tout hasard a besoin d’un rythme
tout hasard a besoin d’un rythme
On l’a vu précédemment, toute œuvre d’art peut être analysée et observée comme un système. Créer de toutes pièces et revendiquer le sien découle donc à la fois de l’acceptation de cet état de fait et d’une mutinerie. En effet, définir précisément les paramètres et les enjeux de sa propre œuvre témoigne d’une volonté de repossession de l’espace créatif, de requalification des possibles. Il s’agit d’un acte non seulement d’émancipation – choisir son système plutôt que de subir celui des autres, définir des relations soi-même plutôt que de les hériter d’une structure extérieure – mais également d’aliénation, puisque, en divisant les possibles, le système ampute une partie du contrôle de l’artiste.1 Un tel état d’aliénation choisie évoque rapidement le domaine du jeu ; l’établissement de lois (règle du jeu) et la reconnaissance de paramètres (espace de jeu, temps de jeu) provoquent l’autonomie de la partie, qui se déroule d’une façon relativement mécanique 2. Cet aspect mécanique, qui conduit au ludique, est une des données essentielles de la création sous système. Le dispositif du jeu forme ainsi un contexte disponible pour le contenu humain fourni par les joueurs ; ce qui fait le sel du jeu, ce sont les actions établies par les protagonistes au creux de la structure, dans les interstices de décision qu’elle ménage3. De la même manière, de nombreuses œuvres fonctionnent comme un canevas, comme un scénario flottant permettant l’expression de l’auteur ou des spectateurs tout en les cadrant.
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tout hasard a besoin d’un rythme
François Belsoeur mémoire de 2° cycle session 2011 du DNSEP Ecole Supérieure d’art du Havre
Kierkegaard, toujours dans la Reprise, définit le poète (par extension, l’artiste, celui-qui-crée) par son «inaptitude d’être au monde», justifiant ce décalage par l’angle du poète sur le monde, qui est ainsi à l’origine de son œuvre comme de son inconfort.1 La pratique de l’hommage, du détournement ou simplement de la reprise d’une œuvre existante participe de cette idée selon laquelle l’artiste existe de par son angle, ses choix. En effet, confronté à la pièce d’un autre, l’auteur effectuera obligatoirement des choix différentiels, dans la limite du système préexistant (exception faite des emprunts) 2. La réorganisation est un exercice largement répandu. D’abord parce qu’il met en évidence la différence entre l’œuvre et sa réadaptation, par un jeu de comparaison et de symbolique, soulignant ainsi les possibles retenus en deuxième instance.3 Il s’agit également d’une forme d’hommage ; lorsque Giraudoux réinterprète Electre, c’est tout autant par admiration personnelle que par envie d’explorer d’autres modalités de l’œuvre, de l’emmener plus loin. La reprise est bien ici une re-création, comme c’est particulièrement évident avec le re-enactment en performance, qui, déplaçant le hic et nunc de la pièce originale, lui donnant une nouvelle activation. On peut citer les travaux de Marina Abramovic et du Performance International Group, qui rejouent un certain nombre de pièces historiques.
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On peut citer les events de George Brecht, descriptions d’actions simples telles que Drip Music (Drip Event), 1959-1962 : « Pour une performance simple ou multiple. Une source d’eau ruisselante et un récipient vide sont disposés de façon à ce que l’eau tombe dans le récipient. Seconde version ruisselant. » 1 Sans être exagérément précis, le texte met en place l’œuvre; la nature exacte de sa réalisation dépend de la personne qui l’effectue, et du contexte dans lequel celle-ci se placera. Motor Vehicle Sundown (Event) (to John Cage), défini en 1960 par George Brecht, imite particulièrement les mécanismes du jeu : dans un contexte défini (« une aire ouverte, relativement sombre, une lumière incidente de 2 candelas au moins »), un nombre quelconque de voitures est réparti, et autant de jeux de cartes réunis. Vingt-deux cartes sont distribuées à « chaque unique interprète par voiture ». Chaque carte équivaut à une instruction du type « son du klaxon », ou encore « feux de position, marche, arrêt », les interprètes exécutant les actions dans l’ordre de la distribution, selon un schéma rythmique défini. L’emprunt au domaine du jeu est ici clairement assumé par l’emploi du jeu de cartes, et le concert qui résulte de l’event est à la fois très organisé et totalement imprévisible. On peut également noter que le fonctionnement de base du jeu de société, dans lequel les règles sont les mêmes
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système ?......................................page 5 le pourquoi du système.......................13 autour de la case vide.......................26 hasard ?............................................45 conclusion........................................58 bibliographie....................................61
Pour François Morellet, la définition préalable au geste d’un ensemble logique de relations et de contraintes contribue à diminuer la part de choix de l’auteur. Depuis les années cinquante et ses premiers travaux, l’artiste français explore les possibilités de variation au sein d’un cadre qu’il adopte et décrit explicitement dans le titre de la pièce. 6 répartitions aléatoires de 4 carrés noirs et blancs d’après les chiffres pairs et impairs du nombre π, 1958, semble par exemple transparent quant au système qui le fonde. La pièce consiste en une série de six toiles de 80x80cm, découpées en quatre carrés de 40x40cm que l’artiste peint tour à tour en blanc ou en noir, sans forcément égaliser les couleurs.1 La série comporte donc deux monochromes, un blanc et un noir, une toile dont les carrés du haut sont blancs, ceux du bas noirs, et enfin quatre tableaux où les couleurs sont déséquilibrées – trois carrés noirs pour un blanc, etc. La règle exprimée dans le titre offre à Morellet un nombre fini de combinaisons, évoluant ainsi avec une forme d’autonomie. Une des revendications de Morellet est d’ en « faire le moins possible » 2 grâce à l’adoption du système. Il s’agit pour lui de rompre avec la vision romantique de l’artiste – paradoxalement, la structure divise les choix, mais les met en valeur ; pour Morellet, c’est une forme de « contradiction volontaire », qu’il assume en explorant consciencieusement les variations permises, ou plutôt proposées par le système qu’il met en place.
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SYSTEME ?
L’art peut être dans tout, même dans un rien1 . Alors on pose des règles avant tout geste, sous peine d’être consumés par le vide, pétrifiés par l’espace vierge : ce sera de la peinture, je l’organiserai ainsi, il faudra que ça fonctionne de cette manière. La page blanche peut également être considérée comme un espace trop plein de possibilités, au sein duquel il s’agit de faire le tri, par la définition a priori de relations. Au final, l’institution de cet ensemble de données virtuelles, de décisions intellectuelles prises au préalable de l’action effective, composant un système appartenant au langage, pas encore à la forme, permet de segmenter le vide, de circonscrire une zone d’étude, d’action, d’expérimentation; diviser pour mieux régner, en quelque sorte. Le livre de J.L. Austin, Quand dire, c’est faire, paru en 1962, définit l’énonciation performative en opposition à la phrase constative : le performatif ne décrit pas, il fait l’action, il en est l’initiateur. Ce terme est notamment utilisé dans l’analyse de la performance artistique, pour décrire la stratégie d’action préalable à la mise en mouvement.2 Il est toujours question du pouvoir dans l’élaboration d’un système ; cet ensemble de variables définies par l’artiste devient ainsi une forme de machine, avec son autonomie de fonctionnement, qui dépossède l’auteur d’une partie de son contrôle – son pouvoir – sur la pièce.
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Système, nm : ensemble abstrait d’éléments coordonnés par une loi, une doctrine, une théorie. Du grec sustema – ensemble, organisation / du verbe « mettre en rapport » - ensemble de relations différentielles interdépendantes
Le structuralisme a appliqué la notion de système à des domaines tels que l’anthropologie (Lévi-Strauss), la sémiologie (Barthes) ou encore la psychanalyse (Lacan). L’étude d’un objet comme ensemble de relations peut également concerner les arts ; Gilles Deleuze, dans son article A quoi reconnaîton le structuralisme ?, évoque notamment la relation entre art et système, tout en dégageant les critères fondamentaux qui font qu’une structure fonctionne en tant que structure. Ces critères recensés par Deleuze sont au nombre de six 1 : premièrement, le système fonctionne à trois niveaux, réel/ imaginaire/ symbolique ; deuxièmement, il définit l’espace en places, qui sont premières par rapport à ce qui les occupe. Trois : il inclut une dimension différentielle, découlant de la relation entre les places. Quatre : ces relations introduisent la virtualité et le rapport au possible de la structure. Puisqu’elle est différentielle, elle est également sérielle (cinq). Enfin, sixième point, le système doit obligatoirement fonctionner autour d’une case vide, une place qui « manque à sa propre identité ». 5
POURQUOI LE SYSTEME
LE POURQUOI DU SYSTEME
Cette case vide évoque le taquin, ce puzzle aux pièces carrées dont une est extraite afin de permettre le coulissement des autres. Tous ces paramètres définissent un fonctionnement du système en tant que machine mentale ; pratiquée par les artistes, l’élaboration d’une structure a des conséquences visuelles. « d’une réalisation à l’autre, l’œuvre est méconnaissable tout en étant parfaitement identifiable en tant que peinture et mur de la même couleur ; ses différentes caractéristiques changent, certes, mais la nature du travail est permanente, c’est même son renouvellement perpétuel qui en garantit la constance. » 1 L’œuvre de Claude Rutault, qu’évoque Ghislain MolletViéville ci-dessus, semble une illustration presque trop évidente de la notion de système créatif. Depuis 1973, l’artiste a en effet adopté un ensemble de contraintes qui régissent son travail. Tout d’abord, les définitions/méthodes (d/m) qu’il écrit et utilise depuis cette date, sont des descriptifs textuels du protocole de la pièce. De plus, la première d/m introduisait une contrainte fondamentale dans le parcours de l’artiste, puisqu’il continue de la respecter strictement depuis : peindre la toile de la même couleur que le mur sur lequel elle est accrochée.D’apparence simple, cette règle ouvre un champ de possibilités immense que Rutault ne cesse d’explorer depuis que, rénovant sa cuisine, il repeint en même temps un petit tableau et le mur sur lequel celuici est suspendu.
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C’est le cas de beaucoup de « survivants » des mouvements des années 60 – Claude Rutault, on l’a vu, mais aussi Vera Molnar, Pierre Soulages, François Morellet ou Roman Opalka, dans les travaux desquels la contrainte est largement présente. On la retrouve aussi chez d’autres artistes plus jeunes, tels que Jonathan Lasker, Philippe Parreno ou Simon Starling. C’est ce type d’artistes qui nous intéresse ici spécifiquement, dans la mesure où ceux-ci sont conscients de la part systématique, de l’enjeu de la contrainte et des règles dans l’élaboration de leurs pièces. Nous allons tenter de mettre en lumière les raisons qui poussent à utiliser cette pratique, ainsi que son utilisation et fonctionnement précis, en évoquant certaines œuvres des artistes précités, tout en convoquant également les travaux de cinéastes, d’écrivains ou de metteurs en scène.
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De cette expérience a priori dérisoire, l’artiste a tiré une règle puissante, dans la mesure où elle le pousse à rechercher chaque variation possible. Ainsi, la toile montrée en galerie, sur fond blanc, sera blanche; achetée par un collectionneur, elle devra être repeinte de la même couleur que le mur de celui-ci, gagnant une « seconde jeunesse », une restauration par la transaction. Avec les d/m, Rutault met en évidence le programme sous-jacent qui chez lui précède l’action ; elles décrivent une œuvre potentielle par l’instauration d’un cahier des charges. En 1996, Rutault propose, via une affiche, de vendre « des toiles à repeindre de la même couleur que le mur » : l’instauration de règles et de relations préalables à l’action lui permet ainsi de déléguer celle-ci, d’expérimenter la différence entre application du système par l’artiste, et par un autre, comme lorsqu’il offre à divers créateurs de s’approprier ses définitions/méthode, en 1983. Plus récemment, Claude Rutault a débuté la série des Peintures-Suicide, série de toiles dont la surface diminue au fil de la série, et dont le prix augmente à mesure qu’elles rapetissent. Ce principe décliné a donné, en 2011, l’Expositionsuicide à la galerie Emmanuel Perrotin, où un lot de toiles étaient en vente, un tableau étant retiré et détruit du lot à chaque nouvelle enchère. L’artiste nourrit également, en plus des d/m relativement chirurgicales, une activité d’écriture plus narrative et
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enseignements/instructions liés à l’histoire de sa pratique et à son environnement, toute œuvre est alors nécessairement un ensemble de relation entre les thèmes, les formes, les idées qui la composent et qui en découlent ; le musée institue un rapport de place et de différentiel entre l’œuvre, l’artiste, le regardeur.1 A partir des années soixante, le système créatif a acquis ses lettres de noblesse artistique, au travers de travaux de groupes assumant et utilisant sa présence, tels que l’OuLiPo 2, le GRAV ou encore Fluxus. Le terme même d’art systématique renvoie désormais à cette même période. Ainsi, depuis plusieurs décennies, on ne parle plus de système, mais de contrainte, ou de protocole. L’usage du système est devenu gazeux 3 dans l’art contemporain. Toute œuvre d’art peut faire système ; a posteriori, l’analyse saura trouver les enjeux, règles et éléments interdépendants dans n’importe quelle pièce.4 Qu’elles proviennent de l’extérieur (académies, avantgardes) ou de soi (obsessions 5 , convictions), qu’elles soient reconnues ou ignorées de l’artiste ou du public, les contraintes font toujours partie intégrante du travail. Toutefois, il n’est sans doute pas pertinent d’envisager toutes les œuvres d’art sous l’angle du système, et c’est pourquoi nous ne nous intéresserons ici qu’à des travaux d’artistes qui revendiquent son usage.
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poétique, ainsi que dans son livre n°1 bis – le môme vers le gris. Cette écriture, à la fois austère et astucieuse, met en lumière la poésie et l’ironie de son œuvre plastique, qui est bien plus qu’une recherche formelle clinique. Rutault interroge la peinture, l’exposition, la représentation, la restauration ; mais il démontre aussi l’incroyable vitalité d’un système qui paraissait pourtant voué très vite à l’épuisement. L’œuvre de Claude Rutault est faite de contraintes et de relations, et le revendique. Elle nous invite alors à nous poser une question plus fondamentale qui s‘adresse à l‘art en général: toute œuvre, même la moins explicitement systématique, est-elle réductible à un système ? Peut-on, à partir de n’importe quelle pièce, établir l’ensemble structurel qui la dessine, cet ensemble existe-t-il seulement ? Tout peut-il faire système ? Si longtemps l’artiste a cherché le beau, le vrai au travers de ses gestes, il l’a fait selon certaines règles (différentes selon l’époque : on parle ici des « règles de l’art ») : l’usage rigoureux des mathématiques dans les constructions en perspective, dès le début de la Renaissance ; les compositions de tableaux calculées selon le nombre d’or, le choix des sujets, etc. Cette conception codifiée de la création instaure un rapport différentiel entre toutes les œuvres produites, celles-ci apparaissant chacune comme
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une variation effectuée par l’auteur au sein du système de relations établies par l’Académie, l’Eglise, les mécènes ou commanditaires.1 La situation n’est pas différente à l’aube du vingtième siècle, avec l’émergence des avant-gardes, souvent extrêmement hiérarchisées, bâties autour d’un cercle restreint de personnalités fortes (Picasso/Braque pour le Cubisme, Mondrian/Van Doesburg pour De Stijl , Man Ray/ Picabia/ Duchamp pour Dada) 2. Réunies par une vision de l’art commune, les personnalités qui composent ces mouvements produisent logiquement des pièces assez semblables, puisque régies par un ensemble de règles et de relations identiques, pour la plupart exprimées clairement dans un manifeste. La différence étant que désormais, la structure codifiée qui intervient avant l’acte artistique est défini par les artistes eux-mêmes, non plus par un ordre « extérieur ». Bien entendu, tous les artistes appartenant aux avantgardes ne sont pas des automates appliquant simplement un programme préétabli par telle ou telle tête pensante. On pense néanmoins à Picasso3 , débarquant à un salon cubiste et qui déclare « je croyais qu’on allait s’amuser, mais ça redevient emmerdant ». Trop défini, trop peu propice à l’invention et surtout dénué d’aspérité, l’ensemble de règles conduit à la lassitude ; c’est bien un système qu’on identifie à travers ce réseau de places et de connexions. Si l’on établit qu’une œuvre d’art est le fruit d’une manière d’être au monde qu’a l’artiste, ainsi que des
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une variation effectuée par l’auteur au sein du système de relations établies par l’Académie, l’Eglise, les mécènes ou commanditaires.1 La situation n’est pas différente à l’aube du vingtième siècle, avec l’émergence des avant-gardes, souvent extrêmement hiérarchisées, bâties autour d’un cercle restreint de personnalités fortes (Picasso/Braque pour le Cubisme, Mondrian/Van Doesburg pour De Stijl , Man Ray/ Picabia/ Duchamp pour Dada) 2. Réunies par une vision de l’art commune, les personnalités qui composent ces mouvements produisent logiquement des pièces assez semblables, puisque régies par un ensemble de règles et de relations identiques, pour la plupart exprimées clairement dans un manifeste. La différence étant que désormais, la structure codifiée qui intervient avant l’acte artistique est défini par les artistes eux-mêmes, non plus par un ordre « extérieur ». Bien entendu, tous les artistes appartenant aux avantgardes ne sont pas des automates appliquant simplement un programme préétabli par telle ou telle tête pensante. On pense néanmoins à Picasso3 , débarquant à un salon cubiste et qui déclare « je croyais qu’on allait s’amuser, mais ça redevient emmerdant ». Trop défini, trop peu propice à l’invention et surtout dénué d’aspérité, l’ensemble de règles conduit à la lassitude ; c’est bien un système qu’on identifie à travers ce réseau de places et de connexions. Si l’on établit qu’une œuvre d’art est le fruit d’une manière d’être au monde qu’a l’artiste, ainsi que des
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poétique, ainsi que dans son livre n°1 bis – le môme vers le gris. Cette écriture, à la fois austère et astucieuse, met en lumière la poésie et l’ironie de son œuvre plastique, qui est bien plus qu’une recherche formelle clinique. Rutault interroge la peinture, l’exposition, la représentation, la restauration ; mais il démontre aussi l’incroyable vitalité d’un système qui paraissait pourtant voué très vite à l’épuisement. L’œuvre de Claude Rutault est faite de contraintes et de relations, et le revendique. Elle nous invite alors à nous poser une question plus fondamentale qui s‘adresse à l‘art en général: toute œuvre, même la moins explicitement systématique, est-elle réductible à un système ? Peut-on, à partir de n’importe quelle pièce, établir l’ensemble structurel qui la dessine, cet ensemble existe-t-il seulement ? Tout peut-il faire système ? Si longtemps l’artiste a cherché le beau, le vrai au travers de ses gestes, il l’a fait selon certaines règles (différentes selon l’époque : on parle ici des « règles de l’art ») : l’usage rigoureux des mathématiques dans les constructions en perspective, dès le début de la Renaissance ; les compositions de tableaux calculées selon le nombre d’or, le choix des sujets, etc. Cette conception codifiée de la création instaure un rapport différentiel entre toutes les œuvres produites, celles-ci apparaissant chacune comme
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enseignements/instructions liés à l’histoire de sa pratique et à son environnement, toute œuvre est alors nécessairement un ensemble de relation entre les thèmes, les formes, les idées qui la composent et qui en découlent ; le musée institue un rapport de place et de différentiel entre l’œuvre, l’artiste, le regardeur.1 A partir des années soixante, le système créatif a acquis ses lettres de noblesse artistique, au travers de travaux de groupes assumant et utilisant sa présence, tels que l’OuLiPo 2, le GRAV ou encore Fluxus. Le terme même d’art systématique renvoie désormais à cette même période. Ainsi, depuis plusieurs décennies, on ne parle plus de système, mais de contrainte, ou de protocole. L’usage du système est devenu gazeux 3 dans l’art contemporain. Toute œuvre d’art peut faire système ; a posteriori, l’analyse saura trouver les enjeux, règles et éléments interdépendants dans n’importe quelle pièce.4 Qu’elles proviennent de l’extérieur (académies, avantgardes) ou de soi (obsessions 5 , convictions), qu’elles soient reconnues ou ignorées de l’artiste ou du public, les contraintes font toujours partie intégrante du travail. Toutefois, il n’est sans doute pas pertinent d’envisager toutes les œuvres d’art sous l’angle du système, et c’est pourquoi nous ne nous intéresserons ici qu’à des travaux d’artistes qui revendiquent son usage.
