HETERONYMÛ section rythmique
jour
huit
François Belsoeur / Angèle Del Campo Edouard / Ian Curtis / Pierre Alechinsky / Ivan Curticzek / Marius Baur / Henri Michaux / SM Jon-athan Lebourg / Delphine Leblond Frédéric Vaysse / Albert Camus / William Kostrowici / Maxence Alcalde / Anne Kawala / Elise Parré / Iris Lomola Fréhel / Stephen King / Rita Hayworth
Et puis il y a Ivan. Ivans Curtis, qui raconte volontiers qu’il est né Curticzek, que tout ce qui s’ensuit est un choix. Je n’ai trouvé aucun document officiel pour aller dans ce sens (il est malade, ce mec). Il est né le 19 mai 1980, le lendemain du suicide de Ian Curtis, le vrai, le chanteur de Joy Division. Depuis ses seize ans, il bloque sur le parallèle – il a décidé que son but était désormais d’épouser la vie du poète, dont il serait la réincarnation à un v près. Ça a commencé par des reprises – oubliables mais comiques – les évidentes Lvove Wvill Tvevar Vus Vapvart, Shve’s lvost cvontrvol, Vatmvosphverve. Il avait dix-huit ans, revendiquait dans un seul flou ses prétendues origines soviétiques, l’appartenance au néo-post-punk et un statut de poète, en tout cas, de la réincarnation d’un – à un v près. C’est devenu plus fin : ce que le v appliqué aux mélodies change aux chansons, ce que devient une vie sous l’influence d’un v, d’un seul. Puis : du v, partout. Il a traversé une grosse crise aux environs de 2004 – pouvait-il décemment survivre à l’anniversaire ? Devait-il se suicider aussi, un suicide factorisé par v? Et puis non : pas rassasié, il s’est dit que le « v » qui les différencient, que l’époque, c’était une marge suffisante pour changer le cours des choses, et, de la réorchestration, passer à l’invention. La vie telle qu’il l’aurait vécue avec un v. Ivan Curtis, c’est le prestige, le délire total, le doute permanent aussi : jouet-il toujours ? Est-ce un hommage, une façon de se planquer ? Un combat résolu pour la seule lettre v, pour l’idée qu’une seule lettre suffit parfois à tout changer ?
Je me souviens de ce type qui dansait constamment – ni pour qu’on le regarde, ni pour être beau, il devait danser jusque sous la douche, là où normalement, on chante. J’aime me dire qu’il ne savait pas faire autrement, que c’était sa réaction normale aux bruits du monde, à ceux de son intérieur (« ça vous dérange pas trop, le bruit dans ma tête ? »). La vérité, c’est qu’il a dû construire tout ça, mais que comme il ne nous pompe pas l’air pour avoir un public, une validation, un miroir, j’oublie. Je suis ému lorsqu’il traverse la rue, et faire la vaisselle avec lui tient du ballet ; je ne le vois pas souvent, il me tape sur les nerfs à force. SM vit armée d’un dictaphone, elle n’enregistre pas tout, mais se tient toujours prête à saisir le bruit qui la chante. Sur de petites cassettes qu’elle espère bientôt ne plus pouvoir lire, elle entasse les sons de sa vie, les bruits alentours – ça la force à partir à l’aventure (je n’ai pas encore le bruit de la mer sur les galets, la nuit ; il me faudrait un animal qui ronfle), sa vie est totalement réglée par sa collection, qu’elle range dans de longues étagères chez elle à Corfou. Elle fait quelque chose avec constance, puis elle n’en fait rien : ce n’est pas le caillou qui compte, mais les rides à la surface de l’eau. Si quelque part un artiste (ou autre chose) capture de la même façon les odeurs, les passant au montage, ses mixtapes olfactives deviendraient le plus grand outil de production d’images du monde. Le spectateur ferait l’œuvre et personne ne verrait la même – on n’ôte rien à l’auteur, ta vie ne vient ni de ma côte, ni de mon os pénien disparu.
