Memoire Anais Yahubyan ENSA Strasbourg Architecture socialiste Bulgarie Anais Yahubyan

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ECOLE NATIONALE SUPERIEURE D’ARCHITECTURE DE STRASBOURG

L’ARCHITECTURE SOCIALISTE BULGARE UNE HISTOIRE A TROIS VIES INSTRUMENTALISATION POLITIQUE NÉGATION RECONNAISSANCE

1944 - 1989

1989 - 2007

ANAIS YAHUBYAN Sous la direction de DR. ELKE MITTMANN

2015 - 2016

2007 - 2015


Je tiens tout d’abord à remercier madame Elke Mittmann qui s’est toujours montrée à l’écoute et disponible; pour son énergie, ses conseils et son confiance. Je remercie également les architectes Velitchko Kourtev, Kostadin Vladimirov et Denitsa Krapova d’avoir enrichi ma culture de l’architecture bulgare en partageant avec moi leurs connaissances, leurs souvenirs et leurs réflexions. Un grand merci à Estelle pour sa relecture patiente, pour son encouragement précieux et pour nos nombreux échanges stimulants, à propos de l’architecture mais pas seulement. J’aimerais remercier finalement mes parents de m’avoir soutenu tout au long de mes études d’architecture mais aussi d’avoir éveillé en moi l’envie de questionner tout et de chercher.


SOMMAIRE Introduction

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1. La politisation de l’architecture bulgare sous le régime socialiste entre les dogmes du parti et l’ouverture vers l’extérieur entre 1944 et 1989 1.1. Le régime socialiste et la politisation 1944 – 1989 1.2. L’ascension et la chute de l’architecture stalinienne 1944 – 1956 1.3. Transgression de l’architecture dogmatique par une ouverture à l’international 1956 – 1989 1.4. Plovdiv, une ville représentative des grands enjeux architecturaux socialistes du pays

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2. Une attitude de négation : La chute du régime et l’héritage «inconvénient» pendant la période de transition entre 1989 et 2007 2.1. La perception de l’architecture comme symbole de dystopie 2.1.1. Le passage de régime socialiste vers démocratie 1989 – 2007 2.1.2. Le poids du passé et le nouveau modèle à suivre 2.1.3. Le contraste avec l’architecture « éclectique » des années 1990 2.2. Les actes d’iconoclasme 2.2.1. Autodafé : La disparition de la trace écrite 2.2.2. Les actes « révolutionnaires » entrepris par la société 2.3. L’incohérence du patchwork émergent à Plovdiv

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3. Une reconnaissance amorcée en 2007 3.1. Le recul temporel des générations 3.2. Reconnaissance théorique – la réintroduction de l’architecture socialiste 3.2.1. Ouverture à l’international et la plateforme virtuelle 3.2.2. Une conversation abordée à l’intérieur du pays 3.3. Reconnaissance pratique – la réinsertion dans la vie des bulgares 3.3.1. L’attitude du gouvernement – les (contre)exemples à Plovdiv 3.3.2. Ralliement de la communauté - Kino Kosmos

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Conclusion

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Bibliographie

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Webbibliographie

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Iconographie

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INTRODUCTION En déambulant dans la ville bulgare d’aujourd’hui, l’Homme nous sommes sollicités par un paysage dense et hétéroclite composé d’éléments qui nous renvoient chacun à une époque différente, de l’Age du bronze au XXIème siècle. Parmi tout cet éclectisme notre regard est arrêté à plusieurs reprises par des silhouettes massives qui demandent notre attention par leurs dessins curieux. Ils se montrent en tant qu’une sorte d’œuvre d’art contemporaine hors de l’échelle humaine - un collage sans cohérence et de ce fait incompréhensible. Ce sont des bâtiments de forme complexe, géométriques et imposants sur lesquels sont posés, couche après couche, différentes strates criardes qui atténuent cette puissance calme que ces édifices ont dû évoquer dans leur vie antérieure. De plus, à ces collages s’ajoute une dernière couche faite d’un abandon destructeur qui embrouille définitivement la lecture de leurs formes initiales. Les traces de cette force passée cachée derrière un patchwork confus éveillent au premier abord un intérêt vif pour ensuite laisser place à des questionnements multiples. Que sont ces silhouettes curieuses ? Ces bâtiments sont en fait les représentants de l’architecture conçue en Bulgarie pendant le régime socialiste, c’est-à-dire entre 1944 et 1989. Dans le regard collectif, l’image de cette architecture est limitée d’une part au cliché de l’architecture stalinienne et d’autre part à l’architecture brutaliste. Pourtant l’évidence montre que cette architecture est beaucoup plus que de simples exemples de ces deux styles architecturaux. Quels phénomènes se cachent derrière la complexité particulière de l’architecture bulgare de cette période ? Cette architecture porte des traces d’un passé fulgurant dont les traces persistantes aujourd’hui sont d’une part certains éléments du patchwork incohérent que ces bâtiments sont devenus mais aussi d’autre part les ravages causés par l’abandon qui les ont déformés. Pourquoi ne connaissons nous pas la vie de cette architecture qui est en fait encore aujourd’hui une partie très importante de la ville et de la vie sociale de la Bulgarie? 1


Que s’est-il produit dans le passé de cette architecture pour qu’elle soit dans un état peu clair et qui pousse au questionnement aujourd’hui? Le passé de ces bâtiments est ignoré aujourd’hui par la société – leurs propres utilisateurs. L’architecture socialiste bulgare a été fortement questionnée et théorisée pendant la période entre 1956 – 1989 pourtant aujourd’hui le grand nombre d’ouvrages produits à cette époque est introuvable pour le public. Aujourd’hui la théorisation de cette architecture est entreprise de nouveau. Le seul livre sur ce sujet dans les grandes chaînes de librairies est « À propos des façades de l’architecture bulgare de la deuxième moitié du XXème siècle» de Anton Guigov qui ne traite qu’un aspect de cette architecture. Il n’existe aucun livre qui la décrit ou l’analyse dans son ensemble et est mis à disposition du grand public. Suite à ce manque, le public n’a pas la possibilité de découvrir l’histoire de cette architecture et ainsi d’acquérir la capacité de voir clairement ses qualités avec l’aide de regards professionnels. Les uniques publications sur papier qui analysent des exemples choisis de l’architecture socialiste bulgare sont publiées dans la revue « Arhitectura » qui n’est finalement connue que par le milieu professionnel.

d’un seul aspect de cette architecture : qu’il s’agisse de sa façade, de son état misérable aujourd’hui, de certains de ses exemples, ou des manières dont une réappropriation ou une reconversion pourrait être possible. Ce mémoire vise à apporter ce regard complet et cohérent sur la vie entière de l’architecture socialiste bulgare, c’est-à-dire depuis sa naissance en 1944 jusqu’à aujourd’hui, qui manque encore de nos jours. Il analysera l’évolution de cette architecture pendant le régime et questionnera les phénomènes politiques, économiques et sociologiques qui agissent sur elle le long de sa vie selon l’époque qu’elle traverse. Il proposera une alternative facilitée et structurée comprise dans un seul travail face à l’assemblage long et difficile de différents ouvrages. À travers ce mémoire le lecteur fera connaissance avec le développement complet de la vie de l’architecture socialiste bulgare et acquerra les premières connaissances nécessaires pour la fondation approfondissement éventuel sur le sujet ou un aspect spécifique du sujet. Ce mémoire se présentera également comme le premier pas vers des recherches possibles sur la restauration et la reconversion de ces édifices et de leur réintégration dans le fonctionnement actif de la ville et ses habitants.

De nos jours de plus en plus d’ouvrages qui questionnent le destin de ces bâtiments aujourd’hui sont publiées sur internet. Ils sont donc écrits d’après un point de vue contemporain et analysent l’état présent de ce patrimoine. Déjà dans les années 1990, l’architecte Todor Krestev élevé sa voix dans une des réunions d’Icomos avec son article écrit en français intitule « L’architecture stalinienne en Bulgarie ». Progressivement, de plus en plus de collectifs comme « Kino Kosmos » expriment leur indignation de la dégradation de ces bâtiments et par la suite organisent des initiatives diverses dont le but est d’améliorer leur état. Des auteurs, architectes mais aussi scientifiques, bulgares mais aussi étrangers, publient des travaux démontrant de nouveau leurs conditions déplorables et les enjeux politiques qui les entourent. En même temps ils soulignent l’importance sociale et architecturale de ces édifices afin d’inciter à une nouvelle reconnaissance de ce patrimoine. Même si ces ouvrages sont extrêmement riches, autant au niveau des informations qu’ils fournissent que de leur force, ils traitent tous

Ce mémoire exposera et expliquera les trois vies que cette architecture a menées de manière chronologique afin d’assurer une clarté maximale à son développement complexifié par une multitude de facteurs. Il sera structuré en trois parties, chacune traitant d’une période de cette architecture ; chaque sous-partie sera à son tour divisée en deux : une première partie offrira un regard général à l’échelle de la Bulgarie et une deuxième partie se focalisera sur l’échelle de la ville – celle de Plovdiv, afin de montrer et analyser les trois vies de plusieurs exemples concrets. D’abord sa première vie sera exposée : l’architecture socialiste bulgare est née sous le régime socialiste bulgare en tant qu’instrument politique mais au cours de cette période elle incite également une forme de libération et d’expérimentation architecturale jusqu’en 1989. En même temps nous développerons la complexité réelle de cette architecture en démontrant les diverses influences internationales qui s’ajoutent au brutalisme afin de donner naissance à une architecture propre à la Bulgarie. Puis sa deuxième

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vie : Après la chute du régime socialiste cette architecture commence une nouvelle vie de négation du passé qu’elle représente. Au terme des années 2000, nous prendrons l’année 2007 comme repère, la génération qui n’a pas vécu consciemment le régime socialiste atteint l’âge de se forger une opinion, la période de transition est finie et la Bulgarie entre dans l’Union Européenne. Et pour finir, Ces événements corrélés mènent à la troisième vie de cette architecture : celle d’une reconnaissance sur le plan théorique et pratique. Dans un premier temps nous nous appuierons sur des textes décrivant l’architecture de la période 1944 – 1989 et sur des analyses et des comparaisons architecturales propres afin de dessiner le paysage complet de sa naissance. Ce suivi exposera la politisation de l’architecture par son régime totalitaire mais démontrera également les qualités uniques à cette architecture bulgare. Nous focaliserons par la suite notre regard sur une pluralité de bâtiments-phares dans la ville de Plovdiv afin de présenter leurs débuts et ainsi les introduire au lecteur. Deuxièmement nous analyserons les changements politiques, sociaux et économiques entrainées par le passage du régime socialiste vers une démocratie et nous verrons de quelle manière ils mènent à la transformation de l’architecture décrite dans la partie précédente en symbole distopique et par la suite à la négation de l’architecture socialiste bulgare. Puis nous reprendrons les exemples à Plovdiv introduits dans la première partie afin d’exposer les conséquences concrètes de ces changements sur cette architecture. Finalement nous questionnerons la reconnaissance nouvelle apparue après cette période de transition, c’est-à-dire après 2007, de l’architecture bulgare socialiste grâce au recul temporel nécessaire entre la chute du régime et aujourd’hui à travers des études sociologiques. Nous exposerons par la suite cette nouvelle reconnaissance théorique mais également la reconnaissance pratique qui agit actuellement sur certains des bâtiments de Plovdiv décrits antérieurement.

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CHAPITRE UN

LA POLITISATION DE L’ARCHITECTURE BULGARE SOUS LE REGIME SOCIALISTE ENTRE LES DOGMES DU PARTI ET L’OUVERTURE VERS L’EXTERIEUR ENTRE 1944 ET 1989 1.1. LE RÉGIME SOCIALISTE1 ET LA POLITISATION 1944 – 1989 À l’été de 1944, le Royaume de Bulgarie tente de prendre ses distances avec l’Allemagne avec lequel il est associé durant la Seconde Guerre mondiale au sein de l’Axe Rome-Berlin-Tokyo. Cette décision naît des frictions entre le gouvernement et la population qui s’oppose fortement aux idées fascistes et nazies. L’Armée rouge envahit le pays. Les Russes ont la faveur de la population et, malgré les ordres, l’armée bulgare n’oppose aucune résistance et demande l’armistice le jour même. Dès l’automne 1944, les communistes, dont le Parti porte alors le nom de Parti ouvrier bulgare, mettent en place une politique d’épuration avec l’aide des troupes soviétiques d’occupation. Les membres de l’élite politique, fascistes réels ou proclamés, sont déférés devant des « tribunaux populaires » ; des camps de détention sont ouverts, accueillant plusieurs milliers de prisonniers. La classe politique bulgare restée en dehors du Front patriotique est décapitée. Le 17 mai 1945, un décret-loi prévoit de lourdes peines de prison ou la peine de mort sanctionnant toute contestation de l’autorité du Front patriotique. La République populaire est proclamée le 15 septembre la même année. La mise au pas de la classe politique continue, les communistes éliminant progressivement toute dissidence. En 1948, le Parti ouvrier bulgare fusionne avec les sociaux-démocrates, reprenant le nom de « Parti communiste bulgare ». Le Front patriotique continue officiellement 1. En 1990 le régime communiste est renommé en régime socialiste. Pour cette raison et afin de garder une cohérence maximale nous employerons le terme «socialiste» tout au long de ce mémoire.

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d’exister afin de maintenir une apparence de multipartisme. La police secrète du régime, le Comité pour la Sécurité de l’État, fait régner la terreur dans le pays. Une politique de collectivisation des terres est entreprise. Le gouvernement impose en outre un système d’achat obligatoire de fournitures d’État selon un quota, qui implique la ruine d’une grande Partie des paysans. La mort de Joseph Staline en 1953 est à l’origine d’une série de questionnements sur ses principes politiques autant de la part de ses successeurs que de la communauté. Une « déstalinasition » est mise en route à ce moment-là et atteint son apogée en 1956 lorsque Nikita Khrouchtchev, alors Secrétaire général du Comité central du Parti communiste d’Union soviétique divulgue son « Rapport secret » à la fin du XXe congrès du Parti. Pour les dirigeants soviétiques, elle consiste à abandonner le culte de la personnalité et à dénoncer les « excès » de la période du stalinisme. Ces bouleversements dans le noyau soviétique résonnent fortement dans le milieu politique bulgare.

déclinante proportionnelle à l’avancement chronologique causé par la dépendance économique de la campagne et le contrôle total du Parti. Le 16 mars 1971, une nouvelle constitution conçue pour accompagner le passage de la Bulgarie au stade du « socialisme avancé » est adoptée par plébiscite avec 99,6 % des suffrages officiels. Todor Jivkov devient chef de l’État, avec le titre nouvellement créé de Président du Conseil d’État. La Bulgarie demeure politiquement très proche de l’URSS, étant parfois considérée comme sa « seizième République ». Dans les années 1960, il est envisagé, côté bulgare et de manière non officielle, de demander l’intégration de la Bulgarie à l’URSS ; cette idée n’a finalement pas de suite. Le pays connaît une sensible amélioration du niveau de vie de ses habitants dans les années 1960-1970 : la répression politique demeure cependant prégnante. Le régime de Todor Jivkov connaît une période de relative libéralisation, à la fois politique et culturelle.

Une réunion du Politburo (bureau politique) bulgare avec Nikita Khrouchtchev est organisée à Moscou. Le secrétaire général du Parti socialiste est remplacé par Todor Jivkov. La direction soviétique donne des instructions sur la future session plénière et les décisions qui y seront prises. Lors la dite session plénière du Comité central du Parti communiste menée du 2 au 6 Avril 1956 Todor Jivkov dénonce également le culte de la personnalité envers l’ancien chef de Parti Valko Tchervenkov. En réalité, la période jivkovienne (1954 – 1989) adopte complètement le culte du Parti et de l’URSS.

En novembre 1989, une importante pollution au chlore dans la région de Roussé entraîne le déclenchement d’importantes manifestations en Bulgarie. Des groupes dissidents comme le club pour le soutien de la perestroïka et de la glasnost puis, en 1989, « Podkrepa » et « Ekoglasnost », se forment progressivement. Le 10 novembre 1989, au lendemain de la chute du mur de Berlin, Jivkov est démis de toutes ses fonctions par le Parti. La censure est supprimée. En février 1990, le Parti communiste décrète la fin du régime avant de s’auto-dissoudre et de devenir le Parti socialiste bulgare Les groupes dissidents et libéraux s’unissent au sein du SDS (Union des forces démocratiques).

À la fin des années 1940 une économie planifiée est imposée, une grande Partie de la propriété privée est nationalisée ou collectivisée. La deuxième moitié des années 1950 ramène une politique d’industrialisation intensive sous la forme d’un plan quinquennal d’industrialisation. Il en découle une concentration du travail dans les villes. Ceci entraîne non seulement une croissance économique mais aussi une forte migration vers les grandes villes et une hausse drastique des habitations urbaines. Cette industrialisation continue jusqu’aux années 1980 avec une intensité

Les répressions politiques mentionnées ci-dessus ne sont qu’un exemple de la pièce maîtresse dans la machine du régime totalitaire : le contrôle. Ce contrôle est obtenu par l’idolâtrie absolue imposée par le Parti en ternissant toutes autres alternatives. L’URSS et son représentant local – le Parti socialiste, doivent être une référence constante et unique dans chaque domaine de la vie du bulgare. Analogiquement à tout autre régime totalitaire la société est politisée : tout est réfracté à travers les dogmes du Parti et subséquemment tout ce qui est communiste est loué.

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Cette politisation jumelée avec les pratiques de poursuite résulte a des conséquences non seulement pénitentiaires mais aussi sociales. Dénoncer son voisin de propos infidèles devient une maladie qui aggrave encore plus la tension sociale. Afin que ce contrôle soit infaillible il ne doit pas paraître imposé- il est impératif qu’il soit inné, inscrit dans les consciences dès le plus jeune âge. La religion a toujours été une Partie importante dans la conscience bulgare puisqu’elle a permis à la nation de garder son identité pendant les périodes historiques les plus difficiles comme les cinq siècles de joug ottoman. Le Parti socialiste refuse de partager le pouvoir d’idolâtrie avec la religion. Afin de résister à la première décision politique de destruction des églises, le patriarche de l’église orthodoxe bulgare Maxime réussit à leur assurer un statut de monument architectural. Tout rituel religieux mené en église est déraciné et déplacé dans des maisons construites spécialement pour les accueillir. Ces maisons socialistes sont conçues pour faciliter la politisation de la société. La maison des mariés est construite pour remplacer le mariage à l’église, la maison du nouveau-né – le baptême, la maison de la jeunesse – orienter la conscience politique dès le plus jeune âge, la maison des syndicats – contrôler au mieux les ouvriers. Le système scolaire est aussi soumis à un fonctionnement politisé. Des cours d’éducation politique et les examens subséquents sont obligatoires tout le long du parcours. Celui-ci est divisé en trois parties, elles-mêmes régies par des organisations de jeunes subordonnés au Parti. Le dernier épisode de ce triptyque, la période de « komsomolets » commence avec un serment promettant la fidélité au Parti et se termine par un examen décidant si le jeune aura le droit de poursuivre des études supérieures. Des biographies de personnalités socialistes sont apprises, l’examen est passé et la question est posée « Pourquoi veux-tu être un komsomolets » ? La fidélité au Parti ne définit pas seulement si le jeune continuera son éducation, elle définit quel type d’éducation. Pour ceux qui ont des liens avec le Parti une formation dans les pays de l’union soviétique est proposée contrairement à ceux qui ne montrent pas une affiliation particulière.

Les voyages en dehors du pays sont divisés selon l’appartenance du 8

pays à l’URSS. Les visites dans les pays soviétiques sont organisées et régis par les instances soumis au Parti. Les voyages dans les pays en dehors de l’URSS sont organisés et entrepris de manière individuelle. Les conditions et les conséquences de ces séjours sont plus encombrantes que les voyages vers les pays soviétiques. Au moins un membre de la famille souhaitant Partir doit rester dans le pays afin de garantir que la dite famille n’envisage pas d’émigrer. De plus, chaque voyage est inscrit dans le dossier personnel de chacun. Ce dernier contient des faits concernant non seulement la dite personne mais aussi ses relations. Un parent ou un arrière-parent Parti dans un pays occidental ou associé aux impérialistes par exemple se poserait comme un problème persistant tant que le système des dossiers existe. « La faute n’est pas à toi, la faute est familiale.» La culture occidentale se dresse comme un problème primordial pour le Parti socialiste. Afin de le confronter de manière optimale non seulement elle est présentée comme malsaine à la société mais l’accès à cette culture est également censuré par les instances de l’état. Le rock’n’roll occidental est écouté par les jeunes en secret. Par contre la télévision du vendredi n’est consacrée qu’aux émissions soviétiques, tout comme la programmation des radios. Le commerce suit le même principe de séparation. L’importation et l’exportation sont majoritairement menées avec les pays soviétiques. Si à la culture occidentale s’oppose la culture soviétique, l’alternative aux produits occidentaux difficiles à se procurer est une marchandise pas chère mais de base et peu diverse. Cette orientation vers le monde soviétique influence la culture bulgare autant de manière passive que de manière active. Les artistes sont nourris par des exemples soviétiques, le Parti exige que leur art soit empreint de valeurs socialistes. Des livres, des chansons sont réécrits afin d’inclure des personnages et des motifs socialistes. Si l’œuvre n’adhère pas aux idées du régime, les conséquences pour l’artiste sont négatives. La politisation de l’art imposée par le Parti et la censure réussissent à transformer également l’architecture du pays autant au début que tout au long du régime, d’abord le limitant et en suite provoquant un intérêt autant plus fort vers l’architecture internationale.