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De cette expérience a priori dérisoire, l’artiste a tiré une règle puissante, dans la mesure où elle le pousse à rechercher chaque variation possible. Ainsi, la toile montrée en galerie, sur fond blanc, sera blanche; achetée par un collectionneur, elle devra être repeinte de la même couleur que le mur de celui-ci, gagnant une « seconde jeunesse », une restauration par la transaction. Avec les d/m, Rutault met en évidence le programme sous-jacent qui chez lui précède l’action ; elles décrivent une œuvre potentielle par l’instauration d’un cahier des charges. En 1996, Rutault propose, via une affiche, de vendre « des toiles à repeindre de la même couleur que le mur » : l’instauration de règles et de relations préalables à l’action lui permet ainsi de déléguer celle-ci, d’expérimenter la différence entre application du système par l’artiste, et par un autre, comme lorsqu’il offre à divers créateurs de s’approprier ses définitions/méthode, en 1983. Plus récemment, Claude Rutault a débuté la série des Peintures-Suicide, série de toiles dont la surface diminue au fil de la série, et dont le prix augmente à mesure qu’elles rapetissent. Ce principe décliné a donné, en 2011, l’Expositionsuicide à la galerie Emmanuel Perrotin, où un lot de toiles étaient en vente, un tableau étant retiré et détruit du lot à chaque nouvelle enchère. L’artiste nourrit également, en plus des d/m relativement chirurgicales, une activité d’écriture plus narrative et
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C’est le cas de beaucoup de « survivants » des mouvements des années 60 – Claude Rutault, on l’a vu, mais aussi Vera Molnar, Pierre Soulages, François Morellet ou Roman Opalka, dans les travaux desquels la contrainte est largement présente. On la retrouve aussi chez d’autres artistes plus jeunes, tels que Jonathan Lasker, Philippe Parreno ou Simon Starling. C’est ce type d’artistes qui nous intéresse ici spécifiquement, dans la mesure où ceux-ci sont conscients de la part systématique, de l’enjeu de la contrainte et des règles dans l’élaboration de leurs pièces. Nous allons tenter de mettre en lumière les raisons qui poussent à utiliser cette pratique, ainsi que son utilisation et fonctionnement précis, en évoquant certaines œuvres des artistes précités, tout en convoquant également les travaux de cinéastes, d’écrivains ou de metteurs en scène.
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Cette case vide évoque le taquin, ce puzzle aux pièces carrées dont une est extraite afin de permettre le coulissement des autres. Tous ces paramètres définissent un fonctionnement du système en tant que machine mentale ; pratiquée par les artistes, l’élaboration d’une structure a des conséquences visuelles. « d’une réalisation à l’autre, l’œuvre est méconnaissable tout en étant parfaitement identifiable en tant que peinture et mur de la même couleur ; ses différentes caractéristiques changent, certes, mais la nature du travail est permanente, c’est même son renouvellement perpétuel qui en garantit la constance. » 1 L’œuvre de Claude Rutault, qu’évoque Ghislain MolletViéville ci-dessus, semble une illustration presque trop évidente de la notion de système créatif. Depuis 1973, l’artiste a en effet adopté un ensemble de contraintes qui régissent son travail. Tout d’abord, les définitions/méthodes (d/m) qu’il écrit et utilise depuis cette date, sont des descriptifs textuels du protocole de la pièce. De plus, la première d/m introduisait une contrainte fondamentale dans le parcours de l’artiste, puisqu’il continue de la respecter strictement depuis : peindre la toile de la même couleur que le mur sur lequel elle est accrochée.D’apparence simple, cette règle ouvre un champ de possibilités immense que Rutault ne cesse d’explorer depuis que, rénovant sa cuisine, il repeint en même temps un petit tableau et le mur sur lequel celuici est suspendu.
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POURQUOI LE SYSTEME
LE POURQUOI DU SYSTEME
Système, nm : ensemble abstrait d’éléments coordonnés par une loi, une doctrine, une théorie. Du grec sustema – ensemble, organisation / du verbe « mettre en rapport » - ensemble de relations différentielles interdépendantes
Le structuralisme a appliqué la notion de système à des domaines tels que l’anthropologie (Lévi-Strauss), la sémiologie (Barthes) ou encore la psychanalyse (Lacan). L’étude d’un objet comme ensemble de relations peut également concerner les arts ; Gilles Deleuze, dans son article A quoi reconnaîton le structuralisme ?, évoque notamment la relation entre art et système, tout en dégageant les critères fondamentaux qui font qu’une structure fonctionne en tant que structure. Ces critères recensés par Deleuze sont au nombre de six 1 : premièrement, le système fonctionne à trois niveaux, réel/ imaginaire/ symbolique ; deuxièmement, il définit l’espace en places, qui sont premières par rapport à ce qui les occupe. Trois : il inclut une dimension différentielle, découlant de la relation entre les places. Quatre : ces relations introduisent la virtualité et le rapport au possible de la structure. Puisqu’elle est différentielle, elle est également sérielle (cinq). Enfin, sixième point, le système doit obligatoirement fonctionner autour d’une case vide, une place qui « manque à sa propre identité ». 5
L’art peut être dans tout, même dans un rien1 . Alors on pose des règles avant tout geste, sous peine d’être consumés par le vide, pétrifiés par l’espace vierge : ce sera de la peinture, je l’organiserai ainsi, il faudra que ça fonctionne de cette manière. La page blanche peut également être considérée comme un espace trop plein de possibilités, au sein duquel il s’agit de faire le tri, par la définition a priori de relations. Au final, l’institution de cet ensemble de données virtuelles, de décisions intellectuelles prises au préalable de l’action effective, composant un système appartenant au langage, pas encore à la forme, permet de segmenter le vide, de circonscrire une zone d’étude, d’action, d’expérimentation; diviser pour mieux régner, en quelque sorte. Le livre de J.L. Austin, Quand dire, c’est faire, paru en 1962, définit l’énonciation performative en opposition à la phrase constative : le performatif ne décrit pas, il fait l’action, il en est l’initiateur. Ce terme est notamment utilisé dans l’analyse de la performance artistique, pour décrire la stratégie d’action préalable à la mise en mouvement.2 Il est toujours question du pouvoir dans l’élaboration d’un système ; cet ensemble de variables définies par l’artiste devient ainsi une forme de machine, avec son autonomie de fonctionnement, qui dépossède l’auteur d’une partie de son contrôle – son pouvoir – sur la pièce.
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Pour François Morellet, la définition préalable au geste d’un ensemble logique de relations et de contraintes contribue à diminuer la part de choix de l’auteur. Depuis les années cinquante et ses premiers travaux, l’artiste français explore les possibilités de variation au sein d’un cadre qu’il adopte et décrit explicitement dans le titre de la pièce. 6 répartitions aléatoires de 4 carrés noirs et blancs d’après les chiffres pairs et impairs du nombre π, 1958, semble par exemple transparent quant au système qui le fonde. La pièce consiste en une série de six toiles de 80x80cm, découpées en quatre carrés de 40x40cm que l’artiste peint tour à tour en blanc ou en noir, sans forcément égaliser les couleurs.1 La série comporte donc deux monochromes, un blanc et un noir, une toile dont les carrés du haut sont blancs, ceux du bas noirs, et enfin quatre tableaux où les couleurs sont déséquilibrées – trois carrés noirs pour un blanc, etc. La règle exprimée dans le titre offre à Morellet un nombre fini de combinaisons, évoluant ainsi avec une forme d’autonomie. Une des revendications de Morellet est d’ en « faire le moins possible » 2 grâce à l’adoption du système. Il s’agit pour lui de rompre avec la vision romantique de l’artiste – paradoxalement, la structure divise les choix, mais les met en valeur ; pour Morellet, c’est une forme de « contradiction volontaire », qu’il assume en explorant consciencieusement les variations permises, ou plutôt proposées par le système qu’il met en place.
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système ?......................................page 5 le pourquoi du système.......................13 autour de la case vide.......................26 hasard ?............................................45 conclusion........................................58 bibliographie....................................61
On l’a vu précédemment, toute œuvre d’art peut être analysée et observée comme un système. Créer de toutes pièces et revendiquer le sien découle donc à la fois de l’acceptation de cet état de fait et d’une mutinerie. En effet, définir précisément les paramètres et les enjeux de sa propre œuvre témoigne d’une volonté de repossession de l’espace créatif, de requalification des possibles. Il s’agit d’un acte non seulement d’émancipation – choisir son système plutôt que de subir celui des autres, définir des relations soi-même plutôt que de les hériter d’une structure extérieure – mais également d’aliénation, puisque, en divisant les possibles, le système ampute une partie du contrôle de l’artiste.1 Un tel état d’aliénation choisie évoque rapidement le domaine du jeu ; l’établissement de lois (règle du jeu) et la reconnaissance de paramètres (espace de jeu, temps de jeu) provoquent l’autonomie de la partie, qui se déroule d’une façon relativement mécanique 2. Cet aspect mécanique, qui conduit au ludique, est une des données essentielles de la création sous système. Le dispositif du jeu forme ainsi un contexte disponible pour le contenu humain fourni par les joueurs ; ce qui fait le sel du jeu, ce sont les actions établies par les protagonistes au creux de la structure, dans les interstices de décision qu’elle ménage3. De la même manière, de nombreuses œuvres fonctionnent comme un canevas, comme un scénario flottant permettant l’expression de l’auteur ou des spectateurs tout en les cadrant.
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tout hasard a besoin d’un rythme
François Belsoeur mémoire de 2° cycle session 2011 du DNSEP Ecole Supérieure d’art du Havre
On peut citer les events de George Brecht, descriptions d’actions simples telles que Drip Music (Drip Event), 1959-1962 : « Pour une performance simple ou multiple. Une source d’eau ruisselante et un récipient vide sont disposés de façon à ce que l’eau tombe dans le récipient. Seconde version ruisselant. » 1 Sans être exagérément précis, le texte met en place l’œuvre; la nature exacte de sa réalisation dépend de la personne qui l’effectue, et du contexte dans lequel celle-ci se placera. Motor Vehicle Sundown (Event) (to John Cage), défini en 1960 par George Brecht, imite particulièrement les mécanismes du jeu : dans un contexte défini (« une aire ouverte, relativement sombre, une lumière incidente de 2 candelas au moins »), un nombre quelconque de voitures est réparti, et autant de jeux de cartes réunis. Vingt-deux cartes sont distribuées à « chaque unique interprète par voiture ». Chaque carte équivaut à une instruction du type « son du klaxon », ou encore « feux de position, marche, arrêt », les interprètes exécutant les actions dans l’ordre de la distribution, selon un schéma rythmique défini. L’emprunt au domaine du jeu est ici clairement assumé par l’emploi du jeu de cartes, et le concert qui résulte de l’event est à la fois très organisé et totalement imprévisible. On peut également noter que le fonctionnement de base du jeu de société, dans lequel les règles sont les mêmes
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pour tous, introduit une forme de comparaison1 entre les joueurs, tranchée par la victoire ; chaque tour propose une possibilité de variation d’un joueur à l’autre, selon l’usage qu’il fait des opportunités offertes. Le jeu d’échecs, ou encore l’awalé traditionnel africain, sont des jeux qui mettent en valeur la comparaison stratégique entre les joueurs, puisqu’ils n’impliquent aucun générateur de hasard, soit donc aucune indécision extérieure. L’issue de la partie, dans ces jeux, dépend uniquement de la manière dont les joueurs utilisent l’entre-les-règles, l’espace limité de liberté qui leur est offert – la stratégie. Avec l’établissement d’un système précis, l’artiste multiplie les espaces de décision, tout en réduisant les choix à l’intérieur de ceux-ci. Il divise les possibles. La présence d’une structure, fût-elle en filigrane, implique que dans chaque zone de décision, le choix effectué par l’auteur est apparent, de même que les possibilités écartées ; chaque système existant renferme le nombre infini des systèmes possibles, l’ensemble des variations mécaniques que la structure propose. Les possibles sont révélés en creux, par élimination due au choix de l’auteur. L’inclusion des possibles rend la pièce plus effective, plus complète dans son fonctionnement, grâce à ce mécanisme d’exhaustivité. Cette dernière est forcément biaisée, puisqu’elle ne concerne que le cadre précis d’un référentiel arbitraire, défini par l’auteur, qui travaille ainsi dans le cadre d’un système qu’il peut épuiser, contrairement au monde. C’est de cette manière qu’un réseau de lois et de paramètres devient un processus, en prenant une nouvelle
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Les recoupements, décalages entre les différentes versions forment un réseau de possibles et de choix, une grande structure mobilisée autour du vide qu’elle prétend combler. On retrouve donc bien ici le principe décrit par Deleuze, selon lequel la case vide est l’emplacement, manquant à sa propre existence, autour duquel s’articule le système. 2- Le système réutilisable «Image fréquente: celle du vaisseau Argo (lumineux et blanc), dont les Argonautes remplaçaient peu à peu chaque pièce, en sorte qu’ils eurent pour finir un vaisseau entièrement nouveau, sans avoir à en changer le nom ni la forme. Ce vaisseau Argo est bien utile: il fournit l’allégorie d’un objet éminemment structural, créé, non par le génie, l’inspiration, la détermination, l’évolution, mais par deux actes modestes (qui ne peuvent être saisis dans aucune mystique de la création): la substitution (une pièce chasse l’autre, comme dans un paradigme) et la nomination (le nom n’est nullement lié à la stabilité des pièces) : à force de combiner à l’intérieur d’un même nom, il ne reste plus rien de l’origine : Argo est un objet sans autre cause que son nom, sans autre identité que sa forme.» 1 Les potentialités incluses dans le système requièrent une matérialisation ; c’est pourquoi nombre d’œuvres spécifiquement systématiques se développent en série. Le mécanisme de base, celui du vaisseau Argo, consiste à simplement modifier le contenu de la structure, sans
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dimension par l’établissement d’un lien direct entre les formes proposées et les choix directs de l’auteur ; l’acte créatif devient ainsi affaire de décision, pas seulement d’exécution de la décision. Un équilibre s’instaure alors entre la réflexion (la création est une «cosa mentale»)1 et l’action – cas intéressant des artistes à producteurs, qui délèguent la réalisation tout en s’en trouvant crédités). L’établissement du système remet le geste à une place de geste, dans son intégrité corporelle ; toutes les conditions sont ainsi réunies pour que le geste n’ait à fournir que luimême dans toute sa disponibilité au réel. Le geste n’a plus à être efficace, virtuose ou génial 2, le système assure le fonctionnement de la pièce. La proximité avec le jeu et le rapport au geste libéré de l’efficace sont sans doute ce qui ont poussé des artistes comme les membres du groupe Fluxus à explorer la notion de système. La possibilité de mettre en valeur des mouvements simples, non-artistiques, ainsi que les notions d’écart vis à vis des règles ou de jeu par rapport aux structures correspond en effet assez bien au rapport de simplicité et de sophistication mêlées de ces artistes. Robert Filliou, au travers de pièces comme le Principe d’Equivalence : Bien fait/Mal fait/Pas fait, illustre bien cette pratique. L’œuvre est composée de matériaux de base extrêmement simples, presque frustes : une boîte en bois peinte en jaune, de dix centimètres sur dix, dans laquelle se trouve une chaussette rouge.3 Dans ce travail, Robert Filliou pose l’équivalence entre ce qui est bien fait, mal fait, et pas fait. Il va adapter ce principe à sa pièce : l’objet de base est une boîte de bois
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font coexister sons, images et objets pour créer un environnement, une structure disposée à recevoir le spectateur. Cette structure, unique à l’exposition qu’elle sous-tend, revendique l’inclusion des possibles dans sa chair même : « Les œuvres de l’exposition sont des scripts, un potentiel d’histoires qui peuvent être générées » Grand amateur de collaboration, Philippe Parreno a crée en 1999 avec Pierre Huygue No ghost : just a shell, qui s’inscrit typiquement dans les registres du système et du possible. Les deux artistes ont d’abord acheté les droits d’images d’Annlee, une figure de manga anime, à Kworks, une agence japonaise spécialisée dans la création de personnages de cartoon, d’animation. Le projet No ghost : just a shell est relativement simple : il s’agit de mettre à la disposition d’autres artistes la figure d’Annlee, libre de droits. Ainsi, depuis 1999, des auteurs tels que Liam Gillick, Rirkrit Tiravanija, M/M ou encore Dominique GonzalezFoerster se sont emparés de la «coquille» vide figurée par Annlee, pour la «remplir» de toutes sortes de propositions, de l’objet au film, de l’affiche à la peinture. Si cet exercice de variation fait plutôt tendre No ghost : just a shell vers le système à utilisations multiples, l’essentiel est ici que chaque proposition est reliée à la figure d’Annlee, et à sa propriété de page à remplir ; même s’il existe plusieurs propositions, elles coexistent au sein de la coquille, indissociables à cause de leur origine commune.
