur laquelle se greffe l’essentiel des commerces et espaces publics à l’image de la «main street » de la Jungle.
213 Et dans les témoignages, Ville (11) : p 210 Ici (11) : Le terme « ici » est un indicateur, le marqueur d’un lieu, d’une localité ou d’une région qui est désignée ou bien par une per sonne extérieure à cette dernière ou bien qui y est présente. Dans le cadre de ce mémoire, c’est un des mots les plus observés au sein des témoignages des migrants. Ils utilisent ce terme pour désigner leur mi lieu de vie actuel, à savoir principalement la Jungle de Calais. « Ici », c’est le milieu précis ou évolue l’interlocuteur, son présent, il s’oppose de ce fait au là-bas, passé des migrants (« mon pays ») ou à leur futur (« la rue »).
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En-campés : Ce terme péjoratif dénonce l’ensemble des migrants placés dans des camps par des autorités supérieures souhaitant les soumettre à une forme de contrôle. Marjorie Beulay maître de confé rences à l’Université Picardie Jules Verne, utilise cette expression pour mettre en avant les dérives des camps et leurs caractères liberticide.
Demandeur d’asile : Personne qui a quitté son pays d’origine et souhaite obtenir le statut de réfugié.
Déplacé interne : Personne forcée ou contrainte à fuir son lieu de résidence habituel, notamment en raison d’un conflit armé, de situa tions de violence généralisée, de violations des droits de l’homme ou de catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme et qui n’ont pas franchi les frontières internationalement reconnues d’un État.
Les Notions
Accueil : il consiste dans le geste de recevoir quelqu’un, a contrario de l’hospitalité il peut être à la fois bon et mal. Altérité : Selon Angelo Turco, elle est « la caractéristique de ce qui est autre, de ce qui est extérieur à un « soi » à une réalité de référence : in dividu, et par extension groupe, société, chose et lieu. (Elle) s’impose à partir de l’expérience (et elle est) la condition de l’autre au regard de soi.» Derrida la considère comme absolue et irréductible de l’autre et à la base même de l’éthique. Apatride : Selon la Convention de New York du 28 septembre 1954, le terme apatride s’applique à : «Toute personne qu’aucun Etat ne consi dère comme son ressortissant par application de sa législation». De ce fait elle n’est plus rattachée à aucune nation. L’apatridie peut résulter de contradictions entre différentes lois de nationalités, successions d’Etats et transferts de souveraineté, défaillance ou inexistence des lois sur l’enregistrement des naissances, applications strictes du droit du sol et du droit du sang, déchéance de nationalité sans possibilité de la réintégrer. L’apatride cesse d’exister à partir du moment où la per sonne acquiert une nationalité ou réintègre sa nationalité d’origine. Crise migratoire : désigne un phénomène d’augmentation sensible du nombre de migrants arrivant dans un pays ou dans une zone géo graphique. La notion de crise migratoire est subjective et intervient lorsque le flux migratoire devient très ou trop important et pose un problème, réel ou imaginaire, au(x) pays d’accueil. Elle est survenue en Europe au début des années 2010. Déboutés du droit d’asile : est débouté de l’asile toute personne dont la demande d’asile a été rejetée définitivement par l’Ofpra et par la CNDA et ayant épuisé tous les recours possibles.
Droit d’asile : Le droit d’asile est internationalement reconnu par la Convention de Genève de 1951 et inscrit dans la Constitution fran çaise. Il permet de protéger toute personne victime de persécution. Une fois obtenue il permet aux demandeurs de travailler et d’avoir un hébergement sur son territoire d’accueil.
Etranger : Selon l’INSEE, un étranger est une personne qui réside en France et ne possède pas la nationalité française, soit qu’elle possède une autre nationalité (à titre exclusif), soit qu’elle n’en ait aucune (c’est le cas des personnes apatrides). Les personnes de nationalité française possédant une autre nationalité (ou plusieurs) sont considérées en France comme françaises.