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1.2. L’ASCENSION ET LA CHUTE DE L’ARCHITECTURE STALINIENNE 1944 – 1956 L’arrivée du nouveau régime politique de Staline en Russie au début du XX siècle demande impérativement une coupure nette avec l’ancien et une renaissance immédiate glorifiant la nouveauté. L’architecture prend une place majeure dans cette rénovation à cause de son importance sociale. L’élaboration d’une architecture politisée a lieu dans les années 30, la Russie héberge alors deux écoles architecturales : le constructivisme et le néo-classicisme. Le choix est fait. L’architecture appelée simplement « stalinienne » mais qualifiée comme « Néo-renaissance stalinienne » est réassemblée par le parti afin de démontrer la gloire du régime. Elle s’inspire fortement du néo-classicisme pour son allure imposante issue de son esthétique renvoyant à la gloire de l’Antiquité. Lourdement décorée d’éléments de l’Antiquité, l’architecture stalinienne impose la doctrine d’«une architecture de contenu socialiste et de forme nationale »2. Avec la fin des années 1940 le culte de la personnalité arrive de l’URSS en Bulgarie par la voie du Parti. Ce phénomène s’impose comme une force majeure dans le mécanisme du régime et atteint avec ses dogmes et obligations chaque domaine artistique. Dans le domaine architectural bulgare ce culte se traduit de nouveau par la doctrine d’«une architecture de contenu socialiste et de forme nationale ». Ce slogan s’avère peu compréhensible pour les architectes qui au fur et à mesure le remplacent avec des simples adjectifs comme « de culte », « stalinienne », « décorative ». « Réalisme socialiste » est le nom le plus justement trouvé. Même si on parle de « contenu socialiste », cette architecture, tout comme l’architecture stalinienne, est projetée de l’extérieur vers l’intérieur. En réalité les deux sont conçues pour susciter une fascination à l’homme par leur taille et leur richesse : au peuple entier et pas seulement à ceux qui choisissent de leur prêter attention. C’est la façade qui, en tant qu’élément principal formateur du milieu 2 GUGOV Anton, A propos de la façade de l’architecture bulgare pendant la deuxième moitié du XXème siècle, Marin Drinov, 2013, p. 13

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urbain et donc du quotidien de l’homme, touche une partie beaucoup plus importante de la société, contrairement à l’intérieur. En effet ce dernier ne peut influencer que ceux qui choisissent d’y pénétrer. Pour cette raison l’architecture stalinienne est définie plus tard comme formaliste vis-à-vis de la façade autant dans les pays soviétiques qu’en Bulgarie. La façade s’avère ainsi comme l’élément-clé de l’architecture socialiste. Elle devient une compilation éclectique d’époques différentes : nous y retrouvons des éléments caractéristiques du Classicisme, de la Renaissance, du Baroque. Des éléments au premier regard constructifs, mais sans aucune fonction porteuse, sont souvent utilisés en tant que décoration. Des colonnes sont inutilement agrandies, des arches et des consoles sont appliquées sans aucune fonction structurelle. La diversité stylistique et temporelle de la décoration inclut encore des frontons, des balustrades, des corniches, des formes typiques uniquement de la Renaissance bulgare. La symétrie inspirée encore une fois par l’Antiquité est recherchée même si le bâtiment est composé de fragments hétérogènes. Nous pouvons retrouver ces spécificités autant dans les bâtiments publics que dans les habitations. Dans les deux cas elles se posent souvent en contradiction avec leurs fonctions, leurs milieux et leurs procédés constructifs. Tout compte fait, la doctrine suivie par le parti socialiste russe d’«une architecture de contenu socialiste et de forme nationale » impose fermement une esthétique concrète à l’architecture publique des pays soviétiques et des pays satellites. L’exemple le plus frappant de cette homogénéisation de l’architecture est l’ensemble des Sept Sœurs de Moscou qui se dresse comme prototype pour de nombreux projets d’importance politique dans ces autres pays. À l’initiative de Joseph Staline l’édification de huit gratte-ciels à Moscou est projetée afin de symboliser les huit cents ans de la capitale en 1947. Au final seulement sept sont construits entre 1952 en 1955 surnommés par le parti les « Sept Sœurs de Moscou » mais appelés par la population « Vyssotki » (les gratte-ciels). Ces gratte-ciels sont construits dans un style éclectique qui s’inspire à la fois du Baroque des tours du Kremlin, du gothique et de celui des gratte-ciels américains des années 1930. L’inspiration architecturale du Manhattan Municipal Building

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(McKim, Mead and White, New York City, 1909-1912) est évidente même si cette référence est reniée par les concepteurs. Les édifices verticaux du capitalisme américain sont conçus pour des raisons économiques alors que ceux appartenant au socialisme soviétique ont pour but notamment de « mettre l’architecture au service du peuple ». En réalité ces bâtiments sont bâtis afin d’exalter la supériorité du communisme et en fournir une image grandiose et jubilatoire. Les formes massives sont variées, mais certaines caractéristiques sont constantes, comme la « flèche » qui surmonte la tour la plus haute, les structures verticales marquées par les alignements des fenêtres, la forme générale pyramidale avec tours étagées en hauteur, la décoration sculptée ou peinte, colossale, faisant appel aux poncifs du réalisme socialiste, le rappel à l’Antiquité par l’ensemble colonnade fronton. L’emplacement des bâtiments - au croisement des axes radiaux et des boulevards, est destiné à structurer et dominer l’espace urbain. Le projet des Sept Sœurs de Moscou résonne dans tous les coins de l’URSS par son importance et son échelle. Un grand nombre d’édifices dans des différents pays soviétiques ou des pays satellites a l’URSS reprennent les mêmes éléments que les gratte-ciels moscovites mais en les traduisant selon le culture qui les accueillera. A une échelle plus petite et avec des éléments provenant de l’architecture bulgare vernaculaire, Sofia se procure sa propre version des Sept Sœurs. L’idée d’un changement dans la partie centrale de Sofia n’est pas un caprice frivole. Il s’impose comme nécessité suite aux ravages des bombardements de 1943 et 1944. La nécessité de « renaissance », annoncée déjà par Staline, est répétée et imposée par le Parti socialiste bulgare au début de son régime, c’est-à-dire à la fin des années ‘40. Il s’avère donc impératif que les représentations du régime les plus importantes participent à cette renaissance. Un projet d’ensemble de bâtiments gouvernementaux est né. Associée au culte de la personnalité exporté en Bulgarie, cette renaissance architecturale adopte les Sept Sœurs de Moscou comme le modèle le plus logique à suivre. Un ensemble de bâtiments nommé « Largo » autour de la place « Nezavisimost » (« Independence ») est ainsi construit entre 1951 et 1956 par un collectif d’architectes. La version finale

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Fig. 1: Une des Sept Soeurs de Moscou: L’immeuble d’habitation de la place Koudrine

Fig. 2: Le Largo: L’ancienne Maison du Parti aujourd’hui devenue l’Assamblée nationale à Sofia

Fig. 3: L’Assamblée nationale et son atrium renvoyant a l’architecture traditionelle bulgare monastique - les arcades rayées du monastère de Rila

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Fig. 4: Le monastère de Rila et ses arcades rayées


de cet ensemble architectural comprend notamment la Maison du parti, les bâtiments destinés à accueillir des ministères de l’industrie lourde et de l’électrification, un magasin et un hôtel. L’imposant bâtiment du Conseil d’Etat, aujourd’hui la présidence, a été conçu par l’architecte Ivan Danchov et son équipe. L’Hôtel «Balkan» est l’œuvre de l’architecte Dimitar Tsolov. En mettant cote à cote le Largo et les Sept Sœurs, les points communs sont immédiatement reconnaissables. La forme pyramidale et dynamique, le rez-de-chaussée traité différemment des autres niveaux, l’utilisation de pierre pour le revêtement, l’emprunt d’éléments de façade de l’Antiquité tels la colonnade et le fronton et bien sûr les symboles du régime politique. Puisque l’architecture stalinienne est une architecture formaliste il est logique que toutes les ressemblances frappantes soient liées à la façade. La doctrine d’« une architecture de contenu socialiste et de forme nationale » rappelée constamment par le parti trouve dans ce projet une tentative d’interprétation par le biais de l’architecture traditionnelle bulgare. La façade étant complètement dictée par les règles de l’architecture stalinienne, l’intérieur du bâtiment devient le seul élément qui peut être modelé par l’architecte. C’est en effet à cet endroit la de la maison du parti, aujourd’hui abritant le conseil ministériel, que nous retrouvons le système d’arches composées de bandes horizontales alternant deux types de matériaux inspirée part certains monastères (dont le monastère de Rila du Xème siècle) ou le patio caractéristique des maisons bulgares. Même si les architectes du Largo trouvent des manières d’interpréter la doctrine soviétique à l’intérieur des bâtiments, l’architecture conçue entre 1949 et 1956 en Bulgarie reste majoritairement dictée par les règles de l’architecture stalinienne. Le Parti ne permet ni interprétations ni critiques aux architectes qui songent à une liberté de parole qui a son tour amènera à une liberté de conception.

1.3. TRANSGRESSION DE L’ARCHITECTURE DOGMATIQUE PAR UNE OUVERTURE À L’INTERNATIONAL 1956 – 1989 Avec la mort de Joseph Staline en 1953 vient la déstalinisation mentionnée ci-dessus. Elle se traduit concrètement par un refus du culte de la personnalité de la part Nikita Khrouchtchev en URSS et par suite en Bulgarie de la part Todor Jivkov en 1956. Dès ce moment-là et jusqu’à la fin de la décennie les architectes bulgares retrouvent la possibilité de refuser la doctrine imposée par le Parti d’ « une architecture de contenu socialiste et de forme nationale » et la liberté de regarder plus loin que le URSS. Un bousculement social dans tous les domaines professionnels éclate avec la session plénière du Comité central du Parti communiste menée du 2 au 6 Avril 1956. Cette libération déclenche parmi les architectes et les théoriciens bulgares une vague d’interprétations de cette période controversée. Dès 1956 la presse bulgare se dresse comme plateforme pour leurs besoins d’expression. Afin de pouvoir partir vers ces nouveaux horizons, les architectes ont besoin d’analyser le passé et en extraire des leçons afin d’éviter de refaire les mêmes erreurs dans le futur. Le questionnement du concept du réalisme socialiste ne cesse d’occuper les esprits jusqu’à la fin des années 1980. En 1968 Nicolay Troufechev, théoricien d’art bulgare, définit la période entre 1956 et 1958 comme une période de transition pendant laquelle le changement libérateur ne se produit pas « avec un décret de l’extérieur » mais « spontanément dans le milieu artistique ». Il refuse de nier « lа méthode » du réalisme socialiste ; c’est son « interprétation bornée 3» qui n’est pas acceptable . L’architecte Metodi Klassanov rejoint ce groupe de théoriciens 18 ans plus tard. Il voit le réalisme socialiste comme « une méthode générale de créativité et de paradigme 4» . Par conséquent la période 1949 - 1956 ne peut pas se dresser comme une traduction pratique du réalisme socialiste, elle n’est 3 TROUFECHEV Nicolay, Монументалните изкуства и архитектурата в България (Les arts monumentaux et l’architecture en Bulgarie), Tehnika, 1968; p. 15 4 KLASSANOV Мethodi, Размисли за миналото, настоящето и бъдещето на социалистическия реализъм в архитектурата (Des pensées sur le passé, le présent et le futur du réalisme socialiste dans l’architecture), SAB, 1986, p.32

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que son interprétation erronée. Le Parti adopte également ce regard critique vis-à-vis de l’architecture du réalisme socialiste. En 1959 le Comité Central du Parti Communiste Bulgare organise un plenum sur la construction qui lui est alors contemporaine et qui questionne pour la première fois cette architecture. « Les intentions formalistes dans l’architecture bulgare étaient exprimées par un monumentalisme faux et une application mécanique des formes du patrimoine national et classique. 5» . Le modernisme dans l’architecture bulgare est dorénavant vu par le Parti comme un symbole du progrès technique alors que dans les autres arts, le modernisme est considéré comme un phénomène occidental « de décadence 6». C’est officiel : les architectes se tournent vers l’architecture moderne mondiale pour s’en inspirer et ainsi répondre aux besoins et aux traditions du pays par leurs propres visions libérées. Les années 1960 comportent tous les caractéristiques d’une période d’après-guerre. Une augmentation exponentielle de la population urbaine causée par l’industrialisation intense du pays est à l’origine de la première direction conceptuelle prise par les architectes après la dite libération. De ce développement résultent des besoins fonciers, auxquels il faut donner la possibilité de se dilater ou de se contracter. Ainsi la notion de « nonfaçadisme» est associée à l’architecture des années 1960 en Bulgarie. Elle ne répond pas au sens moderne du terme (projeter un bâtiment du dedans vers le dehors), mais à l’idée que la forme parallélépipédique à structure cellulaire dont la composition est inachevée est la réponse à cette croissance potentielle d’utilisateurs: des étages ou des sections entières peuvent y être rajoutées. L’industrie répond à cette solution architecturale avec la production et la mise en place d’éléments de construction préfabriqués. Ce concept est adopté autant dans les immeubles résidentiels que dans les bâtiments publics. L’immeuble préfabriqué devenu « un type » n’est pas une œuvre d’art mais de la construction pure. Il faut noter que les 5 MATERIAUX du plenum du comité central du Parti Communiste Bulgare sur les questions de la construction, 1959 6 GUGOV Op. cit, p. 25

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particularités de cette construction « puzzle » ne sont pas mis en avant mais au contraire, sont cachées. L’architecture cosmopolite des bâtiments administratifs sous forme de parallélépipède avec des façades quadrillées suspendues se retrouve reflétée dans l’architecture bulgare. Son atout principal vis-à-vis des besoins du pays est cette façade inachevée : les éléments répétitifs unissent la façade dans un « rideau homogène » qui peut s’agrandir horizontalement et verticalement, sans que cela ait un impact sur l’image architecturale. Face à la nécessité soudaine de cette approche fonctionnaliste, les architectes bulgares se renferment dans un seul type d’architecture occidentale moderne et n’ont toujours pas la possibilité de repenser la forme architecturale par eux-mêmes en regardant a 360 dégrées. Le déclenchement vient lorsque les besoins fonciers sont majoritairement comblés et que la dite architecture moderne dépasse le fonctionnalisme orthodoxe au niveau mondial. L’épanouissement des horizons architecturaux arrive avec la complexification des exemples de ce fonctionnalisme orthodoxe : les architectes bulgares y introduisent le toit-terrasse, le brisesoleil sous toutes ses formes, le porte-à-faux, la mise en scène de certains éléments de la grille de la façade. Les architectes commencent à explorer des courants multiples. Né en Angleterre et popularisé par Le Corbusier (notamment son Unité d’habitation de 1952 et le Palais de Justice de 1953) au début des années 1950, le brutalisme devient une influence majeure dans l’architecture moderne des années 1950 aux années 1970 dans tous les coins du monde en tant que réponse à l’architecture « pompeuse » des décennies précédentes. Au lieu de créer l’espace à partir de l’enveloppe comme ce dernier, le brutalisme donne l’importance principale aux espaces intérieurs. Finalement la façade devient une traduction de ces espaces intérieurs. Afin de renforcer l’importance donnée à l’espace et non pas à l’esthétique décorative et superficielle, le brutalisme emploie des matériaux économiques tels que le béton. Pour ces raisons-ci, l’architecture brutaliste se présente comme une interprétation des principes du communisme poststalinien: une architecture créée pour la population et détachée

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apportent la sensation du vide et de la légèreté dans une façade, sont mises en arrière-plan alors que la structure pleine et massive est tirée au premier plan.

FIg. 5: La salle «Festivalna» - un des premiers exemples d’architecture brutaliste en Bulgaire.

de l’organisme du Parti. Le brutalisme se présente comme l’antithèse de l’architecture bourgeoise, elle-même comprenant l’architecture stalinienne. Par cette opposition le brutalisme devient une des inspirations les plus importantes pour les architectes des pays sous régime communiste pendant ces année-là dont fait partie la Bulgarie.

Cette nouvelle libération dans la pensée architecturale relève de questionnements sur la forme architecturale et son utilisation. Les architectes bulgares trouvent le fonctionnalisme de l’architecture moderne contraignant similairement aux architectes postmodernes occidentaux d’après lesquels « tous les bâtiments [modernes] devaient être habillés de la froide apparence rationnelle. » Pour cette raison ils entreprennent une exploration ouverte qui évoluera jusqu’à la fin du regime, autant vers l’ouest que vers les pays asiatiques et qui résulte d’une nouvelle sorte de pensée postmoderne propre a la Bulgarie. Le postmodernisme occidental part vers une réintroduction des ornements et des styles architecturaux du passé afin de « satisfaire les besoins humains de confort et de beauté pour le corps et les yeux. » mais au final se limite de nouveau dans un style défini. De leur cote les architectes bulgares refusent de retomber encore une fois dans une limitation conceptuelle et partent ainsi vers une expérimentation sans limites de synthèses differentes de styles mutiples, y compris le moderni sme et le régionalisme, afin de répondre aux questionnements esthétiques et fonctionnels. La période socialiste en Bulgarie donne naissance a un postmodernisme propre a la Bulgarie basé sur la fusion de styles.

La salle « Festivalna » (« Festivalière ») à Sofia construite en 1968 par Dimitar Vladishki et Ivan Tatarov est le premier exemple fort d’une architecture brutaliste bulgare qui garde une échelle relativement modeste comparée aux célèbres exemples mondiaux. La nouveauté frappante qu’elle apporte dans le paysage architectural bulgare est l’utilisation du béton brut apparent. Il participe autant dans la structure porteuse surdimensionnée que sous la forme de panneaux préfabriqués qui ferment les deux façades aveugles latérales ainsi que dans le socle monumental qui soulève le bâtiment et accueille son espace urbain adjacent. Le jeu de relief de cette façade renforce l’image de puissance : les ouvertures – les éléments qui

L’hôtel « Globus » (« Globe ») dans la station balnéaire « Slantchev briag » (« Côte ensoleillée ») conçu par Nicola Nicolov en 1962 est un des premiers exemples de la fusion architecturale qui restera la caractéristique principale de l’architecture bulgare pendant les années du régime socialiste. Il réussit à concevoir une architecture qui réconcilie le brutalisme venu de l’orient et la légèreté étouffée dans le passé. Nous pouvons y retrouver une forte inspiration provenue du milieu architectural japonais qui créera des relations architecturales entre les deux pays dans le futur. Kenzo Tange entre dans le milieu architectural au début des années 1950 et devient un des architectes-phare de son pays grâce à son approche innovante de fusion entre le traditionnel et le moderne. Cette dernière est déjà fortement exploitée dans un de ses premiers projets - la Préfecture de

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Fig. 6: L’architecte Nicola Nicolov se tourne vers l’architecture de Kenzo Tange pour donner l’impression d’ouverture et de légèreté à l’hôtel «Globus»

Fig. 7: L’influence de l’horizontalité issue de la tradition japonaise sur Kenzo Tange dans la conception de la préfecture de Kagawa

Fig. 8: L’idée d’horizontalité qui répond au relief environnant est ecore une fois reprise par l’architecte Detchko Djumakov lors la conception de l’hotel «Veliko Tarnovo»

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Kagawa à Takamatsu. Les idées d’horizontalité, de pureté et d’ouverture caractéristiques de l’architecture japonaise traditionnelle sont traduites dans un langage moderne grâce à la structure en béton qui met en valeur l’horizontalité des plateaux. Cette démarche a directement influencé la conception de l’hôtel « Globus ». Nous pouvons instantanément remarquer cette expression de l’horizontalité de Kenzo Tange interprétée par Nicola Nicolov selon les besoins et les contraintes du projet et sa propre approche architecturale dans les plateaux et le socle bas. Les vides crées par le recul de la façade entre ces dalles confèrent une image de légèreté pensée par l’architecte dès le début de la conception. Afin de renforcer cette image de légèreté Nicola Nicolov ajoute un dernier élément en couronne au bâtiment. Il couvre le toit-terrasse d’une plaque fine en béton pliée. D’un côté il utilise la force d’une interprétation littérale de cette forme qui renvoie à l’image de la vague et du vol et d’un autre il se sert de sa finesse pour susciter la sensation de légèreté. L’idée d’horizontalité accentuée s’avère être une des réponses empruntées par les architectes pour souligner le paysage de la cote bulgare dessinée par les montagnes et la mer. L’architecte Detchko Djumakov conçoit une forme architecturale composée d’un terrassement de plateaux (qui reproduit le relief des montagnes) dont l’horizontalité (qui renvoie à la mer) est renforcée par le reculement de la façade vitrée, noyée dans l’ombre. L’architecte applique cette réponse trois fois dans une autre station balnéaire au bord de la mer Noire « Zlatni piassatsi » (« Les sables dorées ») : les hôtels « Veliko Tarnovo », « Pliska » et « Gdansk » sont construits de la même manière en 1969. Les fusions du brutalisme avec des autres styles et influences continuent de se diversifier. Ce dernier se dresse comme la base d’une approche sculpturale en architecture grâce aux propriétés plastiques du béton. Le restaurant « Magoura » a « Slantchev briag » par Nicola Nicolov (1964) consacre son toit à la confrontation entre la sculpture et la technique. Si dans ce cas l’architecte emploie des éléments droits pour rassembler une composition rayonnante, il se tourne vers la douceur de la courbe permise par les propriétés du béton dans la conception du bar « Oriental » dans

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Fig. 9: L’hotel de Nicola Nicolov entre le brutalisme et le régionalisme

Fig. 10: Le bar «Magoura» entre le brutalisme et la composition sculpturale

Fig. 11: Le ministère des affaires étrangères entre le Boston City Hall et la Tourette

Fig. 12: Le Boston City Hall - le brutalisme américain

Fig. 13: La Tourette - un des premiers exemples du britalisme

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la même station balnéaire (1965). Dans le cas précédemment cité, Nicola Nicolov tourne son regard vers la Sécession viennoise afin de questionner les formes courbes. Il va au-delà de la pure approche sculpturale et ajoute à cette fusion une troisième couche : celle du régionalisme critique. Les arches définissant le périmètre du bar renvoient aux arcades des monastères bulgares, dont la référence a déjà été utilisée dans le projet du Largo. L’hôtel auquel se greffe le bar « Oriental » fait une allusion à la construction traditionnelle des maisons de la Renaissance bulgare en transposant le toit en tuiles dans le langage brutaliste : il en résulte des tuiles surdimensionnées en béton. De plus, l’emploi du bois à cote du béton renforce cette référence au traditionnel. Les architectes bulgares s’insèrent dans un jeu international d’influences complexe qui préexiste déjà. Si à la surface l’architecte parait être influencé par un élément, en réalité ce dernier porte déjà en lui ses propres influences antérieures. Un exemple qui illustre ce phénomène est le bâtiment du ministère des affaires étrangères à Sofia par Bogdan Tomalevski, Nicola Antonov et Losan Losanov (conçu entre 1974 et 1975 et construit entre 1975 et 1983). La forme atteinte par le mariage d’une multitude de volumes s’interpénétrant, la façade quadrillée, le jeu d’ombres, le travail sur le rezde-chaussée surdimensionné et évidé : tout ce travail architectural rappelle au spectateur un autre projet public de l’autre cote de l’Atlantique- le Boston City Hall conçu par l’agence Kallmann McKinnell & Knowles et Campbell, Aldrich & Nulty en 1968. De son côté, celui-ci est inspirée de la Tourette de Le Corbusier à Eveux (1957) qui lui-même est inspiré de l’architecture des monastères d’Athos en Grèce, très proches de l’architecture traditionnelle bulgare. La relation entre les architectes bulgares et l’extérieur ne se limitent pas à l’inspiration du premier par le deuxième : l’action inverse se met en route à la fin des années ’60. Le palais de la culture et du sport à Varna conçu par Stefan Koltchev et fini en 1968 est un des premiers exemples du succès international de cette fusion entreprise par les architectes bulgares. Sa structure apparente propose un mélange élégant entre le béton brut et la finesse d’une ossature tendue inspirée du mouvement hi-Tech

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dans l’architecture. Suite à sa construction nous pouvons retrouver trois bâtiments qui reprennent sa forme particulière de casquette militaire: le centre national d’art à Lagos, Nigeria en 1977 (son influence directe est annoncée officiellement par les représentants du pays), le Scotiabank Saddledome de Calgary (Graham McCourt Architects, 1983) et le stade de la paix et de l’amitié à Athènes (Thymios Papagiannis and Associates, 1985). Le geste vers l’extérieur de l’architecture bulgare atteint son apogée en 1970 avec le pavillon de la Bulgarie a l’Exposition Universelle d’Osaka au Japon par les architectes T. Kojouharov, Evl. Tsvetkov et L. Traykov. Ceci est l’occasion de rendre complète la relation entre l’architecture bulgare et Kenzo Tange qui constitue le master plan de l’expo avec Uzo Nishiyama. Ce ne sont pas uniquement les architectes bulgares qui se tournent vers Tange, Tange se tourne vers l’architecture bulgare aussi grâce à ce pavillon. Le bâtiment impressionne par la monumentalité de ses formes pures symbolisant les montagnes (les Balkans). Les façades lisses quadrillées par des montants rappellent l’architecture hi-Tech. En 6 mois le pavillon est visite par plus de 7 million de personnes et 1200 articles sont écrits à son propos, Kenzo Tange en parle. À cause de problèmes administratifs, le pavillon n’est pas conservé après son désassemblage. Après les agitations des années 1950, les années 1960 ramènent la paix politique suffisante pour que le gouvernement se tourne vers

Fig. 14: Le palais de la culture et du sport a Varna entre l’ossature tendue et le brutalisme

Fig. 15 et 16: Le centre d’art a Lagos et un stade a Athenes renvoient au Palais de la culture et du sport a Varna par leurs formes

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l’organisation des villes en dehors de la capitale et la manière dont le Parti y est représenté. Une construction intense de diverses maisons du Parti et salles est ainsi lancée Vis-à-vis de l’architecture publique, commandée par le Parti et ainsi le représentant, le brutalisme comporte une caractéristique qui lui permettra de devenir le symbole architectural d’un vaste nombre de régimes totalitaires. Son aspect monumental lui permet de provoquer une impression forte de grandeur insurmontable chez l’homme faisant parti du pays sous le dit régime. Finalement même si le Parti refuse le culte de la personnalité en 1956 il le fait afin d’instaurer un nouveau régime communiste d’une nouvelle génération de dirigeants. Et similairement à l’instrumentalisation staliniste et totalitariste de l’architecture, ce nouveau régime repose une grande partie de sa propagande sur le pouvoir de l’architecture en tant que représentant et symbole du gouvernement. Les architectes bulgares gardent leur liberté d’exploration mais l’architecture résultante et surtout celle des bâtiments publics doit impérativement emmètre la monumentalité demandée par le Parti. L’aspiration à la domination de l’architecture totalitaire est facilement retrouvable dans de nombreux projets des années 1980. On la retrouve notamment dans le Palais national de la culture à Sofia conçu par Alexandre Barov en 1981. Un bâtiment à l’échelle surdimensionnée est placé au milieu d’un parc éloigné de toutes autres constructions. L’impact est impressionnant - la silhouette imposante qui cache les montagnes provoque une sensation de puissance inédite dans la ville bulgare. On ne peut que deviner le contenu depuis l’extérieur – la façade suspendue est complètement opaque. Les panneaux verticaux blancs, se détachant sur le fond foncé, sont perçus comme des instruments de protection des espaces intérieurs contre le contact indésirable avec l’environnement extérieur. Posé sur un piédestal, entouré de plusieurs couches de murs porteurs le palais tient le public à une distance imposée par lui-même. Le volume ne peut être pénétré que par les entrées désignées à cet effet, mais même à une proximité immédiate du bâtiment le contact avec les espaces intérieurs est extrêmement difficile. À l’image du régime totalitaire qu’il représente, le bâtiment à une vie intérieure complètement cachée et sans aucun contact

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avec son milieu. Malgré les moyens d’expression contemporains et le style différent, une comparaison avec le réalisme sociale peut facilement être faite : le palais « national » est un bâtiment inaccessible. Nous pouvons donc remarquer que le brutalisme annonce son arrivée en s’opposant à l’architecture bourgeoise, mais finalement les deux, à travers leur langage architectural spécifique, se rejoignent sur l’illustration de la puissance du dit pouvoir. Dans le premier cas, ceci est obtenu par l’ornementation opulente, dans l’autre – par la masse et les formes pures de matériaux bruts. Cet attachement aux différentes faces du brutalisme entraine non seulement des éloges mais aussi des opinions sceptiques de certains architectes. En 1971 Ivan Rahnev publie dans le magazine « Arhitektura » un article intitulé « A propos du snobisme et l’émulation dans l’architecture»

Fig. 17: Le pavillon de la Bulgarie a l’Exposition Universelle d’Osaka de 1970 - les pyramides a structure high-tech symbolisant le relief des montagnes bulgares

Nous pouvons remarquer que, récemment, dans certains nouveaux travaux architecturaux une préférence snobe de formes sensationnelles plus ou moins frappantes au détriment des règles et principes esthétiques élémentaires. Autrement dit : on cherche une forme étrangère et formaliste dans laquelle on peut verser un programme inapproprié. (…) L’architecture socialiste demande une création de formes basée sur un autre type de principes esthétiques et de méthode artistique – la méthode du réalisme socialiste qui est étranger de toute sorte d’imitation et surtout d’une telle manière mécanique de la conception de l’image architecturale.7 En visant le ministère des affaires étrangères il renie « l’architecture des linteaux nus en béton ». Pourtant malgré ses critiques, ainsi que d’autres opinions similaires, les processus architecturaux continuent à se développer dans la même direction qu’auparavant. La fusion entre les influences extérieures et internes, le postmodernisme bulgare adopté par le Parti et les idées personnelles des architectes bulgares continuent jusqu’à la fin du régime à faire vivre l’architecture bulgare.