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contenant une chaussette, admise comme étant une version bien faite. Filliou va donc fabriquer une version mal faite de cette boîte, mal assemblée, mal peinte. Puis viendra s’ajouter une version pas faite – rien, donc – pour compléter l’équivalence. A présent, l’ensemble est de trois pièces, et est considéré comme bien fait. L’artiste va donc en proposer une version mal faite, puis pas faite, ce qui constituera un sur-ensemble «bien fait», qu’il faudra à nouveau décliner en mal fait, pas fait, et ainsi de suite. Partant d’une boîte et d’une chaussette, Filliou crée ici un système redoutable, qui touche rapidement à l’infini – inachevée puisqu’inachevable, la pièce, aujourd’hui à Beaubourg, mesure plusieurs dizaines de mètres de long. Le processus, autonome mais déterminé par l’artiste, renvoie donc bien à ces deux notions, l’émancipation du geste et le jeu avec la structure ; il renvoie également à un projet plus large de Robert Filliou, intitulé la Création permanente, ou Fête permanente 1. Ici, l’artiste est un embrayeur, qui déclenche à partir de gestes minuscules une machine impressionnante, quasi angoissante, quelque peu désamorcée par sa représentation physique dérisoire. Le lien entre action et réflexion, entre méthode et réalisation, est au centre de la question du système créatif. Ainsi, la structure peut être conçue comme un canevas, un support pour l’action, comme le trapèze qu’attrape l’acrobate entre deux sauts. Il s’agit d’une réunion par le cloisonnement et le glissement, entre la logique et l’action, entre l’artisanat et l’art libéral, l’intellectuel et le sensuel.2 Le système, de par son inclusion du potentiel, a valeur de
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attrayant pour des générations ultérieures qui s’en emparent comme d’une technique passée. Le travail de Philippe Parreno ne paraît peut-être pas immédiatement systémique. Il faut s’aventurer du côté du fonctionnement de son œuvre, son activation en exposition, et étudier le processus de création de l’artiste. Au sein de son œuvre, Parreno met en jeu les codes de représentation classiques du cinéma, du théâtre, du spectacle; chacune de ses pièces apparaît comme une exploration, avec un angle chaque fois renouvelé, des possibilités de détournement, de retournement de ces codes. Ainsi, avec Douglas Gordon en 2004 il crée Zidane, un portrait du XXIème siècle, un film de 90 minutes réalisé durant un match de football du Real Madrid. La caméra enregistre en temps réel les faits et gestes du seul Zinedine Zidane, restant systématiquement fixée sur le joueur en ignorant les autres faits du match qui se déroule, sortant ainsi la représentation sportive de son objectif unique, permettre de suivre le déroulement global du jeu. Parreno et Gordon s’emparent du système du sport filmé et le retournent en déplaçant son enjeu du «suivre le jeu» au «suivre le joueur», trouvant à la fois un renouvellement narratif du genre et une certaine absurdité différentielle1. Philippe Parreno noue également un rapport particulier à la monstration de ses travaux. Ses expositions, telle Alien Seasons (Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 2002),
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processus. Autonome grâce à ses connexions internes, il peut pousser l’artiste dans des recoins inattendus, le compromettre vers des pistes inespérées1 ; à un certain degré de pratique, conserver son pouvoir décisionnel relève de la technique et de l’adaptation. C’est une manière, pour l’artiste, de se piéger ; il s’agit de trouver des choses auxquelles on ne pensait pas penser, par l’adaptation nécessaire pour rester dans le champ préétabli de la règle. A cet égard, l’exemple des ‘pataphysiciens semble pertinent pour illustrer le mécanisme; leur axiome de départ est simple : «je m’efforce de penser aux choses auxquelles je pense que les autres ne penseront pas». La ‘pataphysique, science des solutions imaginaires, est la «science du particulier, science de l’exception (étant bien entendu qu’il n’y a au monde que des exceptions, et que la «règle» est précisément une exception à l’exception». Systématique par principe, la ‘pataphysique est donc une discipline joueuse, dans laquelle il ne faut «rien prendre au sérieux». Fondé en 1948, le Collège de ‘pataphysique abritera le développement des premiers travaux de l’OuLiPo, chantre de la création sous contrainte.2 Le fonctionnement du système, sa prise de contrôle local, lui confère une forme d’autonomie ; il devient une machine, thème qui aura largement inspiré les artistes au cours des deux derniers siècles. En effet, les machines de pensée – philosophiques, mathématiques – ou institutionnelles – l’Etat, le droit – voire ludiques, existent depuis des milliers d’années ; mais
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Au delà de ces œuvres-systèmes, Georges Perec a défini dans son article Notes sur ce que je cherche une sorte de surstructure englobant l’ensemble de ses travaux. Il y décrit les quatre grands thèmes qui parcourent son œuvre et la motivent, c’est à dire le ludique, le sociologique, l’autobiographique et le romanesque. Si Perec admet que ces thèmes ne sont pas également réparti dans chaque texte, il donnera corps à son méta-système dans son «romans» la Vie mode d’emploi. Régi par un nombre de contraintes inouï, qui décrivent entre autres choses la longueur des chapitres, l’usage de citations d’autres écrivains ou la référence au quotidien de l’auteur, la Vie mode d’emploi est sans doute l’œuvre la plus évidemment systématique de Perec, et le cahier des charges que l’écrivain conçut pour son ouvrage est à ce point fascinant qu’il fut à son tour édité1 ; composé de dessins, de listes, de relations et de chiffres, il fonctionne comme un fantôme énigmatique par rapport au romans. L’usage du système procède finalement chez Georges Perec de ces quatre grands thèmes évoqués précédemment; romanesque, il définit le rythme et les rebondissements ; autobiographique, il s’assure que Perec y apparaisse par les choix et relations qu’il effectue, tout en s’abstrayant du contenu ; sociologique, il permet à l’auteur de toucher du doigt l’impossible exhaustivité que celui-ci recherche. Enfin, ludique, le système invite à la prise en main, au détournement et au décalage.2 C’est cet aspect ludique qui va contribuer à dédramatiser le système, souvent réduit aux explorations géométriques et aux aventures minimalistes, et à rendre son usage
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c’est l’avènement de la machine concrète, réelle, qui déclenche la fascination des artistes. Avec les révolutions industrielles successives en Occident, dès le début du XIXème siècle, la machine remplace effectivement l’homme pour nombre de tâches manuelles. C’est ici que débute la crainte, fantasmée, de la prise de pouvoir de la machine sur l’homme, de la créature sur son Prométhée.1 Dans le sillage de la première révolution industrielle britannique, Mary Shelley écrit Frankenstein, le Prométhée moderne. Le docteur Frankenstein, trouvant le moyen de créer la vie, assemble sa créature, qui finira par se retourner contre son créateur. Car c’est bien là l’origine de la peur : l’imprévisibilité de la machine. Tant qu’elle fonctionne en harmonie, ses mouvements sont sûrs et connus ; c’est lorsqu’elle déconne qu’elle devient dangereuse. L’harmonie ne donne pas vie à la machine, il ne s’agit que d’un simulacre ; la machine n’est vivante que lorsqu’elle sort de sa feuille de route. On peut mentionner ici les Machines Célibataires, catégorie consacrée dans l’ouvrage éponyme de Michel Carrouges, dès 1948. L’auteur y définit le concept de machine célibataire, s’appuyant principalement sur le Grand Verre de Marcel Duchamp 2, œuvre éminemment systématique, ainsi que sur la Colonie Pénitentiaire de Franz Kafka. « Une machine célibataire est une image fantastique qui transforme l’amour en mécanique de mort. » Harald Szeeman créa une exposition, en 1976, sur ce
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Au delà de la prouesse technique qu’elle constitue, écrire un roman d’enquête cohérent tout en s’interdisant la lettre la plus souvent utilisée de la langue française, la Disparition se révèle également être une savoureuse redécouverte du lexique et de la grammaire. Les détours imposés par la contrainte rivalisent ainsi avec l’obligation de développer une intrigue, celle de la fameuse Disparition d’Anton Voyl, qui renvoie à la contrainte OuLiPienne suprême : le contenu d’un texte parle de la contrainte qui le régit, la contrainte renvoyant au contenu. Car au bout du compte, c’est bien de la disparition du e que parle le livre, décrit dans ces termes : «un rond pas tout à fait clos, fini par un trait horizontal». La récursivité de la contrainte, sa liaison directe avec le texte procurent à l’ensemble une complétude dans le mouvement, et dès lors leur imbrication relève de l’évidence, le système se boucle, sans pour autant se fermer. Il est intéressant de noter qu’après avoir achevé la Disparition, Georges Perec a immédiatement écrit un court roman-défouloir, les Revenentes, où cette fois ci il ne s’autorisait que l’usage de la voyelle e, excluant toutes les autres, le y excepté. Si dans la Disparition la contrainte était respectée dans le cadre des règles de la langue française, ce n’est plus le cas ici. Perec s’amuse à explorer les distorsions de la langue, trichant joyeusement à grand renfort d’anglicismes, de calembours ou d’homophones – les doigts y deviennent ainsi des «feengers».
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thème ; Deleuze et Guattari s’y sont également intéressés, ainsi que de nombreux chercheurs ou plasticiens. On retrouve d’ailleurs ici le principe sériel contenu dans le système structuraliste, avec d’un côté le désir, de l’autre la mécanique. C’est le désir qui intervient dans l’œuvre comme détonateur, comme embrayeur d’imprévisible au sein du mécanique mortel et pessimiste.1 L’harmonie du fonctionnement se décrit, s’observe ; seuls l’erreur, l’imperfection, l’inadéquat font débat. Le système procure à l’œuvre d’art de nouvelles dimensions de sens et de fonctionnement. La structure révèle des informations sur l’œuvre, sa genèse et, de fait, son auteur. Elle cloisonne mais lie logique et action ; enfin, en incluant le champ des possibles à l’œuvre même, la structure lui donne une nouvelle dimension de fonctionnement. La nature même du système, fruit d’un ensemble de relations, est composite. Cela implique qu’il ait un fonctionnement multiple et non dirigé vers l’un, évoquant à nouveau le thème de la machine. Selon Descartes, la quête de la Vérité doit être effectuée avec méthode. Ici, le système est forcément au-delà d’une vérité ; son rapport au possible conduit nécessairement au fait que derrière chaque assertion, se dissimule la masse des autres éventualités. La recherche d’une vérité conduirait donc à en exposer plusieurs, et il n’y a qu’une vérité, n’est-ce pas ?
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renouvellement, un certain nombre de membres étant désormais excusés « pour cause de décès ». L’OuLiPo se donne pour but d’étudier la contrainte et de fournir à l’art de nouvelles structures de création. Cette recherche se caractérise par l’établissement de figures au fonctionnement autonome, et jongle souvent entre l’héroïsme technique et l’humour qui y est développé. On peut citer par exemple la méthode S+7, qui consiste à remplacer tous les substantifs d’un texte donné par leur septième successeur dans le dictionnaire. Selon cette contrainte, La cigale et la fourmi devient sous la plume de Raymond Queneau La cimaise et la fraction. L’œuvre de Georges Perec est toute empreinte de ce questionnement par rapport à la règle et au système ; inventant une structure et un fonctionnement différent à chaque ouvrage (« ne jamais écrire deux fois le même livre »)1 , il aura également construit un sur-système, qui englobe la totalité de son œuvre – romans, articles, poèmes, scénarios, mots croisés... Ses travaux semblent donc constituer un exemple idéal de fonctionnement d’un système à usage unique, fussent-ils chacun un sous-ensemble d’un plus grand système. La Disparition, probablement l’œuvre la plus connue de Georges Perec, est un roman entièrement écrit sans la lettre e., selon la figure OuLiPienne du lipogramme consistant à exclure une ou plusieurs lettre de l’alphabet de l’auteur.
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Au contraire de Descartes, de Hegel et de la plupart des philosophes, Kierkegaard s’oppose à l’instauration d’un système de pensée, qui ne serait selon lui qu’un « luxueux palais vide». Tout dépend en effet du contenu, ou, en tous cas, de la nature des relations établies au sein de la structure ; la sortie de système est néanmoins nécessaire à sa survie, comme on le verra plus tard. Contre le système Kierkegaard ne fut ni le premier, ni le dernier à attaquer l’usage du système. Cette pratique va en effet à rebours d’un certain nombre de conceptions classiques de l’art, et tout particulièrement de la vision romantique du créateur. L’artiste y est dépouillé de son geste, qui n’est plus garant de son talent ; il perd une partie de son pouvoir de décision, donc de sa liberté, laissant partiellement celle-ci entre les rouages de la machine. Enfin, l’inclusion des possibles dans la structure de la pièce est une forme d’abolition de l’échec, ou de la réussite, en dernier ressort, des deux. Si l’on regarde bien, l’œuvre est une actualisation de la structure, définie par les choix de l’auteur, ou ceux de sa propre autonomie ; elle évoque en creux les possibles rejetés. L’œuvre n’est donc jamais ratée, puisque toujours disponible ; s’il est une réclamation à faire, c’est le système qui est coupable, jamais la pièce.1 Ce point nous conduit au reproche le plus pertinent qu’on puisse adresser, à mon sens, au principe du système créatif : c’est sa propension au totalitaire ou à l’efficace. L’inclusion des possibles est une forme de rentabilité
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Il s’agit d’abord de distinguer deux types d’usage du système, pour plus de commodité : le système «à usage unique» et le système «réutilisable». Devant le nombre de combinaisons et évolutions possibles d’un système, il y a en effet deux attitudes : la première, qui vise à n’en explorer qu’une version, établissant ainsi la valeur de l’angle de l’artiste, de ses choix ; la seconde, où l’on mettra en scène plusieurs matérialisations du même processus. 1- Le système à usage unique … De nombreux écrivains et poètes se sont intéressés au système créatif et à la manière dont il influence l’œuvre, l’artiste, le langage, le lecteur. On peut citer Borges, et sa bibliothèque universelle, Joyce1 et ses structures vertigineuses (son Ulysse, par exemple, adapte l’Odyssée d’Homère, à Dublin et le temps d’une journée, en adoptant pas moins de dix-huit points de vue différents), ou encore Lewis Caroll, en logicien, qui produisit des textes tels que La Chasse au Snark, long et énigmatique poème déroulé à l’envers. Mais le groupe qui est certainement le plus souvent associé aux notions de système et de contrainte est l’OuLiPO. L’Ouvroir de Littérature Potentielle, représenté par des figures telles que François Le Lionnais, Georges Perec ou Italo Calvino, est actif depuis 1960, et en constant
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créative. Ce n’est pas un hasard si nombre d’industries du divertissement, notamment américaines, fondent leurs productions sur des cahiers des charges ou des études différentielles ; le système amène naturellement à la recette, qui le fait basculer dans la routine. On pense ici à un artiste comme Arman, au milieu de bien d’autres ; une fois établi son protocole d’accumulation en 1959, Arman l’explore scolairement, en remplaçant simplement ses termes par d’autres – poubelles, puis instruments, puis horloges, etc. Même lorsqu’il change de système, comme avec la série des Colères ou des Combustions, l’utilisation qu’Arman en fait est toujours la même, fonctionnant par synonymes, et déclenchant ainsi une routine paresseuse, privée de décalage, d’ironie ou d’aspérité : une recette, applicable sans fin, jusqu’à ce qu’ennui s’ensuive. Bien entendu, à force de tentatives, quelques pièces ressortent de chaque série, plus intéressantes dans les formes qu’elles convoquent, plus fortes dans les thèmes qu’elles évoquent. Ce qui nous amène au principe du tri : tous les possibles ne seraient donc pas bons à retenir, non parce qu’ils fonctionneraient moins bien les uns que les autres – ce point reste affaire de goût – mais parce que leur évocation stricte et continue, sans décalage, atteint l’épuisement. Une autre piste consiste à rechercher l’exhaustivité, qui établit une relation symbolique et différentielle autre, une série supplémentaire qui court et pervertit les précédentes.1
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AUTOUR DE LA CASE VIDE
AUTOUR DE LA CASE VIDE
créative. Ce n’est pas un hasard si nombre d’industries du divertissement, notamment américaines, fondent leurs productions sur des cahiers des charges ou des études différentielles ; le système amène naturellement à la recette, qui le fait basculer dans la routine. On pense ici à un artiste comme Arman, au milieu de bien d’autres ; une fois établi son protocole d’accumulation en 1959, Arman l’explore scolairement, en remplaçant simplement ses termes par d’autres – poubelles, puis instruments, puis horloges, etc. Même lorsqu’il change de système, comme avec la série des Colères ou des Combustions, l’utilisation qu’Arman en fait est toujours la même, fonctionnant par synonymes, et déclenchant ainsi une routine paresseuse, privée de décalage, d’ironie ou d’aspérité : une recette, applicable sans fin, jusqu’à ce qu’ennui s’ensuive. Bien entendu, à force de tentatives, quelques pièces ressortent de chaque série, plus intéressantes dans les formes qu’elles convoquent, plus fortes dans les thèmes qu’elles évoquent. Ce qui nous amène au principe du tri : tous les possibles ne seraient donc pas bons à retenir, non parce qu’ils fonctionneraient moins bien les uns que les autres – ce point reste affaire de goût – mais parce que leur évocation stricte et continue, sans décalage, atteint l’épuisement. Une autre piste consiste à rechercher l’exhaustivité, qui établit une relation symbolique et différentielle autre, une série supplémentaire qui court et pervertit les précédentes.1
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Il s’agit d’abord de distinguer deux types d’usage du système, pour plus de commodité : le système «à usage unique» et le système «réutilisable». Devant le nombre de combinaisons et évolutions possibles d’un système, il y a en effet deux attitudes : la première, qui vise à n’en explorer qu’une version, établissant ainsi la valeur de l’angle de l’artiste, de ses choix ; la seconde, où l’on mettra en scène plusieurs matérialisations du même processus. 1- Le système à usage unique … De nombreux écrivains et poètes se sont intéressés au système créatif et à la manière dont il influence l’œuvre, l’artiste, le langage, le lecteur. On peut citer Borges, et sa bibliothèque universelle, Joyce1 et ses structures vertigineuses (son Ulysse, par exemple, adapte l’Odyssée d’Homère, à Dublin et le temps d’une journée, en adoptant pas moins de dix-huit points de vue différents), ou encore Lewis Caroll, en logicien, qui produisit des textes tels que La Chasse au Snark, long et énigmatique poème déroulé à l’envers. Mais le groupe qui est certainement le plus souvent associé aux notions de système et de contrainte est l’OuLiPO. L’Ouvroir de Littérature Potentielle, représenté par des figures telles que François Le Lionnais, Georges Perec ou Italo Calvino, est actif depuis 1960, et en constant
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Au contraire de Descartes, de Hegel et de la plupart des philosophes, Kierkegaard s’oppose à l’instauration d’un système de pensée, qui ne serait selon lui qu’un « luxueux palais vide». Tout dépend en effet du contenu, ou, en tous cas, de la nature des relations établies au sein de la structure ; la sortie de système est néanmoins nécessaire à sa survie, comme on le verra plus tard. Contre le système Kierkegaard ne fut ni le premier, ni le dernier à attaquer l’usage du système. Cette pratique va en effet à rebours d’un certain nombre de conceptions classiques de l’art, et tout particulièrement de la vision romantique du créateur. L’artiste y est dépouillé de son geste, qui n’est plus garant de son talent ; il perd une partie de son pouvoir de décision, donc de sa liberté, laissant partiellement celle-ci entre les rouages de la machine. Enfin, l’inclusion des possibles dans la structure de la pièce est une forme d’abolition de l’échec, ou de la réussite, en dernier ressort, des deux. Si l’on regarde bien, l’œuvre est une actualisation de la structure, définie par les choix de l’auteur, ou ceux de sa propre autonomie ; elle évoque en creux les possibles rejetés. L’œuvre n’est donc jamais ratée, puisque toujours disponible ; s’il est une réclamation à faire, c’est le système qui est coupable, jamais la pièce.1 Ce point nous conduit au reproche le plus pertinent qu’on puisse adresser, à mon sens, au principe du système créatif : c’est sa propension au totalitaire ou à l’efficace. L’inclusion des possibles est une forme de rentabilité
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renouvellement, un certain nombre de membres étant désormais excusés « pour cause de décès ». L’OuLiPo se donne pour but d’étudier la contrainte et de fournir à l’art de nouvelles structures de création. Cette recherche se caractérise par l’établissement de figures au fonctionnement autonome, et jongle souvent entre l’héroïsme technique et l’humour qui y est développé. On peut citer par exemple la méthode S+7, qui consiste à remplacer tous les substantifs d’un texte donné par leur septième successeur dans le dictionnaire. Selon cette contrainte, La cigale et la fourmi devient sous la plume de Raymond Queneau La cimaise et la fraction. L’œuvre de Georges Perec est toute empreinte de ce questionnement par rapport à la règle et au système ; inventant une structure et un fonctionnement différent à chaque ouvrage (« ne jamais écrire deux fois le même livre »)1 , il aura également construit un sur-système, qui englobe la totalité de son œuvre – romans, articles, poèmes, scénarios, mots croisés... Ses travaux semblent donc constituer un exemple idéal de fonctionnement d’un système à usage unique, fussent-ils chacun un sous-ensemble d’un plus grand système. La Disparition, probablement l’œuvre la plus connue de Georges Perec, est un roman entièrement écrit sans la lettre e., selon la figure OuLiPienne du lipogramme consistant à exclure une ou plusieurs lettre de l’alphabet de l’auteur.
