HETERONYMÛ - jour zéro CE QUE JE SAIS DE CE QUE JE FAIS François Belsoeur / Camille RémondPetiot / Robert Filliou / Mark Rothko Odile Leguillon / Frédéric Vaysse Maxence Alcalde / Delphine Leblond Jean-Michel Basquiat / Jean Dubuffet Arthur Rimbaud / Sören Kierkegaard Angèle Del Campo Edouard André Chevalier / Louis-Victor Angué
le vif du sujet - il vaut mieux parfois commencer par le tome 3. Réunir – concilier, en somme – Rothko et Filliou, et pas se contenter d’une saisie puis déplacement (copier puis coller) ; trouver la substance des deux (mieux que ça). L’hétéronyme me pose alors un vrai problème : son indépendance supposée (de principe) par rapport à mes propres préoccupations (et tics, réflexes, « identité » c’est tentant) en éloigne le rendu de mes propres exigences. On y est : faire autre chose, autrement – mais dès lors, qu’en faire ? Résoudre alors : c’est toujours Mark et Robert, ces deux tendances – l’art défini par la vie, la vie définie par l’art (pas la même chose, mais appartient-ce au journal ou aux déductions critiques – problème d’intitulé, on en trouvera beaucoup à mesure du projet). Matériau ? C’est l’expérience, d’abord – ceci appartient au journal – mais c’est le produit, aussi. Je sais exactement ce que je veux en faire, la question qui perdure est celle du comment, du jusqu’où. (A quoi bon/Pourquoi pas/Et alors. S’il fallait un manifeste ZA) C’est la Fête permanente, avec tout ce que la proposition implique d’éreintement. Je ne sais si j’ai les épaules, c’est toujours pour cela que je m’entoure. Et puis trace (évidence), et puis observation (journal) et puis déduction (textes) ; et ensuite, projection (espace), réflexion (geste surtout). Que la machine tourne seule, en réflexe, en dehors de moi. Pas l’habitude de cette écriture. Comprimer, raffiner (pas glisser : mordre), c’est l’habitude ; ici, tentative, c’est tout lâcher. Mettre trois chiffres dans l’intitulé ? Quatre ? Faire une tache par jour, à l’encre et à la cuillère, sur un format diapo. C’est la première pièce déclenchée par la structuration du projet – elle est pour moi. Pour qui celle-là ? Remplacer la linéarité du service par âge par la simultanéité d’un organigramme sans cesse augmenté. Cesser d’employer augmenter. Alors, c’est ça la forme ? « La » forme. « Le » geste. C’est ici Rothko : aller vers l’unité – pas l’universel (demander à Deleuze, enfin, l’écouter). Est-ce que j’y retoucherai ? Dois-je me le permettre ? Est-ce honnête ? «C’est l’honnête homme qui court le mieux» quel est le nom de cet artiste, déjà ? Oublier même ceux qui viennent de la machine, choisir entre
érudition et construction, inventer les verbes progressivement, selon le besoin – et au besoin, les faire chair. Une notice ? A quel point expliquer, raconter ? C’est le défi, ce nœud à résoudre, donc : qu’il y ait à penser, mais tout d’abord à voir. C’est un projet de con de peintre, en deuxième série panique d’une réflexion effrayée d’être trop loin, trop précise, trop coquille. Si votre film plaît à tout le monde, c’est qu’il est raté ; s’il ne plaît qu’aux gens qui vous entourent, c’est presque pire – un texte dans une toute petite langue, qu’ils sont trois à maîtriser (et que je ne suis pas sûr de vouloir parler).
