Rapport de Licence - BOUHADJEB Yassine

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École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris La Villette RAPPORT DE LICENCE

MON ENGAGEMENT architectural

par BOUHADJEB Yassine Sous la direction de Jakob GAUTEL & Robert HERITIER



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SOMMAIRE Avant-propos 6 L’apprentissage architectural 14 L’expression par la pratique 23 L’évolution : un rapport d’échelle 28 Conclusion 30 Bibliographie

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AVANT-PROPOS Après l’obtention d’un baccalauréat scientifique, je me destinais au métier d’ingénieur mécatronicien en intégrant l’Institut National des Sciences Appliquées (INSA) de Strasbourg. J’y ai étudié un semestre et demi avant de réaliser que cette voie n’était pas la mienne. Je me suis réorienté vers l’architecture en ayant une vague idée de ce qui m’attendait. La première année, les études d’architecture m’ont clairement déboussolé : de nature timide, j’ai dû faire face à cet handicap lors des présentations orales hebdomadaires suivies de critiques «publiques». On pointait également du doigt ma timidité dans la représentation graphique de mes projets. De plus, entre le mode de pensée architecturale et celui de la classe préparatoire que j’ai pu suivre, la différence n’est pas moindre ! Je suis passé d’un raisonnement rationnel, très rigoureux (voir rigide) à base de théorèmes et de démonstrations à un raisonnement plus ouvert, réfutable, qui relève parfois du goût des enseignants. J’ai mis du temps à comprendre et intégrer l’état d’esprit dans lequel je devais être. Ainsi, après une réorientation, je fus confronté à des difficultés qui ont entraîné le redoublement de ma L1. Vous comprendrez que mon avenir professionnel fut remis en question par moimême et par mes proches. Je suis resté dans le doute jusqu’au début de ma L2. Toutefois, je savais que l’architecture ne me déplaisait pas. J’ai décidé de continuer, de m’investir davantage et j’ai fini par apprécier et même admirer cette profession qui, il faut l’avouer, est à part entière !

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Mon parcours n’a pas été disons «classique» (un bac puis 3 années de licence). J’ai dû me lancer dans ces études qui nécessitent beaucoup de patience, un réel engagement et je parlerai même d’abnégation, sans quoi on ne peut devenir architecte. C’est un des rares métiers que l’on vit pleinement, du lever au coucher. Il nous transforme, nous fait grandir et prendre conscience de ce qui nous entoure. C’est de cela dont j’ai envie de faire part en m’appuyant sur des projets aux durées et échelles variables. L’engagement dans mon cursus se traduit par : - L’apprentissage de nouvelles techniques ou méthodes. - Un besoin de s’exprimer au travers de cours spécifiques (arts plastiques, projet etc) - Une progression à différents niveaux (compréhension, représentation, explications).


L’apprentissage architectural

La fin du cycle licence est marquée par des évaluations

d’enseignements venant perturber un temps de pause et de réflexion sur mon parcours personnel. Cette prise de hauteur est nécessaire pour une approche globale et critique. Je m’envole donc pour vous faire part de mon évolution personnelle au travers de l’apprentissage architectural.

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1/ Je pensais voir... Nous vivons dans un monde de vitesse, privilégiant parfois quantité à qualité. Etant jeune, je ne me sentais pas concerné par cette agitation périphérique. J’étais dans un monde de détails, aimant casser les objets pour observer leurs fonctionnements internes. Collectionneur d’insectes, j’orientais constamment mon regard vers le sol dans l’espoir de faire de nouvelles rencontres et ainsi, agrandir ma collection. Mon orientation post-bac (en école d’ingénieur) n’a fait qu’entretenir mon caractère introspectif. En effet, rester enfermé pour apprendre des théorèmes et démonstrations ne m’a pas vraiment aidé. A l’inverse, l’architecture a bouleversé mes sens et ma personne. Quatre années de licence ont littéralement changé ma façon de voir le monde qui m’entoure. Comme dit précédemment, j’étais timide et je voyais sans réellement voir. J’ai appris à observer, et surtout je l’espère, à bien observer. Ma première année en fut l’élément déclencheur nécessaire à mon épanouissement aussi bien scolaire que personnel. Les nombreux voyages que j’ai pu effectuer dans le cadre scolaire ont orienté mon regard et enrichi ma culture visuelle. Redoubler ma Licence 1 m’a donné l’opportunité d’effectuer un voyage supplémentaire dans mon premier cycle. Ainsi, j’ai voyagé à Cologne, Rotterdam et Dunkerque. Cologne est la destination m’ayant le plus marqué au niveau architecture et paysage urbain. J’ai été sensible à la Chapelle de SaintNicolas-de-Flüe (photo de droite) et au Kolumba museum de Peter Zumthor. La gare de Liège par Santiago Calatrava a marqué mon esprit par sa blancheur, sa lumière douce et apaisante, sans oublier sa structure aérienne très impressionnante. C’est actuellement la plus belle gare que j’ai pu observer. Malheureusement, les photos prises sont toutes floues ou mal cadrées.