Hospitalité : l’action de recevoir chez soi l’étranger qui se présente, pour les philosophes, l’hospitalité peut se définir comme le partage du « chez soi », comme une valeur. René Scherer dans son ouvrage, Eloge de l’hospitalité la qualifiait d’ «insaisissable et qui se dérobe dès que l’on tente de la saisir dans une forme unique, elle est privée et publique, présente et absente, chaleureuse et hypocrite»
Guichet unique : Le guichet unique est le lieu où vous sera délivré le formulaire de demande d’asile à renvoyer à l’Ofpra. Les guichets uniques sont composés d’agents de la préfecture et d’agents de l’Of fice français de l’immigration et de l’intégration (OFII), réunis spécifi quement pour assurer l’accueil des demandeurs d’asile. Il en existe 38 guichets uniques répartis sur l’ensemble du territoire métropolitain.
Gouvernance : anglicisme qui désigne la manière de gouverner, d’exercer le pouvoir, on parlera de gouvernance des camps pour expri mer la maitrise de ses derniers par des ONG ou bien des états.
Ethique/Ethicité : Pour Levinas, la connaissance est parfaitement incapable de respecter autrui dans son altérité même, c’est pourquoi il accorde une primauté de l’éthique par rapport à l’ontologie. Dire qu’il pense l’éthique comme philosophie première, c’est en fait dire que le sens profond de la vie humaine est éthique, et qu’il vient du Face à Face avec l’Autre.
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Etat Nation : Un État-nation est un concept théorique, politique et historique, désignant la juxtaposition d’un État, en tant qu’organisa tion politique, à une nation, c’est-à-dire des individus qui se consi dèrent comme liés et appartenant à un même groupe. C’est donc la coïncidence entre une notion d’ordre identitaire, l’appartenance à un groupe, la nation, et une notion d’ordre juridique, le rapport fort à une forme de souveraineté et d’institutions politiques et administratives qui l’exercent, l’État.
Messianisme : Croyance selon laquelle un messie viendra affranchir les hommes du péché et établir le royaume de Dieu sur la terre. Selon
Mal-logement : Le mal-logement regroupe les personnes dont le lo gement qui ne répond pas aux normes minimales d’une société don née, ou dans lesquelles la personne ne maîtrise, elle-même, pas la du rée de son hébergement. Le mal-logement peut prendre trois formes qui se recoupent en partie : la mauvaise qualité de l’habitat (bruit, humidité, chauffage défaillant, etc.), la superficie trop faible ou la pré carité de l’hébergement.
In-définition : C’est le fait de ne pas mesurer l’espace que l’on construit, de ne pas imposer de limite franche pour éviter tous senti ment d’enfermement ou encore de surveillance.
Ostracisme : dérivé du grec «ostrakismos» qui signifie «bannisse ment», l’ostracisme caractérise le fait d’être exclu d’un groupe, rejeté. Au-delà de la simple discrimination, il entraine une forme de sentence, de réclusion physique. Réfugié : Au sens de la Convention de Genève de 1951, est éligible au statut de réfugié toute personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. Il existe aussi une acception non juridique de la notion de réfugié, qui désigne toute personne contrainte à quitter son pays d’origine et ne pouvant y rentrer. Woke : Terme anglo-américain, ce terme désigne une prise de conscience populaire des problèmes liés à la justice sociale et aux iné galités Xénophobie : «ensemble des discours et des actes tendant à dési gner de façon injustifiée l’étranger comme un problème, un risque ou une menace pour la société d’accueil et à le tenir à l’écart de cette société, que l’étranger soit au loin et susceptible de venir, ou déjà ar rivé dans cette société ou encore depuis longtemps installé » selon J. Valluy.
216 une définition plus philosophique et non religieuse établie par Jacques Derrida, c’est le fait de laisser venir l’autre à sois, de s’exposer à la sur prise absolue sans rien attendre. Migrant international : Toute personne qui vit de façon temporaire ou permanente dans un pays dans lequel il n’est pas né et qui a ac quis d’importants liens sociaux avec ce pays. À des fins statistiques, les Nations Unies proposent de distinguer le “migrant à long terme” (personne s’installant dans un pays autre que son pays de résidence habituelle pour une période d’au moins douze mois) du “migrant tem poraire”.
