Zibeline n°16

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du 19/02/09 au 19/03/09 | un gratuit qui se lit

Culture et ĂŠducation en lutte



Politique culturelle Marseille Provence Capitale Européenne de la Culture 2013 Adiam 83 Entretien avec Patrick Arnoux, adjoint à la culture d’Aubagne Economie de l’intermittence Les 50 ans des ATP d’Aix

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Théâtre Le Merlan, la Minoterie La Criée, les Bancs Publics Le Massalia, le Théâtre de la Cité, La Ciotat Le Gymnase, le Gyptis, les Bernardines, Cavaillon, Grasse Le Lenche, Aubagne, Montévidéo, le Toursky Aix : Jeu de Paume, 3bisf ,GTP, Vitez Martigues, Château-Arnoux, Grasse Draguignan, Pertuis, Gap, Briançon Port-de-Bouc, Ouest Provence, Nîmes Arles, Châteauvallon Cavaillon, Avignon

10 11 12, 13 14, 15 16, 17 18, 19 20 21 22 23 24, 25

Danse La Minoterie, le BNM, le Merlan, le Pavillon Noir (Aix), le GTP (Aix) Arles, Avignon, Merlan, Nîmes, MOD, Manosque, l’Astronef Ouest Provence, Martigues, Avignon

26, 27 28 29

Cirque/Arts de la rue Les Élancées, Martigues, Lieux Publics Grasse

30 31

Musique Spectacles Musique contemporaine Concerts Disques Concerts, agenda

32, 33 34 35 à 39 40 42 à 44

Cinéma Aubagne, le Toursky Les rendez-vous d’Annie

45 46, 47

Arts visuels Musée Ziem, CAC Istres 48 Entretien avec Nadeije Laneyrie-Dagen 49 Galerie Mourlot, Galerie du Fort Napoléon, Galerie Porte-Avion 50 Villa Tamaris (La Seyne), Galerie d’art du CG (Aix) 51 Espace écureuil, Maison de l’architecture, Regards de Provence 52, 53 Expositions 54, 55

Livres Écrivains en dialogue, Théâtre du Petit Matin Les Jeudis du comptoir, agenda Livres : littérature, arts, essais

56 57 58 à 64

Philosophie Michel Foucault Le bonheur

65 66, 67

Sciences et techniques Darwin, Musée de Quinson, Muséum d’Histoire Naturelle

68, 69

Histoire Saint-Victor Echange et Diffusion des Savoirs

70 71

Patrimoine Les hommes-fleurs, exposition aux ABD Gaston Defferre

72

Éducation Picasso IME de Vert-Pré, la Fabrik Les Zibulons La loi LRU

73 75 76, 77 78

Phénomène mondial

Tous semblent figés dans l’horreur de l’attente. Comme ces lapins terrorisés qui voient sur eux foncer le semi-remorque, et ne peuvent s’arracher à la fascination des phares… Phénomène mondial dit le Président, il faut parer au plus pressé, sauver ce qui peut l’être, le système économique et financier. Phénomène mondial qu’il nous répète, on n’y peut rien, on verra ce qui reste debout dans un an. Phénomène mondial, qui semble justifier toutes les restrictions des budgets publics amorcées avant la crise, et la mise à sac du système de protection sociale pour lequel, tous, nous avons cotisé. Mais d’où vient donc ce phénomène mondial ? Le monde a-t-il soudain moins de richesses, manque-t-il de denrées, une catastrophe climatique a-t-elle détruit nos moyens de subsistance ? Les Puissances sont-elles en guerre ? Paris brûle-t-il ? A-t-on bombardé les villes, les champs, les mers, les réserves énergétiques? Une épidémie s’annonce-t-elle, qui décimerait les peuples ? Les populations sous-alimentées auraient-elles décidé d’égorger leurs exploiteurs ? Non, tout se passe comme dans un jeu virtuel, derrière nos écrans, le phénomène mondial est une fatalité, une punition divine, déluge, Gomorrhe et chaos. Et pour nous garder immobiles dans les rayons des phares, on exhibe les Français pauvres -quand on ne peut plus payer la cantine de ses enfants ce n’est pas de «précarité» que l’on souffre, mais de misère. Comme si les restrictions, la destruction du système de santé, du système judiciaire, du système éducatif, la mise à sac des revenus de solidarité, de l’économie sociale, des budgets des collectivités territoriales, comme si tout cela n’était dû qu’à ce fameux phénomène mondial. Au camion qui sur nous fonce, quand seuls ses phares nous aveuglent, nous immobilisent dans leur rayon fascinant, mortellement inquiets de savoir si l’on pourra passer entre les roues. Sans doute il suffirait de faire un saut de côté, de penser le monde autrement, et le camion passerait sans renverser quiconque. Ce phénomène mondial n’est pas le nôtre, Total affiche des bénéfices historipeux ques (14 milliards, soit 235 euros par Français) grâce à l’exorbitant prix de l’essence, qui grève nos budgets familiaux. Il n’est pas indécent de réclamer, comme le font les Français des Antilles depuis des semaines, de vivre correctement. La France en a largement les ressources, pourvu qu’elles soient un peu mieux gérées. Ou partagées. AGNÈS FRESCHEL

Rubrique des adhérents

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MPCEC 2013

POLITIQUE CULTURELLE

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Les guichets sont ouverts ! Le Conseil d’Administration de Marseille Provence Capitale Européenne de la Culture 2013 s’est réuni et a fait acte de son entrée en phase active… le jour de la grève générale du 29 janvier. Mauvais signe ? Pas sûr !... Marseille Provence Capitale Européenne de la Culture 2013… S’ils veulent, et on le souhaite, qu’on continue à en parler et à l’écrire, ce titre, leur premier acte fort de communication, devrait consister en une siglaison de leur désignation, certes complète mais à rallonge, qu’on se lassera forcément un jour de prononcer. Et encore plus d’écrire : ça ne tient même pas en une colonne ! Ce qui risquerait à terme de jeter Provence dans l’oubli, ce qui serait moche pour tous les territoires non marseillais associés à l’opération, ou d’oublier le Capitale ou l’Européenne, rendrait indûment l’opération secondaire, voire provinciale et franchouillarde. Quant à enlever Culture, ce serait en ôter la substantifique moëlle. Mais la siglaison MPCEC2013 ne fait pas acronyme, et MaProCECul est franchement douteux. Des suggestions ? Un appel à projet?

Qui décide ? Plus sérieusement, la gouvernance de MPCEC2013 a l’air de se porter mieux qu’on ne le disait dans certains couloirs (vous savez, ceux des milieux autorisés où vous n’êtes donc pas censés aller, mais dont les échos, rassurez-vous, ne sont pas toujours plus fiables que les rumeurs communes que vous ramassez dans la rue). Dans l’ensemble, la conférence de presse semblait avoir pour mission essentielle de redire aux oreilles de la presse, et par transitivité structurelle à l’entendement des citoyens, qui tient les rênes de MPCEC13 (on peut aussi abréger l’année, non ?). C’est son Conseil d’Administration, formé de représentant de toutes les collectivités impliquées. Un Conseil dans lequel Marseille Ville n’a qu’une voix, tout comme Martigues, Aubagne, Istres, Arles… et tout comme la Région, l’État, MPM et le CG. Bref, un Conseil d’Administration où les élus de la gauche plurielle sont majoritaires, et où la Ville de Marseille doit composer avec les partenaires qu’elle s’est, dès le départ, choisis. Très habilement d’ailleurs, puisque MPCEC (l’année est-elle nécessaire ? on sait tous que ce sera 2013) a gagné, mais généreusement aussi, sans doute parce que la culture marseillaise ne se conçoit pas sans la provençale, et que Jean-Claude Gaudin aime sans conteste la Région qu’il a longtemps présidée. En dehors de cette réaffirmation du lieu de la gouvernance, peu de nouvelles nouvelles. MPCEC suit son cours et passe en phase active. C’est-à-dire qu’elle n’élabore plus les cadres et les lignes, mais qu’elle choisit et met en place les manifestations qui vont fleurir et éclore jusqu’en 2013. Pour cela les artistes et acteurs culturels sont priés de se présenter au guichet du site, de s’y renseigner sur la démarche à suivre, et de présenter leurs propositions devant les commissions qui vont décider de labelliser ou non et, si label il y a, de financer ou simplement d’aider à la visibilité des œuvres ou des actions.

Bernard Latarjet et Jacques Pfister© Agnès Mellon

Vers quoi va-t-on ? Le fait que MPCEC ne propose pas un bouleversement du paysage culturel, mais la mise en route d’un élan nouveau, et la mise en lumière d’initiatives anciennes, n’est pas en soi une mauvaise chose. Pour rappeler concrètement les chiffres, MPCEC, en terme d’activités spécifiques (et non d’équipements pérennes, donc), apportera 98 millions d’euros sur 4 années. Ce qui est nettement moins que ce que l’ensemble du territoire dépense en une seule année pour la culture. Les fonds sont donc importants, mais pas principaux. Si, comme le projet le précise instamment, les collectivités ne prennent pas sur leurs dépenses culturelles courantes pour alimenter le fonds commun de MPCEC, ces 98 millions viendront comme un cadeau supplémentaire. Un beau bada, qui devrait permettre une jolie efflorescence. Les obstacles ? Nombreux encore… Il se peut qu’une confusion s’établisse entre le Conseil Culturel de l’Union Pour la Méditerranée, dont Monsieur Renaud Muselier a été nommé Président par Nicolas Sarkozy le 15 janvier (après avoir été désigné par Monsieur Gaudin en octobre pour s’occuper de MPCEC). © Claude Lorin

Il se peut aussi que les collectivités, mises à mal par la crise et les restrictions de budget, ne tiennent pas leurs promesses, et touchent aux subventions qu’ils allouent normalement à la culture pour investir dans MPCEC. Celui-ci, alors, ne pourra que panser les plaies vives, rien de plus. Il se peut également que les entreprises touchées par la crise ne fournissent pas les 15% de fonds qu’elles ont promis. Et qui sont déjà fort peu, eu égard aux retombées économiques qui vont pleuvoir sur leurs têtes si MPCEC marche bien… Enfin il se peut, et c’est le plus gros risque, que MPCEC se trompe dans ses choix, et oriente la vie culturelle vers des horizons brumeux. Risque de toute opération, et dont on ne peut se défendre qu’en participant activement à la réflexion, et à l’élaboration des projets. AGNÈS FRESCHEL


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POLITIQUE CULTURELLE

ADIAM 83

Manifestations de soutien, 29 janvier, Toulon © X-D.R

Les messages de soutien affluent sur le site de l’ADIAM 831 depuis qu’elle a tiré la sonnette d’alarme quant à son éventuelle fermeture Afin de statuer sur son avenir, un Conseil d’administration a été organisé le 18 février en présence de tous les partenaires, sauf le Conseil général du Var qui, selon son directeur des affaires culturelles Ricardo Vazquez, n’a pas été invité… Mais pour quelles raisons, vingt ans après sa création par le Conseil Général du Var et l’État, l’agence serait-elle obligée de tirer le rideau ? Pour Jean-Claude Herry, son directeur «c’est l’ensemble des structures départementales de développement du spectacle vivant, en France, qui vivent une période de transition : certaines se regroupent pour créer des «méga offices de la culture», d’autres changent de statut. Mais dans le Var, on casse, on supprime, sans rien derrière. Je ne connais aucun exemple similaire à celui du Var.» Alors, que s’est-il passé ? Le Conseil Général a petit à petit grignoté du terrain à l’ADIAM 83, qui a pourtant été à l’origine de nombreuses actions de diffusion (Rencontres de musique médiévale du Thoronet, festival Patrimoine en musique…), de conseil (accompagnement des professionnels…), d’information (organisation de rencontres…). Sans compter, comme le souligne encore Jean-Claude Herry, que l’agence a réalisé durant trois ans un important travail de préfiguration du schéma départemental des enseignements artistiques, s’agissant de la musique et de la danse. Tout avait l’air d’aller pour le mieux jusqu’en 2006, date à laquelle un état des lieux du théâtre a été confié à une société bretonne qui ignorait tout des pratiques, des lieux et des acteurs du département! Puis le Conseil général a intégré dans ses missions les rencontres professionnelles, nommé son chargé de mission théâtre et danse, développé ses propres actions, récupéré le dossier «Danse à l’école» et diminué ses subventions. Des projets visibles (Patrimoine en musique) ou à dimension régionale (Danse à l’école) ont été supprimés, ce qui a porté un coup à l’ADIAM 83 en rétrécissant son champ d’action…

L’ADIAM 83 dans l’impasse En septembre 2008, le Conseil Général a souhaité une réadaptation des activités, notamment par le développement d’un programme de formation professionnelle continue, le licenciement de quatre personnes devenant alors inévitable…

Un dialogue impossible Face à ce qui a été vécu en interne comme une amputation, Ricardo Vazquez se réfère aux conclusions d’un audit réalisé en 2008 : «La masse salariale faisait augmenter de manière mécanique les budgets de fonctionnement et baisser les activités. Des proportions mirobolantes qui l’ont paralysée.» Et d’ajouter : «La plus-value de l’ADIAM 83 était donc à démontrer.» Pour le Conseil Général, la situation était claire : il s’agissait de réinventer les missions de l’ADIAM 83 et de préparer son retrait progressif sur deux ans. «Cela faisait déjà trois ans que j’en parlais à Jean-Claude Herry, explique Ricardo Vazquez, car les élus s’interrogeaient sur l’utilité même de l’agence.» Des difficultés auxquelles s’est ajoutée une baisse de 50 % des droits de mutation qui a entraîné notamment des départs non remplacés. «Une période de vache maigre» souligne Ricardo Vazquez, qui s’étonne de la tournure prise par les événements. En effet, depuis le 11 décembre, le courant est rompu. Pour Jean-Claude Herry, cette rupture de dialogue est consécutive à un coup de téléphone annonçant la suppression totale de son soutien en 2009, qui représentait 451 250 euros en 2008. «Pourtant nous avons réduit la voilure, procédé aux licenciements et trouvé des ressources nouvelles grâce aux actions de formation. L’ADIAM 83 a joué le jeu à fond pour s’engager dans cette nouvelle configuration avec le soutien du Conseil général

pendant deux ans !» s’étonne Jean-Claude Herry qui a décidé d’alerter les médias et ses réseaux. «C’est scandaleux et de mauvaise foi de dire que l’ADIAM 83 a été avertie par un simple coup de fil, rétorque Ricardo Vazquez, car ce que nous avons fait était un acte de respect pour eux, de la considération. Ce qu’ils ont pris dans le sens contraire.» En décembre, l’ADIAM a été reçue par la direction des affaires culturelles qui l’a assurée de son soutien : «On ne vous laissera pas tomber. Faites-nous passer vos bilans, vos pièces comptables afin de vous aider à solder vos affaires.» À présent, «l’agence se trouve dans une situation de blocage, analyse Ricardo Vazquez, elle a choisi de manière délibérée le rapport de force et elle refuse le dialogue en ayant une attitude très hostile à l’égard du Conseil Général. Nous n’avons aucune visibilité de sa trésorerie ni de sa comptabilité puisque nous n’avons pas les pièces au 31 décembre 2008.» De son côté, l’ADIAM83 communique : «en l’absence d’engagement de la part du Conseil général, (elle) sera contrainte de se déclarer en cessation de paiement fin février et de licencier l’ensemble des salariés.» Il ne reste plus qu’à espérer que les deux parties renouent le dialogue, afin que se poursuive ce que vingt années d’activités ont permis sur ce territoire. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

www.adiam83.com 1

Association Départementale d’Information et d’Actions Musicales et chorégraphiques du Var


RENCONTRE AVEC PATRICK ARNOUX

POLITIQUE CULTURELLE

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Une grande petite ville La ville d’Aubagne mène une politique culturelle d’une incroyable richesse, foisonnante, qui attire son public bien au-delà du Pays aubagnais. Zibeline a rencontré Patrick Arnoux, adjoint à la culture depuis les dernières élections, en charge des finances (5e mandat). Élu socialiste au sein d’une mairie communiste très ouverte, et de la communauté du Pays Aubagnais, il fait également partie du Conseil d’Administration de Marseille 2013 Zibeline : Quelles sont les orientations générales de la politique culturelle d’Aubagne ? Très clairement la création. Qu’elle soit théâtrale ou musicale, cinématographique. Avec de nombreux événements annuels dans tous les domaines, en lien avec les écoles, les jeunes et l’enseignement. Quels sont les lieux phares, et les événements essentiels? Le Théâtre Comœdia bien sûr, mais aussi la MJC qui propose une programmation théâtrale en lien avec lui. Alcimé et son Festival International du Film, événement majeur et installé, mais aussi le Festival du Film Militant qui a lieu a l’automne depuis quelques années, et a pris une ampleur et une pertinence que nous tenons à soutenir. Nous portons également une attention particulière aux arts de la rue, et nous avons renouvelé notre partenariat avec Lieux Publics pour organiser au moins deux ou trois événements annuels…

© Agnes Mellon

Aubagne est aussi une ville d’expositions et une Ville Lecture Oui. Les travaux menés dans la Chapelle des Pénitents noirs en ont fait un lieu exceptionnel, et nous voulons qu’elle accueille au moins deux expositions annuelles d’envergure… Nous travaillons en ce sens avec le Conseil Général. Quant à la politique de lecture elle s’appuie à la fois sur un événement, les Journées du livre jeunesse de novembre, et sur un travail permanent de la Médiathèque, qui mène des projets avec les écoles, et les adultes. Ce lien entre enseignement et culture est-il important pour vous ? Bien sûr, et il est à l’œuvre. Pour ce qui est de la musique, le CEFEDEM, qui forme les professeurs de musique, est installé à Aubagne, et travaille en lien avec l’université Lakanal, le conservatoire municipal, des manifestations comme le Festival du Film… Le transfert des trois pôles universitaires musique1 à la Morochita, une superbe propriété avec une maison de maître, est à l’œuvre. C’est un projet de l’État, et nous voudrions y adjoindre le conservatoire municipal, et cela à l’horizon 2012. Vous avez également un lieu dédié aux musiques actuelles La MJC a une programmation remarquée, c’est un élément important de la vie culturelle aubagnaise plutôt orienté vers les jeunes, avec un studio d’enregistrement, des ateliers de pratique… Puisque vous parliez d’horizon 2012, quels sont vos projets ? Outre l’installation à la Morochita et le développement des Pénitents Noirs, nous envisageons de transformer l’université Lakanal en cité pour les artistes, en lieu de résidence…

Ce foisonnement d’événements et de projets est-il réaliste financièrement ? On dit que la Ville d’Aubagne a pris la mauvaise habitude de mettre toutes les bonnes idées en mouvement ! Il est sans doute possible de rationaliser certaines manifestations, de les regrouper pour qu’elles soient plus légères à organiser, et plus visibles dans leur cohérence et leur importance. Mais, vous savez, la Ville d’Aubagne fonctionne sur le mode de la démocratie participative : malgré les problèmes au niveau de la dotation d’État qui diminue, et se double d’un transfert des charges aux collectivités, la ville d’Aubagne n’a pas l’intention de couper les crédits sans concertation ! Continuerez-vous votre politique tarifaire ? Les places sont peu chères, voire gratuites, à Aubagne… Oui, c’est une habitude, un mode de fonctionnement. La gratuité, quand elle est pensée pour améliorer la qualité de la vie, est une bonne chose. Mais des tarifs bas diminuent bien sûr les recettes, et il faut être raisonnable en ce sens. Dans un autre domaine, la décision qu’a prise la Communauté d’Aubagne sur la gratuité totale des transports va très probablement diminuer le nombre de voitures : c’est un pari de développement, et nous pouvons faire le même en matière de culture. Comment la ville s’implique-t-elle dans Marseille Provence 2013 ? La ville (45000 habitants) est l’élément central du Pays d’Aubagne et de l’Etoile (plus de 100 000 habitants), qui est partie prenante du projet. Laurette Audouard, qui était responsable de la culture, a été déléguée spécialement par la communauté pour Marseille Provence 1013, et je fais moi-même partie du conseil d’administration. L’idée, à Aubagne, est de mettre en place un comité de pilotage avec des élus et des responsables, mais aussi des personnalités artistiques comme Bernard d’Ascoli (pianiste, ndlr), Juan Carmona (guitariste et compositeur flamenco, ndlr) ou Danielle Jacqui, responsable du Festival d’art singulier, artiste céramiste qui doit concevoir un nouveau fronton pour la gare d’Aubagne. Avez-vous un axe spécifique ? Oui, notre participation à Marseille Provence 2013 est liée à l’argile, à notre histoire. Mais le principe est d’établir des échanges, d’envoyer l’argile à Arles, qui nous enverra des expos photos… ENTRETIEN RÉALISÉ PAR AGNÈS FRESCHEL

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CEFEDEM-Sud : Centre de Formation à l’Enseignement de la Danse et de la Musique, à Aubagne depuis 1997.

CFMI : Centre de Formation des Musiciens Intervenants, actuellement à l’Université de Provence à Aix

SATIS : IUP Sciences, Arts et Techniques de l’Image et du Son, à Aubagne depuis 1991


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POLITIQUE CULTURELLE

L’INTERMITTENCE

Économie et intermittence Et si nous commencions par la fin ? Si des gouvernements, soutenus par leurs électeurs, sont disposés à dépenser des milliards pour des jeux olympiques, alors une société peut faire le choix de dépenser des milliards pour subventionner des artistes intermittents sans que le rendement économique de l’affaire ne soit déterminant © Agnès Mellon

Rappelons que, globalement, une olympiade n’est pas un bon investissement, mais une consommation collective. C’est une question de choix de société. Ceci dit, une fois cela posé, on n’a pas fait le tour économique de la question de l’intermittence.

Le système Pourquoi l’intermittence au juste ? Pour permettre à des activités fragiles, saisonnières ou discontinues d’exister en dépit d’une incapacité structurelle à employer à temps plein des artistes ou techniciens. Et, par conséquent, de permettre à ces travailleurs de vivre, bon an mal an, de leur activité. Rappelons l’élément de base du système : en déclarant une activité d’au moins 507 heures sur les dix derniers mois, on dispose de droits au chômage, financés par le régime général des salariés du privé. Le déficit du dispositif est de près d’un milliard d’euros pour environ 100 000 intermittents. C’est important, mais le problème comptable n’est pas le principal, il n’en est qu’un avatar. La première difficulté est que ce déficit est clairement une subvention de la culture par l’assurance-chômage. En toute logique, ce serait au ministère de la culture d’en assumer la charge. Mais «les caisses sont vides», si bien que cette situation arrange pas mal de monde. Outre qu’une subvention culturelle qui ne se dirige plus vers des projets mais des individus a de quoi troubler, elle génère des pratiques contestables. En économie, on parle d’aléa moral pour qualifier une situation où des individus © Claude Lorin

disposant d’un système d’assurance peuvent se reposer dessus sans fournir les efforts légitimes. On a alors vite fait d’accabler l’intermittent.

La réalité Dissimuler la possibilité réelle de travailler après avoir atteint le seuil de 507 heures est certes envisageable. Cependant, la réalité de l’intermittence est différente. D’une part, de grosses structures médiatiques qui pourraient employer à plein temps des salariés renouvellent des contrats d’intermittents, moins coûteux. D’autre part, les intermittents travaillent souvent, sans être payés, bien plus que les 507 heures requises, leurs employeurs sousdéclarant (avec leur accord) le temps de travail effectif (notamment les répétitions). Sans trop de scrupules, puisque l’indemnisation prend le relais. Il faudrait ajouter que les artistes, à l’instar des chercheurs, ne finissent que rarement leur travail à la sortie de leur lieu de travail ! Comment mesurer ce temps ? Le régime est ainsi dévoyé dans de nombreux cas. Les productions sont moins coûteuses, ce qui est une bonne chose pour les plus risquées, mais bénéficie aussi largement à celles qui le sont moins. Enfin, cela donne un signal discutable aux aspirants artistes et pose la question fatidique de leur nombre.

Trop d’artistes ? En première approche, on pourrait avancer que des individus se portent actuellement vers une carrière artistique avec l’idée qu’elle est «correctement» protégée. Or, ceux qui ne parviennent pas à travailler suffisamment cotisent, mais ne sont pas indemnisés. Curieuse protection ! Mais la logique du système produit tout de même une masse durable de précaires qui auraient peut-être choisi une autre voie sans indemnisation (et en seraient heureux ?). Une autre approche est de «pleurer sur les génies perdus» : si on ne permet pas aux talents de se lancer, on ne les connaîtra jamais. Malheureusement, à moins de considérer que la société doive à chacun une subvention pour révéler son talent artistique, l’argument est contestable. L’Histoire regorge de génies qui, sans intermittence, ont pu se révéler. D’autres n’ont probablement pas eu cette chance. En compte-t-on plus avec le système des intermittents ?

En un mot, il n’est pas absurde de penser que des artistes brillants apparaissent quel que soit le système qui finance la culture, et que l’intermittence n’est pas forcément la meilleure façon de canaliser le phénomène.

Précisions À quelques jours de la fin de la fin de la prolongation dérogatoire du régime actuel des intermittents, il peut paraître facile de gloser de la sorte. Il reste que si l’usage abusif des contrats d’intermittence persiste en l’état et que le champ des activités couvertes par le régime n’est pas réellement repensé (ah, les intermittents du Tour de France...), les angoisses des premiers concernés ne sont pas prêtes de s’éteindre. Car repenser le système d’indemnisation de l’intermittence au moment où les subventions de la culture sont à la baisse revient à fragiliser le secteur par les deux bouts… STÉPHANE MENIA

Sur les politiques culturelles, en France spécifiquement, on peut recommander les écrits de Françoise Benhamou, dont Les dérèglements de l’exception culturelle (éd. le Seuil, 2006), ouvrage fouillé, équilibré et accessible. On pourra également consulter avec intérêt le blog de Mathieu Perona, www.leconomiste-notes.fr, doctorant en économie de la culture, qui consacre certains de ses billets à ces sujets.


LES ATP D’AIX

THÉÂTRE

09

Spectateurs actifs Les ATP d’Aix fêtent leurs 50 ans… L’occasion de revenir, avec Mathieu Grizard qui est en charge de leur programmation, sur une association de spectateurs qui défend avec persistance l’idée d’un Théâtre Populaire Zibeline : Comment sont nés les Amis du Théâtre Populaire ? Mathieu Grizard : En 1953, à Avignon, pour soutenir Jean Vilar, une association de spectateurs s’est créée, a recueilli 5000 signatures et obtenu que le fondateur du TNP reste à la tête du Festival. Après ils se sont dits : que faire de cette association ? et ont décidé de créer les ATP d’Avignon, pour sortir la ville de sa léthargie hivernale. C’était le temps des ciné-clubs, des mouvements populaires, des associations de spectateurs. Des ATP se sont créées partout en France, et celle d’Aix est née en 1959 quand François Hauser, médecin psychiatrique membre fondateur des ATP d’Avignon, a été nommé à l’hôpital Montperrin à Aix. Quel est aujourd’hui le panorama national des ATP ? Il en reste 18 en France, plutôt dans le Sud. Il y en a donc eu plus ? Oui. Mais en fait certaines ATP avaient vocation à disparaître : celle d’Amiens par exemple a fermé quand la Maison de la Culture a ouvert. Sa mission était accomplie. Celle d’Arles, qui est née au moment de la fermeture du Théâtre, est en sommeil depuis qu’il a réouvert. Comment fonctionnez-vous à Aix ? Nous avons un peu plus de 200 adhérents, à qui nous proposons un abonnement total de 8 spectacles. Nous n’avons pas de lieu, et nous programmons en collaboration avec le Pavillon Noir, le Théâtre des Ateliers, Vitez, le 3bisf, Rousset… Vous produisez les spectacles ? Parfois. Tous les partenariats sont possibles, on peut produire, coproduire avec le lieu d’accueil, acheter des places… Nous inventons chaque fois la formule qui convient le mieux pour que nos adhérents rencontrent de nouveaux lieux et les compagnies de nouveaux publics. Quels sont vos budgets ? Nous avons un tiers de notre budget, soit 35000 euros, de la Ville d’Aix, un autre tiers des autres collectivités et de l’ONDA (Office National de Diffusion Artistique, ndlr), et un tiers de recettes propres en billetterie et adhésions.

La main dans la main © Jean-Julien Kraemer

Nous n’avons pas de salariés et faisons vivre l’association à deux, Bernard Pelenq et moi-même. Défendez-vous un axe esthétique précis ? Nous essayons de faire partager ce que l’on aime. Avec une certaine avidité pour les formes nouvelles, l’écriture contemporaine. Nous préférons toujours programmer, plutôt que ce qui nous a plu, ce qui nous a gratouillé. Dérangé, remis en question. Nous ne concevons pas le théâtre comme un pur divertissement. Mais nous recherchons aussi le plaisir, pas la prise de tête, comme on nous le reproche parfois. Vous avez donc des réactions à votre programmation. Oui. Bruyantes ! Nombreuses ! Nos adhérents sont exigeants, c’est un public qui prend à partie, qui est rarement indifférent à ce qu’on lui propose. Les compagnies aiment cela. TG Stan par exemple adore venir au Vitez dans le cadre des ATP, avec un public de gens installés, mais aussi les étudiants en théâtre… Et certains adhérents ont adoré découvrir le 3bisf, dont ils ne soupçonnaient pas l’existence… ENTRETIEN RÉALISÉ PAR AGNÈS FRESCHEL

À venir aux ATP d’Aix La Main dans la main, une pièce de Sofia Fredèn au titre ironique, puisqu’elle brosse le tableau de 11 jeunes sans horizon social, sans toit, et qui oeuvrent pour leur survie avec toute la violence que cela implique dans les relations humaines…

Théâtre Antoine Vitez, Aix mes Edouard Signolet les 17 et 18 mars 04 42 26 83 98 www.atpaix.com

Retrouver Gwymplaine Qui n’a pas lu le roman de Victor Hugo L’homme qui rit ? Qui n’a pas été bouleversé par le destin cruel de Gwymplaine, dont le rire porte en lui l’essence même de la condition tragique de l’humanité? Souvenez-vous de son discours à la chambre des Lords, et de la candeur de Déa, qui, aveugle, savait voir avec son cœur plus sûrement que les autres… Il pouvait sembler qu’adapter ce roman constituait une véritable gageure. La troupe du Footsbarn théâtre s’est livrée avec bonheur à cet exercice périlleux. Toutes les formes théâtrales sont convoquées, récitatifs, mimodrames, théâtre d’ombre, marionnettes, cirque, chant, dans un spectacle au rythme soutenu. Cette folle variété est obtenue avec une grande économie de moyens, une corde nous installe sur un bateau, quelques musiciens sur scène soulignent avec efficacité les passages

clé, créent des transitions suggestives entre les différents tableaux. Les acteurs ont un jeu précis, juste, dans une mise en scène réglée comme un ballet, et peu importe si quelques spectateurs se plaignent de l’articulation parfois étrange de cette troupe internationale, ou de l’esthétique de tréteau volontaire et assumée : c’est avec une émotion évidente que l’on retrouvait le Gwymplaine de nos lectures d’enfance ! Il était là, incarné, et cela est une véritable réussite ! MARYVONNE COLOMBANI

L’homme qui rit a été joué au Toursky les 30 et 31 janv, et programmé par les ATP, sous chapiteau au Tholonet, du 5 au 15 fev

l'homme qui rit © Jean-Pierre Estournet


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THÉÂTRE

MERLAN | MINOTERIE

Tectonique de plateau Au-dedans était le Verbe et Antonina Velikova, internée à Moscou... C’est ainsi que tout commence dans la vie et sur le plateau pile lorsque l’Auteur Ivan Viripaev (c’est pas lui, c’est un acteur ! ou plutôt le prophète Jean oui oui) vient consciencieusement rendre compte de son travail à partir des textes de la fulgurante schizophrène susnommée. Les yeux dans les yeux d’un public miraculeusement réactif («Y a des croyants parmi vous?» s’informe Dieu, alias le médecin, pour de vrai le busterkeatonien Vincent Lécuyer), le spectacle va se construire au seuil d’un degré zéro de la représentation et du jeu d’acteur. Un dispositif léger de captation / diffusion, radars d’un monde à saisir au vol, panneaux obliques réfléchissants, dessine de transparentes coulisses où se fabrique dans l’ombre la musique pleine d’Est du belge Sacha Carlson. Les tableaux se jouent et se jointent comme de petits continents qui dériveraient à toute allure ; on y chante les douceurs de l’isba en roulant les ss ; on y fait l’expérience de l’énigme de la création et de la fuite du sens dans d’éclaboussants duos provoqués par la cinglante et cinglée femme de Lot / Céline Bolomey ; on y nage dans la lumière d’un monde flottant entre haut et bas, surface et profondeur d’icônes vidéo qui promènent le regard en toute liberté... Le

metteur en scène bulgare Galin Stoev utilise la scène comme plate-forme de lancement et excelle dans la mise à feu des esprits ; le spectateur cosmo(go)naute porte haut sa jubilation entre chaos et harmonie des sphères ; et savoir que perception n’est pas raison est bien la leçon n°1 de la construction du sujet ! Et puis chut ! Ne le répétez pas à Antonin Artaud, Dieu a créé les poissons... cons... Si c’est pas de la poésie ça !!! MARIE JO DHÔ

Genèse 2 (texte sidérant paru aux Solitaires Intempestifs) a été donné au Merlan les 30 et 31 janvier (annulation le 29)

À venir au Merlan Après son cycle sur le corps transparent, la Scène Nationale du Merlan propose une autre thématique sur les femmes artistes, qui suscite particulièrement notre intérêt. Car le milieu du spectacle demeure, malgré des efforts ces dernières années, très largement dominé par des artistes masculins, et les productions sont rarement confiées aux femmes. Comme si elles pouvaient assister, interpréter, médiatiser, diriger même, mais non créer… C’est encore dans la danse qu’on en trouve le plus, ou plutôt le moins

Genese © Anoek Luyten

moins. Peut-être parce que la première oppression est celle de leurs corps, et que la danse permet de l’exprimer directement ? Peut-être parce que la danse contemporaine coûte moins cher à produire ? Peut-être aussi parce qu’il n’y est pas question de parole, justement ? Des chorégraphes venues d’horizons très divers viendront donc montrer leurs univers, non en tant que féministes, mais que femmes. Et ce n’est sans doute pas un hasard si le Merlan a invité Nadia Beugré (Côte d’Ivoire), Kettly Noël (Mali), Nelisiwe Xaba (Afrique du sud), Nacera Belaza (Algérie). Les femmes d’Afrique auraient-elles plus de choses à nous

dire ? Erna Omarsdottir, bloc rocailleux d’énergie islandaise, complètera le programme, ainsi qu’un homme, Alain Buffard (voir page 28)… A.F.

Pluri(elles) Le Merlan du 21 fev au 15 mars 04 91 11 19 20 www.merlan.org

Infrarouge Daniel Danis écrit, met en scène ses textes, dirige sa compagnie, connaît de l’intérieur la cruauté et la beauté du monde dont il parle, mène une réflexion sur la réception des œuvres de théâtre par la jeunesse en particulier et fait mouche en posant sur le plateau quelques éléments très cohérents de sa démarche créatrice. Sur la scène et plutôt dans l’ombre, entre rats de cave et mystiques flamboyants de la vie à tout prix, la fraîcheur des deux acteurs aux yeux de feu porte l’histoire comme déjà vécue de Kiwi et de Litchi : il y a là du récit, du conte, de la narration en avant, en arrière, en épaisseur, en profondeur, du bidonville à la communauté d’en dessous, de l’horreur à la vie d’en dessus. La langue de l’auteur est «bleue» («J’ai une langue cachée au milieu de ma tête» dit Kiwi et à la fin, «j’ai mis mon bonnet sur la tête de Noisette pour que sa langue bleue soit bien au chaud») et transporte tout un monde qui excède amplement l’espace scénique et le présent du dialogue. Sur la scène donc, et tout en lumière, deux écrans côte à côte amplifient, démultiplient ou révèlent tout simplement

le jeu des acteurs, et saisissent en direct, à la volée, des moments incarnés par les visages en gros plan : c’est beau! Les images documentaires de Benoît Dervaux sur les enfants des rues à Bucarest plus furtives et d’un autre «grain», ne soulignent pas mais disent tranquillement la nature de l’engagement esthétique : faire voir et entendre, toucher si possible. Daniel Danis vit au Québec, au lieu dit «Lac Clair»… En fait Kiwi est un véritable manifeste : «Les canards! Les canards ! La lumière! La lumière!» scandent les enfants perdus ! MARIE-JO DHÔ

Kiwi écrit et mis en scène par Daniel Danis, a été joué par Baptiste Amann et Martine Delhaye au théâtre de la Minoterie du 12 au 14 février

Kiwi © Krista Boggs

Alain Simon, Alain Zaepffel professeur au Conservatoire de Paris) pour parler de la voix théâtrale ou chantée, et de son enseignement. Le colloque sera suivi d’une représentation d’Un Oiseau sur l’épaule, spectacle musical de Piano et Cie (du 13 au 15 mars).

À venir à la Minoterie Colloque théâtre et voix organisé par le GRETE le 14 mars, avec de nombreux intervenants, artistes (Muriel Tomao, Alain Aubin, Pierrette Monticelli, Nathalie Négro,

La Minoterie 04 91 90 07 94 www.minoterie.org


LA CRIÉE | LES BANCS PUBLICS

THÉÂTRE

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Incursions dans un passé fondateur

36 rue Ballu © X-D.R

La programmation de la criée à la Friche et lors de son dernier cabaret était étonnamment décalée, et questionnante Le meilleur d’abord : une petite soirée intime, proposée dans le hall du théâtre du 12 au 14 fev : 36 rue Ballu brosse le portrait de Nadia Boulanger, musicienne, musicologue mais surtout enseignante. Égérie admirée des plus grands musiciens américains du XXe siècle, comme Copland, Bernstein ou Carter, disciple admirative de Stravinsky, Ravel ou Fauré… La femme est passionnante, mais aussi ce qu’elle met en jeu : l’apprentissage d’une technique d’analyse sans faille, la part du travail dans le métier, mais aussi sa modestie devant l’invention, la force créative de certains de ses élèves… Derrière ce récit de vie distribué à trois voix, et un piano, des questions discrètes apparaissent : qu’est ce que le génie ? Pourquoi cette femme si douée s’est-elle interdit, dans ce monde exclusivement masculin, d’être compositrice ? Qu’est-ce que l’essence d’un enseignement artistique, transmettre une technique ou permettre l’épanouissement créatif ? Les interprètes installent une ambiance chaude, propice à la communion et au questionnement, et entretenue par les très belles pages de Schubert, Copland ou Bach interprétées par Françoise Tillard au piano.

Derrière l’écran À la Friche, où la Criée prenait ses quartiers de février (du 3 au 8), les préoccupations furent plutôt cinématographiques. L’enjeu de la double création de Daniel Benoin, directeur du Centre Dramatique National de Nice, tournait autour d’une thématique (la rupture du couple), d’un genre (le scénario de film) et d’une scénographie : la scène de la Friche1, envahie de canapés disposés en salons rectangulaires, offrait une place à une partie des spectateurs ainsi plongés dans l’action. Trois écrans sur les deux murs projetaient des images : des actualités situant Guitry dans son contexte historique (prise du pouvoir d’Hitler, et crise…) ou restituant des gros plans directement captés sur scène pour Faces… L’enjeu là encore était clair : il s’agissait de rendre per-

méables les frontières habituelles entre représentations théâtrales et cinématographiques, entre fiction et images d’actualités, entre espace scénique et regard public, mais aussi entre cinéma populaire (Guitry) et cinéma d’auteur (Cassavetes), acteurs d’écrans (MarieFrance Pisier ou Valérie Kaprisky) et comédiens de planches… En ce sens le questionnement formel est vraiment réussi : les rapprochements sont surprenants, les comédiens parfaits dans tous les registres, cadrés de près par la caméra dans Faces, déambulant dans ces salons successifs comme dans un décor naturaliste… intégrant le public à l’action comme des figurants de cinéma. François Marthouret, qui tient le rôle principal des deux pièces, est épatant de naturel bougon, sorte de droopy égaré, séducteur vieillissant et bourru, double paradoxal à la fois de Guitry et de Cassavetes…

Feydeau, qui avait bien plus de sens du rythme et de l’absurde. Il n’en est pas de même pour Faces. Le scénario de Cassavetes, au synopsis si maigre, est bouleversant, plongeant dans les hypocrisies et les dérèglements de la classe moyenne américaine en mal d’idéal, malade d’alcool, de matérialisme et de sexe marchand. Les comédiens étant formidables, la mise en scène prend aux tripes… et donne envie de revoir très très vite le film, porte étendard du cinéma américain indépendant si inventif, si émouvant, si près de la chair des hommes… et de l’esprit qui présida à 68, aux États-Unis aussi. (le DVD est disponible sur Internet…) Bref, Daniel Benoin a fait la preuve qu’un scénario de film, qu’il soit bon ou mauvais, passe mal sur scène. Quand il est bon parce que le film est mieux, quand il est mauvais parce qu’il le reste. Et cela même avec une scénographie intéressante, et une équipe d’acteurs extraordinaires… AGNÈS FRESCHEL 1 on aura remarqué à l’occasion de ce hors les murs de la Criée que la salle de la Cartonnerie est chauffable, et le fait de s’y geler en hiver ne relève pas de la fatalité, mais des moyens que l’on peut ou non mettre en œuvre…

À venir à la Criée Avant de proposer son Divino Amore fin mars, l’équipe d’Alfredo Arias viendra mettre le feu au hall du théâtre avec un Cabaret Brecht Tango Broadway, qui s’annonce fort différent de celui sur Nadia Boulanger… mais tout aussi passionnant ! Parce que les deux chanteuses Sandra Guida et Alejandra Radano sont aussi folles et talentueuses que leur metteur en scène, et que tout Brecht est bon à prendre en ces temps de crise…

Les «pièces» Reste que, à l’unité, chacune des deux pièces présente peu d’intérêt. Le Nouveau Testament de Guitry fleure comme toujours sa misogynie de bon aloi, à la papa, presque acceptable tant il est suranné. C’était l’époque, vous me direz. Certes, mais enfin, avant ça il y avait eu Louise Michel, Colette, Anaïs Nin et les suffragettes. Après ça, le Guitry, il continuait à brosser des portraits de femmes délurées et sans cervelle, séduisantes, certes, mais à peine bonnes à tenir la maison ou à jouer à la secrétaire… Bref, le discours sur le divorce et l’amour libre sonne incroyablement daté… quant à l’esprit et aux bons mots, ils ne valent pas ceux de Le Nouveau testament © Fraicher Matthey

La Criée du 19 au 21 mars 04 91 54 70 54 www.theatre-lacriee.com

Derrière la porte La Cie Traumerei crée Elle criait tout bas, dont elle avait présenté une étape de travail intéressante l’an dernier. À partir de La barbe bleue, et surtout de cette phrase paradoxale «elle criait tout bas» pour exprimer la douleur retenue de la jeune épouse face à la macabre découverte du corridor ensanglanté, cette compagnie féminine explore la douleur et le désir paradoxal des épouses de Barbe Bleue, ou plutôt de leurs spectres, qui peuplent la cave…. L’étape de travail vue l’an dernier était lente et inutilement étirée, répétée. Mais avec de très beaux moments, et une belle idée… À découvrir donc dans sa version aboutie ! A.F.

Elle criait tout bas Cie Traumerei Les bancs publics du 5 au 7 mars


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THÉÂTRE

MASSALIA | THÉÂTRE DE LA CITÉ | LA CIOTAT

Foi, sang et volupté !

Massalia a proposé un spectacle époustouflant de rigoureuse beauté avec Ursule, pièce de l’auteur anglais Howard Barker (2001) et montée par la Cie Du zieu dans les bleus Cette pièce s’inscrit dans ce que Barker appelle le Théâtre de la Catastrophe : des situations dans lesquelles s’égarent raison et morale, hors de tout réalisme social. Que reste-t-il de l’humain après des crises extrêmes ? Barker trouve des réponses en explorant

© Agnès Mellon

mythes, légendes et faits historiques sanglants. Ursule raconte l’histoire de novices et de leur Mère supérieure dans un couvent entouré de marais, et d’un jeune Prince triste, Lucas, qui veut épouser la novice à l’opulente cheve-

lure blonde, Ursule. Cette demande en mariage inhabituelle déclenche un cataclysme, réveillant des pulsions enfouies. Alors qu’Ursule ne veut pas renoncer à son divin Époux, Placide, la Supérieure, laisse se déchaîner sa sensualité et se livre au Prince avec une avidité qui la conduit au crime : les jeunes Vierges seront sacrifiées avec l’épée même de Lucas. Dernière image inoubliable de la robe de Placide baignant dans le sang et dessinant au sol le trait final de la tragédie ! La scénographie remarquablement sobre et efficace joue sur les clairs-obscurs et les reflets, faisant appel à des réminiscences picturales, notamment aux portraits de Cranach (1472-1553). La traduction de Mike Sens et le langage décalé des personnages sont généreusement servis par des acteurs magnifiques : luminosité d’Ursule (Rama Grinberg), raucité de Placide (Virginie Colemyn), nudité assumée de Lucas (Hugo Dillon), ambiguïté de Léonore, voyante aveugle (ou l’inverse !) dont le rôle est tenu par Julien Bonnet. En même temps, à Paris, le Théâtre de

Carré d’as Le jeu continue à La Friche. Après la reprise d’Une île, François Cervantes et sa compagnie L’entreprise poursuivent leur ambitieux programme avec la création du Dernier quatuor d’un homme sourd, jusqu’au 22 février Ce texte, écrit en 1985, met en scène un quatuor à cordes célèbre, quelques jours avant la représentation unique d’un concert exceptionnel. Quatre musiciens isolés pour répéter les derniers quatuors de Beethoven, un lieu clos, des tensions dues à l’imminence du jour J, on n’est pas loin de l’atmosphère de crise propre à la tragédie. Et de fait, le drame se noue très vite lorsque Karl, le chef du groupe, premier violon surdoué, entre dans une sorte de folie créatrice qui le taraude et use ses partenaires, avant de connaître la révélation qui va tout bouleverser. Drame de la recherche artistique, affres du perfectionnisme, vertige de la chute, ce Dernier quatuor… interroge le travail en équipe. Jouer avec les autres freine-t-il la quête personnelle ? Le quatuor est-il «un seul battement avec quatre cœurs» ou une somme de concessions frustrantes ? Quelle est la place de la virtuosité ? Et de la vie ? Et de l’amour ? Sur scène, ils sont quatre. Non, cinq. Au premier rang François Cervantes, dans l’ombre, joue le rôle

du producteur, M. Hellman. L’homme de l’enfer mercantile ? Forcément diabolique ? Les quatre évoluent dans un carré de craie très brechtien. Au lointain, deux fenêtres donnent sur un paysage sauvage ; côté jardin, une petite maison de bois répète celle des musiciens. La scénographie est à l’image du texte, simple et métaphorique, d’une riche sobriété. Les acteurs sont remarquables : Laurent Ziserman dans l’exaltation névrotique, Nicole Choukroun

avec barbe et bedaine postiches, Catherine Germain, d’une impressionnante évanescence et Stephan Pastor, sublime en altiste qui «joue pour tenir debout.» Et puis, il y a la musique de Beethoven, que les comédiens parviennent, sur leurs instruments allusifs, à communiquer comme étant la leur. Alors tant pis si certains passages semblent longs, et le dénouement trop abrupt. Le jeu en vaut la chandelle. FRED ROBERT

Le dernier quatuor d’un homme sourd Jusqu’au 22 fev

Le dernier quatuor d'un homme seul © Christophe Raynaud de Lage

l’Odéon propose quatre pièces de Barker, dont Gertrude (Le Cri). Au vu de cette dernière, Massalia peut se féliciter d’avoir programmé le spectacle créé par Nathalie Garraud et Olivier Saccomano, qui l’emporte nettement en émotion et vérité. CHRIS BOURGUE

Ursule a été joué au Massalia du 20 au 31 janv

À venir au Massalia Un double programme très chargé qui promet un mois de plaisirs à tous les âges de la vie. L’Entreprise continue son occupation des locaux : rien de mieux pour se faire entendre que de tenir un siège ! Avec La Table du fond, du 24 au 28 fév, une très jolie pièce qui se déroule dans une salle de classe dont vous êtes les élèves, et où l’on raconte l’histoire d’un enfant qui a découvert la joie de la connaissance, et ne rentre plus chez lui ; puis avec Silence, 2e épisode qu’on peut voir indépendamment du premier, Madame Salin retrouvera son fils, du 3 au 12 mars. Et les deux pièces seront données en intégralité du 6 au 14 mars.

