Le patrimoine, des métiers d’arts et des hommes
OCTOBRE - NOVEMBRE - DECEMBRE 2010 - JANVIER 2011 • AM 49
ARCHITECTURE DU MAROC
AM ARCHITECTURE DU MAROC EDITION SPECIALE
Le patrimoine, des métiers d’arts et des hommes Faculté Polydisciplinaire de Taroudant Concours : Le musée national de l’archéologie et des sciences de la Terre à Rabat Le centenaire Dottore Dominico Basciano, un patrimoine vivant Les greniers collectifs marocains La geste de Mohammed Chabâa
OCTOBRE - NOVEMBRE - DECEMBRE 2010 - JANVIER 2011 . Prix : 120 dh / 20*/ 25 $ CAN / 20 $ us / 50 fs
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Architecture
L'eau, fil d'Ariane de la culture de Tamesloht
Un projet d'éco-musée sur la mémoire de l'eau de Tamesloht est en gestation. Il devrait redonner vie à ce village au riche passé historique. Le centre des mémoires de l'eau à Tamesloht a pour vocation de mettre en valeur ces systèmes hydrauliques, présentant ces techniques ancestrales en tant que patrimoine de l'humanité. Dans ce cas précis, il sert de moteur de développement durable. C'est-à-dire qu'il prend en compte les facteurs sociaux, économiques et écologiques du lieu. Sous la houlette de l'architecte Amine Kabbaj, plusieurs intervenants créent une spirale positive qui utilise l'animation culturelle et la restauration du patrimoine pour valoriser Tamesloht, pour toujours...
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itué à 20 km de Marrakech, Tamesloht est un village qui concentre un patrimoine architectural, religieux, culturel, agricole, artisanal et hydraulique exceptionnel. Il aurait été fondé au XIIIe siècle par les Almohades et a connu, tout au long de son histoire ancienne, une importance cultuelle de premier plan dans la région. De nos jours, il est difficile d'imaginer que ce petit village d'environ 20.000 âmes, miné par la pauvreté, abritait 16 mausolées durant le XVIe siècle, et était une région verdoyante, riche et d'une culture populaire vivace. Son histoire est d'abord celle de la Zaouïa de « Tamesloht », attachée à la personne de son fondateur Abdellah
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L'eau, fil d'Ariane de la culture de Tamesloht
Sanctuaire du fondateur de la ville Abdellah Ben H’ssayn.
Ben H’ssayn. Son identité est multiple. Berbères, Arabes, Sahraouis, Gnaoua ont fait de ce village à sa glorieuse époque une sorte de tour de Babel. L'agriculture de l'olivier, l'artisanat et le tourisme résiduel de Marrakech constituent aujourd’hui les moteurs économiques d'une population faiblement qualifiée mais dont la société civile est exceptionnellement active. De plus, conscients du potentiel que pourrait représenter le patrimoine en général, en termes d'attractivité culturelle, de nombreux acteurs se sont mobilisés. L'association Tamesloht 2010 et son président Amine Kabbaj ont initié de nombreux projet de développement dans l'agriculture, l'artisanat, la mise en valeur du patrimoine... A titre d'exemple, début janvier, une convention de partenariat pour la création du « centre des mémoires de l’eau a Tamesloht » a réuni le directeur de l’Office régional de mise en valeur agricole du Haouz avec les présidents des associations Tamesloht 2010 et Al Majal, le président de la commune rurale de
Les seguias transportent l'eau, symbole de vie et de richesse, là où on en a besoin. 107 — AM 49 • OCTOBRE - NOVEMBRE - DECEMBRE 2010 - JANVIER 2011
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Centre des mémoires de l’eau à Tamesloht
Légende
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Les tours élévatrices d'eau, une exclusivité mondiale de Tamesloht..
Tamesloht, le président du Centre méditerranéen de l’environnement, avec le soutien de l’Union européenne. La « mémoire » hydraulique de ce lieu est singulière et explique en grande partie sa riche histoire. Ce centre permettra de conserver un système de rétention et de distribution de l'eau, ancien et ingénieux, constitué de seguias, de bassins, de norias, de khettaras et surtout d'un fameux système inventé à Tamesloht au XIXe siècle : les tours élévatrices d'eau. Ces tours sont basées sur un procédé ingénieux et unique dans les annales de l'hydraulique, et jusque-là passé inaperçu. Il s'agit de 13 colonnes de 10 m de hauteur (voir illustration) qui agissent comme des vases communicants et permettent grâce à la gravité d'arroser palais et jardins. Autre dispositif, les seguias bien que rudimentaires permettent d'alimenter en eau 75% des surfaces irriguées du Haouz, soit 100.000 hectares. Leur principe reste des plus simples : détourner l’eau superficielle, c'est-à-dire les eaux de surface, dans des canalisations à ciel ouvert jusqu’aux cultures. L'un des intérêts des seguias est la « gestion sociale » de ce que l’on appelle un « tour d’eau », c'est-à-dire que chacun 108 — AM 49 • OCTOBRE - NOVEMBRE - DECEMBRE 2010 - JANVIER 2011
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Centre des mémoires de l’eau à Tamesloht
dispose d’un temps imparti pour irriguer ses parcelles. La durée et le débit dépendent des saisons, des périodes de crues et d’étiages. Le Centre des mémoires de l'eau à Tamesloht a pour vocation de mettre en valeur ces patrimoines de l'eau, évitant certainement la perte de ces techniques ancestrales. Un des principaux objectifs étant que le Centre devienne aujourd’hui et à long terme, un repère vivant pour les habitants, les visiteurs et les hommes de science ainsi qu’une nouvelle empreinte dans l’histoire de l’eau de la région de Marrakech-Tensift-Al Haouz. Il est primordial pour le monde rural, avec ce genre d'initiative, de maintenir ses populations sur
place en leur fournissant une activité et en leur faisant prendre conscience de la valeur de ce que leur ont laissé leurs ancêtres. Le patrimoine en particulier architectural ne doit plus être quelque chose de figé, appartenant au passé, mais au contraire, il devrait jouer pleinement son rôle de transmetteur de savoir culturel, technologique et historique aux générations futures. Il ne s'agit pas de vieilles pierres plus ou moins prestigieuses, mais une bibliothèque nous renseignant sur nos identités. Il aura fallu attendre la mode du développement durable et l'intervention du Roi pour nous rendre compte que le patrimoine doit être mis en valeur pour ce qu'il est, mais aussi pour son potentiel économique. Dans le cas de Tamesloht, on fait d'une pierre deux coups, car c'est un patrimoine qui appartient au présent. C'est-à-dire que les seguias, les khettaras, les norias et les tours élévatrices d'eau sont encore en partie utilisées pour l'irrigation. ■■
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Jaafar Sijelmassi