217
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Beller(Interview)Julien
»
Il ne s’agissait pas simplement de traiter ce sujet de façon mi sérabiliste ou condescendante et de se dire qu’on ne pouvait pas bien faire. On a vraiment essayé de traiter le projet avec ambition, envie de bien faire, de faire un lieu qui est digne, de faire un lieu qui est beau et de faire un lieu qu’on pourra communiquer à tous en disant : « Essayons d’avancer de cette manière pour rendre nos villes plus accueillantes. »
Annexes, «
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220 h1 Cartographie du sujet Fulchiron (Xavier)
221 h2 Contexte migratoire Fulchiron (Xavier)
222 h3 Calais face au temps Fulchiron (Xavier)
Leroy de réfugiés à Calais a fait émerger une de la débrouillardise ». Ce paysage de débrouillardise », du « précaire » et des déchets aux yeux. Les déchets emmagasinés comme un des symptomes de la Calais. Cependant, certains se recyclent réutilisent. A mon tour, je souhaite tenter la débrouillardise, avec les migrants, car ils sont là, et ici, ne se discute ni ne se planifie : elle «briques de sable» à partir de vêtements usagés vêtements usagers sont (ré)employé dans pour la fabrication de sacs ficelés, l’ancrage de la tente ou de la cabane sable. Tels des bateaux en attente de quitter tentes sont amarrées à ces gabions, de résister aux vents littoraux. D’un l’Auberge des migrants, association qui et gère les dons, reçoit des centaines vêtements par semaine dont elle ne peut partie faute de main d’oeuvre. Le reste Ces deux faits m’ont amené à imaginer fabrication de briques de sable à l’aide de ces Ces briques serviraient à équiper de et de sofas, de sols sains recouvrant les différents espaces publics de la Jungle où il est pour l’instant difficile de s’arrêter, s’asseoir pour converser tranquillement. Ne d’aucune installations pour s’assoir dans publics de la Jungle, ces briques de seraient un bon moyen d’investir et diversifier aux intersections de Main Street. de l’école aux « intérieurs d’ilots » ce dispositif, j’ai décidé d’installer une banquette en pantalons dans la cour de Laïque du Chemin des Dunes, école avec nous avons pris contact pour réaliser nos L’une des difficultés durant cet atelier fut transmettre les gestes et la nature du dispositif, explicité par un mode d’emploi précis et graphique. Il m’est vite apparu qu’il intéressant d’aller à la rencontre des dans les petits campements ethniques les dunes sableuses. Cela permettrait de dispositif dans l’ensemble du campement minimisant les déplacements, considérant pèse presque 15kg! Cela permettrait d’équiper les espaces «semi-public/semi présents dans les multiples cellules d’habitat. petits campements, on s’assoie en cercle feu, à la différence de Main Street qui subit incessant de voitures, de camionnettes humanitaires, et où il est inconfortable de s’assoir et poser.Ce premier chantier a donc transformé compréhension de la vie dans la Jungle, une structurée, contrairement aux apparences, bien des petites cellules de vie qu’autour des espaces collectifs.