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Ci-dessus, une réalisation de Sanaa que j’ai pu visiter sur le site minier de Zeche Zollverein (Allemagne) - Licence 1 A gauche, la chapelle Bruder Klaus de Peter Zumthor prise par temps enneigé magnifiant l’œuvre en béton coffré - Licence 1


... je me trompais Mr. Atela, enseignant de projet en première année, a su orienter mon regard et ma réflexion sur des notions essentielles dont l’espace, la lumière, le plein et le vide. Tout cela à travers des travaux plastiques ludiques sollicitant la vue et le toucher. Un des premiers exercices de l’année fut de creuser un cube d’argile et d’en faire ressortir le négatif en maquette. Cet acte de création marqua mes débuts, un premier geste, une première réflexion. Le second consistait à assembler des morceaux de papiers, sans colle ni scotch, de tel sorte à créer un espace. Dans le même esprit, nous avons changé de matériaux afin de donner une consistance à nos objets. Les ouvertures permettaient la pénétration de lumière tandis que l’épaisseur du carton mousse la dirigeait. Capturer l’espace en photo, l’observer, le décrire fut original et enrichissant comme première approche architecturale.

Cube d’argile creusé aléatoirement Maquettes d’étude : Entre le plein et le vide A gauche le moule du vide, à droite le vide en plein Objets d’étude et d’observation spatiale, notion de compression Dilatation

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2/ La main comme prolongement de la pensée Après l’observation, l’imagination, j’ai effectué un véritable travail de visualisation et de retranscription à travers les cours de géométrie descriptive. A partir de consignes précises, nous devions dessiner (en plan, coupe, élévation) une forme géométrique assez simple puis la matérialiser. Outre les maux de tête durant les 4h de cours, ce fut un bon moyen de développer un «imaginaire 3D». Je n’avais pas de facilité dans cette matière, mais je passais beaucoup de temps à visualiser mentalement mon futur dessin à l’aide de croquis. Durant mes deux premières années, j’ai essentiellement travaillé à la main. Ce n’est qu’au début de ma Licence 2 qu’autocad et d’autres logiciels m’ont servi. Je les utilise comme moyen de diffusion et de production. Ma main, prolongement de ma pensée, est exploitée pour les moments de réflexions. Elle s’agite dans tous les sens, attaque la feuille vierge à coup de mine 2B, retranscrivant une visualisation mentale. La main enregistre, évalue les distances, contrairement à la souris qui zoome constamment, perdant la notion d’échelle. En dessinant à la main, on vit les choses : pour tracer un trait, je suis obligé de partir d’un point A, et maintenir une certaine pression jusqu’à un point B. On a une action linéaire, différence majeure avec l’ordinateur qui marche par pression sur la souris, c’est à dire par action ponctuelle. Ces propos sont ceux de Mr Veith, un enseignant de projet qui m’a donné goût à l’architecture. Dans un cadre professionnel, lors de mon stage chez STK Architecture, j’ai du réaliser un «croquis attractif» pour appâter le client. L’aspect imprécis du dessin ne fige pas l’imaginaire et donne un côté plus artistique. La ruse a fonctionné, et le client a accepté la proposition du projet.

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Ci-dessus et ci-dessous, travail de géométrie descriptive Licence 1 - Mme Martinez


Malgré mon goût pour le travail à la main, j’étais tout de même très lent dans la production. Cela ne m’avantageait pas par rapport aux autres producteurs de masse. Quand je dessine, j’aime me rapprocher de la précision d’un ordinateur. J’aime qu’en voyant ma restitution, on se pose la question : «C’est fait par ordinateur ?». J’admire le geste juste et précis, ce même geste qui pousse à retenir notre souffle. A la fin de mon cycle, je suis à présent capable de produire rapidement mais le sentiment de n’avoir pas été suffisamment investi dans ma tâche persiste. C’est pourquoi je pense que travailler en croquis et en schéma m’a permis de me détacher de la précision graphique et d’aller à l’essentiel. Le croquis est assez intuitif, il simplifie une idée parfois complexe. Son utilisation dans le cadre des arts plastiques, lors d’études sociologiques ou encore lors d’exposés en anglais aident beaucoup. En Licence 3, ayant gagné en assurance, je n’hésite pas à intégrer mes croquis dans une présentation pour donner une vision globale et personnel du projet.

