Zibeline #41/42/43

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CULTURE LOISIRS TÉLÉ ciné

12.07 > 02.08.2019

ZIBELINE

L’hebdo Cult’ n° 41-42-43

2€50

Notre sélection du OFF

L 18754 - 41 - F: 2,50 € - RD

Vivez votre été en festivals !


sommaire 41 42 43

société (P.4-7) Les États généraux de Marseille Sauvons l’eau en Méditerranée Rencontres Anti Fashion

Cité Queer (P.8-9) Politique culturelle (P.10-15) Création du Centre Dramatique des Villages du Haut-Vaucluse

Mon enfant ma bataille et la PMA Féministival

Réouverture de la Maison Alexandra David-Neel à Digne Lancement de Manifesta à Marseille Inauguration de l’ENSP à Arles

festivals (P.16-42) Marseille, Aix, Lambesc, Arles, Avignon, Orange, Ollioules, Agay, Carqueiranne, La Londe-Les-Maures, Montpellier

The great disaster, Olivier Barrère, au Théâtre des Halles du 5 au 26 juillet © Erick-Priano

Requiem, mise en scène Romeo Castellucci, Festival d'Aix © Pascal Victor

ARTS VISUELS (P.42-57) Marseille, Martigues, Aix, Arles, Avignon, Toulon, Montpellier, Saint-Paul-de-Vence, Le Cannet

CONSEILS TÉLÉVISION (P.60-61)

Fabienne Verdier au Musée Granet, Aix-en-Provence, L’Un

(Créé le jour de la mort de Rostropovitch, le 27 Avril 2007, en hommage), 2007 Acrylique et technique mixte sur toile, 300 x 116 cm Fondation Hubert Looser, Zurich © Adagp, Paris, 2019

LITTÉRATURE (P.62-63) Feuilleton littéraire d’Éric Pessan, dernier épisode


edito

Fin du moi, début du nous

I

l est curieux de constater que nous sommes capables d’imaginer la fin de l’anthropocène alors que nous sommes bien en peine pour penser la fin du capitalisme. Pourtant, la guerre de tous contre chacun et les logiques identitaires, la marchandisation de nos vies et les replis nationalistes, cet ensauvagement en cours nous oblige à sauver notre part d’humanité en même temps que le climat... Car les défis environnementaux et anthropologiques se télescopent et il faut défendre notre espace imaginaire vital, qui semble avoir réduit au rythme de notre avancée vers l’effondrement. Notre humanité ne tient qu’à un fil fragile, un fil qui nous relie : une histoire commune de drames et de beautés. Nous ne tenons qu’à ce fil qui nous dit : tends la main à celui qui se noie ; partage, réfléchis, aime, regarde la poésie du matin, l’intelligence d’une lutte, pense par toi-même, invente des chemins inconnus... Si ce n’est pour tout ceci alors pour quoi ? Pour vaincre, conquérir, s’enrichir à millions ? Pour écraser, humilier ou torturer ? Il faut

faire le pari, éternellement réenchanté, que notre humanité, fatiguée et meurtrie, mérite de vivre en harmonie et en intelligence, et qu’elle mérite qu’on se batte pour elle, non comme un acquis que l’on préserve mais comme un chemin à inventer... À travers la création artistique, il nous faut voir le réel, déceler les bribes de demain qui sont dans aujourd’hui et désincarcérer le futur. Pour accomplir cela, l’art doit être libéré de la précarité et de la marchandisation. Il peut devenir un espace infini de partage et de mise en commun pour faire vivre l’échange et la réflexion, pour panser nos vies cabossées et inventer un imaginaire du futur déjà-là. Il y a partout des îlots de résistances, qui doivent apprendre à devenir des archipels puis des continents, et qui construisent ici des Zad, là des coopératives, ici un spectacle et là une chanson. Partout, plutôt que d’attendre la fin du système, chantons déjà sur ses ruines. Partout, pour réaliser notre humanité, passons de la fin du moi au début du nous. LAURENT EYRAUD-CHAUME

Metteur en scène, codirecteur de la compagnie Le pas de l’oiseau Abonné de Zibeline

Photo de couverture : Chucho Valdés au Festival Marseille Jazz des cinq continents © Carol Friedman