• Remplir le boudin en maintenant les noeuds
• Remplir le boudin en maintenant les noeuds
223 h4 Le génie constructif Leroy (Nicolas) 14 ENSAPL / atelier public de paysage n°: 9 • L’insserer dans la seconde • La faire ressortir par le pied Pliage du Pantalon Pour fabriquer un boudin de sable • Plier la manche selon ce triangle • Rabattre l’extrémité • Insérer cette extrémité dans la pliure • Répéter le schéma détail des noeuds Pour les Pieds antalons
L’installation de réfugiés à Calais a fait émerger une « microville de la débrouillardise ». Ce paysage de la « débrouillardise », du « précaire » et des déchets nous saute aux yeux. Les déchets emmagasinés sont perçus comme un des symptomes de la Jungle de Calais. Cependant, certains se recyclent et se réutilisent. A mon tour, je souhaite tenter la débrouillardise, avec les migrants, car ils sont là, et que l’action, ici, ne se discute ni ne se planifie : elle s’impose! Des «briques de sable» à partir de vêtements usagés Les vêtements usagers sont (ré)employé dans la Jungle pour la fabrication de sacs ficelés, permettant l’ancrage de la tente ou de la cabane dans le sable. Tels des bateaux en attente de quitter la rade, les tentes sont amarrées à ces gabions, capables de résister aux vents littoraux. D’un autre côté, l’Auberge des migrants, association qui réceptionne et gère les dons, reçoit des centaines de sacs de vêtements par semaine dont elle ne peut trier qu’une partie faute de main d’oeuvre. Le reste est perdu. Ces deux faits m’ont amené à imaginer la fabrication de briques de sable à l’aide de ces vêtements. Ces briques serviraient à équiper de banquettes et de sofas, de sols sains recouvrant les flaques, les différents espaces publics de la Jungle de Calais, où il est pour l’instant difficile de s’arrêter, de s’asseoir pour converser tranquillement. Ne disposant d’aucune installations pour s’assoir dans les espaces publics de la Jungle, ces briques de sables seraient un bon moyen d’investir et diversifier les placettes aux intersections de Main Street. De la cour de l’école aux « Pour tester ce dispositif, j’ai décidé d’installer une première banquette en pantalons dans la cour de l’Ecole Laïque du Chemin des Dunes, école avec laquelle nous avons pris contact pour réaliser nos ateliers. L’une des difficultés durant cet atelier fut de transmettre les gestes et la nature du dispositif, pourtant explicité par un mode d’emploi précis et uniquement graphique. Il m’est vite apparu qu’il serait plus intéressant d’aller à la rencontre des réfugiés dans les petits campements ethniques vivant dans les dunes sableuses. Cela permettrait de diffuser le dispositif dans l’ensemble du campement tout en minimisant les déplacements, considérant qu’un sac pèse presque 15kg! Cela permettrait aussi d’équiper les espaces «semi-public/semi privé» présents dans les multiples cellules d’habitat. Dans ces petits campements, on s’assoie en cercle autour du feu, à la différence de Main Street qui subit un balai incessant de voitures, de camionnettes humanitaires, et où il est inconfortable de s’assoir et de se poser.Ce premier chantier a donc transformé ma compréhension de la vie dans la Jungle, une vie structurée, contrairement aux apparences, bien plus autour des petites cellules de vie qu’autour des grands espaces collectifs.
• Retrousser le haut du pantalon • Ceinturer et fermer remPlir et finaliser Secteurs d’extraction de sable Campements éthniques vivant Main-street et ses placettes
Le génie constructif Nicolas Leroy
ENSAPL / atelier public de paysage n°: 9
• Retrousser une jambe • L’insserer dans la seconde faire ressortir par le pied du Pantalon Pour fabriquer un boudin de sable • Plier la manche selon ce triangle • Rabattre l’extrémité • Insérer cette extrémité dans la pliure • Répéter le schéma détail des noeuds Pour les Pieds de Pantalons