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thème ; Deleuze et Guattari s’y sont également intéressés, ainsi que de nombreux chercheurs ou plasticiens. On retrouve d’ailleurs ici le principe sériel contenu dans le système structuraliste, avec d’un côté le désir, de l’autre la mécanique. C’est le désir qui intervient dans l’œuvre comme détonateur, comme embrayeur d’imprévisible au sein du mécanique mortel et pessimiste.1 L’harmonie du fonctionnement se décrit, s’observe ; seuls l’erreur, l’imperfection, l’inadéquat font débat. Le système procure à l’œuvre d’art de nouvelles dimensions de sens et de fonctionnement. La structure révèle des informations sur l’œuvre, sa genèse et, de fait, son auteur. Elle cloisonne mais lie logique et action ; enfin, en incluant le champ des possibles à l’œuvre même, la structure lui donne une nouvelle dimension de fonctionnement. La nature même du système, fruit d’un ensemble de relations, est composite. Cela implique qu’il ait un fonctionnement multiple et non dirigé vers l’un, évoquant à nouveau le thème de la machine. Selon Descartes, la quête de la Vérité doit être effectuée avec méthode. Ici, le système est forcément au-delà d’une vérité ; son rapport au possible conduit nécessairement au fait que derrière chaque assertion, se dissimule la masse des autres éventualités. La recherche d’une vérité conduirait donc à en exposer plusieurs, et il n’y a qu’une vérité, n’est-ce pas ?
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Au delà de la prouesse technique qu’elle constitue, écrire un roman d’enquête cohérent tout en s’interdisant la lettre la plus souvent utilisée de la langue française, la Disparition se révèle également être une savoureuse redécouverte du lexique et de la grammaire. Les détours imposés par la contrainte rivalisent ainsi avec l’obligation de développer une intrigue, celle de la fameuse Disparition d’Anton Voyl, qui renvoie à la contrainte OuLiPienne suprême : le contenu d’un texte parle de la contrainte qui le régit, la contrainte renvoyant au contenu. Car au bout du compte, c’est bien de la disparition du e que parle le livre, décrit dans ces termes : «un rond pas tout à fait clos, fini par un trait horizontal». La récursivité de la contrainte, sa liaison directe avec le texte procurent à l’ensemble une complétude dans le mouvement, et dès lors leur imbrication relève de l’évidence, le système se boucle, sans pour autant se fermer. Il est intéressant de noter qu’après avoir achevé la Disparition, Georges Perec a immédiatement écrit un court roman-défouloir, les Revenentes, où cette fois ci il ne s’autorisait que l’usage de la voyelle e, excluant toutes les autres, le y excepté. Si dans la Disparition la contrainte était respectée dans le cadre des règles de la langue française, ce n’est plus le cas ici. Perec s’amuse à explorer les distorsions de la langue, trichant joyeusement à grand renfort d’anglicismes, de calembours ou d’homophones – les doigts y deviennent ainsi des «feengers».
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c’est l’avènement de la machine concrète, réelle, qui déclenche la fascination des artistes. Avec les révolutions industrielles successives en Occident, dès le début du XIXème siècle, la machine remplace effectivement l’homme pour nombre de tâches manuelles. C’est ici que débute la crainte, fantasmée, de la prise de pouvoir de la machine sur l’homme, de la créature sur son Prométhée.1 Dans le sillage de la première révolution industrielle britannique, Mary Shelley écrit Frankenstein, le Prométhée moderne. Le docteur Frankenstein, trouvant le moyen de créer la vie, assemble sa créature, qui finira par se retourner contre son créateur. Car c’est bien là l’origine de la peur : l’imprévisibilité de la machine. Tant qu’elle fonctionne en harmonie, ses mouvements sont sûrs et connus ; c’est lorsqu’elle déconne qu’elle devient dangereuse. L’harmonie ne donne pas vie à la machine, il ne s’agit que d’un simulacre ; la machine n’est vivante que lorsqu’elle sort de sa feuille de route. On peut mentionner ici les Machines Célibataires, catégorie consacrée dans l’ouvrage éponyme de Michel Carrouges, dès 1948. L’auteur y définit le concept de machine célibataire, s’appuyant principalement sur le Grand Verre de Marcel Duchamp 2, œuvre éminemment systématique, ainsi que sur la Colonie Pénitentiaire de Franz Kafka. « Une machine célibataire est une image fantastique qui transforme l’amour en mécanique de mort. » Harald Szeeman créa une exposition, en 1976, sur ce
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Au delà de ces œuvres-systèmes, Georges Perec a défini dans son article Notes sur ce que je cherche une sorte de surstructure englobant l’ensemble de ses travaux. Il y décrit les quatre grands thèmes qui parcourent son œuvre et la motivent, c’est à dire le ludique, le sociologique, l’autobiographique et le romanesque. Si Perec admet que ces thèmes ne sont pas également réparti dans chaque texte, il donnera corps à son méta-système dans son «romans» la Vie mode d’emploi. Régi par un nombre de contraintes inouï, qui décrivent entre autres choses la longueur des chapitres, l’usage de citations d’autres écrivains ou la référence au quotidien de l’auteur, la Vie mode d’emploi est sans doute l’œuvre la plus évidemment systématique de Perec, et le cahier des charges que l’écrivain conçut pour son ouvrage est à ce point fascinant qu’il fut à son tour édité1 ; composé de dessins, de listes, de relations et de chiffres, il fonctionne comme un fantôme énigmatique par rapport au romans. L’usage du système procède finalement chez Georges Perec de ces quatre grands thèmes évoqués précédemment; romanesque, il définit le rythme et les rebondissements ; autobiographique, il s’assure que Perec y apparaisse par les choix et relations qu’il effectue, tout en s’abstrayant du contenu ; sociologique, il permet à l’auteur de toucher du doigt l’impossible exhaustivité que celui-ci recherche. Enfin, ludique, le système invite à la prise en main, au détournement et au décalage.2 C’est cet aspect ludique qui va contribuer à dédramatiser le système, souvent réduit aux explorations géométriques et aux aventures minimalistes, et à rendre son usage
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processus. Autonome grâce à ses connexions internes, il peut pousser l’artiste dans des recoins inattendus, le compromettre vers des pistes inespérées1 ; à un certain degré de pratique, conserver son pouvoir décisionnel relève de la technique et de l’adaptation. C’est une manière, pour l’artiste, de se piéger ; il s’agit de trouver des choses auxquelles on ne pensait pas penser, par l’adaptation nécessaire pour rester dans le champ préétabli de la règle. A cet égard, l’exemple des ‘pataphysiciens semble pertinent pour illustrer le mécanisme; leur axiome de départ est simple : «je m’efforce de penser aux choses auxquelles je pense que les autres ne penseront pas». La ‘pataphysique, science des solutions imaginaires, est la «science du particulier, science de l’exception (étant bien entendu qu’il n’y a au monde que des exceptions, et que la «règle» est précisément une exception à l’exception». Systématique par principe, la ‘pataphysique est donc une discipline joueuse, dans laquelle il ne faut «rien prendre au sérieux». Fondé en 1948, le Collège de ‘pataphysique abritera le développement des premiers travaux de l’OuLiPo, chantre de la création sous contrainte.2 Le fonctionnement du système, sa prise de contrôle local, lui confère une forme d’autonomie ; il devient une machine, thème qui aura largement inspiré les artistes au cours des deux derniers siècles. En effet, les machines de pensée – philosophiques, mathématiques – ou institutionnelles – l’Etat, le droit – voire ludiques, existent depuis des milliers d’années ; mais
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attrayant pour des générations ultérieures qui s’en emparent comme d’une technique passée. Le travail de Philippe Parreno ne paraît peut-être pas immédiatement systémique. Il faut s’aventurer du côté du fonctionnement de son œuvre, son activation en exposition, et étudier le processus de création de l’artiste. Au sein de son œuvre, Parreno met en jeu les codes de représentation classiques du cinéma, du théâtre, du spectacle; chacune de ses pièces apparaît comme une exploration, avec un angle chaque fois renouvelé, des possibilités de détournement, de retournement de ces codes. Ainsi, avec Douglas Gordon en 2004 il crée Zidane, un portrait du XXIème siècle, un film de 90 minutes réalisé durant un match de football du Real Madrid. La caméra enregistre en temps réel les faits et gestes du seul Zinedine Zidane, restant systématiquement fixée sur le joueur en ignorant les autres faits du match qui se déroule, sortant ainsi la représentation sportive de son objectif unique, permettre de suivre le déroulement global du jeu. Parreno et Gordon s’emparent du système du sport filmé et le retournent en déplaçant son enjeu du «suivre le jeu» au «suivre le joueur», trouvant à la fois un renouvellement narratif du genre et une certaine absurdité différentielle1. Philippe Parreno noue également un rapport particulier à la monstration de ses travaux. Ses expositions, telle Alien Seasons (Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 2002),
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contenant une chaussette, admise comme étant une version bien faite. Filliou va donc fabriquer une version mal faite de cette boîte, mal assemblée, mal peinte. Puis viendra s’ajouter une version pas faite – rien, donc – pour compléter l’équivalence. A présent, l’ensemble est de trois pièces, et est considéré comme bien fait. L’artiste va donc en proposer une version mal faite, puis pas faite, ce qui constituera un sur-ensemble «bien fait», qu’il faudra à nouveau décliner en mal fait, pas fait, et ainsi de suite. Partant d’une boîte et d’une chaussette, Filliou crée ici un système redoutable, qui touche rapidement à l’infini – inachevée puisqu’inachevable, la pièce, aujourd’hui à Beaubourg, mesure plusieurs dizaines de mètres de long. Le processus, autonome mais déterminé par l’artiste, renvoie donc bien à ces deux notions, l’émancipation du geste et le jeu avec la structure ; il renvoie également à un projet plus large de Robert Filliou, intitulé la Création permanente, ou Fête permanente 1. Ici, l’artiste est un embrayeur, qui déclenche à partir de gestes minuscules une machine impressionnante, quasi angoissante, quelque peu désamorcée par sa représentation physique dérisoire. Le lien entre action et réflexion, entre méthode et réalisation, est au centre de la question du système créatif. Ainsi, la structure peut être conçue comme un canevas, un support pour l’action, comme le trapèze qu’attrape l’acrobate entre deux sauts. Il s’agit d’une réunion par le cloisonnement et le glissement, entre la logique et l’action, entre l’artisanat et l’art libéral, l’intellectuel et le sensuel.2 Le système, de par son inclusion du potentiel, a valeur de
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font coexister sons, images et objets pour créer un environnement, une structure disposée à recevoir le spectateur. Cette structure, unique à l’exposition qu’elle sous-tend, revendique l’inclusion des possibles dans sa chair même : « Les œuvres de l’exposition sont des scripts, un potentiel d’histoires qui peuvent être générées » Grand amateur de collaboration, Philippe Parreno a crée en 1999 avec Pierre Huygue No ghost : just a shell, qui s’inscrit typiquement dans les registres du système et du possible. Les deux artistes ont d’abord acheté les droits d’images d’Annlee, une figure de manga anime, à Kworks, une agence japonaise spécialisée dans la création de personnages de cartoon, d’animation. Le projet No ghost : just a shell est relativement simple : il s’agit de mettre à la disposition d’autres artistes la figure d’Annlee, libre de droits. Ainsi, depuis 1999, des auteurs tels que Liam Gillick, Rirkrit Tiravanija, M/M ou encore Dominique GonzalezFoerster se sont emparés de la «coquille» vide figurée par Annlee, pour la «remplir» de toutes sortes de propositions, de l’objet au film, de l’affiche à la peinture. Si cet exercice de variation fait plutôt tendre No ghost : just a shell vers le système à utilisations multiples, l’essentiel est ici que chaque proposition est reliée à la figure d’Annlee, et à sa propriété de page à remplir ; même s’il existe plusieurs propositions, elles coexistent au sein de la coquille, indissociables à cause de leur origine commune.
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dimension par l’établissement d’un lien direct entre les formes proposées et les choix directs de l’auteur ; l’acte créatif devient ainsi affaire de décision, pas seulement d’exécution de la décision. Un équilibre s’instaure alors entre la réflexion (la création est une «cosa mentale»)1 et l’action – cas intéressant des artistes à producteurs, qui délèguent la réalisation tout en s’en trouvant crédités). L’établissement du système remet le geste à une place de geste, dans son intégrité corporelle ; toutes les conditions sont ainsi réunies pour que le geste n’ait à fournir que luimême dans toute sa disponibilité au réel. Le geste n’a plus à être efficace, virtuose ou génial 2, le système assure le fonctionnement de la pièce. La proximité avec le jeu et le rapport au geste libéré de l’efficace sont sans doute ce qui ont poussé des artistes comme les membres du groupe Fluxus à explorer la notion de système. La possibilité de mettre en valeur des mouvements simples, non-artistiques, ainsi que les notions d’écart vis à vis des règles ou de jeu par rapport aux structures correspond en effet assez bien au rapport de simplicité et de sophistication mêlées de ces artistes. Robert Filliou, au travers de pièces comme le Principe d’Equivalence : Bien fait/Mal fait/Pas fait, illustre bien cette pratique. L’œuvre est composée de matériaux de base extrêmement simples, presque frustes : une boîte en bois peinte en jaune, de dix centimètres sur dix, dans laquelle se trouve une chaussette rouge.3 Dans ce travail, Robert Filliou pose l’équivalence entre ce qui est bien fait, mal fait, et pas fait. Il va adapter ce principe à sa pièce : l’objet de base est une boîte de bois
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Les recoupements, décalages entre les différentes versions forment un réseau de possibles et de choix, une grande structure mobilisée autour du vide qu’elle prétend combler. On retrouve donc bien ici le principe décrit par Deleuze, selon lequel la case vide est l’emplacement, manquant à sa propre existence, autour duquel s’articule le système. 2- Le système réutilisable «Image fréquente: celle du vaisseau Argo (lumineux et blanc), dont les Argonautes remplaçaient peu à peu chaque pièce, en sorte qu’ils eurent pour finir un vaisseau entièrement nouveau, sans avoir à en changer le nom ni la forme. Ce vaisseau Argo est bien utile: il fournit l’allégorie d’un objet éminemment structural, créé, non par le génie, l’inspiration, la détermination, l’évolution, mais par deux actes modestes (qui ne peuvent être saisis dans aucune mystique de la création): la substitution (une pièce chasse l’autre, comme dans un paradigme) et la nomination (le nom n’est nullement lié à la stabilité des pièces) : à force de combiner à l’intérieur d’un même nom, il ne reste plus rien de l’origine : Argo est un objet sans autre cause que son nom, sans autre identité que sa forme.» 1 Les potentialités incluses dans le système requièrent une matérialisation ; c’est pourquoi nombre d’œuvres spécifiquement systématiques se développent en série. Le mécanisme de base, celui du vaisseau Argo, consiste à simplement modifier le contenu de la structure, sans
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pour tous, introduit une forme de comparaison1 entre les joueurs, tranchée par la victoire ; chaque tour propose une possibilité de variation d’un joueur à l’autre, selon l’usage qu’il fait des opportunités offertes. Le jeu d’échecs, ou encore l’awalé traditionnel africain, sont des jeux qui mettent en valeur la comparaison stratégique entre les joueurs, puisqu’ils n’impliquent aucun générateur de hasard, soit donc aucune indécision extérieure. L’issue de la partie, dans ces jeux, dépend uniquement de la manière dont les joueurs utilisent l’entre-les-règles, l’espace limité de liberté qui leur est offert – la stratégie. Avec l’établissement d’un système précis, l’artiste multiplie les espaces de décision, tout en réduisant les choix à l’intérieur de ceux-ci. Il divise les possibles. La présence d’une structure, fût-elle en filigrane, implique que dans chaque zone de décision, le choix effectué par l’auteur est apparent, de même que les possibilités écartées ; chaque système existant renferme le nombre infini des systèmes possibles, l’ensemble des variations mécaniques que la structure propose. Les possibles sont révélés en creux, par élimination due au choix de l’auteur. L’inclusion des possibles rend la pièce plus effective, plus complète dans son fonctionnement, grâce à ce mécanisme d’exhaustivité. Cette dernière est forcément biaisée, puisqu’elle ne concerne que le cadre précis d’un référentiel arbitraire, défini par l’auteur, qui travaille ainsi dans le cadre d’un système qu’il peut épuiser, contrairement au monde. C’est de cette manière qu’un réseau de lois et de paramètres devient un processus, en prenant une nouvelle
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toucher à sa répartition symbolique. Il s’agit de la variation, que Claude Rutault préférait appelait la combination ; la réorganisation interne des propriétés. Les Exercices de Style de Raymond Queneau en sont une bonne illustration : l’écrivain s’y propose d’écrire quatrevingt-dix-neuf fois la même histoire, de quatre-vingt-dixneuf manières différentes. Du passé simple au loucherbem, de l’interrogatoire à «l’olfactif», Queneau réinvente constamment la langue et la narration ; l’intensité de la variation est ici évidente, grâce au cadre constant de l’histoire, qui ne change pas. François Morellet, qu’on a déjà évoqué, procède d’une manière relativement proche, dans la mesure où il revendique le fait que «ce sont les contraintes des systèmes et des matériaux qui sont en fait le sujet de [son] œuvre». Morellet, lorsqu’il établit un ensemble de possibles via l’établissement de règles, cherche à épuiser cet ensemble ; c’est pourquoi chaque système donne lieu à plusieurs explorations plastiques, puisque de son propre aveu, l’artiste préfère n’en montrer aucune, plutôt que de n’en montrer qu’une. Morellet va jusqu’au bout, déjouant ses propres pièges avec humour, à la recherche des «portes dérobées» qui conduiraient le système à s’arrêter, contrecarré par l’artiste. Outre ses recherches sur toile, Morellet nourrit une pratique d’installation, utilisant le plus souvent des matériaux dépouillés tels que des néons1 ou des poutres. L’artiste joue alors avec l’espace comme avec son système, dans des pièces comme Angles droits composés d’une poutre coupée d’onglet et d’une ligne sur le mur (1982).
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fait adopter pour fabriquer trois règles, mètres-étalons distordus. « Mes trois stoppages-étalon sont donnés par trois expériences, et la forme est un peu différente pour chacune. Je garde la ligne et j’ai un mètre déformé. C’est un mètre en conserve, si vous voulez, c’est du hasard en conserve.1 » La répétition du geste implique un ensemble de règles préalables : Duchamp réagit en logicien, établissant un protocole scientifique, où un paramètre à la fois doit être modifié, sous peine de décrédibiliser l’expérience. De plus, l’artiste explore ici trois formes possibles, démontrant par là la différence de potentiel entre chaque action (la plus petite différence mesurable, le phonème des linguistes). Il évoque ainsi l’éventail des possibles auquel conduit son protocole, tout en laissant le hasard assumer la forme, et en fondant le fonctionnement de la pièce sur ce principe même. Le hasard fournit ainsi un genre d’autonomie à la forme ; insaisissable même pour l’artiste qui le provoque, il découle d’un lâcher prise. Son emploi procède d’abord de la remise en cause de la figure de l’artiste romantique, tout en talent et virtuosité; il s’agit une révolte de l’auteur contre la convention formelle et théorique – voir par exemple l’usage qu’en a fait le groupe Dada, dont le nom même fut, selon la légende, trouvé au hasard d’un dictionnaire. Par extension, le hasard deviendra ensuite l’expression de l’inconscient de l’artiste, avec les expérimentations surréalistes telles que le cadavre exquis ou l’écriture automatique.