ZIBELINE L'HEBDO CULT' CULTURE

LOISIRS

TÉLÉ

Administration admin@journalzibeline.fr contact@journalzibeline.fr

CINÉ

Hebdomadaire paraissant le vendredi

Directrice de publication Agnès Freschel

Édité à 20 000 exemplaires par Zibeline

Rédaction : journal.zibeline@gmail.com

BP 90007 13201 Marseille Cedex 1 Dépôt légal : janvier 2008 ISSN 2491-0732 Imprimé par Rotimpress Imprim’vert - papier recyclé

Commerciale Rachel Lebihan rachel.zibeline@gmail.com

04 91 57 75 11

Chargée des abonnements Marine Jacquens mjacquens.zibeline@gmail.com

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société

Marseille en ébull

Une soixantaine de collectifs, syndicats et associations à l’initiative, un diversité des aspirations : les États généraux de Marseille ont marqué

Aux actes ! Des frustrations et l’envie d’en découdre relevées au Forum écologie des États généraux de Marseille

L

e samedi 22 juin les États généraux de Marseille avaient prévu quatre Forums sur l’habitat, les services publics, la place des citoyens, et l’écologie. Ce dernier a rassemblé dans le grand amphi de la fac Saint-Charles bon nombre de personnes affligées par l’état environnemental déplorable de la ville. En

tribune, divers représentants de mouvements écolos. L’occasion pour chacun d’évoquer brièvement leurs actions : Alternatiba a ainsi interpellé début 2019 la Métropole Aix-Marseille-Provence avec 300 propositions pour le climat, issues d’un groupe de travail citoyen*, Greenpeace a publié au printemps une analyse cartographique de la pollution de l’air à proximité des écoles, à l’échelle de Marseille et de ses communes périphériques, tandis que Filière Paysanne a un projet éditorial centré sur la protection des terres agricoles, Qui sème le béton aura bientôt la dalle.

Maladresse et bonnes intentions Le format de deux heures prévu pour les Forums, destiné à dessiner des pistes

concrètes de changement dans l’approche environnementale de Marseille, n’a pas suffi à convaincre l’auditoire. Dès que le micro s’est mis à circuler dans la salle, quelqu’un a fait remarquer que seuls des hommes étaient sur l’estrade, tandis qu’une autre personne relevait un certain entre-soi de militants convaincus, avec peu de présence des quartiers populaires, pourtant les plus frappés par la pollution. Les pauvres, ici, sont coincés entre deux autoroutes, ou sous le vent des navires de croisière ultrapolluants qui font tourner leurs machines dans le Port... Un Tunisien, venu spécialement pour participer, témoignait des mêmes problématiques dans son pays : « À Gabès, on ne parle même plus de droits à l’environnement,

Des états généraux et

À huit mois des élections municipales, les stratégies citoyennes suscitent le débat

E

ngagés dans la dynamique, Thomas Posetti du collectif Le grand rattrapage et Soraya Guendouz du Syndicat des quartiers populaires nous livrent leur point de vue. Entretiens croisés

© Gaëlle Cloarec

Zibeline : Quel est votre regard sur ces États généraux ? Thomas Posetti : J’y ai vu beaucoup de respect, d’intelligence, de gravité et d’humour. Ils ont permis à des personnes d’horizons très différents de se rencontrer, de fédérer beaucoup d’acteurs de terrain. Comme un catalyseur de liens entre des collectifs qui ne se connaissaient pas forcément et qui se sont rendus compte qu’ils étaient en capacité de s’organiser pour construire une ville plus égalitaire. On a expérimenté le fait de se regrouper par thématique, en dépassant les clivages Nord-Sud. La société marseillaise n’est pas si cloisonnée que ça. Soraya Guendouz : Ce fut deux jours très intenses, une source d’énergie pour proposer une autre Marseille. Les constats sont largement partagés. Des dizaines de propositions


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lition participative

millier de participants et une volonté unanime de continuer dans la é une étape décisive dans l’après-5 novembre

mais de droit à la vie ! » Le désir qui s’est dessiné sur les bancs des États généraux est donc net : sortir du système libéral et post-colonialiste, responsable de la catastrophe écologique en voie d’emballement. « Il faut se liguer ! s’exclame Rémi, infirmier à Martigues, zone industrielle où la santé des populations est sacrifiée, l’écologie ne peut pas être autre chose qu’un combat politique ! » Un autre s’interroge : « Comment fait-on entrer les gens en lutte ? Rassemblons-nous, avec les gilets jaunes et les jeunes pour le climat ! ».