Ci-dessus, croquis attractif lors de mon stage en agence - Août 2015

A gauche, croquis d’un complexe Bibliothèque/Logements collectifs. Licence 3, S5 - Mr Héritier & Mr Martin

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La maquette comme concrétisation de la pensée Les maquettes sont des moyens d’expression personnel. En architecture, c’est un outil de réflexion et de conception marquant parfois la concrétisation d’un projet. Avant d’intégrer l’ENSAPLV, j’avais une vision architecturale très plastique et moins théorique. De nature manuelle, je suis jusqu’à présent plutôt ravi d’en produire. Bien qu’une maquette finale soit éprouvante à réaliser, elle me permet d’exprimer une certaine minutie dans la découpe et dans mes mesures. Je n’ai jamais utilisé de découpe laser qui, certes fait gagner du temps, mais prive le concepteur du rapport avec les matériaux. En l’utilisant, j’aurai l’impression d’être passif. Assister à l’assemblage de son projet est parfois une réelle satisfaction personnelle. J’ai eu l’occasion de produire un grand nombre de maquettes que je jette au fur et à mesure des années par souci de place. Je regrette d’avoir utilisé ce moyen uniquement dans le cadre de projets ou de travaux dirigés de construction. En effet, j’aurai souhaité construire des objets 3D durant les cours plastiques notamment.

TD partagé - La Maison du peuple (Clichy) Licence 2, S3 - Mr.Fauconnet

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Projet des Villas urbaines - Une couleur, une typologie de pièce Licence 2, S2 - Mr Veith & Mr Vaiedelich

TD Structurel - Superstructure Licence 3, S5 - Mme.Boutabba

Projet - Complexe organique Licence 1, S2 - Mme Roussel


L’esprit de groupe, un moyen de se surpasser Passons à une maquette à plus grande échelle : «La tour la plus haute» ! Durant l’inter-semestre de licence 2, un travail manuel d’une semaine fut très formateur. Nous devions construire par groupe de 3 étudiants (Sarah, Romain et moi-même) la plus haute tour sans scotch, ni agrafe, ni clous, avec comme seule et unique matière, du carton ondulé. La première journée fut consacrée aux tests en plan et en maquette puis est venu la construction. Notre enseignant superviseur, Mr.Rouby essayait volontairement de nous déstabiliser en se moquant de nos premiers essais. Nous sommes restés sur nos positions et avons persévéré. Un réel esprit de groupe a commencé à se mettre en place. Nous nous retrouvions tous les matins pour travailler ensemble, dans le froid, et ce jusqu’en soirée. Ainsi, après quelques jours à couper et assembler la structure, notre équipe a érigé une tour de plus de 6m de haut, nous plaçant en 2ème position du concours. Seulement quelques centimètres nous séparaient de la première place. Après la construction, l’escalade ! J’ai dû monter sur la structure vacillante. J’étais tendu avant de le faire, non pas pour la hauteur de la tour, mais par peur d’échouer. En effet, la note du groupe allait dépendre de la hauteur atteinte par moi-même. J’ai finalement réussi à me dresser, à 6m de haut, sur le sommet de la tour, soit les pieds joints sur un disque de 30cm de diamètre. Je ne peux le nier, j’avais le vertige ! Mais entendre tes camarades te soutenir lors de ton ascension motive et laisse de très bons souvenirs d’un travail de groupe.

Intensif plastique - La tour la plus haute Licence 2, intersemestre - Mr Rouby & Mr Dessardo

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L’expression par la pratique

L

a richesse des matières de l’ENSAPLV offre les moyens de s’exprimer au travers de cours d’art plastique, de langues, de sociologie etc. Ce fut une réelle opportunité pour moi de m’exercer à perde ma timidité. Selon le temps de pratique, les moyens et méthodes des enseignants, j’ai senti un progrès significatif au cours de mes quatre années d’architecture.

