LE JOUR DU DÉPASSEMENT PROJET DE FIN D’ÉTUDES DU MONDE Yohann HUBERT
ENSAL-2018 DEM ALT’
État d’esprit Un « projet de fin d’études », quelle fonction macabre pour qui l’étude est la vie, pour qui l’étude est un monde ; mon projet sera un projet de fin du monde, sa célébration en tout cas. La fin du monde n’a rien d’extraordinaire, l’apocalypse advient tous les jours pour ceux qui scrutent le réel. Pour ceux-là même, le monde est immonde: instable par le renouvellement continue que le regard lui porte, par le dévoilement des exactions du pouvoir. Alors la catastrophe n’est pas l’effondrement de ce monde, figé, ordonné, stable, mais sa continuation, sa « durabilité » en sommes. À ce titre, l’architecture a toujours été catastrophique, c’est là la moindre de ses « qualités ». Je veux dire qu’elle est instrument de pouvoir. En conséquence, la conquête de l’architecture passe par la conquête du pouvoir. Il faut différencier le pouvoir et la puissance. Le pouvoir est le pouvoir de « faire faire ». La puissance est la puissance de « faire ». Je hais le pouvoir, j’ai soif de puissance. Dans un monde où le pouvoir fait par la violence, la non-violence est non-puissance, impuissance. La violence contre le pouvoir de « faire faire » ne pose pas la question de sa légitimité, mais la question de sa forme. Quand le pouvoir est économique, la violence est dépense improductive.
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
XI
Étincelle
Juillet 1518
Malgré l’imploration de son mari, Madame Toffea ne peut s’empêcher de danser. Six jours et nuits durant, ses membres convulsent et s’agitent dans tous les sens, elle tape le sol de ses pieds ensanglantés, ses bras se balances et se tordent à la limite de la rupture articulaire, son visage déformé par la douleur et la fatigue. Son fardeau s’étend, 50 puis 500 malheureux la rejoignent dans ses convulsions, plus une rue étroite de Strasbourg n’échappe au spectacle macabre de la manie dansante. Plus d’un mois durant, ils se tortillent tels des asticots blancs sur une charogne, on dit qu’il en meurt une quinzaine chaque jour, de crise cardiaque ou de déshydratation. Pour contenir l’épidémie, la noblesse inquiétée requiert l’avis des spécialistes, ceux-ci rejettent les causes astrologiques ou surnaturelles, annonçant que la maladie est due à un sang trop chaud, le traitement est tout trouvé : « Il faut soigner le mal par le mal. S’ils veulent danser, eh bien qu’ils dansent ! ». Sur la place de la cathédrale, sous l’œil bienveillant du seigneur, les autorités font construire une estrade et engagent douze musiciens professionnels pour rythmer nuit et jour, les pas des convulsionnistes, ils ont « le regard vague ; le visage tourné vers le ciel ; leurs bras et jambes animés de mouvements spasmodiques et fatigués ; leurs chemises, jupes et bas, trempés de sueur, collés à leurs corps émaciés » écrira John Waller des années plus tard. Attirer par le son des des cornemuses, violes et tambourins, c’est bientôt toute la ville qui s’attroupe autour des « fêtards », entendant bien profiter de ce spectacle gratuit. Ainsi exhibé, le virus se repend de manière exponentielle. Fin juillet on change de stratégie, les estrades sont démontées et les musiciens débauchés, mais les danseurs poursuivront encore plusieurs semaines jusqu’à ce qu’une cérémonie en l’honneur de Saint-Guy les délivre. XII
XIII
XIV
XV
Essence L’épidémie dansante de Strasbourg de 1518 n’est pas un cas isolé, plus d’une vingtaine d’épisodes comparables sont répertorié entre le 13e et 17e siècle. On ne connaît pas les causes précises de ces évènements qui résistent à l’explication médicale. Il pourrait à la foi s’agir de chorée épidémique ou d’une consommation d’ergot de seigle contenant de l’acide lysergique (LSD). Par delà l’atmosphère tragicomique qui s’en dégageant, c’est le potentiel métaphorique du comportement des spécialistes qui m’intéresse. Transposé aux temps modernes et actuels, l’évènement questionne la vacuité de nos discours et actions face à la démesure des crises que nous traversons. L’impuissance de ces danses macabres que sont ces nids de spécialistes, l’économie, la technologie, la politique. Mon projet se présente comme un immense carnaval, se déroulant chaque année le jour de jour du dépassement (overshootday) pendant un mois. Catharsis et purge libidinale, dans la pure tradition artistique macabre du moyen âge, soupape de dépression d’une société qui perd les pédales. L’architecture est un personnage parmi tant d’autres, objet de dépense somptueuse, elle s’incarne en un immense palais incendié pour célébrer le jour d’après, celui du début de la vie à crédit. Que voulons-nous vraiment? Accumuler du fric? Ou en cramer dans un immense feu de joie? Que souhaitons-nous vraiment? Construire des palais ou en incendier?