C’est complètement con, de faire un livre d’images sur le son (mais ce n’est pas un livre, sot, c’est une partition) ; il faudra me lire en se chuchotant le rendu.
Au fond, qu’importe le mouvement, il y aura toujours une chaîne hi-fi qui trôde.
Pour être en miettes, il a d’abord fallu que ça craque. Le collectif ZA (groupe artistique latent) visionne un film, à la recherche du son «za»; seuls ces sons sont conservés, les images correspondantes avec - le reste du film est censuré, noir et silencieux. Souvent les flashes l’interrompent, qui chuchotent, mangent ou crient leur «za». L’enjeu est de noircir ainsi tous les films du monde, il faudra probablement tous s’y mettre. Dans l’exposition, les écrans sont partout, indétectables dans le noir - jusqu’au «za» qui éclaire subitement l’espace. Et l’on jurerait qu’une salve se déclenche : les «za» se répondent. C’est très calme et effroyablement crispant. Je me promets toujours d’enregistrer, un jour, les sons de la peinture. Le poc du pinceau sur la toile, le ploc du pinceau dans le pot, le pohk du pinceau qui a mal sêché sur la toile. Les frottements des chaussures sur le sol - ça doit sonner comme une partie de basket solo ; l’huile qui coule, goutte à goutte, devenant déjà croûte - et tous ces sons que je ne prévois pas, mais qui sont là, qui seraient là. Mais j’aurais envie de continuer - à la fin de la journée, la revivre son par son, revoir les odeurs, les corps et les lumières. Et puis j’ai un peu peur que ça me force à respirer autrement, jouer davantage mes gestes pour mieux tirer parti de leur bruit. Il faudrait quasiment s’espionner soi-même (©FredVays) pour éviter le piège de peindre pour le bruit. «En somme, c’est le cinéma que j’apprécie le plus dans la peinture» : parti pour rejoindre Michaux. «Tout ce que je sais de la morale des hommes, je le dois au football» (c’est comme ça maintenant, toute formule nécessite une contre-attaque). Que ça épouse son objet sans pour autant l’étouffer, là. D’un coup je pense à la vibration, la fumée du bruit, les surdités temporaires - comme lorsque l’on ferme les yeux, c’est un bruit ou une couleur qui nous signale qu’il n’y a plus rien. C’est William Kostrowicki qui travaille sur des mots inventés. Je crois qu’il se sert des générateurs de mots de passe - ces textes à imiter, supposés vérifier qu’en face, ce n’est pas un robot. J’ignore comment il parvient à faire ça (ça fait sans doute partie du tour), mais il envoie un même message, ces deux mots qui ne veulent rien dire, à tous les téléphones d’une zone précise - généralement, la galerie (à peu près). C’est très
perturbant, et aussi très beau : toutes les sonneries se superposent, il y a quelques secondes de cacophonie, les sonneries identiques se répondent, les autres s’ajoutent et rapidement, ça décroît : le son s’achève, la cohue tombe, on lit le message. «Incoro Level» ; «ingsimo Secrète» ; «chances heysol». C’est le deuxième son : tout le monde chuchote les mots, les essaie, les mastique. On répète l’opération six à sept fois : à la fin, c’est un petit poème, déjà quasiment un roman. «ablicia 1926» + «1825, Irgatio» - irgassio ? irgattio ? Deux régions, deux villes, deux guerres ? «hecnfor lives» long lives hecnfor, qui est-ce, ce hecnfor ? La pièce devrait s’arrêter là. Pour une raison inconnue, Kostrowicki ajoute au dispositif : des écrans où défilent les mots, quelques néons, une application à télécharger. Et paf, overdose - j’aimais bien quand big brother voulait juste faire des vers. Ça me rappelle aussi la symphonie pour vivre, d’Iris Lomola (elle avait créé les Kafkaian Keys avec ce chanteur