Problème de fond Des idées, il y en a. Obtenir la mise en place d’une halle alimentaire en régie municipale, pour favoriser le droit à une

alimentation locale, bio et de qualité pour tous. Créer un portail citoyen d’information sur l’état de la pollution, quartier par quartier. Multiplier les jardins partagés. Mais, prête à entrer en ébullition, la journaliste Sandra Blondel s’empare du micro. « On a pris trop de temps à dresser un constat qu’on connaît tous. Les solutions sont elles aussi connues. Maintenant, il faut passer au mode opératoire ! » Une autre prend sa suite : « Pour mobiliser les marseillais il faut faire des actions spectaculaires. Pourquoi ne pas se regrouper, et refuser collectivement de payer les transports en commun ? Allons nous asseoir en nombre sur l’autoroute, pour empêcher les voitures de circuler. » Les membres d’Extinction Rebellion appellent quant à eux à une

globalité d’actions, la semaine du 20 au 27 septembre : « On déborde, on occupe, et on change les choses ! » s’emballe un jeune homme. Sa camarade Coralie explique pourquoi elle a refusé de monter sur cette tribune (alors qu’elle aurait pu améliorer la parité, sourit-elle) : « Je ne suis plus dans une dynamique questions/ réponses. Le colonialisme sous toutes ses formes est responsable de l’urgence écologique et sociale dans le monde. La seule chose à faire, c’est de passer à l’action. »

enchaîner de la même manière avec la désignation de candidats. Ils en seraient d’autant plus légitimés. S.G. : Mes préoccupations sont sociales. Il faut réinventer la chose politique car elle ne se réduit pas à ce qui se passe dans les appareils et les institutions. L’idée d’assemblées populaires locales a germé. Il faut nous inscrire dans le long terme et inverser le rapport au pouvoir en affirmant que nous aussi, nous sommes un pouvoir. Êtes-vous favorable à un débouché électoral de la dynamique ? T.P. : Pour ma part, je pense que ce serait très intéressant. Il y a la volonté de s’organiser pour accompagner un changement au niveau de la municipalité et de renouveler les liens entre les personnes qui vont en être aux commandes et les collectifs citoyens. Mais faire passer la constitution des listes avant le programme

serait la non-prise en considération de ce qu’on est en train de vivre. Il faut rendre transparents tous les processus. Il serait dommage de se couper des partis. Il faut que la gauche se parle. S.G. : Dans mon organisation, la piste électorale en est une parmi d’autres. Personnellement, je n’attends rien du pouvoir politique et ne me reconnais dans aucun parti. Mon échéance n’est pas mars 2020. Et si on focalise dessus, on va faire l’impasse sur la manière dont on peut transformer la ville. Il faut sortir des mécanismes infantilisants où on nous propose des candidatures en fin de liste pour nous faire taire. On va s’asseoir à la même table et parler d’égal à égal.

GAËLLE CLOAREC

* alternatiba.eu/marseille/ wp-content/uploads/sites/54/2019/01/ AlterTerri_Propositions-PCAEM-AMP_v1.0.pdf ** greenpeace.fr/pollution-ecole/marseille/

après ? sont sorties des ateliers. Et les acteurs des quartiers populaires en portent un certain nombres. Des collectifs thématiques sont nés sur la culture, l’éducation, et vont jouer un rôle de comités de vigilance. Comment imaginez-vous la suite ? T.P. : Les États généraux ont permis de dire que la société civile constituée en collectif a la volonté de peser sur la vie citoyenne. Ce qui confirme la demande participative exprimée par les Gilets jaunes. Nous pouvons constituer une force citoyenne en mesure d’exercer un contrôle sur l’action publique. On peut imaginer une poursuite des travaux avec des outils numériques participatifs, ce qui pourrait aider à construire un programme auquel pourraient également contribuer les militants politiques qui se reconnaissent dans notre appel. Si on y parvient pour le contenu, on peut

ENTRETIENS RÉALISÉS PAR LUDOVIC TOMAS

Les États généraux de Marseille ont eu lieu les 21, 22 et 23 juin, à la cité AirBel et à la faculté Saint-Charles