XVI
XVII
XVIII
XIX
XX
XXI
XXII
XXIII
XXIV
XXV
XXVI
XXVII
XXVIII
XXIX
XXX
XXXI
Dépense Le défilé du jour du dépassement se concrétise comme une dépense somptueuse, un pur don, sans retour. Je crois que c’est dans la dépense que l’architecture existe, quand bien même celle-ci revêtirait le masque de l’utile, comme ce fut le cas pour le mouvement moderne, l’architecture ne peut s’épuiser dans sa fonction servile. Il y a toujours une part, même infime, de non utile. L’inutile cependant a toujours eu un rôle primordial (inconscient) à jouer dans l’économie générale des sociétés. Ainsi George Bataille (1897-1962) dans « la part maudite » (1949) identifie deux parts dans l’action humaine. La première calculable, réductible, optimisable, représente l’usage minimum nécessaire de l’énergie, à la survie, à la reproduction ou à la croissance d’un organisme ou d’une société, c’est la part utile, la technique au sens restreint. Cependant, l’énergie écrit Bataille, est toujours en surplus. Nous pouvons attribuer ce surplus au choix à la croissance, lorsque c’est encore possible, ou à la dépense: la « part maudite ». Le sens de la « part maudite » est extérieur à la survie de l’espèce, elle donne un sens à l’existence, à la vie. Elle peut prendre de nombreuses formes, dont on pourra dire qu’elles font culture. Le luxe, le deuil, les arts ou l’érotisme, la construction de monuments somptuaires. Mais si d’aventure nous refusions la dépense, celle-ci adviendrait quand même, car il y a des limites à ne pas dépasser, ainsi les guerres, les pénuries, l’épuisement du milieu rééquilibrent la croissance et la dépense. L’architecture est un érotisme, elle ne s’épuise d’aucune façon dans la reproduction mécanique de l’espace.
XXXII
XXXIII
Table des matières II. Présentation finale de PFE, Lyon 27 juin 2018. III. État d’esprit, texte. IV. Grand défilé de la Croix-Rousse, encre sur calque, 70x90 cm .
V. Manège du défilé, système motorisé, H50cm. VI. Mise à feu du palais place Bellecour, encre sur calque, 70x90 cm.
VII. Le palais en flamme rétabli l’équilibre cosmique, encre sur calque 70x90 cm.
VIII. Artefact, plâtre, argile, feuille d’or, balsa. IX. Buffet macabre, encre sur Canson 240g, 40x60 cm. X. Machine à tisser des bandages en musique, encre sur Canson 240g, 30x40cm.
XI. Jardins en vis d’Archimède, encre sur Canson 240g, 30x40cm.
XII. Étincelle, texte. XIII. Le jour du dépassement, photomontage de peintures de Brughel l’ancien et Brughel le jeune.
XIV. Palais, maquette samba et plâtre, 60x60x45cm. XV. Palais incendié, maquette en feu.
XVI. Essence, texte.
Péché de chair, encre sur Canson 240g, 40x60 cm.
XVII. Coupole en assiettes, encre sur Canson 240g, 40x60 cm. XVIII. Plan du Palais, peinture céramique. XIX. XXIII. Buffet macabre, photomontage vanités et natures mortes.
XX. Hammam en cheminée nucléaire, encre sur Canson 180g, 20x30 cm.
XXI. Artefact, plâtre, argile, feuille d’or, balsa. XXII. Le supplice du taureau et profile de poutre en bourses, encre sur Canson 180g, 20x30 cm.
XXIV. Pasiphaé, encre sur Canson 180g, 20x30 cm. XXV. Cocktail home, peinture céramique. XXVI. Le grand complot, encre sur Canson 240g, 40x60 cm. XXVII. Palais place Bellecour, peinture céramique. XXVIII. Conquistador, encre sur Canson 240g, 40x60 cm. XXIX. Briques de Corps compactés, encre sur Canson 180g, 20x30 cm.
XXX. Orfièvre & clous, encre sur Canson 180g, 20x30 cm. XXXI. Dépense, texte.
«Je n’ai rien compris, mais c’est génial ! » Le jury Lyon, 28 juin 2018
«C’est un projet très conventionnel.» William Hayet, mon directeur d’étude.
Yohann HUBERT Architecte (DE) Tel: 07 88 22 16 80 Mél: hubert.yoha2n@gmail.com