Mais d’autres compagnies occupent également la place Arketal et ses marionnettes poétiques ouvrent la voie du ciel : À demain ou la route des 6 ciels, du 17 au 21 fév, qui propose de s’élever en six stations successives… Le Vélo Théâtre et son théâtre d’objet s’est associé à la Cie Belge Kopergietery de Gent, qui fait plutôt dans la danse-théâtre, pour proposer, en associant les langues française et flamande, une création sur les premières fois, la lenteur, la blancheur, la poésie simple, la neige. Première neige, à voir dès 4 ans, au Massalia du 13 au 17 mars, où ils joueront pour la première fois en France après une longue tournée en Belgique et Pays Bas, avant d’écumer toute notre région à partir de fin mars… Ils passeront près de chez vous : nous y reviendrons ! Théâtre Massalia 04 95 04 95 70 http://massalia.lafriche.org


Plein Feu sur l’adolescence !

L’Albatros © X-D.R.

La Compagnie La Cité et le Théâtre de la Mer ont axé leur travail sur le vécu des adolescents restituant une Parole qui questionne les adultes. Chacun à sa manière ! La Cité, Maison de Théâtre, a travaillé durant 2 ans sur la préparation de Nous ne nous étions jamais rencontrés. L’aventure a commencé par des stages proposés à des ados d’origine et de quartiers différents (voir Zib 14). Du quotidien au rêve, d’écoute en confidence, les relations ont abouti à une véritable passation, les comédiens prenant au corps les rôles de cinq ados, les rencontrant souvent, entrant dans leur intimité. Le spectacle créé par Michel André et Florence Lloret présente cinq comédiens dont l’un, Henry Valencia, incarne Chloé avec, donc, la double difficulté de jouer l’ado et la fille ! Patrick Servius, danseur, donne corps au malêtre de Nicolas. Ce dernier, rencontré après le spectacle, reconnaît que cette expérience l’a aidé à accepter son homosexualité et à avancer. C’est d’ailleurs cet aspect qui touche le plus et emporte l’adhésion du spectateur, même si le spectacle manque parfois de rythme. Josette Lanlois qui donne vie à Belinda est très crédible tout comme Karine Fourcy en Marion. Un spectacle qui touche et soulèvera beaucoup de discussions parmi les jeunes spectateurs : voir p 76 ce qu’en pensent nos Zibulons !

La belle fable Akel Akian a créé Albatros, texte d’un auteur qui lui est cher : Fabrice Melquiot, un de ces écrivains qui parlent à l’enfance avec la même gravité, la même émotion qu’aux adultes (voir p14). La pièce met en scène deux jeunes ados, Casper (Pascal Rozand), 12 ans, et Tite Pièce (Marine ChabotVercellino), 10 ans, tous deux malmenés par la vie et leurs parents.

Ils se sont rencontrés un jour qu’ils erraient en regardant passer les voitures et les hommes en noir. Un lien très fort est né qu’ils n’osent pas nommer ; ils se cherchent et se retrouvent pour tuer l’ennui et rêver au jour où ils seront «quelqu’un» comme ils disent ! Très beau moment que ce dialogue où alternent les jeux d’enfants, les moqueries et les réflexions plus sérieuses, soutenu par le jeu d’une grande spontanéité des deux comédiens. La suite fait intervenir un génie, un coureur à pieds et un SDF, et l’on est un peu moins convaincu par le déroulement de la fable qui s’étire en détails. Cependant le dénouement surprend et bouleverse, l’émotion saisit : ça n’est pas drôle d’être jeune dans les quartiers avec des «ailes de géant (qui) empêchent de marcher» ! CHRIS BOURGUE

Nous ne nous étions jamais rencontrés La Cité Maison de Théâtre, jusqu’au 21 février 04 91 53 95 61 www.maisondetheatre.com Albatros s’est joué au Centre Culturel Busserine du 27 au 31 janvier Il sera repris au Théâtre du Golfe à La Ciotat le 17 avril (à 14h30 et 18h30) 04 42 08 92 87 www.laciotat.com/Theatres


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THÉÂTRE

MARTIGUES | CAVAILLON | GRASSE | GYMNASE | GYPTIS

Tu seras un homme mon fils Un mot sur Pinocchio, dont on a déjà beaucoup parlé. La mise en scène de Pommerat est sublime. Par la singularité de ses procédés cinématographiques, de ses jeux de voiles et de masques, d’illusions, d’échos; par le talent immense de ses comédiens polymorphes, l’incroyable bateleur endossant une inhumaine quantité de rôles, et le pantin gouaillant avec une naïveté rigide de sale gosse… Mais sans doute n’a-ton pas assez souligné l’intelligence de la réécriture. Elle ancre le récit de Collodi dans notre actualité, brossant le portrait d’un gamin exigeant, velléitaire, agité, attiré par les plaisirs faciles et les mondes virtuels : un gamin qui ressemble à ceux que notre société d’ex-abondance fabrique, tiraillés entre leurs besoins ancrés de consommation, et la frustration des devenus pauvres. Pommerat transforme ainsi le récit édifiant de Collodi, écrit pour inciter la classe populaire au travail, à la tempérance, à la soumission, et au renoncement aux plaisirs (Walt Disney ne s’y est pas trompé) en un conte à la morale acceptable… Beau travail d’écrivain !

© Elisabeth Carecchio

Pinocchio a été joué au Gymnase du 4 au 7 fév, aux Salins le 18 fev, à Cavaillon les 30 et 31 janv Théâtre de Grasse (06) du 11 au 13 mars 04 93 40 53 00 www.theatredegrasse.com

Le Bourgeois du Voyage Philippe Car, fondateur avec Patrick Pons des Cartouns Sardines, a créé depuis 2007 l’Agence de Voyage Imaginaire avec une partie de la troupe et s’apprête à mettre sur les planches leur première création. On sait qu’il ne manque pas de talent, celui qui naît du décalage systématique qu’il imprime à la représentation, comme dans un théâtre qui n’aurait pas quitté les tréteaux. Son Bourgeois gentilhomme sera donc une marionnette, ce qui reste la façon la plus simple de ne pas incarner, au sens propre, le personnage. Il est à parier qu’il sera drôle, populaire, musical, et donnera des clefs nouvelles pour comprendre ce roturier ridicule qui se prend pour un noble et ne sait rester à la place où il est né. Car cet objet de la risée générale est un double comique du Dandin, qui ressemblait tant à Molière… A.F.

Le Bourgeois Gentilhomme Théâtre du Gymnase du 12 au 21 mars 0820 000 422 www.lestheatres.net

A.F.

Têtu comme un baudet L’art de la Cie du Centaure est difficile, et aléatoire, et dresser un âne relève de la gageure… David Mandineau est un extraordinaire Otto Witte, parce qu’il en fait une créature hybride à quatre yeux et deux corps: ce personnage de magicien aventurier qui fut cinq jours Roi d’Albanie était trop immense pour un seul corps, et trop têtu, inculte, filou, pour s’incarner en Centaure de cheval. Il fallait un Baudet, Fabrice Melquiot l’a bien compris qui a écrit pour lui : Koko Bottom aux yeux de biche, le plus beau de tous les baudets à poil longs du Poitou, forme avec son cavalier à dreadlocks un nouveau centaure populaire. Otto Witte © Agnes Mellon

Théâtre de Grasse (06) les 2 et 3 avril 04 93 40 53 00 www.theatredegrasse.com

De comédie… Ceci dit l’affaire n’est pas mince. Il ne s’agit pas ici, comme dans Cargo la précédente création de Camille et Manolo, d’emmener vers le rêve altier, le mythe d’une hybridité féconde. Il ne s’agit pas de dresser un cheval et de mettre sa beauté au pas. Là il faut faire le clown, jouer en duo avec un âne qui, naturellement, ne se laisse pas faire… David Mandineau a de la ressource, et sait faire rire des entêtements de Koko, qui ne veut pas aller à terre. Mais on sent bien qu’on y perd quelques jolies scènes, à ce jeu-là. Car le texte de Melquiot, une fois de plus, s’avère délicieux. Parce qu’il emmène vers l’aventure, invente un personnage fascinant, mais aussi parce qu’incidemment, sans y toucher, il interroge le destin, les finalités de nos actes, ce que nous sommes prêts à risquer… Alors qu’importe si le soir de la première le baudet fut récalcitrant : on sait qu’un autre jour il se laissera faire, et que la fusion produira des images magiques, drôles, touchantes. Parce que tous les ingrédients sont là pour que ça marche. Même le caractère du délicieux baudet ! A.F.

Otto Witte Fabrice Melquiot Cie du Centaure Théâtre du Gymnase Jusqu’au 21 fév 0 820 000 422 www.lestheatres.net Scène Nationale de Cavaillon (84) Les 10 et 11 mars 04 90 78 64 60 www.theatredecavaillon.com

Théâtre La Colonne – Miramas le 7 avril 2009 04 90 50 14 74 www.scenesetcines.fr

Crépuscule Jacques Hansen réunit quelques-uns uns des comédiens qui ont marqué ces dernières années les planches marseillaises : Françoise Chatôt, Stéphanie Fatout, Richard Martin, Philippe Séjourné, Andonis Vouyoucas seront ensemble sur la scène du Gyptis, pour y jouer… Sunset Boulevard ! Le film mythique de Billy Wilder est effectivement un huis clos -ce qui lui confère une certaine théâtralité- et parle bien sûr du métier d’acteur, hollywoodien, et des murs odieux qui s’érigent dans ce métier lorsqu’on y prend de l’âge. Cela s’appelle Gloria. Comme Swanson, bien sûr ! A.F.

Gloria d’après Sunset Boulevard mes Jacques Hansen Théâtre du Gyptis du 10 au 21 mars 04 91 11 00 91 www.theatregyptis.com


Je hais le théâââtre Mettre en scène le texte d’Elfriede Jelinek, Désir et permis de conduire, est un drôle de pari. L’auteur y énonce son refus du jeu, à plusieurs reprises, sa haine de la représentation, du corps qui fait semblant d’être un autre corps, du simulacre. Du personnage aussi, de la mimesis. Elle y préfère la personne, la présence, l’être là. Comment représenter de telles paroles, fortes, violentes par instants mais qui, d’une part, n’ont pas besoin d’être mises en scène (au sens littéral), d’autre part disent sans cesse le refus du jeu ? Je voudrais être légère est en fait une réponse au pamphlet de Jelinek. Un impromptu en quelque sorte, qui sert de déclaration esthétique, de poétique, aux trois acteurs/metteur en scène du texte. Oui, la réponse est bien la légèreté. Loin de la lourdeur didactique de certaines déclarations d’intention esthétique, Alain Fourneau choisit effectivement la suggestion. Pas le minimalisme : les choses sont dites, éclairées, comprises. Elles ne sont ni assénées, ni escamotées, ni mimées bien sûr, ni contredites. Elles ont juste le poids qu’il faut. Carol Vanni danse dans la lumière, ses cheveux laissent des traînées de poudre rouge, elle dit les mots sans chercher à leur ajouter du sens, de l’émotion, elle dit les mots pour qu’ils soient entendus, compris, et que l’image ténue qu’elle pose là reste dans

nos rétines. La marionnette qu’elle manipule parfois, avec Elisabetta Sbiroli qui, elle, contredit le texte en le surchargeant (volontairement ?), ne sert à rien, n’incarne rien, sort de son sac et y replonge, manipulée, apparaissant lorsqu’il est question de ce que l’on montre, ce que l’on est, des masques qu’il faut arracher des visages des acteurs. Et on se rend compte que le théâtre peut exister sans sublimation, sans cérémonie, sans déguisement, sans masque. Qu’on peut simplement, légèrement, poser quelques paroles là. Quelques gestes, dans un fragile équilibre, qui aident à comprendre ce qui est évoqué, sans le représenter. Une belle leçon de théâtre. D’un certain théâtre du moins. Même si on peut se demander que faire après ce presque rien… sinon relire encore Jelinek. Mais ses romans, plutôt que ses pièces ? AGNÈS FRESCHEL

Je voudrais être légère a été joué aux Bernardines du 10 au 14 fev

À venir aux Bernardines Please… kill me, une performance d’Isabelle Cavoit la danseuse et Thomas Fourneau, qui aime à manipuler les sons, les corps et les images. Jusqu’au 22 fev

Théâtre des Bernardines 04 91 24 30 40 www.theatrebernardines.org

je voudrais etre legere © Pierre Palmi


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THÉÂTRE

LENCHE | MONTÉVIDÉO | AUBAGNE | TOURSKY

Vois là

La cuisse du rugbyman Vice-Versa © X-D.R

Vice-Versa est l’adaptation d’un roman de Will Self, Cock and Bull, où un homme se découvre un jour une drôle de plaie sur la cuisse, qui se révèle être… l’entrée d’un vagin. Jupiter déjà enfantait par la cuisse, mais cet hermaphrodite d’un nouveau… genre va se poser d’autres types de questions. Le récit de Will Self, sorte de métamorphose kafkaïenne émancipée des tabous sexuels, est farfelu et drôle, et c’est cet esprit de farce que le Collectif Ildi! Eldi, emmené par Sophie Cattani et François Sabourin, veut retrouver. Une création donc, après adaptation, dans l’espace accueillant de Montévidéo. A.F. Vice-Versa © X-D.R

Vice-Versa Will Self Adaptation et mes Sophie Cattani et François Sabourin Du 17 au 25 fev 04 91 37 97 35 www.montevideo-marseille.com

La Mouette © X-D.R

«Beaucoup de conversations sur la littérature, peu d’action, une tonne d’amour…» L’auteur parle ainsi de sa «Mouette» dont la première eut lieu, dans l’incompréhension générale, le 17 décembre 1898 au Théâtre d’ Art. Alors risquons une hypothèse un peu sotte : et si la «première» ne convenait pas au théâtre de Tchékhov qui a besoin de patine dans le jeu, sur les mots, de la douce usure qui fait la musique de l’âme ? C’est un peu ce que semblait suggérer, le soir du 10 fév, la 6e création de L’Egrégore autour de l’auteur russe, vue dans ces conditions au théâtre de Lenche : ici chaque acteur dit, un peu raide, son texte (adaptation d’Ivan Romeuf, ellipses et temps avalé, pourquoi pas ?) et applique le sens sur l’autre qui répond courtoisement comme l’on doit faire entre gens de bonne compagnie. Tout est en place pour que l’action se passe et deux années aussi, et les deux rangées de 25 spectateurs retiennent leur souffle et suivent du regard la balançoire qui jette l’espace un coup en avant, un coup en arrière entre les rideaux rouges de Nina et la vie des autres, entre pourquoi et à quoi bon... Sans doute. Mais le désœuvrement, le vague ou l’empêchement... où sontils ? Dans le jeu trop concentré des acteurs, qui isole chaque personnage (dans cet espace, le nez sur le public, comment oublier qu’il ne faut pas se prendre les pieds dans les tapis surtout) ? Dans les cordes tendues du oud de Tarek Abdallah (les mouettes tombent-elles aussi sur les bords de la Mer Noire) ? Il manque quelque chose comme un petit rien qui enlèverait juste un brin de sens, pour alléger le tout. Mais «voilà, c’est un théâtre et on

La Mouette © X-D.R

ouvrira le rideau tous les soirs...». Demain sera plus vif sans doute que la première. Et au Comœdia, et par la suite, dans d’autres espaces, tout changera encore… Allez-y voir ! MARIE-JO DHÔ

La Mouette Tchékhov Traduction, adaptation, mise en scène d’Ivan Romeuf Du 10 au 28 fév Friche du Panier Théâtre de Lenche 04 91 91 52 52 www.theatredelenche.info Théâtre Comœdia, Aubagne Le 13 mars 04 42 18 19 88 www.aubagne.com

À venir au Lenche Mars en musique prend ses quartiers désormais réguliers dans les trois espaces du théâtre de Lenche. Une programmation qui allie concerts, spectacles musicaux et chansons (voir p 44).


Revizor sartrien

Nekrassov © Lot

La pièce de Jean-Paul Sartre, Nekrassov, est fondée sur le quiproquo volontaire, entretenu, d’un personnage politique connu, transfuge de l’Urss, joué par un escroc international. Bien sûr, on y retrouve l’éternel thème de l’acteur, «hypocritès» (en Grec). Il y a surtout un Sartre qui règle ses comptes avec un PC qui le tente, mais pour qui il est le «rat visqueux»… avec la presse aussi, ses journalistes qui ne cherchent d’information que celle du titre qui fait vendre, des directeurs pleutres, versatiles, intéressés, inféodés au pouvoir en place… avec les différents services de police qui se paralysent, inefficaces... La pièce, seule comédie de Sartre, n’échappe pas à ses habituelles lourdeurs, mais, par la grâce de la mise en scène de Jean-Paul Tribout, la verve des acteurs, la force comique de la pièce est décuplée. Il emprunte à la BD, aux stéréotypes du polar… Secrétaire blonde à souhait, rédacteur survolté, policier désabusé… sans oublier un petit clin d’œil à Beckett aussi avec ses clochards burlesques. Il serait injuste de ne pas rappeler le morceau de bravoure de la bataille en gestes ralentis, fort bien maîtrisée ! Et l’intelligence des décors qui se modulent au rythme des scènes, de la bande son, des extraits radiophoniques toujours appropriés. Une réussite ! MARYVONNE COLOMBANI

Nekrassov a été joué au Toursky les 13 et 14 fév

À venir au Toursky C’est le temps du festival russe ! Avec ses cabarets festifs, sa semaine de cinéma du 10 au 14 mars (voir page 45) son concert de piano russe (voir page 38) et… son spectacle. C’est Piotr Fomenko, grand metteur en scène russe, maître incontesté d’une école incontestable, qui s’attaque au Journal d’un fou. Le célèbre récit de Gogol, écrit comme le journal du fonctionnaire Poprichtchine, plonge le lecteur dans l’installation progressive, paranoïaque, d’une obsession amoureuse qui le conduira à l’internement, rendu de l’intérieur, dans son cheminement graduel, introduisant le lecteur dans les méandres d’une pensée qui perd le fil d’elle-même. Anatoli Goriatchev, seul en scène, incarne Poprichtchine et son lent enlisement, décalé, puis progressivement déraisonnable, et finalement criant de douleur et de déraison… Le journal d’un fou D’après Gogol mes Piotr Fomenko du 20 au 22 mars 0820 300 033 www.toursky.org Piotr Fomenko © Desingel edited


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THÉÂTRE

JEU DE PAUME | 3BISF

Consciences criminelles Au Jeu de Paume les deux dernières pièces mettaient en scène un pédophile et un assassin. Pour deux moments forts

Nadia Xerri-L © Elie Jorand

Couteau de nuit Trois minutes de vie. Juste avant l’ouverture d’un procès pour homicide. Trois minutes de pensée simplement, où chacun se raconte, tout se dénoue, où l’essentiel semble sur le point d’être avoué. Non comme on confesse un crime, mais comme on plonge dans la vérité. Couteau de nuit nous mène jusqu’aux portes de l’aveu, de la salle d’audience, du procès. Mais aussi jusqu’aux portes de la conscience de chacun, jusqu’au moment où les âmes se déboutonnent, pour dire la douleur, le pardon, le désir, la culpabilité qui ronge les parents de l’assassin, le désir de mort qui hante le frère de la victime. Car il est question d’un meurtre, perpétré la nuit, dans une rue sombre après une rixe, lors d’une nuit de fête triste et d’ivresses faciles. La pièce de Nadia Xerri-L est magnifiquement écrite : rigoureuse dans ses choix énonciatifs -une succession de monologues adressés au public, ou à un personnage-, elle construit une progression dramatique époustouflante de lisibilité, et de suspense. Son écriture scénique est tout aussi remarquable -elle a mis en scène son texte elle-même. Le décor mat, noir, symétrique, ne laisse voir que l’essentiel, les personnages qui sont là et se battent avec leurs douleurs. Quant aux comédiens, ce sont eux qui portent toute la chair de cette histoire noire, où seule la douleur peut servir de rédemption. Car tous sont coupables, d’avoir mal aimé, abandonné, assassiné, désiré avec trop de force, ou trop d’obscénité. Sans renvoyer dos à dos assassin et victime l’écriture laisse une chance à chacun de renouer avec son humanité, simplement en explorant sa conscience. Ils sont bouleversants, durant deux heures qui passent aussi vite que les 3 minutes diégétiques.

Blackbird Blackbird est d’une écriture plus facile, moins virtuose, plus réaliste et convenue. Il n’en reste pas moins que le duo formé par Léa Drucker et Maurice Bénichou offre un moment de théâtre d’une grande intensité émotionnelle. Parce que les deux comédiens sont étonnamment justes -retenus, puis éclatants de colère, d’amour non dit ou de douleur-, et parce que la pièce amène à un endroit imprévu, franchement dérangeant pour la morale commune et les règles sociales. Car, on le comprend vite, il ne s’agit pas Claudia Stavisky © Christian Ganet

d’une affaire de pédophilie mais d’une histoire d’amour entre une adolescente entreprenante et un homme débordé par cette passion qui l’anime. Elle l’a poursuivi, allumé comme une Lolita en mal d’amour parental, et le poursuit encore alors qu’il purgé sa peine, l’a effacée de sa vie, a vieilli, s’est rangé, et cherche sans cesse à la repousser comme il aurait dû le faire 15 ans plus tôt, quand elle avait 12 ans… L’histoire d’amour racontée est belle, émouvante, et sonne vrai, parce que tout ce qui y apparaît comme sale, pervers, répréhensible, vient du regard des autres. Reste que la pièce semble justifier, prudemment, en cas d’amour et de consentement mutuel, les relations sexuelles avec une mineure amoureuse. C’est troublant, comme La Drôlesse de Doillon, ou le Lemon Incest de Gainsbourg… AGNÈS FRESCHEL

Couteau de Nuit a été joué au Jeu de Paume du 29 au 31 janv, et Blackbird du 10 au 14 fév

À venir au jeu de Paume Les Trois jours de la queue du dragon, un spectacle jeune public écrit, mis en scène et en notes par Jacques Rebotier, cisailleur musical des mots, oulipien amateur, comme il se doit (les professionnels sont proscrits). Un exposé sonore qui rappelle à chacun que la langue se parle, sonne, et que les bruits ont des sens. Cinq ? Les 19 et 20 fev. La chance de ma vie est un kaléidoscope de textes contemporains, de Melquiot à Rémi De Vos. De ceux que les jeunes acteurs choisissent pour passer une audition… celle, primordiale, qui peut leur donner leur premier rôle… Valérie Grail met en abyme le jeu d’acteurs en le transformant un enjeu primordial… du 10 au 14 mars.

Théâtre du Jeu de Paume 0 820 000 422 www.lestheatres.net

Métissons ensemble «Le métissage est une proposition, être noir est une position politique»… Claudia Shapira, chorégraphe brésilienne, pose en d’autres termes la question posée autrefois par les écrivains de la négritude, et ceux qui refusèrent ensuite ce terme. Eva Doumbia, Française et Ivoirienne, travaille donc avec ses danseurs de hip hop brésiliens, pour faire toucher du doigt le métissage. Que peut-on en dire d’ailleurs aujourd’hui, alors que chacun se réjouit que le président américain soit noir, même s’il est tout autant blanc… Le travail commun des deux femmes, le métissage de leurs arts et de leurs compagnies, sera présenté au 3bisf: une première étape d’un travail soutenu également par les Bernardines et le Merlan. A.F.

Je t’écris… le métissage ne s’arrête-t-il pas où commence l’oubli (du voyage) Eva Doumbia et Claudia Shapira 3bis F (Aix) le 27 fev à 15h et 19h 04 42 16 17 75 www.3bisf.org


VITEZ (AIX) | GTP

THÉÂTRE

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Poncifs de la jouissance La chambre d'Isabella © Eveline Vanassche

«We just go on». La Chambre d’Isabella commence et finit par ces mots, repris en ritournelle, énoncé d’un principe de vie auquel il faudrait céder, sans s’arrêter à la douleur ou à la faute… En 2005, quand fut créé le spectacle au Festival d’Avignon, au Théâtre de la Ville, au Festival de Marseille, qu’il fut récompensé par de nombreux prix internationaux… il était presque impossible de dire, d’écrire, à quel point son esprit nous paraissait malsain. Non parce qu’il prône la jouissance et la liberté, et se centre sur un personnage de femme forte, mais parce qu’au passage il outrepasse quelques nécessaires garde-fou… Premier poncif : le noir au gros pénis, bon reproducteur, dont on admire la

puissance et la faculté d’éjaculer en public. Et qui s’appelle Vendredi, en plus, le bon sauvage. Second poncif : Arthur qui viole la femme qu’il désire, abandonne l’enfant né de cette union, et auquel on reproche ne pas avoir su continuer à vivre (we just go on) avec la conscience de sa faute. D’avoir menti, pas d’avoir violé. Troisième : toujours à propos du désir. Isabella, 70 ans, offre un gâteau d’anniversaire à son petit fils qui en a 16 et en profite pour le dépuceler, jouir de lui,

et en faire son amant régulier. Quatrième : Alexandre le bel aventurier se retrouve à Hiroshima juste après la bombe et, perdu, éclate la tête d’une blessée qui a peur de sa chevelure blonde.

Liberté ? Outrepasser les censures sexuelles, lorsqu’elles sont fondés sur des préjugés, est évidemment une bonne chose. Mais prôner l’inceste avec son petit-fils mineur et vierge, trimballer des poncifs sur les Noirs et excuser le viol sous prétexte d’un désir trop grand n’est pas un signe de liberté, mais d’absence de surmoi structurant. Tout comme le fait de tuer pour supporter l’horreur de la guerre… L’affirmation du désir comme unique principe de vie (we just go on) est un des pires avatars d’une philosophie qui confond la liberté avec la satisfaction immédiate. Illusion que tout élève de terminale sait lever, et que tout parent conséquent combat. L’affirmation de la nécessité des interdits n’est pas réactionnaire, et nul n’a le droit de placer son

Tu l’as connue Louba ?… C’est à coups de petites phrases comme ça, questionnements minuscules et invitations à tendre l’oreille, que le grand jeune homme sympathique avec sa guitare électrique flambant rouge bien au milieu du halo, nous balade doucement une petite heure durant, dans les marges de l’Histoire ou ses résidus des années 80... Ni Pérec ni Perret, David Lescot se souvient de ses colonies de vacances et nous livre avec beaucoup de tact ces moments rien qu’à lui et pas qu’à.... Faut dire que sa colo c’était la CCE, la Commission (voir Comité) Centrale (vous y êtes !) de L’Enfance (nous y sommes...) créée à la Libération pour accueillir les enfants de disparus juifs et communistes, active jusqu’en 1985. Ah ! l’heureux temps de l’après-guerre où l’on croyait à gorge déployée à la Paix éternelle ! Chansons, chansons… Sans nostalgie, sans ironie , en demiteinte et avec une fragilité mesurée, David Lescot nous distille son chabada des centres de vacances ; du bout des lèvres il chantonne des hymnes plombants avec grâce et désinvolture (L’étoile claire de Staline montre la voie ou Buvons au grand Maurice), cherche le mot juste,

hésite parfois légèrement, dialogue avec lui-même et maîtrise le naturel attendu d’un aède du tout venant ; de jolis moments où la poésie pointe son nez (ah ! la litanie cantonale des sites d’implantation... pas Péguy non plus, mais pas loin... et l’aimable méditation sur le pouvoir énergétique des mots en o –Tornado, Dynamo- prisés par les régimes de l’Est !), d’autres moins inspirés mais toujours irrigués par les petits ruisseaux de l’expérience collective et de l’éveil individuel. En fait, on aurait bien aimé connaître Louba nous aussi! MARIE-JO DHÔ

La Commission Centrale de l’Enfance a été donné au Théâtre Vitez le 11 février

À venir au Théâtre Vitez Après Renaud-Marie Leblanc qui a mis en scène les étudiants dans la Surprise de l’amour de Marivaux, Nanouk Broche reprend la flamme et monte avec eux une pièce de Martin Crimp. Personne ne voit la vidéo est l’histoire d’une sondée qui devient sondeuse et adopte, comme malgré elle, les principes manipulateurs et inquisiteurs des

propre désir au-dessus du bien commun. Pourquoi alors le succès de La Chambre d’Isabella ? Formellement, quelque chose de nouveau et d’assez abouti s’affirma là, en 2005. Dans le croisement des genres : même si ni la musique, ni la danse, ni la vidéo, ni la scénographie ne sont extraordinaires, leur concomitance, dans un spectacle de théâtre où le texte aussi importe, arrivait pour la première fois sur de grandes scènes et de grands festivals. Viviane de Muynck aussi, la comédienne, possède indéniablement un talent peu commun. Et puis la Chambre d’Isabella bousculait les règles, donnait des idées, des pistes, ouvrait grand des portes formelles jusque là simplement entrouvertes. Vertus d’un spectacle qui a fait date mais qui aujourd’hui, à peine 5 ans après, fait sacrément daté… AGNÈS FRESCHEL

La Chambre d’Isabella de Jan Lauwers a été joué au GTP les 13 et 14 fév

La commission centrale © X-D.R

enquêteurs, inconscients de leurs présupposés et sadiques cependant… du 3 au 7 mars. Les ATP continuent de s’associer à la programmation du Vitez en proposant Main dans la main, une pièce de Sofia Fredén (voir p 9). les 17 et 18 mars. Théâtre Vitez Fac de lettres, Aix 04 42 59 94 37 http://theatre-vitez.com


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THÉÂTRE

MARTIGUES | CHÂTEAU-ARNOUX | GRASSE

Remue méninges Les Cameleons d'Achille © Didier Pallages

Mêlant étroitement théâtre et cinéma, les Cartoun Sardines transforment certains chef-d’œuvres du cinéma muet en se réappropriant les images et la musique, rajoutant la voix comme un élément de décor révélateur. Ainsi Lulu, le film de Pabst qui était à l’origine une pièce de Wedekind, s’en trouve vivifié. Histoire de l’incroyable ascension sociale d’une danseuse, cruelle séductrice, puis sa déchéance après avoir commis un meurtre jusqu’à sa fin sordide au terme d’une épopée décadente… Associant et opposant l’image et le vivant, Patrick Ponce et Dominique Sicilia jouent avec Louise Brooks et les divers protagonistes du film, en même temps ou de façon légèrement décalée, se glissant entre la pellicule et les spectateurs comme pour démultiplier les points de vue, et enrichir le spectacle. Changement de décor avec le retour de l’ineffable duo Corinne et Gilles

Benizio au sein de la troupe des Achille Tonic. Le temps d’une pause avec leurs personnages Shirley & Dino, le couple d’humoristes renoue avec ses débuts et crée Les Caméléons d’Achille. Bric à brac théâtral et musical, ce grand divertissement rend hommage, sous forme de sketchs dans un esprit music hall, à quelques classiques, de Molière à Shakespeare, en passant par Le Petit chaperon rouge… Enfin, fidèle à la salle martégale, Catherine Marnas offrira une soirée surprise trois soirs d’affilé, un rendez-vous de gourmets curieux de découvertes… lors d’une carte blanche offerte par les Salins, où l’on pourra retrouver des réminiscences de son répertoire, et quelques petites formes actuellement sur le feu des comédiens de sa compagnie… DOMINIQUE MARÇON

Lulu Cartoun Sardines Le 20 fév Les Caméléons d’Achille Achille Tonic Les 13 et 14 mars

N’ayez pas peur !

Subversion et drôlerie Les habitudes télévisuelles, et les addictions qui en découlent, sont au cœur du spectacle écrit par Philippe Dorin et mis en scène par Ismaïl Safwan, avec la cie Flash Marionnettes. Les Enchaînés est un pamphlet jubilatoire contre la télévision, une succession de scènes qui démontent, dans un langage cru et original, la manipulation des esprits. Loin de mépriser l’objet du délit, le texte de Philippe Dorin le détourne, le contourne, jouant des mots selon les situations, un peu comme dans un théâtre de Guignol qui retrouverait sa vision cinglante et sa force subversive Un type dans le genre de Napoléon regroupe quatre pièces en un acte de Sacha Guitry. Outre celle-ci,

Carte blanche à Catherine Marnas du 18 au 20 mars Théâtre des Salins 04 42 49 02 00 www.theatre-des-salins.fr

Une lettre bien tapée, Une paire de gifle et L’école du mensonge forment un spectacle mis en scène par Bernard Murat. Gaieté et drôlerie sont au rendezvous de ces quatre histoires savoureuses : un homme se prend pour Napoléon avec les femmes, un mari cocu arbitre sans le savoir une paire de gifle entre sa femme et l’amant de celle-ci, un voyageur se laisse séduire par une dactylo très entreprenante et un professeur de mensonges qui fait passer une audition à deux comédiennes… DO.M.

Les Enchaînés Philippe Dorin Le 18 mars

Les enchaines © Henri Parent

Un type dans le genre de Napoléon mes Bernard Murat Les 19 et 20 mars Théâtre de Grasse 04 93 40 53 00 www.theatredegrasse.com

Les Trois petits cochons, tout le monde connaît… Et le loup, indispensable comparse, titillant la peur, l’instillant, puis se retirant pour mieux revenir… S’appuyant sur la structure de ce conte, François Chaffin, à l’écriture, et Valérie Dassonville, à la mise en scène, évoquent les postures stratégiques mises en place face à la peur du loup. Avec un loup qui lui n’a pas peur, et trois cochons qui chacun à sa manière rejette son existence : un flambeur qui connaîtra la faillite, un mystique qui se cache derrière sa foi comme derrière une barricade, et le roi des Médias qui ne croit que ce que cadre sa caméra. C’est avec une grande sensibilité que La gueule du loup aborde les thèmes de la mort, de la peur, et plus largement de la vie, et des efforts de chacun pour faire avec. Avec les loups et les peurs qu’ils engendrent. DO. M.

La gueule du loup De François Chaffin Le 18 mars Théâtre Durance (Château-ArnouxSaint-Aubin) 04 92 64 27 34 www.theatredurance.com


DRAGUIGNAN | PERTUIS | GAP | BRIANÇON

THÉÂTRE

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Comme un miroir Maris jaloux, femmes soupçonneuses, billets parfumés, tenanciers roublards… Les ingrédients sont bien ceux de Feydeau, La Puce à l’oreille précisément, pièce à laquelle Paul Golub, dans sa mise en scène, apporte une dimension quasi hollywoodienne, la comparant aux plus grands chef-d’œuvres cinématographiques américains. Du désir omniprésent, jusqu’à l’obsessionnelle domination des signes extérieurs et de l’argent, Feydeau dissèque la société bourgeoise du Second empire qui n’est pas sans rappeler la nôtre… Paul Golub inscrit d’ailleurs le vaudeville dans une France bien contemporaine, un lieu «où Groucho Marx rencontre Jacques Lacan.»

Les quatorze comédiens de la cie Théâtre du Volcan Bleu s’en donnent à cœur joie, jouant avec les quiproquos et malentendus comme avec les nombreux va-et-vient dans les étages… DO.M.

La puce à l’oreille mes Paul Golub le 10 mars Théâtre en Dracénie (Draguignan) 04 94 50 59 59 www.theatresendracenie.com La puce a l'oreille © Christophe Raynaud de Lage

Plat de résistance Au fil des mots Aux prises avec la vie courante © L'employeur

Dans leur cuisine, un homme, une femme et leur fils préparent une ratatouille. Leur dernière sans doute, car ils se séparent. Encore Aux prises avec la vie courante, ils racontent l’amour, puis les premières traces d’usure, puis la déliquescence qui freine tout. Longue liste de situations à deux, qui ne seront plus que souvenirs. La compagnie L’Employeur, se délectant des mots du poète et romancier belge Eugène Savitzkaya, met en scène l’érosion, par le biais notamment d’un dispositif scénique ingénieux, du travail avec des images vidéo qui montrent l’efface-

ment progressif de cette fin annoncée. Qui appelle forcément un recommencement, parce que «avoir aimé et ne plus aimer est ce qu’il y a de pire. Donc, il faudra que j’aime encore et souvent et longtemps…» DO.M.

Aux prises avec la vie courante mes L’Employeur le 17 mars La Passerelle, Gap, 05 04 92 52 52 52 www.ville-gap.fr

Jean-Louis Trintignant ne côtoie pas que les poètes, la preuve avec cette mise en scène du Journal de Jules Renard, une sorte d’échange autour des mots de l’écrivain. Ils sont quatre Jean-Louis Trintignant, Manuel Durand, Jean-Louis Bérard et Joëlle Belmonte-, chacun attablé devant un petit pupitre, échangeant, sous couvert d’une discussion, les aphorismes, bons mots et autres pertinentes remarques de Jules Renard, sur sa vie et celle de ses contemporains. Des «dialogues» qui révèlent l’esprit caustique, tendre et désabusé de l’écrivain, dans lesquels surgissent de temps à autre les saillies actuelles de Jean-Michel Ribbes, respirations drolatiques et poétiques qui se fondent dans le décor.

Jean-Louis Trintignant © Brigitte Enguerand

Le Journal de Jules Renard mes Jean-Louis Trintignant le 27 fév Théâtre Municipal de Pertuis 04 90 79 56 37 www.ville-pertuis.fr

DO.M

Fantasmée Dans les campagnes, aux portes de N’Djamena, capitale du Tchad, un flux de réfugiés fuit la guerre civile. C’est là, pendant la débâcle, qu’un professeur va croiser une de ses élèves, Alice, championne de basket, dont le corps l’éblouit, surtout ses jambes, jusqu’au fétichisme. De cette rencontre fortuite va naître une relation passionnelle, quelques jours passés hors du temps, jusqu’à ce que la réalité les rattrape, la guerre, la mémoire de sa femme et de sa fille qui le tenaille… Séparation : il disparaît, elle vit sa première déception sentimentale. Adaptée du magnifique roman de l’écrivain tchadien Nimrod, Les jambes d’Alice (éd. Actes Sud, 2001), la pièce de Laurent Vacher restitue la force du récit, l’intensité de la passion amoureuse qui lit les deux protagonistes, mais aussi la réalité d’une guerre qui

révèle finalement les sentiments, balaye les repères et rend l’impossible possible. La réalité sociale reprend ses droits, reste la poésie des êtres, et des Dernieres nouvelles des jambes d'Alice © Laurent Vacher

corps. Nimrod sera par ailleurs présent le 8 mars après la projection du film de Mahamat-Saleh Haroun, Daratt, dont il est le scénariste ; une rencontre qui lui permettra d’expliquer son travail dans le spectacle et le film, et, se basant sur son essai La Nouvelle chose française (éd. Actes Sud, 2008), d’aborder la problématique de l’écrivain africain de langue française. DO.M

Dernières nouvelles des jambes d’Alice mes Laurent vacher les 9 et 10 mars Théâtre Le Cadran, Briançon, 05 04 92 25 52 52 www.ccbrianconnais.fr/theatre_le_cadran.html


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THÉÂTRE

PORT-DE-BOUC | OUEST PROVENCE | NÎMES

Univers onirique texte à cinq voix, à cinq doigts plutôt, à chaque doigt son auteur: C. Laurens, J. Debernard, M. Glück, L. Gaudé et E. Darley. Chacun ayant son univers et son imaginaire, et, bien sûr, son importance dans la main… (les 25 et 26 fév). DO.M.

Théâtre le Sémaphore (Port-de-Bouc) 04 42 06 39 09 www.theatre-semaphoreportdebouc.com

Folle légèreté Quand Irina Brook s’empare d’un chef-d’œuvre de Shakespeare, Le Songe d’une nuit d’été en l’occurrence, ça donne un spectacle virevoltant, ludique, qui renoue avec l’esprit de fête des spectacles ambulants, et les jeux de miroirs baroques qui mettent en abyme… Lorsque la Compagnie Internationale d’Athènes arrive pour jouer la pièce, elle est singulièrement am-

putée d’une partie de la troupe, des décors et des costumes. Qu’à cela ne tienne ! Une alternative est trouvée, les six comédiens joueront à eux-seuls tous les rôles, avec des accessoires empruntés ici ou là, et avec une belle énergie. Une adaptation libre mais fidèle, qui s’adresse autant à l’imagination qu’à la magie.

En attendant le songe mes Irina Brook Le 17 mars Théâtre la Colonne (Miramas) 04 90 58 37 86 www.scenesetcines.fr

DO.M.

Nature humaine Qui a vu les documentaires de Raymond Depardon sait combien le lien entre les images et le récit est ténu, combien l’émotion est prenante à la vision de certaines situations bouleversantes, même d’apparence banale. L’adaptation au théâtre par Zabou Breitman de deux de ces documentaires, Urgences et Faits divers, donne une dimension réaliste à ces situations. Son discours indirect («c’est moi qui montre Depardon qui montre ces gens») leur fait prendre de la hauteur, tout en renforçant le propos de Depardon qui est de dévoiler la douleur de gens ordinaires aux prises avec une violence invisible. Les scènes se succèdent, à l’hôpital ou au commissariat, dans un décor ingénieux, des cubes mobiles qui parfois se transforment en miroir reflétant le public/ patient, les gens s’entretiennent qui avec un thérapeute, qui avec un policier… Au bout de ces récits une évidence : l’amour que porte Zabou Breitman à ces écorchés, malades ou pas, simplement égarés, et auxquels son jeu impeccable, ainsi que celui de Laurent Laffite, apporte une intense humanité. DOMINIQUE MARÇON

L’œil de l’ornithorynque est un spectacle très sensible de la cie du Dagor, mis en scène par Sophie Tandel. Thomas Gornet, qui est l’auteur et qui le joue, campe un jeune garçon dont on comprend vite qu’il est un peu différent. Perdu dans sa solitude, l’enfant va raconter son parcours. Enfant de la DDASS placé en foyer, il s’adresse plus naturellement à ses peluches qu’aux adultes, ou à un vieil ornithorynque auquel il s’attache parce qu’il lui a promis une vie meilleure… Sous ce discours naïf défile le monde de l’enfance, mais aussi la découverte et l’expérience du monde des adultes. Le 17 mars. Le Théâtre 04 42 11 01 99 www.scenesetcines.fr Des gens © X-D.R.

Cie L'Heure du Loup © X-D.R

Les cinq doigts de la main © Alain Chambaretaud

La cie Lardenois sera présente avec deux spectacles au théâtre le Sémaphore, Excuse-moi bonhomme et Les cinq doigts de la main. Le premier, sur des textes inédits de Jean-Pierre Siméon adaptés et mis en scène par Dominique Lardenois, est un spectacle qui illustrera «la musique dans les idées» et «les idées dans la musique», sur fond de décor inspiré des fresques populaires de Diego De Riviera. Il sera joué dans un bar de la ville (le 23 fév) et à l’auditorium du conservatoire (le 24 fév). Le second est constitué d’un

Créations et fidélité

Nouvelle aventure de la cie L’Heure du loup, toujours avec Philippe Dorin, auteur compagnon de route, One, two, One two three four ! est leur troisième collaboration. Après la famille dans Bouge plus ! et un récit de la création du monde dans Christ sans hache, ce nouveau spectacle agrandit la troupe autour du thème du travail et de l’argent, avec dans le fond l’envie de se raconter. Cinq compères, qui se sont rencontrés en cours de route, se dirigent vers Boulogne où ils ont trouvé du travail. Ne se retournant jamais, ils traversent bois, montagnes et petites villes, entrent chez les gens comme ça, ordonnent aux arbres de leur donner des fruits en plein hiver, et, cheminant, tombent sur un mur. Qui ne s’écarte pas de leur route. Car du boulot il n’y en a pas. S’en retournant, ils dévasteront tout sur leur chemin, s’excusant presque d’être là. Après Mes jambes, si vous saviez et Je porte malheur aux femmes mais je ne porte pas bonheur aux chiens, Bruno Geslin est de retour au Théâtre de Nîmes avec Kiss me quick, spectacle mûrit lors d’une résidence de création au Théâtre la saison dernière. Trois strip-teaseuses, de trois générations différentes, croisent le récit de leurs destins tout en retraçant l’histoire de l’érotisme américain, basculé dans la pornographie au cours des années 70, le corps devenant un objet de consommation comme un autre. Récit d’une utopie disparue, celle du strip-tease burlesque. DO.M.

Des gens a été joué le 20 janvier au Théâtre de Fos

À venir à Fos La compagnie suisse le Théâtre des Osses s’immerge dans l’univers désespéré de Gorki, transposant Les Bas-fonds dans une salle de théâtre à l’italienne désaffectée dans laquelle vit une bande de va-nu-pieds. Tout un peuple d’exclus gît là, en marge de la société, comme pestiférés. Jusqu’à l’arrivée de la vieille Louka, vagabonde compatissante qui leur fera relever la tête, et redevenir, pour certains, de vraies personnes. Le 14 mars.

One, two, One two three four ! mes Michel Froehly du 24 au 28 février Kiss me quick mes Bruno Geslin du 17 au 20 mars Théâtre de Nîmes 04 66 36 65 10 www.theatredenimes.com


ARLES | CHÂTEAUVALLON THÉÂTRE 23

Bonnaffé sur le ring La métaphore de la boxe s’invite à l’esprit face à Jacques Bonnaffé en corps à corps avec Jean-Pierre Verheggen, le premier paré de ses banquets littéraires hauts en couleurs, le second de son écriture à l’emporte-pièce. Dans L’Oral et Hardi, un truchement verbal parmi tant d’autres, l’acteur endosse l’habit du boxeur avec une jouissance partagée. Ce portrait de Jacques Bonnaffe © Xavier Lambours

Vies multiples

«l’artiste en Hercule de foire» est un remède puissant contre la morosité ambiante tant «cet opéra bouche d’un genre nouveau» est phénoménal. Sur le ring, l’Hercule de foire fait le fanfaron, tour à tour homme politique à discourir sans fin et sans finesse, slameur en manque d’inspiration, chercheur en remueméninges, coach à la formule absconse… Et Verheggen en passe et des meilleures ! Sa poésie sonore est une jubilation pour l’oreille, le flux impétueux d’une langue qui s’autorise tous les dérapages, les ratages, toutes les bouffonneries. Son impossible dictionnaire est bourré de litotes, de citations, de mots hilarants, de contrepèteries et autres acrostiches que l’acteur se plaît à malaxer en tout sens avant de les vomir dans une ivresse délirante. En sportif parfaitement entraîné, Jacques Bonnaffé s’autorise la petite foulée quand il minaude et glousse, le sprint quand il harangue la foule, le coup droit quand il pontifie, puis le gauche quand il slame et dodeline de la tête. Par K.O. debout, il sort victorieux et «ragail-hardi» de ces transes linguistiques, tandis que le public entend «Verheggen, Yes ! Verhaeren, No !». Encore un auteur belge ! MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

L’oral et Hardi a été présenté au CNCDC Châteauvallon à Ollioules le 31 janvier, et le 13 février au théâtre d’Arles. Jean-Pierre Verheggen est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, dont Le degré Zorro, Divan le terrible ou Sodome et grammaire.

