DÉBAT SURVIVALISME OU LE BUSINESS DE LA PEUR
SURVIVALISME OU LE BUSINESS DE LA PEUR PAR
JAAFAR SIJELMASSI
La perception d’un avenir incertain face aux enjeux écologiques, démographiques et les perspectives de guerres ou d’effondrement économique globalisé a donné naissance au mouvement « survivaliste ». Ces adeptes se préparent d’ores et déjà à survivre dans des conditions post-apocalyptique. Leur postulat est qu’une catastrophe (nucléaire, climatique, guerre civile...) est inévitable et que seuls ceux qui sont déjà préparés individuellement ou en groupe pourront survivre et peut-être recréer une post-civilisation. Cette sous-culture née au États-Unis, rassemble des courants variés tels que l’écologie radicale, la décroissance, l’anticapitalisme, le malthusianisme, le messianisme... Les survivalistes se défendent d’être des paranoïaques ou des catastrophistes, mais plutôt des écologistes à la recherche de communautés alternatives où de réelles sociétés utopiques sont possibles. Abreuvés d’images hollywoodiennes, ils appellent de leur vœux cet apocalypse qui rendra possible un monde meilleur qui aura fait table rase du passé. Pour s’affranchir de leur mauvaise image, ils se nomment maintenant les « Preppers », les préparés. Chez eux, le savoir-faire est prépondérant par rapport au matériel, considérant que leurs compétences leur permettront d’être accueillis dans les communautés de survivants après l’effondrement de la civilisation. Ils apprennent donc entre autres à cultiver des légumes, à faire du pain, à soigner des blessures et à construire des abris. Ils sont de plus en plus nombreux à préparer leurs plans de survie et sont estimés à 2 ou 3 millions aux États-Unis selon National Geographic qui consacre
AM.68 NOVEMBRE . DÉCEMBRE 2015
un reality-show à ce sujet. Paradoxalement, les survivalistes sont des surconsommateurs achetant à tour de bras des kits de survies et parfois pour des dizaines d’années de conserves alimentaires et se plaignent de la « dépression pré-apocalyptique » ne voyant pas leurs prévisions se réaliser. On reproche également à ce mouvement sa résignation face à ce qu’il redoute et de chercher égoïstement à survivre seuls, considérant les autres comme des pillards potentiels et ne tentant pas d’influer sur le cours des choses. Souvent présenté sous le prisme du sensationnalisme, ce mouvement interroge fortement l’Architecture face à sa vocation primitive qu’est la protection face à l’environnement hostile, qu’il soit naturel ou humain (grotte préhistorique, kasbah et château fort, gated community). Il est communément admis par les survivalistes que les villes sont les lieux les plus vulnérables et que le salut se trouve dans la ruralité, si possible dans des zones totalement isolées qui offrent la possibilité d’un mode de vie
Jaafar Sijelmassi Architecte
Les survivalistes sont souvent adeptes du « Do It Yourself » et font peu appel aux architectes. Cependant pour les plus pressés ou les plus riches, certains architectes ont flairé le filon et se sont spécialisés dans l’architecture des BAD ou des bunkers.
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Bunkers du célèbre acteur Tom Cruise, évalué à 15millions de dollards
Abri « survivaliste » pour un mode de vie à l’américaine
Genesis Pod, Bunker militaire
Earthships, Architecture post-apocalyptique écologique
autonome et autarcique, l’objectif étant de subvenir aux besoin de la communauté ou de l’individu sans aucun contact avec l’extérieur considéré comme hostile. Les règles de bases de se mouvement sont l’autonomie, l’accès à l’eau et aux terres cultivables, l’accès aux énergies renouvelable, le stockage de conserves alimentaires et de médicaments et la possibilité de se défendre. Ces règles se concrétisent sous la forme de « Base Autonome Durable ». Ces BAD, souvent en haute montagne pour se protéger des séismes ou des inondations, supposent fatalement des constructions auto-suffisantes en énergie où sera privilégié le photovoltaïque à l’éolien car plus discret. Le mimétisme et l’intégration à l’environnement sont des préoccupations majeures de ce mouvement. La grande nécessité vitale est l’accès à l’eau, les bassins de récupérations des eaux de pluies serviront à l’arrosage du potager et pour les tâches domestiques, pour l’eau potable un purificateur sera nécessaire. La BAD est souvent simplement une ferme agricole bunkerisée, où on évite tous les intrants extérieurs comme les engrais pétrochimiques, les pesticides et même les semences. La permaculture et le recours au compost issu des déchets locaux permettent de vivre en cycle court et fermé. Les réserves de semences sont censées également constituer la monnaie d’échange du futur post-apocalyptique. Les plus extrémistes pré-
voient également des refuges en cas d’attaques nucléaires ou d’autres types de catastrophes, ainsi que des armes. Le must face au classique bunker reste l’économique container aménagé et enterré. Les équipement « low-tech » sont privilégiés car ils ne tombent pas en panne et ne demandent pas ou peu d’intervention externe. Les survivalistes sont souvent adeptes du « Do It Yourself » et font peu appel aux architectes. Cependant pour les plus pressés ou les plus riches, certains architectes ont flairé le filon et se sont spécialisés dans l’architecture des BAD ou des bunkers. Le plus emblématique d’entre eux est l’américain Robert Vicino, qui a construit une trentaine de bunkers d’une capacité d’accueil de 50 à 1 000 individus et qui sont censés résister à toute catastrophe pendant au moins un an. Son business anxiophile est florissant, le droit d’entré aux bunkers est de 50 000 dollars. Sa démarche marketing, basée sur la peur du lendemain et sur le mythe de l’arche de Noé, a permis à sa société d’engranger des dizaines de millions de dollars et de faire des adeptes partout dans le monde ; il a même entrepris de séquencer et de conserver tout l’ADN du monde vivant.
quotidien. Cependant quelques riches particuliers demandent discrètement à leurs architectes de prévoir des refuges enterré ainsi que des systèmes de surveillance et de protection quasi militaires. D’autres regroupent leurs maisons de campagne en recréant des communauté par affinités amicales ou familiales au beau milieu de rien. Ce mouvement élitiste de retour à la terre est souvent motivé par des envies de calme, de quiétude, de choses simples, de vie saine et, consciemment ou inconsciemment, une solution de repli face à une vie citadine considérée comme de plus en plus hostile. Il n’existe pas d’études sur ce sujet au Maroc. Mais la peur d’une troisième guerre mondiale et / ou de l’effondrement économique et / ou écologique et l’idéologie néo-darwinienne se propage partout dans le monde. Jaafar Sijelmassi
Au Maroc, le survivalisme fait peu d’adeptes, la survie étant déjà un concept palpable au
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