Fig. 18 et 19: Le Palais National de la Culture a Sofia illustre la monumentalite architecturale songée par le Parti Socialiste

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7 RAHNEV I., « За снобизма и подръжателството в архитектурата» (A propos du snobisme et l’émulation dans l’architecture), magazine Arhitectura, n* 9-10, 1971, p. 48 - 53

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1.4. PLOVDIV, UNE VILLE REPRÉSENTATIVE DES GRANDS ENJEUX ARCHITECTURAUX SOCALISTES DU PAYS Plovdiv est la deuxième plus grande ville en Bulgarie avec ses 340 mille habitants et se trouve au sud du pays. Elle est également sa plus vieille ville- avec son patrimoine datant du VI millénaire av. JC Plovdiv est aussi la plus vieille ville d’Europe. Grâce à son emplacement clé entre l’Europe et l’Asie, elle a pris part à toutes les cultures qui s’y sont succédées depuis et a connu un développement culturel et économique tout au long de son histoire. Pour cette raison, pendant le régime socialiste, Plovdiv accueillit une grande diversité de nouveaux bâtiments publics dont il résulte un spectre d’exemples différents - de l’architecture “stalinienne” aux pensées post-modernes.

Aujourd’hui des images illustrant l’architecture originale de l’édifice sont introuvables. L’industrialisation urbaine intense et la migration de la population des villages vers les villes atteignent rapidement Plovdiv. La ville grandit et se densifie en même temps avec une vitesse importante. Afin de répondre à la croissance exponentielle des nouveaux besoins un nombre de bâtiments publics supplémentaires sont conçus pendant les années 1960 et 1970.

L’arrivée de l’architecture stalinienne en Bulgarie au début du régime socialiste est également marquée à Plovdiv par la conception de la Maison des syndicats à la fin des années 50 et livrée en 1961 1. En tant qu’exemple d’architecture stalinienne, l’édifice est conçu pour exprimer la puissance du pouvoir qu’elle doit symboliser. La forme presque symétrique est isolée complètement de tout autre bâtiment afin de marquer l’espace, servir de repère urbain et surtout imposer sa monumentalité. Si nous tournons encore une fois notre regard vers les autres exemples d’architecture stalinienne – le Largo et les « Sept sœurs de Moscou », nous remarquerons que la maison des syndicats reprend le concept de façade imposante mais propose sa propre alternative de la monumentalité. Elle rompt avec l’amour pour les ornementations lourdes et offre une colonnade symétrique hors d’échelle humaine mais complètement épurée, des fenêtres simples de forme carrée et l’utilisation d’un seul type de recouvrement. La Maison des syndicats est l’exemple qui démontre la manière subtile dont un architecte se permet de traduire l’architecture stalinienne imposée par l’URSS avec son propre langage. Ainsi il donne un premier indice sur l’attitude de la ville de Plovdiv et son architecture qui se tourneront rapidement vers une expérimentation hétérogène mélangeant une multitude de styles architecturaux. La maison des syndicats reste le seul exemple d’architecture stalinienne à Plovdiv.

La Maison des syndicats est suivie par la construction de la bibliothèque régionale « Ivan Vazov » par l’architecte Stefka Georgieva en 1962. Cet édifice marque la transition de l’exemple soviétique imposé vers la libération architecturale qui touche la Bulgarie entière à fin des années 1950. La tâche de l’architecte est difficile : le bâtiment doit être monumental afin de satisfaire les demandes indirectes du parti et en même temps paraître suffisamment accueillant afin d’inciter l’intérêt à la culture. Le site est choisi en fonction de sa localisation et sa taille : assez grand pour que le bâtiment soit isolé et donc mis en scène et a un endroitclé qui inclut un grand nombre de flux urbains. La bibliothèque est ainsi construite entre deux grandes rues – la rue Ivan Vazov et la rue Avksentiy Velechki, et le parc central « Tsar Simeonova Gradina ». La mise en scène du bâtiment commence avec la conception du rez-de-chaussée – le bâtiment est surélevé sur un socle contenant des espaces de stockage. On atteint donc l’entrée principale par un des deux escaliers monumentaux tournés vers le parc et vers la rue commerciale. L’édifice consiste en deux volumes principaux : une tour consacrée au stockage des livres empiétant sur un volume horizontal de quatre niveaux ouvert au public. Ce dernier contient le hall d’entrée, les salles de lecture et les salles d’exposition. Afin d’adoucir légèrement cette grandeur hors d’échelle, le béton brut utilisée pour sa structure est recouvert en blanc. Ces grandes façades sont fractionnées par un dessin géométrique afin de donner une échelle encore plus humaine à l’extérieur du bâtiment. À cause du stockage que la tour comprend, la façade doit être complètement opaque mais l’architecte ajoute des colonnes de fenêtres au niveau des escaliers afin de créer l’illusion d’une tour moins lourde mais plus élancée et fine. A côté de l’esprit moderniste

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Fig. 20: Suite à l’industrialisation forte pendant les années 1960 de Plovdiv et de la croissance résultante, aujourd’hui une grande partie de l’architecture de la ville date du régime socialiste, y compris des quartiers entiers.

Fig. 21: Les bâtiments-phare à vocation publique datant du régime socialiste a Plovdiv sont regroupés autour les axes piétons et de transition mixte principaux de la ville ainsi qu’autour des espaces verts majeurs.

Architecture datant de la période du régime socialiste entre 1944 et 1989

La Poste centrale

La Maison de la science et de la technique

Architecture datant d’une autre période

La bibliothèque Ivan Vazov

Le cinema Kosmos

Exemples d’architecture socialiste à vocation publique qui seront analysés au cours de ce mémoire

La Maison de la jeunesse

La Maison du nouveau-né La Maison des mariés

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La Maison des syndicats

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qui inspire la conception du bâtiment, le régionalisme critique trouve également sa place parmi les inspirations de l’architecte. Similairement aux maisons datant de la Renaissance bulgare, le rez-de-chaussée est reculé d’environ trois mètres afin de marquer l’entrée. Le patio englobé dans le volume horizontal de la bibliothèque renvoie également aux patios des maisons traditionnelles bulgares : les salles de travail sont tournées vers ce patio qui assure ainsi une ambiance calme sans les distractions offertes par l’environnement extérieur tout en assurant de la lumière douce. Ainsi la bibliothèque devient la première expression d’une pensée post-moderne qui qui aboutit à une architecture comprenant des éléments modernistes et régionaux en même temps.

Fig. 22: Les grandes façades sont fractionnées par un dessin géométrique afin de donner une échelle humaine à l’extérieur du bâtiment. Ce dernier est mis en scène par un soulevement du rez-de-chaussée:

Fig. 23: Les maquettes d’origine démontrent l’idée de patio autour duquel tourneront les salles de lecture et la tour de stockage. Les ouvertures et le dessin des facades a été changé.

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La recherche d’architecture unique qui commence à conquérir le pays au début des années 1960 donne naissance au cinéma Komsomol, aujourd’hui appelé Kino Kosmos, par l’architecte Lubomir Chinkov en 1964. Le projet de cinéma “Komsomol” (du mot russe komsomol КОМмунистический СОюз МОЛодёжи: union communiste des jeunes) tourne autour d’une salle amphithéâtrale de 900 personnes, avec un toit coulissant qui répond aux très hautes températures estivales a Plovdiv. « Le concept suit le schéma fonctionnel suivant : nous entrons dans le hall du RDC, nous laissons notre manteau aux vestiaires, nous passons dans le hall du premier étage par les escaliers suspendus et ainsi nous entrons dans la salle de projections. Nous sortons directement sur la place devant le cinéma afin d’obtenir une séparation complète des personnes qui rentrent et qui sortent. 8» Après une brève absence de l’architecte, le projet est partiellement transformé : le toit coulissant n’en fait plus partie pour des questions de facilité. Les vestiaires du rez-de-chaussée deviennent un lieu d’entre-deux, tandis que le hall servant d’entrée au premier étage devient un salon de thé. Au fil des années le cinéma devient un des noyaux culturels de Plovdiv –des films bulgares du réalisme social autant que des œuvres russes, anglaises et françaises attirent les spectateurs. L’espace intérieur est simple et épuré, sa seule particularité est un grand escalier de forme irrégulière. Chaque détail est dessiné par l’architecte et est l’œuvre d’artisans 8 CHINKOV Lubomir, Arhitectura (architecture), Arhitektura I struitelstvo, 2010, p.16

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afin de créer une architecture unique. On peut retrouver ici aussi un volume qui ressort au-dessus de l’entrée afin de la souligner. Contrairement à la bibliothèque, dans le projet du cinéma le matériau est laissé apparent : la façade est une composition géométrique de béton brut, de carrés de pierre blanche et de vitres. Les ouvertures prennent des formes diverses afin de répondre a leur exposition solaire et à leur rapport aux environs. L’ouverture du deuxième niveau accueillant le salon de thé qui donne sur la place fait la taille du mur et est divisée par des menuiseries en acier, une communication forte entre l’intérieur et l’extérieur est établie. Les ouvertures donnant sur la rue sont fines et verticales sur toute la hauteur afin de suggérer une vie intérieure au passant mais sans tout révéler. Une place urbaine est aménagée entre le bâtiment et le boulevard Gladstone afin d’assurer le recul spatial suffisant pour assurer sa mise-en-scène. Grâce à cette composition géométrique qui forme l’aspect extérieur et l’intérieur dépouillé servant de mise en scène à un élément sculptural nous obtenons un volume au caractère et à la présence très forts. Le cinéma poursuit cette nouvelle vague bulgare d’expérimentation architecturale, cette fois ci en annonçant clairement l’arrivée du style brutaliste a côté du modernisme dans la pensée postmoderniste. Les années 1970 arrivent en Bulgarie avec un détachement encore plus intense de la part des architectes du modernisme orthodoxe. Les architectes plovdiviens se tournent du volume simple vers sa complexification sculpturale permise par la structure en béton. La conception de la Maison de la jeunesse par Vesseline Rakchiev dans les années 1970 débute à partir d’un parallélépipède et le mène vers cette complexification par des extrusions de volumes simples, de formes plus complexes mais aussi des percements par des patios. Ces derniers expriment en fait l’envie de l’architecte de ne plus associer les distributions verticales aux espaces servant et de les mettre en valeur en les travaillant chacun en tant qu’objet sculptural indépendant et en les attachant sur l’extérieur du volume. La structure porteuse horizontale prend la forme d’un maillage irrégulier serpentant dans le but d’être laissée apparente. Un volume massif complètement opaque en béton ressort au-dessus de l’entrée afin

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Fig. 24: Le salon de thé donnant sur le hall du cinéma Kosmos

Fig. 25: Les escaliers monumentaux menant le spectateur de l’entrée au deuxième étage du cinéma

Fig. 26: Le cinéma Kosmos est un des premiers exemples du brutalisme a Plovdiv.

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de donner l’impression de pesanteur et afin de marquer l’entrée. Le dessin final du bâtiment démontre une attention fortement sculpturale de la part de son créateur. Il porte des traits de différents styles : les volumes imposants et le béton apparent rappellent le brutalisme, le modernisme est convoqué dans le travail plastique des éléments supplémentaires et de la structure. Cette approche sculpturale continue d’être adoptée par les architectes bulgares tout au long des années 1970 avec la Maison du nouveau-né construit par Matey Mateev, Maria Sapoundgieva et Dimka Taneva. Les architectes dessinent un pavillon simple de forme rectangulaire d’un seul niveau auquel ils attachent un pavillon rond qui est enveloppé par des pétales dressées de couleur blanche en béton qui symbolisent la pureté des enfants en utilisant la métaphore de la fleur. Afin de renforcer cette idée la Maison du nouveau-né est installée parmi la végétation dense dans le parc “Dondoukova gradina”. L’arrivée du brutalisme dans la pensée postmoderniste de l’architecte bulgare est reflétée de nouveau dans la conception de la Maison de la science et de la technique dans les années 1970. Afin de refléter la fonction de l’édifice à l’extérieur, c’est-à-dire – l’avancement technologique du pays, l’architecte Miltcho Sapoundgiev conçoit des plaques en béton coffrées

Fig. 27: La maison de la jeunesse - un exemple - phare du brutalisme a Plovdiv. Faute d’images datant de la periode 1944-1989 nous avons crée un collage de la facade principale du batiment dans son etat actuel. A part des changements superficiels, l’aspect global de l’édifice n’a pas changé.

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dans une forme ondulée qui sont ensuite attachées aux bords des dalles. Ces éléments sont pensés pour rappeler les panneaux ondulés préfabriqués en aluminium utilisés dans les pays occidentaux à ce moment-là. Cela aboutit à un ensemble de dalles décalées qui apparaissent plus épaisses qu’en réalité grâce à ces panneaux ondulés en béton. La structure portante massive en béton est laissée apparente mais donne l’impression de légèreté car ses éléments porteurs verticaux et horizontaux sont à chaque fois regroupés en binômes afin de leur donner une section minimale. Le bâtiment de la Poste centrale a Plovdiv conçu par Jelyazko Stoykov en 1979 est un projet qui peut servir comme exemple de la manière dont la pensée postmoderniste traite la question de l’existant. L’édifice se trouve au croisement de deux des flux piétons les plus intenses de la ville et face à place Centrale et au parc « Tsar Simeonova gradina ». Au volume initial qui est un parallélépipède simple de quatre niveaux est ajouté un volume en forme de « U » de trois niveaux afin de former un carré autour d’un patio. Cet ensemble est entièrement couvert d’une nouvelle façade identique des 4 cotés. Finalement, l’ancien volume ne se détache que par son niveau supplémentaire et par sa façade donnant à l’intérieur du carré. Au premier regard extérieur, nous remarquons un grand nombre de similitudes avec la bibliothèque Ivan Vazov : les deux volumes bas forment des carrés

Fig. 28: La structure porteuse horizontale prend la forme d’un maillage irrégulier serpentant

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percés d’un patio, chacun utilise le blanc pour souligner la composition géométrique jouant avec le relief sur les façades, ils amènent tous les deux la lumière a l’intérieur par des ouvertures rectangulaires verticales de taille moyenne. Le patio peut être de nouveau considéré comme un rappel de l’architecture bulgare de la Renaissance. Lors la conception de la poste, Jelyazko Stoykov ne s’arrête pas à ce stade dans son élan vers le local – il fait appel à plusieurs artistes et artisans bulgares avec lesquels il dessine le hall tournant autour du patio. Le but de cette collaboration est de lui redonner une certaine chaleur tout en gardant l’extérieur du bâtiment monumental. Le patio est vitré des trois côtés, le sol est végétalisé a certains endroits, la lumière zénithale éclaire l’espace, une mosaïque de grande échelle de Gueorgui Bojilov couvre le mur nord du hall et des gravures en bois recouvrent deux poteaux centraux et les radiateurs. Fig. 30: Les pétales dressées de couleur blanche en béton enveloppant la Maison du nouveau-né symbolisent la pureté des enfants en utilisant la métaphore de la fleur.

Fig. 31: La Maison de la science et de la technique emploie une structure porteuse en binomes afin de donner une impression de légerté au brutalisme.

Fig. 32: La Maison de la science et de la technique - l’idée de strates superposées

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La poste est encore un exemple du mélange de styles qui aboutit a la postmodernité propre à la Bulgarie : le projet emprunte des éléments architecturaux de l’architecture moderne mais en gardant l’ancien bâtiment, il refuse certaines idées modernistes et en même temps est influencé par des idées du régionalisme critique et du brutalisme.

Fig. 32: La Poste centrale et un de ses deux entrées principales vues depuis la place «Tsentralen». Aujourd’hui cet horloge est devenu le lieu de rendez-vous le plus connu a Plovdiv.

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CHAPITRE DEUX

UNE ATTITUDE DE NÉGATION : LA CHUTE DU RÉGIME ET L’HÉRITAGE «INCONVÉNIENT» PENDANT LA PÉRIODE DE TRANSITION ENTRE 1989 ET 2007

2.1. LA PERCEPTION DE L’ARCHITECTURE COMME SYMBOLE DE DYSTOPIE Afin de comprendre ce rôle symbolique de l’architecture socialiste il faut d’abord prendre du recul et étudier la relation entre une idéologie et le régime totalitaire correspondant ainsi que la perception de ces deux phénomènes par de la société. Idéologie : « Ensemble des représentations dans lesquelles les hommes vivent leurs rapports à leurs conditions d’existence (culture, mode de vie, croyance).9» Une idéologie dominante est diffuse et omniprésente, mais généralement invisible pour celui qui la partage du fait même qu’elle fonde la façon de voir le monde. (…) On peut distinguer dans une idéologie les dimensions : cognitive : dogmes, croyances (« c’est ainsi ») ; morale : jugements, valeurs (« c’est bien ; c’est mal ») ; normative : normes (« il faut ; on doit »). 10 Utopie : « Construction imaginaire et rigoureuse d’une société, qui constitue, par rapport à celui qui la réalise, un idéal ou un contre-idéal. 11» Fig. 33: Vue des façades Sud et Est de la Poste centrale; le premier plan montre les fouilles archéologiques à coté desquelles est construit le bâtiment. Fig. 34, 35: Vues du foyer principal et de l’atrium de la Poste centrale.

Dystopie : « Une dystopie peut également être considérée

9 Dictionnaire de français Larousse, «Idéologie», disponible sur < http://www.larousse.fr/ dictionnaires/francais/idéologie/41426/> 10 Wikipédia, «Idéologie», disponible sur < https://fr.wikipedia.org/wiki/Idéologie>» 11 Dictionnaire de français Larousse, «Utopie», disponible sur < http://www.larousse.fr/ dictionnaires/francais/idéologie/41426/>

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comme une utopie qui vire au cauchemar et conduit donc à une contreutopie. L’auteur entend ainsi mettre en garde le lecteur en montrant les conséquences néfastes d’une idéologie (ou d’une pratique) présente à notre époque.12 » Régime totalitaire : « Le régime totalitaire va au-delà en tentant de s’immiscer jusque dans la sphère intime de la pensée, en imposant à tous les citoyens l’adhésion à une idéologie obligatoire, hors de laquelle ils sont considérés comme ennemis de la communauté.13 » Si nous comparons les deux termes – « idéologie » et « utopie » nous remarquons que l’idéologie se présente comme une façon d’imposer une utopie. Alors que l’utopie est une idée théorique, la dystopie est donc une utopie qui « vire au cauchemar » et se produit lorsqu’une idéologie est imposée de manière concrète dans la pratique. L’utopie décrit quelque chose de parfait et inexistant, un rêve alors que la dystopie – serait la traduction de l’utopie dans la réalité. D’une manière similaire nous pouvons expliquer la relation entre l’idéologie et le régime totalitaire. L’idéologie est un ensemble d’idées théoriques alors que le régime totalitaire est l’application de cette idéologie dans la vraie vie. Si l’idéologie est une sorte d’utopie, le régime totalitaire est une sorte de dystopie. L’architecture socialiste (surtout publique) est créée pour répondre aux besoins fonctionnels de la société mais également pour exprimer le pouvoir du parti et l’avancement du pays grâce à son gouvernement tout en permettant une liberté artistique aux architectes. Elle suit un style né pendant le régime et propre à lui seul, pour cette raison la société la perçoit en tant que partie intégrante de ce régime. Par l’association visuelle – voir ces bâtiments et l’associer de manière inconsciente par la mémoire à son appartenance au régime socialiste, l’architecture socialiste devient un symbole du régime qui lui a donné naissance.

Symbole : Le symbole est un concept, une représentation de pensée

12 Wikipédia, «Dystopie», disponible sur <https://fr.wikipedia.org/wiki/Dystopie/> 13 Wikipédia, «Régime totalitaire», disponible sur <https://fr.wikipedia.org/wiki/ Totalitarisme/>

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chez un individu en particulier ou un groupe en général; l’association faite par la pensée est déclenchée à partir des sens humains percevant quelque chose. Un signe faisant symbole est actif chez l’individu pour soit provoquer une pensée sur un thème (...) et un élément (...), soit une sensation (…) Une deuxième fonction du symbole est la « fonction révélatrice ». Le symbole apparaît ainsi comme la réalité visible (accessible aux cinq sens) qui invite à découvrir des réalités invisibles.14 Associer un espace a une idéologie et de cette manière devenir son symbole est un principe utilisé déjà dans l’empire Romain avec la propagation de la religion. Maurice Halbwachs, philosophe et sociologue français qui développe le concept de la mémoire collective, explique cette pratique à travers l’ancienne méthode de «ars memoriae», ou la méthode des lieux qui « illustrent les liens étroits qui unissent la matérialité du lieu et les souvenirs qu’on y rattache. (…) Ainsi la localisation précède non seulement la reconnaissance, mais même l’évocation des souvenirs.15». Halbwachs illustre son propos en donnant comme exemple les évangiles : « le groupe chrétien n’a eu, tout au long de son évolution, de cesse d’élaborer un dogme et de le rattacher à des lieux (saints) afin que la doctrine chrétienne s’ancre et se perpétue durablement dans les esprits des fidèles.16» Marie Hocquet, ethnologue, ajoute : « Halbwachs souligne par ailleurs la nécessité, pour cette dernière [la communauté chrétienne], d’ancrer ses souvenirs au sol afin de pallier sa vulnérabilité et la fragilité de ses souvenirs.17» Les régimes totalitaires, y compris le régime socialiste bulgare, adoptent cette méthode et le résultat s’avère présent encore après leur chute. Par conséquent l’architecture de la période entre 1949 et 1989 se dresse somme un symbole de la dystopie totalitaire mentionnée ci-dessus. 14 Wikipédia, «Symbole», disponible sur <https://fr.wikipedia.org/wiki/Symbole/> 15 HALBWACHS Maurice, La mémoire collective, Albin Michel, 1950 (1997) 16 HALBWACHS Maurice, La Topographie légendaire des Évangiles en Terre sainte, Quadrige/Presses Universitaires de France, 2008 17 HOCQUET Marie, Mémoire, oubli et imaginaires urbains, étude de deux hauts-lieux de la mémoire communiste à Berlin-Est : le Palais de la République et le Musée de la Stasi, Université Jean Monnet - Saint-Etienne, 2011

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Dans le cas des pays socialistes, dont la Bulgarie fait partie, elle provoque des sensations douloureuses liées à la réalité dystopique du régime - le dur quotidien totalitaire. L’Homme refuse l’échec qui blesse son ego, ensuite il vise à en tirer des leçons afin de corriger les erreurs et finalement d’aller vers « l’idéal », le « rêve ». Dans le cas de la vie de l’architecture socialiste, le bulgare s’aperçoit de l’échec que le régime représente et qui le blesse. Afin de le refuser il aspire à le détruire et à ensuite l’oublier. Ce refus le mènera à tenter de nouveau d’atteindre la perfection – une perfection douteuse sous la forme du « mafia-baroque ».

2.1.1. LE PASSAGE DE RÉGIME SOCIALISTE VERS DÉMOCRATIE 1989 – 2007 L’année 1985 amène des changements fondamentaux au cœur de l’URSS avec l’arrivée de Mikhaïl Gorbatchev dans le monde politique. Il met en place une politique de glasnost (transparence) ayant pour but de supprimer les reliquats du stalinisme et de la perestroïka (restructuration) afin de combattre la stagnation économique. Ressentant la menace que ces changements internationaux font planer sur les membres du parti communiste bulgare en place, Gorbatchev lance un coup d’État interne au parti en octobre 1989, le nouveau parti alors établi est renommé « Parti Socialiste Bulgare ». Le président du Conseil National Todor Jivkov est remplacé par Petar Mladenov. Ces actions sont entreprises par le parti afin que le gouvernement puisse garder en premier lieu sa puissance économique et en second lieu sa puissance politique. Les premières élections libres ont lieu en juin 1990 et les socialistes remportent la majorité. Le parlement invalide la constitution de 1974 et supprime l’adjectif populaire du nom officiel du pays, qui devient la République de Bulgarie. De nouvelles élections ont lieu en octobre 1991 et sont remportées par l’opposition : Filip Dimitrov un nouveau gouvernement est formé sans la participation des socialistes.