Le cri du corps Il est soldat, un soldat sans nom, qui s’est engagé dans l’armée pour échapper à la misère et aider sa nation à établir un ordre juste. Un soldat heureux de son uniforme et de ses médailles. La vision d’une jeune femme, aperçue dans une fête foraine au guichet du château hanté, va s’insinuer en lui et changera le cours de son destin. Blessé lors d’un combat, écarté de l’armée, il retombe alors dans les affres de sa vie vide et inutile et, partant à la recherche de cette jeune femme, va finir par prendre conscience du mensonge qui le construisait, du militarisme broyeur de vie. L’adaptation et la mise en scène par Alexis Moati et Gilles Robic du roman de Ödön von Horváth, Un fils de notre temps, nous plonge directement à l’intérieur de cet esprit tortueux. Et multiple. Car, pour l’incarner, cinq comédiens (tous excellents) endossent habilement cette conscience morcelée, torturée. Cinq corps que l’on suit sans jamais perdre le fil du récit, aidés qu’ils sont par une scénographie dépouillée mais ingénieuse, qui traduit les univers, les

Singularites ordinaires © Christophe Modica

Toute la question est de savoir comment on est artiste, comment on vit l’art, comment on le pratique. Le GdRA, collectif d’artistes qui allie arts et sociologie, nous propose trois récits de vie, trois portraits traités comme des sujets d’études, qui, a priori, n’ont rien à voir ensemble : Arthur Genibre, paysan/musicien passionné, Wilfriede Piollet, danseuse étoile retraitée qui fut marginalisée à cause de ses chorégraphies postmodernes et Michèle Eklou-Natey, une femme d’origine algéro-togolaise habitant les quartiers nords de Marseille qui trouve dans les clients d’un bar une famille hétéroclite et son équilibre. Avant chaque portrait un titre interrogatif (dans l’ordre Folklore ? Classique ? Populaire ?) qui, loin d’ouvrir les champs introspectifs, les enferme, les classe. C’est là que le propos perd de son ampleur, de son efficacité : chacun porte en lui rêves, souvenirs, envies, fatigues et désillusions ; la rencontre est possible, une rencontre que provoquent les trois artistes au moyen de musique, d’images, de sons criés ou chantés, de numéros de voltige, un joyeux mélange qui devrait nous permettre de fondre ces trois personnalités, ces Singularités ordinaires. Le portrait de clôture, Muriel, s’y emploie d’ailleurs. Pourtant le message, généreux mais dilué, nous effleure sans vraiment nous atteindre. DOMINIQUE MARÇON

Singularités ordinaires a été joué au théâtre d’Arles le 23 janvier

À venir au Théâtre d’Arles

© Daniel Bounias

situations. Démultiplication des corps qui donne sens aux mots, jusqu’à n’incarner plus qu’un, meurtrier solitaire. DOMINIQUE MARÇON

Un fils de notre temps a été créé au Théâtre de la Calade, à Arles, et joué du 10 au 15 février

Quand Mamie est un texte jouissif de Noëlle Revaz que met en scène Denis Maillefer. Terminer la phrase «Quand Mamie…» va prendre du temps pour le couple qui attend qu’elle meure enfin pour pouvoir… abattre les cloisons de la maison, repeindre le salon, acheter une voiture, faire des enfants… Litanie sans fin qui n’est qu’un prétexte à la médiocrité, la passivité et la lâcheté. Quand la procrastination nous tient… Le 17 mars. Théâtre d’Arles 04 90 52 51 51 www.theatre-arles.com


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THÉÂTRE

AVIGNON

Exil dans des containers Sortis de l’ombre ambulants

Seul sur scène, Daniel Mesguich propose un récital de textes, Phasmes, du nom de l’insecte qui ne ressemble à rien tant qu’il n’est pas transformé. «La métaphore parfaite de l’acteur et du théâtre» pour le comédien qui présente donc de grands textes, ceux des auteurs sur lesquels il s’appuie pour tisser ses mises en scènes : Borges, Tardieu, Baudelaire, Kafka, Ribes, Valletti, Dubillard… Et comme dans un récital, ils seront mis en regard les uns des autres, transmis par ce passeur hors pair qui joue des sons et des rythmes. DO.M.

Phasmes Daniel Mesguich du 18 au 20 mars Théâtre du Chêne Noir, Avignon, (84) 04 90 82 40 57 www.chenenoir.fr

Kaïna-Marseille© Laurence Fragnol

Le théâtre mobile de La Fabrique des petites utopies a choisi de jouer des périples qui emmènent depuis toujours les hommes d’une rive à l’autre. En adaptant librement le texte de Catherine Zambon, Bruno Thircuir s’attaque frontalement à l’histoire de KaïnaMarseille et signe une mise en scène remarquable. Il réussit son projet d’obliger le spectateur, violemment, à se questionner sur son rejet de l’autre, sa propre haine ou sa simple indifférence. «Si tu veux savoir où tu vas, il te suffit de savoir d’où tu viens» lui disait sa grand-mère, morte sept mois auparavant. Pour l’honorer et trouver sa liberté, il faut qu’elle parle. Pour se sauver d’un destin tracé d’avance, il faut qu’elle parte. Mais l’exil vers la France, terre d’accueil idéalisée, n’offre à la jeune Mamata -admirablement interprétée- que désillusion et déconvenues. Depuis une cage située au centre du public, les comédiens nous font sentir l’horreur de la fuite d’une enfant. La jeune femme pense qu’elle doit subir la violence des hommes pour être libre... Inacceptable. Lorsqu’une voix (le metteur en scène ?) signale la fin du spectacle, il nous rappelle simplement que depuis la nuit des temps des gens vivent cette réalité odieuse, et que ces femmes, hommes, enfants devraient être accueillir

en héros. Espérons que, quelque part, ces héros entendent nos applaudissements... DELPHINE MICHELANGELI

Kaïna Marseille a été joué du 6 au 17 fév en tournée Nomades

A venir au Théâtre de Cavaillon Un monde presque parfait, one man show de Soufian El Boubsi. Conteur hors pair, Soufian El Boubsi se lance dans l’histoire d’un jeune homme à peine sorti de l’adolescence, coincé entre un père dont il est le souffre-douleur, une mère absente et un frère, peureux, mais le préféré de ses parents. Le monde (presque parfait) qu’il s’invente alors regorge de rencontres incroyables, de personnages hauts en couleurs, quelques coups bas mais beaucoup de surprises. En tournée Nomade(s) en mars, le 13 à Châteauneuf-deGadagne, le 14 à Joucas, le 17 à Mérindol, le 18 à Roubion et le 19 à Noves. Théâtre de Cavaillon 04 90 78 64 64 www.theatredecavaillon.com Daniel Mesguich © BM Palazon 2008

Crises d’amour en boites (de nuit) Le Délirium Tzigane, lieu délicieusement baroque en plein cœur d’Avignon, ouvre son espace insolite et félinien à la compagnie Moitié Raisin / Moitié Folie. Avec Bal Trap de Xavier Durringer, Nathalie Chemelny souhaite à nouveau poser un «théâtre du réel» dans des lieux réels, aller rencontrer le public là où il se trouve, lui offrir le lieu lui-même, transfiguré par la force de l’œuvre. Soutenus et programmés par le Théâtre de Cavaillon qui les a accueillis en résidence, les quatre comédiens issus d’ateliers théâtre menés par la metteuse en scène, se retrouvent dans des discothèques et lieux de la nuit. Rien de mieux pour toucher un public de jeunes, pas forcément amateurs de théâtre. Accompagnés d’images vidéo (discrètes) d’Anaïs Manuelli laissant place à l’ima-

ginaire et d’une play-list concoctée par Benjamin Grégoire, les jeunes comédiens font leurs armes en direct. Légèrement troublés mais d’une complicité évidente, ils tiennent jusqu’au bout, malgré un espace Bal Trap © Anais Manuelli et Celine Novik

difficile à apprivoiser, cette pièce sur l’incommunicabilité amoureuse, les prémices amoureux et les déchirements. La langue de Durringer est crue, violente et sensible. La fraîcheur de l’interprétation laisse courir librement sa poésie du réel. DELPHINE MICHELANGELI

Bal Trap a été joué du 5 au 14 fev au Délirium Tzigane (84)


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Cabaret de l’Intervention On a tous quelque chose en nous de... Victor Hugo. À chacun son Hugo de prédilection : le lyrique et poétique, le romantique d’un théâtre incandescent, le mélodramatique et le corrosif des satires et pamphlets politiques. En faisant des petits détours par des chansonnettes grivoises, gigues et bourrées entraînantes, poèmes (délicieux de drôlerie) et autres monologues incandescents, La Cie Uppercuthéâtre met l’accent sur un extrait de L’Intervention. Étonnante, drôle et virulente, cette pièce est tirée du Théâtre en liberté d’un Hugo défenseur du droit et des miséreux. Pauvreté et bourgeoisie se côtoient, se jaugent, s’envient, et la jalousie n’est pas forcément là où on l’attend. Pas facile de recréer l’ambiance du XIXe siècle à travers la prose de l’époque. Mais la conviction des quatre acteurs (et le talent de l’auteur !) parvient à captiver durant 1h40 un auditoire conquis. Un cabaret cabotin qui laisse une grande place à l’amour... DE.M.

Comédie ! Après son succès parisien, la comédie Chat et Souris de Ray Cooney a triomphé à Avignon : un appartement, sept portes, un canapé et un téléphone campent le décor où évoluent allègrement Jean-Luc Moreau (qui signe également la mise en scène ) et Francis Perrin. Autour d’une rencontre virtuelle entre deux adolescents piégés dans les mailles du Net, se nouent et se dévoilent des secrets de famille. Le texte est plein d’humour et de jeux de mots, les comédiens prennent plaisir à jouer et entraînent dans leur tourbillon. Alors vive le divertissement !

Cabaret Hugo a été joué les 13 et 14 fév au Théâtre du Balcon (Avignon)

À venir au Balcon Tango folie, une mise en scène de Serge Barbuscia autour des mots de Pablo Neruda, de la peinture de Picasso et de la musique de Piazzola sur laquelle dansent Marina Carranza et Miguel Gabis. Après un entracte goûteux (dégustation de tapas), le trio Musipatango -Patrick Lisacale à l’accordéon, Julien Teissier au piano et Pierre Fayolle à la contrebasseaccompagne poète et danseurs. Les 13 et 14 mars. Conçu à l’origine comme un rôle masculin, le personnage de l’Enseigneur est joué, dans la mise en scène de Michel Bruzat, et avec l’autorisation de l’auteur Jean-Pierre Dopagne, par Flavie Avargues. Seule sur scène elle est cette femme brisée par la violence du milieu scolaire, victime, mais aussi coupable d’avoir commis un acte irréparable. Et qui raconte. Les 20 et 21 mars.

CHRISTINE REY L'Enseigneur © X-D.R.

Théâtre du Balcon 04 90 85 00 80 www.theatredubalcon.org

Chat et souris a été joué à l’opéra théâtre d’Avignon le 3 février

Surréalisme linguistique L’homme descend de la grenouille selon le surréaliste «prince des penseurs» Jean-Pierre Brisset. C’est ce que démontrent brillamment les joyeux complices, Eugène Durif et Pierre-Jules Billon, dans une conférence théâtrale, musicale et burlesque, pour le moins rafraîchissante. Prétexte au délire linguistique, Nos ancêtres les grenouilles, dans un tourbillon volapûkien de haut niveau, décortique la langue, à la manière des surréalistes, en démontant la construction syllabique des mots. Parfois le fil semble sur le point d’échapper au contrôle des

deux lurons barbus et chevelus, aux yeux d’enfants pétillants… Mais ils maîtrisent parfaitement leur affaire. «La langue est un jeu et elle parle» professent-ils tout au long de leur séminaire, en offrant leur jouissante consultation historique et psychanalytique. Le détour pris pour analyser l’expression «vache espagnole» et aboutir à «elle se pagnole comme une vache», vaut une bonne tranche de rire. Ils extrapolent à tout va et chantent également, à coeur joie, du gospel et des petites chansons coquines. On apprendra effectivement que la grenouille est l’animal qui se rapproche le plus de l’homme : elle

module sa voix -quoique quoique-, soutient le regard et possède une grâce naturelle. Tous les caractères corporels d’un être humain ! «Youdidi traderidera tralala» nous diraient-ils. Un batracien passe... DE.M

Nos ancêtres les grenouilles a été joué au Théâtre des Halles les 11 et 12 fév

Nos ancetres les grenouilles © X-D.R.


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DANSE

LA MINOTERIE | BNM | LE MERLAN | PAVILLON NOIR | GTP

Drôle de genre

Ouvrir les portes La formation professionnelle DANCE va venir occuper le grand studio du BNM et donner libre cours à sa fantaisie créative… Les jeunes danseurs européens recrutés par le programme Dance, et formés dans quatre centres chorégraphiques par Frédéric Flamand, Angelin Preljocaj, Wayne McGregor et William Forsythe (et quelques autres encore…), sont recrutés autant pour leurs qualités techniques de danseurs que pour leur imaginaire chorégraphique et créatif. La formation qu’ils reçoivent s’appuie sur l’enseignement de la danse et de son histoire, mais aussi sur l’esthétique et les techniques scénographiques contemporaines. Avec l’idée que les danseurs d’aujourd’hui ne sont pas des instruments,

mais des créateurs. Depuis quatre ans les promos de Dance ont surpris, enchanté ou déçu. Mais il faut voir leur travail, quoi qu’il en soit… tant que dureront ces formations indispensables qui misent sur l’art de demain, mais que des politiques à courte vue ne cessent d’envoyer à la casse… A.F.

Ouverture 12 Carte Blanche aux danseurs de D.A.N.C.E les 27 et 28 fev Ballet National de Marseille 04 91 327 327 www.ballet-de-marseille.com

L’apologie du vide Devant un parterre de noctambules, «une nouvelle bohême chic et populaire» dixit Christophe Haleb, La Zouze s’empare d’un territoire insolite, le Palais de la Bourse, déserté dans la nuit silencieuse. Dès l’ascension de l’escalier monumental, on pressent le pire. Car il ne suffit pas de se travestir, de se jucher sur des talons compensés, d’afficher des tenues excentriques, de porter des perruques peroxydées pour faire sens. Encore moins de dialoguer en anglais, en italien et en français pour faire cosmopolite. Evelyne house of Shame n’est pas une performance déjantée, encore moins un ovni : il n’y a là ni matière à penser, ni matière à rêver, juste un défilé de mode branché qui

Paradise © Maxime Dejoux-Guidot

En une soirée à la Minoterie, la Cie La Innombrable a exploré avec humour et inventivité la notion de genre, de différence entre les sexes et de contact entre les deux. Paradise, un duo danse théâtre d’une heure, met en scène deux danseurs acteurs, Astrid Giorgetta et Abdellah Noukrati, sur une chorégraphie de Fleur Duverney-Prêt. Six séquences autour du couple, de l’un et de l’autre. Et un questionnement tous azimuts sur le genre. Sur le genre du spectacle : le duo propose des incursions dans différentes danses aux accents contemporains, mais aussi rock, hip hop et tango décalé. Le couple lance des clins d’œil à toutes les musiques, à toutes les possibilités de pas de deux, sur les airs d’Emilie Chomel pour le Kollectif Nawak. Mi-danse mi-théâtre, comme son soustitre le précise, il joue aussi la comédie, avec changements de costumes à vue, mimes et texte de temps en temps, dans un tempo rythmé et dynamique. C’est plutôt malin d’offrir ainsi un spectacle hybride pour aborder la question de la part de l’autre que chacun porte en soi. Car au final qu’est-ce que le masculin, qu’est-ce que le féminin ? Paradise apporte une réponse en forme de clin d’œil : tous deux peuvent porter des shorts de foot et des talons hauts ! L’essentiel est de s’aimer et de s’étreindre (très beaux arrêts sur images de la passion amoureuse). Et lorsqu’arrive le happy end, qu’importe si la mariée est vêtue de noir et si le marié porte la jupe blanche qui tourne ? Un joli spectacle tonique et malicieux, que les acteurs aiment visiblement jouer/danser, et auquel on pardonne certaines maladresses : à vouloir explorer tous les sens et tous les registres, on perd un peu en qualité du geste et en netteté du propos. Qui trop embrasse… FRED ROBERT

Paradise a été présenté par la Cie La Innombrable le 30 janv à La Minoterie

Christophe Haleb © Agnes Mellon

aurait pour figures tutélaires Vivienne Westwood et John Galliano. Sauf que ceux-là ont le talent de transformer la haute couture en spectacle… C’est donc dans le temple du commerce que la party arrosée de coupes de champagne s’est prolongée, hôtes (dont certains avaient joué le jeu du dress code) et artistes déambulant sous les lambris comme des enfants bravant l’interdit. Ils chantent, se déguisent encore et encore dans une débauche de guêpières et de bas résille (quelle irrévérence !), grimpent sur les tables de marbre (quel scandale !), débitent des monologues débiles (quel parjure !) et… ça dit quoi au juste ? Rien, du vide, du néant, de la poudre aux yeux pour ceux qui ont oublié la boîte de nuit berlinoise de Cabaret et son Maître de cérémonie, extravagant et pathétique dans sa tentative de faire oublier les menaces du Troisième Reich, ou le film Portier de nuit hanté par la mémoire du fascisme, scandale érotique et moral. Ici, ni idéologie ni transgression, pas même de fêtes galantes. On le savait, le pire était déjà au bas de l’escalier. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Evelyne house of Shame, un salon artistique d’un genre nouveau a été présenté les 13 et 14 février par Le Merlan-Scène nationale à Marseille.


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And the living is easy ? Poussières d’Amérique

Good Morning mister Gershwin © L. Philippe - CCN Creteil Cie M-H Rotha etPriska Dos

Les chorégraphes Montalvo et Hervieu ne font pas dans l’hommage : quand ils plongent dans le baroque c’est pour le psychédéliser, et quand ils choisissent Gerschwin ils le transforment en bulles de plaisir. Pas de révérence au style, et rien de suranné : se plonger dans ce faux jazz, ce jazz d’opérette, de comédie musicale, aboutit forcément à le relire pour en faire autre chose. Opération à laquelle se sont d’ailleurs adonnés tous les musiciens de jazz, transformant la musique écrite en standard mobiles,

ductiles, que chacun sifflote ou chantonne. Le spectacle de Montalvo-Hervieu est sirupeux, enlevé, alangui, puis devient tendre comme cette musi-que américaine, et noir et rocailleux enfin, comme Porgy and Bess… A.F.

Good Morning mister Gershwin Cie Montalvo Hervieu.CCN de Créteil Grand Théâtre de Provence du 18 au 21 fev www.grandtheatre.fr

Trois fois sinon rien Kele sait ce qu’il dit quand il parle de danse, et de ses esthétiques ; Kele sait ce qu’il exprime quand il écrit le mouvement, chorégraphie, invente des historiettes, des espaces ; mais Kele ne sait plus trop ce qu’il fait quand il danse, et son duo avec Caroline Blanc n’était pas synchrone… du moins à la première. Viiiiite mérite un autre interprète, qui puisse caler à la perfection, dans l’ampleur et la vitesse, les mouvements Alea © Agnes Mellon

qui devraient être parfaitement concordants : rien n’est plus difficile pour des danseurs que l’unisson, surtout quand ça ne cesse d’accélérer, de changer de rythme, de dynamique et de direction… C’est le pari de la pièce, qui demande une virtuosité particulière. Mais les deux autres pièces proposées rattrapaient largement les manques de la première, qui ne péchait d’ailleurs que par l’interprétation, et non la conception. Tatoo est un beau morceau de propos sur la danse classique. Kele y jette un regard amusé, à la fois fasciné et repoussé par les carcans imposés à ces corps. Ceux du Ballet National, parfaits dans cette pièce ironique… Aléa, dansée par les fidèles de Kele, est une autre petite merveille : rapide, fondée sur un naturel du mouvement, de la course à la rencontre presque fortuite des corps. Tous semblent s’amuser à des combinatoires abstraites et se poursuivent, fuguent, s’imitent, au son des nappes de Zanessi : on entend mieux que dans les autres pièces l’architecture de sa musique, qui ici se donne aussi à voir. AGNÈS FRESCHEL

Délaissant l’écriture abstraite centrée sur le mouvement et la lumière, Éric Oberdorff crée Un autre rêve américain, une pièce où les textes et les musiques ont obsédé les danseurs tout autant que lui-même. Plus narratif que sa précédente création Libre, Un autre rêve américain est pétri de références à Jim Harrison, Thomas Savage, Jack Kerouac ou Allan Ginsberg et hanté par les voix de Patti Smith, Billie Holiday, Tom Waits… Sans jamais tomber dans l’illustration, Oberdorff réussit le tour de force de raconter «un état d’être en état d’urgence», celui des laissés-pourcompte du rêve américain, sans que les textes n’entravent le déplacement des corps. En tension permanente, les cinq danseurs parviennent à trouver la sincérité et la simplicité dans la justesse de leurs mouvements : un simple effleurement suffit à évoquer l’égarement ou la violence d’un duo d’amour vache. Et toujours sur des musiques qui conduisent les scènes jusqu’à leur paroxysme. Toute la pièce est baignée d’une lumière cinématographique, avec On achève bien les chevaux en toile de fond, portée par des héros romanesques aussi fragiles et désespérés que ceux de Russel Banks. Pour donner corps à cette tragédie humaine et dire la désillusion, Oberdorff découpe l’espace en deux, l’un narratif, l’autre chorégraphique, introduisant ainsi une double temporalité : il y a ce qui s’écrit à travers des situations, des voix et des rythmes ; il y a ce qui se danse à travers des portés

sensuels et des solos inventifs. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Un autre rêve américain a été créé les 12 et 13 février au Pavillon Noir, Aix (13).

À venir au Pavillon Noir Outre la reprise d’Ulysse par les petits danseurs de Josette Baïz (voir page 28), le Pavillon Noir accueillera d’autres apprentis danseurs… plus mûrs ceuxlà, puisqu’ils s’agit de ceux de DANCE. Après leurs Cartes Blanches au BNM (voir ci contre) ils mettront leurs pas dans la chorégraphie précise d’Angelin Preljocaj. À nos héros est une pièce virtuose, rapide, angulaire, bourrée de difficultés techniques, et magnifique de recoins sombres où parfois un espoir individuel s’éclaire. DANCE avait l’an dernier interprété la pièce à la perfection (voir Zib’ 6)… À nos héros Angelin Preljocaj du 13 au 15 mars 0811 020 111 www.preljocaj.org

© Malou/Maya Morelli, Gildas Diquero


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DANSE

Le corps des femmes Le théâtre d’Arles poursuit sa pertinente programmation danse en s’associant avec les Hivernales (voir ci-contre) pour accueillir la création de Michel Schweizer : ôQueens est la confrontation improbable de trois «danseuses»: une culturiste, une danseuse classique et une strip-teaseuse (avant l’anglicisme on appelait ça une effeuilleuse, mais le mot est sans doute trop joli pour la chose…). Pas d’effeuillage en vue d’ailleurs. Mais des textes de Houellebecq, trois bouledogues et deux hommes accompagneront les femmes, mettant en scène la «domestication» à l’œuvre pour tous ces corps plus ou moins animaux. Un peu plus tard un autre beau duo de danse : Correspondance est la pièce qui a réuni Kettly Noël et Nelisiwe

Xaba. Toutes les deux, africaines, jouent de leur ressemblance, s’interrogent sur leur beauté, sur leurs chaînes, sur cette identité/unité qu’on voudrait qu’elles dégagent de leurs parcours singuliers. Un duo complice, drôle, impertinent, d’une sacrée beauté plastique… que l’on pourra voir aussi au Merlan (voir p 10) et dont on retrouvera des surgeons récents des Hivernales (un trio de Nelisiwe Xaba) et au Merlan encore, pour des solos de chacune.

Correspondances Kettly Noël et Nelisiwe Xaba Le 13 mars Théâtre d’Arles 04 90 52 51 51 www.theatre-arles.com

AGNÈS FRESCHEL

Correspondances, Plasticization, Errance Kettly Noël et Nelisiwe Xaba Du 8 au 12 mars Le Merlan 04 91 11 19 20 www.merlan.org

Black ?... White ! Nelisiwe Xaba Le 26 fev Heatre des Hivernales, Avignon (84) 04 90 82 33 12 www.hivernales-avignon.com

ôQueens Michel Schweizer Le 24 fev

Buffard à toute heure… (Not) a love song est partout : à Marseille d’abord, au Merlan, dans le cadre de la programmation Pluri(elles) le 21 fev, puis à Nîmes, au Théâtre, le 24 fev; il ira ensuite à Châteauvallon le 21 mars, puis s’installera au Pavillon Noir du 26 au 26 mars… La pièce met en scène Vera Mantero et Claudia Triozzi entourées de deux hommes, qui jouent aux stars, ou aux ex stars, ou aux midinettes, on ne sait trop… En tous les cas elles passent en revue tous les topoï de la comédie musicale et du cinéma muet, des femmes fatales ou drôles qu’elles peinent à être ou tentent de refléter… jusqu’à ce qu’on sente combien il est aliénant de vouloir coller à ces images de stars qui règlent et façonnent l’inconscient collectif féminin.

oQueens © Frederic Desmesure

En création C’est plein de rengaines, et de rancœurs rengainées… Au Merlan, (Not) a love song sera complété par deux autres pièces de Buffard: Les Inconsolés, un trio masculin sur la douleur, et My lunch with Anna, un film d’entretien avec Anna Halprin, pionnière de la postmoderndance américaine. A.F. Not a love song © Marc Domage

(Not) a love song Le Merlan 04 91 11 19 20 www.merlan.org Théâtre de Nîmes (30) 04 66 36 65 10 www.theatredenimes.com

MarseilleObjectifDanse propose de venir découvrir un solo Robin Decourcy : Gazaoui est une courte pièce mêlant danse, vidéo et composition sonore, travaillée sur une proposition plus globale de Balkis Moutashar autour du corps masculin solitaire. Le 6 mars c’est une première étape de ce travail qui sera présenté à la Friche, au Studio. MOD 04 95 04 96 42 www.marseille-objectif-danse.org

… et Baïz en tous lieux Après la reprise de son Eden club dans le cadre des Élancées le 17 février, les troupes de Josette Baïz continuent de tourner leur répertoire, et cette fois sont un peu présentes dans notre région ! Profitons de l’aubaine : à commencer par Le Sacre, qui prendra ses aises dans la surprenante salle de l’Astronef, à Marseille, un lieu extrêmement bien équipé au cœur de l’hôpital psychiatrique Edouard Toulouse. Ce Sacre est épatant, plein de cette énergie qui sied si bien à la jeunesse de la Cie Grenade. Au Pavillon Noir ce sont les plus jeunes qui danseront Ulysse : la pièce de Gal-

lotta, en 1980, fut dansée par la jeune Josette qui la transmet aujourd’hui, à peine adaptée, à ses interprètes de 8 à 14 ans. Qui, sans conteste savent se glisser dans des chorégraphies très écrites… À Manosque, au théâtre Jean Le Bleu, Ulysse © Leo Ballani - Groupe Grenade

-dont la programmation hors les Ecritures et les Rencontres cinématographiques ronronne abominablement-, ce seront les adolescents qui reprendront Tonight, sur la musique de Bernstein ; là encore l’élan et l’enthousiasme des jeunes de Grenade font plaisir à partager, même si l’on se demande un peu en quoi renchérir à West Side story est utile… A. F.

Le Sacre Le 20 février L’Astronef, Marseille 04 91 96 98 72

Ulysse Jean-Claude Gallotta, adaptation Josette Baïz du 26 février au 1er mars Pavillon Noir, Aix 0811 020 111 www.preljocaj.org Tonight Le 13 mars Theâtre Jean le Bleu, Manosque (04) 04 92 72 16 00 www.josette-baiz.com


OUEST PROVENCE | MARTIGUES | AVIGNON

DANSE

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Autoportrait en Nijinsky Prétendre que le Faune(s) d’Olivier Dubois est un spectacle réussi serait inexact. Les réactions de rejet qu’il a suscitées lors du Festival d’Avignon (voir Zib’ 11) ne sont pas à proprement parler étonnantes. Le propos nombriliste est choquant, et la forme regorge de détails qui interdisent sa perfection : une construction en séquences juxtaposées sans soin ; des musiques à l’émotion facile balancées trop fort ; des temps mous qui éternisent des séquences inutiles… Mais peu importe : Dubois ne cherche pas la perfection mais la fulgurance. Et par moments il la suscite. Son Faune(s) malgré ce (s) est singulier, égocentré même sur sa douleur. Le danseur reprend la figure mythique de Nijinsky, son journal, sa chorégraphie minimaliste si révolutionnaire, et en déplie le sens pour mieux s’y confronter comme dans un miroir. Le film qui ouvre la pièce exhibe un désir pervers, rappelle que le Faune est un fétichiste voyeur et souffrant. Puis la reprise fidèle de la chorégraphie originelle par le danseur bedonnant fait apparaître le violent rejet dont est victime le Faune, le Satyre, le monstre insidieux. Puis déguisé en chasseur mis à mort (Actéon ?), en bouc sacrificiel, en Satan blessé, les figures du satyre qui défilent disent toutes une souffrance intime, accrochée pourtant aux figures mythiques du pervers, du Mal. Qui pourtant ne torture que lui-même, et nous fait toucher du doigt la violence des désirs qui le rongent. AGNÈS FRESCHEL

Faune(s) a été dansé aux Salins le 3 fev

Lutte des corps

Cie Coline © Matthieu Barret

C’était leur premier rendez-vous sur la scène du théâtre de l’Olivier : les danseurs de la promotion 2008-2010 de la formation professionnelle Coline, travaillant sous la direction du chorégraphe Emanuel Gat, ont présenté un extrait de K626. Bien qu’incertains sur leur avenir -l’école étant menacée de fermeture suite à la suppression de la subvention allouée par le San-Ouest Provence (Syndicat d’agglomérations nouvelles) qui représentait 50% du budget prévisionnel pour 2009-, les douze danseurs ont magnifiquement interprété la chorégraphie d’Emanuel

Gat. Du groupe soudé en fond de scène, quelques mouvement s’échappent, les bras balancent, des petits gestes dont on s’aperçoit subrepticement qu’ils ne sont pas synchrones les uns avec les autres. La vision est comme démultipliée, ponctuant les notes mozartiennes, soutenant élégamment le rythme. Le groupe se scinde, se retrouve, les corps se frôlent, la messe est dite. Leur succédant, Roy Assaf et Emanuel Gat, en symbiose, entamèrent un lent et silencieux Voyage d’hiver. Sublimes interprètes qui se déplacent côte à côte, se regardent faire et s’esquivent, courent puis s’arrêtent subitement, le corps voûté. Les mains se frôlent mais ne se touchent jamais, les yeux s’affrontent, le voyage touche à sa fin. Hypnotique. DOMINIQUE MARÇON

K626 et Voyage d’hiver ont été dansées au théâtre de l’Olivier le 27 janvier

Faune(s) © Christophe Raynaud de Lage

L’autre festival d’Avignon Chaque année depuis 31 ans les Hivernales font en février l’actualité de la danse. Cette édition, la dernière pour sa directrice Amélie Grand, promet d’être aussi belle que les précédentes. Le programme est d’enfer et mise sur une double étrangeté : celle de l’étranger et celle du bizarre. Avec des manifestations autour de Mallarmé (voir Zib 15), et quelques événements de taille, comme la venue de Josef Nadj ou de Sankaï Juku. Mais aussi, et c’est ce qui fait la chaleur des Hivernales, des stages pour tout le monde, amateurs et professionnels, des rencontres et expositions, et des artistes fidèles dont on suit le parcours grâce à la fidélité du Centre de Développement Chorégraphique : la

Cie Moussoux Bonté, David Wampach, Michel Schweizer, Thomas Lebrun, Thierry Niang… et aussi quelques femmes : Stéphanie Nataf, une des rares chorégraphes du hip hop, Nelisiwe Xaba qui sera aussi au Merlan (voir page 10), Anna Ventura qui s’attaque elle aussi au Faune… Donc, pour des vacances à Avignon, n’attendez pas l’été ! A.F.

Danses étranges 31e Hivernales Divers lieux d’Avignon (84) du 19 au 28 fév 04 90 82 33 12 www.hivernales-avignon.com Black White de Nelisiwe Xaba © Nadine Hutton


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CIRQUE

LES ÉLANCÉES | MARTIGUES | LIEUX PUBLICS

D’un battement d’ailes Magistral

© P. Leiva

Mademoiselle Philomène arrive à l’heure, tailleur ajusté, cheveux attachés, prête à travailler. Bureau rangé, classeurs classés, tic-tac, tic-tac c’est parti pour une journée de travail pas franchement folichonne. Gestes secs, répétés, précisions des pas, déplacements mesurés, un jour gris chasse l’autre. Heureusement pour elle, mademoiselle Philomène a un collègue plutôt… bizarre au premier abord : vêtements colorés, démarche aléatoire, sourire enjôleur. Bien vite monsieur Nostoc va instiller de la fantaisie dans cette grise vie ordonnée, facétieux comme tout, transformant les classeurs en papillons, les dossiers en jeu de cache-cache… Jusqu’à lui offrir des ailes, qui les feront s’envoler, après avoir poussé les murs (magnifique scénographie d’Hélène Dattler). Christine Fricker signe là une très jolie chorégraphie, qui rappelle Jacques Tati, lorsque,

sans texte, les émotions sont transportées par les corps des deux formidables interprètes, Julia Poggi et Anthony Deroche. Entre théâtre d’objets, danse et musique (une bande-son concoctée comme un personnage supplémentaire), Les Ailes de mademoiselle Philomène nous emportent dès les premiers battements… DOMINIQUE MARCON

danseurs. Le 21 fév au Théâtre de Fos (04 42 11 01 99). Poétique et tendre, le théâtre de Romette propose un pas de deux fascinant, entre un danseur et un personnage de papier Kraft, étonnamment humain, manipulé par quatre comédiens. Le 20 fév au Théâtre de la Colonne à Miramas (04 90 50 05 26). Le cirque Trottola présente Volchok (toupie en russe), un spectacle sans parole mais avec beaucoup de poésie, à l’image de ces artistes à l’univers décalé et au charme fou. Les 20 et 21 fév sous chapiteau au bord de l’étang de l’Olivier. Sortilèges, avec la cie Jérôme Thomas, florilège de jonglage, d’acrobatie, de manipulations d’objets pour raconter l’univers enchanté d’une enfant livrée à ses rêves et ses cauchemars. Le 19 fév au Théâtre de l’Olivier. 360, de la cie Bis Repetita, raconte l’univers intime et universel d’un couple, avec 2 acrobates et 2 musiciens autour d’une grande sphère en métal. Le 21 fév, en extérieur, à Grans. www.scenesetcines.fr

DO.M

Les Ailes de mademoiselle Philomène ont été créées à Istres et jouées le 16 fév à l’Espace 233 et le 17 fév à l’Espace G. Philippe à Port-st-Louis-du-Rhône. Dernière représentation le 21 fév au théâtre de la Colonne à Miramas.

Le carnaval a la grosse tête Cette année encore, Martigues fomente un carnaval très spécial. Managé par la compagnie marseillaise Madame Olivier, il aura pour thème l’exagération et la disproportion À l’instar d’une manifestation artistique populaire, tout le monde est convié à y participer, et tous sont à l’ouvrage depuis plusieurs mois. Depuis les établissements scolaires jusqu’aux associations et aux compagnies, chacun met la main à l’ouvrage pour faire de ce carnaval bien plus qu’un défilé… Plusieurs temps forts : tous les weekends du mois de mars seront consacrés aux Comptoirs du savoir faire afin de préparer l’événement. Moment idéal pour s’initier à la fabrication de chars, à la danse ainsi qu’à la création de costumes et d’accessoires. Et ce n’est que le samedi 28 mars que

C’était un de ces moments rares où l’on assiste, témoins privilégiés, à une étape de création. Le collectif AOC offrait une répétition publique d’un spectacle qui sera créé en septembre, un «résumé» de leur résidence de 3 semaines à Istres, au cours duquel ont été expliqués les différentes techniques, les mouvements et les placements, mais aussi l’importance de la rencontre entre les artistes. Car ce laboratoire de recherche réunissait, pour la première fois, tous les membres de l’équipe définitive. Du jonglage aux portés acrobatiques, des agrès à la création musicale (deux musiciens joueront directement sur scène), ils sont tous là, se parlent beaucoup, répètent les mouvements, s’encouragent… La longe est sollicitée qui assure les portées, les sauts, permet de repérer les points de déséquilibres et minimise les risques, pourtant toujours présents. L’occasion de se rendre compte du travail, de l’importance des défis physiques qui aboutissent, ou pas, à l’avènement du spectacle. Un envers du décor qui rend forcément complice, et respectueux.

les grosses têtes commenceront à envahir la ville. La parade, moment phare de tout carnaval, déambulera le lendemain, dimanche 29, dans une cavalcade de musique et de visuels surdimensionnés. Le départ est organisé sur le parking Général Leclerc et le bal final sur celui du théâtre des Salins. Deux kilomètres de festivités intensives et surdimensionnées. À vos masques… JORDAN SAÏSSET

Ville de Martigues 04 42 44 36 75

Deux répétitions publiques du collectif AOC ont eu lieu les 14 et 15 fév à Istres, sous leur chapiteau installé au Palio

AOC © Philippe Cibille

A venir aux Élancées Fruit d’un travail entamé depuis juillet 2008 entre le chorégraphe Éric Mezino, les danseurs de sa cie E.go et 17 danseurs du territoire Ouest Provence, Memorandum (mes mots rendent hommes) rend compte de la notion de territoire, de mémoires, de corps, de passion : dockers, cheminots, pétrochimistes… autant de témoignages dans lesquels se coulent les corps des

Ça pare quoi, un parachute doré ? Une sirène à ne pas rater en ces temps qui crisent… La Cie Artonik a pour habitude d’inscrire ses actes de rue dans la réalité sociale, pour la décaler, et en dire quelque chose… Caroline Selig, responsable habituelle des Fash Rue participatifs, nous invite donc sur le Parvis de l’opéra pour se donner cette fois en spectacle… tout en restant aux prises avec le réel. Les sirènes de mars

retentiront sur fond de crise monétaire, de parachutes dorés (qui chuteront vraiment ?) et d’évacuation immédiate! A.F.

Golden parachutes Cie Artonik Le 4 mars avant midi Parvis de l’Opéra www.lieuxpublics.fr


GRASSE

CIRQUE

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Johann Le Guillerm, faiseur de tableaux vivants Accueilli en résidence au Théâtre de Grasse, Johann Le Guillerm met en piste et en image sa perception du monde comme autant de points de vue, et de points de fuite… C’est étrange comme certains artistes laissent dans leur sillage des sentiments contradictoires. Johann Le Guillerm est de ceux-là, qui met le public dans sa poche d’un seul claquement de fouet tout autant qu’il peut le laisser perplexe : artiste de cirque, fildefériste, équilibriste, manipu-lateur et faiseur d’objets, il jette le trouble dans l’appréhension - et la compréhen-sion - de son œuvre. D’abord parce que son projet actuel, Attraction, est colossal et kaléidoscopique, une tétralogie constituée du spectacle Secret, de l’installation Monstration, du «phénomène de cirque minéral et végétal» La Motte et d’un film à venir. L’ensemble formant un tout hétérogène dont le socle serait ses recherches poétiques autour du point, point de fuite, point d’équilibre, et Secret une infime partie de son regard complexe sur le monde. Regard fixé sur un point qui cacherait l’autre partie du monde… D’où cette omniprésence de la sphère, elliptique et conceptuelle dans sa gestuelle, formelle et plastique dans ses machines-objets. Ensuite parce qu’au-delà du jeu circassien, avec effet sensationnel, suspens, magie et clin d’œil au cirque traditionnel, Secret est le fruit d’une pensée labyrinthique, hermétique par sa difficulté à se laisser aborder frontalement. Si son exposition Monstration autorise la déambulation et le jeu interactif et fait naître le merveilleux, Secret demande au public d’abandonner toute résistance. Sinon une chape opaque le projette à cent mille lieues de l’artiste, anéantissant toutes formes relationnelles au risque de devenir un «spectacle d’autiste». Ce risque, Johann Le Guillerm en mesure toute la portée et l’assume avec sérénité : «Je ne vois pas la nécessité de communiquer avec le public, je n’ai pas envie de l’amadouer, de le conquérir. Ça ne m’intéresse pas de connaître l’histoire que je raconte, si j’en raconte une. De toute façon, elle sera différente chaque jour car le numéro change d’histoire et de perception selon mon humeur.» D’ailleurs, le public sort conquis et ébahi par cette histoire sans cesse renouvelée, cette profusion de sons assourdissants, de numéros insaisissables où le temps et

l’aléatoire sont les maîtres du jeu, où l’équilibre mental et physique sont sans cesse sur le fil du rasoir ! Quand Johann Le Guillerm pénètre dans l’arène, rugissant, son fouet cinglant l’air, domptant des bassines de fer blanc avec la force d’un forgeron ; quand il adoucit la rigidité d’un câble métallique jusqu’à lui courber l’échine, il danse avec les éléments. Avec une animalité toute retenue. Quand il se couche sur une arche de livres à l’équilibre improbable, donne des ailes à un oiseau de bois ou échafaude à mains nues une sculpture, son corps oscille entre caresse et violence. Dans une envolée poétique unique. Pour autant, Secret tient plus de la performance que du spectacle, bien que Johann Le Guillerm réfute cette idée, affirmant être un artiste circassien et non pas un plasticien : «Je suis maître de la logique qui fait apparaître la forme, mais je ne suis pas maître de la forme. Je ne crée pas d’objets formels, explique-t-il. Il y a beaucoup de choses aléatoires, des parties vivantes dans le spectacle.» Des tableaux vivants, en quelque sorte… MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Secret et Monstration ont été présentés par le Théâtre de Grasse du 4 au 18 février. 04 93 40 53 00.

Secret-Cirque ici © Philippe Cibille

Une attractive monstration Véritable laboratoire de recherches et d’expérimentations, Monstration est une invitation à toucher, voir, manipuler, jouer, s’interroger, rêver, se surprendre. Sorties d’une longue période de gestation et de construction en atelier, les machines-objets Monstration-Cirque ici ©Philippe Cibille

aux titres énigmatiques (Le livre infermable, La machine à écrire des pommes de pin, L’alphabet à lettre unique…) empruntent leur vocabulaire à l’architecture, la science et l’astronomie pour évoquer sa «volonté d’élucidation» du monde à partir du point. Il y est question de topographie, de contrainte, d’opération, de mutation, graphe, nomenclature, ligne, surface… À chaque structure sa vidéo dans laquelle l’artiste esquisse quelques réflexions sur son travail, l’une et l’autre combinant expériences mentales et physiques : dans un espace tendu de tissu noir, le visiteur peut appréhender le monde de Johann Le Guillerm à travers le prisme de ses machines-outils, s’approprier ses découvertes et remettre en jeu ses propres repères. À lui de saisir ces instants fragiles, au contact de formes animées, de livres en bois, d’idéogrammes, de globes luminescents inventés par un homme tendu vers une seule espérance : «Pouvoir voir ce qui est caché derrière ce que je ne vois pas.» M-G-G


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MUSIQUE

SPECTACLES

Deux contes sinon rien Le 25 janvier se jouaient deux versions fort différentes des Contes d’Hoffmann. À l’Opéra d’Avignon, et aux Salins de Martigues…

des actes, des numéros ajoutés, on dispose d’une cohorte de versions des Contes… d’une «authenticité» plus ou moins pertinente. Car sous prétexte qu’il n’y avait pas de version définitive de l’opéra, celui-ci subit, lors de chaque reprise, d’importantes modifications. Gustav Malher, par exemple, en supprima le prologue et l’épilogue !

Martigues éclatée

Les contes d'Hoffmann mes Éric Chevalier © X-D.R

En 1880, juste avant de mourir, Offenbach lègue une oeuvre unique : le premier grand «Opéra fantastique» de l’histoire de la musique avant L’enfant et les Sortilèges, La Ville morte ou Le Tour d’Ecrou… Son ultime opus Les Contes d’Hoffmann fait partie de ces mythes restés inachevés, complétés après la mort de leur auteur. Avec une orchestration manquante, des récits apocryphes, un ordre aléatoire

Olivier Desbordes et la compagnie Opéra Éclaté tentent de rétablir la version créée à l’Opéra comique en reconstituant les dialogues parlés. Du coup, la suppression des récitatifs de Guiraud allège le discours et tire l’œuvre du côté du théâtre, la rendant plus lisible, accessible… tout comme l’unité du décor et des costumes : une grande table/piste de cirque où se meut une assemblée bigarrée sortie d’une gravure de Daumier. Côté chant, Isabelle Philippe a incarné une poupée colorature grotesque, bouffie à la Shrek, se montrant naturellement plus à l’aise dans le lyrisme

aérien d’Antonia que dans la sombre Giulietta, quand le ténor Andréa Giovannini a séduit par son chant homogène puissant et une expression nuancée. Si le diabolique Jean-Claude Saragosse possède une solide voix parlée de baryton, une belle prestance, son chant manque de cavité et l’aigu est mal géré. Dans cette version jouant la carte du burlesque, le chœur à 12 voix et l’orchestre réduit ont également bénéficié, avec Dominique Trottein, d’un formidable chef de métier.