• Retrousser le haut du pantalon • Ceinturer et fermer remPlir et finaliser N216/A16 Ecole Tentes bleues CAP Secteurs d’extraction de sable Campements éthniques vivantsur les anciennes dunes Main-street et ses placettes génie constructif
224 h5 Axonométrie de la Jungle Fulchiron (Xavier)
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226 39 DE L’OBSCURITÉ POUR LES MATINÉESGRASSES UN PEU D’ORDRE AU CHEVET ET DE LUMIÈRE POUR VEILLERUNLEXIQUE, UN ANNUAIRE, UNE CARTE POUR SE REPÉRER AU DELÀ DES DRAPS DE LITS QUI SENTENT BON LA LESSIVE DU VOISIN UN PEU D’INTIMITÉ DES CHAUSSONS POUR LA MAISON DONNÉS PAR UNE AMIE UNRÉCUPÉRÉS DAVANTAGEBIENSANDRACHEZ h6 Appropriation dans les chambres du Très Grand Hôtel Collectif Perou, Berthoumieu (Maëlle), Atlas, 2020
227 CHAUSSONS POUR MAISONUNE AMIE UN PANIER DE LÉGUMES RÉCUPÉRÉS DU MARCHÉ UNE SOUPE DE LENTILLE DANS LA MARMITE DE LA VOISINE DES OFFERTECONVOITÉESÉPICESPAR LE RESTO ÉTHIOPIEN UN PAILLASSON DORÉ BIENVENUE EN MILLE VOUSLANGUESN’ÊTES PAS NULLE PART UN LIEN AVEC UN PSYCHOLOGUE POUR UN PEU D’ÉCOUTE DU SAVON FAIT PAR UN ARTISAN DU QUARTIER
h7 les archives Corajoud Plan masse du projet réalisé par les ateliers Corajoud et Georges Descombes
229 h8 Cartographie du mobilier anti-sdf Fulchiron (Xavier)
230 Champignon de Paris Les menhirs Jeu de boules Les lames Tapsi de fakir En plein dans le dos Barres paralleles h9 Mobilier anti-sdf Fulchiron (Xavier) (Nom donnez aux mobiliers urbains par la fonda tion Abbé Pierre pour la cérémonies des Pics d’or)
231 Le gouffre Montagnes russes Poteau sortant Le rideau de fer Le lego Cote à cote Pas de pot Restes debout
”L’enfer des vivants n’est pas chose à venir ; s’il y en a un, c’est celui qui est déjà là, l’enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons d’être ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première réussit aisément à la plupart : accepter l’enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et elle demande une attention, un apprentissage, continuels : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer, et le faire durer, et lui faire de laItaloplace.”Calvino (Les Villes Invisibles, 2013)
232
Bibliographie,
233
234 Liste des documents Cette bibliographie compile l’ensemble des références du corpus de documents déployés dans le cadre la réa lisation de ce mémoire. La liste qui en découle n’est pas exhaustive sur le sujet traité, elle regroupe ainsi les mul tiples recherches utiles que j’ai réalisé au cours de ses deux dernières années. Les documents convoqués sont classés dans le sens de la lecture de mon mémoire selon différentes catégories. Livres et écrits Films, musiques et évenements Articles et rapports officiels Sites internet Énoncés théoriques et scientifiques Iconographies ⌂ : Architectes (Figure 73), «Jungle Books, Atlas d’une cité potentielle, Calais, New Jungle» PEROU, 2 août 2016
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239 Films, musiques, évenements - Ruggia (Christophe), Appel de Calais, 2016 - Grand Coeur Malade, Au feu rouge, PLAN B, 8 décembre 2017 - Moreira (Paul), Bunker Cities, Premieres lignes television, ARTE France, 2019 - Cérémonie des « Pics d’or », Fondation Abbé Pierre - Blomkamp (Neill), District 9, Majority Entertainment, QED Interna tional, TriStar Pictures, WingNut Films, 2009 - Suma (Sophie), Fake vie et espaces factices Des gated communities à la téléréalité, Dans : séminaire Cultures visuelles : faits, fakes, fictions, Université de Strasbourg, 2016 - Rosi (Gianfranco), Fuocoammare, par-delà Lampedusa, 21 Uno Film, -2016Krolund (S), « La sortie de prison, dans Les Pieds sur terre », France Inter, 2014 - Daouzli (Slim), Le chant du réfugié - Laborey (Claire), Main mise sur la ville, 2015 - Steinhoff (Hans), Obm Krüger, 1941 - Babak, Poème d’un réfugié, Les voix de la Jungle, Histoires de réfu giés au camp de calais, juin 2020 - Scoffier (Richard), Séminaire EVAN une certaine idée du Beau, EN SACF, 2020 ⌂ - Besson (Luc), Subway, Les Films du Loup, 1985 - Un paysage global des camps, Colloque, Cité de l’architecture, 2014