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Au cours de leurs tentatives répétées qui conservent la même structure d’ensemble, des artistes comme Queneau et Morellet expérimentent donc la variation ; on pourrait également citer les Becher, avec leurs photographies objectives d’ensembles industriels, ou plus récemment le britannique Andrew Bick, qui développe en peinture des compositions complexes et géométriques, ou encore bien d’autres. Une autre possibilité est celle de la déclinaison, qui inclut nécessairement une sortie de système ; comme si l’on modifiait la fonction des pièces que l’on remplace dans le vaisseau Argo. La structure s’en trouve modifiée dans son fonctionnement, sa répartition virtuelle.1 Ainsi, les séries en extérieur de Claude Monet : se fixant un sujet précis (la cathédrale de Rouen, une botte de foin ou des nymphéas), le peintre y revient de jour en jour, établissant une suite de points de vue différents. Précisément, en changeant de toile en toile l’angle, le format ou la palette, Claude Monet sort constamment d’un système, l’enchaînement témoignant d’un manque quelque part – que cherche-t-il à trouver, en circonscrivant ainsi son sujet, le cernant de toute part ? La série des bottes de foin, en particulier, symbolise ce manque. Claude Monet, de son propre aveu, voulait capter par la peinture la spécificité de chaque moment, de chaque lumière. La construction en série d’éléments, qui n’ont de commun que leur sujet, donne réellement la sensation que le peintre part à la chasse, rabattant systématiquement son sujet, tentant de le saisir par n’importe quel moyen. Le système voit ici ses paramètres
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imprévisibles, et c’est pourquoi ce concept fascine les artistes depuis plusieurs centaines d’années. Bref historique des usages du hasard en art. Le récit que fait Pline de l’artiste Protogène peignant une tête de chien est sans doute l’exemple le plus ancien qui existe d’une rencontre entre art et hasard. Selon l’écrivain romain, Protogène, s’énervant de ne pas parvenir à peindre un chien de manière totalement réaliste, aurait barbouillé son tableau à l’aide d’une éponge. L’effet de matière obtenu était d’une telle force, imitant à la perfection l’écume sur les lèvres de l’animal, que Protogène aurait adopté cette manière de peindre. La pratique du hasard est liée à la peinture ; les matériaux fluides se prêtent idéalement à la tache, au jet, à la provocation de l’imprévu ; de nombreux exemples, de la peinture traditionnelle chinoise aux encres de Chine de Victor Hugo, illustrent la relation qu’entretiennent les deux pratiques. Mais c’est au XXème siècle que le hasard sera totalement envisagé comme un processus générateur de forme, comme un insaisissable embrayeur de jeux, pas uniquement réservé à la peinture. Le travail de Marcel Duchamp est éloquent. Il le développe notamment, avec ses compositions musicales obtenues par le tirage au sort de notes, ou encore l’expérience des trois stoppages-étalon, toute une réflexion sur le hasard. Duchamp réalise Trois stoppages-étalon une première fois en 1913. Le processus consiste à jeter trois cordes d’un mètre de longueur au sol, et à utiliser la forme que la chute leur
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sans cesse renouvelés, ses relations bousculées ; il fonctionne en déclinaison, dans une trajectoire linéaire de changement perpétuel. Variation et déclinaison : la série télévisée Bon modèle de l’utilisation du système 1 , les séries télévisées, américaines spécifiquement ; produites par l’industrie filmique de l’Oncle Sam, elles sont donc soumises à un jeu de règles et de paramètres à respecter, considérés par les studios et la production comme indispensables à une bonne réception du public. Généralement conçues en équipe, les séries dites «grand public» se basent donc sur un cahier des charges précis, décrivant la durée (les formats types sont de 22, 30 ou 40 minutes), le rythme de diffusion (la série est découpée en saisons, selon l’année de diffusion ; généralement, elle comprend 12, 16 ou 24 épisodes)2, mais aussi le cota exact d’humour, l’habillage visuel et sonore, jusqu’à la structure narrative. Cette méthode de cahier des charges (terme emprunté à l’automatisation) permet de conserver une cohérence au sein de la série, quels que soient les scénaristes, ou le réalisateur, qui travaille sur un épisode donné.3 Tout est ici fait pour produire un cadre rassurant parce que routinier au spectateur ; la reprise du même pour établir du neuf. Un exemple caractéristique de cette manière de travailler est la série CSI : Crime Scene Investigation (version française: les Experts), composée d’une version originale
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Hasard : événement dont on ne peut expliquer l’apparition, et que l’on ne peut prévoir. De l’arabe Azhar : coup de dés.
Il convient de quelque peu préciser cette définition. En effet, au regard des progrès de la science, de la physique et des probabilités, on est en droit de considérer que de nombreux phénomènes ont perdu de leur hasard, et que tout reste largement prévisible. Même une tache de peinture sur une toile n’est pas tout à fait hasardeuse, puisqu’on pourrait calculer précisément ses mouvements à partir de la densité de la pâte, de la vitesse de projection, bref de tous les paramètres qui la composent. Ce calcul apparaît déjà comme complexe. La tache et ses tribulations conservent une part de mystère à l’échelle de l’humain, et c’est pourquoi nous définirons le hasard comme étant ce qui échappe à la prévision immédiate de qui l’observe1. Bien sûr, après des années à observer des taches se répandre et couler, le comportement du fluide selon sa composition ou sa vitesse initiale perdra de son mystère, et deviendra sous l’œil expérimenté un phénomène globalement plus prévisible. Est-ce à dire que le hasard est relatif 2 ? Toujours est-il que, s’il n’est plus dans l’acrylique déversée sur du coton, le hasard peut résider dans le comportement d’une mouette ou dans la trajectoire d’une bille ; il y a toujours du hasard, pour peu qu’il y ait des choses inexplicables et un tant soit peu
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(CSI Las Vegas) et de deux spin-offs (CSI Miami et CSI Manhattan). Ces trois déclinaisons de la série utilisent un cahier des charges commun, qui régule par exemple la tonalité de l’image, selon un usage de filtres particulier à chacun des deux dérivés : filtre bleuté pour Manhattan, orangé pour Miami, afin de différencier au mieux celles-ci de l’original. Car, ce point mis à part, les trois versions sont conçues identiquement, notamment en termes de structure narrative. Chaque épisode débute ainsi par la découverte d’une scène de crime, où arrivent les personnages principaux – l’équipe d’investigation scientifique. Inévitablement, cette séquence pré-générique de trois à cinq minutes se conclue par une déclaration sentencieuse, en plan rapproché, du chef de brigade. Ensuite est lancé le générique, conçu sur les mêmes plans pour chaque série : scènes de laboratoire, reconstitutions informatiques de scènes de crime, présentation des personnages, l’ensemble étant accompagné par une musique des Who – Who Are You ? pour Las Vegas, Won’t Get Fooled Again pour Miami, Baba O’Riley pour Manhattan. La régulation soigneuse des épisodes ne s’arrête pas là ; le système englobe l’ensemble du déroulé. Peu après le générique, les «experts» découvriront une seconde scène de crime, ce qui séparera le groupe, et la narration, en deux, permettant par la suite de croiser les deux enquêtes afin de rompre toute forme de linéarité.
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HASARD ?
HASARD ?
Les deux équipes récoltent ensuite des indices sur les lieux, avant de les analyser en laboratoire. La réalisation de ces scènes est ultra codifiée : elle sont filmées en mouvement, montées en flash ou en split-screen, et accompagnées d’une musique électronique contemporaine rythmée. Tous ces paramètres, on le voit, forment un système extrêmement défini, une gangue suffocante, dans laquelle on voit mal comment spectateur – passé l’effet de surprise, la répétition de cette routine n’évoque plus que l’ennui, ce qui justifie une surenchère dans la nature des crimes étudiés – et artistes (scénaristes, comédiens, réalisateurs) peuvent trouver un quelconque plaisir.1 Et pourtant, un réalisateur reconnu, par le public autant que la critique, Quentin Tarantino, a accepté l’invitation de CSI Las Vegas, pour réaliser le finale de la cinquième saison, sous la forme d’un épisode en deux parties de quarante minutes. La collision entre le système décrit ci-dessus et la signature de Tarantino est tout à fait étonnante, dans la mesure où l’un s’inscrit dans l’autre : Tarantino et son style – utilisation du cadre, chorégraphie et montage des scènes d’action, montée de la tension – se nichent en effet dans les creux ménagés par la structure des Experts, formant une sorte de sous-système, et le dialogue entre les deux donne tout l’intérêt à la confrontation.2
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représentants comme Al Pacino ou Dustin Hoffman. Le reproche régulièrement fait à la Méthode est sa dérive mécaniste, qui conduit le comédien à ne plus rien créer, mais à user de techniques apprises. C’est une critique qui s’applique généralement au système créatif, dans la mesure où il peut sembler réduire l’influence de l’auteur jusqu’à supprimer la création, ou devenir prévisible dans ses mouvements – comme on l’a vu plus tôt avec Arman.1 La nécéssité du décalage Le système évoqué plastiquement par ses coulissements internes dans un exercice de pure variation est confronté à l’épuisement, qu’il s’agisse de celui, inévitable,2 de ses ressources dans le possible ou de celui, prévisible, de l’auteur ou du spectateur. La «solution» serait alors la sortie de système, la mutation de celui-ci permettant à l’artiste d’éviter le tarissement des options. Le mouvement mécanique donne sans doute l’apparence de la vie, mais quelle que soit la complexité de la machine, une dose de chaos, d’erreur, d’imprévu semble indispensable pour la sortir de ce statut d’ersatz. Dans les Temps Modernes de Charles Chaplin, c’est lorsque les machines et accessoires sophistiqués déraillent que le comique devient possible. De la même manière, Rutault et Morellet introduisent l’humour dans les rouages de leur système de travail ; c’est la fameuse structure Dionysos de Nietzsche 3, qui vient se mêler à l’appollinien, garant de l’unité et de la beauté, pour former un système en deux séries, dans la réunion d’un idéal codifié et d’un chaos créatif.
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Au début des années 2000, après de précédentes tentatives isolées (on pense au Twin Peaks de David Lynch), on a assisté à un renouveau de la série télévisée, avec l’apparition de séries à grande audience, pour la première fois accompagnées d’un projet scénaristique ambitieux. Ainsi sont arrivées les 24h Chrono (dans laquelle chaque épisode se déroule en une heure, temps effectif, une journée durant donc une saison), Lost (et ses sauts temporels, provoquant une confusion rêve/réalité) ou encore les Sopranos, qui marquent toutes l’avènement d’une série télévisée d’auteur, moins axée sur le spectaculaire. Ces séries, ambitieuses mais populaires, ouvrirent la voie d’abord aux producteurs, par l’odeur alléchés, puis aux créateurs. Aux Etats-Unis, c’est Showtime qui entame sa mue, passant en une dizaine d’année de programmes tels que Au-delà du réel, l’aventure continue ou Odyssey 5, à des shows plus underground, de Queer as Folk à Californication, en passant par Dexter et Weeds.1 Le succès arrivant, les possibilités artistiques se débloquant, beaucoup d’artistes venus du cinéma s’intéressent désormais à ce qui devient un medium à part entière ; depuis une dizaine d’année environ, on assiste à un réel essor de la série télévisée, dans ses thèmes, la réalisation et le jeu qui y sont proposés, mais aussi dans l’utilisation de la matière systématique qui compose forcément une série. Ainsi, Martin Scorcese lance en 2010 Boardwalk Empire, réalisant lui-même le pilote. Mettant en scène Nucky
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La reprise est une variation ; Kierkegaard, dans son livre, s’appuie volontiers sur l’image de l’acteur. Chaque interprétation du comédien est différente, et fondée sur la répétition, sur l’acquisition d’un système prédéfini, comme une seconde peau (texte, déplacements, gestes), structurant la réinvention. La forme la plus épurée de cette structure du jeu remonte au XVIème siècle, avec les premières représentations de Commedia Dell’Arte. Ici, la pièce est régie par un canevas, esquissant les grandes lignes de son déroulement, comme un réseau connu de tous les participants. Ainsi, le contenu de la prestation sera largement improvisé, et le jeu comme tendu entre deux pierres de touche, jouant à l’arc-boutant flottant. Le théâtre, de manière générale, est un art de la répétition et de la variation. La mise en scène n’est elle pas un exercice de réorganisation des règles et enjeux du texte1 ? L’interprétation du comédien, sa façon d’appréhender le jeu, est également systématique ; elle dépend généralement de la doctrine dont elle découle. La plus célèbre de ces doctrines est sans doute la Méthode de Stanislavski, basée sur la mémoire sensorielle et sur l’émotion interne plutôt que l’effet plus figuratif, qui reproduit l’émotion sans en saisir la substance. Cette méthode, également appelée Système Stanislavski, a été créée pour correspondre aux textes de son époque réclamant plus de naturalisme dans le jeu, tels que les travaux de Tchekhov ou ceux de Gorki. Elle a été maintes et maintes fois reprise par la suite, que ce soit par Jean Vilar ou par l’Actors Studio américain, avec des
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Thompson (Steve Buscemi), un notable-gangster dans l’Atlantic City de la prohibition, chaque épisode dure une heure (ce qui est relativement long pour le genre), et est servie par une réalisation, une interprétation et un budget qui relèvent du cinéma d’Hollywood. Martin Scorcese, étirant la série à une heure, ou raccourcissant le film, c’est selon, joue avec les structures classiques, s’aménage le medium. Producteur de l’ensemble de la série, il a veillé à ce qu’elle porte son empreinte, sa signature de cinéaste, en réalisant le premier épisode, établissant ainsi définitivement le cahier des charges global. Deux choses frappent, à suivre cette série ; de fait, si l’épisode signé Scorcese est acéré et superbe, la suite ne ressemble guère, formellement, qu’à du Scorcese systématisé. La surprise disparaît, et l’ensemble paraît appliqué, scolaire. Ensuite, loin d’être une variation, épisode après épisode, sur un canevas précis, la série affronte sa linéarité, et se conçoit plutôt comme une épopée ; le format de la série télévisée, infinie tant qu’elle rencontre le succès, se prête à cet emploi. Ici, la sortie de système ne viendra pas de la réalisation, bloquée par l’obligation d’imiter le maître ; ce sont les scénaristes qui déclinent l’histoire de leur personnages au milieu de l’Histoire des Etats-Unis1 ; ce sont les liens, rebondissements qu’ils effectuent, puisque seule la réalisation est régulée. Ici, la narration est donc le fantôme dans le système, qui l’articule et qui s’y accroche. Ainsi, le système de la série fonctionne aussi bien de manière déclinatoire (linéaire) qu’en variation (cyclique) ; codifié à l’extrême, utilisé à la fois comme base artistique
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« l’art, c’est ce qui fait toujours un peu peur, et un peu rire 1 » Jean Dubuffet C’est sans doute là la vraie relation qui lie hasard et système ; le premier fonctionne comme rythme, prenant l’apparence de l’objectivité, son autonomie de reproduction et de variation le faisant tendre vers l’infini, avec ce que celle-ci a d’angoissant. Le second part du détail et conduit au tout, travaillant par décalage. L’association des deux fournit une légitimité et une place propre au hasard, qui en retour dédramatise le système et garantit sa survie en jouant le rôle d’entrée/sortie vers l’extérieur. Le système sans hasard/imprévu n’est qu’un palais vide, pour reprendre l’expression de Kierkegaard ; c’est un cocon inutile, une belle carcasse. Le hasard l’approvisionne en population et en imprévisible, il lui donne la consistance du vivant. De plus, comme l’établit Pierre Saussure, « l’impulsion créatrice se niche dans la conception de [la] méthode 2 » : en libérant l’artiste de la responsabilité de la forme, le hasard déplace la création au niveau du processus, mettant donc celui-ci en valeur. Les bénéfices sont mutuels, et de la friction entre les deux concepts naît une tension créative.