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société

De moins en mieux

La calanque de Cortiou, au coeur du Parc National, reçoit les eaux usées de Marseille et les eaux détournées du fleuve Huveaune © Andromède océanologie

L’eau de la Méditerranée, clé d’un avenir vivable

M

arseille accueillait le 4 juillet un colloque organisé par l’Agence de l’Eau1 : Méditerranée, le cap de la qualité retrouvée. Un bilan des écosystèmes marins et de la pollution dans le bassin méditerranéen, destiné notamment à mobiliser les élus et collectivités face à l’urgence environnementale. L’état des lieux n’est pas complètement catastrophique, dans la mesure où les communes du littoral, qui ne disposaient d’aucun système d’assainissement des eaux usées dans les années 1970, se sont depuis équipées. L’Agence estime que 88% des eaux côtières françaises sont en bon état chimique (pas trop de pesticides, métaux lourds, hydrocarbures, PCB...), et 84% en bon état écologique (présence d’invertébrés, macro-algues, phytoplancton, taux d’oxygène dissous correct...). Cela, bien-sûr, est un progrès. Mais d’autres chiffres sont moins réjouissants : le WWF a publié en juin un rapport2 établissant que la France est le plus important producteur de déchets plastiques en Méditerranée, dont 10 000 tonnes se retrouvent chaque année dans la mer. La pression humaine sur le littoral est énorme ; le tourisme de masse, une catastrophe environnementale. En un court film projeté, Julie Deter, scientifique de l’université de Montpellier, qui s’intéresse à l’impact du changement global sur la biodiversité marine, a ouvert les yeux de l’assistance sur les ravages des bateaux de plaisance. On y voit l’ancre d’un navire racler une prairie

de posidonies, ces plantes qui, à surface égale, captent plus de carbone qu’une forêt tempérée ou tropicale. Des dommages quasiment irréparables. « Mais ce n’est pas parce que repiquer des rhizomes ne marche pas très bien qu’il faut arrêter. Même s’ils repoussent de quelques centimètres par an, à terme cela constituera un herbier et cela vaut le coup d’y mettre des moyens. »

Faire mieux avec moins ?! Les moyens. Le mot est dit : le nerf de la guerre, pour les chercheurs, les collectivités, et les associations de défense de l’environnement. Laurent Roy, directeur général du secteur Rhône Méditerranée Corse, détaille le budget consacré par l’Agence de l’Eau au bassin méditerranéen : environ 100 millions annuels entre 2013 et 2018. Problème : le Gouvernement a baissé l’enveloppe globale de la structure de 13%, pour son nouveau programme d’intervention 2019-2024. Il va falloir faire mieux avec moins pour lutter contre la pollution, la chute de la biodiversité, s’adapter au changement climatique, rallier les populations, faire prendre conscience aux décideurs de l’importance cruciale de la mer pour conserver un monde vivable. À cet égard, assister au colloque dans l’auditorium feutré du Pharo était franchement déprimant. Il fallait entendre Gilles d’Ettore, maire d’Agde, qui se décrit lui-même comme « gaulliste-écolo », se réjouir d’être parvenu, au terme de 7

ans (!) de tracasseries administratives, à faire arroser le golf de sa commune par des eaux usées, pour économiser l’eau potable. On en est là, face à l’urgence. Les élus ne se posent pas la question de l’utilité sociale d’un golf, l’un des sports les plus polluants, juste derrière le ski (!), et l’idée ne les effleure pas, par exemple, d’y planter plutôt un verger, pour alimenter en fruits les cantines scolaires. Didier Réault, adjoint au maire de Marseille délégué à la mer et président du Parc National des Calanques, déclenchait à son tour l’incrédulité de la journaliste, en lui déclarant avec fierté « Je me considère comme un pionnier de la débétonisation3 des sols ». Faut-il lui rappeler le bilan de sa municipalité en matière d’urbanisme ? « Les politiques publiques sont lentes », a-t-il admis devant son visage atterré. Être « lent » est de plus en plus criminel. GAËLLE CLOAREC 1 Établissement public de l’État sous tutelle du ministère de l’Environnement, avec pour mission la qualité de l’eau et des milieux aquatiques

wwf.fr/vous-informer/actualites/chaqueannee-600-000-tonnes-de-plastique-sontrejetees-dans-la-mer-mediterranee 2