(DÈS LE GAZON TONDU, ALLER CREUSER LA TERRE)
Identité et légitimité (est-ce bien pour ceci que je commence cela ?) Quitte à admettre une image – marque – d’artiste, il faut creuser chaque question, être certain de la définir plutôt que de la subir. Contrôler le contexte du geste, sans figer le geste lui-même. Donc : se confronter à tous les tournants, et par culpabilité productiviste ou angoisse de la paralysie/linéarité, concevoir les réceptacles (artistes fictifs) pour explorer les pistes ainsi évacuées. Il n’y a aucun problème avec la variation (geste nouveau, motif récurrent) – ou avec la copie ; le photocopisme nous renvoie à la question – qu’est-ce que ça vaut si je peux le faire aussi ? J’entends : si j’ai la capacité technique de le faire, que me reste-t-il à admirer ? D’où, problème : a) défendre la technique tapie des formes simples (l’élaboration d’un monochrome, la conception d’une performance) ; mais ce que l’on défend, c’est toujours une légitimité technique. Alors même que l’on pourrait dire b) la technique n’est pas indispensable, certaines pièces n’en ont simplement pas l’usage. Au risque d’arriver à c), où l’on abolit la notion de progrès plastique. Il y a un petit saut, je vous l’accorde voisin, mais on y vient : oui à la technique, ce n’est pas parce qu’on ne la voit pas, mais on se goure de combat (je crois) ; bof à la technique, c’est un outil, passer par un tiers ou s’en passer tout court ; non à la technique, nous sommes libres de tout sous-vêtement, le XXème siècle a transformé la création et c’est un crime contre l’art de prétendre le maîtriser, comme on maîtrise une découpe public de poulet ou les rebonds du jokari, l’art ne se préoccupe pas de démonstrations de savoirfaire, il est la matérialisation d’un regard sur la vie, d’un instinct – le raffine-t-on ? Ou alors on se contente de lui trouver un domaine d’action, un thème, une problématique – que se passe-t-il lorsque l’on trouve une solution? Ou bien lorsque l’on s’ennuie, brusquement (la probable peur de Soulages, se lasser subitement du noir) ? Mais on y vient : si c’est le regard qui prime (le philosophe et le poète, Captain Kierk.), tout chez Proust se vaut, aucune hiérarchie n’est jouable. D’ailleurs, comment différencier ? Un Proust en petite forme (qui vaudrait davantage qu’un autre en surrégime réussi), qu’est-ce que c’est ? C’est le mode d’expression de son angle qui fonctionne moins bien, c’est le thème qui est
fade, ou simplement le mauvais état de la pelouse ? Que faire des œuvres de jeunesse ? Faut-il attendre ses trente, ses cinquante ans pour produire ses œuvres matures ? Tant pis pour Rimbaud, Basquiat – oui mais ce sont des génies, gaffe à la comparaison, putain de toutes proportions gardées. Leur angle était si fameux, et leur instinct si pur qu’il débordait sur le médium, balayant la technique (c’est de la prose, ou les vers sont inégaux, c’est l’énergie, admirez la force naïve – et pan. Tu y croyais, tu y voyais vraiment autre chose et vlan (multiplier les consonnes), revient le même cadre. Klpaw : Jeune c’est naïf – lorsque c’est bien, c’est bien pour ça ; j’aurais voulu voir Basquiat croulant, l’orgueil devenu hauteur, siégeant la semaine à l’académie et tentant, chaque samedi dès l’aube, de peindre comme avant – maintenir la marque, quitte à varier. Mais ça aurait pu mieux finir, il n’y a pas que des sales défaites). Si tes premières œuvres ont la maturité d’un artiste chevronné (mais qu’a-t-il de plus que moi, il n’y a pourtant pas de technique, dois-je simplement attendre?), est-ce qu’il faut alors profiter de ta fin de carrière pour embrasser la naïveté qui patiente ? Dubuffet, tiens – désapprendre la technique qui n’existe pas, le savoir qui n’a aucun impact sur le travail (puisque sinon, on emmagasine, on augmente, on modifie, est-ce que l’on progresserait?)... Soudain je veux aller au bout de la page (je l’aperçois) et j’ai le sentiment de trop tirer, de courir pour courir – c’est agaçant. Je ne sais toujours pas si c’est un journal – les jours sont étirés, tout est plus lent comme dans une scène de combat, comme un alourdissement des genoux : la tête soudain se sent supérieure, mais ce sont encore les bras qui compensent (fais donc quelque chose de ces mains ! Voilà mon tube, où est ta toile?). Voilà déjà une déduction provisoire de l’enquête : il m’est plus facile d’assumer une tache d’encre chaque matin qu’une page quotidienne de «journal» ; je sais que chaque tache compensera l’autre, que leur nombre augmentera leur valeur. Ici c’est surtout le risque de figer les idées, sous prétexte de les évoquer; je cherche, et tout est bon à dire – à lire, c’est moins certain. Ce journal, c’est en fait le travail préparatoire d’un manifeste qui serait prêt dans trente, dans cinquante ans – si je parviens à tomber d’accord avec l’un de moi d’ici là.
LA PLUPART DES GENIES NE FONT RIEN DE LEUR VIE.
HETERONYMÛ - jour zéro CE QUE JE SAIS DE CE QUE JE FAIS FrB