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La période pendant laquelle la Bulgarie fait la transition entre un régime totalitaire et une démocratie est le sujet de nombreuses études qui définissent des limites temporelles et établissent différents noms. La majorité des opinions la place entre 1989-1990 et l’entrée du pays dans l’Union Européenne en 2007. Différentes appellations circulent : « la transition », « la transition vers un pluralisme politique et une économie de marché », « le transition bulgare vers un démocratie et une économie de marché ». Alors que la démocratisation s’achève en quelques années, la transition vers une économie de marché est longue et difficile. La gestion de l’économie planifiée ne change pas, un grand nombre des anciennes institutions continuent de fonctionner, les premiers gouvernements prévoient un socialisme démocratique pour le futur. Une des premières tentatives d’un plan de transition économique est la stratégie « Rahn », conçue par Richard Rahn, économiste américain, et l’Ordre national de la commerce des États-Unis en 1990. Elle prévoit des réformes structurelles et des privatisations dans la plupart des domaines, une restructuration des entreprises ainsi qu’une libéralisation des prix et du commerce extérieure. Une suite de gouvernements n’applique pas cette stratégie et les vraies réformes ne commencent qu’en 1997. Selon Richard Rahn « La Bulgarie gaspille les années avant 1997 dans un chaos politique18». Le changement de propriété se déroule selon trois directions – la restitution, la privatisation et la concession dont la privatisation est prioritaire. Au début de 1991 deux lois sont passées19 : -

La loi de la propriété et l’utilisation des terres d’agriculture : une

18 RAHN Richard, « Making the world better » (Rendre le monde meilleur), publié le 1 aout 2004 [consulté le 23 novembre 2013], disponible sur: <http://www.cato.org/ publications/commentary/making-world-better/> 19 Wikipedia, «Преход на България към демокрация и пазарна икономика» (Le passage de la Bulgarie vers la démocratie et l’économie de marché), disponible sur : https://bg.wikipedia.org/wiki/преход_на_българия_към_демокрация_и_пазарна_ икономика/>

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procédure qui s’avère très compliquée et qui ne restitue que 18% des propriétés en 5 ans.

terme peut aussi cataloguer les adversaires politiques de n’importe quel mouvement.

- La loi de la restitution de la propriété de l’immobilier nationalisé : 90% des applications sont prises en compte en 5 ans.

Ce mélange de définitions est accompagné avec l’idée très rependue parmi la population bulgare que « les communistes continuent à être au pouvoir » et qu’ils continuent à contrôler le pays, la politique, l’économie. Dans ce cas le mot « communistes » est une notion qui rassemble les mécanismes peu clairs de pouvoir et d’influences d’ensembles privées et qui est exercée sur le pays. Ainsi étrangement le communisme continue à « être au pouvoir». Antoniy Todorov aboutit à une question importante: « … et probablement pour ça que parler de la mémoire du communisme est difficile – comment parler de la mémoire de quelque chose qui existe au présent ? 20»

Ces changements économiques transforment au fur et à mesure l’apparence de la ville bulgare. Nationalisés pendant le régime, certains bâtiments au sein de ces villes retombent dans des mains privées. Ces derniers sont détruits et remplacés par de nouveaux édifices pour de nombreuses raisons, dont font partie notamment l’envie de l’homme de s’approprier complètement ce que lui appartient, le symbolisme négatif de l’architecture des derniers 40 ans, l’attirance des formes et détails curieux jamais vus auparavant de la nouvelle architecture. Il en résulte une juxtaposition dense d’architectures de différentes époques et un éclectisme urbain inédit.

2.1.2. LE POIDS DU PASSÉ ET LE NOUVEAU MODÈLE À SUIVRE La chute du régime socialiste permet à la société bulgare de prendre enfin une position vis à vis de lui libérée de la censure. Le fait que le régime soit vécu différemment par ceux qui étaient adeptes au parti et ceux qui ne l’étaient pas résultent a une confusion dans le mémoire collectif. Cette dernière est encore plus renforcée par l’insuffisance de recul temporel qui permettrait un regard objectif sur le passé. Cette confusion mène à un silence à propos du régime socialiste et sa culture dont l’architecture qui est d’autant plus encouragé par le nouveau gouvernement. Antoniy Todorov, politologue bulgare et conseilleur sur les discours politiques du président Gueorgui Parvanov entre 2007 et 2012, traite la question de la mémoire du régime dans un article intitulée « Y-at-il un silence à propos du communisme ? » Dans ses propos il analyse l’utilisation du mot “communiste” dans la société bulgare. Il peut être un synonyme de « socialiste » ou à propos du PSB (Parti Socialiste Bulgare). Le mot peut être aussi un synonyme d’un homme avec des pensées et des vues désuètes. Le 46

Le politologue continue sa réflexion sur le silence à propos du régime en dirigeant son regard vers l’enseignement scolaire. Selon lui c’est le manque de définition claire qui mène au refus de la plupart des professeurs de lycée d’enseigner sur ce sujet. Ils craignent d’être accusés d’une position politique prise ou autre. Ainsi pour la plupart des jeunes d’aujourd’hui le régime socialiste reste un sujet confiée uniquement dans les limites de la maison et non pas en tant que question traitée par « un enseignement républicain » ou même dans l’espace public ou médiatique. La question du passe immédiat devient un tabou mystifiée. Guy P. Marchal, un historien suisse, élabore la question de l’oubli collectif: «(…) l’oubli organisé, qui intervient sur la mémoire communicationnelle et, à rebours, sur la mémoire culturelle. Ce type d’oubli se manifeste, par exemple, lorsqu’une instance dominante de la societe decide, pour les besoins de sa propre cause, de mettre l’accent sur tel element, tel motif de la mémoire et de la tradition au detriment d’un autre.21 » 20 TODOROV Antoniy, « Има ли мълчание за комунизма?” (Y a-t-il un silence à propos du communisme ?), 19 février 2012 [consulté le 5 mai 2015], disponible sur <https:// antoniytodorov.wordpress.com/2012/03/19/има-ли-мълчание-за-комунизма/> 21 MARCHAL Guy P., «De la mémoire communicative à la mémoire culturelle, le passé dans les témoignages d’Arezzo et de Sienne (1177-1180), Annales», Histoire, Sciences Sociales, 56ème années, 2001p, p. 563-589.

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Nous pouvons retrouver dans cette théorie de nouveau la méthode de l’ars memoriae que nous venons de mentionner dans la partie 2.1. La perception de l’architecture comme symbole de dystopie. Le nouveau gouvernement vise à noircir l’image de son prédécesseur afin de provoquer un contraste dans lequel il se dressera comme « le bon choix ». Afin d’y arriver le pouvoir se sert de cette association entre l’ideologie et le lieu, c’est-à-dire entre le regime et son architecture, en tant qu’instrument d’influence. Ce silence et ces tentatives d’oubli resultent a une deformation de la manière dont la population percoit l’architecture socialiste – elle ne represente plus ses valeurs architecturaux, artistiques ou sociaux mais uniquement sa provenance – les conditions difficiles du regime socialiste. Mais ce silence n’arrive pas a mener a l’oubli qui est percé ponctuellement par des cris (estce que c’est clair que c’est le silence est ponctue ?)– la gravitee des blessures emotionelles sont beaucoup trop importantes. Meme si des discussions publiques sont rarement organisees et toute trace materielle de la culture socialiste disparait (aujourd’hui la faute pour cette disparition est souvent mise sur le gouvernement) des actes iconoclastes sont organisees a plusieures reprises afin d’exprimer la negation de la societe envers ce patrimoine et donc par association, ce regime. A ce silence qui s’installe sur les souvenirs du regime et donc sur sa culture et son architecture, s’ajoute le contraste avec la nouvelle mode de vie occidentale proposée a la population a cote de laquelle ces souvenirs et cette culture du passee apparaissent encore plus noirs. Une des répercussions principales de la chute du régime socialiste est la coupure de l’affiliation de la Bulgarie a l’URSS et par conséquence l’ouverture possible vers les pays occidentaux. Les années passées à ternir la culture occidentale en la présentant comme une influence malsaine la font être d’autant plus appréciée par la jeune génération bulgare Ce plébiscite naît non seulement du rejet symbolique de l’ancien régime fortement contraignant, mais est aussi une réaction psychologique, presque physique à une limitation imposée – comme la soif ou la faim L’envie d’aller avec une grande intensité vers quelque chose qui lui a manqué auparavant est une 48

réaction innée a l’homme. Les gens ne sont plus contraints à acheter leurs jeans au marché noir, d’écouter en secret du rock and roll sur des vinyles et cassettes piratées : la soif de rébellion que représentent ces objets se transforme en soif de liberté. Les architectes ne sont plus contraints par les volontés du parti qui s’est approprié le postmodernisme bulgare et l’a transformé en pinceau avec lequel le régime socialiste est dessiné. Le changement politique entraîne des nombreuses années d’échecs économiques en Bulgarie. L’indice de développement humain du pays passe de la 26eme position a la 69eme position entre 1990 et 1997, la corruption et le crime organisé augmentent énormément (transparency international), entre 1990 et 2009 la population diminue de 1,8 million soit 1/5 de la population.22 L’état insatisfaisant de la qualité de vie et cette ouverture vers le reste du monde incitent la société à se tourner vers les pays développés et à y chercher des solutions. Ce regard intense de la Bulgarie vers les pays occidentaux tisse une relation vécue dans les deux sens. Le regard vers l’Est, concrètement représenté par l’URSS et plus ou moins imposé, est finalement à l’origine d’un quotidien difficile défini par des limitations, l’Ouest s’avère la direction la plus évidente à prendre dans cette recherche. Le mode de vie occidentale telle que la population bulgare la voit ou que les medias la laissent voir devient son but sans que cette dernière ne prenne en compte la différence de mœurs, du passé et donc de l’état actuel des deux cultures. Elle vise donc à adopter ce mode de vie sans qu’il ne soit adapté aux besoins locaux. Par conséquent la société perd «non seulement toute vision réaliste de l’avenir, mais aussi un sens du passé23» D’un autre côté, la Bulgarie se trouve dans une position géopolitique extrêmement intéressante. Deux de ses frontières sont des frontières entre trois entités politiques importantes : les cotes donnant sur la mer Noire 22 Wikipédia, «Преход на България към демокрация и пазарна икономика» (Le passage de la Bulgarie vers la démocratie et l’économie de marché), Op.cit. 23 KERNOOUH Claude, La grande braderie à l’Est, Le Temps des Cerises, 2005

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divisent l’Europe et la Russie et la frontière sud-est divise l’Europe de la Turquie. Pour cette raison les grands pouvoirs tournent leur regard vers la Bulgarie avec des envies d’influence politique. Le résultat de cet intérêt : une campagne de redirection des affections de la population bulgare par le moyen des médias. Des versions extrêmement superficielles d’une culture occidentale privée de l’envie de réflexion sont présentées afin de limiter les questionnements politiques dans la société bulgare et de faire accepter des idées politiques. Aujourd’hui cette saturation de culture occidentale superficielle est fortement condamnée par la jeunesse et les monuments restant du regime sociale sont transformees en plateforme pour cette critique. En Juin 2011 Sofia se reveille face a une deformation anonyme du monument de l’armée sovietique, concu en 1954 par Ivan Founev. Les soldats sculptées dans la pierre sont transformés en super heros de la culture occidentale, le monument est signé « en phase avec le temps ». Zhivka Valiavicharska décrit la scene comme « « chaque figure (…) attire l’attention sur la sursaturation des medias populaires postsocialistes par la culture populaire occidentale. »24 Le regard de la société devient largement dirigé par les médias qui jouent encore une fois le rôle de propagande majoritairement inconsciente des intérêts extérieurs et du nouveau gouvernement. Si nous comparons le régime communiste entre 1949 et1989 et la période démocratique post 1989 nous pouvons remarquer que finalement les méthodes de pouvoir restent fortement similaires : le gouvernement influence les opinions publiques de différentes manières afin d’imposer son pouvoir à travers notamment l’association de l’architecture a la politique. Fig. 36: Les soldats du Monument de l’armée sovietique transformés en super heros de la culture occidentale. Fig. 37: L’entrée de la Maison-monument du Parti a Buzludzha portant le graffiti «Oubliez votre passé». 24 VALIAVICHARSKA Zhivka, History’s Restless Ruins: On Socialist Public Monuments in Postsocialist Bulgaria (Les ruines agitées de l’histoire : a propos des monuments publics socialistes en Bulgarie postsocialiste), Duke University Press, 2014

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2.1.3. LE CONTRASTE AVEC L’ARCHITECTURE « ÉCLECTIQUE» DES ANNÉES 1990 Les années 1990 ramènent à l’échelle internationale une diversification architecturale sans précèdent. L’architecture du moment ne peut plus être définie par un courant singulier comme dans le passée – un phénomène qui a déjà fait son apparition avec la naissance de l’art moderne. Le mot « expérimentation » est la cause principale sur laquelle est construite cette nouveauté inédite. Au niveau national les années 1990 ajoutent une couche supplémentaire a l’évolution de l’architecture bulgare : le changement politique et par conséquence social et économique. Le brutalisme et la modernité ont défini une grande partie de la ville bulgare à cause de la croissance démographique de cette dernière. Le milieu urbain est ainsi dessiné par les matériaux bruts, les couleurs minéraux, les formes brutes et monumentales. Cette ambiance particulière avec tous ces éléments deviennent rapidement le symbole d’une dystopie politique et ensuite sociale reniée par la majorité de la société. Par conséquence la société ressent une soif soudaine et puissante de couleur, de formes et de richesse ornementale qui prend le dessus de toutes autres volontés architecturales. Les changements politico-sociales et économiques dans le pays a la fin des années 1980 imposent une empreinte sur l’architecture des années 1990. Le paysage est trop divers : [nous pouvons passer] d’une architecture réservée à un kitch franc. (...) En réalité la perte des limites dans une telle diversité mène à un chaos et de nouveau à une monotonie.25

qui devient un problème majeur en Bulgarie à la fin des années 1990.26». L’appellation „Baroque“ exprime « la nouvelle esthétique qui est basée sur son aspect criard, son appel a l’attention, et l’utilisation effrénée de matériaux couteux et le refus « a la Las Vegas 27» de suivre un style cohérent ». Après deux ans d’études et d’entretiens sur le sujet, Max Holleran, sociologue anglais, conclut que la majorité des architectes voient ce nouveau style de trois manières : «comme un affichage du capital criminel, comme une étape regrettable dans le développement post-communiste et dans l’intégration européenne et comme une réponse populiste au dogme stylistique rigide de l’architecture socialiste. 28» Contraste: «Opposition de deux choses, dont l’une fait ressortir 29 l’autre .» Ces conséquences n’impliquent pas uniquement la forme que prend l’architecture de cette époque-là. Elles renforcent également la façon négative dont la société voit l’architecture de la période 1944 1989 principalement en utilisant le contraste et sa perception. Une chose particulière considérée toute seule existe seulement par ses caractères propres. Quand on la juxtapose a un élément du même type mais avec d’autres caractéristiques cette juxtaposition exacerbe les particularités qui les distingue. Nous sommes face au contraste. Son origine étymologique provient du mot italien « contrasto » qui signifie « la lutte ». Si nous reprenons cette idée de « lutte » et nous la superposons a la situation des années 1990 nous pouvons démontrer deux types de contraste qui jouent au niveau sous-conscient. Suite aux divers processus économiques que la transition politique entraine, tels la privatisation, la restitution et la concession, une juxtaposition intense de l’ancien et du nouveau dans les villes-mêmes.

Suite a cette « perte de limite », les années 1990 et 2000 donnent naissance a un autre style architectural, lui aussi propre uniquement a la Bulgarie – « le mafia-baroque » (en bulgare мутро-барок [moutro-barok]), une manière de penser et concevoir pendant laquelle la commerce prend le dessus sur la qualité architecturale. « Moutro » est un surnom donné aux mafieux et qui « identifie le style avec la croissance du crime organisé,

26 HOLLERAN Max, « Mafia Baroque: architecture postsocialiste et urbanisme en Bulgarie » (‘Mafia Baroque’: post-socialist architecture and urban planning in Bulgaria), The British Journal of Sociology, n*1, 2014

25 GUGOV Anton, Op. cit., p32

29 Dictionnaire de langue francaise Larousse, «Contraste», disponible sur < http://www. larousse.fr/dictionnaires/francais/contraste/18688>

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27 Ibidem. 28 Ibid.

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Premièrement nous retrouvons le contraste sentimental provoqué par les souvenirs. Ceci se présente comme une exacerbation des sentiments négatifs vis-à-vis de l’architecture du régime provoqués par la transformation de l’utopie en dystopie mentionnée dans le point précédent. Suite au développement de l’architecture « éclectique » des années ’90 nous pouvons observer le contraste sensible entre une architecture rappelant la période difficile et une architecture promettant un futur souriant. Après un passé difficile le futur ne peut qu’être meilleur. Sans avoir une vraie connaissance du futur la société l’idéalise afin de soigner ses blessures. Le contraste fait que la « lutte » est gagnée par l’architecture qui représente ce meilleur avenir qui parait encore plus brillante et rend l’architecture du passé encore plus terne. Le contraste joue le rôle de catalyseur autant plus par perception esthétique immédiate de la dite juxtaposition. Le béton apparait monotone a cote du revêtement en fausse pierre ou en couleurs vives loin des tons naturels, les ouvertures dans la façade paraissent insuffisantes a cote d’une façade vitrée, l’intérieur de cette architecture moderne parait froid a cote de l’intérieur des nouveaux bâtiments a la mode. La vue de l’homme devient saturée et éblouie par l’exubérance de l’architecture de l’époque présente et ne voit plus de manière claire le reste de la ville : la « lutte » est gagnée encore sur ce front par cette exubérance. La juxtaposition entre l’architecture de la période 1944-1989 et l’architecture contemporaine des années 1990 mène a un contraste qui renforce encore plus l’image désuète de la première.

Fig. 38: La résidence Boyana a Sofia - un exemple de l’architecture socialiste des années 1960 - 1970. Fig. 39: L’hotel Duni Marina royal palace - un exemple de l’architecture «mafia-baroque» des années 1990 et 2000

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2.2. LES ACTES D’ICONOCLASME 2.2.1. AUTODAFÉ : LA DISPARITION DE LA TRACE ÉCRITE Un autodafé (du portugais « auto da fé », traduction du latin « actus fidei » — « acte de foi ») est la cérémonie de pénitence publique célébrée par l’Inquisition espagnole, française ou portugaise, pendant laquelle celleci proclamait ses jugements. Dans le langage populaire, ce terme est devenu presque synonyme d’une exécution de livres jugés hérétiques. « Autodafé » est aussi couramment utilisé pour caractériser la destruction publique de livres ou de manuscrits par le feu. 30» La période entre 1944 et 1989 se caractérise dans l’histoire de l’architecture bulgare par une forte théorisation et un questionnement intense sur la relation entre le concept de réalisme socialiste et l’architecture effectivement construite qui en suit les principes. D’un cote, la chute du régime socialiste et l’instauration du silence entraîne une halte brusque de ce processus intense de théorisation qui a fortement caractérisé le passé. Avec le développement du style « mafia-baroque » les architectures de la période ne songent plus à questionner l’architecture. Ce nouveau « style » architectural ne demande pas de réflexions plus approfondies, il est fondé sur une simple translation du passé. Les rares interrogations architecturales qui subsistent pendant la période de transition sont majoritairement publiés à l’étranger par les architectes ayant participé de manière active à la conception de l’architecture entre 1949 et 1989 et traitant de sa négation intense. L’architecte Todor Krestev se dresse comme la voix la plus forte questionnant l’architecture et en particulier – la négation mentionnée ci-dessus. « Les cahiers du comité national allemand XX : Stalinistische architektur » d’ICOMOS (Le Conseil 30 Wikipedia, «Autodafé», disponible sur < https://fr.wikipedia.org/wiki/

Autodafé/> 56

international des monuments et des sites) paraissent en 1996 et présentent au public international le manifeste de Todor Krestev. Dans son texte l’auteur retrace de manière rapide l’histoire de l’architecture de la période socialiste et ensuite questionne son état présent afin d’attirer l’attention du public pour la première fois avec un geste aussi fort sur cette négation naissante en Bulgarie. Il finit son manifeste avec un questionnement sur le futur de ce patrimoine qu’il adresse à la société bulgare : « Ainsi sommes-nous, une fois de plus, confrontés au dilemme : continuité ou rupture ?31 » La chute du régime socialiste entraîne d’un autre côté un processus acharné de suppression de la théorisation écrite de l’architecture socialiste durant sa première vie. Les conséquences sont fatales : encore aujourd’hui une grande majorité de ces ouvrages sont introuvables pour le public. Les librairies ne proposent aucun livre sur cette architecture, des rares bibliothèques ont un fond écrit minimal sur ce sujet : une bibliographie très riche de cette période existe mais est pratiquement introuvable pour le grand public. Contrairement à cette architecture, pendant la période de transition des ouvrages sur le patrimoine des époques antérieures commencent à apparaître de plus en plus dans les librairies et les bibliothèques. Ce phénomène de contraste ne touche pas uniquement l’architecture mais aussi les ouvrages historiques en général. Comparé à la multitude de livres disponibles au public traitant l’histoire de la Bulgarie pendant les autres époques, il s’avère très difficile de se procurer des ouvrages sur le passé socialiste du pays. Le destin du fond graphique, témoin du passé de cette architecture, est similaire. Uniquement l’état présent de la majorité de bâtiments est disponible au grand public sur internet, la source d’information la plus complète aujourd’hui. Les recherches que nous avons menées pour notre analyse des édifices choisis a Plovdiv dans la partie 1.4. Plovdiv, une ville représentative des grands enjeux architecturaux socialistes du pays sont 31 KRASTEV Todor, « L’architecture stalinienne en Bulgarie », Stalinistische architektur – ICOMOS cahiers du comité national allemand XX, 1995, p. 108 - 109

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encore une fois un exemple de cette disparition: des huit bâtiments abordés, nous avons pu trouver des images datant de la période du régime uniquement de trois grâce dans des numéros du magazine Arhitektura de 1976 et 1979 et dans le livre «Arhitektura», dont l’auteur est Lubomir Chinkov, l’architecte de Kino Kosmos. L’attitude de la presse bulgare allant également dans ce sens en ce qui concerne ce patrimoine socialiste exprime encore plus fortement ce silence manuscrit à l’égard  de cette culture. Prenons comme exemple les reportages sur le bâtiment de la Poste centrale a Plovdiv dans les journaux : pendant la période de transition (1989 – 2007) 1,4 articles sont écrites en moyenne par an, après cette période, c’est-à-dire de 2007 jusqu’à nos jours- 5 articles par an. L’intérêt de la presse envers ce bâtiment augmente de 3,6 fois. Cette proportion de l’attention médiatique est plus ou moins similaire pour l’architecture socialiste bulgare en général. Le silence social à propos de l’architecture socialiste s’avère encore plus renforcé par cette disparition de la trace écrite. Les milieux architecturaux sont la rare exception à cette version de l’autodafé propre à la société bulgare pendant la période de transition. D’une manière similaire au manifeste de Todor Krestev dans les cahiers d’ICOMOS, « Arhitectura », un magazine d’architecture lancé dans les années 1960 par la chambre des architectes bulgares, propose aux architectes une plate-forme d’expression écrite libre pendant cette période de négation omniprésente. Contrairement aux médias non-spécialisés le magazine publie de manière relativement régulière des articles traitant la question du passé et du présent de l’architecture socialiste. Malgré ces efforts de la part du milieu architectural, l’architecture socialiste tombe de plus en plus en désuétude dans les yeux du grand public. Il n’est visible de ces bâtiments que leur état présent misérable et les traces écrites et graphiques de leur passé « glorieux » n’existent plus.