Des sols perméables permettent d’absorber l’afflux d’eau de pluie lors des épisodes extrêmes qui se multiplient, et d’éviter inondations, érosion des littoraux et pollutions diverses de la mer 3


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Anti Fashion,

un pavé dans la mode Chaque année depuis Économies locale et circulaire Insertion professionnelle Chaque année, les intervenants sont plus En 2017, un solide partenariat tissé avec 2016, l’événement Anti- nombreux autour de la table -en juin la marque Veja aboutit à l’instauration Veja, Le Slip Français, Le Bon d’un programme de mentoring auprès de Fashion réunit à Marseille dernier, Coin, Gentle Factory ou encore Sessun, jeunes de 18 à 25 ans issus de Marseille avare en communication- et de Roubaix, incluant notamment des industriels, créateurs et d’ordinaire pour évoquer des sujets aussi variés que la cours à l’ESMOD de Roubaix et la mise en consommateurs pour une fabrication locale, l’économie circulaire ou relation avec des professionnels du miles innovations technologiques, dans une lieu, pour s’achever sur la présentation joyeuse émulation abolissant les frontières d’une création textile devant un jury. « On mode plus raisonnée

E

n 2015, la Néerlandaise Lidewij Edelkoort, prescriptrice dans l’univers de la mode, jette un pavé dans la mare : son Manifeste anti-fashion dénonce un système dépassé, gangréné par l’argent, et auquel il est urgent de rendre sa dignité. Depuis Marseille, Stéphanie Calvino lui emboîte alors le pas : essorée par ses années de missions auprès de l’Institut Mode

© Anne Loubet

Méditerranée, rompue aux cadences infernales des salons de prêt-à-porter laissant exsangues les travailleurs comme l’environnement, elle est en quête de sens. Ensemble, elles imaginent l’événement Anti-fashion, un laboratoire effervescent et contributif impulsant réflexions, échanges et débats sur des pratiques vertueuses et des pistes d’avenir, dans une perspective de mode plus éthique et raisonnée. Hébergé pour sa 1re édition dans les locaux de Montévidéo, Anti-fashion est depuis lors reconduit chaque été, de la Chambre de Commerce et d’Industrie (2017) à la Friche Belle de mai (2019), en passant par le J1 (2018).

sociales et corporatistes. Et bien que les partenaires privés -dont LVMH depuis 2019- pallient la frilosité persistante des partenaires publics, Stéphanie Calvino puise dans ses fonds propres pour financer l’événement. « Le sujet est complexe, et engendre un profond questionnement sociétal. Le choix du bon textile, par exemple, est un acte politique », commente la tenace quadragénaire. Fin juin, à la Friche, Antifashion permettait ainsi d’incarner des démarches porteuses d’espoir, à l’image de l’enseigne Maison Château Rouge installée en plein cœur de la parisienne Goutte d’Or par le créateur Youssouf Fofana, du concept store Front de Mode impulsé par la styliste Sakira M’Sa, ou encore de la marque de jeans 100% made in France créée par Thomas Huriez, fondateur de l’entreprise drômoise Modetic : 1083, comme les 1083 kms séparant les deux villes les plus éloignées de France métropolitaine, Menton (06) et Porspoder (29).

se sert de la mode comme vecteur d’insertion professionnelle pour ces jeunes, parfois déscolarisés, issus des quartiers défavorisés. On les suit au plus près, tout en réglant parallèlement des questions de développement personnel, de précarité, parfois de papiers, en collaboration avec un travailleur social. On les emmène aussi visiter la Villa Cavrois de Mallet-Stevens à Roubaix, le Festival de la mode et de la photographie à Hyères, et ils rencontrent des artistes aux parcours atypiques tels que Karole Rocher, peut-être bientôt Yasmina Khadra… », détaille Stéphanie Calvino. Le programme débouche sur des stages ou des embauches -2 CDI ont déjà été signés avec Veja. Pour l’heure, la Marseillaise envisage de faire migrer les futures éditions d’Anti-Fashion « dans des villes qui illustrent notre démarche, telles qu’Athènes ou encore Détroit, minée par l’industrie automobile, dont les habitants cultivent des terrains abandonnés pour se nourrir. Autant d’économies parallèles développées par nécessité de se reconstruire et de se réinventer. »