qui s’est converti subitement, et a quitté la musique - c’est ça, dès qu’on parle de musique, connexion au détail - tu sais, il ont sorti un bootleg en 1983 c’est introuvable ils reprennent Fréhel ils ont l’air saoûls). Ça s’appelle Gesamt il me semble, ou c’est pas loin. C’est une symphonie qui dure deuxmille huit-cent quatre-vingt-seize minutes et vingt-trois secondes (environ deux jours), composée de plusieurs cycle et conçue pour être écoutée complètement, en poursuivant sa vie. L’œuvre est contenue dans un petit lecteur autonome, doté des sorties nécessaires à l’écoute. Spécificité : lorsque l’on a pressé «lecture», pas de marche arrière, ni de déplacement dans la piste ; une fois lancée, la symphonie va jusqu’au bout. La réception est totale ou n’est pas : l’artiste précise dans une courte note d’intention (voir le petit livret accompagnant l’objet, après le programme suggéré d’activités à pratiquer durant l’écoute - manger des céréales, faire de l’exercice, la vaisselle...) qu’elle voulait une œuvre qui se refuse aux nonchalants, que l’art vrai après tout se mérite. Il me fallait quelqu’un pour occuper cette aile (salut à toi). «Renvoyé à sa condition de zappeur, de consommateur frugal et pressé, l’on se voit néanmoins offert le choix de changer de route, de prêter l’oreille, attentif au son qui n’a pas besoin de venir» en disait l’emphatique Sabrina Ahloul dans les pages du Télégramme.
Moi je dois dire que je trouve ça très bien, et puis c’est une belle métaphore de ces grandes œuvres difficiles pour lesquelles il faut un peu se forcer - les forcer, plutôt. Mon premier réflexe est tout de même de chercher la faille, le mur friable derrière Rita Hayworth : ah elle veut que je l’écoute en vivant ? Si c’est comme ça, je vais tout arrêter et ne faire que l’écouter. J’ai tenu vingt minutes : ça fonctionne comme une deuxième peau, un costume à enfiler deux jours, même la nuit (c’est prévu, le réveil est compris); on l’oublie rapidement. Mais à se concentrer, ne faire que l’écouter, on cherche les bruits, on commence à les imaginer. Je voulais faire un journal du spectateur, enfin, du type qui écoute (du preneur en oreilles ?), noter tout constamment, informations, impressions, implications, j’aurais même pu faire de chouettes schémas avec des losanges, j’aurais fait ça à plat ventre au milieu du salon en tenant les pastels dans mes poings serrés. Ça a fini en dessins de téléphone, sans la conversation. Quand j’ai joué le jeu en revanche, c’est devenu magnifique. Très sobre, quelques accords pour souligner le quotidien : c’est une de ces musiques de film qui transforme chaque pas en course, chaque mot en cri. C’est de l’art pour qui a du temps, certes ; c’est de l’expérience totale, mais limitée à deux jours. C’est un week-end d’évasion - le voilà enfin, cet art qui nous sort des soucis du réel, qui embellit le tous les jours. Je le trouve artificiel, paresseux, lâche puisque trop précis quand courageux ; je suis là pourtant, je le consomme, jidioui. (c’était pas si différent, quel était son nom, l’artiste qui avait fait une peinture peinte de la chaise, à voir de la chaise - grande toile et chaise devant, à gauche (variations: chaise retournée, canapé, tabouret, plusieurs tabourets, par terre) : reconfigurer les modalités de réception de l’œuvre, contrôler soigneusement le fait que chaque spectateur vive l’œuvre différemment, mais du même endroit)/ Je veux qu’on sonne. J’aurais voulu qu’on sonne. Il faudra qu’on sonne. On sonne.
toum toum clsk paow
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HETERONYMÛ section rythmique
jour
sept FrB