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2.2.2. LES ACTES « RÉVOLUTIONNAIRES » ENTREPRIS PAR LA SOCIÉTÉ Afin de soigner la blessure que le passé socialiste a créée dans la mémoire collective la société a besoin d’une catharsis, qui ne pourra se réaliser qu’à travers un geste puissant qui a son tour sortira l’épine et qui mènera par la suite à une guérison. La douleur que la société ressent commence à s’extérioriser au début de la période postsocialiste avec des cris appelant à effacer les symboles du régime. Finalement un simple effacement n’est pas satisfaisant – ce geste est beaucoup trop neutre pour exprimer son brûlant désarroi. La société a besoin d’un geste négatif – d destruction d’une monumentalité comparable à celle de l’objet à détruirele passé. Dans cette suite logique, l’architecture monumentale du régime socialiste en tant que principal symbole de ce dernier, est condamnée à devenir l’instrument principal pour illustrer l’apogée de cette extériorisation. Dans un premier temps, la population choisit de détruire la valeur esthétique et artistique de ces bâtiments-symboles par la dégradation simple des espaces, les graffitis, le pillage. Tous ces actes sont menés individuellement – des gestes primaires et personnels. L’exemple le plus frappant et connu à l’international de nos jours est celui du monument de Buzludzha– appelé officiellement « Maison-monument du Parti ». L’édifice adopte une structure ovale futuriste agrémentée d’une tour de 70 mètres de haut. Conçu en 1974 par l’architecte Georgi Stoilov et bâti en cinq ans, Buzludzha nécessite l’emploi de 6 000 travailleurs, soldats pour la plupart, afin d’exprimer « les joyaux de la couronne du communisme, manifeste définitif de sa puissance inextinguible ». L’aménagement esthétique dure 18 mois et inclut plus de 60 travaux d’artistes dont deux étoiles en verre dont la taille est le triple de celle des fameuses étoiles du Kremlin. Suite à la chute du régime socialiste en 1989 l’état du monument dégénère considérablement. En 1992 il est nationalisé et fermé. L’édifice commence à se détruire, des vitrages sont cassés, des mosaïques et des ornements sont arrachés, des parties de la structure sont démolies. Les

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portraits en mosaïque de Todor Jivkov, à la tête du parti pendant 33 ans et de sa fille, la ministre de la culture Ludmila Jivkova sont détruits. L’étoile principale est attaquée avec une arme à feu afin de voler les rubis dont elle est prétendument sertie. Aucune des institutions publiques ne prend l’initiative de conserver et rénover ce monument historique, certes lié à la douloureuse histoire politique du pays, mais n’en étant non moins un témoin important. Le parti socialiste bulgare lui-même n’engage aucune action en faveur de l’entretien de son plus important symbole. Des propositions de reconversion du bâtiment en hôtel ou en casino sont faites à plusieurs reprises par le gouvernement. Georgi Kantchev, journaliste dans le Wall Street journal, raconte :

Fig. 40: La salle de réunion principale de la Maison-monument du Parti a Buzludzha

Fig. 41: La Maison-monument du Parti a Buzludzha couverte de débris et de graffiti.

monument par une bouteille de Coca-Cola ou demander à Christo, dont les origines sont bulgares, et Jeanne-Claude de l’envelopper. Les actes révolutionnaires entrepris par la société atteignent leur apogée lors du rassemblement des mouvements contestataires en un geste fédérateur. Grâce à cette concentration de forces ce dernier devient encore plus puissant comparé aux gestes singuliers mentionnés ci-dessus. La fin du mausolée de Georgi Dimitrov se dresse comme l’acte révolutionnaire le plus marquant dans l’histoire de la transition. Il a la puissance nécessaire pour permettre à la société d’atteindre enfin la catharsis et de passer au

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La principale fonction du bâtiment depuis la chute du régime qu’il glorifiait – en dehors de celui d’être un terrain de jeu pour les graffeurs du coin – est de diviser l’opinion publique. Pour les locaux, il est devenu un sujet de fascination autant que d’aversion, symbole de la relation difficile qu’entretiennent les sociétés postcommunistes avec leur passé. Les nostalgiques de l’ancien temps – des personnes âgées et quelques rares gauchistes d’aujourd’hui – aimeraient le voir restauré ; les autres, fatigués du communisme – souvent des gens de 40, 50 ans qui ont passé leur jeunesse dans une société où la liberté d’expression n’existait pas – souhaitent le voir démoli une fois pour toutes. 32 Une autre manière dont la société exprime sa contestation envers cette architecture est par des pétitions massives proposant des reconversions « révolutionnaires ». Le monument du soldat soviétique inconnu, surnommé Alyosha, est conçu en 1954 par les architectes Boris Markov, Petar Tsvetanov et Assen Marangosov, et trouve sur le sommet de la colline Bounardgika à Plovdiv. Ce monument de 10,5 m de hauteur illustre de manière explicite une vie sociale intense et incertaine. Certains demandent qu’il soit déplacé ou détruit, et pourquoi pas altéré symboliquement ou « détrôné ». Des idées plus courageuses sont proposées : remplacer le 32 KANTCHEV Georgi, «J’ai visité l’ancienne Mecque du communisme en Bulgarie», 23 sep-tembre 2014 [consulté le 23 septembre 2014], disponible sur < http://www.vice. com/fr/read/buzludzha-bulgarie-communisme-385/>

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mausolée. Cette action, entre autre fortement médiatisée, provoquera de nombreuses réflexions et analyses au fil des années autant parmi les architectes que la population. Zhivka Valiavicharska, professeur adjoint de politique et de théorie sociale au Pratt Institute, New York city, se rappelle de l’évènement:

Fig. 42: Le monument d’Alyosha et sa transformation eventuelle en bouteille de Cocacola illustrée par collage.

processus de guérison. Le mausolée se trouve dans le centre-ville de Sofia, la capitale de la Bulgarie. Il fut conçu par l’architecte Georgi Ovtcharov et fut construit en 1949 en 6 jours. Sa fonction principale était d’accueillir le corps embaumé du premier secrétaire général du parti communiste bulgare Georgi Dimitrov. La forme du projet est fortement inspirée par le mausolée de Vladimir Lénine qui de son côté est une interprétation de l’architecture des ziggurats de Babylone. Contrairement à ce dernier, Georgi Ovtcharov insiste pour créer une architecture « plus humaine » en se tournant parallèlement vers les formes des temples grecs et la couleur blanche pour ainsi donner un aspect moins ténébreux. En 1990 le gouvernement du Parti Socialiste Bulgare décide d’extraire les restes du mausolée et de les enterrer. Les années qui suivent sont vivement animées par des mutations multiples de l’édifice. Il est d’abord utilisé en tant que pissoir, mur à graffiti, décor pour des protestations multiples, noyau de pratiques marginales. Le bâtiment se retrouve également utilisé comme décor pour l’Opéra National – même si sa façade est complètement cachée par des décors rajoutés. En 1999 le gouvernement de l’Union des Pouvoirs Démocratiques décide de détruire le 62

Fig. 43: Le mausolee de Georgi Dimitrov pendant le régime socialiste

En aout 1999, l’édifice vide du mausolée de Georgi Dimitrov, le secrétaire du « Komintern » [Internationale communiste] et à la tête de l’état bulgare pendant les premières années du régime, était démoli avec succès. Suite à un ordre du ministère de la planification régionale, il était démantelé par une série d’explosions. Et même si une grande partie de sofiens avaient quitté la ville afin d’éviter le mois le plus chaud de l’année, des témoins se souviennent vivre le processus long de détonation en tant que rituel collectif cathartique de réglage de comptes avec le passé troublant.33

Fig. 44: Le mausolee dans les années 1990

Fig. 45: La destruction médiatisée du mausolée en 1999

33 VALIAVICHARSKA Zhivka, History’s Restless Ruins: On Socialist Public Monuments in Postsocialist Bulgaria (Les ruines agitées de l’histoire : a propos des monuments publics socialistes en Bulgarie postsocialiste), Duke University Press, 2014

Fig. 46: Le site du mausolée est aujourd’hui un parking

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2.3.

L’INCOHÉRENCE DU PATCHWORK PLOVDIV

ÉMERGENT A

Après la chute du régime socialiste une grande majorité des bâtiments publics exemplaires de l’architecture socialiste se retrouve vouée à un destin pareil défini par un ensemble complexe de facteurs nés des changements politiques, économiques et sociaux conséquents. D’un côté l’avancement du temps entraîne des évolutions technologiques qui mènent à la désuétude des fonctions de certains bâtiments. Cette désuétude est également causée par le changement d’idéologie : des institutions propres au socialisme comme les maisons accueillant les activités centrées autour d’un domaine perdent leur utilité avec l’arrivée d’une nouvelle idéologie. De plus ces bâtiments sont construits dans le but de représenter le parti socialiste et pour cette raison ils occupent des endroits-clé dans les centres-villes. À ce titre ils représentent un profit potentiel très séduisant pour les propriétaires. Finalement la dénationalisation compliquée des propriétés tertiaires qui se met en route après le changement de mode économique entraîne une incertitude constante de l’appartenance de ces bâtiments. Suite à cet état de propriété peu clair aucun acteur (propriétaire ou locataire) n’entreprend l’entretien du bâtiment ou des rénovations. Ces phénomènes - la désuétude, l’emplacement très important dans le tissu urbain et les processus peu clairs de dénationalisation, constituent les trois facteurs principaux dans le modelage de la nouvelle vie de l’architecture publique socialiste après la chute du régime. Ils ont pour effet la transformation de ces bâtiments en patchworks autant dans leur fonctionnement que dans la composition de la façade et l’image du bâtiment. A ce moment-là une question importante apparaît : est-ce que ces transformations peuvent amener à un patchwork cohérent au niveau du fonctionnement et de l’image ou sont-elles vouées à un échec par la complexité de ces processus ?

La poste centrale de Plovdiv fait face aux changements économiques provoqués par le changement de régime en 1993 avec la restructuration de l’entreprise qu’elle abrite. En 1992 la société appartenant à l’état « Postes bulgares et télécommunications » est divisée en deux : la société “Postes bulgares” appartenant toujours à l’état et BTK (« Compagnie Bulgare de Télécommunications ») qui est destinée à une privatisation. En 1993 les deux entreprises se divisent le bâtiment de la poste centrale de Plovdiv : la première acquiert 30% de la superficie, la deuxième – 70%. L’appartenance de ces 70% de superficie a une entreprise privée sera la raison principale des divagations répétitives affectant le destin de ce bâtiment.. Ce dernier va devenir l’exemple le plus marqué de l’opposition entre les intérêts économiques privés et les intérêts publics et de la victoire de ces premiers. La vie du bâtiment après 1989 est conditionnée par la décision prise par BTK d’effectuer à tout prix un renouvellement constant des acheteurs afin d’atteindre le meilleur prix de vente possible. Le potentiel économique du bâtiment de la Poste centrale est dû majoritairement à sa position clé dans la ville et à son importance sociale dans le quotidien de plovdiviens que cela implique. L’édifice est une articulation clé à l’extrémité sud de la rue centrale de Plovdiv, il fait la liaison avec les quartiers environnants, le boulevard « Tsar Boris III », le parc « Tsar Simeonova Gradina », la rue piétonne « Kniaz Alexandre I », la place « Tsentralen » (« Centrale »). Autour de la poste gravitent plusieurs sites archéologiques datant de l’ancien empire romain. Traverser le bâtiment par l’intérieur plutôt que de le contourner afin de passer d’un point à l’autre devient une pratique habituelle pour les habitants. Ainsi il devient la seule articulation couverte qui finalement est perçue par les plovdiviens comme appartenant à la population qui se l’approprie et non pas à une entreprise privée. Il atteint une fonction urbaine supplémentaire d’importance qui concerne l’échelle de la ville et pas uniquement celle du bâtiment. Tous les plovdiviens deviennent ses usagers et pas seulement ceux qui doivent aller dans une des deux instances.

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L’emplacement-clé du bâtiment de la poste centrale n’est qu’une

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Fig. 47: Le rez-de-chaussée des quatres façades de la Poste centrale sont recouverts d’enseignes divers qui embrouillent sa lecture. De gauche a droite: page 66: façade est, façade ouest; page 67: façade nord, façade sud.

seule des raisons parmi d’autres à l’origine de la volonté de BTK de vendre la partie qui lui. Suite au développement des technologies de télécommunication l’entreprise n’a plus besoin d’une surface fonctionnelle si importante – cette surface inutile en compose la plus grande moitie. En attendant un acheteur qui correspond à leurs attentes les directeurs de BTK sous-louent leurs espaces non-utilisés a une multitude de locataires et n’entreprennent aucune rénovation. L’emplacement-clé du bâtiment lui donne une valeur suffisante pour ne pas avoir besoin d’entretenir ces locaux. Entre 1991 et 1995 le foyer de la Poste centrale appartenant a BTK est sous-loué a une entreprise qui y installe des pavillons de marché “ Ils dévorent des millions par grâce au foyer de la poste centrale (…) A propos des loyers démesurés payés par les firmes pour les pavillons dans la poste. 34

Les années 1990 et 2000 voient défiler une multitude de rumeurs a propos du destin du bâtiment et des fonctions accueillis constamment changeantes. « L’entreprise de télécommunication a négocié la vente de la 34 VASSILEV Ivan, «Гълтат милиони от фоайето на Централна поща» (Ils dévorent des millions par grâce au foyer de la poste centrale), « Maritsa Plovdiv», n* 158, 10-11 juillet 1993, p. 1, 4

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Poste centrale contre un hôtel. 35 » « Un député achète la poste centrale. La crise a baissé son prix à 10 million levas. (…) La firme de député de GERB Ivan Kolev et son père Detchko Kolev de Stara Zagora négocie avec Vivacom afin d’acheter la poste centrale a Plovdiv. 36 » « Destruction dans la Poste centrale. Un des bâtiments emblématiques de Plovdiv paraît condamné après encore une affaire peu claire. (…)Le propriétaire majoritaire du bâtiment est devient l’entreprise « Bulinvest » dont le propriétaire est Todor Kolev. Les 31% restant sont toujours propriété à l’entreprise nationale « Postes bulgares ».37» Comme on peut le lire dans ces extraits, en 2010 la partie de BTK de la poste est achetée par Todor Kolev, homme d’affaires qui s’avère être le fils d’Ivan Kolev, un député de GERB, le parti qui est au pouvoir a Plovdiv à ce moment-là. Depuis il continue de sous-louer les différents 35 Ibidem 36 TROEVA Maria, «Депутат купува Централна поща» (Un député achète la poste centrale.), Noviat glasse, n* 130, 9 novembre 2009, p. 1, 2 37 LOUKANOVA Dilyana, «Разруха в Централна поща» (Destruction dans la Poste centrale), Maritsa Plovdiv, n* 288, 9 decembre 2013, p. 1.

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Fig. 48: Les dégats de la verrière éclairant le foyer de la Poste centrale. En temps de pluie le foyer est innondé. A gauche nous pouvons voir une partie des commerces qui sont compris a l’interieur de la Poste depuis les années 1990.

Fig. 49: Les commerces créent leurs propres façades qui sont a leur tour «collées» sur les façades interieures du foyer de la Poste centrale.

L’état misérable du bâtiment n’est pas la seule conséquence négative : la poste devient un des exemples les plus forts du patchwork incohérent qui définit l’architecture socialiste pendant cette période à cause des différentes sous-locations et ventes qui ont lieu. Aujourd’hui on y trouve un casino, une friperie, un magasin de produits cosmétiques et un café avec une terrasse. La moitié du premier niveau contient des bureaux de la poste, l’autre moitié – rien, le deuxième niveau est vide. L’image et la qualité architecturale de ce « bâtiment emblématique » sont complètement brouillées par les nombreux éléments hétéroclites « collés » sur les façades intérieures et extérieures. De plus ces derniers ont pour but principal de vendre et d’attirer l’attention : ceci en fait des pièces de façade rajoutées ne portant aucune qualité esthétique. Cette cohabitation de fonctions sans cohérence globale dans un édifice est aussi étrange que la façade obtenue. La cohabitation entre les locaux de la poste centrale, des boutiques, des cafés et un casino dans un seul bâtiment pose non seulement la question de la relation entre la fonction et l’image qu’elle vise à renvoyer par le bâtiment qui la contient. La poste centrale – un représentant de l’état,

locaux. Chacun des locataires a des baux à durée limitée et donc refuse toujours d’entreprendre des rénovations des locaux. Depuis 25 ans il a connu un minimum très insuffisant de travaux de rénovation à cause de ce changement constant de locataires. Le résultat est frappant : un bâtiment d’importance pour la population plovdivienne est délaissé dans un état misérable à cause d’intérêts économiques privés.

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« La poste vient en aide à des personnes âgées souffrant du froid (…) La poste centrale est devenue le lieu d’abri pour personnes âgées pendant l’hiver.38 » «La Poste est en train de se démolir. (…) Des pièces énormes de béton et marbre de la façade de la poste centrale sont tombées sur la place.39» 38 ATANASSOVA Krassimira, «Пощата спасява пенсионери от замръзване.» (La poste vient en aide à des personnes âgées souffrant du froid), Troud, n 19, 23 janvier 2002, p. 4 39 PARTCHEVA Anelia, «Централна поща пада! » (La poste est en train de se démolir), Noviat glasse, n* 28, 18 juin 2009, p. 2

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est malaisément représenté par un bâtiment sur la façade duquel des enseignes de jeux de hasard sont appliqués par exemple. Cette cohabitation s’avère aussi difficile vis-à-vis du fonctionnement interne du bâtiment y compris la question des horaires, des espaces communs, leur entretien, etc. Finalement nous obtenons non seulement un patchwork architectural mais surtout un patchwork architectural incohérent. Nous approfondirons les diverses conséquences de cette situation dans la troisième partie de ce mémoire. Après la chute du socialisme en 1989, le cinéma est renommé, le vieux nom socialiste « Komsomol » est remplacé par le terme « Kosmos ». Le cinéma continue de fonctionner en tant que tel jusqu’en 1999. De la même manière que le développement rapide des technologies de télécommunication provoque la désuétude d’une partie de la Poste centrale, la fin du millénaire apporte aussi l’évolution des technologies numériques qui provoque la fermeture du Kino Kosmos. La seule salle qu’il comprend accueille 1000 personnes : un nombre beaucoup trop grand pour son temps dans une ville de 330 000 habitants. La grande salle ferme donc ses portes. Des espaces de jeux de hasard sont installés pour une brève période. Le hall inférieur est divisé en plusieurs espaces par des cloisons. Une boite de nuit, une salle de jeux vidéo et un cyber-café se succèdent avant que le bâtiment soit définitivement fermé à la fin des années 2000. Le bâtiment se retrouve dans un état misérable. Le phénomène de patchwork se produit de nouveau sur la façade du cinéma avec des enseignes commerciales. La lecture de la façade n’est plus possible puisque la composition d’origine n’est pas respectée et une nouvelle composition esthétique n’est pas recherchée. Depuis 15 ans le site est pratiquement délaissé par son propriétaire – la municipalité de Plovdiv. Laissé sans entretien, bien sûr, il est en train de se détruire. Et quand il est en train de se détruire toute activité à l’intérieur y est impossible. Ceci s’appelle la vacance. Bien sûr, ceci veut aussi dire des avantages ratés à cause de la non-utilisation de cette base dans le centre de la ville pour tous types d’activités y compris des activités sans profits mais

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Fig. 50: L’auvent du Kino Kosmos est bouché par un grillage et par des cloisonnements. La façade porte des enseignes indiquant le «internet games club» qui se trouve a l’interieur.

avec des utilités sociales.

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Le cinéma se trouve effectivement au cœur du centre-ville. Regardant le parc « Tsar Simeonova Gradina » il est longé par le boulevard « Gladstone », il est adossé à un quartier d’habitation, une promenade de 5 minutes le sépare de la poste centrale et de la rue piétonne principale. La valeur économique du terrain s’avère très importante. Pour les raisons mentionnées ci-dessus la municipalité de Plovdiv, qui est toujours le propriétaire du terrain et de l’édifice, commence à chercher un acheteur. Pendant ce temps, la restitution de la parcelle entre le terrain du cinéma et le boulevard mène à l’installation des pavillons commerciaux. Il en résulte 40 SERBEZOV Georgi, «Важно становище на инж. Георги Сербезов, внесено за обсъждането на 3 Юни 2011 до кмета на община Пловдив» (Avis important de George Serbezov, ingénieur, présenté pour examen le 3 Juin 2011 devant Le maire de la Municipalité de Plovdiv), 14 aout 2012, disponible sur <http://daspasimkinokosmos. blogspot.fr/p/blog-page_7758.html/>

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que le cinéma est complètement caché au flux principal public, l’accès à la place publique avec laquelle il fonctionne se fait par une petite rue perpendiculaire et devient peu clair pour les passants. Ce cloisonnement urbain couplé à l’abandon du cinéma provoque la marginalisation de ce lieu.

Fig. 51: La salle de projection de Kino Kosmos est en train de s’autodétruire depuis sa fermeture dans les années 1990 Fig. 52 (a gauche, en haut): L’entrée du cinéma en destruction. Fig. 53 (a gauche en bas): Un bar est également ajouté a la mezzanine dans le années ‘90 Fig. 54: Des nouvelles constructions empechent la vue du cinema a partir du boulevard Gladstone

Les actions dans cette direction commencent en 2009. Une « proposition business » est présentée à la municipalité par une agence immobilière, suivie d’un « intérêt investisseur d’entreprises japonaise, italienne et allemande ». De suite des changements des règles urbaines sont entrepris afin de permettre la construction d’un parking à cet endroit. Ceci demanderait la démolition du bâtiment existant. La finalité de ces efforts arrive le 25.11.2010 avec la décision 449 du Conseil de Plovdiv – le terrain devient une propriété privée municipale, ses usages sont changées, les limitations de construction : sensiblement baissées. La suite : son insertion dans la liste de bâtiments à vendre en 2011. 41 Un projet commence à être formé par des investisseurs potentiels. Un parking avec ou sans bureaux de dix niveaux est proposé et des règles urbaines commencent à être changées. Face aux mécontentements des habitants du quartier la municipalité justifie ses décisions par l’idée que les places de parking seront construites pour satisfaire les besoins de ces habitants. En réalité le quartier n’a pas besoin de places de parking supplémentaires. À 5 minutes du terrain il y a un parking neuf de plusieurs niveaux qui est en train d’être construit depuis plusieurs années, le quartier en lui-même est composé par des maisons de deux étages avec des garages privés. Les voisins déposent des plaintes contre le niveau de pollution d’air beaucoup trop élevé. Les architectes rappellent qu’un édifice de dix niveaux ne pourrait pas s’inscrire dans ce tissu urbain. Ces projets provoquent par la suite une série de réactions d’une ampleur nouvelle non seulement de la part des voisins mais surtout de la part de la dernière génération de jeunes. L’évolution de cette situation sera approfondie dans la troisième partie.

41 SERBEZOV Georgi, Op. cit.

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La Maison de la jeunesse est encore un exemple des conséquences dévastatrices du flou constant entre différents propriétaires et locataires concernant l’édifice. Alors que dans le cas de la poste centrale les différentes « façades collées » sont dispersées sur les différentes façades, dans le cas de la maison de la jeunesse la façade principale démontre de manière beaucoup plus explicite ce patchwork incohérent. Les causes de la déchéance du bâtiment peuvent de nouveau être reliées à la désuétude des fonctions attribuées au bâtiment lors de sa conception. La Maison de la jeunesse est un exemple classique de la structuration de la société par le parti socialiste. Ce dernier met en place de tels lieux afin d’offrir des espaces de convivialité aux représentants de différents milieux. Ces organismes disparaissent avec la chute du régime. Pourtant dans le cas de la maison de la jeunesse, la société a toujours besoin de tels espaces et la disparition de ce type d’organisme vient en conflit avec ses intérêts. Pour cette raison un désaccord persistant s’installe entre les plovdiviens et l’état. Ce dernier en est le propriétaire après la chute du régime mais, comme dans les exemples décrits ci-dessus, il tend à privatiser ces espaces sans prendre en compte les intérêts publics. L’emplacementclé du bâtiment est encore une fois un facteur principal de la volonté de vendre de l’état. Le bâtiment donne sur la bibliothèque nationale Ivan Vazov, elle-même un exemple emblématique de l’architecture socialiste a Plovdiv, et sur le troisième côté du parc « Tsar Simeonova Gradina » (les deux autres cotés font face au cinéma Kosmos et à la Poste centrale). La question qui se pose depuis 1989 et encore aujourd’hui est toujours la même : qui prendra le dessus : les intérêts publics ou les intérêts privés ? L’intérieur accueille autant des bars et cafés que des centres culturels. Les espaces changent constamment d’utilisateurs, la légalité de ces actions n’est jamais certaine. Pour cette raison, de nouveau personne ne se décide à investir à long terme dans le bâtiment jusqu’en 2008 quand le Conseil de la municipalité de Plovdiv s’installe dans un tiers du bâtiment. Un suivi des titres des articles écrits sur la maison de la jeunesse démontrent ce va-etvient répétitif entre les intérêts publics et privés et l’état qui en subit les conséquences.