Avignon opératique La mise en scène d’Eric Chevalier jouait sur la beauté et la diversité des décors, des costumes déclinant les rouges et les noirs… Le spectacle, classique, était réjouissant : les ensembles et chœurs, magnifiquement interprétés, et l’air de bravoure de la poupée (Olympia, Mélanie Boisvert) remplirent la salle d’enthousiasme et soulevèrent mille applaudissements. La voix de basse de Nicolas Cavallier fut elle aussi chaudement récom-

Les Contes d'Hoffmann, Opéra Éclaté © Nelly Blaya

pensée. La Barcarolle si attendue (Belle nuit, o nuit d’amour…), fut remarquée, et la direction sans faille de Jonathan Schiffman participa au succès de cette soirée. Car finalement, comme les autres opérettes, cette œuvre d’Offenbach fait la part belle à l’invention mélodique, et à l’humour ! JACQUES FRESCHEL ET CHRISTINE REY

Au sein de la nuit parfumée… Filles à l’œil noir et tresses flottantes entonnent joyeusement la partition de Bizet, avec maîtrise et engouement. Les airs, tubes indémodables, s’enchaînent sans aucun temps mort, déclamés par des solistes de haut niveau Affublés de voiles roses, turbans, dorures et entre les vapeurs d’encens, les Pêcheurs de perles nous sont apparus, encerclés par des danseuses de Bharata Natyam. Tant mieux ! Cet exotisme désuet et grandiloquent est inhérent à la plupart des opéras de Bizet, et tout particulièrement à celui-ci. Parti pris réussi donc de la part de Nadine Duffaut à la mise en scène, même si on peut regretter le manque de recherche chorégraphique, qui rendait parfois répétitives les interventions des danseurs, et a contraint les chœurs, peu habitués à l’exercice, à effectuer des retournements de mains et haussements de pouce peu convaincants. Le premier acte a souffert de quelques bafouillements des chœurs, sa tension s’est vue un peu amoindrie par la voix de Jesus Garcia, un peu fatigué le jour de la première, et souffrant de la robustesse de Jean-François Lapointe, magnifique Zurga. La romance de Nadir, si attendue, fut un peu décevante, notamment lors des passages en voix de tête, qui manquaient assez clairement de justesse. Mais à partir du deuxième acte, porté par les vocalises acrobatiques de Kimy MacLaren et une exécution admirable du célèbre duo «Ton cœur n’a

pas compris le mien», la puissance de cet opéra fut rendue à sa juste valeur. Les grands moments se sont alors multipliés, portés par une cohésion remarquable des chœurs, une belle prestation de l’orchestre, parfois un peu décroché des parties chorales, mais articulant avec précision les phrases et accents, sous la direction de Claude Schnitzler. Chaque air a su clairement se démarquer, en particulier le duo Leila/Zurga, applaudi avec

enthousiasme par le public, ou les interventions de Wojtek Smilek, convaincant Nourabad. Jusqu’à la conclusion, un peu surprenante (une petite fille pousse Zurga à renoncer à son suicide) mais qui ne manquait pas de pertinence. SUSAN BEL

Les Pêcheurs de perles ont été joués à l’Opéra de Toulon du 30 janv au 3 fév Les Pêcheurs de perle © Frédéric Stephan


CONCERTS

MUSIQUE

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L’Argentine et Venise ! Malgré la pluie, le théâtre du jeu de Paume était comble le 5 fév pour écouter les musiciens de l’ensemble Tango Quattro, et admirer les deux danseurs, Véronique Guide et Julio Luque. Ah ! Les jeux de jambe de la danseuse ! La complicité du couple qui raconte avec un égal bonheur rencontres, séductions, séparations, retrouvailles, plaisir de danser tout simplement ! Le programme s’orchestrait autour des «quatre saisons» de Piazzolla, avec des hommages à quelques compositeurs tels Anibal Troilo, Paulos, Plaza, Salgan, AIeta, Agostino, Filiberto. Toutes les techniques, jazz, contemporain, se retrouvent au service du tango, qui devient essence suprême ; les cordes se font percussion, comme le couvercle du piano, la flûte traversière aussi se trouve parfois réduite à un simple souffle, une respiration qui module des variations sur le rythme obsédant du tango. L’âme même des instruments vibre, les musiciens dansent, jouent et, virtuoses spirituels, nous entraî-

nent. Fabian Carbone au bandonéon, Ezequiel Cortabarria à la flûte traversière, Mario Soriano au piano, Jose Luis Ferreyra à la contrebasse, Adrian Rodriguez au violoncelle, nous font passer par toute une palette de sentiments, d’univers, du bouleversant Adio Nonino, composé par Piazzolla en l’honneur de son père décédé, au lancinant Libertango, de la danse de Inspiration, digne d’un orchestre symphonique à la joie débridée de La Trampera. Le monde entier devient tango, les rues encore humides d’Aix esquissent elles aussi des pas. On repart, riche d’un bonheur qui irradie. Puis on revient, deux jours après. Le spectacle, Le luthier de Venise, donné au Jeu de Paume le 7 fév, permettait aux enfants à partir de 5 ans, de découvrir Les quatre saisons de Vivaldi, à travers une petite mise en scène charmante sur une histoire de Claude et Frédéric Clément. Les feuillets de présentation éclairent l’œuvre de

Le Tango Quattro © Carlos Pascual

façon à la fois didactique et amusante, la situant dans le contexte joyeux d’une Venise baroque et animée. Un récitant, Pierre Gueyrard, établit le lien entre l’orchestre de cordes et les classes de danse du conservatoire Darius Milhaud. Matinée sympathique et familiale dans ce théâtre à l’italienne taillée pour accueillir un Vivaldi joliment

Sans dandysme mais pas sans orgueil Le Spectacle Gymnopédique ainsi que l’enregistrement d’Erik Satie, Avant-dernières pensées, acclamé par la critique, représentait l’occasion pour Alexandre Tharaud de réhabiliter un compositeur dont on ne retient que «l’aspect rigolo, les anecdotes», afin que soient mises en avant toutes les facettes de sa personnalité et de son univers : ses œuvres les plus célèbres pour piano solo et pour quatre mains, mais aussi des textes, mélodies et chansons rendus par une troupe de joyeux drilles. Pourquoi pas ? Alexandre Tharaud © Eric Manas

Le début du spectacle repose tout de même sur un présupposé esthétique dont on peut douter : on entend, lors de la lecture un peu longuette de ses correspondances, Satie qui qualifie l’esthétique de Ravel de «déplorable et démodée», ce qui, avec le recul, prête à sourire… Car même si on trouve le minimalisme de Satie charmant et musical, on peut douter qu’une seule de ces petites choses pour piano exécutées, avec pourtant beaucoup de sensibilité et d’adresse, par Alexandre Tharaud et Eric le Sage ait l’intensité des fameux Miroirs ou de la Pavane pour une infante défunte… Dans ces conditions les traits d’esprit d’Erik Satie, et le jeu décidément Deschiens de François Morel et Olivier Saladin, s’avéraient assez fats. Les chansons et mélodies, interprétées avec entrain et humour par Jean Delescluse, joliment décalé et Juliette, très à l’aise dans ce répertoire, ainsi que la cohésion de tout le groupe, allant et venant sur la scène en criant «Musique d’ameublement !» donnaient à la deuxième partie du spectacle nettement plus de mordant. Le sens de l’absurde du compositeur, des décennies avant Cage, étonne, quand on entend une pièce pour piano étendre sa conclusion sur deux bonnes minutes… Car la force d’Erik Satie réside sans doute dans cette forme certaine d’anticonformisme, ouvrant la porte à un renouveau de la forme à une musique dépourvue du dandysme qu’il reprochait à la plupart de ses contemporains. SUSAN BEL

Erik Satie a été joué au Grand Théâtre de Provence (Aix) le 10 fév et à la Passerelle (Gap) le 9 fev

servi par les jeunes musiciens sous la houlette de Michel Durand Mabire, violon solo. La justesse de cet ensemble musical est à saluer, et l’intention pédagogique, servie par d’adéquats moyens. MARYVONNE COLOMBANI

Cocteau l’enchanteur Habitués aux affiches «classiques» de musique de chambre concoctées par les Moments musicaux de Carry, les mélomanes de la Côte bleue ont découvert, mardi 10 février, un récital sortant de l’ordinaire. En effet, le pianiste et conteur Edouard Exerjean a représenté, dans la salle du Grand bleu sur la plage du Rouet, un spectacle sensible mêlant des écrits de Jean Cocteau et des partitions de musiciens faisant partie de sa sphère artistique. Seul, dressé dans un rai de lumière, l’artiste, de sa diction nette, a fait parler Cocteau à la première personne, traçant à partir de textes et poèmes le parcours d’une vie vouée à l’Art. À cette langue visionnaire, sarcastique et légère, tendre et précieuse, Exerjean, au clavier, s’est aussi fait le chantre brillant d’une musique nationale prééminente durant les Années-folles. Et l’on a ainsi pu goûter à la clarté acidulée, la gaîté finement grinçante d’Honegger, Milhaud, Satie, Wiener, Auric, Tailleferre, Poulenc… J.F.


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MUSIQUE

CONTEMPORAINE

L’alpha de la contemporaine Le Pierrot lunaire d’Arnold Schoenberg, chef-d’œuvre de l’expressionnisme germanique, marque en 1912 l’histoire de la musique en conjuguant un langage atonal savant (engendrant ce que l’on nomme communément la «musique contemporaine») et un traitement vocal révolutionnaire. Les 21 poésies, candides ou barbares, capricieuses, ironiques ou mélancoliques, traduites du symboliste Albert Giraud, sont conçues comme un mélodrame où le père de l’Ecole de Vienne oppose au chant classique de l’opéra le Sprechgesang (chant parlé). Cette forme inédite d’alliage entre verbe et musique impose aux interprètes de faire de véritables choix. Le 23 janvier à la Bibliothèque dépar-

tementale, Raoul Lay et l’Ensemble Télémaque ont pris le parti d’une version équilibrée… et cela s’est avéré payant ! Tout en respectant les passages à des hauteurs obligées, la soprano Brigitte Peyré a trouvé dans la déclamation des textes un naturel confondant, quand les instrumentistes ont tissé autour d’elle une texture de trémolos feutrés et nocturnals. Un programme complété par les disciples, Webern et ses haïkus sonores, Berg et son penchant lyrique… ainsi que quelques judicieuses et spectrales Rondes nocturnes d’un composteur d’aujourd’hui : Patrick Burgan. JACQUES FRESCHEL Ensemble Telemaque © Agnes Mellon

La couleur du «pire» C’est avec un grand plaisir que l’on retrouvait le 8 février à Venelles l’ensemble Télémaque dans le cadre de la Tournée découverte organisée par le C.G.13 Avec humour et talent les musiciens expliquent, se plient au jeu des extraits pour que le public apprenne à écouter et apprécier les pièces de musique contemporaine au programme, «musique contemporaine, autrement dit, la pire !» lance avec un sourire Raoul Lay, qui dirige avec une précision et un rare brio les œuvres de Boulez, Messiaen, Debussy, et Jean-Luc Hervé qui a composé En Dehors, spécialement pour l’ensemble Télémaque. Car il s’agit, en dépit des a priori, d’une musique pour tous : Raoul Lay nous apprend à entendre les couleurs, car, dit-il, «la musique française s’occupe de couleurs.» Et c’est vrai, les appogiatures de Dérive 1 de Boulez donnent un effet de vagues soutenues par le beau vibraphone de Christian Bini, puis c’est dans une promenade solitaire et inspirée que nous entraîne la merveilleuse flûte (Charlotte Campana) de Syrinx, à laquelle répondent les échos superbes du piano de Reflets dans l’eau (Hubert Reynouard) de Debussy. Fluidité des résonances… qui laissent place à la musique imagée, descriptive, du Merle Noir. Puis la création : si la partition de Jean-Luc Hervé s’acharne à désaccorder les instruments, elle permet aussi de montrer leur virtuosité, le violon (Jean-Christophe Selmi) et le violoncelle (Guillaume Rabier) accomplissent des prouesses techniques pour mettre en scène cette musique «spectrale»,

tout en quart de tons et qui emploie les réglages les plus incongrus pour un concert, comme la «sourdine d’hôtel». La clarinette (Linda Amrani) réussit même à produire des sons multiphoniques, trois notes à la fois ! C’est le sublime Quatuor pour la fin du temps de Messiaen qui clôt avec ses fureurs et ses poussières d’étoiles. Un concert d’une qualité exceptionnelle, mis à la portée de tous. MARYVONNE COLOMBANI

Une heure avec Risset Aujourd’hui, Jean-Claude Risset (né en 1938) fait figure de «classique» dans le traitement du son par l’informatique musicale, technique dont il fut un pionnier dès les années soixante. Au-delà de son approche de physicien, des procédés expérimentés au fil d’un catalogue de près de 70 opus, on trouve toujours Festival Trans'electroacoustique © Claire Lamure chez le compositeur une luminescence tique de l’atelier-studio du Gmem, baigné sonore, un scintillement propre, une clarté dans l’exposition des différents objets dans un espace acoustique où les sons sonores qui le singularisent. Cette «se mêlent dans l’air du soir» et s’entresignature futuriste, surnaturelle et spa- choquent au-dessus des têtes, le public, tiale fonde une œuvre véritable. Ses lascivement allongé sur des transats, a arcs-en-ciel d’harmoniques évoquent un pleinement goûté à une forme d’art qui orient intersidéral sidérant, ses cloches s’est imposé depuis les péripéties défrise liquéfient, ses glissandi n’en finissent cheuses de Pierre Schaeffer. pas de gravir l’échelle des fréquences… J.F. Le 29 janvier, dans la disposition acous-

Créer en la Chapelle La Chapelle du Méjan à Arles résonnait d’une musique pour le Temps Présent en ce 1er février… Non content de faire revivre le patrimoine musical, le Méjan et son association contribuent également à son enrichissement : c’était en l’occurrence pour la création d’une commande passée à Philippe Hurel, Recueil pour alto (Christophe Desjardins) et percussions (Daniel Ciampolini) que le public était convié. Introduit par Elliot Carter (pièces pour timbales), mis en regard avec Berio (Duos et Naturale, sue melodie sciliane ), Hurel ne ménage pas ses deux interprètes qui ont de la res-

source: transcriptions des Ricercari de Gabrieli pour l’altiste, improvisation pour Hang (récent instrument hybride tenant du steel-drum et aux résonances de tablas indiens) par le percussionniste aux touchers et talents multiples. Le riche accord timbre qui introduit la première pièce de Recueil est bien estampillé Ircam, le dialogue progressif qui suit pourrait s’assimiler à une toccata du XXIe siècle aux lignes et ponctuations acerbes… Compositeur et interprètes sont à l’œuvre ensemble,

jusqu’à la conclusion qui finalise le juste équilibre de la pièce. Rendez-vous est pris pour les pages suivantes de ce Recueil. P.-A. HOYET Philippe Hurel © N. Botti


CONCERTS

MUSIQUE

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Le retour de BB Harmonie du soir... Pour sa soirée du 23 Janvier, le Méjan a choisi de joindre les talents pianistiques de Brigitte Engerer au verbe lyrique de Daniel Mesguich. Les résonances de Bach/Busoni introduisaient cette soirée, conclue par les Harmonies poétiques et religieuses de Liszt, ponctuées par les accents mystiques de Mesguich dans Le lac de Lamartine. Paraphrasé par Liszt, Schubert abandonnait alors ses atours poétiques pour n’en garder que la parure musicale… C’est dire les imbrications du populaire et du savant, du religieux et du profane évoqués par les accents romantiques des deux artistes lors de cette soirée. Le talent de Brigitte Engerer n’était pas de trop : cette pianiste semble posséder une troisième main virtuelle et magique pour faire sonner ainsi les supplications de la Sérénade de Schubert au sein des effusions Lisztiennes ! Le timbre de Mesguich coulait comme le ruisseau de

La belle meunière, ponctuée par des respirations judicieuses dans Baudelaire, Hugo; au point d’ensorceler le public délecté par quatre rappels ! P.-A. HOYET Brigitte Engerer © Karl Lagarfeld

Les Siècles, une aspiration d’éternité Le GTP invitait les spectateurs, le 28 janvier, à un véritable moment de musique, avec un programme qui semblait si «classique», si évident, si peu original -on cherche toujours à nous éblouir par des inédits!- que l’on n’en discernait pas immédiatement l’intérêt. C’était sans compter sur le brio des musiciens de l’orchestre Les Siècles, jouant sur des instruments d’époque, et leur interprétation vive et intelligente de l’ouverture de Cosi fan tutte. Le chef, François-Xavier Roth, sait rendre sensible le propos musical. Par quelques notes pertinentes et fines, il fait entendre le fonctionnement de l’œuvre, affine notre écoute… Les instruments bavardent entre eux, rient, s’exclament, chuchotent, dissimulent des choses graves sous un léger badinage… et «figurent le commérage». Cette soirée consacrée à Mozart permit aussi d’entendre un Beethoven jeune, à l’inspiration toute mozartienne dans ses cadences, avec le concerto pour piano n° 1. Avec humour, le grand pianiste Jean-François Heisser rappelait que le premier concerto était en fait le deuxième ! Au-delà de la capacité de nous séduire par des anecdotes, c’est

Dans le cadre du cycle grands interprètes, le GTP a accueilli l’immense pianiste russe Boris Berezovsky, le 22 janvier Après avoir conquis la cité des papes le mois dernier à coups d’arpèges ravageurs, l’imposant moscovite Boris Berezovsky, au demeurant familier du festival voisin de la Roque d’Anthéron, est déjà comme chez lui à Aix sur la scène du Grand Théâtre de Provence. Sans fioritures et fanfreluches, son style racé et direct peut déplaire. Rien de brutal pourtant, les lignes sont claires, le toucher délicat et précis et le contrôle de l’œuvre, si important lorsque de tels monuments sont interprétés, total. La sonate dite Waldstein, véritable écrin rythmique Beethovénien, est une œuvre angulaire du répertoire pianistique : aisance virtuose dans l’écriture, libertés dans les développements et pour la première fois sonate destinée non plus à des pianistes moyens mais à de très bons exécutants. BB en est un, indubitablement, et sa délicate main droite volubile au toucher si fin ajoute une nouvelle couleur à sa palette. Schubert le discret, toujours dans l’ombre du héros Ludwig, répond au maître viennois par une œuvre incroyablement technique elle aussi, la fantaisie Wanderer. Aux dimensions insolites et à la

virtuosité vertigineuse, cette pièce se nourrit d’un seul et unique thème, développé et travaillé, préfigurant la forme cyclique lisztienne du poème symphonique. Rien de plus logique que d’enchaîner sur le monument qu’est la Sonate en si mineur de Liszt, grandiose «pensée musicale», virtuose, visionnaire… et admirablement interprétée. FRÉDÉRIC ISOLETTA

Boris Berezovsky © X-D.R.

Feria musicale à Nîmes Fidèle à ses amours hispaniques, JeanFrançois Heisser déroule sa muleta avec L’Orchestre de Poitou-Charentes en lieu et place de la Peña, assistés par la cantaora de Malaga, Antonia Contreras, Jean-Francois Heisser © Simone Poltronieri et par Marie-Josèphe Jude au piano. par son jeu, clair, précis, subtil qu’il Abrivado avec La Fantasia Baetica de nous a enchantés, et ce sur un piano Falla : Heisser révèle les traits caractéErard tout empreint du souvenir de ristiques de la musique andalouse, Liszt ! oscillant entre les rasgueado et les Quelle symphonie de Mozart est la plus épanchements du cante jondo. C’est connue du grand public ? La 40e bien dans La Feria de la Rhapsodie Espagnole sûr ! Cependant, si le premier mouve- de Ravel que Marie-Josèphe Jude se ment nous hante tilila tilila tilila la… joint à lui pour planter les banderilles. les trois autres mouvements, injustement Le geste est sûr et précis, après les refoulés de nos mémoires, sonnent passes délicieusement hésitantes de la romantiques avant l’heure, comme le Habanera. soulignait F.-X. Roth. Les auditeurs Changements de cartel : après Turina étaient enveloppés, emportés dans et sa Rapsodia Sinfonica, entrée en lice cette nappe sonore profonde et irisée… d’Antonia Contreras qui chante avec effectivement passionnée et comme âpreté les estocades brûlantes et romantique ! amoureuses de la gitane Candela dans MARYVONNE COLOMBANI L’amour sorcier de Falla première version. Alliage brut d’une musique à l’écriture précise, gagnée par les

couleurs de la voix traditionnelle. Les deux oreilles et la queue pour le matador Heisser et sa torera Contreras, qui ont offert un beau prolongement au Festival flamenco de Nîmes. P.-A. HOYET Antonia Contreras © Vincent Garnier


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MUSIQUE

CONCERTS

Le clavier bien libéré On avait un peu peur ! Parce qu’un long récital de clavecin, dans une grande salle ne favorisant pas l’intimité, avait de quoi faire venir à reculons les adeptes des phrasés lyriques des cordes ou des puissants Steinway ! On avait tort… car il fallait compter avec le talent de Pierre Hantai, particulièrement en verve. Le clavecin, exhumé par les néoclassiques au XXe siècle, a trouvé la faveur du grand public avec le revival baroque et les progrès des techniques d’enregistrement : on capte désormais au cœur de l’instrument la vibration sympathique des cordes ou les percussion des sautereaux... Mais en concert on est parfois un peu frustré par l’austérité du discours ou le manque d’ampleur sonore… Pierre Hantaï, grâce à la souplesse naturelle qu’il accorde à la pulsation, évite l’écueil. À la lumière d’une simple lampe nimbant l’instrument d’un clairobscur pictural, le claveciniste a fait preuve d’une grande liberté dans Couperin, rayonné d’aisance dans les pyrotechnies de Scarlatti… quand la Suite anglaise et le Concerto Italien de Bach ont achevé de convaincre de l’indéniable richesse inventive du musicien.

La crème des quatuors

Pierre Hantai © X-D.R.

JACQUES FRESCHEL

Pierre Hantaï s’est produit le 3 février à la Faculté de médecine de Marseille, dans le cadre de la programmation de la Société de Musique de Chambre de Marseille

De Zoroastre à Sarastro Zoroastre est un mage mis en scène dans l’opéra éponyme de Rameau. Dans cette tragédie lyrique (créée en 1749 et révisée en 1756), le livret signé d’un franc-maçon Louis de Cahusac reprend des thèmes cher à son ordre : le combat du Bien contre le Mal, l’élévation d’un temple à la lumière, aux arts, à la vertu... S’il n’est pas avéré que Rameau fut lui-même membre d’une Loge, on sait en revanche que Mozart a bien été initié en 1785 et que La Flûte enchantée (1791) est évidemment un «Opéra maçonnique». C’est sous ce titre qu’a été conçu l’attrayant program-me de l’ensemble Baroques-Graffiti. Sous la forme de transcriptions, un choix de pages de ces deux opéras ont été interprétés avec talent, telles de vastes «suites» instrumentales, par Sharman Plesner (violons), Agustina Merono (viole de gambe), Jean-Christophe Deleforge (violone) et Jean-Paul Serra (clavecin). On y a prisé tout autant les audaces harmoniques de Rameau que les fameuses mélodies mozartiennes.

Sous le son d’Avignon Ce 5 février au soir, en Avignon, Jonathan Schiffman a dirigé son orchestre de manière magistrale avec tout d’abord les Variations symphoniques du compositeur polonais Witold Lutoslawski (décédé en 1994), puis un chef-d’œuvre de Johannes Brahms : les Variations sur un thème de Haydn, thème dont l’auteur d’ailleurs n’est pas Haydn ! Il s’agit d’un ancien thème populaire dit «Choral de Saint-Antoine», figurant dans un divertissement du XVIIIe siècle. Mais selon les sources de Jonathan Schiffman qui, très pédagogue, aime à parler, au début de chaque concert, des œuvres interprétées, ce thème mystérieux serait d’Ignace Pleyel, compositeur et facteur de piano parisien (1757-1831) La seconde partie de soirée fut éblouissante : Gautier Capuçon, violoncelliste virtuose et passionné (son instrument est un magnifique Matteo Goffriler de 1701), fut le serviteur fidèle et inspiré du Concerto de Dvorak : composé durant son séjour new-yorkais, entre 1892 et 1895, ce chef-d’œuvre est la dernière composition américaine du maître tchèque, tout à fait contemporain de la Symphonie du Nouveau Monde, beaucoup plus jouée. Une fois de plus l’OLRAP fit vibrer son public… CHRISTINE REY

J.F.

L’ensemble Baroque Graffiti s’est produit le 6 fev à la Bastide de la Magalone

G. Capucon © X-D.R.

Debussy et Ravel livrent au tournant du XXe siècle deux bijoux de quatuors : ils n’y reviendront plus ! Fauré, à l’aube de sa vie, écrit un testament musical en guise de chef-d’œuvre : son unique quatuor. Dans ces opus, le Quatuor Ebène a livré à coup sûr l’un des plus beaux récitals de musique de chambre de la saison en région. Ces jeunes musiciens, aujourd’hui au sommet (nommés aux Victoires de la musique), jouent partout et ont acquis en peu de temps un «métier» hors du commun : ils explosent dans ce programme récemment gravé chez Virgin. On est cependant surpris devant les salles bien remplies… un dimanche après-midi à Martigues, pour de la musique de chambre… française de surcroît! Car on nous l’assure : c’est un vrai risque de la part des programmateurs ! Peut-être parce que, paradoxe français, on méconnaît souvent les splendeurs de sa propre musique. Le public a acclamé les virtuoses et c’est rassurant! De fait, les Ebène ont montré une réelle maîtrise dans les articulations du discours, les pianissimi feutrés, pizzicati délicats, trémolos alertes et coloris harmoniques… En jouant avec une telle entente passionnée, établissant entre la musique et le public une sorte de rituel sacré… avec une once de dandysme en bada… ces quatre-là se tracent un bel avenir ! JACQUES FRESCHEL

Le quatuor Ebène s’est produit à Martigues (Les Salins) le 1er fev et au Cadran (Briançon) le 3 fév Quatuor Ebene © Julien Mignot


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Sous le charme À becs et gambes Qui n’a pas de ces souvenirs anti-musicaux au possible des flûtes à bec de collège avec lesquelles des générations de potaches écorchent vaillamment les saucissons imposés par les programmes ? Réputation contre laquelle de talentueux concertistes se battent depuis des années, imposant les flûtes à bec comme des instruments à part entière. Jean-Michel Hey et Guy Laurent ont donné une jolie démonstration de leurs possibilités harmonieuses, à travers des pièces du XVIIe, danses enlevées de Biagio Marini, Battalla de Falconiero, (très imagée), canzonas et toccata de l’incontournable Frescobaldi, chiccona de Tarquino Merula, pièces de Bartolo-

meo Selma, espagnol certes, mais d’inspiration toute italienne, dans la tonalité du programme choisi par l’ensemble Baroque. Corinne Bétirac au clavecin, imperturbable bassecontinue, se révéla virtuose interprète soliste, et la voix chaude de la viole de gambe d’Annick Lassalle fit entendre des graves superbes. La Chapelle des Oblats offrait à ce concert un écrin taillé sur mesure, grâce à la belle intimité qu’accorde son architecture. M.C.

Ce concert a été donné à Aix le 30 janv dans le cadre des Festes d’Orphée

Suite Royale Dans le cadre des Petites histoires de claviers organisées par l’ensemble Baroques-Graffiti, la claveciniste Christine Lecoin a su enchanter l’auditoire de l’Urban Gallery le 7 février C’est sous le signe français des ornements royaux de François Couperin qu’a résonné une Urban Gallery pleine à craquer. Le clavecin fait recette, et bien que tombé en désuétude depuis deux siècles, il continue de plaire et d’attirer mélomanes et curieux, à la fois par la préciosité qui l’accompagne comme son ombre mais aussi par la qualité d’un répertoire riche et souvent méconnu. La délicate Christine Lecoin avait choisi de puiser dans l’univers prolixe des quatre recueils d’Ordres de François Couperin. Par Ordre entendons Suite (de courtes pièces à l’instar des suites de danses) dont la danse disparaitra petit à petit au profit de pièces de caractères. Regroupés dans ce récital par affinités ou correspondances, les opus aux titres parfois énigmatiques dépeignent tour à tour des personnages, des atmosphères ou se font écho de grandes fresques descriptives. La Visionaire, véritable ouverture à la française et les célèbres Baricades mistérieuses dont la mélancolie surprend toujours, furent admirablement interprétées. Au service de ce florilège d’ornements, notre claviériste

possède une technique impeccable et sait faire alterner les plans par un toucher varié et subtil. La Lugubre, la Voluptueuse ou l’Amphibie en ont été de parfaits exemples lors de ce récital singulier, où chaque pièce écrivait sa propre histoire, au grand bonheur d’un public captivé. FRÉDÉRIC ISOLETTA

Christine Lecoin © X-D.R.

Frank Braley © X-D.R. er

Le 1 février, un magnifique concert a comblé le public à l’auditorium du Pharo. Après la délicieuse et sensible ouverture de L’isola disabitata de Haydn, le célèbre concerto pour piano n°21 de Mozart faisait son entrée, lumineuse. Au brio de l’Orchestre philharmonique de Marseille s’accordait un piano virtuose. Frank Braley, aux allures de jeune premier romantique avec sa coupe à la Liszt, tint sous le charme un auditorium captivé ! Jouant littéralement avec l’orchestre, dirigé avec élégance par le jeune et talentueux chef Thomas Rösner, il s’est livré à un véritable dialogue, libre, d’autant plus que sans partition, dans lequel la simplicité des phrases mozartiennes s’imposait, comme une conversation à bâtons rompus que l’on peut tenir avec des amis, hésitations, traits d’humour, confidences… La mise en évidence des tensions, des interrogations accordait une dimension poétique et intellectuelle à la pièce, comme si nous avions suivi les méandres de la pensée du musicien, ses réflexions, ses états d’âme. L’œuvre si célèbre était complètement renouvelée par cette interprétation,

qui, cultivant à l’extrême une esthétique de la surprise, lui accordait la beauté d’une découverte. Bissé, Frank Braley donna la fantaisie en ré mineur, dans laquelle il fit parler, d’une manière incroyable, les silences ! Les pauses, mises en relief et comme théâtralisées par d’infimes et calculés retards, rendaient encore plus sensibles chaque note... La Nuit transfigurée de Schoenberg composait la deuxième partie du concert. Cette pièce plus difficile soulignait les grandes qualités de l’orchestre dans un répertoire auquel il est moins habitué : précieux pianissimi des cordes dans les aigus, beaux duos des premiers violons et alto solos, sublimes envolées, magnifiques respirations de l’ensemble… L’orchestre passa l’épreuve ! MARYVONNE COLOMBANI


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MUSIQUE

CONCERTS

Celebrate Henry & Georg Friedrich ! Cela fait déjà sept saisons que le Centre Régional d’Art Baroque «Euterpes» fixe son rendez-vous de mars aux aficionados des musiques pour clavecin, violes et falsetti ! En 2009, on voyage de Purcell à Haendel… Anniversaires obligent ! Henry Purcell est né en 1659 quand Georg Friedrich Haendel est mort en 1759 ! Ces deux atlantes soutiennent, quasiment à eux seuls (le second était pourtant un émigré saxon), le temple de la musique baroque anglaise. Il était naturel que le claveciniste Jean-Marc Aymes choisisse, pour la 7e édition de Mars en baroque, de célébrer leur 350e et 250e anniversaires. Il s’entoure, pour ce faire, d’un impérieux cortège de spécialistes : l’incandescente violoniste Hélène Schmitt, la soprano Monique Zanetti,

les contre-ténors Dominique Visse, Pascal Bertin, les gambistes de l’ensemble Orlando Gibbons… On part à la découverte de musiques italiennes (Caldara, A. Scarlatti, Gasparini…) qu’a connues le jeune Haendel à Rome (Concerto al Palazzo Ruspoli le 17 mars), ou celles des exilés (Matteis, Carbonelli…) qui comme lui ont choisi Londres pour port d’attache (Exil : les compositeurs étrangers à Londres le 18 mars). On tisse un programme autour des «fantaisies pour violes» (Sweet

Fantasy le 19 mars) ou du Song de Purcell (Fine knacks for Ladies le 20 mars)... Et l’on achève la balade par A night at the opera, véritable feu d’artifice vocal et parcours historique conduisant «de Purcell à Haendel» (le 24 mars… concert redonné le 25 mars à Aix). On goûte aussi, en préambule, aux éclairages érudits des conférenciers Marie-Paule Vial, directrice des musées de Marseille (De la scène au tableau le 17 mars), Roger Tellart (De Dowland à Purcell : l’Angleterre baroque et les désirs d’Italie le 20 mars), Benito Pelegrín (Des affects aux effets à l’époque baroque le 24 mars). JACQUES FRESCHEL

Jean-Marc Aymes © Marie-Eve Brouet

Mars en baroque Eglise Ste Catherine, Marseille Eglise du St-Esprit, Aix Concerts à 20h30 Conférences à 18h www.crab-paca.org Billetterie Espace Culture 04 96 11 04 61 Harmonia Mundi 04 91 33 08 12

Le «must» est à Aix ! couplées avec l’une des plus fameuses symphonie de Haydn : la 88e en sol majeur (le 19 mars)… En attendant les jeunes chanteurs baroques du Jardin des Voix, sélectionnés par William Christie, et accompagnés par l’orchestre des Arts Florissants dirigé par Paul Agnew (le 21 mars) !

L’a-t-on assez dit ? L’édification du Grand Théâtre de Provence a considérablement bouleversé la vie musicale au Pays de Cézanne. De fait, les mélomanes de la région ont, depuis deux saisons, accès au fleuron des productions de la scène internationale À la rentrée de mars, les affiches concoctées par Françoise Jan et Dominique Bluzet ne font pas exception. Immanquable : la tragédie lyrique Cadmus et Hermione de Lully par Le Poème Harmonique dirigé par Vincent Dumestre ! Une véritable plongée historique dans le GrandSiècle de Louis XIV ! (les 10 et 11 mars: voir p 40).

On s’incline aussi devant le chefd’œuvre de Brahms : son Requiem allemand est chanté par Accentus, dirigé par Laurence Equilbey, avec Brigitte Engerer et Nicholas Angelich au piano… rien que ça ! (le 14 mars). On aime aussi le travail à la fois pédago et d’une grande finesse artistique réalisé cette saison par FrançoisXavier Roth et son orchestre Les

Cadmus et Hermione © X-D.R

Siècles (voir p 35). Son Portrait Mozart continue avec la magnifique et mystérieuse Sérénade «Gran Partita» pour 13 instruments (le 18 mars) et une triade symphonique : la n°6 (composée par un gamin de 11 ans!) et la Concertante pour cordes de Mozart,

JACQUES FRESCHEL

Grand Théâtre de Provence, Aix Concerts à 20h30 04 42 91 69 69 www.legrandtheatre.net

Lyrique La grande Ciofi C’est une star qui se produit dans le chef-d’œuvre lyrique de Massenet ! Patrizia Ciofi chante Manon, entourée d’une pléiade d’excellent chanteurs: Marc Barrard (Lescaut), Florian Laconi (des Grieux). Sous la direction musicale de Vincent Barthe et une mise en scène de Nadine Duffaut (le 22 fév à 14h30 et le 24 fév à 20h). On découvre aussi la production Les Orages Désirés signée Gérard Condé, dont l’argument (Christian Wasselin) est conçu sur les passions romantiques du jeune adolescent Hector Berlioz (le 14 mars). Le pianiste Miguel-Angel Estrella se produit dans Bach, Fauré et Chopin, Mendelssohn (le 3 mars à 20h30). L’OLRAP joue les deux superbes Symphonies en sol mineur (25e & 40e)

de Mozart, quand Cristina Zavalloni chante les Folk Songs de Berio (Musica Notturna - le 6 mars), suivi du Concert de révélations classique 2007 de l’ADAMI (le 10 mars). J.F.

Opéra-Théâtre d’Avignon 04 90 82 81 40 www.mairie-avignon.fr

Berlioz et Haydn On attend la superbe «Trilogie sacrée» L’Enfance du Christ d’Hector Berlioz dans la scénographie de Frédéric Andrau et sous la direction musicale de Laurent Petitgirard (le 27 fév à 20 h et le 1er mars à 14h30). Puis Jérémie Rhorer dirige l’Orchestre du Cercle de l’Harmonie pour la «burletta per musica» L’Infidélité déjouée, opéra classique et badin de Haydn (le 13 mars à 20h et le 15

mars à 14h30). Récitals lyriques du CNIPAL, L’Heure Exquise, les 20 fév et 17 mars à 19h, Foyer Campra. Opéra de Toulon 04 94 92 70 78 www.operadetoulon.fr

Cosi «light» L’Ensemble PhilidOr (dir. François Bazola) et Yves Beaunesne, très talentueux metteur en scène, représentent l’opéra «coquin» Cosi fan tutte de Mozart dans un forme plus légère que l’originale : une orchestration pour treize instruments inspirée de la «Gran partita». Cosi fan tutte Le 13 mars Théâtre de la Passerelle, Gap 04 92 52 52 52 www.ville-gap.fr

Dernières heures d’un condamné Richard Brunel met en scène un Opéra de chambre américain et contemporain de Philip Glass La Colonie pénitentiaire, d’après Kafka (le 4 mars à 19h). Auparavant, on découvre UR, Les Sables Calligraphes, une Création conçue et coordonnée par Aline Millet-Marteville avec l’Orchestre de Nîmes dirigé par Franck Foncouberte (le 27 fév à 20h). Théâtre de Nîmes 04 66 36 65 10 http://www.theatredenimes.com


39 Concerts / Récitals Onefalsettoshow

Concerts à l’opéra

Piano russe

Avec sa nouvelle création, le contre-ténor Alain Aubin propose une approche personnelle de ce type de chant et de l’esthétique qu’elle implique.

En marge des représentations de l’opéra Il Pirata de Bellini, l’Opéra de Marseille propose un programme original de musique de chambre et un concert symphonique. L’alto a longtemps été le parent pauvre de l’orchestre : il faut attendre Berlioz pour que cet instrument, plus sombre que son frère le violon, acquière ses premières lettres de noblesse. Tout le pupitre d’altos de l’Orchestre de l’Opéra se mobilise pour offrir un programme original de pièces festives et de transcriptions vibrantes de Ravel, Gershwin, Bernstein… à découvrir ! (Altissimo le 21 fév à 17h au Foyer de l’Opéra… pour 5 euros seulement). Si le concert dirigé par Cyril Diederich commence par un hors-d’œuvre élégant, des Airs de concert de Mozart interprétés par Rachel Harnisch, la suite est plus dense avec la magistrale 1re Symphonie «Titan» de Mahler et de superbes Lieder de Richard Strauss où l’on retrouve la soprano suisse (Concert symphonique le 4 mars à 20h).

L’enthousiasmant Festival russe, concocté depuis quatorze saisons par Richard Martin, s’achève par son traditionnel concert de piano. Cette année Michel Bourdoncle laisse la scène à un autre éminent concertiste : l’élégant Sandro de Palma balaye l’histoire du piano russe avec les incontournables Tableaux d’une Exposition de Moussorgski et un florilège d’opus de Rachmaninov, Liadov, Rubinstein et Scriabine.

LAM 63 Rue St-Pierre Le 28 fév à 20h30

Jeune pianiste et clarinette klezmer Le jeune pianiste Francesco Tristano Schlimé nous transporte, d’une salle à l’autre du théâtre martégal, d’un récital classique (Bach) au registre contemporain (Cage, Arvö Part) pour un programme conçu autour de la danse (Le 10 mars). En quartet, Yom rend hommage à Naftule Brandwein, pionnier de la clarinette klezmer dans les années 20 à New York (le 17 mars). Scène Nationale des Salins, Martigues 04 42 49 02 00 www.theatre-des-salins.fr

«À propos de Mozart» Les différentes facettes de la personnalité du compositeur, son cheminement créatif, sont illustrés par des conférences (Pierre Lemarquis, neurologue, Frédéric Isoletta, musicologue), récitals (Edna Stern, piano) et théâtre (Don Juan : Frédéric Ortiz)

Opéra de Marseille 04 91 55 11 10 www.marseille.fr

Station Alexandre. Les 14, 15, 21, 22 mars 04 91 42 05 87 www.station-alexandre.org

Musique ancienne Mozart : airs de concert L’ensemble de Jean-Paul Serra (pianoforte) achève sa trilogie consacrée à Mozart avec des «Airs de concerts» du Salzbourgeois et de Beethoven en compagnie de Frédéric Albou (baryton) et JeanChristophe Deleforge (contrebasse). Le 12 mars à 12h30 et 18h30 au Musée des Tapisseries, Aix Le 13 mars à 20h30 à la bastide de la Magalone, Marseille 04 91 64 03 46 www.baroquesgraffiti.com

Renaissance vocale

Zygel impro Jean-François Zygel et ses musiciens donnent un concert «pédago» pour tout public sur le thème de l’improvisation. Théâtre du Jeu de Paume, Aix Le 21 mars à 17h et 20h30 04 42 63 11 18 www.concertsdaix.com

Théâtre Toursky Le 24 mars à 20h30 0 820 300 033 www.toursky.org

M. Demesse, D. Emeric, J. Stamboulidès, Ph. Hélion, M. Kérével, B. Clasen, X. Franck, C. Florentin, S. Lamarre © X-D.R

L’ensemble vocal Melisma dirigé par Régis Dejasmin chante des «Motets de la Renaissance» de Victoria, Palestrina, Praetorius… commentés par des improvisations à l’orgue. Le 17 mars à 19h au Temple de la rue de la Masse, Aix 04 42 99 37 11 www.orphee.org

Contemporain Atelier d’écoute Tes mots de Philippe Gouttenoire est présenté par Jean-Christophe Marti. Le 14 mars à 17h à l’Alcazar 04 91 00 91 31

Futur… antérieur et dégustatif ! À l’occasion du centenaire du Manifeste du futurisme publié par Marinetti en 1909, Jean-Marc Montera accueille une drôle de «proposition» en partenariat avec l’Institut culturel italien : un Concert visuel de Rochus Aust, suivi d’un «vrai» repas futuriste (en 14 plats dont les «Carneplastico» ou «Polofiat») cuisiné par Fabienne Sitri… Pour amateurs de surprises loufoques et culinaires (voir p 57). Hall de Montévidéo Le 21 fév à 20h30 04 91 04 69 59 www.grim-marseille.com

Red rails : création

Musique de chambre

Baltazar Montanaro-Nagy et consorts propose un croisement des arts, picturo–musico graphique et vidéo ou les musiques actuelles improvisées se métissent aux musiques savante et traditionnelle. Le 13 mars à 20h30, Cité de la Musique

Violon & piano

«Un cœur en hiver»

Philip Bride et Bruno Rigutto jouent Brahms, Beethoven et Franck.

Les Musiciens d’Hélios -Florence Cabrita (piano), Noël Cabrita dos Santos (violon) et Yannick Callier (violoncelle)- jouent la Sonate pour violon et violoncelle et le superbe Trio en la mineur de Ravel, musiques récurrentes du film de Sautet.

04.91.39.28.28 www.citemusique-marseille.com

Electroacoustique Les Acousmonautes font leur show… Médiathèque Louis Aragon, Martigues Le 20 mars à 18h30 04 42 80 27 97 www.lesacousmonautes.net

Grand-Bleu, Carry le Rouet Le 10 mars à 20h45 04 42 45 09 85

Jeune duo Deux jeunes et talentueuses musiciennes Fanny Clamagirand (violon) et Hélène Couvert (piano) jouent des Sonates de Mozart, Brahms et Fauré ainsi que Messiaen ( Thème et variations). SMCM Faculté de médecine Le 10 mars 04 96 11 04 12 Le Méjan, Arles Le 15 mars à 11h 04 90 49 56 78 www.lemejan.com

Musée des Tapisseries, Aix. Le 13 mars à 18h30 04 42 21 69 69 www.aixenmusique.fr Ce programme est également donné sous la forme d’une Conférence musicale avec Charles Samuel auteur du roman «Maurice Ravel tel qu’en lui-même». Cité de la Musique Le 18 mars à 20h30 04 91 39 28 28 JACQUES FRESCHEL


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MUSIQUE

DISQUES

Comme en 1673 ! Benjamin Lazar, Vincent Dumestre et son Poème Harmonique nous refont le coup du Bourgeois Gentilhomme enregistré en 2005 dans sa version originale et intégrale de 1670, avec les numéros musicaux de Lully, une diction baroque «exotique», éclairage à la bougie, décors authentiques… C’est à l’Opéra Comique de Jérôme Deschamps qu’ils gravent en 2008 (un film de Martin Fraudeau) la première Tragédie lyrique de l’histoire de la musique, véritable acte de naissance de l’opéra français. Egalement signé Lully, Cadmus et Hermione est tout à la fois burlesque, fantaisiste, tragique, mêlant dans un esprit purement baroque, danses, chœurs et machines… On est véritablement plongés en 1673 pour «prendre le divertissement en l’Académie Royale de Musique établie par le Sieur Baptiste Lulli, fort bel Ouvrage du Sieur Quinault dans des décorations surprenantes…». Tiré d’Ovide, le livret allégorique servait aussi de propagande au Roi Soleil guerroyant pour imposer la Paix à l’Europe… JACQUES FRESCHEL

DVD Alpha 701 www.cadmus.fr Ce spectacle «historique» est à réserver (sans réserve!) les 10 ou 11 mars au Grand Théâtre de Provence (voir page 38)

Pionniers

Divine musique

Création hongroise Dans ce récital baptisé Budapest 1900 (un temps où la création magyare était encore tout empreinte de romantisme à la Brahms), Valérie Aimard (violoncelliste… et sœur de Pierre-Laurent) et Cédric Tiberghien (jeune pianiste Lauréat du Marguerite Long en 1998) se retrouvent devant les micros de René Gambini. Après un magnifique disque de musique française, publié en 2002 par le label discographique marseillais Lyrinx, salué par la critique, le couple récidive en se tournant vers l’Est. Dans un choix d’opus des trois grands compositeurs hongrois du début du XXe siècle, Zoltàn Kodàly (18821967), Béla Bartok (1881-1945) et Ernö Dohnànyi (1877-1960), le duo retrouve ses qualités de cohésion intelligente, de poésie commune et fait la part belle à la singularité des créateurs. J.F

CD Lyrinx LYR 235

Saluons le Divin qui est en eux, car avec ce premier album, ils s’installent au septième ciel pour une belle débauche de sons. Encore une idée de Cyril Benhamou, qui déserte le domicile familial (avec son père, ils ont créé le Al Benson Jazz Band) pour une after débordante d’envies et de rencontres. Point de transgression, on reste Jazz, mais en empruntant les chemins les plus modernes. Dans ce genre d’entreprise, on se promène vite sur des rivages de facilité, et on tombe souvent dans un easy-listening d’ascenseur, molletonneux sur des rythmes house, ou poussif au travers de beats et de scratches répétitifs. C’est tout le contraire qui se produit quand on sait jouer de la musique ! Précisons que les trois morceaux les mieux travaillés sont sans doute ceux où intervient, en guest aux scratches, DJ Rebel, autre acteur actif de la scène marseillaise. Une aubaine pour la ville que d’accueillir en son sein une telle formation, qui se fera sans doute remarquer bien au-delà de la sortie de ce cd, dans des Jam sessions aux quatre coins de Marseille. Pour saluer le divin qui est en nous tous ! X-RAY

Good Baba ! Namaste ! Label Interaction

En quête d’unité jusque dans son titre, l’album tant attendu de ces pionniers du Reggae en France est d’actualité. Alerté par la guerre fratricide entre «la descendance d’Abraham, Isaac, Ismaël», Soulemane Saar, le chanteur, se souvient de son expérience vaine au sein des casques bleus et reprend l’arme du micro. Installé à Bordeaux, il n’a signé que quatre albums en 15 ans, mais depuis sa première frappe (Immigré en 1993), le groupe a conservé son identité africaine, si bien qu’il est difficile aujourd’hui de le considérer comme groupe français. En live, ils ont très vite marqué les esprits et attiré le soutien du label Boucherie, puis le talent de mix de Dennis Bovell. Le pied très souvent au Sénégal, Niominka Bi, l’homme de la mer a choisi cette fois d’amarrer sa carrière en Jamaïque et de collaborer avec les artistes maisons comme Winston Mc Anuff, toujours parfait dans cet esprit d’ouverture ou Cedric Myton qui a ressorti les bandes de son Fisherman. Les membres du N’Diaxas band ont du coup disparu du livret et les titres ne sont plus tout à fait originaux : Selassié reprend du Gregory Isaacs, Alhamdou une rythmique de Bunny Lee, et Ndounsay du Max Roméo. Cet album si africain dans l’âme se fait alors l’écho de la musique jamaïcaine, fait pas si fréquent. La voix si haut perché du chanteur annonce la paix entre les deux genres, et son talent fait mouche. On espère un retour en force pour les festivals d’été ! X-RAY

Salam Shalom Niomika bi Label Makafresh

Balkanique ! Sixième album et déjà vingt ans de carrière pour Aksak. Le nouvel enregistrement intitulé Portraits, musique créative des Balkans trace sa route tout à l’est de l’Europe. Musique festive «pleine de gens» qui se partage et se transmet oralement, l’univers tzigane est indissociable de la scène et le concert gravé au théâtre René Char de Digne les Bains en est un témoin privilégié. Titres originaux, ou quelquefois puisés dans le répertoire

traditionnel d’Anatolie, de Bulgarie et de Roumanie, l’esprit balkanique sonne au caval roumain (ou au kaval bulgare) de l’experte flutiste Isabelle Courroy. Proche de l’improvisation, cette musique du cœur alterne entre les festives hora (danses) et les mélancoliques romances. L’instrumentation riche et colorée regroupe accordéon, caval, clarinette, tapan, violon, saxophone, contrebasse, oud, guitare, tambura, trompette sans oublier les voix. Une

diversité qui ajoute un intérêt supplémentaire à cette mosaïque tzigane élargie, et nous apporte un regard neuf. FRÉDÉRIC ISOLETTA

Portraits Aksak Buda Musique



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MUSIQUE

CONCERTS | AGENDA

Dans l’air du temps… la chanson ! Depuis 1997 à Marseille, le festival Avec le temps s’attache à promouvoir la chanson francophone. Cette année, le Centre de Rencontre et d’Animation par la Chanson, à l’origine du projet, investit la ville du 13 au 25 mars. Avec une quinzaine d’artistes en poche Cette manifestation se plait à mêler, au carrefour des influences, les mots et les univers. Mais pas seulement : de jeunes talents y côtoient les confirmés. En effet, non satisfait de réunir, seules, les têtes d’affiche, Avec le temps n’oublie pas que la chanson est un art vivant, en invitant les oreilles à de récentes découvertes musicales : de nombreux artistes locaux se voient ouvrir les scènes. Sans dépoussiérer les vieux mythes, cette 11e édition ré-invite certains des meilleurs moments des éditions précédentes, même si Clarika est annulée. L’équipe tisse un lien très fort avec une nouvelle scène, où slam (ne pas rater la prestation du local Ysae en première partie de Abd Al Malik), poésie urbaine (les textes de Merlot écrit au comptoir), et genre décalé (les deux Wriggles de Volo) tiennent le pavé. Mis à part la Grande Sophie en tête d’affiche, ils appartiennent tous à un genre de chanteurs cyniques et désabusés, avec leur look anti-graines de star (mention spéciale à Thomas Fersen), assez de vitriol dans leurs textes pour être taxé de rebelle et des inspirations musicales non conformes (rock énervé,

baltringue festif, ou le rythme chaloupé du reggae). Quand ils prennent l’accordéon (Zaza Fournier vous étonnera), rien à voir avec le musette et quand ils sont drôles (comme la sensible Emilie Loizeau), ce ne sont pas les Frères Jacques !… Murat et Pigalle (le retour!) seront les aînés de ce festival, deux grands moments auxquels il faudra ajouter le talent de David Lafore et d’Usthiax, peut-être les plus innovants du lot… Le folk, le rap et la poésie s’entremêleront donc durant onze soirées, à l’Espace Julien, au Théâtre de Lenche, à l’Intermédiaire, La Machine à coudre et au Cri du Port. Car Avec le Temps sait aussi dynamiser la ville de la petite à la grande scène ! Le Centre de la Chanson proposera également des ateliers d’écritures, ainsi qu’un tremplin musical et des show cases organisés avec le Lollipop Music Store et l’association Guimik. X-RAY ET JORDAN SAÏSSET

www.festival-avecletemps.com

Pigalle © X-D.R.