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et comme recette commerciale, il s’étouffe néanmoins lorsqu’il ne décline pas du tout. Seule la sortie du système permet ainsi de conserver le système. Sortir de la philosophie pour continuer la philosophie, disait Deleuze ; sans évasion, cette différence de potentiel lui servant à la fois de point d’entrée et de sortie, le système réutilisé s’épuise jusqu’à se consumer dans l’ennui le plus total. Ces deux mouvements conjoints, le cycle de la variation et la ligne de la déclinaison, on les retrouve dans une forme exceptionnellement aboutie au travers de l’œuvre de Roman Opalka. Dès 1965, le peintre commence sa série Détails : à la peinture blanche, sur un fond noir, il écrit les nombres de un à l’infini, toujours sur une toile d’un format précis, avec le même pinceau. Mais ce ne sont que les prémisses du système ; lorsqu’il atteint le nombre symbolique d’un million en 1972, Opalka décide de décliner, et ajoute désormais un pour cent de blanc au fond noir, chaque fois qu’il termine une toile ; le fond devient ainsi de plus en plus clair au fil des années. A la fin de chacune de ses séances de travail, Opalka se photographie, de face. Il s’enregistre également, comptant en polonais au fur et à mesure qu’il peint. Roman Opalka présente son travail comme une réflexion sur le temps ; l’éclaircissement progressif du tableau, l’énumération, l’altération de son visage et de sa voix au fil des années, tout cela établit un mouvement linéaire, qui se mêle au mouvement cyclique du différentiel entre les toiles. Le passage temps et sa méticuleuse captation offrent à la reprise du même un caractère déclinatoire, 40
tout en servant d’entrée d’air au système, de point d’aspérité dans la rigidité du protocole. La reprise La reprise du même donne à la fois espoir et nostalgie ; elle mêle sécurité routinière et excitation de l’aventure. Dans son livre la Reprise, dont le groupe CoBRA revendiquait volontiers la lecture, Soren Kierkegaard définit la reprise comme un mouvement nécessaire à la vie et au bonheur. La reprise est, pour le philosophe, une «catégorie paradoxale», en ce sens qu’il s’agit d’un geste alliant la sensation de l’ancien et le goût du neuf. Chez Kierkegaard, la reprise – d’abord de sa relation avec Régine Olsen, qu’il souhaite «reprendre» à ses côtés – n’est pas la répétition du même, la reproduction identique du mouvement, mais l’occasion pour l’homme d’atteindre son actualisation, par l’appréhension nouvelle de circonstances identiques. Il s’agit du même mécanisme selon lequel un comédien va re-créer chaque soir son rôle de manière différente, et ce malgré les nombreuses répétitions préalables ; on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve1, et pourtant le fleuve reste identique. Pour Kierkegaard, grand mystique, la reprise est l’unique moyen pour l’homme de s’accomplir devant Dieu, d’être «réconcilié» et total. « Au bout de ce jour, il reste ce qui restait d’hier, ce qui restera de demain : l’angoisse insatiable, insoutenable d’être toujours le même, et toujours un autre » Fernando Pessoa
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tout en servant d’entrée d’air au système, de point d’aspérité dans la rigidité du protocole. La reprise La reprise du même donne à la fois espoir et nostalgie ; elle mêle sécurité routinière et excitation de l’aventure. Dans son livre la Reprise, dont le groupe CoBRA revendiquait volontiers la lecture, Soren Kierkegaard définit la reprise comme un mouvement nécessaire à la vie et au bonheur. La reprise est, pour le philosophe, une «catégorie paradoxale», en ce sens qu’il s’agit d’un geste alliant la sensation de l’ancien et le goût du neuf. Chez Kierkegaard, la reprise – d’abord de sa relation avec Régine Olsen, qu’il souhaite «reprendre» à ses côtés – n’est pas la répétition du même, la reproduction identique du mouvement, mais l’occasion pour l’homme d’atteindre son actualisation, par l’appréhension nouvelle de circonstances identiques. Il s’agit du même mécanisme selon lequel un comédien va re-créer chaque soir son rôle de manière différente, et ce malgré les nombreuses répétitions préalables ; on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve1, et pourtant le fleuve reste identique. Pour Kierkegaard, grand mystique, la reprise est l’unique moyen pour l’homme de s’accomplir devant Dieu, d’être «réconcilié» et total. « Au bout de ce jour, il reste ce qui restait d’hier, ce qui restera de demain : l’angoisse insatiable, insoutenable d’être toujours le même, et toujours un autre » Fernando Pessoa
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et comme recette commerciale, il s’étouffe néanmoins lorsqu’il ne décline pas du tout. Seule la sortie du système permet ainsi de conserver le système. Sortir de la philosophie pour continuer la philosophie, disait Deleuze ; sans évasion, cette différence de potentiel lui servant à la fois de point d’entrée et de sortie, le système réutilisé s’épuise jusqu’à se consumer dans l’ennui le plus total. Ces deux mouvements conjoints, le cycle de la variation et la ligne de la déclinaison, on les retrouve dans une forme exceptionnellement aboutie au travers de l’œuvre de Roman Opalka. Dès 1965, le peintre commence sa série Détails : à la peinture blanche, sur un fond noir, il écrit les nombres de un à l’infini, toujours sur une toile d’un format précis, avec le même pinceau. Mais ce ne sont que les prémisses du système ; lorsqu’il atteint le nombre symbolique d’un million en 1972, Opalka décide de décliner, et ajoute désormais un pour cent de blanc au fond noir, chaque fois qu’il termine une toile ; le fond devient ainsi de plus en plus clair au fil des années. A la fin de chacune de ses séances de travail, Opalka se photographie, de face. Il s’enregistre également, comptant en polonais au fur et à mesure qu’il peint. Roman Opalka présente son travail comme une réflexion sur le temps ; l’éclaircissement progressif du tableau, l’énumération, l’altération de son visage et de sa voix au fil des années, tout cela établit un mouvement linéaire, qui se mêle au mouvement cyclique du différentiel entre les toiles. Le passage temps et sa méticuleuse captation offrent à la reprise du même un caractère déclinatoire, 40
Kierkegaard, toujours dans la Reprise, définit le poète (par extension, l’artiste, celui-qui-crée) par son «inaptitude d’être au monde», justifiant ce décalage par l’angle du poète sur le monde, qui est ainsi à l’origine de son œuvre comme de son inconfort.1 La pratique de l’hommage, du détournement ou simplement de la reprise d’une œuvre existante participe de cette idée selon laquelle l’artiste existe de par son angle, ses choix. En effet, confronté à la pièce d’un autre, l’auteur effectuera obligatoirement des choix différentiels, dans la limite du système préexistant (exception faite des emprunts) 2. La réorganisation est un exercice largement répandu. D’abord parce qu’il met en évidence la différence entre l’œuvre et sa réadaptation, par un jeu de comparaison et de symbolique, soulignant ainsi les possibles retenus en deuxième instance.3 Il s’agit également d’une forme d’hommage ; lorsque Giraudoux réinterprète Electre, c’est tout autant par admiration personnelle que par envie d’explorer d’autres modalités de l’œuvre, de l’emmener plus loin. La reprise est bien ici une re-création, comme c’est particulièrement évident avec le re-enactment en performance, qui, déplaçant le hic et nunc de la pièce originale, lui donnant une nouvelle activation. On peut citer les travaux de Marina Abramovic et du Performance International Group, qui rejouent un certain nombre de pièces historiques.
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Thompson (Steve Buscemi), un notable-gangster dans l’Atlantic City de la prohibition, chaque épisode dure une heure (ce qui est relativement long pour le genre), et est servie par une réalisation, une interprétation et un budget qui relèvent du cinéma d’Hollywood. Martin Scorcese, étirant la série à une heure, ou raccourcissant le film, c’est selon, joue avec les structures classiques, s’aménage le medium. Producteur de l’ensemble de la série, il a veillé à ce qu’elle porte son empreinte, sa signature de cinéaste, en réalisant le premier épisode, établissant ainsi définitivement le cahier des charges global. Deux choses frappent, à suivre cette série ; de fait, si l’épisode signé Scorcese est acéré et superbe, la suite ne ressemble guère, formellement, qu’à du Scorcese systématisé. La surprise disparaît, et l’ensemble paraît appliqué, scolaire. Ensuite, loin d’être une variation, épisode après épisode, sur un canevas précis, la série affronte sa linéarité, et se conçoit plutôt comme une épopée ; le format de la série télévisée, infinie tant qu’elle rencontre le succès, se prête à cet emploi. Ici, la sortie de système ne viendra pas de la réalisation, bloquée par l’obligation d’imiter le maître ; ce sont les scénaristes qui déclinent l’histoire de leur personnages au milieu de l’Histoire des Etats-Unis1 ; ce sont les liens, rebondissements qu’ils effectuent, puisque seule la réalisation est régulée. Ici, la narration est donc le fantôme dans le système, qui l’articule et qui s’y accroche. Ainsi, le système de la série fonctionne aussi bien de manière déclinatoire (linéaire) qu’en variation (cyclique) ; codifié à l’extrême, utilisé à la fois comme base artistique
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La reprise est une variation ; Kierkegaard, dans son livre, s’appuie volontiers sur l’image de l’acteur. Chaque interprétation du comédien est différente, et fondée sur la répétition, sur l’acquisition d’un système prédéfini, comme une seconde peau (texte, déplacements, gestes), structurant la réinvention. La forme la plus épurée de cette structure du jeu remonte au XVIème siècle, avec les premières représentations de Commedia Dell’Arte. Ici, la pièce est régie par un canevas, esquissant les grandes lignes de son déroulement, comme un réseau connu de tous les participants. Ainsi, le contenu de la prestation sera largement improvisé, et le jeu comme tendu entre deux pierres de touche, jouant à l’arc-boutant flottant. Le théâtre, de manière générale, est un art de la répétition et de la variation. La mise en scène n’est elle pas un exercice de réorganisation des règles et enjeux du texte1 ? L’interprétation du comédien, sa façon d’appréhender le jeu, est également systématique ; elle dépend généralement de la doctrine dont elle découle. La plus célèbre de ces doctrines est sans doute la Méthode de Stanislavski, basée sur la mémoire sensorielle et sur l’émotion interne plutôt que l’effet plus figuratif, qui reproduit l’émotion sans en saisir la substance. Cette méthode, également appelée Système Stanislavski, a été créée pour correspondre aux textes de son époque réclamant plus de naturalisme dans le jeu, tels que les travaux de Tchekhov ou ceux de Gorki. Elle a été maintes et maintes fois reprise par la suite, que ce soit par Jean Vilar ou par l’Actors Studio américain, avec des
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Au début des années 2000, après de précédentes tentatives isolées (on pense au Twin Peaks de David Lynch), on a assisté à un renouveau de la série télévisée, avec l’apparition de séries à grande audience, pour la première fois accompagnées d’un projet scénaristique ambitieux. Ainsi sont arrivées les 24h Chrono (dans laquelle chaque épisode se déroule en une heure, temps effectif, une journée durant donc une saison), Lost (et ses sauts temporels, provoquant une confusion rêve/réalité) ou encore les Sopranos, qui marquent toutes l’avènement d’une série télévisée d’auteur, moins axée sur le spectaculaire. Ces séries, ambitieuses mais populaires, ouvrirent la voie d’abord aux producteurs, par l’odeur alléchés, puis aux créateurs. Aux Etats-Unis, c’est Showtime qui entame sa mue, passant en une dizaine d’année de programmes tels que Au-delà du réel, l’aventure continue ou Odyssey 5, à des shows plus underground, de Queer as Folk à Californication, en passant par Dexter et Weeds.1 Le succès arrivant, les possibilités artistiques se débloquant, beaucoup d’artistes venus du cinéma s’intéressent désormais à ce qui devient un medium à part entière ; depuis une dizaine d’année environ, on assiste à un réel essor de la série télévisée, dans ses thèmes, la réalisation et le jeu qui y sont proposés, mais aussi dans l’utilisation de la matière systématique qui compose forcément une série. Ainsi, Martin Scorcese lance en 2010 Boardwalk Empire, réalisant lui-même le pilote. Mettant en scène Nucky
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représentants comme Al Pacino ou Dustin Hoffman. Le reproche régulièrement fait à la Méthode est sa dérive mécaniste, qui conduit le comédien à ne plus rien créer, mais à user de techniques apprises. C’est une critique qui s’applique généralement au système créatif, dans la mesure où il peut sembler réduire l’influence de l’auteur jusqu’à supprimer la création, ou devenir prévisible dans ses mouvements – comme on l’a vu plus tôt avec Arman.1 La nécéssité du décalage Le système évoqué plastiquement par ses coulissements internes dans un exercice de pure variation est confronté à l’épuisement, qu’il s’agisse de celui, inévitable,2 de ses ressources dans le possible ou de celui, prévisible, de l’auteur ou du spectateur. La «solution» serait alors la sortie de système, la mutation de celui-ci permettant à l’artiste d’éviter le tarissement des options. Le mouvement mécanique donne sans doute l’apparence de la vie, mais quelle que soit la complexité de la machine, une dose de chaos, d’erreur, d’imprévu semble indispensable pour la sortir de ce statut d’ersatz. Dans les Temps Modernes de Charles Chaplin, c’est lorsque les machines et accessoires sophistiqués déraillent que le comique devient possible. De la même manière, Rutault et Morellet introduisent l’humour dans les rouages de leur système de travail ; c’est la fameuse structure Dionysos de Nietzsche 3, qui vient se mêler à l’appollinien, garant de l’unité et de la beauté, pour former un système en deux séries, dans la réunion d’un idéal codifié et d’un chaos créatif.
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Les deux équipes récoltent ensuite des indices sur les lieux, avant de les analyser en laboratoire. La réalisation de ces scènes est ultra codifiée : elle sont filmées en mouvement, montées en flash ou en split-screen, et accompagnées d’une musique électronique contemporaine rythmée. Tous ces paramètres, on le voit, forment un système extrêmement défini, une gangue suffocante, dans laquelle on voit mal comment spectateur – passé l’effet de surprise, la répétition de cette routine n’évoque plus que l’ennui, ce qui justifie une surenchère dans la nature des crimes étudiés – et artistes (scénaristes, comédiens, réalisateurs) peuvent trouver un quelconque plaisir.1 Et pourtant, un réalisateur reconnu, par le public autant que la critique, Quentin Tarantino, a accepté l’invitation de CSI Las Vegas, pour réaliser le finale de la cinquième saison, sous la forme d’un épisode en deux parties de quarante minutes. La collision entre le système décrit ci-dessus et la signature de Tarantino est tout à fait étonnante, dans la mesure où l’un s’inscrit dans l’autre : Tarantino et son style – utilisation du cadre, chorégraphie et montage des scènes d’action, montée de la tension – se nichent en effet dans les creux ménagés par la structure des Experts, formant une sorte de sous-système, et le dialogue entre les deux donne tout l’intérêt à la confrontation.2
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HASARD ?
HASARD ?
(CSI Las Vegas) et de deux spin-offs (CSI Miami et CSI Manhattan). Ces trois déclinaisons de la série utilisent un cahier des charges commun, qui régule par exemple la tonalité de l’image, selon un usage de filtres particulier à chacun des deux dérivés : filtre bleuté pour Manhattan, orangé pour Miami, afin de différencier au mieux celles-ci de l’original. Car, ce point mis à part, les trois versions sont conçues identiquement, notamment en termes de structure narrative. Chaque épisode débute ainsi par la découverte d’une scène de crime, où arrivent les personnages principaux – l’équipe d’investigation scientifique. Inévitablement, cette séquence pré-générique de trois à cinq minutes se conclue par une déclaration sentencieuse, en plan rapproché, du chef de brigade. Ensuite est lancé le générique, conçu sur les mêmes plans pour chaque série : scènes de laboratoire, reconstitutions informatiques de scènes de crime, présentation des personnages, l’ensemble étant accompagné par une musique des Who – Who Are You ? pour Las Vegas, Won’t Get Fooled Again pour Miami, Baba O’Riley pour Manhattan. La régulation soigneuse des épisodes ne s’arrête pas là ; le système englobe l’ensemble du déroulé. Peu après le générique, les «experts» découvriront une seconde scène de crime, ce qui séparera le groupe, et la narration, en deux, permettant par la suite de croiser les deux enquêtes afin de rompre toute forme de linéarité.
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Hasard : événement dont on ne peut expliquer l’apparition, et que l’on ne peut prévoir. De l’arabe Azhar : coup de dés.
Il convient de quelque peu préciser cette définition. En effet, au regard des progrès de la science, de la physique et des probabilités, on est en droit de considérer que de nombreux phénomènes ont perdu de leur hasard, et que tout reste largement prévisible. Même une tache de peinture sur une toile n’est pas tout à fait hasardeuse, puisqu’on pourrait calculer précisément ses mouvements à partir de la densité de la pâte, de la vitesse de projection, bref de tous les paramètres qui la composent. Ce calcul apparaît déjà comme complexe. La tache et ses tribulations conservent une part de mystère à l’échelle de l’humain, et c’est pourquoi nous définirons le hasard comme étant ce qui échappe à la prévision immédiate de qui l’observe1. Bien sûr, après des années à observer des taches se répandre et couler, le comportement du fluide selon sa composition ou sa vitesse initiale perdra de son mystère, et deviendra sous l’œil expérimenté un phénomène globalement plus prévisible. Est-ce à dire que le hasard est relatif 2 ? Toujours est-il que, s’il n’est plus dans l’acrylique déversée sur du coton, le hasard peut résider dans le comportement d’une mouette ou dans la trajectoire d’une bille ; il y a toujours du hasard, pour peu qu’il y ait des choses inexplicables et un tant soit peu
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sans cesse renouvelés, ses relations bousculées ; il fonctionne en déclinaison, dans une trajectoire linéaire de changement perpétuel. Variation et déclinaison : la série télévisée Bon modèle de l’utilisation du système 1 , les séries télévisées, américaines spécifiquement ; produites par l’industrie filmique de l’Oncle Sam, elles sont donc soumises à un jeu de règles et de paramètres à respecter, considérés par les studios et la production comme indispensables à une bonne réception du public. Généralement conçues en équipe, les séries dites «grand public» se basent donc sur un cahier des charges précis, décrivant la durée (les formats types sont de 22, 30 ou 40 minutes), le rythme de diffusion (la série est découpée en saisons, selon l’année de diffusion ; généralement, elle comprend 12, 16 ou 24 épisodes)2, mais aussi le cota exact d’humour, l’habillage visuel et sonore, jusqu’à la structure narrative. Cette méthode de cahier des charges (terme emprunté à l’automatisation) permet de conserver une cohérence au sein de la série, quels que soient les scénaristes, ou le réalisateur, qui travaille sur un épisode donné.3 Tout est ici fait pour produire un cadre rassurant parce que routinier au spectateur ; la reprise du même pour établir du neuf. Un exemple caractéristique de cette manière de travailler est la série CSI : Crime Scene Investigation (version française: les Experts), composée d’une version originale
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imprévisibles, et c’est pourquoi ce concept fascine les artistes depuis plusieurs centaines d’années. Bref historique des usages du hasard en art. Le récit que fait Pline de l’artiste Protogène peignant une tête de chien est sans doute l’exemple le plus ancien qui existe d’une rencontre entre art et hasard. Selon l’écrivain romain, Protogène, s’énervant de ne pas parvenir à peindre un chien de manière totalement réaliste, aurait barbouillé son tableau à l’aide d’une éponge. L’effet de matière obtenu était d’une telle force, imitant à la perfection l’écume sur les lèvres de l’animal, que Protogène aurait adopté cette manière de peindre. La pratique du hasard est liée à la peinture ; les matériaux fluides se prêtent idéalement à la tache, au jet, à la provocation de l’imprévu ; de nombreux exemples, de la peinture traditionnelle chinoise aux encres de Chine de Victor Hugo, illustrent la relation qu’entretiennent les deux pratiques. Mais c’est au XXème siècle que le hasard sera totalement envisagé comme un processus générateur de forme, comme un insaisissable embrayeur de jeux, pas uniquement réservé à la peinture. Le travail de Marcel Duchamp est éloquent. Il le développe notamment, avec ses compositions musicales obtenues par le tirage au sort de notes, ou encore l’expérience des trois stoppages-étalon, toute une réflexion sur le hasard. Duchamp réalise Trois stoppages-étalon une première fois en 1913. Le processus consiste à jeter trois cordes d’un mètre de longueur au sol, et à utiliser la forme que la chute leur
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Au cours de leurs tentatives répétées qui conservent la même structure d’ensemble, des artistes comme Queneau et Morellet expérimentent donc la variation ; on pourrait également citer les Becher, avec leurs photographies objectives d’ensembles industriels, ou plus récemment le britannique Andrew Bick, qui développe en peinture des compositions complexes et géométriques, ou encore bien d’autres. Une autre possibilité est celle de la déclinaison, qui inclut nécessairement une sortie de système ; comme si l’on modifiait la fonction des pièces que l’on remplace dans le vaisseau Argo. La structure s’en trouve modifiée dans son fonctionnement, sa répartition virtuelle.1 Ainsi, les séries en extérieur de Claude Monet : se fixant un sujet précis (la cathédrale de Rouen, une botte de foin ou des nymphéas), le peintre y revient de jour en jour, établissant une suite de points de vue différents. Précisément, en changeant de toile en toile l’angle, le format ou la palette, Claude Monet sort constamment d’un système, l’enchaînement témoignant d’un manque quelque part – que cherche-t-il à trouver, en circonscrivant ainsi son sujet, le cernant de toute part ? La série des bottes de foin, en particulier, symbolise ce manque. Claude Monet, de son propre aveu, voulait capter par la peinture la spécificité de chaque moment, de chaque lumière. La construction en série d’éléments, qui n’ont de commun que leur sujet, donne réellement la sensation que le peintre part à la chasse, rabattant systématiquement son sujet, tentant de le saisir par n’importe quel moyen. Le système voit ici ses paramètres
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fait adopter pour fabriquer trois règles, mètres-étalons distordus. « Mes trois stoppages-étalon sont donnés par trois expériences, et la forme est un peu différente pour chacune. Je garde la ligne et j’ai un mètre déformé. C’est un mètre en conserve, si vous voulez, c’est du hasard en conserve.1 » La répétition du geste implique un ensemble de règles préalables : Duchamp réagit en logicien, établissant un protocole scientifique, où un paramètre à la fois doit être modifié, sous peine de décrédibiliser l’expérience. De plus, l’artiste explore ici trois formes possibles, démontrant par là la différence de potentiel entre chaque action (la plus petite différence mesurable, le phonème des linguistes). Il évoque ainsi l’éventail des possibles auquel conduit son protocole, tout en laissant le hasard assumer la forme, et en fondant le fonctionnement de la pièce sur ce principe même. Le hasard fournit ainsi un genre d’autonomie à la forme ; insaisissable même pour l’artiste qui le provoque, il découle d’un lâcher prise. Son emploi procède d’abord de la remise en cause de la figure de l’artiste romantique, tout en talent et virtuosité; il s’agit une révolte de l’auteur contre la convention formelle et théorique – voir par exemple l’usage qu’en a fait le groupe Dada, dont le nom même fut, selon la légende, trouvé au hasard d’un dictionnaire. Par extension, le hasard deviendra ensuite l’expression de l’inconscient de l’artiste, avec les expérimentations surréalistes telles que le cadavre exquis ou l’écriture automatique.