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« Le futur de Maison de la jeunesse occupée devient encore moins clair (après l’occupation par CT « Podkrepa ». 42» (1991) « Les mystères autour de la Maison de la jeunesse43» (1991) « La Maison de la jeunesse privatisée secrètement ? 44 » (1995) « Des préservatifs et des mégots remplissent les coins obscurs de la Maison de la jeunesse, privatisée pour une prix ridicule ? 45» (1995) « Des investisseurs privés prennent la Maison de la jeunesse. Une enchère folle augmente le loyer du double 46» (2000) « Alliance française quitte la Maison de la jeunesse négligée. 47 » (2005) « La boite de nuit « One » est inaugurée dans la Maison de jeunesse le 8 novembre 48» (2007) « Le Conseil de la municipalité de Plovdiv s’installe dans la Maison de la jeunesse au plus tôt en février. 49 » (2008) 42 STANKOV Atanas. «Бъдещето на окупирания Младежки дом става все по-неясно [след окупацията от КТ «Подкрепа» - Пловдив]» (Le futur de Maison de la jeunesse occupée devient encore moins clair (après l’occupation par CT « Podkrepa ».), Maritza Plovdiv, n* 56, 14 aout 1991 43 POPOV Roumen, «Мистериите около Младежкия дом» (Les mystères autour de la Maison de la jeunesse), Provintsia, n* 9, 8 aout 1991, p. 2 44 NICOLOVA Valentina, «Младежкият дом приватизиран тайно?» (La Maison de la jeunesse privatisée secrètement ?) Maritza Plovdiv, n* 65, 21 mars 1995, p. 1 45 YERAMIEVA Valentina, «Презервативи и фасове задръстват тъмните кьошета на Младежкия дом, приватизират го на безценица?» (Des préservatifs et des mégots remplissent les coins obscurs de la Maison de la jeunesse, privatisée pour une prix ridicule ?), Maritza Plovdiv, n* 95, 26 avril 1995, p. 6 46 YERAMIEVA Valentina,»Частници взеха Младежкия дом. Лудо наддаване вдига наема двойно.» (Des investisseurs privés prennent la Maison de la jeunesse. Une enchère folle augmente le loyer du double), Maritza dnes, n* 350, 27 décembre 2000, p. 1, 2 47 VELITCHKOVA Evelina, «Алианс Франсез бяга от занемарения Младежки дом» (Alliance française quitte la Maison de la jeunesse négligée) Maritza Plovdiv, n* 237, 1 septembre 2005, p. 2. 48 SACHEVA Kalina, «Славчо Атанасов открива бар» (Slavtcho Atanassov inaugure un bar), Maritza Plovdiv, n* 301, 7 novembre 2007, p. 20 49 YERAMIEVA Valentina, «Кюмюрджиев подхваща ремонта на Младежкия дом» (Kumudgiev commence les travaux dans la Maison de la jeunesse), Maritza Plovdiv, n* 14, 17 janvier 2008, p. 2.

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« 2.5 Millions pour le luxe du Conseil municipal.

» (2008)

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« Devant les conseillés : Puanteur et misère dans la Maison de la jeunesse. La salle de ballet a ses vitres cassées, dans la salle de théâtre - des chaises détruites, dans les cages d’escalier - des mégots, des bouteilles et des matières fécales. 51» (2013)

Fig. 55: L’entrée de la MJC a coté de l’entrée du bar dans le bâtiment de la Maison de la jeunesse.

Fig. 56: La cour de la MJC démontre l’état misérable dans lequel elle se trouve.

Nous pouvons remarquer que finalement les intérêts privés ont réussi à prendre le dessus sur les intérêts publics, un phénomène qui s’oppose fortement a la destination d’origine du bâtiment. Aujourd’hui une cohabitation étrange s’installe dans la Maison de la jeunesse : Visà-vis du fonctionnement et de l’image de l’édifice nous obtenons un patchwork complètement incohérent qui est fortement explicite. L’édifice est visiblement fractionné en trois parties : - Le conseil municipal de Plovdiv: les espaces intérieurs sont refaits dans le style contemporain et neutre, cette rénovation est remarquable de l’extérieur par les menuiseries neuves qui contrastent avec les anciennes. - La discothèque : le fonctionnement impose un style complètement diffèrent du style d’origine; cela est transcrit également sur l’aspect extérieur : ce tiers de façade est couvert de plaques peintes en noir et couvertes de publicités de cigarettes et d’alcool. - Maison de la jeunesse et de la culture : le centre est fortement fréquenté par des enfants et leurs parents pourtant il est dans un état misérable – l’intérieur autant que l’extérieur. L’édifice de la Maison de la jeunesse a une volumétrie très complexe qui peut être perçue dès le premier regard. L’ajout d’éléments forts supplémentaires à l’aspect extérieur brouille complétement la 50 YERAMIEVA Valentina. «2.5 милиона за лукса на Общинския съвет» (2.5 millions pour le luxe du Conseil municipal), Maritza Plovdiv, n* 197, 20 aout 2008, p. 2

Fig. 57: La partie de la Maison de la jeunesse appartenante au Conseil municipal a été complétement renové.

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51 LOUKOVA Dilyana. «Под носа на съветниците: Смрад и мизерия в Младежкия дом. Балетната зала е с потрошени стъкла, столовете в театралната - счупени и със съдрана кожа, по стълбите - фасове, бутилки и фекалии.» ( Devant les conseillés : Puanteur et misère dans la Maison de la jeunesse. La salle de ballet a ses vitres cassées, dans la salle de théâtre - des chaises détruites, dans les cages d’escalier - des mégots, des bouteilles et des matières fécales.), Maritza Plovdiv, n* 177, 31 juillet 2013, p.

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lecture de cette complexité : au lieu d’une composition architecturale le passant ne perçoit qu’un chaos étrange qui s’ajoute à l’état misérable de la partie appartenant à la MJC. La qualité architecturale du bâtiment est complètement cachée.

dans la Maison de la jeunesse, l’arrivée d’un lieu de divertissement (une discothèque au rez-de-chaussée) considéré par l’intelligentsia comme un symbole du déclin de la culture dans un lieu censé justement représenter la culture est une action inacceptable.

Les Maisons socialistes à Plovdiv réussissent à suivre des destins différents plus ou moins proches de celui décrit ci-dessus. Alors que les facteurs de privatisation et d’emplacement-clé se répètent à chaque fois la question de la désuétude de ses fonctions d’origine varie dans le cas de chaque Maison. La maison de la science et de la technique reste la propriété d’une association du domaine scientifique – « Association à but non-lucratif – organisation territoriale de l’alliance scientifique et technique avec la Maison de la science et de la technologie – Plovdiv ». Le problème qui se pose devant cette association est financier : afin de fonctionner elle se trouve obligée de louer certains locaux dont la plupart sont au rez-de-chaussée. Aujourd’hui parmi les locataires il y a une discothèque, une reprographie, certaines salles sont à louer pour des conférences. Comme dans le cas du casino de la poste centrale et de la discothèque

La Maison des mariés et la maison du nouveau-né présentent encore une autre évolution face au facteur de la désuétude de la fonction première menant au patchwork. Pendant le régime socialiste ces deux Maisons sont inaugurées afin de remplacer la place de l’église dans les traditions à origine religieuse comme le mariage et le baptême. Après la chute du régime et la réinsertion de l’église dans la société permise par l’état, ces deux Maisons deviennent obsolètes, la Maison du nouveau-né plus que la Maison des mariés puisque le baptême est un rite appartenant complétement a l’église alors que le mariage est également une procédure civile. Malgré sa valeur d’architecture sculpturale, le pavillon de la Maison du nouveau-né est désert et animé seulement par quelques graffitis. La Maison des mariés est partiellement privatisée et transformée en restaurant, l’autre moitié fonctionne de temps en temps encore en tant que salle des fêtes. Malgré la désuétude de leurs fonctions causée par le changement d’idéologie, ces deux bâtiments ont réussi à garder une cohérence architecturale relativement plus forte que dans le cas des autres édifices exposés ci-dessus.

Fig. 58: La Maison de la science et de la technique accueille encore de nos jours une discothèque qui joue un rôle principal dans la façade donnant sur le boulevard Gladestone

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La bibliothèque régionale Ivan Vazov est un des rares exemples d’un édifice conçu pendant le régime socialiste et qui, encore aujourd’hui, garde sa forme et sa fonction initiale. Vis-à-vis de son architecture, l’édifice a subi très peu de transformations – le seul endroit qui n’est pas comparable à son état initial est le patio qui aujourd’hui accueille un pavillon à l’architecture simple posé dans sur le plan d’eau d’origine. Il est dédié à la culture américaine et est donc « offert » par l’ambassade des États Unis. Finalement la volumétrie, l’ambiance et le fonctionnement originaux du patio sont transformés. Vis-à-vis de son fonctionnement intérieur, le seul problème qui se pose d’après les employés c’est le vieillissement naturel du bâtiment et le besoin d’espaces supplémentaires suite à la croissance de sa fréquentation et donc du stock de livres. Son rôle social et culturel dans

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la ville est toujours aussi important qu’à son inauguration - il est important de noter que ceci est aussi dû aux initiatives constantes d’ouverture vers le public de la part de ses employés.

Fig. 59: La bibliothèque Ivan Vazov est un des rares exemples de l’architecture socialiste gardant encore de nos jours sa forme d’origine.

En raison du manque d’images datant de la période allant 1989 à 2007, les photos sur lesquelles nous appuierons les analyses de cette partie du mémoire sont prises de nos jours. Ces photos illustrent bien l’état de ces bâtiments pendant cette période. Ce fait démontre qu’aujourd’hui, 8 ans après la fin de la transition, une très grande majorité des édifices datant du régime socialiste subissent encore les conséquences des processus enclenchés au début de cette transition. Si une reconnaissance théorique et pratique est amorcée à la fin de cette période, la domination des intérêts privés sur les intérêts publics est encore en vigueur de nos jours et agit sur ces bâtiments.

Fig. 60: Le patio comprend aujourd’hui un pavillon accueillant un centre de culture américaine.

Fig. 61: L’intérieur de la bibliothèque garde encore aujourd’hui son design initial. Ses foyers accueillent regulièrement des expositions.

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CHAPITRE TROIS

UNE RECONNAISSANCE AMORCÉE EN 2007

3.1. LE RECUL DES GÉNÉRATIONS Dans le but de mener cette étude avec une clarté optimale, nous introduirons deux termes qui définiront la répartition de la société bulgare en deux générations distinctes dont chacune possède une attitude particulière envers les événements du régime socialiste et son patrimoine. Afin de mettre en place ces deux définitions nous considérerons que 4 ans est en moyenne l’âge auquel des souvenirs commencent à être créés dans la mémoire de l’homme52. - Génération I – Les personnes nés avant 1985, c’est-à-dire ceux qui ont atteint l’âge de 4 ans avant la fin du régime et qui ont vécu de manière consciente le régime. - Génération II – Les personnes nés après 1985, c’est-à-dire ceux qui ont atteint l’âge de 4 ans après la chute du régime et qui n’ont pas vécu de manière consciente le régime. Fig. 62: Les façades du cinéma Kosmos sont recouvertes de déclarations indignées de la part des voisins: (de gauche a droite) «Ceci est notre cinéma! Redonnez-le!»; «Nous ne vous donnerons pas le cinéma!»; «La mafia-politique suffit! L’anarchie suffit!»

La fin des années 2000 arrive en Bulgarie avec deux événements majeurs qui, mis ensemble, ont des conséquences importantes qui instaurent une nouvelle attitude de la société envers l’architecture socialiste bulgare. La génération II atteint l’âge de maturité – c’est-à-dire l’âge qui marque le début de la capacité de l’homme à se forger des opinions propres. En même temps, la Bulgarie entre dans l’Union européenne et la société bulgare obtient pour la première fois une vraie ouverture vers la culture occidentale et par la suite – une vue propre et non transformée. Nous pouvons définir l’année 2007 comme le moment pendant lequel ces 52 Wikipedia, «Childhood amnesia» (Amnesie infantile), disponible sur < https:// en.wikipedia.org/wiki/Childhood_amnesia/>

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changements sont déclenchés – c’est l’année pendant laquelle les enfants nés en 1989 atteignent leurs 18 ans, le pays rejoint l’Union Européenne – une vraie ouverture est mise en route, et la période de transition politique et économique commencée en 1989 s’achève. Aujourd’hui, c’est-à-dire depuis l’année 2007, nous pouvons constater un intérêt croissant, dû au recul temporel, pour l’architecture socialiste de la part principalement de la Génération II mais aussi de la Génération I, même si l’intérêt de leur part est de moindre intensité. Dans les pages suivantes nous définirons quatre facteurs qui provoquent cet intérêt chez la Génération II : la formation de mémoire, le rapport a la Génération I, le pouvoir de l’architecture socialiste et le besoin de s’approprier des espaces urbains. Nous présenterons par la suite les deux facteurs qui incitent le changement de point de vue de la Génération I : de nouveau la formation de mémoire et l’influence de la Génération II. Le rapport de la Génération II a l’architecture socialiste bulgare se développe de deux manières : à travers le contact physique direct et à travers les opinions d’autres personnes – d’abord et principalement à travers les opinions déjà formées de la Génération I. Si dans le cas de la génération I l’attitude est subjective à cause de la transformation de cette architecture en symbole du régime 2, cette association ne peut pas se produire chez la Génération II à cause du recul temporel. Ce dernier agit sur la formation de la mémoire des deux générations par les différents événements qui surviennent. Cela aboutit à une grande différence de rapport au régime chez les deux générations. Dans leur article « Histoire et parcours de vie : la perception des changements socio-historiques » parue dans la revue « Temporalités », Aude Martenot et Stefano Cavalli développent la question de la mémoire selon l’âge de l’homme. (…) les événements et les changements qui ont un plus fort impact sur la mémoire sont ceux qui se sont produits pendant l’adolescence et au cours de l’entrée dans la vie adulte – à l’« âge critique » ou la « période critique », pour reprendre les termes des auteurs. Associer cette période de la vie à un processus d’ouverture au monde et au début de la construction d’une mémoire historique générationnelle en appelle à la théorie classique 84

des générations que Karl Mannheim a élaborée à la fin des années vingt. Selon le sociologue allemand, les expériences vécues entre dix-sept et vingtcinq ans ont un impact durable dans la vie des individus, elles inspirent leur vision ultérieure du monde social et sont déterminantes pour la formation d’une conscience historique (Mannheim, 1990 [1928]). (…) L’idée selon laquelle l’adolescence et le début de la vie adulte constitueraient un âge névralgique de la construction mémorielle est aussi présente dans les travaux sur la formation des générations politiques (Jennings, 1996 ; Sears, Valentino, 1997)53 Alors que pour la génération I les années de socialisme ont formé les conditions de leur « Age critique » et donc sont une période fortement marquante, la jeunesse, elle, est marquée de la même manière par la démocratie et ses événements. De plus, les souvenirs du régime de la jeunesse ne proviennent pas de leur propre expérience mais sont hérités de leurs prédécesseurs. Ces deux éléments aboutissent à un rapport impersonnel et faible de la jeunesse au régime. Par conséquence, face à l’opinion subjective et négative de la génération précédente, la jeunesse parvient à distinguer l’architecture socialiste avec laquelle elle entretient un rapport quotidien direct du régime qu’elle n’a pas directement vécu. Cette distinction aboutit à un regard objectif de la part de la Génération II. Elle est la première génération depuis la création de cette architecture qui peut la juger uniquement pour ses propres qualités architecturales et ensuite la défendre devant la vieille génération. Ce regard objectif adopté par la nouvelle génération est par la suite transformée en intérêt grâce à l’interaction avec ces bâtiments au quotidien. En tant qu’architecture née pendant un régime totalitaire, elle possède un ensemble de particularités qui incitent une certaine fascination chez l’homme. De plus, comparée à l’architecture contemporaine « mafia – baroque », cette architecture se dresse finalement comme une alternative 53 MARTENOT Aude, CAVALLI Stefano, « Histoire et parcours de vie : la perception des changements sociohistoriques », Temporalités, n* 20, 2014, p.21

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aux valeurs douteuses et au kitch privé de qualités. Plusieurs décennies plus tard, elle arrive toujours à attirer l’attention sur elle et à intriguer la jeunesse. L’intérêt qui se forme suite aux facteurs mentionnées ci-dessus est renforcé par le manque d’espaces que les jeunes peuvent s’approprier dans la ville. L’architecture socialiste est reniée par le pouvoir actuel : ce manque d’intérêt « officiel » fait que la jeunesse perçoit l’architecture socialiste comme « orpheline » et susceptible d’être adoptée et appropriée. Cette envie d’appropriation de la part de la génération II se dresse également comme un moyen d’expression de sa désapprobation avec le gouvernement. Ce besoin a déjà des conséquences plus poussées dans l’Allemagne de l’est. Des bâtiments portant le symbole du pouvoir de l’Allemagne de l’Est sont aujourd’hui adoptés par des artistes et des groupes « marginaux » c’est-à-dire des gens qui s’opposent au gouvernement d’aujourd’hui et qui cherchent des alternatives aux idées classiques de l’appropriation de l’espace. La fin des années 2000 met en route une transformation du point de vue de la Génération I dans laquelle le recul temporel et l’intérêt croissant de la Génération II jouent des rôles primordiaux. Les études d’Aude Martenot et Stefano Cavalli parues dans l’article mentionné ci-dessus continue le questionnement de la mémoire en se focalisant cette fois sur des souvenirs déjà existants. (…) des sociologues nord-américains ont montré que la survenue d’un nouveau fait historique peut condamner à l’oubli (au moins temporairement) des événements plus anciens ou au contraire en renforcer le souvenir (Schuman, Rodgers, 2004 ; Schuman, Corning, 2012)54 Selon les auteurs, l’arrivée de nouveaux événements peut soit renforcer ou affaiblir des souvenirs antérieurs mais dans tous les cas les transformera. Les événements des derniers vingt-cinq ans ont forcément une influence sur l’attitude de la Génération I. Cette transformation de 54 MARTENOT Aude, CAVALLI Stefano, Op. Cit. p.23

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la force des souvenirs couplée avec l’intérêt de la jeunesse provoque un approfondissement du point de vue de cette génération. A son tour la génération précédente réussit à commencer à dissocier le régime de son architecture. Elle ne voit plus cette architecture uniquement en tant que symbole du régime socialiste mais plutôt en tant que lieux qui ont abrité la culture et les besoins de la société pendant ce régime et qui pourraient avoir la capacité de continuer de le faire encore aujourd’hui s’ils sont restaurés et restructurés. Afin de vérifier ces théories dans la vie pratique nous avons mené une enquête en 2014-2015 parmi des représentants des deux générations. Nous avons eu 23 réponses non seulement d’architectes mais d’acteurs dans différents domaines, des étudiants. L’étude expose des opinions de personnes ayant un haut niveau d’éducation donc ne peut pas être représentative de la société bulgare hétérogène. Les réponses à la question «Est-ce que ces traces (et surtout ces bâtiments) peuvent être vus pour leur qualités propres ou seront-elles toujours associées aux circonstances, dans lesquelles elles sont nées ? » sont très diverses : des réponses négatives autant que des réponses positives ont été reçues, certaines mentionnent la différence générationnelle. « Tant qu’il y a des habitants qui ont vecu la periode, ces batiments seront toujours associees aux conditions dans lesquels ils sont concus. Heureusement pour la nouvelle generation ce n’est pas le cas. ». Les questions suivantes traitent de la poste centrale, le cinéma Kosmos, et la bibliothèque Ivan Vazov a Plovdiv : « Sont-ils esthétiques ? » « Peuvent-ils représenter la ville devant les touristes ? » «Que faut-il en faire vu l’état dans lequel ils se trouvent aujourd’hui ? » À ces questions la grande majorité des réponses est homogène. Les deux générations considèrent que ces bâtiments ont le potentiel d’être esthétiquement beaux et accueillants mais à cause de leur lente destruction ils ne le sont pas de nos jours. Quant à la question « Quel futur méritent ces bâtiments ? » Toutes les personnes interviewées sont unanimes : ces bâtiments doivent être rénovés et reconvertis. L’aspect le plus marquant dans ces réponses est la manière dont la plupart des interviewés définissent ces trois lieux comme « symbole de la ville » et « symbole de la culture ». Même si à la question

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du regard subjectif les réponses sont toujours hétéroclites, ces bâtiments sont perçus par la grande majorité des interviewées principalement d’après leur fonctions et leurs qualités propres et leur passé n’entre plus en jeu.

3.2. RECONNAISSANCE THÉORIQUE – LA RÉINTRODUCTION DE L’ARCHITECTURE SOCIALISTE

Les conséquences sont multiples. En unissant leurs forces par la création ainsi qu’en valorisant de plus en plus de relations intergénérationnelles focalisées sur la préservation de cette architecture, les deux générations réussissent à provoquer une reconnaissance de l’architecture socialiste bulgare autant dans le domaine théorique que dans les champs pratiques. Ensemble elles arrivent de plus en plus aujourd’hui à affaiblir l’association de cette architecture au régime socialiste incitée par le pouvoir et leurs intérêts politiques et économiques. Elles arrivent ainsi à focaliser le regard collectif sur ses qualités architecturales et sur son importance sociale.

Le changement de point de vue de la part du cycle générationnel est le déclencheur qui demandera une réintroduction théorique à l’architecture socialiste après les années de musellement. Dans les yeux de la dernière génération, l’image de cette architecture est dessinée uniquement par la perception visuelle primaire qui se produit au quotidien de manière rapide et superficielle. Pour cette raison, elle a besoin de faire d’abord connaissance plus profondément avec cette architecture. La jeunesse n’aborde pas cette entreprise toute seule : les architectes qui, à l’époque, ont conçu cette architecture proposent de les accompagner dans la découverte. Ensemble, avec la deuxième génération qui les sépare, ils viseront à provoquer une conversation de plus en plus élargie avec le public afin de leur montrer cette architecture sous un nouvel angle, un angle plus objectif, et ainsi montrer de nouveau ses qualités. Une fois cette réintroduction accomplie, la discussion sera dirigée vers un constat de son état problématique et un questionnement sur les solutions que cette nouvelle association peut trouver.

3.2.1. OUVERTURE A L’INTERNATIONAL ET LA PLATEFORME VIRTUELLE Avec l’avancement de la deuxième partie des années 2000 la question difficile du patrimoine issu des régimes politiques commence à être posée dans de plus en plus de pays avec une fréquence augmentant rapidement. Cette vague commence dans les pays occidentaux et traite autant de leur propre patrimoine de cette période que du patrimoine de l’URSS et de ses satellites. Le développement soudain est suscité principalement par le recul temporaire mentionné ci-dessus mais est également permis par la propagation de l’internet. Ce dernier se propose comme une plate-forme d’expression complètement libre mais aussi d’échange d’idées entre les différentes cultures. 88

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En 2011 deux livres illustrés sont publiés : « Socialist Modernism » par Roman Bezjak et « CCCP : Cosmic Communist Constructions Photographed » par Frederic Chaubin qui constituent une collection inédite de photographies de l’état présent d’un grand nombre de monuments communistes. Depuis, la vitesse de publication de tels albums progresse avec de plus en plus de force. La même année offre également une recherche étendue par le Architekturzentrum Vienna qui aboutit à la publication de « Soviet Modernism 1955 – 1991 » et à une exposition à Vienne en 2012. En 2013 l « plate-forme de recherche Failed architecture (architecture ayant échoué) organise une série de conférences et débats autour de la question de la dystopie et son potentiel dans le futur en s’appuyant sur des exemples de patrimoines totalitaires – l’affiche de l’événement final met en scène l’état problématique de la Maison-monument du Parti a Buzludzha. L’année 2014 arrive avec l’article « Bloc de mémoire: les structures socialistes sous la menace » écrit par Edwin Heathcote, critique architectural du Financial times ou il réintroduit le terme «ostalgie» au grand public et annonce l’importance de sauver l’architecture provenant du regime socialiste.