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La liberté d’expression dans l’enseignement Mon parcours fut ponctué par des exercices aux contraintes variables. Mais «contraintes» ne signifie pas absence de liberté. Avec du recul, je les vois plutôt comme un moyen d’orienter ma réflexion. Je pense qu’il est nécessaire de cadrer les premiers exercices lors d’une initiation à l’architecture. Ce ne fut pas le cas de ma première année d’architecture. En effet, l’ensemble des exercices de projet étaient très libres. Je me sentais parfois perdu car les consignes étaient vagues, tandis que moi, j’avais besoin qu’elles soient aussi précises qu’en mathématiques. Je comprends toutefois l’intention de mon enseignant voulant que l’on apprenne de nos erreurs. Malheureusement, cette méthode ne me seyait point et n’a fait que bloquer ma réflexion. Le rapport enseignant/élève se faisait froidement ressentir. Les remarques de mes enseignants faites devant mes camarades me touchaient particulièrement. De nature timide, je me suis renfermé sur moi-même, n’osant plus m’exprimer librement par crainte de nouvelles critiques. A l’inverse, ma L2 ainsi que le premier semestre de ma L3 ont changé ma vision erronée concernant le rapport enseignant/élève. En effet, n’ayant connu que des corrections orales devant un jury, j’ai été fort surpris par la méthode d’enseignement de Mr Veith, Mr Héritier et Mr Martin. Nous travaillons sur table avec nos professeurs, armés de calque et de crayons, à l’image des ateliers beauxarts. Cette approche me convenait parfaitement, et m’a beaucoup apporté en terme de méthode. La proximité avec l’enseignant brisa le mur et m’invita naturellement à poser des questions ou faire des remarques. De plus, voir son enseignant griffonner pour exprimer ses idées est beaucoup plus parlant que des remarques orales. Rien de mieux pour apprendre que de voir son maître à l’œuvre.

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Art plastique - Portrait en 3 min (modèle masculin) Licence 2, S1 - Mr Dessardo


Des matières, autres que le projet, permettent de s’exprimer librement. J’ai particulièrement apprécié les cours de sociologie de Mr Amougou de L1 et L2 car son principal objectif n’était pas de nous transmettre un maximum d’informations mais plutôt de nous interroger sur diverses notions. Pour cela, après ses pertinentes réflexions, il nous invitait avec humour à débattre en disant : «Bien, un citoyen veut-il prendre la parole ?». Très attentif aux mots employés par les étudiants, il orientait nos propos sur des sujets d’actualité encourageant un maximum d’élèves à s’exprimer. L’enseignement philosophique à l’ENSAPLV est également source d’expression. Honnêtement, j’ai beaucoup de mal à suivre un cours de philosophie et encore moins à participer en amphithéâtre. Les mots employés sont souvent compliqués, et les références me sont connues que vaguement. Toutefois, si je n’arrive pas à m’exprimer oralement, j’apprécie le fait de partager une réflexion personnelle écrite à la fin du semestre. Ainsi, j’ai pu répondre librement au sujet suivant : - «Dans quelle mesure un aveugle peut-il apprécier un espace architectural ?» Art plastique - Portrait en 3 min (modèle féminin) Licence 2, S1 - Mr Dessardo

En L2, les cours d’art plastique ont vraiment été un moyen d’expression de par la liberté de création qui nous était accordée. J’ai pu réaliser des portraits, des caricatures, des dessins satiriques ou encore une vidéo sur le mouvement du corps. Le travail des caricatures est pour moi très intéressant même au niveau architectural. C’est un travail d’observation, d’intégration et de restitution, en gardant uniquement ce qui nous intéresse. Cette même logique est applicable dans la construction (par exemple dans la réhabilitation).

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Le facteur temps et l’expression J’ai longtemps été frustré par la non reconnaissance du soin porté à mes travaux par les enseignants. Le premier rendu de ma licence 1 en est un bon exemple. Il m’a marqué et a contribué d’une certaine manière à mon découragement, puis à mon redoublement. Une semaine avant le rendu, mon professeur m’annonce la couleur du rendu. Voulant très bien faire pour ce premier travail, j’ai investi avec mon argent personnel près de 150 euros pour réaliser une maquette filaire en bois. J’ai passé trois jours dans l’atelier maquette à découper et coller précisément 192 tasseaux. Une fois la maquette achevée, j’ai passé une nuit entière à réaliser des planches de présentation. Motivé, je transporte difficilement l’imposante structure jusqu’à ma salle de classe. Honnêtement j’étais assez fier de ma maquette, moins de mes AO car j’y avais forcément passés moins de temps. Le verdict : mon enseignant m’a mis 11/20, une mauvaise note comparé à l’ensemble de mes camarades qui avaient entre 13 et 16. Il a critiqué uniquement mes feuilles de présentation en les qualifiant de «timides». En première année, je pense qu’il faut, montrer un minimum d’attention envers le travail des étudiants : la qualité et le sérieux de la restitution doivent faire partie intégrante de la notation générale. Avec beaucoup de patience, j’ai appris à ne plus m’attacher à mes travaux. Je peux très bien passer 10h sur une maquette et la détruire juste après correction sans être peiné. J’accorde donc peu d’importance au temps de production. Toutefois, la licence 2 m’a appris qu’une autre notion de temps était essentielle et si particulière à notre métier. C’est elle qui nous différencie de la plus part des professions.