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244 Énoncés théoriques et scientifiques
245 - Basilien-Gainche (Marie-Laure), Regard critique sur le régime d’asile européen commun. La persistance d’une conception restrictive de la protection, Art - Collectif PEROU, Berthoumieu (Maëlle), Très Grand Hôtel en chan tier, Mai 2020 publication digitale, Octobre 2020 publication papier -⌂Tribalat (Michèle), Une estimation des populations d’origine étran gère en France en 2011, 2011
Iconographies - (Figure 0), « Le Dedans et le Dehors », Couverture et quatrième de couverture, Xavier Fulchiron - (Figure 1), « No where to go, Idomeni », Buttler (Georges) - (Figure 2), « Fuocoammare, par-delà Lampedusa », 21 Uno Film - (Figure 3), « Calais: un migrant en garde à vue pour rébellion et ou trage après un démantèlement », La Voix du nord - (Figure 4), « Ontvangst van passagiers op een schip, Accueil des pas sagers sur un navire », Schaep (Henri Adolphe), 1841 - 1870 - (Figure 5), « La Grèce installe un mur d’acier à la frontière turque, Août 21, 2021 », Nouvelles du Monde - (Figure 6), « Réseau Solidarité Migrant-es Chablais », LAC Chablais - (Figure 7), « Manifestation d’extrême-droite à Calais, le 7 septembre 2014 », AP Photo, Spingler (Michel) - (Figure 8), « Profils », Télérama/Fabrice Spica - (Figure 9), « Le panoptique, « The works of Jeremy Bentham vol. IV, 172-3 », Bentham (Jeremy) - (Figure 10), « Boer War: people, tents and the field hospital at the women’s laager in Mafeking, South Africa. Halftone, 1900 », W. H., -Reverend(Figure11), « Cartographie européenne des espaces de détention et d’accueil des étrangers sur leur territoire », Fulchiron (Xavier) - (Figure 12), « Une figure du camp multiple, «LABYRISMEN 11», 1968 », Constant - (Figure 13), « Calais, entre camp et centre-ville », Fulchiron -(Xavier)(Figure 14), « Mur Anti-Migrant, Calais », lumokajlinioj - (Figure 15), « La Jungle et Calais, un tissu d’accueil diffus », Fulchi ron (Xavier) - (Figure 16), « «Limite 1», Atlas d’une cité potentielle, Calais, New Jungle, 2015-2016 », PEROU - (Figure 17), « Les cabanes », Bully (Éléonore) - (Figure 18), « La facade », Bully (Éléonore)
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247 - (Figure 19), « Habiter dans la Jungle », Fulchiron (Xavier) - (Figure 20), « Cohabiter dans la Jungle », Fulchiron (Xavier) - (Figure 21), « Célébrer dans la Jungle », Fulchiron (Xavier) - (Figure 22), « Partager dans la Jungle », Fulchiron (Xavier) - (Figure 23), « Jeune Wasef, Athènes, Grèce », Kritharas Devienne -(Chloé)(Figure 24), « Jeune afghane venant d’arriver au camp Skala Syka minias, île de Lesbos, Grèce », Kritharas Devienne (Chloé) - (Figure 25), « Prisons imaginaires », Piranèse - (Figure 26), « Le système panoptique », Recherches scénogra phiques, Vue de cerclon, Kessler (Daniel) - (Figure 27), « « Limite 1», Atlas d’une cité potentielle, Calais, New Jungle, 2015-2016 », PEROU - (Figure 28), « La zone du dehors », Blade Runner 2049, 2017 - (Figure 29), « Chambre 1 », Photographie, Fedasil, 2020 - (Figure 30), « Chambre 2 », Photographie, Fedasil, 2020 - (Figure 31), « l’enregistrement des demandes d’asile », Photogra phie, Fedasil, 2020 - (Figure 32), « L’accompagnement », Photographie, Armée du salut, -2020(Figure 33), « Jeune Wasef, Athènes, Grèce », Hammond (Robin) - (Figure 34), « Patricia Fatima Houiche, écrivaine de 66 ans », Ham mond (Robin) - (Figure 35), « Asad Abdiassiz Dahir, 16 ans », Hammond (Robin) - (Figure 36), « Paris Ville Lumière », Yelter (Nil) - (Figure 37), « Le Paris des parcours », Fulchiron (Xavier) - (Figure 38), « Le Paris de l’appropriation », Fulchiron (Xavier)