A partir des mots Ost (Est) et Nostalgie, désigne les regards en arrière sur des éléments de la vie de tous les jours dans l’ancienne République démocratique allemande. Utilisé pour la première fois par Uwe Steimle, un artiste de l’Allemagne de l’est, 1992.55 Les pays occidentaux peuvent voir l’architecture des anciens régimes totalitaires de manière objective puisqu’ils ont un regard extérieur. Par les moyens virtuels de communication cette nouvelle manière de voir cette architecture est immédiatement transmise et présentée aux populations descendantes de ces régimes. Selon Ruben Arevshatyan, critique d’art, curateur indépendant et auteur de plusieurs essais sur le modernisme soviétique (…) des gens dans les anciennes républiques soviétiques commencent également à redécouvrir les qualités de ce type d’architecture, même si il a été largement oublié, ignoré ou démoli depuis le démantèlement de l’Union soviétique. (…) Les jeunes en particulier sont en train de redécouvrir les principes de l’ancienne structure sociale et d’établir des liens avec ses débris de nouvelles manières. 56 Ce rapprochement entre les pays occidentaux et les pays orientaux résulte non seulement de la plate-forme commune virtuelle mais aussi de l’ouverture relative des frontières et du déplacement international facilité par les diverses associations gouvernementales. Puisque la Bulgarie est dans un état prématuré dans sa reconnaissance de l’architecture socialiste, les recherches et les publications qui questionnent son état problématique sont difficilement abordées à l’intérieur du pays. Pour cette raison, ce rapprochement offre cette première possibilité d’attaquer le sujet dans des pays qui sont plus ouverts à de telles discussions et d’ensuite l’importer. Accueillis par des universités étrangères, des auteurs bulgares et étrangers initieront cette liaison entre les deux mondes. En 2014 Zhivka Valiavicharska, professeur adjoint de politique et de théorie sociale au Pratt Institute, New York city, publie l’article « History’s Restless Ruins: On 55 WIKIPEDIA, «Ostalgie», disponible sur < https://en.wikipedia.org/wiki/Ostalgie/>

Fig. 63: L’affiche de l’événement final des conférences sur les dystopies de Failed architecture met en scène l’état problématique de la Maison-monument du Parti a Buzludzha

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56 MALLING Jens, «Armenia remembers its architectural legacy» (L’Arménie se rapelle de son héritage architectural), février 2014 [consulté le 23 novembre 2015], disponible sur <http://mondediplo.com/blogs/armenia-remembers-its-architectural-legacy/>

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Socialist Public Monuments in Postsocialist Bulgaria » (Les ruines agitées de l’histoire: A propos des monuments socialistes publics en Bulgarie postsocialiste). Son travail aborde non seulement l’aspect architectural de la question mais aussi les facteurs sociaux et politiques qui agissent dessus et permet de construire une image complète de la vie de plusieurs des monuments. L’auteur réussit à présenter un point fort de cette architecture peu mentionnée auparavant. Ils (les monuments socialistes) continuent d’éroder l’envie de stabiliser une définition politique singulière et une narration historique finale, et de contester des formes hégémoniques de pouvoir qui apparaissent dans des projets tentant de construire une histoire ou une mémoire collective unifiée. (…) nous pouvons essayer de reconnaître leur valeur culturelle et historique précisément par leur pouvoir de diviser – de diviser le présent. (…) Ils (les monuments socialistes) continueront à servir en tant que moyen par lequel des perspectives politiques en conflit s’articulent et à capter les manières complexes par lesquelles des forces hétérogénies, antagonistes et sociales entrent en collision au présent et entraient dans le passé. 57

3.2.2. UNE CONVERSATION ABORDÉE À L’INTÉRIEUR DU PAYS La conversation commencée à l’étranger est importée à l’intérieur du pays principalement par les architectes de différentes générations qui ressentent que la société est devenue plus encline à regarder d’un angle différent cette problématique grâce au recul temporel acquis. Elle provoque une série de tentatives très diverses qui ont pour but de provoquer un intérêt parmi le public. La formation de cette conversation intérieure commence par un déplacement progressif du questionnement de l’extérieur vers l’intérieur par des associations entre des acteurs (experts et institutions) étrangers et bulgares. Un des premiers exemples d’une telle initiative est le projet «Sleda» (Trace) organisé par une fondation bulgare et diverses institutions françaises entrepris en 2008. Il lance une campagne dont le but 57 VALIAVICHARSKA Zhivka, Op. cit. p.2

Fig. 64: La couverture du livre «Forget your past» de Nikola Mihov

sera de leur (les monuments socialistes) donner une visibilité, de poser des questions en dehors du langage habituel d’ «idéologie totalitaire», et de développer des approches qui permettront de les intégrer dans le contexte urbain contemporain58. Ce projet donne lieu à de nombreuses expositions et conférences tout au long de 2008 et 2009 qui aboutissent à un premier pas vers la sensibilisation de la population. Le projet «Sleda» inaugure également un livre qui deviendra le premier vrai pont apparu dans les librairies entre le milieu spécialisé et le public. Nikola Mihov, co-fondateur de Bulgarian Photography now (une plateforme virtuelle dédiée à la photographie contemporaine bulgare) et Socmus (musée virtuel du design graphique de la période socialiste bulgare) publie en 2012 le livre « Forget your past - Communist-Era Monuments in Bulgaria » (Oubliez votre passé – monuments de l’époque communiste en 58 VALIAVICHARSKA Zhivka, Op. cit. p.4

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Bulgarie). Avec ses photographies en noir et blanc il oppose la force de ces « géants abandonnés » à leur état de solitude et a la volonté d’ « oublier le passé ». En réduisant le texte accompagnant à un strict minimum, le photographe offre au public pour la première fois l’opportunité de voir ces monuments de la manière la plus neutre et objective possible et d’agir sur le lecteur uniquement par leur pouvoir visuel. L’envie d’initier une conversation comprenant des participants divers provoque une multiplication d’initiatives à différentes échelles. Puisque la tâche d’affronter les problèmes de l’architecture socialiste s’avère très difficile, des débats commencent à être organisés à l’échelle de la ville. Ceci est fait afin d’avoir à gérer une quantité plus petite de participants et opinions à la discussion, autant des représentants des habitants que des représentants du pouvoir local. La capitale bulgare Sofia accueille un des monuments socialistes le plus controversé : le monument « 1300 ans Bulgarie » (surnommé simplement « 1300 ») qui célèbre les 1300 ans depuis la création de la Bulgarie lors de son inauguration en 1981. Ce monument devient un des plus grands catalyseurs de polarisation des opinions publiques : faut-il le garder ou le détruire ? Depuis la chute du régime une multitude d’experts proclament leurs opinions mais le monument continu à s’autodétruire, parfois aidé par des passants ou des représentants du pouvoir du moment. Les deux parties du débat restent tout ce temps des assemblages de voix singulières – pour cette raison aucun des deux côtés ne réussit à prendre le dessus. L’intensification de cette opposition qui se fait entendre de plus en plus fort a mené à un appel à l’unification des défenseurs et à la mise-en-route d’actions ciblées sur la conservation du monument de la part de Martin Angelov, architecte. Grâce à la plateforme virtuelle ProvoCAD qui traite des problématiques différentes touchant les espaces et les bâtiments publics en Bulgarie dont il est co-fondateur, l’architecte écrit plusieurs manifestes qui serviront à la manière de l’appel mentionne ci-dessus : « Collection d’idées pour le monument devant le NDK » - invite les lecteurs à participer à un concours d’idées pour la transformation du monument 1300 organisé en collaboration avec l’association Transformatori.

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Fig. 65: « Les prochains 1300 - Si vous ne savez pas quoi faire avec votre histoire, donnezla à la jeunesse pour la mettre à jour. » par Martin Angelov

« Je suis 1334 » : Martin Angelov explique « comment un monument œuvre d’art est transformé lentement et méthodiquement en monstre59» en quatre pas. « Les prochains 1300 - Si vous ne savez pas quoi faire avec votre histoire, donnez-la à la jeunesse pour la mettre à jour.60 » Cet appel à l’unification des défenseurs du monument 1300 a mené à la naissance du projet « Memoreality » en 2015 par un ensemble de divers acteurs : des jeunes architectes bulgares, Uwe Bruckner – un architectescénographe de Stuttgart qui présente les projets de fin d’études de ses étudiants traitant la transformation scénographique du monument, et 59 ANGELOV Martin, Събиране на идеи за паметника пред НДК (Collection d’idées pour le monument devant le NDK), 11 octobre 2012 [consulté le 13 novembre 2014], disponible sur <http://provocad.com/ndk1300/> 60 ANGELOV Martin, Следващите 1300 (Les prochains 1300), 12 janvier 2015 [consulté le 6 mars 2015], disponible sur <http://provocad.com/next1300/>

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l’architecte Todor Krestev, qui a mené une conférence expliquant comment construire des lieux publics. Un workshop organisé à Sofia à la suite de cette conférence propose des alternatives à l’état présent misérable du monument. Des discussions à l’échelle de la ville se propagent dans un grand nombre de grandes villes sur le territoire du pays. La fondation « Open Arts » organise une collaboration avec l’architecte Vladislav Kostadinov, fondateur du studio d’architecture « Studio 8 ½ » donne lieu à une série de discussions qui incitent des échanges entre des architectes, les Plovdiviens, et des représentants du pouvoir local. « Bessedka za grada » organise une discussion par moi en 2012 dont le sujet du mois d’avril est « Le patrimoine socialiste de Plovdiv ». Nous étudierons un ensemble de bâtiments construits pendant le régime socialiste en Bulgarie comme : La Maison de mariés, la Maison du nouveau-né, la Maison de la science et de la technique, la Maison de la jeunesse (…) le cinéma Kosmos, (…) la bibliothèque Ivan Vazov, la Poste centrale, (…). Ayant perdu une grande partie de leur fonctions d’origine à cause de leur état abandonné, ces édifices représentent l’image architecturale de la période 1970 – 1980 du XXème siècle. (…) Les nouvelles fonctions des vieux bâtiments – futur et perspectives ; les problèmes de la « transition » et pourquoi nous n’avons aucun exemple de cette architecture classé en tant que monument historique. La discussion vise à ouvrir une conversation libre sur le sujet, à présenter des opinions différentes, ainsi que des propositions et des remarques, et enfin à conclure avec des alternatives concrètes et des idées indépendantes. 61 Vladislav Kostadinov décide donc de transcrire cette conversation et ses leçons de manière pratique en mettant en place « La carte alternative de Plovdiv » avec l’aide de la fondation « Open Arts » et son équipe « Studio 8 ½ » en 2013. Une carte proposant des routes différentes de celles présentant les monuments d’avant le XX siècle est une des premières à être conçue en Bulgarie et la première à Plovdiv. La sélection est basée sur les 61 STUDIO 8 ½ , Беседка за града (Discussion autour de la ville), 4 avril 2012 [consulté le 28 decembre 2013], disponible sur <http://studio812.eu/besedka/>

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Fig. 66: La Carte Alternative de Plovdiv et la route «Socialiste»

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sujets autour desquels sont menées les discussions « Bessedka » de 2012 – la route de l’architecture socialiste a Plovdiv y occupe une part importante. La carte alternative incite les Plovdiviens à redécouvrir leur propre ville, y inclut les bâtiments socialistes similairement au livre « Forget your past » de Nikola Mihov, et leur propose un regard objectif neuf et vidé du poids politique. Elle permet également aux touristes une alternative aux mêmes routes toujours répétées dans les guides touristiques et qui ne présentent que le patrimoine avant le XX siècle. Le but de la Carte alternative de Plovdiv est d’inciter un nouveau regard sur la ville et d’activer les connaissances urbanistes en tant que synthèse de la curiosité sociale, historique et culturelle basée sur la tolérance, sans aprioris idéologiques et nationalistes. La Carte alternative de Plovdiv vise à provoquer une réflexion civique et une comparaison de la ville à un organisme vivant et stimulant qui est en même temps un lieu de réalisation62 . Cette accélération de plus en plus frénétique du besoin de partager cet intérêt, d’instruire le public d’une nouvelle manière et de l’inclure dès à présent dans une conversation mène à une table ronde d’échelle nationale mettant en contact direct des experts autant bulgares qu’étrangers, le public et des représentants politiques. se déroulant le 20 août 2015 cette réunion est organisée par une association d’ICOMOS Bulgarie et ICOMOS Allemagne et a pour thème « Le patrimoine socialiste – un patrimoine à risque ». Un sujet important était l’état présent de ce patrimoine et la perte forcée de ses qualités due à la négligence ou aux influences des intérêts économiques. Le manque d’information fournie à la société à propos des valeurs de l’architecture de cette période a été marqué en tant que problème principal et risque. Cet événement réussit pour la première fois à organiser un débat dont la conclusion promet des solutions potentielles concrètes au problème de l’architecture socialiste tombant en ruines. 62 STUDIO 8 ½, OPEN ARTS, « Алтернативната карта на Пловдив» (La carte alternative de Plovdiv), 2014 [consulté le 28 decembre 2013], disponible sur <http://www. alternativeplovdiv.com/>

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(…) Des spécialistes, des citoyens et des experts se sont mis d’accord que la discussion doit continuer à l’échelle multinationale, y compris les pays voisinant postsocialistes. (…) Icomos initiera et publiera un rapport special « L’heritage en peril », dédié au patrimoine d’après-guerre dans les pays postsocialistes. (…) concevra un site internet spécialisé, qui assurera une plateforme internationale de documentation et de discussions autour des questions actuelles sur le patrimoine socialiste en peril. 63 ]

3.3. RECONNAISSANCE PRATIQUE – LA RÉINSERTION DANS LA VIE DES BULGARES L’envie des architectes bulgares de connaître et de faire connaître l’architecture socialiste bulgare et son accélération intense aboutit rapidement à des concrétisations de leurs théorisations. L’architecture socialiste bulgare devient le langage commun qui réussit à mettre en dialogue les différentes générations d’architectes. Ensemble ils entreprennent une grande diversité d’initiatives visant à offrir une nouvelle vie à ces bâtiments délaissés en les redonnant à la société et à répondre aux problèmes exposés dans la partie 3.3 L’incohérence du patchwork émergent à Plovdiv. Cette architecture joue un rôle principal dans le quotidien du citadin et pour cette raison sa reconnaissance pratique sort très vite des limites professionnelles et inclut les différentes strates de la société. Son échelle varie énormément afin d’apporter sa contribution à une plus grande diversité d’éléments : d’initiatives locales aux plans internationaux visant sa réinsertion dans la vie active de la société. L’arrêt de bus « PK Diana » qui se trouve dans le quartier Dianabad à Sofia est un exemple phare d’une initiative à l’échelle locale qui met en collaboration des architectes et des personnes en dehors de ce milieu. Il 63 KALEVA Emilia, « Архитектурното наследство 1944-1989: ценност, рискове, решения» (Le patrimoine architectural 1944-1989 : valeur, risques, solutions), 16 octobre 2015 [consulté le 3 mai 2013], disponible sur < http://www.kultura.bg/bg/ article/view/23930/>

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s’agit d’un projet réalisé par l’architecte Lubomir Chinkov dans les annees 1960 (l’architecte également du cinéma Kosmos a Plovdiv) qui reprend l’idée de l’origami a l’échelle humaine et ainsi transforme des feuilles métalliques pliées en architecture sculpturale. Le studio architectural Morphocode fondé par les architectes Greta Dimitrova et Kiril Mandov, retrouve cette œuvre en 2009 dans la monographie intitulée « Arhitectura » écrite par Chinkov. Ils sont impressionnées par son dessin comparable à certains designs innovants d’aujourd’hui comme le projet « XILE » de Mats Karlsson. Selon les deux architectes « C’est dommage que de tels exemples intéressants sont relativement rares dans le design du milieu urbain de Sofia. 64». Ils constatent que la construction aujourd’hui est dans un état pitoyable : des nombreuses couches de différentes peintures sont exposées, les sièges en bois sont cassées, les parois sont recouvertes de vieilles affiches. Le premier mai 2011 ils organisent « une métamorphose » de l’arrêt de bus en collaboration avec l’association Transformatori et avec l’accord de l’architecte Chinkov et la communauté d’Izgrev. Autofinancée et avec la participation de bénévoles de différents milieux mais également des passants, il résulte de cette initiative un arrêt de bus dont les formes initiales sont soulignées de nouveau par la pureté de la couleur blanche. Dans son article sur cette transformation Martin Angelov conclut:« Rien n’est éternel, mais cela dépend de nous si nous conserverons notre génotype ou nous préfèrerons couper notre racine. 65»

certain nombre d’exemples de leur propre architecture totalitaire à inclure dans cet itinéraire. Ainsi neuf représentants de l’architecture socialiste bulgare à Sofia et à Dimitrovgrad sont inclus dans le projet : L’ensemble urbain Largoto à Sofia; La résidence d’état Boyana à Sofia; Le Palais national de la culture à Sofia; Le monument « Drapeau de la paix » à Sofia; La maison du Parti Communiste Bulgare a Bouzloudga; Le centre-ville de Dimitrovgrad; L’ensemble d’habitation «Treti mart » a Dimitrovgrad; Le parc « Penio Penev » a Dimitrovgrad Ce projet vise à créer un itinéraire culturel transnational certifié par l’Union européenne dans l’Europe du sud-est et de cette manière incite la réinsertion de ces bâtiments dans le quotidien actif en créant des lieux touristiques et donc des emplois.

La participation de la Bulgarie dans le projet pilote ATRIUM est d’un autre côté un exemple clé d’initiatives d’échelle internationale. ATRIUM, ou Architecture des Régimes Totalitaires du XXème siècle dans la Planification Urbaine, est un projet comprenant 11 pays européens avec un passée totalitaire : la Grèce, la Roumanie, la Hongrie, La Slovénie, La Slovaquie, La Croatie, l’Albanie, la Bosnie et Herzégovine, l’Italie et la Bulgarie. Des architectes et des scientifiques de chaque pays ont analysée et proposé un 64 MORPHOCODE, « Аналогии в дизайна» (Des analogies dans le design), 15 mars 2009 [consulté le 13 novembre 2014], disponible sur < http://morphocode.com/bg/analogii-vdizajna/> 65 ANGELOV Martin, « Спирка Шинков - пребоядисването » (L’arrêt Chinkov - la repeinture), 25 mai 2011 [consulté le 13 novembre 2014], disponible sur <http://provocad. com/spirka_shinkov/>

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Fig. 67: La «métamorphose» de l’arret de bus «PK Diana» en 2012

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3.3.1. L’ATTITUDE DU GOUVERNEMENT – LES (CONTRE) EXEMPLES A PLOVDIV La ville de Plovdiv, en tant que ville accueillante une multitude de bâtiments publics importants datant de la période 1944 – 1989, réussit de nouveau à démontrer la grande diversité de destins auquel sont voués les exemples de l’architecture socialiste bulgare. Nous pouvons y retrouver des reconversions réussies entreprises par la municipalité qui mettent en avant les intérêts de la ville autant que des reconversions douteuses prenant en compte encore une fois des intérêts privées. La ville présente également des initiatives qui réveillent la conscience commune de la société puisqu’ils touchent des bâtiments symboles de la vie et prennent réellement en compte les besoins des plovdiviens. La Maison des syndicats à Plovdiv est un exemple compliqué d’une restauration discutable de l’architecture socialiste bulgare aujourd’hui pour plusieurs raisons. En 2012 elle est reconvertie en maison de la culture « Boris Hristov »- un espace polyvalent comprenant des salles de conférences. La première réaction de certains architectes fut de se demander si cet édifice devait être le premier exemple dans la ville de cette architecture à restaurer. Selon eux, plusieurs autres bâtiments plovdiviens de cette période auraient pu accueillir des fonctions similaires et possédaient des qualités architecturales plus riches mais étaient en train de se détruire pour cause d’abandon. Comme nous l’avons déjà mentionné la maison des syndicats est un des rares exemples d’une architecture stalinienne dépouillée de ses ornementations mais qui du point de vue urbain n’est pas réellement réussie : la place devant sa façade centrale n’est pas aménagée afin de permettre une mise-en-scène, le bâtiment entier tourne le dos au centre-ville, la façade latérale donne sur le boulevard Gladstone. Ces architectes considèrent aussi que la reconversion n’a pas été réussie- la salle de concert n’est pas acoustiquement optimale. De plus, les plovdiviens doutent des motifs économiques derrière cette rénovation qui a coûté 2 millions de levas (un million d’euros) - un prix considéré beaucoup trop élevé comparé au résultat final. Finalement, à cause des travaux, la paroi

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Fig. 68: La destruction de la fresque lors la rénovation de la Maison des syndicats.

Fig. 69: La Maison des syndicats après la rénovation

portant une fresque célèbre a été détruite. Cette dernière avait été créée en 1975 par Yoan Leviev, artiste plovdiviens honoré par une médaille par l’État bulgare. Après un cri d’indignation de la part des plovdiviens il s’avère que le maitre-d ‘ouvrage – la municipalité de Plovdiv, n’a pas inclus de clause spécifique dans le contrat indiquant la conservation de ce patrimoine culturel. Aujourd’hui une reproduction de plus petite taille est suspendue sur une autre paroi. Cette erreur de la part du gouvernement démontre son indifférence alarmante vis-à-vis du patrimoine culturel de la période socialiste de la ville contrairement aux habitants de la ville et que la reconversion représente plus les intérêts économiques que culturels et patrimoniaux.

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Le deuxième projet de restauration à Plovdiv d’architecture socialiste est celui de la Maison du parti qui se trouve face à la poste centrale et délimite un des côtés de la place Centrale. Aujourd’hui elle accueille une salle de concert ainsi que des bureaux alors qu’après la reconversion elle comprendra uniquement des bureaux. Puisque ceci est encore un projet conceptuel nous ne pouvons le juger qu’à travers les simulations informatiques exposées sur le site de la municipalité. Ce que nous pouvons remarquer est la disparition complète du style propre à l’édifice – une peau vitrée de style international enveloppera la tour. En effet, le bâtiment sera rénové mais ses traits caractéristiques renvoyant au style des années 1960 – 1970 seront cachés. Aujourd’hui des jeunes artistes plovdiviens tentent de réinsérer ce bâtiment dans le monde artistique contemporain enfin de démontrer aux plovdiviens ses valeurs stylistiques éventuelles. En juin 2015 le plus grand vidéo-mapping entrepris jusqu’alors a été projeté sur la façade de la tour haute de treize étages lors de la semaine du design par une collaboration entre les collectifs artistiques plovdiviens Melformator et Programista. Petko Tanchev, artiste visuel et scénographe de Melformator, écrit sur le sujet : «La maison du Parti communiste fait partie de notre passé historique. (…) Ce vieil immeuble de bureaux a besoin surement de rénovation. Il y a beaucoup de fenêtres salles et des climatisateurs que je n’aimerais pas illuminer. Ce que j’aime c’est son architecture monumentale et ses formes pures. (…) L’architecture est quadrillée – des lignes droites, une grille répétitive, la fonctionnalité. Ainsi j’ai imaginé retourner sa forme – faire quelque chose de chaotique et enjoué de manière interactive dans l’esprit de notre époque postmoderne. (…) Ce réplique du bâtiment avec ses proportions droites m’a rappelé d’une sorte organisme vivant ou d’un habitat.66 Une mise-en-scene similaire de ce patrimoine architectural est organisée pendant la nuit des musées en septembre 2014. Le projet Me/ 66 TANCHEV Petko, CNNCTR – The biggest interactive mapping in Bulgaria, part I (CNNCTR – Le mapping interactif le plus grand en Bulgarie, partie 1), 9 decembre 2005 [consultee le 10 decembre 2015], disponible sur < https://petkotanchev.wordpress. com/2015/12/09/cnnctr-the-biggest-interactive-mapping-in-bulgaria-part-i/>

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Fig. 70: Video -mapping sur la Maison du nouveau-né en 2014

Fig. 71: Video -mapping sur la Maison du Parti en 2015

TheCity est une collaboration entre Joost van Veen, vidéaste, et Petar Dondoukov, musicien est un « empaquetage de l’espace public », c’est-àdire de la Maison du nouveau-né et de la Maison des mariés qui vise à montrer « la ville connue sous un nouveau jour. (….) Des images en mouvement sont projetées sur des diverses surfaces (façades, murs) en combinaison avec une musique ambiante préenregistrée 67» Les projections du maire Ivan Totev pour le futur du bâtiment de la Poste centrale dessinent une volonté neuve de réinsérer dans une pensée contemporaine et culturelle les symboles de la ville qui datent de la période 1944 – 1989. Cette idée a été exposée au grand public pour la première fois en 2010 dans un entretien avec Totev, à ce moment-là encore gouverneur de la région de Plovdiv : selon lui puisqu’au-dessous du bâtiment de la poste centrale se trouvent des ruines romaines ce dernier sera le lieu « 67 MAROUCHTCHAK Hannah, “Петър Дундаков и Йост ван Веен сътворяват поетичен град” (Petar Dondoukov et Joost Van Veen créent une ville poétique), 12 septembre 2014 [consultée le 13 septembre 2014], disponible sur < http://www.night.bg/ blog/?p=6847/>

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idéal » pour accueillir un musée dédié a cette culture. La question de la propriété que nous avons mentionnée dans la partie 2.3…. se pose devant ses envies du futur maire. Même si jusqu’à nos jours ces problèmes ont figé le développement réel de la Poste centrale, les idées de la part du propriétaire privé des 70% de la poste Todor Jivkov, et de Ivan Totev évoluent. Une simulation informatique qui démontre l’édifice transformé en centre commercial privé de qualités architecturales apparaît dans la presse en février 2015. Cet article provoque de nombreuses opinions qui s’indignent du manque d’esthétisme du projet, de la saturation de centre commerciaux dans la ville et du besoin d’espace « a fonctions publiques ». Le maire répond le jour suivant : Nous ne connaissons pas un tel projet. Les intentions d’investissement que nous jugeons correctes, sont d’une toute autre sorte, non commerciale. Selon nous la Poste centrale doit devenir un lieu lié à la culture ; elle ne doit pas devenir un centre commercial comme le démontre la visualisation. Elle doit faire partie du concept de l’espace public de la place « Tsentralen ». 68 En ce qui concerne une intégration dans le projet de la place Centrale, un concours architectural a été organisé en 2014 par la municipalité de Plovdiv et One Architecture Week et a été gagné par l’agence portugaise FORA. Le but est non seulement une rénovation de la place mais surtout « la création d’une stratégie qui réunira toutes ces couches [historiques] dans un espace actif, attractif et contemporain ». L’idée d’inclure la poste dans les limites du concours est déjà proposée lors de son organisation mais à cause de sa situation complexe de propriété ceci est impossible. Nous avons menées deux réunions avec des représentants de « Postes bulgares » et en ce moment on est en train de préciser quelle partie du bâtiment restera leur propriété et quelle partie nous allons acheter. Nous voulons impérativement y installer un espace muséal. (…) Notre envie est d’obtenir les espaces du niveau -1 qui seront connectés au foyer par où 68 NEWS.PLOVDIV24.BG, “Кметът: Централна поща няма да става мол, а територия за култура и археология!” (Le maire: La Poste ne va pas devenir un centre commercial mais un lieu de culture et archéologie!), 19 fevrier 2015 [consulté le 6 mars 2015], disponible sur <http://news.plovdiv24.bg/542156.html#ixzz3vStpEaok/>