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Projet - Premier rendu d’architecture Licence 1, S1 - Mr Atela

Projet - Un espace comprimé et lumineux Licence 1, S1 - Mr Atela


Ma vision architecturale s’est quelque peu complexifiée depuis 2012, début de mes études à l’ENSAPLV. En toute modestie, je suis à présent capable de mieux définir ce qu’est l’architecture. Elle apparaît pour moi comme un enchevêtrement complexe de temporalités qui traversent toute œuvre depuis sa programmation jusque son habitation. Le présent est plastique et l’architecture travaille cette plasticité en nous inscrivant dans une épaisseur temporelle, invitant à habiter le temps d’une façon plus ou moins riche, plus ou moins ouverte. Les cours d’histoire ainsi que les travaux dirigés dispensés durant le premier cycle furent très enrichissants et nécessaires à une compréhension globale. Moi qui n’ait jamais aimé l’histoire/géographie au lycée, je commence en cette fin de licence a réellement apprécier ce domaine passionnant. Ce semestre, nous avons étudié la place de la Catalogne (Paris 14ème). L’étude de sa morphogenèse m’a fait réaliser à quel point un changement à petite échelle pouvait être le témoin d’une transformation à grande échelle.

Arts plastiques - « Donner à voir » Licence 3, S2 - Mme Frémy

Histoire, formes urbaines - Morphogenèse de la plaza Mayor (Madrid) : élément de comparaison avec la place de la Catalogne Licence 3, S2 - Mr Gribé

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Le facteur temps et l’expression En Licence 2, Mr Veith (enseignant de projet) dirigeait tous les lundis matin des cours sur différents thèmes dont celui de la course du soleil, selon les saisons et les heures. Il montra à quel point nos projets architecturaux font partie intégrante d’un écosystème qu’il est important de prendre en compte lors de la conception. La course solaire est une des premières variables à exploiter dans notre future expression architecturale. A présent, ce qui était du domaine de la réflexion est devenu un réflexe car j’ai pu m’exercer sur divers projets dont celui des villas urbaines et d’un musée. Les cours et travaux d’ambiance ont abordé comme il se devait la notion d’éclairage, de confort thermique. La plus part de ces connaissances techniques ne sont pas utilisées dans les productions en projet mais seront, je pense, bien utiles dans notre parcours professionnel. J’ai également compris en assistant aux cours MatièresMatériaux de Mr Alluin, qu’architecture et nature ne doivent pas être dissociés. Je n’ai toutefois pas apprécié le mode d’évaluation de cette matière. Il consistait à restituer machinalement, pour ne pas dire bêtement, des valeurs et des définitions n’ayant souvent aucune utilité (ex : le nombre de battement d’aile d’une libellule, d’une mouche ou encore d’une abeille). Ce mode de fonctionnement est très proche de celui de l’enseignement secondaire que je critiquais déjà à l’époque. Je trouve intéressant de mentionner ces informations mais pas de les évaluer. L’intérêt d’un cours est de retenir sur le long terme et pas seulement pour un partiel aux quarante questions. Par contre, le travail dirigé fait en parallèle était pertinent dans sa fonction car il mêlait les connaissances du cours à un travail pratique.

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Projet - Notes de cours sur l’ensoleillement Licence 2, S1 - Mr Veith

Ambiances - Analyse solaire de mon logement Licence 2, S2 - Mme Balez

Projet - Villas urbaines Licence 2, S2 - Mr Veith & Mr Vaidelich


La durée des travaux en architecture est parfois fonction de l’apprentissage. Mes deux stages en sont de bons exemples. En effet, pour une même durée, j’ai peu appris lors du premier stage contrairement au second qui fut riche en informations. Un exercice que j’aurai souhaité développer est celui du «bienêtre», premier projet réalisé en licence 2. Ce fut un exercice très enrichissant car il souleva des questions essentielles. Qu’est-ce que le bien-être pour moi ? Comment un espace peut-il exprimer ou magnifier ce sentiment ? Ce travail fut d’abord écrit, traduit en plan et en maquette. Je regrette que nos enseignants nous aient laissé peu de liberté pour le rendu final qui fut très orienté. Il aurait été plus intéressant de nous guider plutôt que d’imposer certaines règles, qui ont conduit à un rendu homogène. Toutefois, un questionnement sur plusieurs semaines m’a permis d’obtenir des réponses variées. Le plus complexe fut de retranscrire spatialement des émotions et des ambiances.