Boutique éphémère

JULIE BORDENAVE

Inaugurée le 28 juin, Anti-Fashion Pop Up Store, rue de la République, est la vitrine d’une action menée à l’année. Les jeunes participants au programme de mentoring tiennent boutique et y exposent leurs créations. L’espace vente propose une sélection de fripes effectuée avec la journaliste Sophie Fontanel, ainsi que des pièces créées par des marques partageant les valeurs du mouvement. Jusqu’au 26 juillet du mardi au samedi de 10h à 19h 18 rue de la République, Marseille facebook.com/pg/Anti_fashion-1347112088706311/posts/


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actualité culturelle lgbt du sud-est

Une bataille de plus Dans un documentaire produit par l’APGL, Emilie Jouvet traite avec délicatesse la question de l’homoparentalité

© Mon Enfant, ma bataille - Émilie Jouvet

A

u fil des témoignages rassemblés dans le très efficace Mon enfant ma bataille, un parallèle s’impose, sur lequel une des mères interviewée mettra les mots que l’on peinait à prononcer : la peur chevillée au corps de femmes parties en Espagne réaliser leur FIV, celle de la fausse couche, de l’accouchement prématuré, ou tout simplement de l’énième échec, auquel s’ajoute un sentiment de clandestinité. Cette angoisse, cette douleur ont à voir avec celles de femmes contraintes de traverser les frontières, il n’y a pas si longtemps, pour y subir un avortement illégal, dans des conditions peu recommandables. Le parallèle ne s’arrête pas là : la crainte fantasmatique de la fin d’un ordre social, formulée avec plus ou moins d’audace par les « anti », évoque également ces temps troubles. Où l’on débattait sans honte des droits des femmes et de leurs corps en leur absence, comme d’autres politiciens, par ailleurs souvent divorcés et remariés, se permettront par la suite de discréditer sans sourciller la légitimité du mariage homosexuel. De quoi achever de convaincre que les nouveaux « anti » se situent décidément du mauvais côté de l’histoire. Après un premier film, Aria, consacré à sa propre PMA en pleine manif pour

tous, la réalisatrice Émilie Jouvet s’est intéressée avec Mon enfant ma bataille à l’histoire récente, riche mais encore incomplète des combats de l’APGL depuis 1986 : du PACS à ses retombées successives, images des débats à l’Assemblée nationale à l’appui. Ce choix de se situer du côté de la loi davantage que, par exemple, de celui du traitement médiatique souvent tapageur et artificiel de la question, est bienvenu. Le tournage du film a également permis à Emilie Jouvet de rencontrer près de cent personnes

vivant en France leur homoparentalité : plusieurs couples confient à la caméra leur bonheur parental, mais aussi leur angoisse liée à leur statut précaire, les épisodes de désespoir traversés. La réalisatrice prend également le temps de scruter les regards complices des enfants, de les laisser s’exprimer avec une bonne humeur communicative.

Des combats à mener Le public réuni au cinéma de La Baleine par l’APGL, la Pride Marseille et

La PMA enfin à l’agenda L’élargissement de ce droit nouveau à toutes les femmes sera débattu à la rentrée

C

ette fois, c’est sûr. Initialement programmée en 2018 et maintes fois repoussée, la révision de la loi de bioéthique qui prévoit l’ouverture des techniques de procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes -aux femmes seules comme aux couples de lesbiennes- sera examinée lors de la prochaine session parlementaire. Dès la fin septembre, comme l’a annoncé le Premier ministre Édouard Philippe dans

son discours de politique générale le 12 juin dernier, devant les députés. Le texte devrait d’ailleurs être adopté en conseil des ministres fin juillet. Contrairement au reste de la politique menée depuis son accession à l’Élysée, cette promesse électorale du candidat Macron recueille l’assentiment de la majorité des Françaises et des Français. Les conservateurs et réactionnaires de tous poils ressortiront sans doute leurs banderoles poussiéreuses.