Au programme La Grande Sophie revient sur scène après l’enregistrement de son cinquième album vendredi 13 mars, 20h30 à l’Espace Julien, avec Claire Denamur en première partie. Jean Louis Murat et ses nouvelles chansons d’amour, samedi 14 mars, 20h30 à l’Espace Julien avec Usthiax en première partie + Petite Musique, 21h30 à La Machine à Coudre. Le folk sensible de Emilie Loizeau, mardi 17 mars, 20h30 à l’Espace Julien avec Agnès Bilh en première partie + blind test et scène ouverte, 20h à l’Intermédiaire. Volo, duo aux histoires inattendues, mercredi 18 mars, 20h30 à l’Espace

Julien avec La Marquise en première partie + Leute à l’Inter-médiaire à 23h. Zaza Fournier, entre tradition et modernité, jeudi 19 mars, 20h30 à l’Espace Julien + Leute à l’Intermédiaire à 23h. Mélanie Dahan Trio, jeune espoir du jazz vocal, jeudi 19 mars, 20h30 au Cri du Port. L’univers à la fois noir et drôle de Merlot, vendredi 20 mars, 20h30 à l’Espace Julien avec David Lafore en première partie. JL Cadoré, artiste indépendant, vendredi 20 mars, 20h30 eu Théâtre de l’Œuvre avec Maurad Mancer en première partie + Louis Ville, 23h à l’Intermédiaire Pigalle, entre folk et punk, samedi 21 mars, 20h30 à l’Espace Julien avec Debout sur le zinc en première partie + Mi & Eddy (La) Gooyatsh, 23h à l’Intermédiaire. La pop française de Alcaz’ lundi 23 mars, 20h30 au théâtre de Lenche. Abd Al Malik entre poésie, rap et jazz mardi 24 mars, 20h30 à l’Espace Julien avec Ysaé en première partie. Thomas Fersen et sa poésie fantaisiste mercredi 25 mars, 20h30 à l’Espace Julien.

Manifestations musicales un peu partout… Premiers sur le pavé, les jeunes pousses passent leurs oraux avec la fin du festival Emergenza au Café Julien (du 26 au 28/02), ou la demie finale Class Rock au Portail Coucou (27/2). Les militants reggae unissent leurs efforts dans l’énergie de la scène locale avec les Messengers, et leur chanteur anglais Paul Morgan, invitant le parisien Kyssi Wète au Paradox (25/2), le skank médusé de Dawta Jenna à la Machine à Coudre (28/2), ou les platines de Renka & Izmo (21/2) à l’Intermédiaire. Le «Mike» se partagera entre Timike (ancien de Mister Gang) au Nomad café (20/2), Mike de Sinsémilia au Dock des Suds (7/3), ou Mike-y Dread en session roots-dub à l’Affranchi (14/3). La veille, le Soul Stereo accueillera Aidonia tout juste sorti de prison, aux Salons du Nil de la Valette ! Les autres

pourront revendiquer leur singularité en allant au spectacle de Thomas Dutronc (13/3), présenté au Grand Théâtre de Provence à Aix, ou dé-

fendre une certaine créativité en partageant un moment avec Joseph Arthur (12/3) à Toulon, au lieu d’admirer Steve Lukather, pilier de Toto pourJoseph Arthur © X-D.R.

suivant à l’Usine à Istres (10/3) une carrière solo un peu trop sage en ces temps de lutte… Pour conserver notre Liberté d’expression, le moyen le plus en vogue est le Slam, avec Grand Corps Malade en chef de file au Théâtre Galli de Sanary-sur-Mer (13/2), talonné par le talent rock et nettement plus fulgurant de Luciole et Nevchehirlian (14/3) à l’Escale Saint-Michel d’Aubagne. Si cela ne suffit pas à se faire entendre, la puissance du set live de Birdy Nam Nam au Dock des Suds (27/2) réunira les voies de la jeunesse proche de la culture du turntablism, déroutant pour les plus anciens, qui peuvent toujours rêver devant le bollywoodien spectacle Bahrati du Dôme (les 28 et 1er Mars, prolongation les 7 & 8) : en attendant le printemps sous un lancer de pétales de Rose… X-RAY


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Mars se place ! Le printemps musical sera riche et quoi de mieux qu’un agenda bien mijoté pour se tenir prêt ? Sur la planète Marseille, découvrons les Velvetine au Lounge (27/ 2) sans trop s’éloigner de la Mèson qui avant d’ouvrir ses portes aux improvisations de Hongrie et d’ailleurs de Akosh et Gildas Etevenard (21 au 23/3) accueillera l’enflammée Yeya Santiago (13/3) et la flamenca Teresa Deleria (14/3) pour terminer le week-end façon jazz new yorkais avec The Fail (15/3). Jazz toujours chez Gebelin avec le Yves Laplane Quartet (13/3) ou sur Vitrolles à Charlie Free avec le François Merville Quartet (14/3). Sur la scène de l’Espace Julien, Pep’s et Martin Rappenau seront sur les planches (6 et 7/3) avant de laisser la place au festival Avec le Temps. Quelques rues plus bas nous voici dans l’antre du Poste à Galène et la culture rock de Yann

Lamballee (28/2), le garage rock des Fuzztones (12/3) et les chansons de La Casa (14/3) dont l’album est à découvrir. Si votre cœur balance pour des riffs saturés ne manquez pas Elektrolux (27/2) à la Machine à Coudre. Dans ce cas, plus rien ne vous interdit de débuter mars devant la même scène. Lazy Bones (6/3) et Ol’Cunts (7/3) sauront vous divertir. Avant de quitter notre sphère, un tour au Baby pour le rock envoûtant de Quaisoir (26/2), le contracté noisy Anything Maria / Helluvah à l’accueillant Paradox (26/2) et l’expérimental Strings of Consciousness au Lolipop Music Store (27/2). Changement de couleur à l’Usine à Istres pour swinger manouche au son des Caravan Palace (5/3), attraper l’électron libre Laurent Garnier (13/3) et (re)découvrir Lucky Peterson (20/3). Quelques bornes plus loin et nous voici sur le pont du Cargo de Nuit arlésien où il fera bon écouter l’électro balkanique Shantel (13/3), la pop

suédoise de Peter Von Poehl (14/3), les punks historiques anglais Buzzcocks (20/3) et le cocktail explosif préparé par General Electriks (21/3). Toujours sur Arles, place Paul Doumer, Tartares et Conflitures (14/3) au programme varié très complet : quand l’art parle de la guerre, pour lutter contre… FRÉDÉRIC ISOLETTA

Au programme MARSEILLE Cabaret Aléatoire : Neimo, The Dodoz (20/2), D’Julz, Jack de Marseille (21/2), Mathieu Bogaerts (27/2), Dj Spinna (28/2), So Called, Kabbalah, Squaaly (11/3), Les Vedettes, Ada, Mlle Caro (13/3), Dj Babu (14/3) 04 95 04 95 09 www.cabaret-aleatoire.com

Embobineuse : Harry Merry & The Must, Trike (20/2), Sister Iodone, Aide Auditive, Conger ! Conger !, Felix Fujikoon (27/2), The dreams, Dudu Geva (28/2), KK Null, Philippe Petit (10/3) 04 91 50 66 09 www.lembobineuse.biz

Espace Julien Eths (20/2), Qnc (21/2), Emerganza (28 au 28/2), Pep’s (6/3), Martin Rappeneau (7/3) 04 91 24 34 10 www.espace-julien.com

La machine à coudre : Antonio Negro (19/2), La Bonne, la Brute et le Truand, Vaginal Liquid, The Remembers (20/2), Les Jolis (21/2), Elektrolux, 64’s/s’69 (27/2), Dawta Jena & Urban Lions (28/2) 04 91 55 62 65 www.lamachineacoudre.com

Baby : Sudden Jazz (20/2) 04 91 48 85 67

Paradox : PHM, Dj Nashsweetfingers & MC Colma & Missy Co (20/2), Giuben (21/2), L’Oustau Baleti Orquestra (24/2), Messengers, Kyssi Wète (25/2), Anything Maria, Helluvah (26/2), Alexandre Manno Grupo (27/2), Somanké (28/2) 04 91 63 14 65 www.leparadox.fr

Underground : Micromusic Marseille HQ, Confipop, J+1 (26/2), Ruffle Crew, The Unik (13/3), Muskar13 (14/3) www.myspace.com/nothingtoscratch

Nomad Café : Le Petit Dernier, Tabarnak (20/2), Bibi Tanga et le Professeur Inlassable (13/3) 04 91 62 49 77 www.lenomad.com

Planet Mundo Kfé : Marabu Fonk System (20/2), Lord Library & DjScream (13/3), Beat Jewelers (20/3) 04 91 92 45 72 www.mundo-planet.com

AUBAGNE

ISTRES

L’Escale : Dissonant Nation, Smack La, The Host (20/2), Deni Shaïn (27/2), Luciole, Nevchehirlian (14/3)

L’Usine : Macadam Bazar, De la Colline (21/2), Aloula, TchaPaKan, Les Antibelles (27/2), Caravan Palace, Syrano (05/3), Steve Lukather (10/3), Laurent Garnier (13/3)

04 42 18 17 17 http://mjcaubagne.free.fr

AVIGNON Ajmi : Jobic le Masson trio (20/2), Olivier Le Goas (6/3), Denis Badault Quartet (13/3), Melanie Dahan Quartet (20/3) 04 90 860 861 www.jazzalajmi.com

04 91 99 0000 www.dock-des-suds.org

AIX Pasino : Jil Aigrot chante Piaf (20/2), Patricia Kaas (13 et 14/3), Maxime Le Forestier (20/3) 04 42 59 69 00 www.pasino-aixenprovence.com

MIRAMAS La Colonne : Lisboarium Misia (voir journalzibeline.fr) (14/3) 04 90 17 30 80 www.scenesetcines.fr

BRIANCON

PENNES MIRABEAU

Le Cadran : Biréli Lagrène & Sylvain Luc (26/2), David Krakauer (17/3)

Jas’rod : Elora, Nesryn, Twisted Kingdom, Almereyda, K-Ban (20/2), Buzz From Mars, Tokamak, Harmonic Génération, Hanami, Solat (21/2), Ultra Vomit, Brutal Rebirth, Mindlag Project (7/3), Pura Fe’ (14/3)

04 92 25 52 52

CHÂTEAU-ARNOUX/SAINTAUBAN Théâtre Durance : Spaccanapoli (13/3) 04 92 64 27 34 www.theatredurance.com

COUSTELLET Dock des suds : Birdy Nam Nam, Yuksek (27/2), Sinsemilia (07/3)

04 42 56 02 21 www.scenesetcines.fr

La Gare : Vertigo Songs (27/2), Narrow Terence, Zimmer Lane (7/3), Bertrand Belin (14/3) 04 90 76 84 38 www.aveclagare.org

DIGNE Centre René Char : Fabienne Zaoui E Beijo (19/3) 04 92 30 87 10

04 91 51 87 46 www.pennes-mirabeau.org

PERTUIS Bibliothèque Municipale: Soirée Slam avec Dizzylez (13/03) 04 90 79 40 45


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MUSIQUE

CONCERTS

Petit lieu aux idées larges Créée par la chanteuse-comédienne Isabelle Bloch Delahaie, cette petite salle située en plein cœur de la ville d’Aix multiplie les spectacles. Avec les trois cordes de son arc, cette scène atypique est vouée à la formation, la création et la diffusion de spectacles. Fruit de l’association Théâtre et Chanson, elle se plait à promouvoir la chanson vivante sous toutes ses formes. Samedi 21 février, elle accueillera la gaieté, la pureté et la vigueur de Philippe Forcioli et sa guitare dans Chante et dit, offrant au spectateur les bienfait de la langue vivante. Puis Et toi tu marcheras dans le soleil... mettra en scène et en chansons l’œuvre de Arthur Rimbaud. Étreinte par la souffrance d’un homme, marquée par les multiples paradoxes d’une existence étrange et curieuse, la création fait intervenir Isabelle, la sœur de l’écrivain, également présente dans cette chambre nue de la Conception dans laquelle le poète s’éteignit après ses tribulations africaines. Un moment d’immersion particulier, dans l’intimité des derniers jours de sa vie.

Panier musical Lors de Mars en musique, sur les scènes du Lenche, le jeu s’alliera au chant et le concert au spectacle pour cinq programmes mélodiques Et toi tu marcheras dans le soleil © Christiane Robin

Chante et dit Philippe Forcioli 21 et 22 fév Et toi tu marcheras dans le soleil… Isabelle Bloch-Delahaie, du 12 au 22 mars Théâtre et Chanson (Aix) 04 42 27 37 39 www.theatre-et-chansons.com

JORDAN SAÏSSET

Escapade fulgurante... en V7 Le saxophoniste italien Stefano di Battista dont la réputation n’est plus à faire, avait un compte à régler avec la musique jazz pour le plus grand plaisir du public du Grand Théâtre de Provence Fabrizio Bosso (trompettes) a montré, dès le début du set, son énorme talent, sa vélocité et on a pu juger de sa grande complicité avec les Stefano di Battista © Didier Ferry

musiciens. Le concert s’est déroulé à un rythme soutenu, et même fougueux. Une musique pleine de délicates et subtiles références à l’histoire du jazz. Les beaux unissons auxquels on est habitué dans la musique de Stefano di Battista (saxs) avaient la précision d’une horlogerie parfaitement rodée. Un instinct expéditif, mais plein d’ingéniosité dans son rapport à la mélodie, leur a permis de retomber toujours sur leurs pattes, comme des chats à la fulgurance innée. N’oublions surtout pas Greg Hutchinson à la batterie qui a participé activement à la cohésion du quartet ! Car l’extraordinaire pianiste Baptiste Trotignon (claviers) était aux commandes d’un instrument que l’on rencontre trop peu souvent : l’orgue Hammond B3, avec cabine Leslie, qui donne au son une épaisseur et une expressivité si particulière. Grâce à lui, l’absence de contrebassiste ne s’est absolument pas fait sentir. Et pour finir, Stefano di Battista a même fait chanter son public, pourtant assis et sage. Un grand bravissimo !

La littérature tchèque contemporaine ouvrira le bal, entre cuisine et sentiments, avec Petites recettes pragoises. Une création mise en musique par Premysl Rut qui aiguillera le spectateur sur l’art de cuisiner et de cultiver le temps. Le même soir, Les noces dans la maison contera la rencontre entre la jeune Eliksa et l’extravagant Bohumil Hrabal. S’ensuivront Les demi-heures de l’ange, traitant, avec humour et poésie, des rapports sociaux, à travers le music hall intime d‘un ange. Tandis que Griffes, entraînera le spectateur sur les toits de la ville, dans une poursuite haletante entre un chat détenteur de clefs musicales et un artiste en quête d’inspiration… S‘inscrivant dans le cadre du festival Avec le Temps (voir p 42), le concert du duo marseillais Alcaz, de retour des Francofolies de Montréal, aura l’occasion de fêter la sortie de leur album On se dit tout. Et ce mois musical se verra clôturé avec Un après-midi d’avril et son cabaret argentin : l’histoire des mères de la Place de Mai venues réclamer leurs enfants disparus à Buenos Aires. Un hommage à la vie, alliant le récit, parfois grave, à l’harmonie. JORDAN SAÏSSET

Petites recette pragoises Les noces dans la maison Golem Théâtre du 3 au 7 mars Théâtre de Lenche Les demi-heures de l’ange Cie LaisseToiFaire du 10 au 14 mars La Friche du Panier Griffes Pictur’music du 17 au 21 mars Théâtre de Lenche

DAN WARZY

Alcaz en concert le lundi 23 mars Théâtre de Lenche Ce concert a eu lieu le samedi 7 fév au Grand Théâtre de Provence d’Aix-en-Provence Troubleshootin’ / Blue Note / Stefano di Battista Share / Naïve / Baptiste Trotignon http://pianoweb.free.fr/orgue-hammondhistoire1.html

Un après-midi d’avril Compagnie Tableau de Service du 24 au 28 mars La Friche du Panier 04 91 91 52 22 www.theatredelenche.info


AUBAGNE | TOURSKY

L’Amour rêvé du Jazz Avec le CD de Christophe LeLoil quelque chose se passe tout de suite, qui donne envie de s’en imprégner, de se l’approprier jusqu’au fond de soi. Et voilà que le Cri du Port, à la programmation toujours excellente, a permis de retrouver, le 12 fév, le sextet en chair et en os ! Un moment de très grand plaisir musical. Un seul set pour ce concert des nouvelles compositions de Christophe LeLoil en leader. Ses E.C.H.O.E.S (Extended Compositions Heard On Evolutive Swing) ont été déroulés d’une seule traite. Deux années de maturation ont été nécessaires à ce projet pour l’écriture et le choix de ses compagnons de route : Raphaël Imbert (sa, st, clb), Carine Bonnefoy (p), Thomas Savy (sb, clb), Cedric Bec (bat), Simon Tailleu (ctb), tous musiciens talentueux ayant participé à des projets musicaux tels Shawtime, BUKproject, Raphaël Imbert Project, Newtopia Project ou travaillant dans divers cadres comme la Cie Nine Spirit. Preuve qu’une créativité foisonnante existe dans notre région ! DAN WARZY © Dan Warzy

ECHOES Christophe Leloil Sextet AJMIseries AJM17

Sous le signe de Chet Charlie Free a organisé, en collaboration avec le cinéma Lumière de Vitrolles, une soirée autour de Chet Baker le 24 janv. Let’s get lost, film documentaire en noir et blanc de Bruce Weber a permis de retracer la vie du célèbre trompettiste du cool jazz. Interviews en compagnie d’amis, de musiciens, des femmes qui ont partagé sa vie, de ses enfants : le cinéaste pointe une caméra parfois impudique dans un jeu de flash-back, de ses jeunes années jusqu’en 1988, peu de temps avant sa mort tragique à 58 ans. On voit un homme, amoureux de belles voitures, séducteur à la James Dean, jouant ou chantant auprès des plus grands musiciens avec sa voix, si reconnaissable dans My Funny Valentine. Il dira qu’il ne sait pas s’il est «un trompettiste qui chante ou bien un chanteur qui joue de la trompette». La soirée s’est poursuivie par un concert du trio Marc Perez (g),Gérald Moniez (dr), Gilles Cardon (ctb) avec François Chassagnite (tp) et JeanPaul Florent (g). L’occasion d’entendre des reprises de standards. D.W.

CINÉMA

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Aubagne fait sonner les films

Puisque nous sommes nes de Jean-Pierre Duret et Andrea Santana © Tiago Santana

Du 16 au 21 mars, le FIFA, Festival International du Film d’Aubagne, fête ses dix ans. Comme chaque année, des longs et des courts métrages ont été sélectionnés pour la qualité de leur bande son et de la musique originale Huit longs métrages représentant huit pays, dont Before the Burial de l’Iranien Behnam Behzadi, Du bruit dans la tête du Suisse Vincent Pluss ou Unspoken de la Belge Fien Troch, et le documentaire Puisque nous sommes nés de Jean-Pierre Duret et Andréa Santana. Sur les 1100 courts métrages reçus, 63 seront présentés au public, répartis en quatre sélections, fiction, expérimental, documentaire et animation. Ce ne seront pas les seuls courts métrages présentés: s’y ajouteront les 21 films choisis pour la Nuit de l’Horreur et ceux de la carte blanche donnée à Sacrebleu Productions qui fête aussi ses dix ans. Et pour les jeunes, un programme de courts métrages, «porteur d’un débat humain et citoyen». L’acteur belge Olivier Gourmet, présent au FIFA, sera à l’honneur puisqu’une rétrospective lui est consacrée, avec la projection du Fils des Frères Dardenne pour lequel il a reçu le prix d’interprétation au Festival de Cannes 2002, de Home d’Ursula Meier dont il partage l’affiche avec Isabelle Huppert et de National 7 de Sinapi où il joue le rôle de René, myopathe au caractère irascible.

De la musique avant toute chose… «Regards Croisés» mettra en lumière le travail de trois écoles européennes qui donnent une place essentielle à la création sonore et musicale : La Poudrière en France, l’Academy of Music and Performing Arts Film and Tv Faculty de Slovaquie et la Polish National Film School. La musique sera spécialement à la place d’honneur durant deux soirées : des musiciens recomposeront en direct la musique du film du réalisateur marseillais

Philippe Carrese, l’Arche de Babel, en présence de l’acteur Féodor Atkine. Et, à l’occasion de la soirée de clôture sera présenté un ciné concert, le travail de la master class de composition musicale pour l’image (voir page 7) dirigée par le compositeur jazzman saxophoniste Raphaël Imbert, dont les qualités d’écoute et l’inventivité musicale devraient faire merveille dans cet exercice périlleux… Et, tous les soirs, des concerts de jeunes groupes régionaux issus du partenariat avec la Pépinière d’artistes d’Aubagne. Sans la musique, la vie serait une erreur : cinéphiles et mélomanes, notez votre rendez-vous à Aubagne ! ANNIE GAVA

Gogol à l’écran du Toursky Du 10 au 14 mars, c’est la semaine cinéma du quatorzième Festival russe au Théâtre Toursky. Tous les soirs à 20h 30, des films suivis de cabarets russes, et aussi des spectacles (voir page 16). La programmation cinématographique y sera cette année très littéraire. Ainsi on pourra voir trois adaptations de Nikolaï Gogol : Le Jeu russe de Pavel Tchoukhraï, Le Mariage de Vitali Melnikov, d’après deux de ses pièces, et VIY de Konstantin Erchov, d’après une de ses nouvelles. Quant à Un nid de gentilshommes d’Andreï Kontchalovski, proposé vendredi 13, il est adapté d’un roman d’Ivan Tourgueniev. Seule exception le jeudi 12, avec Les oiseaux du paradis de Roman Balayan. Après chaque projection, le public peut discuter, écouter chants et musique tout en dégustant assiettes russes et vodka. A.G.

14e festival russe Théâtre Toursky 04 91 02 58 35 www.toursky.org


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CINÉMA

AU PROGRAMME

Les rendez-vous d’Annie Au théâtre de La Baleine qui dit vagues, depuis le 5 février jusqu’au 26, l’Omnibus propose la découverte d’un village du sud tunisien, en présentant des portraits de femmes en images et en sons : photographies de Samuel Keller, écoute de sons et un film de Michael Zeidler. Les 19 et 20 février, un spectacle, Om al Hikaya, Mère de toutes les histoires : Alif Mansour, maître de la parole tunisien, apprend à un jeune homme à écouter… La Baleine qui dit vagues 04 91 48 95 60 http://labaleinequiditvagues.org

Jeudi 19 février, à 20h 30, l’Alhambra Ciné Marseille propose, en partenariat avec l’I.N.A., un documentaire de Sandrine Dumarais, Brel, Brassens, Ferré, trois hommes sur la photo. Au départ, une photo de Jean-Pierre

Mardi 10 mars (8 mars + 2 !), à 18h, l’Institut Culturel Italien présente un documentaire d’Alina Marazzi, Vogliamo anche le rose, une étape décisive de l’histoire de l’Italie, celle du féminisme des années 60 et 70, en suivant les voix de trois femmes, Anita, Teresa et Valentina. À travers un kaléidoscope d’extraits d’actualités, de

films de famille et d’archives, le film est une invitation à la réflexion qui s’adresse à toutes les générations. Institut Culturel Italien de Marseille 04 91 48 51 94 www.iicmarsiglia.esteri.it

Leloir, en noir et blanc, qui réunit les trois hommes il y a quarante ans. C’est François-René Cristiani qui a eu l’idée de les faire parler à bâtons rompus… en présence du photographe. Ils en font le récit… Vous pourrez dialoguer avec Sandrine Dumarais et François-René Cristiani après la projection. Alhambra Cinémarseille 04 91 03 84 66 www.alhambracine.com

Brel, Brassens, Ferre, trois hommes sur la photo de Sandrine Dumarais Vogliamo anche le rose de Alina Marazzi

Au cinéma Les Variétés, lundi 23 février à 20 heures, en collaboration avec Studio Cinelive, projection de Boy A de John Crowley, film qui a obtenu de nombreux prix, dont le grand prix du Jury au Festival du Film britannique de Dinard. Jack sort de prison où il a passé toute son adolescence. Un assistant social lui donne un autre nom, lui trouve un travail, une maison. Dans cette ville d’Angleterre qu’il ne connaît pas, Jack se construit une nouvelle vie. Mais Jack ne peut révéler à ses nouveaux amis, et à la fille dont il tombe amoureux, son

passé. Un jour, par hasard, il devient un héros local et sa photo apparaît à la une des quotidiens... Au cinéma Les Variétés, le 7 mars à 18h00, en collaboration avec l’association Femmes d’ici et d’ailleurs, projection du documentaire Parcours de femmes d’ici et d’ailleurs, portraits de femmes du bassin méditerranéen en présence du réalisateur Stéfan Sao Nélet.

Les Variétés 08 92 68 05 97 Boy A © The Weinstein Company-2007

Samedi 21 mars au Polygone Etoilé, à partir de 19 heures 360° et même plus propose de faire découvrir le travail de deux cinéastes, Philippe Cote et Catherine Bareau, de l’atelier

expérimental l’ETNA, avec qui le public pourra dialoguer. Au programme, plusieurs courts métrages en Super 8 et en 16 de Philippe Cote dont un film de 2007 au titre poétique, Des Nuages aux fêlures de la terre, et une performance «pour quatre projecteurs super huit» de Catherine Bareau, Le noir éclaire, un voyage dans les sensations. «Mon film (…) peut s’écrire Le noir éclaire ou Le noir éclair ou Le noir est clair (titre extrait du texte Un film avec clous et ficelles de Jean-Claude Rousseau)… Les images regardent les spectateurs écoutant dans le noir.» Le Polygone Etoilé 04 91 91 58 23 www.polygone-etoile.com

Des nuages aux felures de la terre de Philippe Cote


CINÉMA

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L’occupant à Clermont-Ferrand

Cuba Libre !

Du 30 janvier au 7 février 2009, la capitale auvergnate est devenue la capitale du court métrage : plus de 400 films répartis en 70 programmes, 14 salles de projection, plus de 130 000 personnes…

L’association Solidarité Provence Amérique du Sud organise les onzièmes Rencontres du Cinéma sud-américain du 17 mars au 3 avril, sous la présidence de Carlos Sorin.

Cette année, pour la 31e édition, en plus des compétitions internationale (74 films), nationale (59 films) et labo (cinéma expérimental, 43 films), deux rétrospectives dédiées aux courts métrages néerlandais et aux comédies musicales, des documentaires venus de Lussas et des films africains. Pourtant ce festival organisé par l’association Sauve qui peut le court métrage, qui permet de découvrir de nouveaux cinéastes -un tiers des films français sont des premiers films- subit, comme nombre de manifestations culturelles, des attaques graves : un redressement financier sur trois ans pour avoir employé des bénévoles, la suppression de la subvention du Ministère des Affaires Etrangères… ce qui risque de fragiliser l’édition de 2010. La région PACA, dont l’aide au court métrage va passer de 195 000 euros en 2008 à 220 000 en 2009, était représentée à Clermont par un film de Gabriel Le Bomin, L’Occupant, dont le long métrage, Les Fragments d’Antonin, avait été nominé pour le César du meilleur premier film en 2007. L’Occupant raconte l’histoire de Pierre, jeune garçon d’une famille de maquisards, en Corse, en pleine occupation italienne en 1942. Il sympathise avec un

L'Occupant de Gabriel le Bomin

soldat italien et lui apporte, chaque jour, de quoi manger en échange d’une page de son livre d’architecture de la Renaissance italienne qui l’émerveille, jusqu’au jour où… Le film, en noir et blanc, a été tourné dans le décor naturel des glacières de Brando, sur les hauteurs d’Erbalunga où le réalisateur a trouvé son interprète principal, Sébastien Leonardi. Quant au déserteur, c’est Jean-Baptiste Iera, un acteur des Fragments d’Antonin. Un court métrage à la construction classique et rigoureuse. ANNIE GAVA

La fête à Rousset Un hommage est rendu à Abdellatif Kechiche avec Jean-Michel Frodon des Cahiers du Cinéma. L’occasion de (re)voir ses trois longs métrages, La Faute à Voltaire, L’Esquive (qui avait obtenu quatre César en 2005) et La Graine et le mulet. En partenariat avec l’Institut de la Mode de Marseille, seront projetés des documentaires sur la création de mode et, avec le Musée de l’Arles Antique, fictions et documentaires sur la vie en Provence au temps des Romains. Samedi soir est consacré à la compétition de treize courts métrages tournés en Provence, en présence des réalisateurs et de l’équipe des films. Des séances sont réservées au public scolaire avec, entre autres, la projection d’un film autour du poème Mireille de Frédéric Mistral, à l’occasion du 150e anniversaire de sa publication. Durant ces quatre jours à Rousset, vous pourrez aussi écouter de la musique et goûter aux plats d’un jeune Chef de la région ou à la cuisine romaine : réservez d’ores et déjà vos soirées, nous y reviendrons ! A.G.

Les Films du Delta 04 42 53 36 39 www.filmsdelta.com

La graine et le mulet d'Abdellatif Kechiche © X-D.R

Organisée par les Films du Delta, du 26 au 29 mars, se déroulera à Rousset la 7e édition du Festival Provence Terre de Cinéma.

En partenariat avec les Variétés, mardi 17 mars à 20 heures, projection du documentaire, Cuba, une utopie blessée en présence d’un des réalisateurs, Renaud Schaack. En janvier 1959, le triomphe de la Révolution cubaine provoque un véritable séisme en Amérique latine. Les nouveaux dirigeants parlent d’indépendance, de justice et d’émancipation. Ils développent une politique culturelle ambitieuse et organisent une réforme agraire qui dérange Washington… À travers un voyage dans l’histoire et ses tumultes, ce film propose une réflexion sur les ambitions et les difficultés d’une politique culturelle émancipatrice. La suite dans le prochain Zib ! A.G.

04 91 48 78 51

Corée et Godard L’Institut de l’Image, à Aix, propose du 11 au 24 mars une rétrospective du cinéma coréen. Au programme les films de Im Sang-soo. The President’s Last Bang, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs en 2005, raconte les dernières heures du Président Park Chun-Hee et les conséquences immédiates de son assassinat. Girls’ Night Out raconte la vie sentimentale et sexuelle de trois jeunes coréennes. Une Femme coréenne est l’histoire d’une ancienne danseuse mariée à un avocat de renom infidèle qui décide de sortir de sa torpeur quotidienne en cédant aux charmes de son jeune et timide voisin. Le réalisateur sera présent le 14 mars en compagnie d’Antoine Thirion des Cahiers du cinéma. Le lendemain, Antoine Thirion présentera Memories of Murder de Bong Joon-ho, une enquête sur un serial killer, en 1986, sous le régime militaire du dictateur Chun Do-Hwan. On pourra voir aussi des films de Im Kwon-taek, de Shin Sang-ok, de Kim Ki-duk, de Park Chanwook, de Hong Sang-soo, et de Lee Chang-dong. Et si vous voulez partager quelques Morceaux de conversations avec Jean-Luc Godard, ce sera le 9 mars, à 20h, à l’Institut de l’Image. Présentés par Marc Cerisuelo, les échanges de Jean-Luc Godard avec Dominique Païni, Jean Narboni, Danièle Huillet, JeanMarie Straub… filmés par Alain Fleischer. A.G.

Institut de l’Image 04 42 26 81 82 www.institut-image.org


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ARTS VISUELS

MUSÉE ZIEM | CAC ISTRES

Que la cire perdure ! Découvrir ou revoir les sculptures en bronze de Joan Miró, les confronter à d’autres pièces contemporaines ou des objets quotidiens… une proposition du musée Ziem Coproduite avec les musées des Beaux-Arts de Carcassonne et de la Chartreuse de Douai, l’exposition présente une trentaine de sculptures dont vingt-cinq en bronze issues de la collection de la fondation Miró de Barcelone. Réalisées entre1966 et 1983, en dehors de la pièce polychrome ouvrant la visite, chacune conserve en totalité l’aspect brut de l’alliage. Surprenante cette uniformité qui contraste avec l’image plus connue du Miró extravagant ! La friction des formes, des matières et des couleurs hétérogènes disparaissant au profit de l’unité plastique, l’œuvre recouvre le statut plus traditionnel de sculpture/socle, et perd du même coup sa fonction d’excitateur d’images mentales. Le surréaliste Miró semble rentrer dans le rang malgré le choix de la fonte à la cire perdue ! À priori les accidents provoqués par cette technique, ainsi que le souhaitait l’artiste, ne transcendent pas suffisamment la matière pour compenser le déficit de sens. Ou bien faut-il y regarder de plus près, abandonner l’ensemble de l’assemblage ? Ce dernier conserve le plus souvent une évocation figurative humaine ou animale, toujours ambiguë. Ailleurs, quelques vitrines présentent les objets glanés par l’artiste (courge, compas de tailleur de pierre ou simple bûche de bois, cuillère, assiette, cornière métallique…) et il est étrange de voir ces objets quotidiens et vernaculaires transmutés à travers cette matière réputée noble… Figés comme ils l’auraient été à Pompéi ? Il faut donc faire un crochet à l’étage supérieur par la galerie des arts et traditions populaires du musée, afin de suspendre encore le temps. Au retour, les sculptures de l’artiste surréaliste semblent plus étran-gement familières… Fidèle à son principe d’ouverture sur d’autres champs de l’art, le musée complète la visite par une sélection d’œuvres issues de ses collections. Au rez-de-chaussée plusieurs sculptures d’artistes contemporains (Pons, Milner, Jaccard, Bertholin, Valabrègue) présentent d’autres voies du réemploi, du détournement, de l’assemblage ou du ready-made. Au premier étage, une série de photographies en noir et blanc ouvre sur des portraits d’artistes dans leur atelier. On reconnaît les plus célèbres : Magritte, Dali ou Léger, Picasso par André Villers ou Lucien Clergue, ainsi que d’autres figures actives de l’art contemporain au sud de la France, tels Claude Viallat, Marie Ducaté, Traquandi, Mezzapelle dont les œuvres sont présentes dans les collections du musée.

Orange au désespoir Vanités, pessimisme, orange et noir bitume. Peintures récentes et une installation sur un étage : Frédéric Clavère est au Centre d’Art Contemporain d’Istres

Joan Miró © X-D.R.

Les monstruosités dépeintes par Jérôme Bosch et bien d’autres imagiers condamnaient notre vie terrestre pour en espérer une meilleure audelà. Avec Frédéric Clavère, point de paradis à venir, l’horrible reste à terre comme en témoigne la fabrication des images. Avec l’impact chromatique provoqué par le duo infernal orange minium/noir bitume cher à l’artiste, nous prenons en pleine figure le leurre des images, qu’elles eussent été fabriquées depuis des siècles ou bien qu’elles s’exhibent et s’insinuent dans notre quotidien à travers divers simulacres. En modifiant le format de la toile, et surtout en substituant les couleurs originales d’œuvres antérieures imaginées par Philippe de Champaigne, Ensor, Manet, Artemesia Gentileschi, Frédéric Clavère glisse entre l’œil du spectateur et la mise en scène peinte un filtre paradoxalement évident. Un philtre rétinien en quelque sorte, un acte de sorcellerie visuelle, qui instillerait de l’impur dans la peinture. Visita Interiora Terrae Rectificando Invenies Occultum Lapidem (Visite l’intérieur de la Terre et en te rectifiant tu trouveras la pierre cachée) ou l’acronyme

Frederic Clavere, Fokker, 110x160 cm, 2008

Frederic Clavere, Je t'aiderai, 99x144,5 cm, 2008

alchimique et franc-maçon V.I.T.R.I.O.L. Faire le vitriol signifie en alchimie séparer le pur de l’impur de la matière philosophale. Que peut le peintre (lui-même par nature maître de la représentation et des illusions) si ce n’est proposer la vanité d’un Je t’aiderai en plusieurs langues mais à l’avenir ultra pessimiste? Ou bien transformer la décollation d’Holopherne en un accouchement monstrueux et fatal dont le sens outrepasse l’imagerie mythique (on supprime encore de nos jours en certains lieux sur cette terre les nouveaux-nés jugés infâmes et inutiles). Il s’agit donc de peindre la stupéfaction. Tant le vitriol est corrosif pour la matière, autant l’orangé s’avère irritant pour la rétine et le penser. Nabokov aurait raison : il n’y a que la fiction qui dise le vrai. Alors c’est quoi ce german underground du titre ? CLAUDE LORIN

CLAUDE LORIN

La métaphore de l’objet

Miró Jusqu’au 03 mai Musée Ziem, Martigues 04 42 41 39 60 www.ateliermuseal.net

V.I.T.R.I.O.L. german underground Frédéric Clavère jusqu’au 20 mars Centre d’Art Contemporain Intercommunal, Istres 04 42 55 17 10 www.ouestprovence.fr


ENTRETIEN AVEC NADEIJE LANEYRIE-DAGEN

ARTS VISUELS

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Un monde nouveau Quelles transformations s’opèrent dans les modalités de la représentation artistique au tournant du Moyen Âge vers la Renaissance ? Spécialiste de cette période, Nadeije Laneyrie-Dagen signe un bel et érudit ouvrage dans la collection Beaux Livres chez Flammarion : L’Invention de la Nature, qui fait logiquement suite à L’Invention du Corps chez le même éditeur. Nous l’avons rencontrée à l’Espace Leclere lors de la conférence proposée par Jean-Noël Bret et Art Culture et Connaissance. Zibeline : L’Invention du Corps nous menait jusqu’au XIXe siècle. L’Invention de la Nature s’arrête au début du XVIe avec Vinci ou Dürer. Des changements fondamentaux s’opèrent donc dans cette période dans les œuvres d’art ? Nadeije Laneyrie-Dagen : Dans L’Invention du Corps j’ai cherché à savoir quand on est passé du signe du corps à la description, à la véritable envie d’imiter le corps et pourquoi. Au Moyen Âge un ciel c’était de l’or ou du bleu, puis on voit apparaître des nuages… Vous vous attachez un peu, à la manière de Daniel Arasse, à l’analyse de très nombreux détails qui composent ce qu’on appelle un genre, le paysage. Daniel Arasse choisit dans le tableau ce qui est là, ne se voit pas mais finit par se remarquer, et fait que ça donne un autre sens au tableau. Mon problème est plutôt de faire des zooms sur ce qui n’est pas tout à fait un détail, car je cherche ce qui est au cœur du sujet. Vous procédez par une analyse extrêmement fine et par comparaison… Ma méthode est d’abord descriptive sans paraphraser le tableau. Il faut regarder au plus près ces œuvres car ce n’est pas un hasard si on met un moulin, un oiseau à l’horizon. Ainsi vous attirez notre attention sur l’importance de choses apparemment anodines comme ce vol d’oiseaux qui exprime un élément naturel difficile à peindre : l’épaisseur de l’air, plusieurs siècles avant Cézanne. Cennino Cennini a été un des premiers à donner des conseils aux peintres pour la représentation des éléments. Par exemple partir d’un caillou pour en faire une montagne. Cela veut dire aussi qu’on prend déjà un modèle dans la nature. Comme ça ne suffit pas, on va aller dans la nature pour en faire des dessins, des aquarelles. Le premier christianisme a fait de notre terre un corridor d’attente vers la vraie vie qu’est le paradis. Donc, on ne va surtout pas aimer cette vie ! Au XIIe siècle ça commence à changer pour des raisons sociologiques. Banquiers et marchands, le populo grasso comme on dit en italien, aimerait bien qu’on leur laisse un tout petit peu apprécier cette vie, se promener dans la nature. Saint-François d’Assise, fils de banquier, s’il a renoncé à l’argent, n’a pas renoncé au monde qui est l’œuvre de Dieu. Il s’est mis à louer frère soleil, sœur lune… Justement, vous commencez par analyser dans votre livre les quatre éléments. La pensée du Moyen Âge est scholastique, abstraite, théorique. On pense en terme des quatre éléments, de ceux qui composent le corps de l’Homme et qui donnent les Humeurs. L’Air, le Feu, l’Eau, la Terre avec un grand T. Mais ce n’est pas tout à fait la même chose lorsque vous faites tomber une goutte d’eau

Andrea Mantegna, La Priere au jardin des Oliviers (detail), vers 1456-1460, tempera sur bois. Bourges, musee des Beaux-Arts

dans votre verre, que vous recevez une douche lorsqu’il pleut beaucoup. Tout ça serait l’Eau ? Moi, je vois plein d’eaux. Par cette nouvelle attitude d’observation, les artistes passent donc d’une figuration symbolique à une représentation plus naturaliste ? Cela se fait progressivement et très rapidement : on peut suivre sur presque dix ans le passage du ciel d’or, en Flandres, vers un palissement de l’horizon et voir apparaître les premiers nuages ; puis vers le sud en Italie. Vous avancez aussi l’idée que le peintre serait ainsi le premier savant ? Celui qui regarde (le peintre) ne peut se contenter d’un système théorique. Son regard le mène vers une représentation qui classe les choses. Hors la première des attitudes scientifiques c’est l’observation. Donc le peintre, premier observateur, est d’une certaine manière le premier savant ! Incomplet, puisqu’il ne va pas expérimenter, ou bien, si c’est le cas comme Léonard de Vinci, il abandonne la peinture. Là vous

quittez l’esthétique, le poétique, l’imaginaire. C’est pourquoi je me suis arrêtée à Vinci et à Dürer. ENTRETIEN RÉALISÉ PAR CLAUDE LORIN Conférence donnée le 23 janv à l’Espace Leclere, www.damienleclere.auction.fr

Art, Culture et Connaissance 06 87 92 91 09 (Voir critique livre p 61)

Nadeije Laneyrie-Dagen est professeur d’histoire de l’art à l’Ecole Normale Supérieure. Elle s’intéresse au passage entre le Moyen Âge et le premier âge moderne. Elle a publié notamment L’Invention du Corps chez Flammarion et aux éditions Larousse les incontournables Lire la peinture : Dans l’intimité des œuvres, Dans le secret des ateliers. Elle travaille actuellement à une histoire générale de l’art, et en projet une participation à un ouvrage collectif sur la représentation des enfants chez Mazenod-Citadelles.