Projet - « Le bien-être» modélisé en maquette et en coupe longitudinale Licence 2, S1 - Mr Veith & Mr Vaidelich

« Chaque soir, avant de me coucher, je m’assieds et ferme les yeux. Détendu, je tente de vider mon esprit de toutes pensées. Puis, je me projette dans ce lieu où je me sentais si bien ! Là, je m’imagine être cette feuille, sèche et marron, portée et dirigée au grès du vent. Je me sens léger, sans responsabilité, libre comme l’air dans ce paysage montagneux aux cascades renversantes. Après quelques minutes dans les airs, virevoltant tel un papillon, j’atterris dans cette rivière aux eaux cristallines. Immédiatement, je me sens revivre, je me sens « Moi » sous ce soleil éclatant ! Ce lieu naturel ravive mes nervures assoiffées : loin de l’agitation des villes, de la pollution sonore et visuelle, ici le temps s’arrête, l’air y est pur et les seuls bruits perceptibles sont ceux du silence, des oiseaux, des grillons et des chutes d’eau. Je finis ma balade sur ce sol caillouteux, observant, émerveillé tel un enfant. Un sourire se glisse sur le coin de mes lèvres, s’en suit un soupir car il est temps d’aller dormir. » Projet - Texte définissant ce qu’est pour moi le bien-être Licence 2, S1 - Mr Veith & Mr Vaidelich

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Le facteur temps et l’expression Je réalise que mes deux premières années d’architecture m’ont permis d’expérimenter des idées. La partie technique, c’est à dire professionnelle, était quelque peu mise de côté pour ne pas freiner notre imaginaire constructif. Ainsi, sourire aux lèvres, je revois mes projets de licence 1 : des constructions irréalisables. J’ai apprécié la liberté de création qui nous était accordée mais je regrette toutefois d’être resté trop scolaire et timide dans mes réalisations. Jusqu’à présent, je vois les notes attribuées par les enseignants comme une menace, un moyen de pression qui me limite dans mes travaux. En architecture, malgré des efforts et une charge importante de travail fournis pendant l’année, il est possible d’obtenir une note «passable», voir même de redoubler. C’est très frustrant de vivre ça au début, mais j’ai fini par m’y habituer. Les cours d’art plastique de L1 et L2 m’ont fait découvrir d’autres méthodes de représentation. Auparavant, je n’avais jamais dessiné au crayon bleu. J’ai été sensible à ce changement de couleur qui, je trouve, magnifie le dessin. J’ai donc appliqué cette méthode dans mes dessins personnels et j’en suis ravi !

Projet - Pavillon (Parc de Stalingrad): bureaux et espace d’exposition Licence 1, S1 - Mme Roussel

Personnel - Dessins personnels me permettant de tester le crayon bleu Année 2015

Projet - Coupe transversale sur bureaux et espace d’exposition Licence 1, S1 - Mme Roussel

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L’évolution, un rapport d’échelle

M

es connaissances architecturales se sont construites sur le long terme. L’alternance entre le travail de groupe et individuel, le travail à petite et grande échelle, ainsi que mes diverses lectures ont développé chez moi une vision synoptique et parfois même projective.

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Du microscopique... Nous, étudiants en architecture, balayons un grand nombre de domaines à différentes échelles, raison pour laquelle nous pouvons nous réorienter vers d’autres horizons. J’ai eu l’occasion de travailler aussi bien à petite échelle qu’à grande échelle jusqu’à la fin de ce premier cycle. Les cours de Matières-Matériaux dispensés par Mr Alluin en L1 ont abordé l’échelle microscopique : j’ai ainsi été informé du fonctionnement de certaines nanotechnologies dont celui du tissu Gore-Tex. Nous avons également vu la notion d’ ensemble fractal qui m’était familière de par mon passé scientifique. Dans la continuité, les cours de structure m’ont appris la composition du béton et celle d’autres matériaux de construction. Selon la granulométrie, on obtient un béton lisse ou rugueux, tout dépend de l’usage souhaité. Après avoir vu en détail la composition et le fonctionnement, j’ai eu la chance d’étudier à plus petite échelle. En effet, durant les cours de Morphologie de Mr Mahieu, les exercices de projet ou encore les travaux dirigés, j’ai pris connaissance des types de liaisons existantes et leurs diverses utilités. J’appréciais ce domaine car il faisait écho à mon côté maniaque. J’avais enfin l’impression d’être dans un domaine plus familier. Travailler à grande échelle permet de se concentrer sur les détails, mais peut parfois nous piéger. Avec le peu d’expérience acquis, j’ai compris qu’il fallait sans cesse alterner entre le petit et le grand pour que l’essentiel ne nous échappe pas. Avoir une vision générale du projet est toujours assez difficile pour moi. Ce jeu du petit et du grand n’est pas aisé à manier. Toutefois, travailler sur un grand nombre de projets rend ma réflexion plus pointue et riche de sens.