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Fig. 72: Concours pour la place «Tsentralen» a Plovdiv - le project gagant (agence Fora) Fig. 73: Une simulation informatique démontre l’édifice transformé en centre commercial privé de qualités architecturales apparaît dans la presse en février 2015

l’entrée sud du bâtiment est atteinte69 Aujourd’hui le maire de Plovdiv est encore en train de négocier avec les propriétaires afin d’inclure l’édifice dans le projet de transformation de la place Centrale et d’en dédier au moins une partie à la vie culturelle de la ville et aux intérêts publics. 69 Ibidem

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initiatives de petite échelle. Ces dernières visent à mettre la capacité de transformation dans les mains des plovdiviens pour démontrer d’un côté que le cinéma appartient à chaque plovdivien qui veut y avoir une place et d’un autre - l’importance de la force collective. En 2014 le collectif gagne le prix « Plovdiv » dans la catégorie « Architecture » ; aujourd’hui il est nominé dans la catégorie « personnalité de l’année »

Fig. 74: L’enseigne lumineux du Kino Kosmos aujourd’hui

3.3.2. RALLIEMENT DE LA COMMUNAUTÉ - KINO KOSMOS Les turbulences face auxquelles se retrouve le cinéma Kosmos à Plovdiv depuis la chute du régime en 1989 jusqu’en 2011 provoquent non seulement des nombreuses initiatives architecturales mais surtout une agitation sociale, jamais vue auparavant dans le pays, luttant pour la conservation d’un exemple de patrimoine socialiste. Les voisins se mobilisent et créent à plusieurs reprises des pétitions pour la conservation du cinéma et mettent en place un blog qui regroupe les efforts individuels, les recherches sur les lois concernant le cinéma, les avis de certains architectes, ingénieurs, urbanistes afin de pouvoir élever une voix plus haute, représentant non pas des individus mais l’ensemble de plovdiviens, devant les pouvoirs. Un collectif de jeunes architectes et d’artistes bénévoles se regroupe afin de donner un visage concret à la défense du cinéma: il s’appelle simplement « Kino Kosmos » et il est inauguré en 2012. Dorénavant, il agit en tant que représentant des nombreux acteurs qui luttent pour le réveil de l’édifice, mais également en tant qu’organisateur de différentes 108

Denitza Krapova, jeune architecte et une des fondatrices du collectif, élabore de plus la relation entre le cinéma et la société dont nous avons parlé lors de notre rendez-vous à la fin de 201470. Selon elle pendant les années socialistes la population oublie comment exprimer son opinion à voix haute par peur des éventuelles réprimandes. Se battre pour ses droits – c’est un acte beaucoup trop risqué. Ce manque d’initiative et d’expression devient une habitude et de nos jours les gens généralement ne sentent plus ce besoin. A ses yeux, les initiatives de défense du cinéma sont un signe important que le peuple change enfin, que ce besoin renaît grâce à leurs exigences en ce qui concerne la qualité et l’image de leur milieu urbain et architectural. Quand le projet d’un parking à étages est annoncé, les habitants du quartier forment une association afin de se présenter devant la municipalité avec des arguments légaux et ainsi pouvoir s’y opposer. Cette manifestation des devoirs civiques sauve le cinéma et impressionne le jury qui décidera en 2015 que Plovdiv sera la Capitale de la culture en 2019. Denitza décrit également l’aide que le collectif reçoit de la part des différents organismes. D’un côté, l’ordre des architectes leur offre leur soutien complet devant la municipalité ainsi que des contacts et des ressources. D’un autre côté, la municipalité leur expose clairement leur indifférence : « Faites ce que vous voulez avec le bâtiment, tant que vous ne nous demandez pas d’argent. Ça sera toujours de la bonne publicité. ». Le manque de ressources financières étouffe tous points de vue divergents de celui-ci. Pour eux, ceci est un patrimoine qui n’est pas économiquement intéressant donc ne mérite pas une attention particulière. 70 Entretien de l’auteur avec Denitsa Krapova, architecte faisant partie du collectif Kino Kosmos, 4 septembre 2014

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Le collectif « Kino Kosmos » inaugure la transformation du cinéma avec une série de sept campagnes de nettoyage en 2013. Lors d’un rendezvous avec Velitchko Kourtev71, 1architecte et vice-président de la maison des architectes de Plovdiv, il parle de cette initiative avec un très grand enthousiasme. Il se rappelle que les participants sont tous des bénévoles et représentent toutes les générations : à part les jeunes architectes, on y retrouve des voisins de tous âges ainsi que des architectes qui ont participé a la conception de l’architecture socialiste bulgare. Velitchko Kourtev se souvient d’un couple de participants particulièrement actifs – l’architecte Miltcho Sapoundgiev, qui à l’époque avait 84 ans, et sa femme. Les constructions et les délimitations temporaires qui ont contenu les fonctions ajoutées par le passé sont jetées. Le cinéma commence à s’approcher de plus en plus de son état d’origine, même dans un état d’une destruction en route. Les espaces tels que l’architecte Lubomir Chinkov les a dessinés existent de nouveau même si c’est, selon Velitchko Kourtev, avec un style « un peu hippie ». Entre-temps, le collectif réussit à devenir concessionnaire du cinéma et obtient le permis d’organiser des événements ponctuels dans son hall. Des questions sur la sécurité commencent à se poser : la salle de projections et les espaces annexes sont fermés au public parce-qu’ils posent réellement un risque sécuritaire. Des difficultés financières s’ajoutent à ces problèmes : par exemple, grâce à des sponsors privés, uniquement la moitié de la toiture est stabilisée et isolée. En réponse au réveil frénétique de l’intérêt des plovdiviens envers le cinéma Kosmos, la maison des architectes de Plovdiv en collaboration avec le collectif organise le concours d’idées « Kino Kosmos – lieu de culture » en 2012. Le jury est composé de Lubomir Chinkov, Velitchko Kourtev, Blagovest Valkov et Manouela Manassyan. Le concours annonce quels sont ses buts à long terme : - « Conserver, restaurer et développer l’idée d’un milieu culturel dans la zone du cinéma Kosmos (défendre l’identité régionale culturelle) » 71 Entretien de l’auteur avec Velitchko Kourtev, architecte, 23 avril 2015

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Fig. 75: Nettoyage: le cinéma retrouve son architecture initiale.

- « Amener à la construction d’un milieu durable dans lequel on créera et partagera l’art. » - « À travers le concours d’idées et plus tard – à travers des discussions autour de ces idées et des expositions – inviter la communauté à participer au maximum. » - « À travers des actions collaboratives de la communauté culturelle et les institutions administratives, garder cette donnée culturelle spécifique dans la ville. 72» Il en résulte : 69 participants du pays entier et 36 projets qui sont exposés à plusieurs reprises lors les années suivantes. La réalisation d’un de 72 ARHITEKTURA.BG, «Интернет архитектурен конкурс «Кино Космос - място за култура» (Concours architectural en ligne «Kino Kosmos - lieu de culture), 24 juillet 2012 [consulté le 1 aout 2012], disponible sur < http://www.arhitektura.bg/bg/accentsdetails/751/

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ces projets est impossible – elle demandera un financement impossible à satisfaire par cette collaboration. Pourtant “Kino Kosmos – lieu de culture” devient le slogan du forum architectural de Plovdiv en 2013. Le cinéma devient le sujet principal des discussions parmi les architectes de Plovdiv. Pour faire suite à la grande réussite du concours, la collaboration entre la maison des architectes de Plovdiv et le collectif organise le workshop « Cota Cultura » en 2014 sponsorisé uniquement par le collectif « Kino Kosmos ». Le workshop architectural « Cota Cultura » est une initiative qui vise à améliorer l’espace devant Kino Kosmos ; il est la continuité de l’initiative de « Kino Kosmos – lieu de culture ». L’objectif est de créer un lieu de loisirs et un espace d’exposition en plein air (zone d’exposition pour des différents types d’art), qui a son tour va faire revivre la place abandonnée devant le cinéma et va créer un futur espace d’exposition adapté au déroulement du forum architectural annuel. Les éléments modulaires qui seront fabriqués comprendront un banc, un fragment du revêtement du sol, une structure d’exposition.

Fig. 76, 77: Le workshop «Cota Cultura» met en place des éléments modulaires afin de faire revivre la place devant le cinéma.

Il en résulte une place réellement habitable par les passants mais toujours cachée du boulevard Gladstone par les pavillons commerciaux temporaires. Durant cette année-là, de plus en plus d’événements culturels sont accueillis dans le bâtiment. Des petits festivals cinématographiques ouvrent les portes du cinéma au grand public et transforment le hall en salle de projection pendant des jours, plusieurs fois dans l’année. Il sert aussi en tant qu’espace dans lequel est organisé un workshop présentant des différents artisans au grand public. Le hall et la place devant le cinéma accueillent des expositions lors des différentes semaines culturelles organisées par l’association Edno tels que la semaine de l’architecture et la semaine du design. Depuis 2012, le cinéma trouve sa place également dans le forum architectural de la ville. Depuis 2013 il joue un rôle principal dans la nuit des musées qui est le plus grand évènement culturel de l’année à Plovdiv. De plus en plus d’événements culturels de tous types y sont accueillis, cela va du video-mapping, concerts et soirées aux réunions du quartier lors desquelles les voisins prennent des décisions importantes autant pour le 112

Fig. 78: Aujourd’hui, cinéma Kosmos est en train de reprendre son aspect original suite aux initiatives du collectif Kino Kosmos.

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futur du cinéma que des environs. Le cinéma commence à être occupé de nouveau de plus en plus souvent par les plovdiviens. Même dans son état rappelant une ruine, le cinéma est le seul lieu à Plovdiv que les habitants s’approprient vraiment, ils commencent à le percevoir à nouveau comme un espace à eux, un espace appartenant à la communauté. En participant aux événements organisées dans le cinéma, ou tout simplement en entrant dans l’édifice ou en profitant des espaces extérieurs chacun se sent impliqué dans le destin de ce patrimoine parce qu’il prouve aux personnes au pouvoir, par sa présence, l’importance de ce bâtiment. Au fil des années et en voyant le succès des évènements culturels organisés dedans, les architectes de la maison des architectes de Plovdiv et le collectif se rendent compte que c’est exactement de cela dont la ville a besoin – un espace fait pour accueillir la création et le partage de la culture alternative plovdivienne. L’architecte Velitchko Kourtev se rappelle : Quand le cinéma s’est réveillé et s’est allumé, les films ont commencé à être projetés Dans le hall. Pendant la nuit des musées le cinéma était un des lieux les plus visités, il y avait plus de personnes ici qu’a la soirée officielle de fermeture. Ceci signifie que la ville et les plovdiviens ont besoin d’un centre culturel. En plus il y a une certaine mémoire culturelle qui est liée à ce bâtiment. Plusieurs rendez-vous sont organisés entre le collectif et l’architecte du cinéma Lubomir Chinkov afin de réfléchir sur l’avenir du cinéma. Le cinéma doit reprendre son rôle de noyau culturel et éducatif. Afin de provoquer de nouveau cette renaissance, les architectes et la communauté ont pour tâche de répondre aux questions suivantes :

Fig. 79: Le cinéma participe aujourd’hui de manière active dans la vie de la ville grace aux efforts collectifs des architectes et des habitants de Plovdiv.

« Comment créer un noyau qui répondra aux besoins culturels de Plovdiv aujourd’hui et dans le futur ? » « Comment le cinéma Kosmos peut accueillir ces conditions au sein de ses espaces? »

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CONCLUSION Dans son passé récent, la Bulgarie a donné naissance à une architecture qui par sa charge historique provoque depuis plus de vingtcinq ans des vagues successives d’agitations diverses. La période du régime socialiste bulgare, c’est-à-dire entre 1944 et 1989 voit naître une architecture très particulière et complexe. Cette architecture permet à ses concepteurs une liberté d’expérimentation qui mènera à une pensée post-moderne propre à la Bulgarie mais en même temps instrumentalisera et attachera cette architecture à l’image du régime socialiste de manière permanente. Le régime totalitaire tombe en 1989 et son architecture devient le symbole d’une dystopie vécue et difficile que les bulgares veulent renier et ensuite oublier. À cette blessure émotionnelle s’ajoutent des nouveaux intérêts politiques et économiques nés de la transition vers une économie de marché ouverte. Cela provoque une désuétude des fonctions et du fonctionnement d’une majorité d’exemples de l’architecture socialiste publique et aggravent donc son destin. Cet ensemble de changements voue l’architecture socialiste bulgare à un abandon conscient et en même temps à devenir un patchwork incohérent d’éléments hétérogènes qui tissent une voile empêchant la population de voir les qualités architecturales et le potentiel social que ces bâtiments détiennent. La fin des années 2000 arrive avec deux changements principaux : la génération qui n’a pas connue de manière consciente le régime socialiste bulgare atteint l’Age de maturité. Grâce au recul temporel depuis la chute du régime, cette nouvelle génération perçoit pour la première fois cette architecture de manière objective et peut la juger uniquement pour ses propres qualités. Cette attitude neuve et l’éloignement temporel du régime incitent également l’ancienne génération à dissocier cette architecture des conditions dans lesquelles elle a été conçue et à apprécier son importance sociale. Des représentants des deux générations afin de provoquer une reconnaissance théorique parmi la population bulgare entière. Cette reconnaissance théorique est censée enfin faire naître un besoin de reconnaissance qui pourra s’appliquer dans la pratique à travers une réinsertion de cette architecture dans leurs vies. L’architecture socialiste bulgare se dresse aujourd’hui comme un catalyseur du rapprochement entre deux générations autour de la question de son futur. Des architectes ayant déjà acquis une grande expérience, des jeunes architectes en pleine découverte mais aussi les utilisateurs de ces bâtiments commencent une analyse approfondie de la place de l’architecture socialiste dans la ville d’aujourd’hui. Cela mène à des réflexions sur la forme que cette architecture doit prendre afin d’avoir un rôle dans la ville de demain. Ils prennent du recul pour considérer ces

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questionnements à une plus grande échelle en regardant la ville bulgare entière et la société qui l’habite. La ville bulgare arrive-t-elle à satisfaire les besoins des habitants aujourd’hui? Propose-t-elle un milieu qui incite le développement intellectuel et culturel de ses habitants et donc son propre développement? Que manque-t-il à la ville bulgare aujourd’hui ? C’est seulement après un début de réponses à ces questionnements que les acteurs se permettent de se focaliser à nouveau sur des exemples concrets de l’architecture socialiste bulgare. Cette architecture portera-t-elle une mémoire historique pour les futures générations même si elle prend une autre forme? Quelles fonctions doivent accueillir ces bâtiments afin de satisfaire les manques de la ville ? De quelle manière ces bâtiments peuvent inciter un développement positif de la ville bulgare et de ses habitants ? Quels types de transformation faut-il initier dans ces bâtiments pour qu’ils puissent accueillir ces fonctions ? Ces réflexions peuvent-elles être appliqués dans d’autres pays ayant un passé totalitaire ou un passé difficile tout court ?

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ICONOGRAPHIE Fig. 0 de couverture: Archives personnels, La poste centrale et ses habitants, 21 décembre 2015 Fig. 1 : SILVA Jaime, L’immeuble d’habitation de la place Koudrine, 31.10.2010 <https://www.flickr.com/photos/20792787@N00/5204131589/> Fig. 2 : Le Largo, <http://freesofiatour.com/blog/the-largo-birdview/> Fig. 3 : MIHOV Nikola, L’intérieur du Largo, <http://www.atrium-see.eu> Fig. 4 : Le monastere Rila, < http://www.rilamonastery.pmg-blg.com/ Home_page_bg.htm/> Fig. 5 : GUGOV Anton, La salle « Festivalna », A propos de la façade de l’architecture bulgare pendant la deuxième moitié du XXème siècle, Marin Drinov, 2013 Fig. 6: Idem, L’hôtel « Globus » Fig. 7: La préfecture de Kagawa < http://www.designculture.it/profiles/ kenzo-tange.html/> Fig. 8 : GUGOV Anton, L’hotel «Veliko Tarnovo», Op. Cit. Fig. 9: Idem, L’hotel de Nicola Nicolov Fig. 10: Idem, le bar “Magoura” Fig. 11: Le ministère des affaires étrangères, http://sofia.topnovini.bg/ node/608194/ Fig. 12: Boston city hall, <http://wgbhnews.org/post/brutalist-buildingsbostons-city-hall/> Fig. 13: La Tourette < https://lecorbusierweblog.wordpress.com/> Fig. 14 : Le palais de la culture et du sport, < http://socbg.com/2014/09/ двореца_на_културата_и_спорта_във_варн.html/> Fig. 15 : Le centre d’art à Lagos, < http://dariknews.bg/view_article. php?article_id=671020/> Fig. 16: Le stade de l’amitié et de la paix a Athènes, < http://dariknews.bg/ view_article.php?article_id=671020/> Fig. 17 : GUGOV Anton, Le pavillon bulgare a l’Exposition universelle à Osaka en 1970, Op. Cit. Fig. 18 : Le Palais de la culture à Sofia, < http://www.ndk.bg/>

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Fig. 19 : Vue aérienne du Palais de la culture à Sofia, Idem Fig. 20 : Archives personnels, Les différentes époques architecturales à Plovdiv (carte), 6 juillet 2015 Fig. 21 : Archives personnels, Les exemples-phares de l’architecture socialiste à vocation publique à Plovdiv (carte), 6 juillet 2015 Fig. 22 : La bibliothèque Ivan Vazov, magazine Arhitektura n*6, 1976, p. 7–9 Fig. 23 : Les maquettes initiales de la bibliothèque Ivan Vazov, idem Fig. 24 : CHINKOV Lubomir, Le Salon de thé de Kino Kosmos, Arhitectura (architecture), Arhitektura I stroitelstvo, 2010 Fig. 25: Idem, Les escaliers monumentaux de Kino Kosmos

Fig. 40: BGNES, La salle de réunion principale de la Maison-monument du Parti a Buzludzha, <http://bnr.bg/post/100451471/> Fig. 41 : THE LURKERS, La Maison-monument du Parti a Buzludzha couverte de débris et de graffiti, <http://timeart.me/bg/izkustva/novini/Majstoriteot-VelikobritaniJa-nadraskaha-Buzludja_8493/> Fig. 42 : Archives personnelles, Collage du destin éventuel du monument d’Alyosha Fig. 43 : Le mausolée de Georgi Dimitrov pendant le régime socialiste, <http://clubz.bg/FullArticleView/23122/> Fig. 44 : Le mausolée dans les années 1990, <https://melomem.wordpress. com/1997/07/11/aida9/>

Fig. 26 : Idem, Vue aérienne de Kino Kosmos

Fig. 45 : La destruction médiatisée du mausolée en 1999, <http://agroplovdiv. bg/wp-content/uploads/2014/02/oo_846187.jpg/>

Fig. 27 : Archives personnelles, Collage de la façade principale de la Maison de la jeunesse, 13 septembre 2015

Fig. 46 : Le site du mausolée est aujourd’hui un parking, <http://www. programata.bg/?p=172&c=45&id=70&l=1/>

Fig. 28 : Idem, La structure horizontale de la Maison de la jeunesse, 13 septembre 2015

Fig. 47 : Archives personnelles, Les commerces altérant la façade de la Poste centrale

Fig. 29. Idem, Le pavillon de la Maison du nouveau-né, 13 septembre 2015

Fig. 48: Idem, Les dégâts de la verrière éclairant le foyer de la Poste centrale.

Fig. 30 : Idem, Détail de la structure de la Maison de la science et de la technique, 13 septembre 2015

Fig. 49 : Idem, Le « collage » intérieur de la Poste centrale

Fig. 31 : Idem, La Maison de la science et de la technique, 13 septembre 2015 Fig. 32 : La Poste centrale vue depuis la place « Tsentralen », <http://www. skyscrapercity.com/showthread.php?t=1486207&page=3/> Fig. 33: Vue des façades Sud et Est de la Poste centrale, magazine Arhitektura, n* 7, 1979, p 22 – 25

Fig. 50 : MIHOV Nikola, Le cinéma Kosmos dans les années 1990, <http:// daspasimkinokosmos.blogspot.fr> Fig. 51 : KINO KOSMOS, La salle de projection abandonnée, <http:// kinokosmos.eu/en/cosmos> Fig. 52 : MIHOV Nikola, L’entrée du cinéma en destruction, <http:// daspasimkinokosmos.blogspot.fr>

Fig. 34, 35: Vues du foyer principal et de l’atrium de la Poste centrale, idem

Fig. 53 : Un bar est également ajouté à la mezzanine dans les années ’90, <http://daspasimkinokosmos.blogspot.fr>

Fig. 36 : Le monument de l’armée soviétique, <http://hauntingeurope. com/2011/06/>

Fig. 54: Des nouvelles constructions empêchent la vue du cinéma à partir du boulevard Gladstone, <http://daspasimkinokosmos.blogspot.fr>

Fig. 37 : L’entrée de la Maison-monument du Parti a Buzludzha, <https:// www.pinterest.com/pin/137570963594892746/>

Fig. 55 : Archives personnelles, L’entrée de la MJC a cote de l’entrée du bar dans la Maison de la jeunesse

Fig. 38 : MIHOV Nikola, La résidence Boyana a Sofia, Op. Cit.

Fig. 56: Idem, La cour de la MJC dans la Maison de la jeunesse

Fig. 39: L’hotel Duni Marina royal palace, <http://photo-forum.net/forum/ read.php?f=48&t=1519486&i=1523701&offset=all/>

Fig. 57 : Idem, L’entrée du Conseil municipal dans la Maison de la jeunesse

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Fig. 58: Idem, La Maison de la science et de la technique aujourd’hui Fig. 59 : Idem, Vue de la bibliothèque Ivan Vazov aujourd’hui Fig. 60 : Idem, Le patio de la bibliothèque Ivan Vazov Fig. 61 : Idem, L’intérieur de la bibliothèque Fig. 62 : MIHOV Nikola, Les façades du cinéma Kosmos sont recouvertes de déclarations indignées de la part des voisins, <http://daspasimkinokosmos. blogspot.fr> Fig. 63: Beyond failure, http://www.failedarchitecture.com/fa10-beyondfailure/ Fig. 64: MIHOV Nikola, «Forget your past», Janet 45, 2012 Fig. 65: ANGELOV Martin, « Les prochains 1300 », http://provocad.com/ next1300/ Fig. 66 : STUDIO 8 ½ , La carte alternative de Plovdiv, http://alternativeplovdiv. com/ Fig. 67: MORPHOCODE, La «métamorphose» de l’arrêt de bus «PK Diana», <<http://morphocode.com/bg/spirka-shinkov-metamorfozata/> Fig. 68 : La destruction de la fresque lors la rénovation de la Maison des syndicats, http://agroplovdiv.bg/20713/изчезването-на-един-град/ Fig. 69: La Maison des syndicats après la rénovation, <http://domborishristov. com/> Fig. 70: YANKOVA Tsvetelina, Vidéo -mapping sur la Maison du nouveau-né en 2014, <http://www.night.bg/blog/?p=7458> Fig. 71: Vidéo -mapping sur la Maison du Parti en 2015, <edno.bg/blog/ cnnctr> Fig. 72: FORA, Concours pour la place «Tsentralen» a Plovdiv, <http:// plovdivsquare.com/> Fig. 73 : JESSICA, Simulation informatique du futur éventuel de la Poste centrale, <http://news.plovdiv24.bg/542055.html> Fig. 74: L’enseigne lumineux du Kino Kosmos aujourd’hui, <http:// kinokosmos.eu/ Fig. 75: Nettoyage: le cinéma retrouve son architecture initiale, <http:// kinokosmos.eu Fig. 76, fig. 77: Le workshop «Cota Cultura», <http://kinokosmos.eu> Fig. 78: L’aspect extérieur de Kino Kosmos aujourd’hui <http://kinokosmos. eu> Fig. 79 : Le Kino Kosmos dans la nuit des musées en septembre 2015, <http://kinokosmos.eu> 130


L’architecture bulgare de la période socialiste (1944 – 1989) forme aujourd’hui un patchwork curieux qui poncture la majorité des villes en Bulgarie. Quels phénomènes se cachent derrière la complexité particulière de cette architecture aujourd’hui et pourquoi ne connaissons-nous pas son passé? Depuis 1944 l’architecture socialiste bulgare connait trois vies. Elle est née sous le régime socialiste bulgare en tant qu’instrument politique mais au cours de cette période elle incite également une forme de libération et d’expérimentation architecturale jusqu’en 1989. Après la chute du régime socialiste cette architecture commence une nouvelle vie de négation du passé qu’elle représente. Au terme des années 2000, prenons l’année 2007 comme repère, la génération qui n’a pas vécu consciemment le régime socialiste atteint l’âge de se forger une opinion, la période de transition politique est finie et la Bulgarie entre dans l’Union Européenne. Ces événements corrélés mènent à la troisième vie de cette architecture : celle d’une reconnaissance sur le plan théorique et pratique.


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