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toucher à sa répartition symbolique. Il s’agit de la variation, que Claude Rutault préférait appelait la combination ; la réorganisation interne des propriétés. Les Exercices de Style de Raymond Queneau en sont une bonne illustration : l’écrivain s’y propose d’écrire quatrevingt-dix-neuf fois la même histoire, de quatre-vingt-dixneuf manières différentes. Du passé simple au loucherbem, de l’interrogatoire à «l’olfactif», Queneau réinvente constamment la langue et la narration ; l’intensité de la variation est ici évidente, grâce au cadre constant de l’histoire, qui ne change pas. François Morellet, qu’on a déjà évoqué, procède d’une manière relativement proche, dans la mesure où il revendique le fait que «ce sont les contraintes des systèmes et des matériaux qui sont en fait le sujet de [son] œuvre». Morellet, lorsqu’il établit un ensemble de possibles via l’établissement de règles, cherche à épuiser cet ensemble ; c’est pourquoi chaque système donne lieu à plusieurs explorations plastiques, puisque de son propre aveu, l’artiste préfère n’en montrer aucune, plutôt que de n’en montrer qu’une. Morellet va jusqu’au bout, déjouant ses propres pièges avec humour, à la recherche des «portes dérobées» qui conduiraient le système à s’arrêter, contrecarré par l’artiste. Outre ses recherches sur toile, Morellet nourrit une pratique d’installation, utilisant le plus souvent des matériaux dépouillés tels que des néons1 ou des poutres. L’artiste joue alors avec l’espace comme avec son système, dans des pièces comme Angles droits composés d’une poutre coupée d’onglet et d’une ligne sur le mur (1982).
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On peut dès à présent différencier deux manières d’appréhender l’aléatoire en art. Ainsi, Duchamp, Dada et à leur suite John Cage et le mouvement Fluxus introduisent de l’imprévu dans leurs œuvres tout en conservant une certaine ironie, tandis que les surréalistes y voient l’expression renouvelée de l’ego, dans sa sphère inaccessible, l’inconscient. Cette seconde vision est proche de celle de Jackson Pollock, ou de Georges Mathieu, pour qui le hasard lié à la peinture gestuelle contribue à réaffirmer l’héroïsme du créateur. Pollock, après des années de pratique post-expressionniste empruntant notamment à l’iconographie amérindienne, commence vers 1945 à peindre au sol, et développe sa fameuse technique du dripping immortalisée dès 1950 par les photographies, puis les films, de Hans Namuth. L’artiste américain jette et laisse couler la peinture sur la toile, interdisant tout contact entre l’outil (pots de peinture, bâtons de bois) et le support. Cette méthode introduit forcément un degré de hasard, même si le geste reste sous le contrôle relatif de l’artiste ; la direction est définie, mais les projections et détours de la matière en mouvement sont imprévisibles. Cette pratique participe largement de l’action painting, et Pollock, grâce aux traces qu’il produit de l’action, théâtralise le geste comme la posture de la figure du peintre. En France et au Japon, Georges Mathieu développe à la suite de Pollock cette mise en scène du corps de l’artiste dans des performances où, revêtant un costume (habit de guerre japonais, kimono), il peint en direct de grands formats
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catalogues George Brecht, A Heterospective/Eine Heterospektive – Walther Konig, 2006 François Morellet – centre Georges Pompidou, 1986 Claude Rutault, les toiles et l’archer – musée Bourdelle, 2005 1,2,3, ETC...progressions numériques dans l’art contemporain Musée des Beaux-Arts de Besançon, 1983 Gérard Gasiorowski – Carré d’art contemporain, 2010 Mark Rothko – Tate Modern, 2008 Francis Alÿs, A History of Deception – Wiels Museum, 2011 œuvres de fiction Joyce, James – Finnegans Wake, Penguin Classics, 2000 Perec, Georges – Romans et récits, Livre de poche, 2002 Pessoa, Fernando – Poèmes païens, Points, 2007 Vian, Boris – Œuvres complètes, Fayard, 2001 Queneau, Raymond – Cent mille milliards de poèmes,Gallimard, 1961 Queneau, Raymond – Exercices de Style, Gallimard, 1982 sites internet Claude Rutault (d/m) : www.cneai.com/rutault Tristan Bastit :www.tristanbastit.fr/oupeinpo.php Gh. Mollet-Véville : www.conceptual-art.net/ OuLiPO : www.oulipo.net/ Le Monde des Séries : www.seriestv.blog.lemonde.fr
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à l’aide de gestes amples, démonstratifs. Le mouvement du peintre devient aussi important dans l’œuvre que ses conséquences plastiques.1 Si pour Duchamp le hasard renvoie à la vie, à l’expérimentation et au jeu, pour Pollock, qui se défend d’ailleurs de tout lâcher prise, c’est l’installation définitive dans une tour d’ivoire. Les compositions musicales de l’artiste américain John Cage, qui eut une influence non négligeable sur nombre de plasticiens et musiciens depuis les années soixante, doivent également beaucoup au hasard, et tendent plutôt vers l’acception qu’en a Duchamp. A partir de 1951 et jusqu’à son décès en 1992, Cage fonde ses compositions sur le Yi Jing, manuel de divination chinois. Pour John Cage, la définition hasardeuse du rythme et du motif de ses pièces, dont la plus célèbre restera sans doute 4’33 de silence, est une manière d’imiter le mouvement de la vie et de détourner la composition musicale de ses implications et utilisations courantes. Dans son livre La mécanique de l’imprévisible, Pierre Saurisse théorise cette différence fondamentale : pour lui, Duchamp et Cage convoquent l’aléatoire de manière « analytique », et le recul qui en découle les conduit vers l’humour; en revanche, Pollock pratique le hasard avec « emphase », tendant plutôt du côté du drame. Selon Pierre Saurisse, George Brecht est un exemple de passage d’une conception à l’autre ; après analyse, ce cas semble plus complexe. Certes, c’est la découverte des travaux de Jackson Pollock et de Robert Rauschenberg
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essais/écrits d’artistes Alain – Système des Beaux-Arts, Gallimard, 1983 Antonioni, Michelangelo – Ecrits et entretiens, Images Modernes, 2003 Carrouges, Michel – Les Machines célibataires, éditions du Chêne, 1976 Saurisse, Pierre – La Mécanique de l’imprévisible, Harmattan, 2007 Deleuze, Gilles – A quoi reconnaît-on le structuralisme ? In L’Ile déserte et autres textes, Minuit, 2002 Kierkegaard, Soren – La reprise, Flammarion, 2008 Shitao – Les Propos sur la peinture du moine Citrouille-Amère, Plon, 2007 Nietzsche, Friedrich – La Naissance de la tragédie, Livre de poche, 1986 Jarmusch, Jim – Interviews, Roundhouse Publishing Ltd, 2001 Krauss, Rosalind – L’originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes, Macula, 2000 Aubert, Jacques – Esthétique de James Joyce, Klincksieck, 1973 Nicolas Feuillie - Fluxus Dixit, les presses du réel, 2002 Brecht, Georges – Chance Imagery, les presses du réel, 2002 Rutault, Claude – N°1 bis – le môme vers le gris, éditions des Cendres, 2003 Filliou, Robert – Enseigner et apprendre, arts vivants, Leeber Hossman, 2000
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qui conduisit Brecht, chimiste de profession, à expérimenter le hasard comme forme plastique à l’aube des années cinquante. Il écrit en 1957 Chance Imagery, sorte d’état des lieux des usages de l’aléatoire en art au XXème siècle. Dans son travail, Brecht explore d’abord les possibilités du hasard en peinture, sous l’influence de Pollock ; mais ses tentatives, bien que visuellement proches de l’expressionnisme abstrait, doivent déjà beaucoup à sa formation scientifique. Protocolaire, systématique dans ses propositions, Brecht emprunte les formes dramatiques de Pollock mais c’est bien la distance de Duchamp qui caractérise sa démarche, comme lorsqu’il déconstruit consciencieusement la mathématique de l’aléatoire dans Chance Imagery. Par la suite, il prouvera que ce ne sont pas les formes picturales de la tache, de la coulure ou de la projection qui l’intéressent, mais le processus même de hasard. En 1959, il crée Structure : Double Glass, œuvre où différents fluides et matières (carton, tissu) sont emprisonnés entre deux plaques de verre verticales, qui compressent et répartissent aléatoirement les matériaux. Les formes ainsi obtenues, spectaculaires et énigmatiques, sont visibles au recto comme au verso. Après ces expérimentations de forme et de matière, Brecht tendra progressivement vers une autre sorte de hasard, dû à l’imprévisibilité de l’humain. C’est le principe, évoqué précédemment, des events, cadre à la disposition d’une prise en main extérieure. George Brecht explore alors une nouvelle utilisation de l’aléatoire, l’humain devenant son véhicule. Par la suite, de nombreuses formes relevant de l’art-action vont également utiliser le
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BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
potentiel hasardeux du spectateur ; on peut citer les dispositifs participatifs, tels que Rorchasch Saloon, de François Curlet. Il s’agit d’un espace présentant seulement des bancs-sièges et de l’alcool fort. Curlet met à plat la relation patient/psychanalyste, en invitant les spectateurs à se confier les uns aux autres en profitant librement des possibilités de l’environnement, à l’aide de gin et vodka. La pièce devient ce que les « preneurs en imagination 1 » y produisent, et n’est donc jamais préalablement fixée. Dans toutes ces œuvres, l’utilisation d’un protocole, d’un système de règles est notable ; le hasard semble se provoquer et s’étudier comme un phénomène scientifique. Il paraît pertinent de s’intéresser alors aux relations précises entre hasard et système en art. Tout hasard a besoin d’un rythme De Pollock à Duchamp, de Cage à Curlet, on s’aperçoit que le hasard s’accompagne d’un système de relations préalables, qu’il s’agisse d’un protocole d’action ou d’un dispositif proposé. George Brecht, en concluant sa recherche sur l’aléatoire par l’établissement de purs scénarios, a atteint un point de systématisation extrêmement abouti. Le hasard semble donc généralement s’explorer au sein d’une structure. Mais peut-il seulement s’en passer ? Il s’agit de se représenter un hasard nu, pur, gratuit. Comment d’abord l’identifier comme tel ? Sans processus pour lui offrir de le peupler, c’est en effet son identité même de hasard qui est remise en cause. Il ne
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désormais gazeuse, intervenant dans de nombreux travaux sans forcément dire son nom, accédant au statut de technique.1 C’est sans doute également le cas pour le hasard, qui a connu son heure de gloire au cours des années soixante, ayant été depuis digéré et assimilé par le monde de l’art. Pourtant, hasard et contraintes peuvent encore motiver un travail, sans se contenter d’y concourir ; leur étude n’est pas réservée aux «survivants» des années soixante, et leur utilisation n’est pas obligatoirement celle, contingente, de l’emprunt technique. Il est en effet rassurant de constater qu’une nouvelle génération d’artistes, d’Andrew Bick à Philippe Parreno, s’empare de ces notions de système et de hasard, rénovant leur statut subversif en les confrontant aux structures de communication qui nous environnent. Face au déluge d’informations, d’images et de concepts qui nous est proposé à chaque instant depuis l’avènement des mass-media, à l’heure d’internet et des réseaux sociaux, l’adoption d’un système personnel de découpage, de tri, paraît non seulement nécessaire, mais aussi salutaire ; quant au hasard, il fonctionne toujours comme une entrée d’air, et aujourd’hui sa mystique comme son décalage sont, à mon sens, intacts.
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s’agirait alors que d’une forme vacante, et non plus d’un paramètre chaotique ; son indépendance implique la fin de sa valeur d’exception. Le hasard devrait ainsi rester minoritaire dans l’œuvre d’art, fonctionner comme le « détail » qui « déchire une totalité close », sous peine de perdre son identité. Sans système, le hasard est condamné à n’être qu’un geste stupide, différent sans référent 1. Paul Gavarni, dessinateur français, écrivait à l’aube du XIXème siècle que le « hasard seul est merveilleux, parce qu’il est inintelligent ». Ce caractère rend sans doute le hasard fascinant, et justifie son emploi comme véhicule de l’inconscient ; mais il définit également son impossibilité à fonctionner de manière totalement autonome. Ainsi, le système fonctionne comme un écrin pour le hasard, il met en valeur le potentiel de celui-ci, par son caractère différentiel et sériel. Le hasard est partout, la structure permet de le circonscrire, de le ramener à un référentiel identifiable et ainsi de renouveler son statut d’anomalie. Le hasard est un processus ; le mettre en scène, c’est aussi l’observer, devenir spectateur, chercheur 2 ; guetter ses fantaisies. Il y a inévitablement un aspect scientifique dans cet acte de provoquer un phénomène et de le laisser ensuite s’ébattre. La description d’un protocole logique permet de définir précisément le champ d’action de l’aléatoire, de le brider afin de conserver un minimum de pouvoir sur l’œuvre. Peut-être est-ce dans ce sens qu’il faut poser la question : l’établissement d’un rythme pour
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Hasard et système agissent comme deux séries complémentaires, et le hasard est ainsi l’ajout différentiel qui rend le système totalement effectif. « En 1984, Filliou dispersait des centaines de dés sur le sol, comme jetés là par une main gigantesque, en un essaim désordonné. Dans cette œuvre intitulée Un, Eins, One …, les dés sont de tailles et de couleurs différentes, et semblent former une immense constellation de hasards, dont le fourmillement donne le vertige. Pourtant, une fois ce chaos examiné de plus près, le vertige soudain se fige : chaque face de chaque 1 dé ne porte qu’un seul point. » Tout hasard est-il destiné à devenir un rythme ? Vera Molnar, proche du GRAV dans les années soixante, utilise depuis des programmes informatiques rudimentaires pour générer des séries de dessins géométriques, tels que 1% d’erreur, ou Transformations (étanche). Ces séquences mettent en scène l’évolution chaotique du dessin de base, car Vera Molnar introduit dans le programme un soupçon de décalage, d’erreur, qui fait dégénérer le système jusqu’au chaos, les carrés perdant progressivement leurs angles droits. Il s’agit d’un travail qui pose la question du systématisme du hasard. Selon le même mécanisme qui décrit l’absorption par un système des phénomènes nouveaux qui s’y créent, le hasard est ici systémique, admis, et l’on est en droit de se demander si cette acceptation ne le prive pas de son caractère sauvage, incontrôlable – hasardeux. On l’a vu précédemment, la notion de système créatif est
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le hasard est-il le seul moyen pour l’artiste de garder la paternité de l’œuvre ? Privé de parcours défini, il semble en effet que le hasard devienne une forme sans créateur, et l’art est alors déjà tout autour de nous. Mais c’est la différence fondamentale entre système et hasard qui forcément connecte ceux-ci : alors que le premier définit l’espace par un ensemble de relations interdépendantes, le second refuse les règles dans son évolution même. On ne peut qu’établir des probabilités, des conjectures, par rapport aux formes que le hasard provoquera, tandis que le fonctionnement du système est prévu, puisqu’explicitement défini. Le coup de dés est par essence une variation dans un système, le hasard impliquant nécessairement le systématique puisqu’il s’exprime dans les limites d’un référentiel, comme le mouvement autonome qui déterminera quel possible sera retenu parmi l’ensemble de ce qui est envisageable. Mais la structure qui régit le hasard est imprévisible – certes, le dé ne pourra produire qu’un nombre entier compris entre un et six, mais la nature du résultat donné pour un lancer est indéfinissable, à moins bien entendu de recourir au calcul physique, à la théorie du chaos, ce qui n’est pas notre propos. Ainsi, le rapport entre hasard et système devient le même qu’entre l’intérieur et de l’extérieur, de l’ensemble de relations établies par l’auteur à celui qui, bien qu’invoqué par l’artiste, obéit à ses propres lois. C’est le rapport de différence de potentiel de deux concepts irréductibles et
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On peut dès à présent différencier deux manières d’appréhender l’aléatoire en art. Ainsi, Duchamp, Dada et à leur suite John Cage et le mouvement Fluxus introduisent de l’imprévu dans leurs œuvres tout en conservant une certaine ironie, tandis que les surréalistes y voient l’expression renouvelée de l’ego, dans sa sphère inaccessible, l’inconscient. Cette seconde vision est proche de celle de Jackson Pollock, ou de Georges Mathieu, pour qui le hasard lié à la peinture gestuelle contribue à réaffirmer l’héroïsme du créateur. Pollock, après des années de pratique post-expressionniste empruntant notamment à l’iconographie amérindienne, commence vers 1945 à peindre au sol, et développe sa fameuse technique du dripping immortalisée dès 1950 par les photographies, puis les films, de Hans Namuth. L’artiste américain jette et laisse couler la peinture sur la toile, interdisant tout contact entre l’outil (pots de peinture, bâtons de bois) et le support. Cette méthode introduit forcément un degré de hasard, même si le geste reste sous le contrôle relatif de l’artiste ; la direction est définie, mais les projections et détours de la matière en mouvement sont imprévisibles. Cette pratique participe largement de l’action painting, et Pollock, grâce aux traces qu’il produit de l’action, théâtralise le geste comme la posture de la figure du peintre. En France et au Japon, Georges Mathieu développe à la suite de Pollock cette mise en scène du corps de l’artiste dans des performances où, revêtant un costume (habit de guerre japonais, kimono), il peint en direct de grands formats
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inséparables, tels que la lumière et l’ombre. Lucrèce parlait de cette dernière comme de « l’air privé de lumière 1 » ; le hasard pourrait alors être une forme de système privé de manifeste, de structure qui ne dit pas son nom, qui n’affiche pas ses règles. Une autre manifestation du hasard est lorsque celui-ci est provoqué par l’incertitude de la décision d’un autre ego, paramètre humain, introduisant alors une dimension ludique. L’improvisation collective est une forme de hasard qui nécessite un cadre préalable afin de définir clairement le « tour de jeu » de chacun – il s’agit d’être disponible aux possibles de l’autre. Dans la Commedia Dell’Arte, les moments d’improvisation sont structurés par une trame, le canevas, qui permet à la fois aux comédiens d’être synchrones et au spectateur d’assister à un spectacle qui ne soit pas un enchaînement linéaire d’élucubrations cacophoniques. C’est un peu le même mécanisme en musique, spécifiquement pour le jazz ; le système fonctionne en filigrane, à la fois pour assurer la lisibilité de la production (rapport à l’efficace) et la possibilité d’improvisation pour chacun des protagonistes. On retrouve ici la notion de complémentarité entre hasard et système, comme une balance entre logique et action pure ; l’un préserve l’intégrité de l’œuvre tandis que l’autre lui fournit sa couleur. Bernar Venet est un peintre et sculpteur français, vivant aux Etats-Unis. Proche de l’art conceptuel, il a revendiqué
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CONCLUSION
CONCLUSION
et théorisé son rapport au hasard : « La mise en place de ces œuvres où le hasard prédomine change chaque fois qu’elles sont exposées dans des lieux différents. S’il est impossible de recréer deux fois la même forme, tenter de le faire signifierait ne pas avoir compris le propos du travail. L’aléatoire est la règle du jeu, l’objectif est de libérer la sculpture des contraintes de la composition, d’un ordre idéal ». On s’aperçoit donc que le refus qu’effectue l’artiste d’un système créatif, celui de la composition, de « l’ordre idéal », c’est à dire une idée centenaire de la perfection et de la beauté, le conduit à adopter un autre système, un contexte qui permet au hasard de se re-produire tout en changeant constamment de forme. Ici encore, l’usage du hasard est une forme de revendication et d’expérimentation ; et l’expérimentation doit s’accompagner d’un protocole, sans quoi elle n’est que succession de tentatives déconnectées, exploration un peu vide. Les peintures de Dominique Gauthier appartiennent typiquement aux deux ensembles, hasard et système. L’artiste français met en place des poches de plastique, remplies de peinture, sur un dispositif mécanique de rotation. Il lui suffit alors d’embrayer le mouvement, et les poches répandent leur contenu sur une toile déployée sous la structure. Avec Gauthier, le protocole est non seulement apparent dans le faire, mais aussi dans le voir, puisque la série de toiles rend bien compte de l’utilisation hasardeuse mais systématique de la peinture, ainsi que du mouvement tournant provoquant l’œuvre.