Projet - Étude structurelle d’une halle de marché Licence 2, S2 - Mr Veith & Mr Vaidelich

Projet - Tissu Gore-Tex Licence 1, S1 - Mr Alluin

TD structure - Étude d’un pont bow-string Licence 2, S2 - Mr Leyral

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... au macroscopique

Projet - Plan de masse d’une halle de marché (dessin à la main) Licence 2, S2 - Mr Veith & Mr Vaidelich

Le passage du micro au macro n’est vraiment pas facile lorsque l’on débute. C’est une des difficultés que je rencontre en cette fin de licence. En effet, nous travaillons sur un projet d’urbanisme et nous devons, dans un premier temps, réaliser un masterplan puis un plan détaillé d’un quartier. Passer d’une idée globale à des cas particuliers est plus complexe que je ne le croyais. En licence 2, j’ai pu m’initier à une approche urbanistique me donnant un avant-goût de la complexité de la tâche. Je devais implanter une halle de marché, place des grandes Rigoles (Paris 19ème) de manière la plus pertinente possible en tenant compte des flux, de l’ensoleillement, des commerces de proximité etc. Le manque de méthode m’oblige à me fier à mon intuition, à me renseigner d’avantage à la bibliothèque ou sur internet. Je copie des parties de projets que je réadapte à ma manière, tout en essayant de comprendre les intentions de l’auteur. Je pense que ce dernier point est le plus important durant toute ma scolarité. Aujourd’hui, naturellement je regarde et analyse tout ce qui m’entoure a tel point d’avoir l’impression d’être un individu bizarre, errant dans les rues parisiennes.

Projet - Vue intérieure de la halle et croquis préliminaire d’étude urbaine Licence 2, S2 - Mr Veith & Mr Vaidelich

Projet - Quartier en zone humide Licence 3, S2 - Mr Liebard & Mr Penisson

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Travail individuel ou travail de groupe ? L’échelle du projet détermine souvent si le travail sera individuel ou en groupe. J’ai souvent été réticent à travailler en équipe pour deux raisons : premièrement, je n’avais pas l’impression d’apprendre autant que quand j’étais seul, et deuxièmement, j’ai souvent eu de mauvaises expériences en licence 1 et 2. En effet, soit mon collègue ne travaillait pas ou très peu, soit sa méthode ou le soin porté au travail était absent. Je devais donc retravailler ses productions, me donnant double travail. A l’inverse, en licence 2, je me suis retrouvé dans un groupe très performant ! Dans ce cas, c’est moi qui avait l’impression d’être le collègue inefficace car trop lent. Les rôles se sont drôlement inversés. Je faisais de mon possible, bien que dépassé par le rythme soutenu imposé par le leader du groupe. Après cette dernière expérience, j’en tire de nombreuses leçons. Le fait d’intégrer un groupe dynamique et sérieux m’a plus surpris qu’autre chose. J’ai l’habitude de travailler à mon rythme, c’est à dire lentement. Travailler par équipe, c’est imposer d’une certaine manière ma lenteur aux autres. Etant donné que le temps nous est imparti, je n’ai d’autre choix que d’aller contre ma nature. Je rêve d’un système où l’apprentissage n’est pas régulé et organisé en semestre, en année. C’est peut-être une pensée naïve et enfantine, mais dans l’absolu, c’est ce qui me conviendrait. Ayant suivi un enseignement par correspondance jusqu’en 5ème, je travaillais à la maison tous les jours, à mon rythme, mais sans horaires précises. J’avais ainsi l’opportunité de sortir à ma guise, de faire du sport, visiter des musées etc. Malgré les nombreuses années scolarisé, je pense tout de même avoir gardé cet état d’esprit.

TD partagé - Explication d’un des membres du groupe lors du rendu Licence 2, S2 - Mr Fauconnet & Mr Gorka

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Travail individuel ou travail de groupe ? De mon expérience, j’en tire les conclusions suivantes : Le travail de groupe est très formateur sur le plan humain, bien plus qu’un travail individuel. Il implique de nombreuses interactions m’obligeant à être réceptif et claire dans mes explications. Il a amplifié chez moi une rigueur et m’a appris à m’affirmer, chose dont j’avais beaucoup de mal auparavant. D’ailleurs, je regrette de ne pas m’être manifesté sur un projet de groupe de licence 2. Lors de nos réunions, mes camarades avaient un esprit vif et prenaient hâtivement des décisions, souvent injustifiées à mon sens. Je n’osais pas intervenir par peur de ralentir l’avancée du projet. Le jour du rendu final, notre présentation ne s’est pas passée aussi bien qu’on l’espérait. Notre enseignant nous a critiqués sur des points que je critiquais moi-même intérieurement lors de l’avancée du projet. C’était en deuxième année, et j’ai retenu la leçon. Lorsqu’un groupe fut défaillant, il m’est même arrivé de prendre les devants et de donner des directives, mais je le fais uniquement par nécessité. Participer à un projet et enrichir ma culture est amplement suffisant pour moi.