Lucas Cranach l'Ancien, Le Martyre de Ste Catherine (detail), 1505, huile sur bois, 112x95cm. Budapest, Library of the Reformed C


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ARTS VISUELS

MOURLOT | FORT NAPOLÉON | PORTE-AVION

Coup double pour Nicolas Pilard Nicolas Pilard est un habitué des lieux. En 2003 déjà, il exposait à la galerie Mourlot Jeu de paume, mais cette fois-ci il est aussi l’invité des Galeries du Fort Napoléon à La Seyne-sur-Mer. Un enjeu de taille qui l’a forcé à maintenir une intense activité à l’atelier parallèlement à sa pratique d’enseignant à l’École d’architecture, et un double événement qu’il estime «gratifiant.» On aura donc la chance de découvrir à Marseille ses œuvres récentes tout en remontant le fil de son parcours, dans le Var, à travers un vaste ensemble de tableaux, dessins et aquarelles. Lors de ses précédentes expositions à la galerie du Tableau, chez Jean-François Meyer et au Passage de l’art, ses peintures composaient déjà un patchwork d’éléments divers empruntés à l’espace urbain ; aujourd’hui, «les morceaux composites sont totalement digérés et viennent tout de suite sur la toile», l’artiste ayant de moins en moins besoin de motifs pour peindre. Plus fluides mais toujours très architecturées, plus ouvertes sur l’extérieur mais toujours en déséquilibre, ses compositions de facture très classique entraînent le regard dans un vaste tourbillon. On serait tenté de tourner lentement sur soi-même pour optimiser cette sensation de mouvement perpétuel. «Le chaos, ça se construit, remarque Nicolas Pilard, j’aime composer sur les obliques dans mes

tableaux, comme dans la peinture baroque.» Jetés sur la toile au sol, les tons rouges acides mêlés aux orangés réchauffent les pourpres en autant de fragments et autant de points de vue, ce premier exercice de composition lui permettant de débloquer l’espace pour mieux l’appréhender puis se l’approprier. Subterfuge technique ou simple feinte, cette entreprise très physique lui est nécessaire pour pouvoir relier les fragments éclatés telles des météorites. Car ses toiles sont majoritairement des polyptyques autonomes que le trait, ou la couleur, assemble : «Aujourd’hui, explique-t-il, je pense les éléments comme un ensemble tout en travaillant sur le hors champ, le vide, l’ellipse.» Toute l’évolution de son travail depuis 1998 réside là : dans l’évacuation de la surface de la toile d’éléments perturbateurs, anecdotes ou ornements. Dans ce qu’il décide être l’essentiel, et qui a toute sa raison d’être ici. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI Nicolas Pilard jusqu’au 28 février Galerie Mourlot Jeu de paume, Marseille 04 91 90 68 90 jusqu’au 7 mars Galeries du Fort Napoléon, La Seyne-sur-Mer (83) 04 94 87 83 43

Nicolas Pilard, de g. à d. 101 - huile sur toile 200x300 cm - 2007, La River - huile sur toile 190,5x153 cm - 2008, Linote - huile sur toile 200x150 cm - 2008

Spectateur oui, acteur non…

Spect-acteurs, Diptyque, oeuvre d'Ariane Maugery. 4 dessins de 80 cm x 120cm soit 160 cm x 240 cm, 2006

Il y a comme un sentiment de maldonne, un gouffre entre l’intitulé de l’exposition d’Ariane Maugery, Spectacteurs, et la réalité de son installation vidéographique et dessinée à la galerie Porte-Avion. Vidéaste et plasticienne, l’artiste marseillaise montre pour la première fois l’essentiel de son travail pictural sans avoir pris toute la mesure de la tâche à accomplir. Si son désir était «de créer, à travers un dispositif sonore et visuel, un cadre sensitif générateur d’improvisations dansées qui incorpore et dérive de diptyques dessinés», encore fallait-il appréhender l’espace de la galerie et inventer un environnement adéquat… Malheureusement, on regrettera l’absence de dialogue entre les œuvres plastiques (pastels et encres de Chine qui manquent encore de maturité) et les projections, autant que l’impossibilité au spectateur d’expérimenter quoi que ce soit. Il est loin, très loin même, d’être acteur ! Cette désillusion serait à mettre sur le compte «d’un défaut de jeunesse» comme le souligne la galerie qui a souhaité accompagner «un projet expérimental.» Bref, Spec-acteurs est un projet visuel interactif qui n’en a

que le nom, mais dont on retiendra tout de même le travail vidéo. Projetées en boucle, Micro-gravity oddity, Swarmming bodies et Erratic meandering développent le même vocabulaire que les tableaux (la chaise flottante, le bonhomme en silhouette…) selon une temporalité, un rythme et une forme différents. Les images et les sons saturent, les corps dansent ou en gravitent, les mouvements s’étirent : réelles et fictionnelles, les images fabriquent un «tableau vidéographique» original. De ceux qu’Ariane Maugery réalise au contact de danseurs et d’acteurs pour ses projets de pièces vidéochorégraphiques (Ultra-relativistic e-motion) et autres performances (Cathédrales liquides). C’est dans cette interaction entre l’art vidéo et le spectacle vivant que son travail capte au mieux la relation au corps. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Spect-acteurs Ariane Maugery Jusqu’au 28 février Galerie Porte-Avion 04 91 33 52 00

Prix de peinture Mourlot 2009 Pour sa 9e édition, le comité de sélection du Prix Mourlot a validé 170 dossiers d’artistes français et étrangers, en a présélectionné 14 pour en retenir 5. Ce sont Samuel Aligand (Paris), Amélie Bertrand (Cannet), Jérémie Delhome (Marseille), Balthazar Leys (Marseille) et Alexandra Roussopoulos (Paris).

Les artistes en lice présenteront leurs travaux à la galerie de l’Esbam du 18 mars au 10 avril, date à laquelle sera élu le lauréat 2009. Le jury sera composé de Jean-Pierre Alis (galerie Athanor), Olivier Billard (galerie Mourlot), Christophe Boursault (lauréat 2008), JeanJacques Ceccarelli (peintre), Jean-Louis Connan

(directeur de l’Esbam), Jean-Louis Marcos (critique d’art, écrivain), Huguette Mille (association Mourlot), Gérard Traquandi (peintre) et Frédéric Valabrègue (écrivain, professeur à l’Esbam). À suivre… M.G.-G.


VILLA TAMARIS (LA SEYNE) | GALERIE D’ART DU CG (AIX)

Peuplée d’une forêt de socles blancs, la galerie d’art du Conseil général 13 se pare d’atours qui ne tiennent qu’à un fil… Décoiffante et surréaliste, l’exposition Hair du temps conçue par Olivier Saillard, en charge de la programmation des expositions mode aux Arts décoratifs à Paris, touche autant au sacré qu’au monstrueux, à l’esthétique qu’au religieux. Les œuvres sont là qui témoignent de l’éternel défi des femmes à se plaire et séduire, et des hommes à honorer Dieu. Entre être et paraître, créateurs et anonymes font preuve d’une imagination et d’une dextérité à tous crins. On connaissait la symbolique de la parure déjà répandue dans l’Antiquité, l’extravagance des coiffes au Moyen Âge (chevelure sacrifiée ?), les tableaux funéraires mêlant poudre de cheveux et perles, ou les imprimés «cheveux» sur des mousselines de soie pour les collections de haute couture de Jean-Paul Gaultier et Vivienne Westwood… Peut-être moins le cheveu coupé en quatre, tressé, tire-bouchonné, brodé pour la confection de capes et de bustiers à porter à même la peau : la veste courte en cheveu torsadé de Sandra Backlund est du plus bel effet… À la limite entre l’organique et le minéral, les cheveux sont des phanères quasiment imputrescibles, et, comme les ongles, les poils, les écailles ou les cornes, focalisent toutes sortes de sentiments, entre attraction et répulsion. Mais leur utilisation implique une sophistication extrême qui rend alors possible la réalisation par Clémence Agnez d’un mobile arachnéen, œuvre presque invisible, ou à l’opposé, permet d’atteindre la monumentalité avec la pièce murale de Christian Wijnants.

F. Daireaux vert de terre 2000

des produits manufacturés démultipliés à l’infini, des outils mal assemblés: pièces de tissu, aliments, fagots de bois ou tas de ferraille… Il moule des bustes en plâtre lactescents qu’il juche sur des selles de sculpteur, dans un silence écrasant, un brin déstabilisé par le gros plan vidéo d’un visage noir aux yeux sans cesse écarquillés… Il installe des sculptures minimalistes ou monumentales qui interrogent la multitude et l’identique, révèlent la matière dans son étrange amoncellement (ballons en caoutchouc, baudruche, douilles, fils) et explorent ses formes potentielles… Tout commence par les pieds est l’œuvre d’un artiste pérégrin, selon le directeur du centre d’art Robert Bonaccorsi, et, à cet égard, une invitation au pèlerinage contemplatif.

MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Hair du temps jusqu’au 29 mars Galerie d’art du Conseil général des Bouches-du-Rhône, Aix 04 42 93 03 67

MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Tout commence par les pieds François Daireaux Jusqu’au 1er mars Villa Tamaris centre d’art, La Seyne-sur-Mer (83) 04 94 06 84 00

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Née coiffée

Les voyages aléatoires de François Daireaux

Il est des expositions comme des opéras, quand l’orchestre et les chanteurs rencontrent la perfection. Tout commence par les pieds de François Daireaux à la Villa Tamaris est de celles-là qui émerveillent et conquièrent par leur complétude. On aura rarement habité l’espace (et quel espace !) avec une telle compréhension de l’œuvre, si polymorphe soit-elle. Photographies, vidéos (projetées au sol dans un puits de lumière ou sur écran géant), sculptures, tirages jets d’encre et dessins : avec une économie de moyens, des matériaux insolites issus de différentes cultures, François Daireaux fait l’éloge de la lenteur. L’ensemble formant des installations précaires in situ, tantôt irradiées de lumière, tantôt émergeant de l’ombre. Et, à coup sûr, il fait mouche, instille dans chaque millimètre carré une atmosphère singulière. Expliquant avec constance qu’il n’y a pas grandchose à dire sur son travail et qu’il en dit déjà trop en disant cela, il écrit cependant comme pour mieux nous éclairer : «J’utilise le médium photographique avec la pensée d’un plasticien et d’un marcheur, c’est-à-dire d’un artiste qui affectionne la lenteur.» C’est donc sur la pointe des pieds, armé d’une patiente curiosité, que l’on chemine, l’œil alerté par sa vision du monde. François Daireaux photographie en plan serré les gestes experts et répétitifs de travailleurs manuels,

ARTS VISUELS

Jean-Charles de Castelbajac, robe hommage a Guy Pelhaert. Collection pret-a-porter printemps été 2002. Image Katerina Jebb, 2008


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ARTS VISUELS

ESPACE ÉCUREUIL | MAISON DE L’ARCHITECTURE

Aujourd’hui, les villes

L’espace de Balthus L’Espace Ecureuil entame la nouvelle année avec un artiste de renom. Un événement ?

couleur, et dans bien des cas la troublante évacuation du végétal. Afin de parfaire la compréhension du visiteur, un livret aurait été bien venu précisant les lieux, les architectes et les monuments montrés. On aurait aimé aussi avoir son regard sur les réalisations hexagonales peu représentées, comme le Pavillon Noir de Ricciotti à Aix, le vaisseau bleu du Conseil Général par Alsop à Marseille. Peut-être les tours de Zaha Hadid et Jean Nouvel, les futurs bâtiments du Mucem et du Frac l’amèneront dans la cité phocéenne remodelée à travers Euroméditerranée ? Si la crise… Le catalogue (bientôt dans nos pages) poursuit avec le même dépouillement ce grand tour européen.

2008 célébrait le centenaire de la naissance de Balthazar Klossowski de Rola, dit Balthus, avec une importante rétrospective à la Fondation Pierre Gianadda en Suisse. Toutes proportions gardées pour Marseille, l’exposition de l’Espace Ecureuil voulue comme l’évènement de rentrée pour sa saison 2009 peut décevoir. Les amateurs de frissons pubertaires y seront pour leurs frais: pas de jupettes adolescentes retroussées, ce qui peut réjouir par ailleurs tant cette image colle depuis trop longtemps à la toile du peintre. Qu’en est-il des pièces montrées? Des dessins, crayon et encre, études de nu, portraits (un beau et triste Giacometti) ou autoportraits, d’arbre et de nature, dans la veine académique qu’on connaît de Balthus, quelques peintures aussi, deux de bon format dont une inachevée. Peut-être la plus intéressante. Moins pour l’aspect didactique mettant en évidence le processus de travail du peintre que pour cette ouverture offerte par le non-fini. Il ne s’agit pas de céder aux sirènes de la contemporanéité à tous crins ni de voir dans cet inachèvement (dû à la disparition prématurée du peintre en 2001) un critère d’authenticité artistique. C’est que, par défaut, et contredisant la volonté légendaire de l’auteur à peaufiner longuement son œuvre souvent empesée d’une narration par trop littéraire, le regard se voit offrir pour une fois des espaces libres, voire libérés, ouvrant matière à quelconque rêverie poétique. Ce vers quoi Balthus semblait tendre parfois, sans y être toujours parvenu.

C.L.

CLAUDE LORIN

Manchester © Marco Zanta

L’exposition UrbanEurope propose un regard photographique singulier sur l’architecture contemporaine, entre confrontation et intégration au patrimoine Pendant quatre ans, Marco Zanta a parcouru les villes d’Europe, d’Helsinki à Lisbonne et rapporté une magnifique série de clichés de grand format. Son regard s’est porté sur la relation des expressions architecturales contemporaines les plus récentes avec des édifices plus anciens. Adoptant un point de vue distancié -pour la plupart des cadrages horizontaux, lumière diffuse, grande restitution des détails-, le photographe laisse la surprise et l’étonnement s’installer entre les objets bâtis. Ses images suscitent un véritable dialogue entre le passé et le contemporain : rapports à l’espace, volumes et structures, confrontation des formes et des matières, transparence ou opacité, fonctionnalité et monumentalité, universalité ou temporalité des styles. Ainsi, en servant le contraste entre une église de pierre et un édifice en matériaux industriels, il nous rappelle en même temps l’audace constructive des constructions gothiques. Dans d’autres images Marco Zanta choisit une approche plus plasticienne et expressive, l’ambiance lumineuse d’un nocturne, le graphisme des structures, les contrastes de masse, d’échelle ou de

UrbanEurope Marco Zanta jusqu’au 27 mars Maison de l’Architecture et de la Ville Paca 04 96 12 24 10 www.ma-leresau.org

Balthus jusqu’au 02 avril Espace Ecureuil 04 91 57 26 49 www.fondation-ecureuil.fr

Balthus, l'oeuvre inachevee

London © Marco Zanta


Avoir la banane Commencer cette année avec le sourire, c’est le pari que fait Regards de Provence avec son exposition de rentrée Humour et dérision. Tout n’est (temporairement ?) pas si morose

Gilbert Garcin, Communiquer

Les partisans de la théorie médicale des (bonnes) humeurs ne nous contrarieront certainement pas : alors qu’en ce moment de grande dépression chacun fait grise mine, il ne serait pas inutile de prendre une bonne dose de drôlerie amusée. Apprécions donc sans fard ces formes pas si légères de l’art ! Seize artistes et plus d’une centaine d’œuvres ont été sélectionnées avec le conseil de Bernard Muntaner qui signe aussi les textes du catalogue. On y fait donc des rencontres fortuites (Christian Ramade, René Maltête, Bernard de Tournadre), on monte des saynètes auto fictionnelles (Gilbert Garcin, Teun Hocks, Joan Foncuberta, Olivier Rebufa, Philippe Ramette), on fignole des fictions facétieuses (Jean Bellissen, Pilar Albajar et Antonio Altarriba), on fait genre peinture d’histoire(s) (Michel Zevort), on installe en forme de cabine d’essayage (Dominique Carrié), on manipule l’alimentaire (Jeane Derome), on dessine humoristique et caustique (Albert Dubout, Roger Blachon) et on fait l’amuseur de service (Ben).

Bon nombre des pièces ont été choisies avec les artistes ou sont issues de la collection de Regards de Provence. En ce sens, saluons l’initiative plus que pertinente en ces temps de la fondation : en tant que mécènes ils font acquisition d’une œuvre pour chaque artiste exposé. Une raison de plus pour lutter contre la déprime. Un regret : pressentis, Robert Combas et William Wegman (avec son chien) n’ont pu rejoindre les cimaises. Snif ! CLAUDE LORIN

Humour et dérision jusqu’au 23 mai Palais des Arts Regards de Provence 04 91 42 51 50 www.regards-de-provence.org

catalogue textes de Bernard Muntaner 152 p. ill. quadri. Editions Regards de Provence, 2009

Bernard de Tournadre, Goa -Indes, 2002


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ARTS VISUELS

EXPOSITIONS

[MARC INGOGLIA] Quand Marc Ingoglia n’œuvre pas au sein du collectif d’artistes Artistic promotion ou au lancement de nouveaux événements -on se souvient du 1er festival de performances Les Arts en chantier organisé cet été à la Chapelle des Pénitents bleus à La Ciotat-, il se consacre à la peinture. Tel cet Autoportrait à la texture tourmentée et à l’esprit facétieux exposé avec d’autres œuvres inédites. M.G-G. Jusqu’au 23 février Maison du Béal à Pont de l’Étoile 04 42 04 01 58

Autoportrait 1, peinture de Marc Ingoglia

Elvire Bonduelle, Haltères, 2008, bois tourné laqué, dimensions variables

Jetee de l'oubli © Fabrice Lauterjung

[MARSEILLE LAUTERJUNG] Films et installation vidéo suite à résidence à l’ESBAM à propos de La Jetée de l’oubli à Marseille, et travaux d’étudiants réalisés lors d’un workshop sous la direction de Piotr Klemensiewicz. Fabrice Lauterjung - de l’oubli du 20 février au 14 mars Galerie de l’ESBAM rue Montgrand 04 91 33 11 99 www.esbam.fr

Projection en avant première et table ronde avec G. Viatte, N. Féodoroff, P. Klemensiewicz, en présence de l’artiste mardi 10 mars à 18h Alcazar Bmvr www.bmvr.marseille.fr

[MARSEILLE ASTERIDES...] Mais qu’ont-ils fait lors de leur résidence marseillaise ? C’est à voir à la Friche. Vous pourrez rencontrer les artistes et les passer à la question, en appelant un peu à l’avance Astérides ou Triangle, c’est plus sûr. Carte Blanche aux résidents jusqu’au 15 mars Galerie de la Friche et Salle des petites colonnes Astérides 04 95 04 95 01 www.asterides.org Triangle France 04 95 04 96 14 www.trianglefrance.org

Villa personnelle d'Andre Lefevre © Olivier Amsellem

[VILLA NOAILLES] Après Rudy Ricciotti, Patrick Bouchain, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, Luca Merlini, la Villa Noailles poursuit son exploration des paysages varois à travers l’architecture en consacrant sa nouvelle exposition à l’agence André Lefèvre et Jean Aubert. Deux architectes pour une même conception d’une «architecture enracinée et solide» photographies d’Olivier Amsellem, plans, maquettes et film de Florence Sarano et Luc Bouery. M.G-G.

Architecture de la disparition Du 22 février au 5 avril. Villa Noailles, Hyères (83) 04 98 08 01 98


55 [FOS] Comment la photographie peut-elle traduire la ville et le sentiment de tragique ? Acquisition récente du Frac montrée pour la première fois, cette série a été effectuée à Beyrouth et le mémorial du camp de Chatila. Exposition hors les murs avec la collaboration de l’Adapp Intercommunale. Monique Deregibus I love you for ever Hiba jusqu’au 22 mars Centre Culturel Marcel Pagnol, Fos-sur-Mer 04 42 11 01 99 http://ass.adapp.free.fr

Vue de l'exposition de Monique Deregibus I love you for ever Hiba, en partenariat avec le FRAC Provence-Alpes-Cote d'Azur © X-D.R

[GAP] Voici une belle occasion de voir rassemblées trois séries : Nu (2003), Bobigny Centre Ville (2004/05), La Chute (2006) qui parlent toujours du corps en situations paradoxales, comme avec cette dernière où des danseurs sont arrêtés en lévitation et qui a permis au photographe d’accéder à une reconnaissance internationale. Denis Darzcq Langage des Corps jusqu’au 28 mars Galerie du Théâtre de la Passerelle, Gap-04 92 52 52 58 www.denis-darzacq.com Serie Nu, 2003 © Denis Darzacq

«J’essaie dans mes textes et mes photographies de ne pas soustraire totalement les sujets de l’ensemble, du monde.» Récemment installée dans la zone critique La Plaine/Cours Julien, la galerie Por Aya poursuit sa programmation pour la promotion de la jeune photographie avec Ordinary Dust, série de tirages noir et blanc argentiques et barytés d’Adrien Perrin. jusqu’au 14 mars 04 91 02 82 21 www.por-aya.fr

© Mocydlarz Agata

[MJC AUBAGNE] Au Féminin pluriel La MJC d’Aubagne réunit plus de 80 artistes dans le cadre de la Journée Internationale des Femmes, dont deux expositions. Univers Parallèles Photos de Jazel Kristin Du 6 au 26 mars Vernissage le 6 mars à 18h30 Salle d’exposition Photographie de Adrien Perrin, tirages barytes

Reg’Art sur le corps Exposition collective Du 7 au 22 mars Vernissage le 7 à 18h Chapelle des Pénitents Noirs

L’Escale - MJC Pays d’Aubagne 04 42 18 17 17 www.mjcaubagne.fr


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LIVRES

ÉCRIVAINS EN DIALOGUE | THÉÂTRE DU PETIT MATIN

Rencontre avec des hommes illustres Il y avait du monde aux ABD pour écouter les deux écrivains que Pascal Jourdana mettait ce soir-là «en dialogue». Boualem Sansal et Jean Rouaud, venus évoquer leurs derniers romans, Le village de l’Allemand pour le premier (voir p.60), La femme promise pour le second, nous ont offert un échange passionnant. Les deux hommes ont de nombreux points communs. Tous deux ont un parcours éclectique et ont exercé plusieurs métiers avant d’écrire leur premier roman vers la quarantaine ; tous deux font partie de la «dream team» de J.-M. Laclavetine chez Gallimard ; tous deux militent pour le retour à un romanesque poétique, qui dise le monde, la société et l’individu, par le biais de la fiction, dans la grande tradition du roman ; tous deux ont visiblement eu plaisir à échanger, au fil d’une longue conversation qui a filé à toute allure.

écrire ma révolte ou partir la pleurer dans l’exil Boualem Sansal a choisi de rester en Algérie et d’écrire pour rappeler qu’«il y a péril en la demeure», aujourd’hui encore. Il évoque l’état déplorable dans lequel se trouve l’édition algérienne. Le monde arabo-musulman a pourtant une production éditoriale énorme : beaucoup de textes religieux, de discours, d’apologétique, mais pas ou peu de romans ; de la reproduction, peu de création. Car un roman, c’est «un indi-

vidu qui s’adresse à d’autres individus» ; or, dans les sociétés ancrées dans la religion et la tradition, on laisse peu de champ au regard individuel, forcément libre, potentiellement dangereux. Le village de l’Allemand, en abordant deux pans d’histoire tabous en Algérie, la Shoah et la guerre civile des années 90, a suscité des réactions très violentes chez les compatriotes de Sansal. Menacé de mort, celui-ci continue pourtant de clamer son droit à se définir lui-même et à raconter des histoires complexes, loin du prêt à penser des slogans.

l’écriture aide à devenir libre Le credo de Rouaud rejoint celui de son collègue. Pour lui aussi, il s’agit à travers la fiction de dire le poids de l’Histoire, de savoir ce qui nous compose afin de «parmi les origines, choisir celle avec laquelle on va pouvoir avancer.» Cet autodidacte à l’immense culture et à la mémoire prodigieuse se promène parmi les références littéraires et historiques, dont il fait son miel ; il emporte le public dans des digressions aux perspectives vertigineuses, de Lascaux à la Collaboration, des Lumières à la création d’Israël. C’est aussi la profondeur de la réflexion, l’ampleur du propos qui ont donné son prix à cette rencontre d’envergure entre deux auteurs à lire absolument. FRED ROBERT

Boualem Sansal et Jean Rouaud © Pierre Ciot

Ecrivains en dialogue, des rencontres mensuelles organisées par l’ADAAL, en partenariat avec la Bibliothèque départementale Gaston Defferre et l’Association Libraires à Marseille

Salam India Après un superbe café littéraire consacré au Japon, au printemps dernier, le Théâtre du Petit Matin a renoué fin janvier avec ses rendez-vous rituels autour des écritures contemporaines étrangères. Nocturne indien cette fois-ci, avec des lectures bien sûr, mais pas seulement. Car le principe des Kfés littéraires que propose Nicole Yanni est de faire connaître des auteurs et des œuvres, mais également de plonger le public, le temps d’une soirée, dans l’atmosphère du pays évoqué. Là, tout le monde avait mis le paquet pour immerger le public, dès le seuil, dans l’ambiance sensuelle et colorée du sous-continent mythique : bâtonnets d’encens, tentures satinées aux teintes chaudes, thé de bienvenue au lait et aux épices. Bref, la totale, toute la soirée : le public a été invité à prendre place sur des tapis et des coussins (pas très confortable, mais tellement dépaysant), les lectures ont été ponctuées d’intermèdes musicaux, chorégraphiques, audiovisuels made in India (joueuse de sarode en

ouverture, danseuse Bollywood vers la fin), à la pause, on a grignoté indien (seul le vin n’était pas de là-bas); quant à l’équipe des lecteurs, 3 filles et un garçon, elle avait su adopter l’indian touch (tuniques, corsages courts et bijoux de corps scintillants). Tout était fait pour qu’on y croie ! Et aussi, pour qu’on goûte mieux encore les textes proposés. Dans la foisonnante palette indienne, Nicole Yanni avait sélectionné 12 extraits, de genres et de registres divers, tous d’auteurs nés entre 1930 et 1976. Elle avait volontairement omis Rushdie et Seth, pour mettre en lumière d’autres romanciers, poètes ou journalistes un peu moins connus en Europe. Les lectures, variées et agréablement mises en scène, ont fini d’emballer un public déjà conquis par la magie du décor. Des lieux comme celui-ci accueillent un public fidèle. Ils proposent des rencontres originales et stimulantes. Hélas, les subventions sont en baisse, et les lendemains

pas vraiment chantants. Alors, pour que survivent ces espaces de création et de convivialité, n’hésitez pas, allez-y : d’autres belles soirées vous y attendent dans les mois à venir. FRED ROBERT

http://www.theatredupetitmatin.free.fr

Et pour les lecteurs avides d’Inde, quelques références Inderjit Badhwar, La Chambre des parfums ; Arundhati Roy, Le dieu des petits riens et Le coût de la vie ; Tarun J Tejpal, Loin de Chandigarh ; Vikas Swarup, Les fabuleuses aventures d’un Indien malchanceux qui devint milliardaire ; Suketu Mehta, Bombay maximum city. Voir aussi p.59 la chronique du roman de Raj Kamal Jha.


LES JEUDIS DU COMPTOIR | AGENDA

LIVRES

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Gens de peu et comptoir nouveau Le Bouchon Marseillais ayant fermé ses portes, l’association Libraires à Marseille a dû trouver un autre lieu d’accueil pour les Jeudis du Comptoir. C’est chose faite depuis le 12 février : le bar mythique de La Caravelle, sur le Vieux Port, au premier étage, héberge désormais les rencontres littéraires radiophoniques mensuelles. Toujours selon le même principe : Pascal Jourdana reçoit autour d’une table informelle un ou deux écrivains ; ils évoquent dans le brouhaha sympathique d’un bar en fin d’après-midi leurs ouvrages, que l’on peut acquérir à la table proposée par des libraires et faire dédicacer en fin de rencontre. Seuls l’horaire (17h30) et le cadre ont changé. Ce sera sans doute un peu tôt pour certains, mais la lumière dans la salle à cette heure-là et la vue sur le port valent à elles seules le détour… La salle à l’ancienne du bistrot fameux seyait plutôt bien aux deux invités du jour, Jean-Pierre Levaray et Efix. En tournée dans le cadre du Prix littéraire des lycéens et apprentis de la région PACA, l’écrivainouvrier et le dessinateur ont parlé de l’ouvra-ge sélectionné, Putain d’usine (voir p 58), de leurs choix graphiques et scénaristiques mais aussi du lien qui s’est

créé entre eux : «C’est pas un coup de foudre mais ça y ressemble», résume Levaray. Leur collaboration s’est d’ailleurs poursuivie avec Les fantômes du vieux bourg, adapté du recueil de nouvelles À quelques pas de l’usine (éd. Chants d’Orties, 2008). De même que Pascal Jourdana et Libraires du Sud souhaitent intégrer la littérature à la vie, Levaray et Efix ont la généreuse ambition de donner à voir les combattants du quotidien et l’enfer du salariat. De ces «gens de peu» que tous deux affectionnent et côtoient, on parle peu, particulièrement dans la BD ! L’adaptation graphique des écrits de Levaray (que celui-ci revendique comme des «livres politiques à la 1re personne») vient combler cette lacune, en représentant avec lucidité un monde en voie de disparition, où l’on souffre, où l’on meurt, où on lutte aussi. Avec l’énergie du désespoir. FRED ROBERT

Mon amie la poof (l’intégrale) Efix éd Petit à Petit, 20 euros

Les Fantômes du vieux bourg Levaray/ Efix éd. Petit à petit, 14,90 euros

Les Jeudis du Comptoir Libraires à Marseille 04 96 12 43 42

Au Programme Aix-en-Provence

Cavaillon

Cité du livre – 04 42 91 98 88 Exposition de photos de Guy Le Querrec, Sur la piste de Big Foot. Jusqu’au 14 mars, Galerie Zola.

Itinérances littéraires - 04 96 12 43 42 La librairie Le Lézard amoureux reçoit Carole Martinez et Ingrid Thobois. Le 19 fév à 17h30.

Itinérances littéraires - 04 96 12 43 42 La librairie Forum Harmonia Mundi reçoit Carole Martinez pour Le cœur cousu (voir Zib 15 éd. Gallimard, 2008) et Ingrid Thobois pour Le simulacre du printemps (éd. Le Bec en l’Air, 2008). Le 19 fév à 19h.

Manosque

Théâtre du Manguier – 04 42 96 33 31 Dans le cadre de la semaine de la langue française, le Théâtre du Manguier explore l’avenir et propose C’est pour demain !?, des rencontres singulières et musico-théâtrales itinérantes, dans les rues de la ville. Du 16 au 31 mars.

Arles Chapelle du Méjan – 04 90 49 56 78 Rencontre avec Alaa El Aswany, auteur de L’Immeuble Yacoubian, Chicago et J’aurais voulu être égyptien (tous parus aux éditions Actes Sud), en présence de son traducteur, Gilles Gauthier, d’Hubert Nyssen, fondateur des éd. Actes Sud, Michel Parfenov, directeur des Lettres Russes aux éd. Actes Sud, et de Thierry Fabre, rédacteur en chef de la revue La Pensée de Midi. Le 10 mars à 18h30.

Cassis Itinérances littéraires - 04 96 12 43 42 La librairie Préambule reçoit Carole Martinez et Ingrid Thobois. Le 26 fév à 18h.

Itinérances littéraires – 04 96 12 43 42 L’Hôtel Voland reçoit Carole Martinez et Ingrid Thobois. Le 28 fév à 17h.

Marseille BMVR Alcazar – 04 91 55 56 34 Fébrige et troubaïres au temps de Mistral : exposition de photographies, journaux et éditions originales. Vitrines de l’allée centrale. Jusqu’au 14 mars. Les Jeudis du comptoir – 04 96 12 43 42 Rencontres littéraires radiophoniques en public : Et si on reparlait littérature ? Pascal Jourdana animera cette rencontre avec François Bégaudeau, en collaboration avec la librairie L’Attrape Mots. À la Caravelle, le 26 fév à 17h30. ABD Gaston Defferre – 04 91 08 61 00 Conférence de Dominique Guillaud sur Des hommes-plantes en Asie du Sud-Est insulaire, en lien avec l’exposition Des âmes en équilibre. Le 19 fév à 18h30 dans l’auditorium. Rencontre avec Alaa El Aswany, auteur de L’Immeuble Yacoubian, Chicago et J’aurais voulu être égyptien (tous parus aux éditions Actes Sud), en présence de son traducteur,

Gilles Gauthier, et de Thierry Fabre, rédacteur en chef de la revue La Pensée de Midi, qui animera la séance. Le 11 mars à 18h30. Des écrivains en dialogue : Alain Mabanckou et Leonoira Miano discuteront «Entre Lettres de rage et d’ironie». Le 17 mars. Institut culturel italien – 04 91 48 51 94 Repas futuriste, Ristorante Santo Food Turismo : Re-Load Futura invite le public à diner, avec, au programme, pieces de musique, projections videos, recital d’artistes italiens, allemands et français, tous unis contre la standisartion du goût. En collaboration avec le Grim et le Centre franco-allemand de Provence. À Montévidéo, le 21 fév à 20h30. Centre international de poésie – 04 91 91 26 45 Le Futur a 100 ans : exposition coordonnée par Jean-François Bory, présentant les travaux graphiques d’Ivan Messac consacrés au mouvement futuriste, ainsi que de nombreuses archives, documents et livres du Futurisme italien. Vernissage le 20 fév à partir de 18h30 en présence de l’artiste, suivi de lectures futuristes avec Véronique Durousseau, Ivan Messac et Nicolas Tardy. Itinérances littéraires - 04 96 12 43 42 La librairie Histoire de l’œil reçoit Carole Martinez et Ingrid Thobois. Le 27 fév à 19h.

Echange et diffusion des savoirs – 04 96 11 24 50 Apprendre à voir ensemble : Marie-José Mondzain, philosophe, développera sa réflexion sur les différents régimes de l’image, le 19 février à 18h45. Être adulte, pour une écologie des générations : conférence de Bernard Stiegler, philosophe et directeur du développement culturel du Centre Georges Pompidou. Crise intergénérationnelle, reconstruction de l’être adulte mis à mal par le système consumériste, reconstruction de la démocratie… tous ces thèmes seront abordés le 12 mars à 18h45. Hôtel du département. Espace Leclere – 04 91 50 00 00 Conférence de Jean-Robert Cain, directeur du patrimoine religieux de la Ville de Marseille sur Les orgues d’églises à Marseille, le 23 janvier à 18h.

Trets Voyons voir-Art et territoire – 04 42 61 48 19 Appel à projets destiné aux artistes visuels professionnels : 6 artistes seront sélectionnés et affectés à lieu de résidence selon leur capacité à répondre à ce nouvel environnement, à l’investir et à l’intégrer dans leur démarche. Dossier de candidature (25p, représentatif de la démarche et travail général de l’artiste) à envoyer avant le 27 février. Période des résidences de mai à juillet.


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LIVRES

LITTÉRATURE

Les âmes blessées Pour son cinquième opus, l’auteur et documentariste Xavier-Marie Bonnot a délaissé l’Écailler du Sud pour l’éditeur parisien Belfond, mais a gardé le goût du roman policier. Les âmes sans nom plongent le lecteur dans une enquête entre l’Irlande et Marseille, doublée d’une descente dans les entrailles du terrorisme. Le souffle court, on desserre la tension grâce aux descriptions naturalistes balayées par le vent des côtes irlandaises ou les embruns méditerranéens… Un roman policier et d’espionnage donc, sinueux par son découpage spatio-temporel, et complexe par ses multiples ramifications dans les milieux politiques et policiers. On en perdrait presque son franglais ! Mais l’auteur n’est pas un novice et offre une galerie de portraits convaincants -dont le héros De Palma dit le Baron, «un flic à l’ancienne, un matador qui passe les bornes»- grâce à des fondations en béton : travail documentaire et historique fouillé, écriture nerveuse et

dialogues au vocabulaire imagé, intrigues et meurtres à répétition qui laissent peu de répit. D’autant que la connexion entre les secousses politiques, les réseaux anti-terroristes et la presse semble un gage de succès, au vu de la tornade provoquée par la trilogie de Stieg Larsson… Dès les premières pages, Xavier-Marie Bonnot plante le décor (Marsiho, Dublin, Belfast, la Bretagne), l’époque (années 80 et aujourd’hui) et les personnages (Barbara, Sean, Anne, Quéré, Martel…). Et c’est là que la lecture se complique, car les «âmes sans nom» se multiplient comme des petits pains avec moult pseudonymes et autres patronymes de guerre. On serait tenté de dessiner soi-même un arbre généalogique, histoire de ne pas perdre le fil de l’enquête, et de poursuivre avec l’auteur une réflexion plus large sur la notion de résistance à l’ennemi. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Les âmes sans nom Xavier-Marie Bonnot Ed. Belfond, 20 euros

Au fil de Belsunce De son séjour à Marseille, Nathalie Bontemps semble avoir gardé la nostalgie de ce quartier populaire qui s’étend sous la gare Saint-Charles et abrite toujours, malgré travaux et réhabilitations, nombre de petits hôtels meublés et d’immeubles autrefois prestigieux, aujourd’hui décatis. Elle réside actuellement à Damas, où l’ont conduite ses études et son travail de traductrice de l’arabe ; mais son Hôtel Coup de soleil et autres récits de Belsunce rappelle son passage dans le quartier, son observation minutieuse, amusée et émue des choses et des gens ; de ces lieux et de ces gens modestes, à peine visibles parfois, dont on parle si peu, qu’on ignore et méprise le plus souvent, qui fondent pourtant l’humanité de ce carrefour des migrants, des touristes et des simples passants. De ses souvenirs, de ses promenades est née cette chronique charmante d’un hôtel et de son patron,

Monsieur Enervé, sorte de monarque analphabète, intransigeant et magnanime à la fois. De courts chapitres égrènent les temps forts d’une existence de labeur, de tracasseries administratives, de soucis de santé, mais également d’amitié, de discussions et de cafés dans la cuisine, avec les vieux amis ou les touristes de passage. Ces textes brefs et poétiques tissent en filigrane le roman d’une vie, empreinte de générosité, de tolérance. Malgré l’exiguïté des chambres, malgré la modestie des lieux, à Belsunce, n’en déplaise aux esprits chagrins, on vit, on vibre, on aime… sous l’œil bienveillant de la Vierge au coin de la rue. FRED ROBERT

Hôtel Coup de soleil et autres récits de Belsunce Nathalie Bontemps illustration de couverture : Kamel Khelif éditions P’tits Papiers, 12 euros.

C’est beau une usine la nuit Ouais, mais c’est dur d’y travailler, parfois même le dimanche, de se lever à 4 heures du mat’, d’attendre les licenciements, les fermetures de sites, l’accident grave aussi. Les angoisses, les frustrations, l’«aliénation du travail salarié», Jean-Pierre Levaray connaît bien: depuis plus de 30 ans, il est ouvrier de fabrication dans une usine de produits chimiques près de Rouen. Lorsque l’usine AZT, classée Seveso comme celle où il travaille, a explosé à Toulouse, il n’a plus hésité, il s’est mis à écrire. Cela a donné Putain d’usine, paru en 2002, récit sans concession d’une «vie déjà si courte et que le taf grignote doucement.» Aujourd’hui, c’est l’adaptation en bande dessinée de ce roman qui a été sélectionnée pour le Prix des Lycéens et Apprentis de la région PACA. Aux mots de Levaray se sont ajoutés les dessins noir et blanc d’Efix, au fil d’une longue et fructueuse collaboration, malgré la distance, entre le scénariste et

le dessinateur qui a lui-même connu ce genre de travail et s’en déclare marqué à jamais. À l’arrivée, un roman graphique dense, sauvage, de 120 pages et 17 chapitres, où défilent les temps forts, souvent terribles, de la vie à l’usine. Si la couverture de l’album reflète la sombre beauté de l’usine la nuit, c’est nettement la violence, la dureté des conditions de travail, l’âpreté des rapports avec la direction qui dominent dans les vignettes inspirées des photos de Levaray. Ombres et contrejours, vues d’ensemble de la machine broyeuse d’humanité, gros plans sur les cernes des yeux fatigués, les échappées dans le clair restent rares. La falaise blanche d’Etretat, c’est pour les autres. Belle réussite donc pour cette adaptation, où le trait nerveux et efficace de l’un a su rendre l’univers désespéré et pourtant combatif de l’autre. FRED ROBERT

Putain d’usine texte de J.-P. Levaray, dessins d’Efix éditions Petit à petit, 12,90 euros


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Voies sans issue Comment vivre et mourir à bas bruit ? L’époque n’est certes pas propice au rêve. Tout juste si on parvient à vivoter et encore sans trop faire de vagues, sans avoir trop de prétention à être. Quatre personnages vont en faire la démonstration. Chacun dans un domaine différent : Vincent, cadre déglingué de moins en moins performant ; Elisabeth, vieille mère indigne qui se laisse pourrir dans un mouroir ; Jeanne, prise au piège d’une famille pathologique, et enfin Anatole, personnage emblématique de tous les réfugiés, de tous les persécutés du monde. Le combat sera rude et il se termine parfois mal. Mais c’est la vie. La vie moderne pour le cadre sans dynamisme, la vie tout court pour les autres. La structure narrative entremêle les différents récits sans que, finalement, ce choix ne se justifie ; quatre nouvelles auraient pu constituer un recueil et créer un système d’échos, peut-être plus solides à distance que juxtaposés en tranches. Mais l’écriture est travaillée, riche d’images fortes : «Aujourd’hui je n’ai plus rien. À qui vais-je proposer de venir s’asseoir aujourd’hui à ma table, moi qui ne possède rien d’autre que des visages morts dans la poche intérieure de

mon pardessus…» Toutes évoquent le vide, la déréliction, la désagrégation de l’être, toujours par l’intérieur, comme cet homme qui constate : «Je me défais comme une pelote de laine.» Et tout l’art de Frédérique Clémençon consiste à créer avec ce qui se détruit. Peut-être est-ce pour cela qu’elle tisse entre eux ses récits ? SYLVIA GOURION

Traques Frédérique Clémençon Editions de l’Olivier, 16 euro

Histoires de solitude et d’allégresse L’écriture d’un recueil de nouvelles est un exercice périlleux : s’il faut des idées, originales de préférence pour assurer la fameuse «chute finale», le style n’est pour autant pas à négliger. Donc, pour être un bon nouvelliste, talent littéraire et imagination doivent se fondre harmonieusement. De plus, la brièveté exigée par ce type de texte demande une précision de vocabulaire, une finesse dans la narration et un sens du rythme que bien peu parviennent à doser. L’imagination ne manque pas à Stefano Benni. À partir de situations modernes, il est capable d’entraîner le lecteur à la limite des territoires fantastiques ; qu’est-ce qui pousse le chien Boomerang à rejoindre son maître quelle que soit la distance que ce dernier met entre eux ? Un amour dévoué ou une volonté de persécution ? Mieux encore, on part d’un personnage surnaturel : une jeune sorcière de huit ans, promise à un mariage avec Belzébuth luimême se transforme, après une série de désillusions, en une jeune femme qui conclut, pragmatique : «Je n’ai pas fait la connaissance du diable, mais je suis déjà sortie avec un électricien, un employé de banque blond et un joueur de volley.» D’autres nouvelles sont poétiques, cyniques ou désopilantes. L’écrivain dispose

de plusieurs registres dont il joue en maître. Les styles sont tout autant travaillés, en adéquation parfaite, chaque fois, avec le sujet. Un recueil de belle facture qui réjouira les amateurs de belles histoires bien racontées. SYLVIA GOURION

La grammaire de Dieu Stefano Benni Traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli Actes Sud, 21,80 euros

Survivant malgré tout Le village de l’allemand ou le journal des frères Schiller a fait couler beaucoup d’encre depuis sa sortie en janvier. Il y est question de culpabilité et de filiation. Est-on responsable des crimes de ses parents, doit-on en payer la dette ? L’Islamisme a-t-il des racines dans les violences des Nazis ? Boualem Sansal ne tranche pas, mais écrit un magnifique pamphlet contre le mensonge, un roman qui fustige tous ceux qui pensent qu’on peut réparer en oubliant. Deux frères sont arrivés jeunes en France pour y faire leurs études. Le père allemand et la mère algérienne sont restés au village, près de Sétif, de sinistre mémoire. L’ainé, Rachel, a réussi : marié, cadre, bagnole, carte de crédit : vie de «papier musique». Malrich, lui, a 17 ans, banlieusard, apprenti mécano, copains de galère. Deux mondes parallèles. Le 25 avril 1994 tout bascule : une nouvelle boucherie en Algérie a tué leurs parents. Rachel décide d’aller làbas, pour faire son deuil, sans rien dire à personne. Il va découvrir le passé soigneusement caché de son père : criminel de guerre nazi, responsable de la mort atroce de milliers de gens ! À partir de ce jour Rachel parcourt l’Europe sur ses traces ; il perd l’appétit, sa femme, son boulot, et endosse la culpabilité des crimes à la place de son père. Il lit tout ce qu’il trouve sur le nazisme et la Shoah, va visiter tous les camps de la mort. Il consigne ses étâts d’âme, son écœurement dans un journal que son jeune frère recevra en héritage après son suicide. Le livre se compose des voix des 2 frères qui se parlent

au-delà de la mort par journal interposé. Le journal de Rachel ouvre les yeux de Malrich, lui donne une conscience politique en éveillant un sentiment de révolte et une envie de lutter contre l’islamisme qu’il associe au nazisme : «C’était du pareil au même.» Il part lui aussi en Algérie retrouver ses amis d’enfance, prendre en compte tout le lourd passé de sa famille, pour enfin tenter de vivre, sans aveuglement, sans déracinement, sans dénégation, comme un homme. CHRIS BOURGUE

Le Village de l’Allemand Boulem Sansal Gallimard, 17 euros


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LIVRES

LITTÉRATURE

Naissance aux Enfers Directeur de publication à l’Indian Express, Raj Kamal Jha a été témoin des violences interethniques perpétrées dans l’État du Gujarat en février 2002. Il en rappelle le lourd bilan en postface de ce livre. C’est pourtant par le biais de la fiction qu’il a choisi de revenir sur cet épisode traumatisant pour le pays tout entier. Fireproof, joliment traduit par Et les morts nous abandonnent, est son 3e roman, paru en 2006 et tout récemment édité dans la série Lettres indiennes d’Actes Sud. L’action se situe à Ahmedabad, dans le quartier résidentiel de Gulbarga, où eut lieu l’un des nombreux massacres de représailles qui firent plus de 1000 victimes, après la mort de 59 hindous dans un train attaqué par des musulmans. Dans ce cadre véridique, au cœur des incendies meurtriers et de la folie vengeresse, s’enchaînent les 3 actes d’une pièce étrange, «cette nuit-là», «le jour d’après», «la nuit d’après», qui mêlent le réalisme le plus cru à un surnaturel où le nonsense va de pair avec le macabre.

Carroll mâtiné de Lewis. Après tout, why not ? Dans une cité livrée aux flammes, à la fureur et aux agonies les plus atroces, quand les cadavres tombent du ciel, on ne s’étonne de rien. Le narrateur, Mr Jay, vit ainsi une sorte de cauchemar éveillé, de la naissance d’un enfant monstrueux à une infernale odyssée. Au long de son errance, sous diverses formes, les morts parlent, témoignant des horreurs subies. Et au bout du chemin, tout s’éclaire pour Jay, et pour le lecteur qui comprend la «morale de l’histoire». Une fable fantastique et brillante, à la forme complexe et aux personnages originaux, pour que justice soit rendue, que les vivants assument leurs actes et que les morts enfin les abandonnent. FRED ROBERT

Et les morts nous abandonnent Raj Kamal Jha traduit de l’anglais (Inde) par Alain Porte Éditions Actes Sud, 25 euros.