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Gauthier, à la suite de Pollock, détruit toute trace de la touche de l’artiste 1 dans la peinture, en la dispersant de façon à la fois mécanique et imprévisible ; les choix de l’artiste, fractionnés comme chez Morellet, sont déplacés du geste à la mise en place de celui-ci. Encore une fois, la recherche du hasard s’accompagne d’un protocole d’action, d’un ensemble codifié prédéfini, qui permet de susciter l’imprévu.
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Gauthier, à la suite de Pollock, détruit toute trace de la touche de l’artiste 1 dans la peinture, en la dispersant de façon à la fois mécanique et imprévisible ; les choix de l’artiste, fractionnés comme chez Morellet, sont déplacés du geste à la mise en place de celui-ci. Encore une fois, la recherche du hasard s’accompagne d’un protocole d’action, d’un ensemble codifié prédéfini, qui permet de susciter l’imprévu.
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et théorisé son rapport au hasard : « La mise en place de ces œuvres où le hasard prédomine change chaque fois qu’elles sont exposées dans des lieux différents. S’il est impossible de recréer deux fois la même forme, tenter de le faire signifierait ne pas avoir compris le propos du travail. L’aléatoire est la règle du jeu, l’objectif est de libérer la sculpture des contraintes de la composition, d’un ordre idéal ». On s’aperçoit donc que le refus qu’effectue l’artiste d’un système créatif, celui de la composition, de « l’ordre idéal », c’est à dire une idée centenaire de la perfection et de la beauté, le conduit à adopter un autre système, un contexte qui permet au hasard de se re-produire tout en changeant constamment de forme. Ici encore, l’usage du hasard est une forme de revendication et d’expérimentation ; et l’expérimentation doit s’accompagner d’un protocole, sans quoi elle n’est que succession de tentatives déconnectées, exploration un peu vide. Les peintures de Dominique Gauthier appartiennent typiquement aux deux ensembles, hasard et système. L’artiste français met en place des poches de plastique, remplies de peinture, sur un dispositif mécanique de rotation. Il lui suffit alors d’embrayer le mouvement, et les poches répandent leur contenu sur une toile déployée sous la structure. Avec Gauthier, le protocole est non seulement apparent dans le faire, mais aussi dans le voir, puisque la série de toiles rend bien compte de l’utilisation hasardeuse mais systématique de la peinture, ainsi que du mouvement tournant provoquant l’œuvre.
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inséparables, tels que la lumière et l’ombre. Lucrèce parlait de cette dernière comme de « l’air privé de lumière 1 » ; le hasard pourrait alors être une forme de système privé de manifeste, de structure qui ne dit pas son nom, qui n’affiche pas ses règles. Une autre manifestation du hasard est lorsque celui-ci est provoqué par l’incertitude de la décision d’un autre ego, paramètre humain, introduisant alors une dimension ludique. L’improvisation collective est une forme de hasard qui nécessite un cadre préalable afin de définir clairement le « tour de jeu » de chacun – il s’agit d’être disponible aux possibles de l’autre. Dans la Commedia Dell’Arte, les moments d’improvisation sont structurés par une trame, le canevas, qui permet à la fois aux comédiens d’être synchrones et au spectateur d’assister à un spectacle qui ne soit pas un enchaînement linéaire d’élucubrations cacophoniques. C’est un peu le même mécanisme en musique, spécifiquement pour le jazz ; le système fonctionne en filigrane, à la fois pour assurer la lisibilité de la production (rapport à l’efficace) et la possibilité d’improvisation pour chacun des protagonistes. On retrouve ici la notion de complémentarité entre hasard et système, comme une balance entre logique et action pure ; l’un préserve l’intégrité de l’œuvre tandis que l’autre lui fournit sa couleur. Bernar Venet est un peintre et sculpteur français, vivant aux Etats-Unis. Proche de l’art conceptuel, il a revendiqué
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« l’art, c’est ce qui fait toujours un peu peur, et un peu rire 1 » Jean Dubuffet C’est sans doute là la vraie relation qui lie hasard et système ; le premier fonctionne comme rythme, prenant l’apparence de l’objectivité, son autonomie de reproduction et de variation le faisant tendre vers l’infini, avec ce que celle-ci a d’angoissant. Le second part du détail et conduit au tout, travaillant par décalage. L’association des deux fournit une légitimité et une place propre au hasard, qui en retour dédramatise le système et garantit sa survie en jouant le rôle d’entrée/sortie vers l’extérieur. Le système sans hasard/imprévu n’est qu’un palais vide, pour reprendre l’expression de Kierkegaard ; c’est un cocon inutile, une belle carcasse. Le hasard l’approvisionne en population et en imprévisible, il lui donne la consistance du vivant. De plus, comme l’établit Pierre Saussure, « l’impulsion créatrice se niche dans la conception de [la] méthode 2 » : en libérant l’artiste de la responsabilité de la forme, le hasard déplace la création au niveau du processus, mettant donc celui-ci en valeur. Les bénéfices sont mutuels, et de la friction entre les deux concepts naît une tension créative.
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le hasard est-il le seul moyen pour l’artiste de garder la paternité de l’œuvre ? Privé de parcours défini, il semble en effet que le hasard devienne une forme sans créateur, et l’art est alors déjà tout autour de nous. Mais c’est la différence fondamentale entre système et hasard qui forcément connecte ceux-ci : alors que le premier définit l’espace par un ensemble de relations interdépendantes, le second refuse les règles dans son évolution même. On ne peut qu’établir des probabilités, des conjectures, par rapport aux formes que le hasard provoquera, tandis que le fonctionnement du système est prévu, puisqu’explicitement défini. Le coup de dés est par essence une variation dans un système, le hasard impliquant nécessairement le systématique puisqu’il s’exprime dans les limites d’un référentiel, comme le mouvement autonome qui déterminera quel possible sera retenu parmi l’ensemble de ce qui est envisageable. Mais la structure qui régit le hasard est imprévisible – certes, le dé ne pourra produire qu’un nombre entier compris entre un et six, mais la nature du résultat donné pour un lancer est indéfinissable, à moins bien entendu de recourir au calcul physique, à la théorie du chaos, ce qui n’est pas notre propos. Ainsi, le rapport entre hasard et système devient le même qu’entre l’intérieur et de l’extérieur, de l’ensemble de relations établies par l’auteur à celui qui, bien qu’invoqué par l’artiste, obéit à ses propres lois. C’est le rapport de différence de potentiel de deux concepts irréductibles et
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Hasard et système agissent comme deux séries complémentaires, et le hasard est ainsi l’ajout différentiel qui rend le système totalement effectif. « En 1984, Filliou dispersait des centaines de dés sur le sol, comme jetés là par une main gigantesque, en un essaim désordonné. Dans cette œuvre intitulée Un, Eins, One …, les dés sont de tailles et de couleurs différentes, et semblent former une immense constellation de hasards, dont le fourmillement donne le vertige. Pourtant, une fois ce chaos examiné de plus près, le vertige soudain se fige : chaque face de chaque 1 dé ne porte qu’un seul point. » Tout hasard est-il destiné à devenir un rythme ? Vera Molnar, proche du GRAV dans les années soixante, utilise depuis des programmes informatiques rudimentaires pour générer des séries de dessins géométriques, tels que 1% d’erreur, ou Transformations (étanche). Ces séquences mettent en scène l’évolution chaotique du dessin de base, car Vera Molnar introduit dans le programme un soupçon de décalage, d’erreur, qui fait dégénérer le système jusqu’au chaos, les carrés perdant progressivement leurs angles droits. Il s’agit d’un travail qui pose la question du systématisme du hasard. Selon le même mécanisme qui décrit l’absorption par un système des phénomènes nouveaux qui s’y créent, le hasard est ici systémique, admis, et l’on est en droit de se demander si cette acceptation ne le prive pas de son caractère sauvage, incontrôlable – hasardeux. On l’a vu précédemment, la notion de système créatif est
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s’agirait alors que d’une forme vacante, et non plus d’un paramètre chaotique ; son indépendance implique la fin de sa valeur d’exception. Le hasard devrait ainsi rester minoritaire dans l’œuvre d’art, fonctionner comme le « détail » qui « déchire une totalité close », sous peine de perdre son identité. Sans système, le hasard est condamné à n’être qu’un geste stupide, différent sans référent 1. Paul Gavarni, dessinateur français, écrivait à l’aube du XIXème siècle que le « hasard seul est merveilleux, parce qu’il est inintelligent ». Ce caractère rend sans doute le hasard fascinant, et justifie son emploi comme véhicule de l’inconscient ; mais il définit également son impossibilité à fonctionner de manière totalement autonome. Ainsi, le système fonctionne comme un écrin pour le hasard, il met en valeur le potentiel de celui-ci, par son caractère différentiel et sériel. Le hasard est partout, la structure permet de le circonscrire, de le ramener à un référentiel identifiable et ainsi de renouveler son statut d’anomalie. Le hasard est un processus ; le mettre en scène, c’est aussi l’observer, devenir spectateur, chercheur 2 ; guetter ses fantaisies. Il y a inévitablement un aspect scientifique dans cet acte de provoquer un phénomène et de le laisser ensuite s’ébattre. La description d’un protocole logique permet de définir précisément le champ d’action de l’aléatoire, de le brider afin de conserver un minimum de pouvoir sur l’œuvre. Peut-être est-ce dans ce sens qu’il faut poser la question : l’établissement d’un rythme pour
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désormais gazeuse, intervenant dans de nombreux travaux sans forcément dire son nom, accédant au statut de technique.1 C’est sans doute également le cas pour le hasard, qui a connu son heure de gloire au cours des années soixante, ayant été depuis digéré et assimilé par le monde de l’art. Pourtant, hasard et contraintes peuvent encore motiver un travail, sans se contenter d’y concourir ; leur étude n’est pas réservée aux «survivants» des années soixante, et leur utilisation n’est pas obligatoirement celle, contingente, de l’emprunt technique. Il est en effet rassurant de constater qu’une nouvelle génération d’artistes, d’Andrew Bick à Philippe Parreno, s’empare de ces notions de système et de hasard, rénovant leur statut subversif en les confrontant aux structures de communication qui nous environnent. Face au déluge d’informations, d’images et de concepts qui nous est proposé à chaque instant depuis l’avènement des mass-media, à l’heure d’internet et des réseaux sociaux, l’adoption d’un système personnel de découpage, de tri, paraît non seulement nécessaire, mais aussi salutaire ; quant au hasard, il fonctionne toujours comme une entrée d’air, et aujourd’hui sa mystique comme son décalage sont, à mon sens, intacts.
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potentiel hasardeux du spectateur ; on peut citer les dispositifs participatifs, tels que Rorchasch Saloon, de François Curlet. Il s’agit d’un espace présentant seulement des bancs-sièges et de l’alcool fort. Curlet met à plat la relation patient/psychanalyste, en invitant les spectateurs à se confier les uns aux autres en profitant librement des possibilités de l’environnement, à l’aide de gin et vodka. La pièce devient ce que les « preneurs en imagination 1 » y produisent, et n’est donc jamais préalablement fixée. Dans toutes ces œuvres, l’utilisation d’un protocole, d’un système de règles est notable ; le hasard semble se provoquer et s’étudier comme un phénomène scientifique. Il paraît pertinent de s’intéresser alors aux relations précises entre hasard et système en art. Tout hasard a besoin d’un rythme De Pollock à Duchamp, de Cage à Curlet, on s’aperçoit que le hasard s’accompagne d’un système de relations préalables, qu’il s’agisse d’un protocole d’action ou d’un dispositif proposé. George Brecht, en concluant sa recherche sur l’aléatoire par l’établissement de purs scénarios, a atteint un point de systématisation extrêmement abouti. Le hasard semble donc généralement s’explorer au sein d’une structure. Mais peut-il seulement s’en passer ? Il s’agit de se représenter un hasard nu, pur, gratuit. Comment d’abord l’identifier comme tel ? Sans processus pour lui offrir de le peupler, c’est en effet son identité même de hasard qui est remise en cause. Il ne
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qui conduisit Brecht, chimiste de profession, à expérimenter le hasard comme forme plastique à l’aube des années cinquante. Il écrit en 1957 Chance Imagery, sorte d’état des lieux des usages de l’aléatoire en art au XXème siècle. Dans son travail, Brecht explore d’abord les possibilités du hasard en peinture, sous l’influence de Pollock ; mais ses tentatives, bien que visuellement proches de l’expressionnisme abstrait, doivent déjà beaucoup à sa formation scientifique. Protocolaire, systématique dans ses propositions, Brecht emprunte les formes dramatiques de Pollock mais c’est bien la distance de Duchamp qui caractérise sa démarche, comme lorsqu’il déconstruit consciencieusement la mathématique de l’aléatoire dans Chance Imagery. Par la suite, il prouvera que ce ne sont pas les formes picturales de la tache, de la coulure ou de la projection qui l’intéressent, mais le processus même de hasard. En 1959, il crée Structure : Double Glass, œuvre où différents fluides et matières (carton, tissu) sont emprisonnés entre deux plaques de verre verticales, qui compressent et répartissent aléatoirement les matériaux. Les formes ainsi obtenues, spectaculaires et énigmatiques, sont visibles au recto comme au verso. Après ces expérimentations de forme et de matière, Brecht tendra progressivement vers une autre sorte de hasard, dû à l’imprévisibilité de l’humain. C’est le principe, évoqué précédemment, des events, cadre à la disposition d’une prise en main extérieure. George Brecht explore alors une nouvelle utilisation de l’aléatoire, l’humain devenant son véhicule. Par la suite, de nombreuses formes relevant de l’art-action vont également utiliser le
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essais/écrits d’artistes Alain – Système des Beaux-Arts, Gallimard, 1983 Antonioni, Michelangelo – Ecrits et entretiens, Images Modernes, 2003 Carrouges, Michel – Les Machines célibataires, éditions du Chêne, 1976 Saurisse, Pierre – La Mécanique de l’imprévisible, Harmattan, 2007 Deleuze, Gilles – A quoi reconnaît-on le structuralisme ? In L’Ile déserte et autres textes, Minuit, 2002 Kierkegaard, Soren – La reprise, Flammarion, 2008 Shitao – Les Propos sur la peinture du moine Citrouille-Amère, Plon, 2007 Nietzsche, Friedrich – La Naissance de la tragédie, Livre de poche, 1986 Jarmusch, Jim – Interviews, Roundhouse Publishing Ltd, 2001 Krauss, Rosalind – L’originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes, Macula, 2000 Aubert, Jacques – Esthétique de James Joyce, Klincksieck, 1973 Nicolas Feuillie - Fluxus Dixit, les presses du réel, 2002 Brecht, Georges – Chance Imagery, les presses du réel, 2002 Rutault, Claude – N°1 bis – le môme vers le gris, éditions des Cendres, 2003 Filliou, Robert – Enseigner et apprendre, arts vivants, Leeber Hossman, 2000
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à l’aide de gestes amples, démonstratifs. Le mouvement du peintre devient aussi important dans l’œuvre que ses conséquences plastiques.1 Si pour Duchamp le hasard renvoie à la vie, à l’expérimentation et au jeu, pour Pollock, qui se défend d’ailleurs de tout lâcher prise, c’est l’installation définitive dans une tour d’ivoire. Les compositions musicales de l’artiste américain John Cage, qui eut une influence non négligeable sur nombre de plasticiens et musiciens depuis les années soixante, doivent également beaucoup au hasard, et tendent plutôt vers l’acception qu’en a Duchamp. A partir de 1951 et jusqu’à son décès en 1992, Cage fonde ses compositions sur le Yi Jing, manuel de divination chinois. Pour John Cage, la définition hasardeuse du rythme et du motif de ses pièces, dont la plus célèbre restera sans doute 4’33 de silence, est une manière d’imiter le mouvement de la vie et de détourner la composition musicale de ses implications et utilisations courantes. Dans son livre La mécanique de l’imprévisible, Pierre Saurisse théorise cette différence fondamentale : pour lui, Duchamp et Cage convoquent l’aléatoire de manière « analytique », et le recul qui en découle les conduit vers l’humour; en revanche, Pollock pratique le hasard avec « emphase », tendant plutôt du côté du drame. Selon Pierre Saurisse, George Brecht est un exemple de passage d’une conception à l’autre ; après analyse, ce cas semble plus complexe. Certes, c’est la découverte des travaux de Jackson Pollock et de Robert Rauschenberg
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catalogues George Brecht, A Heterospective/Eine Heterospektive – Walther Konig, 2006 François Morellet – centre Georges Pompidou, 1986 Claude Rutault, les toiles et l’archer – musée Bourdelle, 2005 1,2,3, ETC...progressions numériques dans l’art contemporain Musée des Beaux-Arts de Besançon, 1983 Gérard Gasiorowski – Carré d’art contemporain, 2010 Mark Rothko – Tate Modern, 2008 Francis Alÿs, A History of Deception – Wiels Museum, 2011 œuvres de fiction Joyce, James – Finnegans Wake, Penguin Classics, 2000 Perec, Georges – Romans et récits, Livre de poche, 2002 Pessoa, Fernando – Poèmes païens, Points, 2007 Vian, Boris – Œuvres complètes, Fayard, 2001 Queneau, Raymond – Cent mille milliards de poèmes,Gallimard, 1961 Queneau, Raymond – Exercices de Style, Gallimard, 1982 sites internet Claude Rutault (d/m) : www.cneai.com/rutault Tristan Bastit :www.tristanbastit.fr/oupeinpo.php Gh. Mollet-Véville : www.conceptual-art.net/ OuLiPO : www.oulipo.net/ Le Monde des Séries : www.seriestv.blog.lemonde.fr
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tout hasard a besoin d’un rythme
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