Projet - Conception d’un musée dans le jardin du Luxembourg Licence 2, S2 - Mr Veith & Mr Vaidelich

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Projet - Villas urbaines par groupe de 7 étudiants Licence 2, S1 - Mr Veith & Mr Vaidelich

Projet - Mise en scène du musée par groupe de 4 étudiants Licence 2, S2 - Mr Veith & Mr Vaidelich


CONCLUSION

C’

est ainsi que s’achève quatre années d’architecture. Il m’a été difficile de me restreindre à quelques idées, quelques réalisations, quelques souvenirs. Ces années ont été très riches, si riches que je ne savais plus où donner de la tête. Je me suis lancé une première fois dans une narration exhaustive, puis je suis reparti de zéro. Aussi difficilement commencé, aussi difficilement abandonné. «Une œuvre n’est jamais achevée, elle est simplement abandonnée» Paul Ambroise Valéry

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Me voilà presque nostalgique en écrivant ces dernières lignes. Elles marquent la fin d’un cycle scolaire et mon rapprochement au monde professionnel. Partagé entre la peur et la joie, je suis heureux de finalement valider une licence ! Après une réorientation, un redoublement et trois années d’architecture, le chemin m’a paru long. Pourtant, au fond de moi, j’aimerai prolonger la durée de mes études et rester dans ce confort, car le monde professionnel n’a pas l’air commode, encore moins dans le domaine de l’architecture. Je tiens ces propos car j’estime ne pas avoir les connaissances nécessaires à la réalisation d’œuvres pérennes. Devenir architecte n’est pas une chose que je prends à la légère. Cela demande un véritable engagement aussi bien scolaire que professionnel. Mais au bout du compte on en sort gagnant ! A 23 ans je me sens plus compétent dans divers domaines grâce à la pluridisciplinarité de l’enseignement. Quatre années en arrière, j’étais très différent : timide, peu sûr de moi et peu à l’aise à l’oral. L’architecture m’a littéralement transformé, mais au prix de sacrifices. De nature sportive, à raison de trois à quatre entraînements par semaine, je pratiquais de la compétition au niveau international et ce depuis mes 8 ans.

Il était impensable pour moi de stopper mon activité sportive. Devenu un mode de vie, j’ai eu de plus en plus de mal à allier architecture et ma passion qu’est les arts martiaux (le Vovinam Viet Vo Dao plus précisément). Il y a un an et demi j’ai dû faire un choix, et c’est donc l’architecture qui a pris le dessus. Pour moi, l’abandon total du sport a été une véritable marque d’engagement personnel. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi ce thème comme fil d’Ariane. Après un parcours labyrinthique sur plusieurs années, je ressens le besoin de prendre une pause avant d’entamer le second cycle. Arrêtons ce train voyageant depuis 2012, dirigeons le vers d’autres horizons. L’année prochaine je compte prendre une année de césure pour voyager aux côtés de Sarah, une camarade de classe depuis ma licence 1. Notre parcours commencera le 26 Aout par le Pérou puis d’autres destinations nourriront nos sens. Dans un même élan, reprendre le sport serait idéal pour mon épanouissement personnel. Pour reprendre les mots de Rudy Ricciotti, «l’architecture est un sport de combat» que j’aimerai stopper avant le reprendre le second round.

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Bibliographie BLANQUART, Paul, mai 2004. Une histoire de la ville Pour repenser la société. La Découverte Poche, n°59 BUCKMINSTER, Fuller, octobre 2009. Manuel d´instruction pour le vaisseau spatial «Terre». Éditeur : Lars Muller CALVINO, Italo, juin 2013. Les villes invisibles. Éditeur : Gallimard DUPRAU, Jeanne, novembre 2008. La cité de l’ombre. Éditeur : Gallimard jeunesse EDWARD T. Hall, mai 2014. La Dimension cachée. Points Essais, numéro 89 LIEBARD, Alain, mars 2006. Traité D’architecture Et D’urbanisme Bioclimatiques. Éditeur : Le Moniteur NIEMEYER, Oscar, décembre 2007. Permanence et invention entretien. Éditeur : Le Moniteur SIGFRIED, Giedion, décembre 2000. Construire en France Construire en fer Construire en Béton. Éditions de la Villette

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