Dans l’entre-deux, l’Arbre de Mer C’est un tout petit livre, tout fin, tout mince, pour des éditions qui semblent taillées juste pour lui, P’tits papiers… L’écriture en est légère, avec la simplicité des évidences, la beauté des jours, pas des grands jours, du quotidien, avec des personnages si transparents dans la vie normale, si héroïques et sensibles, si grands et humains dans ce texte poétique, à l’instar du Petit Prince. Est-ce parce qu’il est composé pour être dit sur scène ? La seule version écrite déjà nous parle, murmure, fredonne, rit, danse à nos oreilles. La naissance du quartier du Panier redevient légende, avec ses habitants qui viennent de tous les bords de la Méditerranée. Kaléidoscope sensible et tendre, le conte voyage, et c’est d’un vol merveilleux que la grue nous emporte jusqu’à l’Arbre de Mer. Ce conte moderne nous entraîne vers les autres, invite à la compréhension des êtres au-delà de leurs origines.

Richesse des cultures mêlées !… Un bel hommage à la vie, qui palpite encore plus riche de tout ce qui la tisse. À lire, à écouter, à transmettre, absolument ! Et à retrouver sur scène : Stéfanie James est aussi une conteuse de grand talent, subtile et forte, qui sait avec Samuel Barroo et Saleha Moudjari donner corps à ses contes… MARYVONNE COLOMBANI

Entre deux rives Stéfanie James P’tits Papiers, 10 euros

Polar et politique étrangère Il y a de nombreux polars qui flirtent avec les scandales financiers. L’exploitation de l’Afrique par des barbouzes sans scrupules, des trafics d’armes, des fausses factures, des actions humanitaires qui ne sont que des couvertures, grugeant à qui mieux mieux les populations… Nous retrouvons tout cela dans nos quotidiens, et le cinéma s’empare de ces thèmes, «toute ressemblance…» ne serait que fortuite et involontaire… C’est l’impression que l’on retrouve en lisant ce roman, bien écrit, qui jongle entre les voix, les points de vue, les registres. L’action débute en Ouganda, un homme fuit, poursuivi, on ne sait pourquoi… puis, rupture, c’est en Corse qu’un crime est commis. Un commissaire de Marseille, Etienne Gouirand, est mis sur l’enquête, il s’agit de la mort de son meilleur ami. Ses investigations le conduiront en

Corse bien sûr, (le chapitre consacré à l’historique des mouvements indépendantiste est remarquable), puis en Afrique. L’affaire est énorme… Y aura-t-il justice, la raison d’État sera-t-elle supérieure ? Un très beau roman, ancré dans les problèmes contemporains, et vraisemblable au plus haut point ! Nicolas Michel, un nom à retenir ! M.C.

Corsika Nicolas Michel éditions Buchet Chastel, 18 euros


ARTS

LIVRES

Faire un film Le 16 septembre 2004, au cinéma le Panthéon, à Paris, Jacques Mandelbaum, critique au Monde, assiste à la projection du film d’Arnaud des Pallières, Adieu. C’est là qu’après un entretien avec le cinéaste il décide de l’accompagner dans la préparation de son nouveau film, Parc. L’entreprise sera longue, difficile et éprouvante. Il s’agit de l’adaptation du roman de John Cheever, Les Lumières de Bullet Park. Le film (voir Zib 15) ne sortira qu’en 2009. À travers la chronique de Mandelbaum, le lecteur suivra pas à pas le parcours semé d’embûches d’un réalisateur indépendant et exigeant ; il apprendra comment les efforts du producteur sont mis à mal par les obstacles que dressent les agents des acteurs, les responsables des chaînes de télévision ou de festivals ; comment la défection de membres de l’équipe de tournage peut tourner au tragique et laisser de lourdes cicatrices ; comment le cinéma d’auteur doit gérer sans cesse le désir et le réel:

«Nous avions rêvé d’un film et nous n’avons pas pu ou voulu voir que nous n’avions pas les moyens de réaliser ce rêve (…) le film s’est pulvérisé sur le mur de cette réalité» constate amèrement Arnaud des Pallières. Et pourtant, en mai 2008, Parc est achevé ; malgré les espoirs du réalisateur et du producteur, Serge Lalou, il n’ira ni à Cannes, ni à Venise ! L’Anatomie d’un film nous permet de passer de l’autre côté de l’écran et de comprendre comment le cinéma est un art, comment par ailleurs c’est aussi une industrie… Parc est sorti sur les écrans le 14 janvier… et n’est plus projeté que dans sept lieux en France, preuve de l’inefficacité paradoxale d’un système de distribution qui, en les privant d’une véritable exploitation, condamne certains films aux oubliettes faute de salles. ANNIE GAVA

Anatomie d’un film Jacques Mandelbaum Ed Grasset, 17,90 euros

Autobilan Cet imposant ouvrage compile les projets menés par le Bureau des Compétences et Désirs (BCD), structure de production et de diffusion d’art contemporain, installée à Marseille depuis 1994. Ce sont donc 65 projets classés par ordre alphabétique faisant l’objet de présentations spécifiques, déclaration d’intentions d’artistes ou des organisateurs (Sylvie Amar, Yannick Gonzalez), extraits de conversation et interviews. Constituée d’une notice, de documents et photographies situant les intentions, les artistes et les démarches, les commanditaires et partenaires impliqués, une chronologie situe l’ensemble sur les quatorze années. On découvre ainsi la multiplicité des propositions initiées par le BCD et des domaines d’investigation de l’art contemporain dans le champ

sociétal, comme la diversité des publics concernés. L’ouvrage est préfacé par un complice de la première heure, Chris Dercon, directeur de la Haus der Kunst de Munich, suivi d’une présentation en forme d’inventaire thématique de Baptiste Lanaspeze ; puis d’un entretien (dont on ne connaît pas le contradicteur) avec les fondateurs du BCD qui expliquent leur démarche et leurs choix en regard des modalités d’intervention dans le domaine de l’art contemporain. Et analysent la scène marseillaise en particulier. CLAUDE LORIN

(à) partir de Marseille 65 projets d’art contemporain édition bilingue français/anglais 256 p. 379 ill. coul, 79 ill. n&b Édition Les Presses du Réel, 23 euros

L’artiste premier savant En observant de très près les œuvres visuelles des XIVe et XVe siècle resituées dans la pensée qui les a produites, Nadeije Laneyrie-Dagen renouvelle notre regard de manière éblouissante et simple (voir p 49). À partir de la théorie médiévale des quatre éléments, évitant l’approche formelle ou stylistique par trop réductrice, l’auteur focalise notre attention sur nombre de détails qui construisent les images d’une nouvelle posture esthétique fondée sur l’observation de la nature. La symbolique théologique (l’or ou le lapis-lazuli pour le ciel…) laisse peu à peu place à la représentation réaliste et individualisée des choses (on reconnaît un cumulus dans l’azur, la figuration de la terre devient géologique…). Vinci ou Dürer n’inventent pas la nature -contrairement à ce que le titre laisse supposer- mais en montrent désormais les phénomènes : c’est l’avènement de l’homme moderne, et l’artiste en serait la première expression savante !

En conclusion l’auteur montre de manière inattendue que ces approches renouvelées ont leur prolongement dans les préoccupations actuelles pour notre environnement et son devenir. Il n’y aurait pas tant d’écart dans les mentalités entre la pré-renaissance et notre post-modernité. Ce travail fin d’explicitation est conforté par une riche iconographie, présente à chaque page. Ce qui en fait un beau livre en tous points. Les étudiants en art devront cependant le consulter en bibliothèque, étant donné son prix ! CLAUDE LORIN

L’Invention de la nature Nadeije Laneyrie-Dagen 256 p. 200 ill.coul. Editions Flammarion, 75 euros

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LIVRES

ARTS

Romantische Musik La musique allemande romantique se trouve être très souvent le pilier des programmes de concerts du monde entier : des grandes symphonies et concertos de Beethoven ou Brahms, du piano de Schumann à la musique de chambre de Mendelssohn… sans compter les grandes fresques sacrées comme la Missa Solemnis ou le Requiem allemand, le Lied ou l’opéra qui trace sa route du Freischütz de Weber au Ring wagnérien… C’est une montagne, tout un pan de la culture européenne, dont les concepts nationaux (celui de l’«âme allemande» en particulier) ont été parfois récupérés à des fins douteuses. Brigitte François-Sappey s’affranchit de l’écueil, sans l’occulter, replace la musique dans ses contextes historique, littéraire hérité de Goethe, philosophique, pictural… en partant de l’idée nietzschéenne que le romantisme «n’est arrivé au but que sous forme de musique».

Ce livre est une mine, une somme dans laquelle l’amateur trouve, classés par genre (symphonie, concerto, opéra…), l’essentiel des grands opus du répertoire, analysés, commentés avec toute la science de l’auteur. De surcroît, à côté des monuments cités plus haut, le XIXe siècle germanique fourmille de compositeurs qui ne sont ni négligeables, ni négligés dans l’ouvrage, comme Spohr, Loewe, Ries, Moscheles, Joachim, Hiller, Lortzing, Cornelius, Humperdinck… JACQUES FRESCHEL

La musique dans l’Allemagne romantique Brigitte François-Sappey éditions Fayard, 35 euros

Un bout d’histoire Les Jamaïcains restent surpris «d’entendre parler en France de musique roots pour ce qu’ils définissent eux comme du reggae», observait récemment le chanteur Alborosie. Le terroir musical de cette île repose sur les rythmes mento et ska mais les ouvrages de référence survolent trop souvent ces racines. L’auteur nous en propose une relecture aboutie à grands renforts de citations, et décrit ici les balbutiements d’une industrie locale qui deviendra vite planétaire… 25 ans d’histoire, du Island in the sun de Harry Belafonte, qui inspira Chris Blackwell pour nommer son label, à la fausse idée que le ska s’est répandu dans la liesse de l’indépendance de 1962. Témoignant d’un travail documentaire, presque scolaire parfois quand il cite son environnement politique, le livre de Jérémie Kroubo Dagnini apprend à discerner les genres : calypso et mento, rock steady et skinhead reggae.

Mais cette synthèse n’est pas suffisante si l’on veut par exemple comprendre le clivage entre quartiers est et ouest de Kingston, à l’origine du reggae roots ! Aucune nouvelle réponse à cette histoire orale sans doute déjà trop ancienne pour être précise, aucune mention de Winston Grennan, Justin Yap, les Tennors, au fameux «ska-lipso» de Count Owen ou à la mort «prédestinée» de Leslie Kong. Ceux-là semblent avoir disparu des ouvrages sur le reggae et après une telle étude «half the story has been told», seule une partie de l’histoire a été écrite… X-RAY

Les origines du reggae Jérémie Kroubo Dagnini Ed. l’Harmattan, 24 euros

Abbé métalleux ! Le monde de la musique métal et celui de la religion, en particulier le christianisme, sont des univers que tout semble opposer : plusieurs essais émanant de l’église ont diabolisé le métal. L’abbé Robert Culat, auteur du livre L’âge du métal paru aux éditions Camion Blanc, apporte quelque chose de nouveau malgré sa condition de prêtre. Il essaie de montrer avec une étude statistique et sociologique (questionnaires diffusés auprès des métalleux français avec analyse en 1re partie) que tous les clichés véhiculés par ces deux sphères ne sont pas forcément justes (annexes rédigées par différents auteurs experts en 2de partie). Robert Culat s’immerge dans le monde des métalleux et étudie de près leurs comportements et leur musique, jusqu’à en devenir fan ! Le métal est souvent associé au satanisme et à l’anti-christianisme. Or c’est une musique pleine de variété et les textes, loin d’être tous liés au satanisme, sont d’ordre philosophique,

ésotérique, historique ou fantastique… En découle une description très précise de l’univers métal français, une typologie du métalleux (âge, sexe, look, religion…), une identification précise des styles (heavy, dark, death, black, hardcore, doom) et les éventuels pièges à éviter (préjugés, amalgames et sectorisation). Certes les métalleux sont généralement agnostiques ou athées, mais il existe même une minorité de croyants. Et ils ont, dans leur ensemble, plébiscité cet essai et comptent désormais parmi les «fans» de l’abbé! Preuve que le métal est une mystique ? SONIA ISOLETTA

L’Âge du métal Robert Culat Éditions Camion Blanc, 520 pages, 30 euros


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Architectes de demain L’architecture permet l’évasion par les livres et ce n’est pas la publication de Neil Spiller qui fera prétendre le contraire ! Cybrid(s) - Architectures Virtuelles nous emmène dans un voyage entre onirisme, poésie et innovations technologiques. L’architecture virtuelle est un monde infini où les créations les plus folles et les plus visionnaires sollicitent le concours de l’infographie numérique architecturale. Les travaux sélectionnés dans cette monographie conséquente illustrent les préoccupations et les ambitions actuelles de ceux que nous pouvons appeler créateurs d’architectures. L’infographie est en perpétuelle mutation, et lorsqu’elle se met au service de l’imaginaire du créateur, elle donne naissance à une alliance démesurée, que ce soit pour l’Auditorium de Beukenhof aux Pays-Bas par l’agence Asymptote ou la Maison cellulaire de Los Angeles par l’agence Emergent, pour ne citer qu’eux. La nouvelle génération d’architectes travaillant avec les outils numériques, dans les univers hybrides et le cyberespace, fait l’objet avec ce livre d’un véritable état des lieux de sa condition actuelle, mais également de projections quant à son futur. Ce très bel ouvrage aux illustrations de qualité supérieure donne un aperçu complet de ce nouveau monde sans limite. FRÉDÉRIC ISOLETTA

Cybrid(s) Architectures virtuelles Neil Spiller Ed. Parenthèses, 400p., 52 euros

Économie et enseignement La démocratisation scolaire a-t-elle été un succès ? Dans La nouvelle question scolaire, c’est la question que pose Éric Maurin, économiste à l’EHESS et déjà auteur de l’excellent Le Ghetto français Oui, nous répond-il. Le problème tourne autour d’une question simple : à quoi sert l’école ? Deux points de vue s’opposent en économie sur ce sujet. Pour la théorie du capital humain, l’école forme des individus et les rend plus productifs. Pour la théorie du signal, l’école n’a pour fonction que de trier les plus talentueux, leur permettant, au travers de filtres divers, de signaler leurs qualités. Dans les deux cas, des études plus longues ouvrent des perspectives plus réjouissantes en termes de salaires et d’emploi. Néanmoins, la théorie du capital humain fait de l’éducation une activité utile individuellement et socialement (en élevant le niveau général de compétence), alors que la théorie du signal assimile les études à une course de rats source de gaspillage pour la société, les positions relatives restant les mêmes à l’arrivée. Cette hypothèse a le vent en poupe : «baisse du niveau» et braderie des diplômes qui ne créent que déclassement et frustrations en seraient la preuve. Éric Maurin avance pourtant que la démocratisation scolaire a été un bon investissement ! Il compare les performances des pays conservant des systèmes élitistes (orientation précoce des moins doués et filières restreintes pour les autres, voir l’Allemagne ou l’Autriche) à ceux qui ont démocratisé (la France en étant un bon exemple avec son collège unique). Sa conclusion est que les seconds font mieux que les premiers en termes de niveau global des élèves. Et d’autre part, l’étude des transitions dans le temps d’un système élitiste à un système démocratisé met en évidence des gains significatifs !

sur les nouveaux défis et esquisse les pistes d’une poursuite renouvelée de la démocratisation. Le livre de Maurin est remarquable parce qu’il mobilise tous les travaux importants de l’analyse économique et de l’économétrie de l’éducation dans un langage accessible, sur un sujet trop souvent traité sur le mode de l’approximation, de l’anecdote ou de l’invective. Et même si l’auteur laisse de côté certains points intéressants et trahit parfois des préférences personnelles, l’ensemble est un modèle d’honnêteté intellectuelle, dans la mesure où Éric Maurin est toujours prudent sur la portée des travaux qui vont dans son sens. Last but not least, ce travail est probablement, à ce jour, le plus fourni sur le sujet en France ! STÉPHANE MÉNIA

Investir dans l’étude… La seconde partie de la démonstration repose sur l’analyse des trajectoires générationnelles. Elle montre que l’accroissement du niveau général d’études a eu un effet réel sur les élèves qui en ont bénéficié, aussi bien en termes de salaires que de protection contre la précarité. Et la dernière partie de l’ouvrage se penche

La nouvelle question scolaire : les bénéfices de la démocratisation Éric Maurin Points Seuil, 8 euros


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LIVRES

PHILOSOPHIE

Le pouvoir des Fables Une petite anthologie rigolote et rigoureuse ça fait toujours du bien en philosophie. Celle-ci en plus est à deux euros, qui dit mieux ! Ce sont seize textes qui vont piquer chez les grands auteurs des passages où ils se laissent aller enfin à des exemples concrets : quand la philosophie fait l’épreuve du concret, de l’anecdote. Ainsi Descartes doit-il recourir au panier de pommes dans sa «réponse aux 7e objections» des Méditations pour faire comprendre sa méthode. Le geste philosophique inaugural de la pensée rejette les idées mortes pour se vider la tête comme on ferait avec un panier de pommes susceptibles d’en contenir quelques-unes pourries, et éviter ainsi que celles-ci ne corrompent les pommes saines. Plus classique sera le choix du mythe de Prométhée dans le Protagoras de Platon ; l’occasion de rappeler les qualités individuelles de l’homme que lui apporte Prométhée avec la technique, et celles collectives apportées in extremis par Hermès sur mandat salvateur de Zeus : la politique, afin que l’espèce ne disparaisse pas. À ce texte pourrait répondre, plus loin dans l’anthologie, l’extrait du De cive de Hobbes où il est question de la moquerie : le rire signifie bien que les hommes se plaisent à la vie en société, sans laquelle il n’y aurait pas de railleries ; or, ce plaisir de la compagnie est pour lui le ferment de la compétition,

et par-là de la division, de la violence et du conflit ; d’où la guerre de tous contre tous. Autre réponse violente à Platon est le texte de l’Ethique à Nicomaque par la patiente distinction d’Aristote entre l’action volontaire et de l’action involontaire ; cette distinction doit se référer au moment où elle s’accomplit et il est illusoire de vouloir définir la vertu en soi comme le fait Platon. Jeter sa cargaison pardessus bord en cas de tempête : l’anecdote d’Aristote montre le véritable coup de théâtre du temps, qui réfute l’idéalisme platonicien. Toujours contre Platon, mais rien ne se fait sans lui, le rappel des provocations individualistes de Diogène rejetant toute contrainte sociale : se masturbant en public il se disait qu’il serait aussi bon de se faire passer la faim en se frottant le ventre à terre ! Dans le même genre intempestif est le poème de Lucrèce sur l’amour dans un passage du De natura : le jaloux ne perçoit pas les choses pour elles-mêmes mais les métamorphose en autant d’indices possibles. Et de conclure par le non moins intéressant Proust et les signes de Deleuze, qui définit la philosophie comme aventure de l’involontaire…

Si la philosophie m’était contée présenté par Guillaume Pigeard de Gurbert Librio, 2 euros

REGIS VLACHOS

Émancipation subtile Cette dernière publication de Rancière est réjouissante et stimulante. Réjouissante est la forme, l’écriture claire et percutante sur des questions complexes et risquées ; et stimulante la pensée qui ne s’abandonne pas à la morosité des retournements de vestes ou des fatalités du monde Cette pensée politique de l’émancipation se dresse sur le terrain de la pédagogie afin de bouleverser les conceptions communes de l’enseignement. Le maître doit-il toujours creuser l’écart entre lui et ceux qu’il enseigne ? L’apprenant doit toujours être dans une situation de savoir qu’il ne sait pas ? C’est la conception classique de la pédagogie, que Rancière remet en cause : «La distance que l’ignorant a à franchir n’est pas le gouffre entre son ignorance et le savoir du maître. Elle est simplement le chemin de ce qu’il sait déjà à ce qu’il ignore encore, mais qu’il peut apprendre comme il a appris le reste, qu’il peut apprendre non pour occuper la position du savant mais pour mieux pratiquer l’art de traduire, de mettre ses expériences en mots et ses mots à l’épreuve, de traduire ses aventures intellectuelles à l’usage des autres et de contre traduire les traductions qu’ils lui présentent de leurs propres aventures. Le maître ignorant […] s’appelle ainsi non parce qu’il ne sait rien, mais parce qu’il a dissocié sa maîtrise de son savoir. Il n’apprend pas à ses élèves son savoir, il leur commande de s’aventurer dans la forêt des choses et des signes…» Les propos de Rancière s’articulent à une conception

de la politique entendue ici comme art du vivre ensemble, et visent à dépasser la pensée émancipatrice classique. Celle-ci analyse l’enseignement comme une relation de celui qui connaît les rapports de domination vers celui à qu’il faut les montrer, et qui vit dans une situation d’aliénation. Rancière explique qu’il y a un savoir de l’aliéné qui n’est pas réductible aux schémas dominants… Cette pensée pédagogique politique est également articulée à une pensée de l’art ; la condamnation platonicienne de l’art souligne le paradoxe du spectateur, nécessaire au spectacle mais envisagé dans une situation de servilité intellectuelle : regarder n’est ni connaître ni agir… La question du spectateur rejoint donc celle de l’enseigné, et sous-tend celle d’un artiste «ignorant» qui seul ouvrirait des portes… REGIS VLACHOS

Le spectateur émancipé Jacques Rancière La Fabrique, 13 euros


MICHEL FOUCAULT Dès le tome 1 de L’Histoire de la sexualité, «la volonté de savoir», Foucault nous prenait déjà à contre-pied : allait-il faire l’histoire de «l’hypothèse répressive» qui pèse sur le sexe dans notre monde judéo-chrétien ? Cela aurait été trop simple pour ce grand intempestif : déjà parce que c’est un leurre de faire de l’interdit du sexe «l’élément fondamental et constituant à partir duquel on pourrait écrire l’histoire de ce qui a été dit à propos du sexe à partir de l’époque moderne.» Deuxième contre-pied quant à l’idée de répression que l’on fait reposer traditionnellement sur un pouvoir institutionnel : pour Foucault le pouvoir réside dans les moindres interstices du champ social, des rapports humains : «et c’est de cette image qu’il faut s’affranchir, c’est-à-dire du privilège de la loi et de la souveraineté, si on veut faire une analyse du pouvoir dans le jeu concret et historique de ses procédés.» Car cette Histoire de la sexualité fait l’historique du lien noué entre l’obligation de dire la vérité et les interdits qui pèsent sur la sexualité : Foucault plongera dans ces trois tomes aux origines de la pensée grecque et romaine, afin de voir comment les hommes élaborent un savoir sur eux-mêmes. Là aussi le philosophe bouleverse le fameux «connais-toi toi-même» (gnothi seauton) qui a été paradoxalement saisi dans notre morale comme un moyen de renoncer à soi : puisque notre tradition séculaire a toujours vu dans la loi extérieure le fondement de la morale (et du pouvoir), Foucault s’intéressera lui à l’epimeleisthai sautou, qui est le souci de soi. Joli défi de se demander comment le respect qu’on se porte à soi-même peut être la base de notre morale. Réflexion sur le pouvoir et condition de production des discours -qui induisent ce que les hommes pensent et font à une époque donnée-, tels sont les maîtres concepts de la recherche foucaldienne. Plus généralement, Foucault interroge la notion de vérité, qui n’est plus l’adéquation du discours et de son objet, l’objet n’étant pas séparé des cadres dans lesquels nous le connaissons. Dans Nietzsche, la généalogie, l’histoire Foucault critique l’explication causale dont pour lui les historiens ont la superstition: «il faut séparer la singularité des évènements de toute singularité monotone […] nous pensons les choses humaines à travers des idées générales que nous croyons adéquates, alors que rien d’humain n’est adéquat.» Ce travail conduit à démonter l’idée même du cogito qui affirme pouvoir

PHILOSOPHIE

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Viennent de sortir les deux derniers volumes de cours de Foucault au collège de France qui éclairent l’œuvre qu’il laissa avant de mourir : les trois tomes de l’histoire de la sexualité

Le sexe, le pouvoir, le cogito rapporter toute chose à un état de conscience. D’ailleurs son ouvrage le plus célèbre, Les mots et les choses, sera une attaque contre la phénoménologie : il y a pour lui une irréductibilité totale entre l’être et le je pense: «aussitôt, en effet, que le Je pense s’est montré engagé dans toute une épaisseur où il est quasi présent, qu’il anime mais sur le mode ambigu d’une veille sommeillante, il n’est plus possible d’en faire suivre l’affirmation que Je suis.» (Les mots et les choses). Ainsi son travail met en lumière le fait que l’histoire des idées est loin de la philosophie : un règlement administratif est parfois plus révélateur que le Discours de la méthode ! À une origine transcendantale de la pensée selon Kant et Husserl, Foucault oppose une origine empirique et contextuelle : le discours n’est pas soutenu par la conscience mais par les classes sociales, les intérêts économiques, les normes les institutions et règlements. Il aurait rajouté l’habitus aussi, s’il avait lu Bourdieu. Un humanisme est néanmoins possible qui fait l’économie des insoutenables idées de nature humaine et de privilège de la conscience, qui nous empêchent de voir jusqu’où il est possible de penser autrement. RÉGIS VLACHOS

«Puis-je dire, en effet, que je suis ce langage que je parle et où ma pensée se glisse au point de trouver en lui le système de toutes ses possibilités propres, mais qui n’existe pourtant que dans la lourdeur de sédimentations qu’elle ne sera jamais capable d’actualiser entièrement ? Puis-je dire que je suis ce travail que je fais de mes mains, mais qui m’échappe non seulement lorsque je l’ai fini, mais avant même que je l’aie entamé ? Puis-je dire que je suis cette vie que je sens au fond de moi, mais qui m’enveloppe à la fois par le temps formidable qu’elle pousse avec soi et qui me juche un instant sur sa crête, mais aussi par le temps imminent qui me prescrit ma mort ? Je peux dire aussi bien que je suis et que je ne suis pas tout cela ; le cogito ne conduit pas à une affirmation d’être, mais il ouvre justement sur toute une série d’interrogations où il est question de l’être.» (Les mots et les choses).


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PHILOSOPHIE

LE BONHEUR

Comment être heureux ?

l’épicurien ; beau contresens quand on se rappelle le plaisir pour Epicure, un verre d’eau et deux olives : il faut prendre du plaisir à ce que je peux toujours avoir, se contenter de ce que l’on a ; et puis exercer son âme à ne pas s’inquiéter ; car l’inquiétude et l’angoisse, source du malheur, sont des superstitions ; et comme je suis un être raisonnable… Et si ta femme et tes enfants meurent cramés dans l’incendie de la maison alors que tu étais parti cueillir tes olives, dis-toi que la mort fait partie de la vie et que c’est le destin ; j’accepte ce qui arrive en me disant que ça devait arriver… c’est moins triste !

Balancier Sans parler de dialectique, on résumera les éternels mouvements de balanciers du plaisir : d’un côté je jouis de tel plaisir, et la frustration naît quand l’objet n’est pas là (objection : je peux jouir et ne pas être frustré quand il n’est pas là ! Mais peut-on prendre du plaisir à quelque chose qui ne nous a pas manqué ? Débat ouvert… qu’on referme avec la parenthèse). De l’autre côté du balancier, je désire tellement cet objet (cf. l’Albertine de Proust) que quand je l’obtiens je m’en lasse ; tout ça pour dire que le bonheur hors les stoïciens semble une vaste supercherie. Et puis c’est Platon qui le dit : «cet homme, comme tous ceux qui désirent, désire ce qui n’est pas actuel ni présent ; ce qu’on n’a pas, ce qu’on n’est pas, ce dont on manque, voilà les objets du désir et de l’amour.» (Banquet)

Bonheur de savoir

© Tonkin Prod.

Tiens, un titre racoleur : ça fait vendre… mais on est un gratuit ! Alors pourquoi ce titre ? Parce qu’en temps de crise, il est bon d’essayer d’y voir plus clair sur les liens entre l’état économique, social et écologique de la planète et notre état mental. Bien ambitieux ! ben oui, et vive l’ambition ! Nous ferons donc quelques brèves remarques issues de trois auteurs sur la question du bonheur. Exercice très périlleux puisqu’il s’agit d’une question existentielle majeure, et puisque chacun peut balayer d’un revers de main les arguties philosophiques : «et bien moi j’aime cette personne et voilà le bonheur». Que rajouter, sachant que les autarcies d’Epicure ne valaient guère mieux ? Alors rajoutons! On a coutume de présenter ce dont on parle comme une des notions clé de la philosophie. Alors on n’y échappera pas : oui le bonheur est une question essentielle. Pour la raison existentielle évoquée plus haut, mais aussi parce que la philosophie est amour de la sagesse et que le rapport entre cette dernière et le bonheur est étroit.

Détachement Le sage vise la vie bonne dans la pure contemplation des idées essentielles ; c’est ce détachement qui origine le philosophe planqué dans sa tour d’ivoire. Rien de tel pour être

heureux que de se détacher des contingences de la vie sublunaire, désordonnées (le cycle de la nature, les actions humaines) : tout change, naît, périt et se corrompt, c’est la pagaille, on n’y comprend rien, rien de tel pour s’angoisser. Tandis qu’il y a quelque chose à espérer de la sphère des étoiles fixes par exemple, pour reprendre ici quelques schèmes d’Aristote ; et puis la question de l’être est tout de même plus consistante et immuable que celle de la reproduction des crevettes à marée basse (quoique) ! Alors, pour être heureux n’écoutez pas les prédictions des économistes sur le capitalisme, ne lisez aucune bêtise sur le bonheur, moquez-vous de vos existences terrestres… on sait où cela conduit. Amen ! Ceci dit sur le plan pratique les épicuriens et les stoïciens nous offrent de belles philosophy-box pour jouir. Déjà en ne cherchant pas à jouir. Rien de pire que le plaisir qui conduit à la frustration. On sait que pour Epicure le bonheur est le plaisir ; d’où l’assimilation du jouisseur à

En bref, on voit bien que ce qui nous rend malheureux c’est de penser que l’on est libre : on pose trop de choses comme dépendantes de nous ; se dire, comme les stoïciens, que rien ne dépend de nous puisque nous sommes déterminés, c’est déjà faire preuve de sagesse. Spinoza retiendra ça dans sa célèbre formulation : «les hommes se figurent être libres parce qu’ils ont conscience de leurs désirs et ignorent les causes qui les déterminent.» Dès lors, le vrai bonheur ne réside pas de cette fausse liberté où je crois que j’ai choisi ce métier ou ce conjoint parce que je l’ai voulu : ce choix était déterminé par des causes que j’ignore ou que j’ai tout le loisir d’explorer dans une analyse. Notre véritable humanité ne s’acquiert que dans la compréhension des causes qui font ce que nous sommes, des relations des hommes entre eux et de la causalité de la nature. Peut-il y avoir un vrai bonheur dans l’ignorance? Comment peut-on vivre sans savoir pourquoi la lune ne nous tombe pas sur la tête ? Comment peut-on vivre sans savoir pourquoi il y a tant de misère sur la planète ? Suisje plus heureux en me disant que c’est comme ça et qu’on n’y peut rien (pour les actions humaines, pas pour la lune!) ou en comprenant ce qui pourrait faire que ça change ; vaste question : nous préférons la lucidité de la compréhension, même si René Char disait que la lucidité est la blessure la plus proche du soleil. Être heureux c’est un choix entre le souci de la vérité ou l’insouciante ignorance. En tout cas c’est Spinoza qui le dit, et pas mal d’autres philosophes comme Descartes. Voie rationaliste du bonheur.

Bonheur d’agir Ceci dit, et sauf à considérer le bonheur humain dans une existence d’huître, pour être heureux il faut se bouger, intellectuellement d’abord : savoir et agir. La question


67 du bonheur surgit tout droit de la liberté et de sa dimen-sion projective pour Sartre : si je cherche à être heureux c’est que je me projette sans cesse dans ce que je ne suis pas. C’est la dimension de néantisation de la conscience : être sur le mode d’être ce que je ne suis pas ; contrairement à l’être qui est ce qu’il est. En bref, être heureux c’est réaliser qu’on est malheureux et qu’il faut agir, et que quelque chose ne va pas dans ma vie ; incessante insatisfaction qui nous fait avancer. Et on peut dépasser un bonheur

strictement égoïste, que Jung reprochait à Freud, pour s’insérer dans un projet qui rapproche des autres hommes. Et se demander quel monde on veut pour ensuite réaliser l’absurdité de celui qu’on vit, et dans le même élan le changer vraiment. Si l’élan est absent c’est que le projet manque aussi. Bref, être heureux c’est encore, toujours, une question de révolution ! REGIS VLACHOS

Sénèque Lettre à Lucilius «Tout ce qui doit arriver fatalement à l’homme qui résiste, cesse d’être une fatalité pour l’homme qui accepte. Je te le dis : quiconque reçoit de bonne grâce les ordres qu’on lui donne, échappe à l’aspect le plus pénible de la servitude, qui est de faire ce qu’on ne voudrait pas. L’homme malheureux n’est pas celui qui fait quelque chose sur commande, mais celui qui le fait à contrecœur. Disposons-donc notre esprit de manière à vouloir tout ce que les circonstances exigeront, et surtout de manière à penser sans tristesse à la fin de notre existence. Nous devons nous préparer à la mort avant de nous préparer à la vie. La vie est approvisionnée de manière suffisante, mais nous, nous sommes toujours insatiables de ses ressources : nous avons le sentiment que

quelque chose nous manque, et nous l’aurons toujours. Ce ne sont ni les années, ni les jours qui font que nous avons assez vécu : c’est notre esprit. J’ai vécu, très cher Lucilius, autant qu’il suffisait ; convive rassasié, j’attends la mort. Porte-toi bien.»

Épicure Lettre à Ménécée «C’est un grand bien, croyons-nous, que le contentement, non pas qu’il faille toujours vivre de peu en général, mais parce que si nous n’avons pas l’abondance, nous saurons être contents de peu, bien convaincus que ceux-là jouissent le mieux de l’opulence, qui en ont le moins besoin. Tout ce qui est fondé en nature s’acquiert aisément, malaisément ce qui ne l’est pas. Les saveurs ordinaires réjouissent à l’égal de la magnificence dès lors que la douleur venue du manque est supprimée. Le pain et l’eau rendent fort vif le plaisir, quand on en fut privé. Ainsi l’habitude d’une nourriture simple et non somptueuse porte à la plénitude de la santé, elle fait l’homme intrépide dans ses occupations, elle renforce grâce à l’intermittence de frugalité et de magnificence, elle apaise devant les coups de la fortune. Partant, quand nous disons que le plaisir est le but

de la vie, il ne s’agit pas des plaisirs déréglés ni des jouissances luxurieuses ainsi que le prétendent ceux qui ne nous connaissent pas, nous comprennent mal ou s’opposent à nous. Par plaisir, c’est bien l’absence de douleur dans le corps et de trouble dans l’âme qu’il faut entendre.»

Sartre L’être et le néant «Car il faut ici inverser l’opinion générale et convenir de ce que ce n’est pas la dureté d’une situation ou les souffrances qu’elle impose qui sont motifs pour qu’on conçoive un autre état de choses où il en irait mieux pour tout le monde ; au contraire, c’est à partir du jour où l’on peut concevoir un autre état de choses qu’une lumière neuve tombe sur nos peines et nos souffrances et que nous décidons qu’elles sont insupportables. L’ouvrier de 1830 est capable de se révolter si l’on baisse les salaires, car il conçoit facilement une situation où son misérable niveau de vie serait moins bas cependant que celui qu’on veut lui imposer. Mais il ne se représente pas ses souffrances comme intolérables, il s’en accommode, non par résignation, mais parce qu’il manque de la culture et de la réflexion nécessaires pour concevoir un état social où ces souffrances n’existeraient pas. Aussi n’agit-il pas […] souffrir et être ne font qu’un pour lui ; sa souffrance est la pure teneur affective de sa conscience non-positionnelle, mais il ne la contemple pas. Elle ne saurait donc être par ellemême un mobile pour ses actes. Mais tout au contraire, c’est lorsqu’il aura fait le projet de la changer qu’elle lui paraîtra intolérable. Cela signifie qu’il devra avoir pris du champ, du recul par rapport à elle et avoir opéré une double néantisation : d’une part, en effet, il

faudra qu’il pose un état de choses idéal comme pur néant présent, d’autre part il faudra qu’il pose la situation actuelle comme néant par rapport à cet état de choses. Il lui faudra concevoir un bonheur attaché à sa classe comme pur possible c’est-à-dire présentement comme un certain néant ; d’autre part, il reviendra sur la situation présente pour l’éclairer à la lumière de ce néant et pour la néantiser à son tour en déclarant : je ne suis pas heureux.»


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SCIENCES ET TECHNIQUES

DARWIN | QUINSON | MUSÉUM

Darwin, du neuf ou de la poule ? 2009, la France décrète l’année Darwin. Que peut bien motiver ce soudain réengouement pour le célèbre naturaliste anglais et son œuvre ? Est-ce la commémoration du bicentenaire de sa naissance, ou des 150 ans de son travail On the Origin of Species by Means of Natural Selection, or the Preservation of Favoured Races in the Struggle for Life (L’origine des espèces) publié pour la première fois à Londres le 24 novembre 1859 ? Si l’œuvre de Darwin a largement contribué à la fondation de la biologie moderne, il semble injuste de lui attribuer la paternité de la théorie de l’évolution. Lamarck (1744-1829) en a largement la primeur qui publie, il y a 200 ans (1809), sa Philosophie Zoologique sans pourtant mériter aujourd’hui de commémoration. C’est d’ailleurs son grand-père Erasmus et son maître Robert Edmond Grant (17931874) qui incitent Darwin à développer les thèses évolutionnistes de son illustre prédécesseur. En cela, il ne peut être considéré ni comme un «innovateur» théorique ni comme un subversif luttant contre les thèses créationnistes de l’obscurantisme religieux. L’expérience malheureuse de quelques-uns de ses prédécesseurs sévèrement réprimés par la religion incite Darwin à n’enfourcher les thèses

évolutionnistes qu’avec prudence et discrétion, d’autant que ses études l’avaient nourri des thèses adaptationistes religieuses de Paley. Il n’est pas impossible que ce soit l’étroit passage de sa vocation théologique à celle de naturaliste qui ait induit plus tard sa théorie de la sélection naturelle.

Et si… ? Si on fait preuve d’optimisme, on peut imaginer que cette année Darwin a pour but progressiste de réaffirmer les thèses évolutionnistes au moment où la théorie créationniste semble se revigorer dangereusement. Enfoncer le clou de «l’égalité du vivant» n’est jamais un luxe, bien qu’en astrophysique la thèse idéaliste et tout aussi créationniste du «bigbang» ne soit guère battue en brèche. Ce regain d’intérêt pour Darwin peut être un concours de circonstance numérique (1809, 1859, 2009 tout neuf) lié à une volonté d’attirer l’attention du grand public sur les sciences biologiques actuelles et en particulier la génétique, fille «naturelle» du darwinisme. Mais si on est d’humeur légèrement atrabilaire, on entraperçoit dans cette entreprise aussi bicentenaire que spectaculaire, un possible glissement des thèses de la «sélection naturelle» vers leurs anciennes interprétations «socio-biologiques», relookées aujourd’hui sous le terme plus neutre de neurogénétique. Cette soudaine exhumation ne tend-elle pas à laisser imaginer que les lois que Darwin avait tirées de l’étude de mollusques marins pourraient être soudain appliquées à phénomènes sociétaux ? L’application de la génétique à des phénomènes ou caractères sociaux comme le «talent artistique» ou «la violence chez l’enfant» confinent à un évolutionnisme

génétique qui permet l’émergence d’une nouvelle forme d’eugénisme, la théorie pseudo-scientifique des «dons» naturels. Ainsi le «principe de réussite» deviendrait dans le monde libéral une «règle de sélection naturelle». Les règles de «sélection biologique» transposées à la société permettraient de valider les lois eugéniques de «sélection du meilleur» et, pourquoi pas, le tri génique de «l’adaptation ou inadaptation sociale», voire la «loi du meilleur» ou la «loi du plus fort». Principes que prônent malheureusement déjà certains dirigeants politiques. Instaurer l’évolutionnisme religieux pour combattre la religion du créationnisme ne permet-il pas d’inculquer dans les consciences une justification scientifique du «sélectionnisme génétique» ? et de généraliser le principe de l’horreur humaine… et on tuera tous les affreux ? YVES BERCHADSKY

Face aux faits

© Tonkin prod.

Le département des Alpes de Haute-Provence proclame un véritable intérêt pour la culture scientifique, avec ses trois sites exceptionnels : le centre d’Astronomie de Saint-Michel l’Observatoire, le musée ethnologique de Salagon, et le musée de la Préhistoire de Quinson. C’est dans ce dernier que se célèbre l’année Darwin, au rez-de-chaussée de l’exceptionnelle collection permanente dont les pièces uniques servent ici à illustrer le propos. Quoi de mieux pour comprendre les principes de l’évolution des espèces (variation, exception, ressemblances..) que la collection de crânes d’hominidés du musée, ceux des mammifères préhistoriques, les reconstitutions du T.Rex ou de la machoire du Mégalodon ? À ces pièces impressionnantes s’ajoutent des crânes actuels de phacochères aux défenses entortillées, et des espèces naturalisées, tatou, ornithorynque, pangolin, tout aussi sidérants de développements surréalistes… et des bornes interactives, un film, des panneaux, des livres pour enfants enchaînés à de petites tables dont le siège adulte est proscrit… La muséologie, simple, permet d’entrer au cœur de la démarche darwinienne, en observant des cas, en s’en étonnant, puis en s’attardant sur la théorie élaborée en 1859 parce qu’elle seule pouvait expliquer la réalité du constat. Sur les murs, les panneaux rendent hommage aux précurseurs fixistes convaincus que la «création» des espèces interdisait leur évolution, malgré


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Pourquoi Darwin ?

Crânes de sangliers © Frédéric Exubis

«l’épaisseur du temps» historique constatée par Linné, et la variété de la vie répertoriée par Buffon. Hommage aussi aux évolutionnistes : Lamarck bien sûr, qui constata l’évolution des espèces sans la relier à la sélection naturelle, et Wallace, qui travailla avec Darwin et lui apporta nombre de ses études de cas. Mais surtout, les panneaux entrouvrent des portes vers l’avenir : en montrant comment Mendel et la génétique ont permis de confirmer Darwin, et ses généalogies approximatives, fondées sur la ressemblance (arbres cladistiques) faute de preuve de descendance ; en explorant des endémismes liés à l’insularité par exemple, ou en s’attachant au gigantisme reprenant le flambeau de l’expo sur le Yeti de 2007… Aucun point d’interrogation n’est dissimulé : le tableau de l’évolution humaine en regorge, et aucune cau-

salité ne cherche à s’établir. Si les espèces évoluent globalement sur le principe de la variation entre générations, nul n’est capable de dire pourquoi et quand elle surgit… Hasard en tant que variation génétique et nécessité dans la sélection naturelle peuvent tenter d’expliquer l’évolution des espèces ; mais à bien regarder le tatou à 9 bandes, qui produit systématiquement des quadruplés identiques, on se demande encore à quelle nécessité il a bien pu obéir…

L’exposition de Quinson s’est inaugurée très officiellement le 5 février, par un discours enthousiaste du Président du Département. JeanLouis Bianco affirma les raisons de cet hommage appuyé que le musée va rendre pendant un an au naturaliste anglais à travers diverses manifestations. Il a choisi d’honorer Darwin parce que 40% des citoyens américains remettent en cause la théorie évolutionniste pourtant désormais parfaitement vérifiée ; parce que «nous sommes en face d’une régression dramatique de la pensée, d’un refus de la science» ; parce que les Américains, qui imposent une loi divine, ne sont pas «très différents de la théocratie iranienne.»

Mais aussi parce que la sociobiologie n’est pas l’œuvre de Darwin mais une déviation de sa pensée, qui confond sélection naturelle et loi du plus fort, et se permet de justifier «le libéralisme intégral, la loi de la jungle, voire l’eugénisme.» Enfin, il s’agit d’honorer Darwin parce «qu’on peut aujourd’hui penser que l’humanité est entrée dans une autre phase de son évolution, on peut penser que les instincts sociaux aboutiront non plus à l’élimination mais à la protection des moins aptes, des voisins»… Darwin utopiste ? A.F.

J.-M. Reymond, P. Tort, J. Gagnepain, J.-L. Bianco, S. Chaumont © Frédéric Exubis

AGNÈS FRESCHEL

Les sciences de l’évolution De Darwin aux biotechnologies du 6 fev au 15 dec Musée de préhistoire des gorges du verdon Quinson (04) 04 92 74 09 59 www.museeprehistoire.com

Du muséum au théâtre Même si les motivations de cette année de commémoration restent floues, elle a le mérite de solliciter la gent «créative» autour d’un thème philosophique et scientifique. Les Zibelclaustros ne se plaindront pas que les manifestations pullulent pour évoquer notre Darwin Wood. Ainsi, la pièce Quelque chose vous turlupine Monsieur Darwin ? de Clara Bensoussan mise en scène par Caroline Steinberg trouve une place de choix dans ce cadre. D’une pédagogie très vivante et sympathique, on sent tout de suite que cette production de l’Association Esprit Toile de fond prend ses racines dans un rapport direct à la curiosité enfantine. En effet, ce texte est né à la suite d’ateliers que Clara Besoussan anime pour les élèves de CM2 au Muséum d’Histoire Naturelle de Marseille autour du rapport de la science et du théâtre. La mise en scène de cette comédie scientifique de

Caroline Steinberg est aussi mouvementée en son début que la vie de Darwin. Le premier acte évoque le voyage d’étude de cinq ans qu’il mena sur le Beagle de 1831 à 1836. Le deuxième acte présente la reconnaissance que son voyage lui apporta, puis le rude combat contre l’obscurantisme conjoint à celui contre la maladie. Lentement, avec le vieillissement et les doutes du chercheur déclinant, le rythme dramatique ralentit et se colore d’une pointe de nostalgie dubitative. L’expérience de pédagogie théâtrale de Caroline Steinberg permet une mise en écho du contenu textuel et de la scénographie. D’une forme de commedia dell’arte qui s’appuie sur une forte sollicitation du public, la pièce tend vers un appel au questionnement philosophique et religieux. Les acteurs assurent sans faillir un jeu vif et nerveux. Une pièce hilarante, émouvante et questionnante,

à prescrire sans réserve aux Zibelcurieux et autres Zibulons de 7 à 107 ans. YVES BERCHADSKY

Quelque chose… a été créé au Carpe Diem (Marseille) du 6 au 7 fév et sera reprise du 17 au 19 avril au Divadlo (69 rue Sainte Cécile, Marseille 5e, 04 91 25 94 34), et le 29 mai au Hang’Art (106 bis Bd. Françoise du Parc, Marseille 4e)).


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HISTOIRE

SAINT-VICTOR

Qui est Saint-Victor? Les martyrs qui peuplent les médias aujourd’hui s’illustrent par la violence de la mort qu’ils infligent aux autres autant qu’à eux-mêmes. Mais dans l’antiquité, aux débuts du christianisme, il en allait tout autrement !