248 - (Figure 39), « Territoire en transition, vers l’expulsion », Guillot (Francois), 2020 - (Figure 40), « La chapelle, territoire de lien », Collectif PEROU - (Figure 41), « Relevé du plan de l’appartement de Lise », Fulchiron (Xavier), p 150 - (Figure 42), « Relevé du plan de l’appartement de Nicole », Fulchi ron (Xavier), p 151 - (Figure 43), « Relevé du plan de l’appartement d’Aimée », Fulchiron (Xavier), p 152 - (Figure 44), « Relevé du plan de l’appartement de Marc », Fulchiron (Xavier), p 153 - (Figure 45), Le droit à la ville, « Speculative proposal for renovation of housing block in Paris. », Lefebvre (Henri) - (Figure 46), « Inventaire de l’architecture du mépris », Fulchrion -(Xavier)(Figure 47), « La ville fantome », Lithographie en 5 couleurs, De Crécy (Nicolas), 2017 - (Figure 48), « L’Île », Starkings (Richard), 2020 - (Figure 49), « Centre d’hébergement d’urgence d’Ivry -Sur-Seine », axonométrie, Atelier RITA (Figure 50), « Centre d’hébergement d’urgence d’Ivry -Sur-Seine », photographie, Atelier RITA, Boureau (David) (Figure 51), « CHU La Promesse de l’Aube », Photographie, Moon (FigureArchitecture52),« CHU La Promesse de l’Aube », photographie, Moon -Architecture(Figure53), « CHU Bastion de Bercy », axonométrie programatique, Moon Architecture - (Figure 54), « CHU Bastion de Bercy », photographie, Moon Archi -tecture(Figure 55), « Espaces exterieurs », Photographie, Studio Muoto - (Figure 56), « CHU Bastion de Bercy », Photographie, Studio Muoto
249 - (Figure 57), « Depuis la rue Richelieu », Photographie, Weiner -(Cyrille)(Figure 58), « Depuis la cour intérieur », Photographie, Weiner -(Cyrille)(Figure 59), « Module », Axonométrie éclatée, Oboh - (Figure 60), « Ligne bati », Photographie, Waltefaugle (Nicolas) - (Figure 61), « Vue aérienne », Photographie, Le Parisien - (Figure 62), « Sous la «bulle » », Photographie, Julien Beller - (Figure 63), « Sentier et seuils », Dessin, Atelier Commune - (Figure 64), « Rapport au paysage », Coupe, Atelier Commune) - (Figure 65), « Espace partagés », Projection, Atelier Sans Plus -Attendre(Figure 66), « Espaces habités », Projection, Atelier Sans Plus At -tendre(Figure 67), « Aires de jeux d’Aldo van Eyck à Amsterdam », photo graphie, Catsaros (Christophe) - (Figure 68), « Aires de jeux d’Aldo van Eyck à Amsterdam », photo graphie, Catsaros (Christophe) - (Figure 69), « La barette », Axonométrie, Chemartin Clément et Fulchiron (Xavier) - (Figure 70), « Espace commun », Croquis, Chemartin Clément et Fulchiron (Xavier) - (Figure 71), « Et derrière le mur, le camp », photomontage, Fulchi ron (Xavier), p 192 - (Figure 72), « Et derrière le mur, la gated communitie », photomon tage, Fulchiron (Xavier), p 193 - (Figure 73), « Jungle Books, Atlas d’une cité potentielle, Calais, New Jungle », PEROU, 2 août 2016
250 Iconographies (h) - (Annexe 1), « Cartographie du sujet », Fulchiron (Xavier) - (Annexe 2), « Contexte migratoire », Fulchiron (Xavier) - (Annexe 3), « Calais face au temps », Fulchiron (Xavier) - (Annexe 4), « Le génie collectif », Collectif PEROU et Leroy (Nicolas) - (Annexe 5), « Axonométrie de la Jungle », Fulchiron (Xavier) - (Annexe 6), « Appropriation des chambres du Très Grand Hôtel », Collectif PEROU - (Annexe 7), « Plan de la cour du Maroc », Atelier Courajoud et Descombes (Georges) - (Annexe 8), « Cartographie du mobilier anti-sdf », Fulchiron -(Xavier)(Annexe 9), « Mobilier anti-sdf », Fulchiron (Xavier)
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le Dedans † le Dehors ‡ l’Île