Abbaye Saint-Victor © Robert Valette

Marseille possède son martyr, associé à une abbaye: Victor ! Pour ce saint patron, la question est pourtant épineuse car les historiens divergent sur l’interprétation des faits. Jean-Claude Moulinier a repris l’ensemble du dossier textuel dans une étude magistrale. Le «récit symbolique» est le manuscrit le plus ancien : il serait de la fin du Ve siècle. Le texte est certainement tributaire d’une source antérieure inconnue, peut-être du IVe siècle, et appartient à la littérature du martyre, avec ses codes et ses contingences.

Les récits Victor est un soldat romain qui, sous le règne de Dioclétien, au début du IVe siècle, ne veut plus toucher sa solde et se réclame chrétien. Arrêté, il est remis au préfet Euticius qui lui ordonne -pour tester sa fidélité à Rome- de sacrifier aux dieux. Victor refuse. Traîné dans la ville, supplicié, il s’obstine. Pire, il rabroue son juge. Intervient alors son supérieur militaire qui se charge de lui infliger le châtiment mérité. Victor est frappé avec des gourdins, suspendu et de nouveau frappé avec des lanières de cuirs. Enfermé, il reçoit ses frères chrétiens et les rassure: sa souffrance est allégée par le Christ. Enfin, le 21 juillet de l’année 303 ou 304, Victor est une dernière fois reconduit devant le préfet. On veut l’obliger à sacrifier, il résiste. Il fait tomber l’autel des dieux qu’on lui présente : on lui coupe le pied pour représailles. Une dernière fois il dit «non». Alors, on le jette sous la meule entraînée par un animal, et il rend l’âme. C’est donc l’histoire d’un sacrifice et d’un refus : celui de la religion impériale romaine qui fonde toute la cohérence de la société. C’est aussi une affirmation, celle d’une foi nouvelle venue d’orient. Le panégyrique ancien, issu du milieu monacal, et daté de la première moitié du VIe siècle, nous donne d’autres précisions. S’il diverge parfois du précédent ce

n’est que sur les détails, même s’il semble reprendre une autre tradition concernant le Martyr : Victor y est pilote (une fonction usuelle dans un port) ; l’Empereur Maximien, persécuteur notoire, serait intervenu directement dans le châtiment. Surtout, il affirme que Victor et ses compagnons, jetés à la mer, furent repêchés et ensevelis dans des tombeaux dissimulés sur la colline qui fait face à la ville. Pour la tradition chrétienne, c’est donc sur l’emplacement de l’abbaye fondée plus tard par Jean Cassien que se trouvent ces sépultures.

Les fouilles Mais le dossier a été aussi réexaminé du point de vue archéologique. Lors de fouilles récentes, l’équipe de Fixot et Pelletier a tenté de restituer la topographie de la basilique dans ses premiers temps. D’anciennes prospections avaient montré l’existence d’une nécropole antique sur les lieux, hors des limites urbaines, à l’emplacement d’une ancienne carrière. La fouille a mis en valeur la présence d’un édifice, peut-être couvert. Il partait de ce qui est l’esplanade actuelle devant l’abbaye, mais à un niveau plus bas que le sol d’aujourd’hui, pour se prolonger vers le sud, dans l’ancienne carrière. C’est l’actuelle chapelle St André à l’intérieur des cryptes, qui marquait l’axe et l’entrée de cette construction. Un mur percé de différentes ouvertures, un vestibule, une area, tout cela délimitait un espace d’inhumation. La fonction cimetériale est donc bien attestée. Mais les tombeaux des martyrs n’avaient pas leur place en ce lieu. La recherche au travers des textes -pour comprendre ce qui a été mis à jour- a permis de faire un constat très éloigné de ce que les traditions hagiographiques avaient établi au sujet de la localisation. Il n’y a aucun texte de contemporains permettant d’identifier le martyre de Victor et de ses

compagnons à Marseille (le père Moulinier répondait que l’évidence rendait la précision inutile). D’autre part les sources comme Grégoire de Tours ou Venace Fortunat signalent la présence d’un culte à Victor mais ne l’identifient pas à l’actuelle abbaye. Les tombes présentées comme celles de Victor et de ses compagnons n’ont donc que peu de chance d’être les bonnes ! Pire, l’affirmation que l’abbaye a été créée par Jean Cassien (on sait qu’il édifia un monastère pour les hommes et un pour les femmes) est elle aussi en cause. En effet, il faut attendre l’abbé Isarn, le grand rénovateur du monastère au XIe siècle, pour lire que l’abbaye a été fondée par Saint-Victor. On l’aura compris : les fouilles de l’édifice ne permettent pas de convenir, pour l’heure, de sa présence dans les murs de l’abbaye ! RENÉ DIAZ La Chapelle Saint Andre © Robert Valette


ÉCHANGE ET DIFFUSION DES SAVOIRS

© X-D.R.

HISTOIRE

Représentations anxiogènes de la violence urbaine

Sa contribution, à l’hôtel du département le 5 février, intervenant dans le cycle sur la violence, portait sur le thème de la peur dans nos sociétés. Citant Wittgenstein : «le langage a le pouvoir de rendre tout semblable», elle constate que nous négligeons d’analyser réellement les situations en nous laissant submerger par nos impressions, et surtout en étant dupes de notre langage.

Avons-nous raison d’avoir peur de la violence, de l’immigration, des quartiers pauvres ? Pour y répondre, Échange et Diffusion des Savoirs avait invité Sophie Body-Gendrot

Les mots et les faits

En Europe la situation la plus anxiogène, pour les médias, concerne les musulmans. Mais la France s’en tire mieux que ses voisins : si en Angleterre 81 % des musulmans se disent d’abord musulmans puis ensuite Anglais, en France ils se considèrent autant Français que musulmans. Les difficultés de l’intégration varient en fonction des contextes généraux (économique, politique…), mais c’est l’angoisse du déclassement vécue par les populations cohabitant avec eux qui est le principal ressort de l’hostilité. Hostilité encore accentuée par la recherche du sensationnel et de la caricature (islam égale islamisme) des médias. L’État, lui, néglige les nouveaux venus pour distribuer des ressources aux populations déjà installées. Dans les zones délaissées -les quartiers sensibles de nos villes- la peur est identifiée à des lieux, à des situations. Elle est donc différente de la peur fantasmée, extensive, de la classe moyenne, ou des personnes âgées qui réclament un surplus de sécurité.

Premier responsable : le système médiatique qui distille la peur. Il focalise sur les atteintes aux biens et interprète les scènes de violence comme de véritables menaces pour l’ordre social : on parle de guérilla, d’émeutes... Il induit ainsi des représentations dramatiques et anxiogènes. Il confisque aussi le débat : les discussions sur la violence n’ont plus de place. Les causalités, les contextes disparaissent devant la statistique, l’identification des délits et la description du dommage. Si la conférencière rappelle que la mauvaise réputation des villes est un lieu commun de la littérature, elle montre que la peur suscitée est un instrument de domination, de construction de l’ordre social. Cette peur, qui gît dans les mots et dans les représentations, doit cesser de nous abuser. Présentant une évolution de la démographie mondiale, Sophie Body-Gendrot fait le constat d’une explosion des pays en voie de développement, d’une diminution du poids relatif de l’Europe en même temps que son vieillissement. Cette situation a des conséquences importantes pour nos sociétés : le recours à l’immigration semble inévitable. Pourtant, seulement 200 millions d’habitants, sur les 6, 5 milliards qui peuplent la terre, ne sont pas nés dans le pays qu’ils habitent! Prenant l’exemple de Miami, prise de panique face à l’arrivée massive des boat people cubains en 1981, elle montre que, depuis, la ville a retrouvé tout son équilibre et réussi à intégrer ces populations. En fait, au-delà des craintes, l’immigration est une bonne affaire ! Apport culturel, économique, et, pour les populations migrantes, à terme, une ascension sociale et une reconnaissance politique.

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L’intégration

Nécessité de l’action Cependant, insiste Sophie Body-Gendrot, les populations sont capables de réduire l’angoisse en identifiant les peurs. C’est le cas après les attentats (New York, Londres, Madrid…) : les populations ne se laissent pas submerger ; au contraire, elles redécouvrent la solidarité, l’entraide. Cet isolement de l’angoisse, cette volonté de dépasser le contingent se retrouvent dans nombre d’expériences urbaines. Après le constat d’une augmentation de la violence, d’une dégradation des conditions de l’existence à Mexico, elle raconte comment, dans une ville aussi dangereuse et statistiquement criminelle, des expériences ont prouvé que l’on

pouvait changer les choses. C’est le cas d’un quartier très pauvre, faro del oriente, où la culture (théâtre, expositions, concerts…) a permis de faire vivre ensemble les populations et de voir diminuer la violence. Concluant son exposé, l’oratrice a insisté sur l’importance des associations, sur le volontarisme qui doit conduire les populations à ne pas désespérer. Des actions de régulation, la mobilisation de personnes de la communauté susceptibles de désamorcer les conflits ont la capacité de transformer la vie des habitants.

Réussite du groupe Alors que les médias et le personnel politique construisent une société irréelle mais bien commode pour y trouver leur place, Sophie BodyGendrot en appelle à la prise en main, à l’éclosion de la conscience, à la réflexion, à l’identification des dangers réels et au refoulement de la peur. Dans tous les cas, on constate que seules les sociétés humaines débarrassées de l’illusion de la réussite individuelle au détriment du groupe, de l’argent aux dépens de la vie en communauté, peuvent se donner les moyens de se réguler. Et, bien évidemment, les positionnements politiques qui permettent de faire triompher des carrières ou des intérêts particuliers ne peuvent être compatibles avec de telles expériences ! RENÉ DIAZ


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PATRIMOINE

ABD GASTON DEFFERRE

Des Fleurs et des Hommes © Anna Clopet

© Anna Clopet

Où partez-vous cet été ? Nous avons un plan sympa, nous allons vers Java… oui, en Indonésie, à 130 Kms environ au sud de la grande île de Sumatra…

Les ABD Gaston Defferre nous en offrent une merveilleuse exposition, avec de splendides photographies d’Anna Clopet, qui a su trouver le ton juste pour saisir sur la pellicule les expressions, les gestes, évitant complètement l’écueil du voyeurisme. Les photographies, immenses, constituent autant de cloisons entre lesquelles le visiteur déambule, retrouvant une structure quasi forestière. Des commentaires riches et passionnants éclairent avec intelligence les principes de cette société, de son mode de vie. Les objets, que vous devez absolument découvrir, (pagaies, boites étranges, matériel à poison !!!) proviennent tous de la collection privée de Franck Noell.

Siberut… non, pas Soubirou ! Même s’il y a quelque chose qui tient de l’apparition là dedans ! C’est la plus vaste des îles tremblantes. Oui oui, tremblantes ! Sans être volcaniques, ces îles se situent au bord de failles majeures, c’est par là que la plaque de l’Océan Indien passe sous celle de la Sonde. La tectonique frappe ici aussi ! Quel intérêt à la surface ? Des populations incroyables vivent toujours dans la forêt tropicale, en harmonie, presque en symbiose ! Et par choix !!! Ils connaissent notre monde, s’y rendent parfois, mais retournent chez eux, avec les plantes, les moustiques, le sagou,(un palmier dont ils font une farine, leur aliment de base), le taro, une espèce de pomme de terre… La culture d’ailleurs n’abîme pas la nature, pas d’OGM ou d’hormones ! Ils minimisent le plus possible l’intervention sur le monde, les sagouteraies (comme des bananeraies mais pour le sagou !…), se développent toutes seules et la végétation coupée est laissée sur le sol, se décompose, fertilise… Ils chassent avec des arcs, des flèches, pêchent, construisent des pièges, cueillent, élèvent des cochons… Comme des hommes du néolithique ? Non ! Ils n’ont jamais eu la pierre et ont toujours vécu en harmonie avec la forêt…

La pensée du respect de l’environnement n’est pas chez les Hommes-Fleurs le résultat d’une démarche tardive, induite par la nécessité des faits qui s’accumulent, dramatiques, mais elle émane de la conception religieuse et mystique des Mentavaï. L’homme, selon eux, participe du grand tout ; pas de supériorité dans la relation entre les êtres, humains, animaux, végétaux. Les âmes les habitent tous. L’équilibre et l’harmonie doivent être cultivés pour ne pas rompre cet accord entre l’homme et la nature. Le Chamane, ou Kerei, est chargé de maintenir cet équilibre, permettant à l’âme de rester dans les corps. C’est dans la sphère des âmes que se nouent et se dénouent les enjeux liés à l’harmonie cosmique. D’où ces interventions modérées sur l’environnement, pour éviter de perturber les équilibres du monde. C’est pourquoi les forêts de l’île connaissent un état de conservation si exceptionnel !

C’est la faute à Rousseau !

Des jouets pour les âmes ?

On ne serait pas dans une résurgence du mythe du bon sauvage ? C’est un peu gros ! Et pourtant… Cadre sublime, lumière verte dans laquelle baignent les arbres, végétation luxuriante, beauté d’une nature sans apprêts… et au milieu, confondus avec les arbres dont ils portent l’écorce en sacs, les feuilles en pagne, les hommes-fleurs.

Étranges mœurs qui entraînent la fabrication de jouets pour les âmes : de petites barques, que l’on suspend au plafond de maisons ! Dans ce monde habité par le surnaturel, les morts sont représentés par des mains et des pieds de bois que l’on accroche dans les arbres : la végétation qui grimpe le long des troncs les «digère»,

Animisme écologique ?

symbolisant le cycle de la vie et de la mort. Mais attention, les Hommes-Fleurs ne sont pas un peuple fossile, ni Siberut un paradis pour anthropologues, qui les étudient depuis les années 1970. Une autre démarche menée par des chercheurs de l’IRD (l’Institut pour la Recherche et le développement) développe des projets scientifiques centrés sur la relation entre l’homme et son environnement dans la zone intertropicale. Un archéologue et une géographe se sont attelés à la délicate recherche des origines, de l’histoire de ce peuple, et à dresser un état des lieux, à décrire cette «tradition en transition».

Quelle évolution ? Difficile d’envisager la confrontation de ces populations avec le monde contemporain, les tentatives politiques d’évangélisation ou d’islamisation, les vues sur les capacités économiques de la forêt, la tentation d’enfermer dans une réserve ethnographique des personnes qui vivent différemment. Comment concilier modernité et tradition ? Quelle légitimité sociale, politique, philosophique accorder à tel ou tel choix ? L’exposition laisse la question ouverte. Les photographies soulignent discrètement l’évolution, une montre au poignet de personnages en tenue traditionnelle, des objets issus de matériaux comme le métal ou le plastique, ou plus simplement ce chapeau confectionné par la dernière femme capable de le faire ! La richesse de l’exposition tient dans ces détails, autant que dans l’évocation documentaire de l’organisation sociale des Mentavaï, de la «Uma», de leurs rites…. Dans la réflexion sur l’environnement… et dans l’indéniable beauté de l’ensemble ! MARYVONNE COLOMBANI

Des âmes en équilibre Les hommes-fleurs au défi du XXIe siècle Visites guidées gratuites sur réservation au 04 91 08 61 00 Bibliothèque départementale des Bouches-du-Rhône Gaston Defferre Jusqu’au 28 mars 04 91 08 61 00 www.biblio13.fr


PICASSO

ÉDUCATION

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Maquette Dodeskaden © Succession Picasso 2009

Comprendre Picasso Après avoir acheté le château de Vauvenargues Picasso aimait à dire : «J’habite chez Cézanne !». Avec Picasso.Métamorphoses., le Musée Granet offre aux enfants l’impression d’entrer chez lui. Dans son œuvre… Les visites du Parcours multimédia Picasso.Métamorphoses. pour les scolaires (voir Zib 15) ont démarré au Musée Granet : 400 m2 de découvertes et d’expériences sensorielles ! Zibeline en a profité pour se glisser parmi les élèves d’une classe de CE2 d’Aixen-Provence.

La pomme ou les pépins ? Alexandra, médiatrice culturelle, s’assure en préambule que chaque enfant sait bien ce que veut dire «métamorphose», et explique que chaque salle présente un aspect particulier de la démarche de Picasso. On se dirige ensuite vers la salle 2 qui met en parallèle Cézanne et Picasso, montrant comment le maître a mis en évidence les formes géométriques par des touches et comment l’adepte a accentué cet effet jusqu’au cubisme. La notion de point de vue est abordée ensuite d’une manière pratique par la découverte d’une nature morte, fruits et compotier en plâtre, éclairée alternativement de spots situés tout autour. Les enfants comprennent bien que Picasso a cherché à montrer en même temps tous les côtés, donnant l’effet de reflets dans un miroir brisé. Si l’on laisse traîner ses oreilles du côté des haut-parleurs, on entend le poème de Prévert Promenade de Picasso, et l’on sait que le peintre a mangé la pomme et cassé l’assiette ! Au diable la représentation de la réalité, épuisons le réel! On observe ensuite attentivement les différents

dessins d’un taureau qui décomposent peu à peu son image et mettent en évidence l’essentiel des lignes jusqu’à l’épure. Cela introduit au Passage des Métamorphoses qui se présente comme un couloir avec un long écran blanc. Quand on est devant et qu’on bouge, des caméras enregistrent le mouvement et restituent sur l’écran des lignes et des courbes qui sont les «métamorphoses» du corps de chacun : chaque enfant passe et s’amuse des mutations, des traces. Ils aiment !

Femme-fleur et portraits Le couloir débouche sur une petite salle sombre ; au fond une image s’anime : Picasso en personne apparaît en transparence un pinceau à la main. Il se tient derrière une vitre et commence à tracer des traits blancs qui forment comme une grande tulipe. La suite révèle qu’il s’agit du pubis d’une femme dont le corps se dessine peu à peu tout autour ! La preuve est faite : tout le monde ne commence pas par la tête le dessin d’un corps ! Le film a été réalisé en 1949 par Paul Haesaerts, est le premier qui porte sur Picasso un regard de critique d’art ; analyse des gestes qui captive les enfants. On pénètre ensuite dans la salle des portraits : 7 femmes assises et 10 autoportraits. Chacun est caractéristique d’une étape du travail de Picasso, de l’évolution de son regard et de son style ; chaque inspiratrice se reconnaît au style utilisé pour la peindre. Une autre salle présente 4 tableaux des Maîtres que Picasso s’est plu à copier et les réalisations de l’artiste. Les visiteurs peuvent passer de l’œuvre copiée à la copie en appuyant sur un bouton : Le déjeuner sur l’herbe de Manet (1863), Femmes d’Alger de Delacroix (1834), L’enlèvement des Sabines de David (1799), Les Ménines de Velasquez (1656) ; on peut constater ce que Picasso a supprimé ou privilégié, comment il a transposé, transformé, métamorphosé!

Des «Carrières de Bibémus» de Cézanne aux «Trois femmes» de Picasso (ensembles et détails). Maquette Dodeskaden

Travaux pratiques La visite se termine par la première salle, celle de la «forêt» de 92 tiges suspendues, représentant les années de la vie de Picasso. Chacune porte des plaquettes avec le nom des tableaux réalisés cette année-là. Quand on passe délicatement la main dessus, le tableau désigné s’allume sur le mur en face! Si bien qu’au bout d’un moment les 4 murs sont couverts des peintures de Picasso et on se retrouve dans un bain d’images et de sensations ! Magique ! Les enfants font apparaître et disparaître les images avec un plaisir évident. À l’issue du parcours Alexandra distribue une feuille à chacun : ils doivent relier des dates, des noms, des peintures par des flèches. Cela permet de retenir les noms de tableaux importants comme Guernica ou les Demoiselles d’Avignon, les dates de certains autoportraits caractéristiques de styles très différents. Ils repartent avec l’envie de peindre, de partager leurs découvertes et surtout le projet d’aller visiter le Château de Vauvenargues : l’entreprise pédagogique est accomplie ! CHRIS BOURGUE

Vacances d’hiver au musée ! Visites et ateliers autour du travail de Picasso : le geste pictural, les aspects du cubisme, la quête des formes 4 demi-journées en bloc ou au choix sur réservation (5 euros la demi-journée) du 24 au 27 février pour les 5-8 ans du 3 au 6 mars pour les 9-12 ans mais aussi ateliers du mercredi et samedi en période scolaire 04 42 91 99 12 www.mairie-aixenprovence.fr Picasso.Métamorphoses Parcours multimédia Jusqu’au 15 déc 2009 Musée Granet 04 42 52 88 32 www.picasso-aix2009.fr



IME DE VERT-PRÉ | LA FABRIK

EDUCATION

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S’épanouir à l’art Une façade colorée dans une petite rue tranquille du quartier Sainte Marguerite, à Marseille, intrigue depuis peu les passants. Elle abrite un lieu consacré à des enfants particuliers

© La Fabrik

Au n°55 du Bd Aguillon dans le 9e on peut voir des couleurs, des dessins et des sculptures dans une vitrine. Une porte vitrée ouvre sur une grande salle occupée d’un grand tapis et de coussins. Aux murs, des dessins. Au fond, des tables couvertes d’objets hétéroclites, du matériel de peinture, de la terre... et un grand rideau qui cache une petite scène parquetée. Des enfants s’approchent et vous sourient. Mais qu’est-ce qu’on fabrique ici ? Et bien justement, on fabrique ; on peint, on construit des marionnettes, on joue des percussions, on chante, on se maquille, on se déguise : on joue, on vit ! On efface, on recommence, on essaie, on se trompe, on refait ! C’est un lieu nouveau, ouvert en septembre, destiné aux enfants et aux adolescents de l’Institut Médico-Éducatif (IME) de Vert-Pré. Ça s’appelle La Fabrik.

Les enfants en internat ayant besoin d’occupations ludiques, les éducateurs proposaient des activités artistiques le mercredi après-midi et le week-end. Peu à peu l’idée a germé d’avoir un lieu autonome qui permettrait à tous de s’essayer à différentes formes d’expression... Il y a deux ans un grand local, à 5 minutes à pieds de l’Institut, était à la location et le rêve est devenu réalité. Un tel espace se mérite et se construit en commun, c’est en tous cas l’avis de Katia Jeudy, initiatrice et chef du projet. Ainsi des équipes d’enfants et d’éducateurs se sont constituées : dessins et plans, chantier, récupération et rénovation de mobilier... Deux ans de travaux. Inauguré en septembre. En plus des ateliers du rez-de-chaussée, un appartement à l’étage peut servir de résidence à des artistes. En échange ceux-ci animent des ateliers avec les jeunes et donnent un spectacle à la fin de leur résidence.

La liberté, une marque de Fabrik ! Peu à peu les projets se sont précisés. Depuis le mois de septembre, des stages de découverte d’une semaine sont organisés et adaptés pour les 13 groupes. À la fin, chaque enfant repart avec un livret, journal de bord, qui sera

Histoire d’un rêve Depuis 1955 l’IME accueille des enfants et adolescents handicapés, déficients intellectuels avec ou sans trouble associé, suite à la création de l’Association Départementale pour la Sauvegarde de l’Enfance de l’Adolescence et des Adultes (ADSEA) en 1951. Il s’agit de leur assurer la plus grande autonomie possible et un épanouissement personnel grâce à un système éducatif adapté ; d’autant plus que des enfants psychotiques et autistes auparavant accueillis en hôpital de jour sont maintenant à l’IME, faute de places dans les hôpitaux.

©La Fabrik

complété au fur et à mesure des autres activités. Des partenariats se sont créés. Des ateliers de percussion avec l’atelier Batucassa, de danse africaine, de théâtre pour apprendre à s’écouter et travailler en groupes. Un projet de comédie musicale concerne 10 jeunes et un partenariat a été signé avec les classes de Carrières Sanitaires et Sociales du lycée professionnel Brochier. Mais sont aussi en cours des ateliers d’écriture, d’enregistrement de musique... Les projets ? Le Carnaval de Marseille en mars, la Fête de la Musique en Arles en juin, la Fête du Plateau, au Panier, en septembre… L’IME est en pleine effervescence ! CHRIS BOURGUE

Art et handicap Katia Jeudy responsable du programme d’animation de La Fabrik, parle de son engagement auprès de ces enfants. Comment en êtes-vous venue à proposer ces activités artistiques à ces enfants ? Je suis éducatrice spécialisée et j’ai commencé dans la rue, dans le 93 ! Mon travail actuel est le fruit d’une longue maturation. Face aux phénomènes d’exclusion et de peur de la différence, il m’a semblé évident que l’expression artistique pouvait permettre qu’un autre regard se pose sur les handicapés. Un regard qui les libère. Et comment La Fabrik, projet qui pouvait paraître un peu fou au départ, est-elle née ? C’est la rencontre de plusieurs motivations, de plusieurs convictions, qui a permis la réalisation de ce projet. Notre directeur, Michel Agius, Lucie Tassonne, responsable des ateliers d’arts plastiques et Rubben Bakker, qui s’est occupé de l’intendance, du chantier éducatif. Toute seule, sans cet engagement commun, je n’aurais rien pu faire ! La Fabrik 04 91 75 92 50


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EDUCATION

LES ZIBULONS

Le 21 janvier, au Théâtre du Gymnase, les élèves de l’option DP3 du Collège Thiers, dans le cadre de leur projet sur les métiers du spectacle, ont assisté à la représentation de la comédie du bord de mer de Serge Valletti, Le Jour se Lève, Léopold !, mis en scène par Michel Didym

Comédie du bord de mer Les élèves ont surtout apprécié le langage et la gestuelle des comédiens, même s’ils ont eu quelques difficultés à entrer dans l’histoire. En effet les personnages, des adultes, semblent avoir des comportements infantiles et irrationnels. Ce n’est pas facile pour des collégiens de se laisser porter par cette pièce, mais ils ont aimé l’ambiance créée par le décor, les éclairages et les effets sonores. Pour certains, les points forts ont été les moments où Lemarhi parlait avec Flippo, le chien imaginaire, pour d’autres, la représentation du numéro de Nelly et de l’ingénieur, pour l’ensemble, la dernière scène, au lever du jour, où tous les personnages sont rassemblés pour la mort de Mérédick qui «veut que le bruit de la jetée l’entoure». Le lendemain, les élèves ont eu la chance de rencontrer deux des comédiens, Quentin Baillot et Alain

Fromager, ainsi qu’un musicien, Mathias Lévy, qui leur ont parlé de leur parcours professionnel, de leur rencontre, il y a plusieurs années, avec Michel Didym, au festival La Mousson d’été, à Pont-à-Mousson. Ils ont répété durant deux mois ensemble, chacun avait sa méthode pour apprendre son texte, le personnage se construisant au fil des répétitions. Puis, grâce à Marie-Julie, chargée des relations publiques, ils ont aussi découvert les coulisses de ce théâtre à l’Italienne, son histoire, tous les métiers et les salles de travail. Une visite passionnante qui a ouvert les portes d’un monde que certains ne connaissaient pas du tout ! ELODIE FARRÉ, OLIVIER GUIBERT, MANON SIMEONE ET JULIEN SCHÄFERS EN TROISIÈME AU COLLÈGE THIERS, MARSEILLE

Et les élèves de Première STL du Lycée Marie Curie, présents quelques jours plus tôt, ont relevé quelques paradoxes… La pièce comporte une énigme : le titre Le jour se lève Léopold ! surprend, Meredick étant le personnage principal. YANNICK RAIMOND Le langage est actuel et très familier, les étagères servent d’échelle pour grimper à la fenêtre, Suzy se dénude sans tabou… MILLERA FERRIZ Ils parlent comme nous ou presque ! STEFFY RICOU

Les airs de manouche servent à la fluidité du rendu. MARVIN AMADY Nous avons beaucoup ri, bien que ce soit une tragédie ! MARION GERAY Quelle solitude ! Monsieur Calberson va à la buvette pendant sa nuit de noces au lieu de la passer avec sa femme. YOANN BOIRGES Le mélange des tonalités dans cette pièce donne un côté détendu, et tout semble constitué de petites histoires racontées au fil… JEREMY ALLOUCHE La musique servait de décor, le violon pour le tragique et la guitare le reste du temps. FLORIAN SAUVECANNE

Le Jour se leve Leopold ! © Agnes Mellon

Emma Garbeur, 1ere L2, Lycées Vauvenargues de l’option Histoire des Arts du Lycée Vauvenargues, Aix, rend compte du spectacle de Wayne Mac Gregor, qui a eu lieu au Pavillon Noir

Technologie sensorielle C’est la notion de «corps technologique» que Wayne McGregor met le plus en avant dans son dernier ballet ENTITY. En effet, cette recherche permanente des limites du corps offre une vision virtuelle de ces danseurs virtuoses! Mélangeant plusieurs styles, d’une musique classique de Joby Talbot aux sons électros envoûtants de Jon Hopkins, Wayne McGregor emporte par ses chorégraphies poignantes son public pour l’emmener au sommet de la modernité et du renouveau dans la danse contemporaine.

Ces dix danseurs ensorcelés nous donnent cette sensation de naturel et de simplicité tout en étant dans une étonnante complexité, en réelle fusion et en contraste permanent à la fois ! Des moments de pur bonheur où l’on se sent décoller, notamment lors de ces duos d’hommes, autre signe de modernité, dont émane une sensualité troublante… Une transe sensorielle, au-delà de toute réalité mais tellement vraie !…

Entity © X-D.R


77 Une étudiante nous parle d’Une île, un spectacle de la Cie L’Entreprise, représenté à La Friche Belle de Mai

Un voyage plein de poésie Partons à la découverte d’une île et de son histoire. À travers des personnages masqués plus surprenants les uns que les autres, on découvre les habitants, ou plutôt les fantômes, de cette île que tout semble avoir abandonné. Les personnages sont envoûtants et évoquent, entre émotion et rire, leurs souvenirs, leur passé, leurs désirs, leurs rêves et leurs désillusions. Une histoire qui parle de la vie, de la mort et de cette limite si étroite entre les deux. Et une belle performance pour les quatre acteurs qui jouent une douzaine de rôles différents. Les masques les rendent méconnaissables et leur permettent d’endosser les multiples personnages avec d’autant plus de liberté. Les costumes et décors, simples mais très évocateurs, transportent dans un univers intrigant et magique où évoluent des morts bien plus vivants que les vivants eux-mêmes!

Les étudiants de BTS Expression Visuelle du Lycée Marie Curie sont allés visiter l’exposition de Pierre Malphettes (voir Zib 15) au Frac à Marseille. Leur projet ? Produire un travail plastique à partir de ces œuvres… nous en suivrons le cheminement, mais voici dès lors leurs réactions et analyses

Les étudiants lors de l'exposition Sculptures terrestres et atmospheriques de Pierre Malphettes © Dominique Castell

ALICE MORA, EN 2E ANNÉE DE BTS EXPRESSION VISUELLE AU LYCÉE MARIE CURIE À MARSEILLE Une ile © Christophe Raynaud de Lage

Une classe de 2nde STL du Lycée Marie Curie de Marseille a assisté à Nous ne nous étions jamais rencontrés, à la Cité Maison de Théâtre

Melting Potes Issus de quartiers et de cultures différents, 5 adolescents marseillais du XXIe siècle apprennent à se connaître à travers 5 acteurs adultes qui rapportent leurs paroles, leurs attitudes, leur façon de penser. Plus de deux ans de travail pour aboutir à une amitié entre ces jeunes et les acteurs qui les incarnent sur scène, car, sans ce projet au long cours, c’est sûr, ils ne se seraient jamais rencontrés ! MAXIME

Quelles rencontres ! Le décor est simple, composé de cubes blancs modulables, qui se transforment en murs de cités, en bancs, en skates et même en piste de danse… et forment l’espace de contact des 5 personnages, leurs voies de rencontre. Ceux-ci sont a priori très marqués dans des habitudes et des clichés : le jeune des cités, la fille pour qui «tout va bien», l’homo refoulé, la baba cool et la fille renfermée. Pourtant, petit à petit, on a pu se retrouver en chacun d’eux ; on a ainsi pris conscience des différences et des difficultés de la vie dans certains quartiers. JEAN-CLAUDE, LAURA C., LAURA V. ET CHARLOTTE

Sois moi, je serai toi

Toutes les sculptures se rapportent à la nature, nuage, brouillard, vent, mais aussi au Japon, comme des haïkus de sculptures. L.M. Œuvres ajourées, formes courbes et aléatoires, même la poutre devient légère, aérienne, dentelle… Les flaques de métal, incrustées de pierres, surprennent, paradoxales, avec cette opposition entre le matériau et l’élément représenté, l’eau… La dimension atmosphérique de la perception que nous avons des œuvres, cette légèreté, cette sérénité est-elle en phase avec la nature ? Si c’est le cas, pourquoi des matériaux industriels pour la représenter ? E.B. J’ai d’abord été déçue par la petite taille de l’expo, 8 œuvres, mais à y regarder de plus près j’ai compris la volonté de l’artiste... A.D. Une exposition faible en œuvre mais riche en sens. A.C. L’ambiance est froide, chirurgicale, le discours de l’artiste est plus long que la visite. Pourtant… On perçoit la circulation de l’air, et les fortes oppositions entre l’aspect rigide des matériaux et l’agencement aérien des sculptures… grâce à l’accueil et aux explications chaleureuses de notre guide Mélanie ! M.OZ Seule couleur ? Celle des matériaux industriels. S.J. Mise en scène en accord avec la thématique de l’expo: les couleurs dominantes gris-blanc, l’emplacement qui permet la circulation de l’air entre les œuvres…

Les acteurs ont travaillé avec «leurs» jeunes, de façon à ce que leur prestation les reflète fidèlement, même si par exemple un acteur homme joue une jeune fille ou si un adulte blanc incarne un jeune comorien malgache. Chaque spectateur peut aussi se reconnaître dans ces jeunes. Une belle expérience, qui parle de tolérance et d’intégration. Un spectacle de théâtre agréable, rythmé par la musique et les extraits vidéo, et un échange d’émotions entre hommes, quels que soient leur âge, leur allure, leur classe sociale et leur culture. DJEMA,

A.P.

DAYLIA, NELYA ET JOHANNA

C.C. Nous ne nous etions jamais rencontre © X-D.R

D’abord on perçoit une froideur, un manque de poésie dans ce nuage de verre découpé brutalement, géométriquement… Puis le paradoxe créé par l’artiste apparaît, et on commence à comprendre sa démarche créative… La figure dominante ? L’oxymore : la régularité des tas, les nuages attachés au sol, la nature froide, l’industrie légère… À nous maintenant de jouer avec les mots, les paradoxes, rendre l’eau tangible, de retranscrire les immeubles d’en face comme un paysage ouvert. M.OK

Il ne reste plus qu’à faire une œuvre terrestre ou atmosphérique, en mélangeant le naturel et l’industriel. J.V. Pour parvenir à naturaliser l’industrie, à la rendre admirable. C.B. Matériaux ? Inox, verre et métal, plastique, vent de ventilateur, eau figée, brouillard dessiné… L.D. Et transformer l’acier en élément fragile et léger. L.P.


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EDUCATION

LA LOI LRU

Ubu et la Scélérate LRU Lundi 2 février 2009. Répondant à l’appel de la coordination nationale des universités en lutte, le «comité de mobilisation» de la faculté de St Jérôme établit à 7h30 un barrage filtrant à l’entrée du site… La décision a été prise en Assemblée Générale la semaine précédente. Déjà, les personnels de 46 universités françaises regroupés en coordination avaient lancé le mot d’ordre de grève illimitée à compter du lundi 2 pour le retrait immédiat de la LRU. Une saveur de mai en janvier, une odeur de jamais vu à Saint-Jérôme. La LRU ! Loi relative aux «Libertés et Responsabilités des Universités». Té, té, té, la rime est aussi pauvre que le projet déjà combattu fin 2007 par quelques étudiants aussi lucides que seuls dans la lutte (même si Zibeline déjà sonnait l’alarme). À l’époque, les universitaires et chercheurs n’avaient pas cru bon de soutenir la jeunesse dans son combat… Pourtant la loi était la même. Elle menaçait tout autant cette indépendance et cette liberté de recherche et d’enseignement supérieur que son titre prétend étendre et «responsabiliser». Il y a un an cette loi revendiquait déjà de faire de l’université française une «libre entreprise» de vente du savoir. Déjà des présidents d’université, aux pouvoirs renforcés, devaient vassaliser l’éducation aux impératifs locaux du marché du travail. Déjà l’université devait devenir un creuset de «formateurs» aux emplois précaires, modulables et corvéables à merci. Déjà la disparition des petites universités «de province» était programmée, ainsi que l’augmentation colossale des droits d’inscription aux diplômes «rentables». Déjà quelques pôles d’excellence avaient été triés pour y concentrer des thèmes «très choisis» et surtout très fructueux de recherche. Douze sites, pas un de plus, dénommés «plan campus», élus parmi les élus, seuls qualifiés encore à recevoir quelques subsides pour restaurer un patrimoine immobilier en ruine (avez-vous visité les facs où vous envoyez vos enfants ?) qui pourrait abriter encore un semblant de recherche et concentrer les incubateurs de matière grise.

Coupe pleine Alors pourquoi cet embrasement soudain ? Le 22 janvier, le Président de la République partait dans une diatribe fracassante dont il a le secret contre la recherche et l’enseignement supérieur français. Comme un Père Ubu il déclarait la guerre ouverte au CNRS, par sa chandelle verte ! cette vieille institution devait disparaître ! Née de la dernière pluie au nom de la dernière guerre ! La recherche française malgré ses récents prix Nobel devait se soumettre à son bâton de phynance. Merdre, merdre, merdre, vitupérait le pathétique ! Et puis le reste… Les milliards en cadeaux aux banques alors que l’on refuse à l’éducation nationale

© Y.B

le plan de relance qui endiguerait l’hémorragie d’étudiants qui pénalise l’économie depuis bientôt dix ans. Les cadeaux fiscaux somptuaires aux grands possédants de l’industrie spéculative alors que l’activité des laboratoires publics de recherche des EPST [Etablissement Publics de Sciences et Techniques] sont asphyxiés financièrement et menacés de disparition. Le 29 janvier, 300000 provençaux dans les rues chantent une nouvelle marseillaise, celle de la protestation contre le bâton à phynance. Père Ubu est sourd. Père Ubu est ivre, puissant par la crise, riche de la pauvreté. Des millions de français agitent leur colère. Père Ubu est aveugle et les forces de son ordre ne savent pas compter.

© Y.B

Agir Lundi 2 février 2009, 13h30, amphithéâtre Pasteur, Faculté des Sciences de Saint-Jérôme, 450 personnes se pressent. Du jamais vu ! Même la fac de droit est en grève reconductible. Imaginez ! Un enseignant juriste intervient. Il rappelle que c’est en 1950 que le droit de grève a été reconnu légal à l’université… 59 ans pour que le droit exerce son droit, historique, non ? Alors, pourquoi ? Plusieurs le clament, la liberté d’enseignement et de recherche est menacée. Comme aux pires périodes de notre pays, la liberté d’expression et de création est remise en cause. Ce qu’aucune force politique n’avait tenté de faire, Père Ubu le fait. La grève est reconduite. De nouveaux modes d’action sont recherchés. Les amphis sont au travail, dans la résistance affichée, malgré les menacesi. YVES BERCHADSKY

1

Rappelons pour mémoire à tous les enseignants qui pensaient être encore libres d’énoncer leurs opinions hors de leur classe, cet appel d’offre de 202000 euros (100000 euros pour le secondaire, 102000 euros pour les universités) lancé par le ministère de l’Éducation Nationale en octobre 2008. «Les présents marchés portent sur la veille de l’opinion dans les domaines de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche. [...] Le dispositif de veille vise [...] à repérer les leaders d’opinion, les lanceurs d’alerte, et analyser leur potentiel d’influence et leur capacité à se constituer en réseau […]. Les vidéos, pétitions en ligne, appels à démission, doivent être suivis avec une attention particulière et signalées en temps réel.»


Mensuel gratuit paraissant le deuxième jeudi du mois Edité à 25 000 exemplaires Edité par Zibeline SARL 76 avenue de la Panouse | n°11 13009 Marseille Dépôt légal : janvier 2008 Directrice de publication Agnès Freschel Imprimé par Rotimpress 17181 Aiguaviva (Esp.)

Cinéma Annie Gava annie.gava@laposte.net 06 86 94 70 44

photo couverture © Agnès Mellon Conception maquette Max Minniti

Histoire et patrimoine René Diaz renediaz@free.fr

Rédactrice en chef Agnès Freschel agnes.freschel@wanadoo.fr 06 09 08 30 34 Secrétaire de rédaction Dominique Marçon journal.zibeline@gmail.com 06 23 00 65 42 Éducation Chris Bourgue chris.bourgue@wanadoo.fr 06 03 58 65 96

Philosophie Régis Vlachos regis.vlachos@free.fr Sciences et techniques Yves Berchadsky berch@free.fr

Économie Stéphane Menia s.menia@free.fr Polyvolantes Maryvonne Colombani mycolombani@yahoo.fr Marie Godfrin-Guidicelli m-g-g@wanadoo.fr Maquettiste Philippe Perotti philippe.zibeline@gmail.com 06 19 62 03 61

Arts Visuels Claude Lorin claudelorin@wanadoo.fr 06 25 54 42 22

Responsable commerciale Véronique Linais vlinais@yahoo.fr 06 63 70 64 18

Livres Fred Robert fred.robert.zibeline@free.fr 06 82 84 88 94

Ont également participé à ce numéro : Susan Bel, Marie-Jo Dhô, Sylvia Gourion, Dan Warzy, Pierre-Alain Hoyet, Christine Rey, XRay, Sonia Isoletta, Delphine Michelangeli, Jordan Saïsset

Musique et disques Jacques Freschel jacques.freschel@wanadoo.fr 06 20 42 40 57 Musiques et disques Frédéric Isoletta f_izo@yahoo.fr 06 03 99 40 07

Photographe : Agnès Mellon LA REGIE Jean-Michel Florand 04 42 49 97 60 06 22 17 07 56


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(1 place par carte nominative).

Le Toursky 4 invitations par soir pour le cycle cinéma du XIVe Festival Russe Le Jeu russe de Pavel Tchoukhraï le 10 mars à 20h30 Le Mariage de Vitali Melnikov le 11 mars à 20h30 Les Oiseaux du paradis de Roman Balayan le 12 mars à 20h30 Un nid de gentilshommes de Andreï Kontchalovski le 13 mars à 20h30 VIY de Konstantin Erchov Le 14 mars à 20h30 4 invitations pour Le Journal d’un fou de Gogol le 22 mars à 15h 0 820 300 033

Pour les réductions, présentez simplement votre carte (réduction valable seulement pour l’adhérent) Théâtre du Gymnase 10 invitations par soir pour Otto Witte par la cie du Centaure mes de Michel Didym le 20 fév à 20h30 le 21 fév à 20h30 résa par mail à journal.zibeline@gmail.com Le Gyptis 14 invitations pour Gloria d’après Sunset Boulevard mes de Jacques Hansen le 10 mars à 20h30 6 invitations pour toutes les représentations suivantes le 11 mars à 19h15 le 14 mars à 20h30 le 17 mars à 20h30 le 18 mars à 19h15 et pour tous les spectacles de la saison tarif réduit à toutes les représentations 04 91 11 00 91 Montévidéo 3 invitations par soir pour Vice-Versa de Will Self le 17 fév à 20h30 le 18 fév à 20h30 le 23 fév à 20h30 le 24 fév à 20h30 le 25 fév à 20h30

Le Ballet National de Marseille 8 invitations par soir pour Ouvertures #12 Cartes blanches aux stagiaires de DANCE le 27 fév à 20h30 le 28 fév à 20h30 résa par mail à c.mely@ballet-de-marseille.com Théâtre de Lenche Tarif réduit pour toutes les représentations 04 91 91 52 22 Les Bancs Publics 1 place offerte pour 1 place achetée pour tous les spectacles 04 91 64 60 00

Théâtre Vitez (Aix) 2 invitations par soir pour Personne ne voit la vidéo mes de Nanouk Broche le 3 mars à 20h30 le 4 mars à 19h le 5 mars à 19h le 6 mars à 20h30 le 7 mars à 20h30 2 invitations par soir pour Main dans la main de Sofia Fredén le 17 mars à 20h30 le 18 mars à 20h30 au-delà de ce quota d’invitations, tarif à 8 € pour tous ces spectacles 04 42 59 94 37 Pavillon Noir (Aix) 4 invitations pour Ulysse de Josette Baïz le 1er mars à 17h 04 42 93 48 00 3bisf (Aix) Entrées et visites gratuites sur réservations 04 42 16 17 75 Les Salins (Martigues) 10 invitations pour le concert de Yom le 17 mars à 20h30 réservation indispensable avant le 6 mars 04 42 49 02 00 Festival Les Élancées (Ouest Provence) 4 invitations pour Correspondances par la cie Georges Momboye le 21 fév à 18h30 à l’Espace G. Philippe (Port-St-Louis) Réservations au théâtre de l’Olivier, 04 42 56 48 48

OMC Simiane 4 invitations pour Âmes à grammes, le bal perdu le 21 mars à 20h30 04 42 22 81 51 Le Festival Provence Terre de Cinéma vous offre 10 invitations pour la soirée d’ouverture le 26 mars 5 invitations pour l’hommage à Abdelatif Kechiche le 27 mars à partir de 14h 5 invitations pour la soirée compétition de courts métrages le 28 mars 5 invitations pour la journée Provence Terre Romaine le 29 mars à partir de 11h Salle Emilien Ventre (Rousset) 04 42 53 36 39 GRIM tarif réduit pour tous les concerts (10€ au lieu de 12€) 04 91 04 69 59 Le Balthazar entrée gratuite pour tous les concerts du jeudi 04 91 42 59 57 Le cargo de Nuit (Arles) 2 invitations pour le concert de Peter Von Poehl + Marie Modiano le 14 mars à 21h30 résa par mail à journal.zibeline@gmail.com avant le 12 mars

L’institut culturel italien vous offre 3 adhésions annuelles d’une valeur de 32 €, cette «carte adhérent» vous donnera accès à tous les services de l’Institut, médiathèque et programme culturel. Demande par mail : iicmarsiglia@esteri.it ou au 04 91 48 51 94 Librairie Maupetit (Marseille 1er) La Canebière 5% de réduction sur tous les livres Librairie L’écailler (Marseille 1er) 2 rue Barbaroux 5% de réduction sur tous les livres Le Greffier de Saint-Yves (Marseille 1er) librairie générale et juridique 10 rue Venture 5% de réduction sur tous les livres Librairie Regards (Marseille 2e) Centre de la Vieille Charité 5% de réduction sur tous les livres L’histoire de l’œil (Marseille 6e) 25 rue Fontange 5% de réduction sur tous les livres Librairie Imbernon (Marseille 8e) spécialisée en architecture La Cité Radieuse 280 bd Michelet, 3ème étage 5% de réduction

sur tous les livres Librairie Arcadia (Marseille 12e) Centre commercial Saint Barnabé Village 30 rue des électriciens 5% de réduction sur tous les livres Librairie de Provence (Aix) 31 cours Mirabeau 5% de réduction sur tous les livres Librairie Au poivre d’Âne (La Ciotat) 12 rue des frères Blanchard 5% de réduction sur tous les livres La Pensée de Midi vous offre 3 exemplaires de la revue L’Iran derrière le miroir par mail : chris.bourgue@wanadoo.fr Le Comité régional de Tourisme vous offre 2 marinières «Picasso en Provence côte d’azur» par mail : chris.bourgue@wanadoo.fr


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