Cité Queer le collectif IDEM pour assister à la projection, est souvent directement concerné par la question -un jeune enfant au bras de ses deux mamans prendra notamment la parole pour demander à être l’objet du prochain film ! Le doute formulé par Émilie Jouvet quant à la possibilité pour le documentaire de rencontrer le grand public se voit vite balayé par une spectatrice, qui souhaite sa diffusion massive, et se confronter ainsi non pas aux « hostiles », minoritaires, mais bien aux « indécis ». L’avenir de Mon enfant ma bataille, qui fait pour l’instant le tour des festivals LGBT et se voit diffusé dans des cinémas liés au milieu associatif, est encore incertain. De même, rien n’est encore vraiment gagné pour l’homoparentalité, pour la GPA, encore illégale, ou pour, comme le fera remarquer un spectateur, la parentalité LGBTI -la nouvelle loi d’extension de la PMA excluant encore les parents transgenres. La législation toujours en place, commentée avec pédagogie par l’avocate Catherine Clavin, demeure floue quant aux questions de filiation biologique et de filiation d’intention, ou encore à celle de la séparation. Quand elle ne viole pas purement et simplement les décisions de la Cour Européenne des droits de l’Homme en refusant de reconnaître les actes de naissance d’enfants nés par GPA. L’heure n’est cependant pas à l’aigreur, mais bien à la célébration des droits acquis. On se réjouit donc de l’extension du droit à la PMA à venir, mais aussi du traitement égalitaire des parents homosexuels et des parents hétérosexuels sur les dossiers d’adoption dans le département des Bouches-du-Rhône. On se félicite, sans crier pour autant victoire, du chemin parcouru. SUZANNE CANESSA

Mon enfant ma bataille, 35 ans de lutte des familles homoparentales, d’Émilie Jouvet, a été projeté au cinéma la Baleine, Marseille, le 4 juillet

Et les associations militant pour l’extension du droit à la PMA ne manqueront pas de rester vigilantes sur l’obtention d’une réelle égalité des droits. Notamment sur les questions de l’accès aux origines, la filiation ou encore le remboursement des différents actes. Une autre question reste en suspens : celle de la date de la promulgation de la loi et donc de son effectivité. La majorité présidentielle, à l’ambition de conquêtes électorales manifeste, aura-t-elle le courage de passer outre les calculs politiciens liés à la campagne des municipales ? LUDOVIC TOMAS

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Féministival, premier du genre à Marseille Femmes cisgenres, personnes trans et non-binaires au centre de la programmation

Les 10 Commandements des Miss B @ Karine Ghalmi

A

près deux éditions parisiennes en 2016 et 2018, le Féministival s’exporte dans la cité phocéenne pour deux journées placées sous le signe de l’art, de l’éducation populaire et du métissage des cultures méditerranéennes. Son but : sensibiliser aux discriminations de genre et valoriser des artistes et intervenant-es qui occupent des espaces d’expressions habituellement réduits. Arts visuels, performances, ateliers éducatifs, projections, débats, théâtre forum et concerts vont permettre de découvrir plus de cinquante artistes. La performance participative de Miss B délivrera les dix commandements féministes autour d’une table de banquet. Celle d’Utérus Cactus se veut rituelle et propose un moment inhabituel de recueillement et de rassemblement. Côté musique, les sonorités métissées et engagées de Zikahi et le rock glamour et corrosif de Belladonna 9CH. Le documentaire Charity business évoque l’engagement des femmes dans les Gilets jaunes, notamment autour du scandale des logements insalubres du Palais de la femme, établissement de l’Armée du Salut à Paris. À l’origine du Féministival, l’association des Effronté-es, créée en octobre 2012, dénonce les mécanismes transversaux du patriarcat et l’assignation des personnes à des rôles stéréotypés. L.T.

Féministival 13 & 14 juillet Couvent Levat, Marseille feministival.fr


10 politique culturelle

« Nous sommes des enfants de la décentralisation » Unique en France, le Centre Dramatique des Villages du Haut-Vaucluse va voir le jour, issu de la fusion du festival Nuits de l’Enclave et de l’association Éclats de scène

C

ette structure innovante et unique -une première en France- a pour but de s’inscrire sur trois intercommunalités du Haut-Vaucluse -Rhône lez-Provence, Enclave et Pays de Grignan, Vaison-Ventoux-, en incluant aussi une partie des villages hors intercommunalités au sud de l’Enclave des Papes. Un territoire vaste, situé dans une zone culturelle dite « blanche », éloigné d’une heure du CDN La Comédie de Valence et de la scène nationale La Garance de Cavaillon. C’est dans un esprit de rééquilibrage des territoires en

matière culturelle et pour « porter de véritables projets de déconcentration de l’offre culturelle et de mobilité des œuvres et des publics » que le département de Vaucluse a inscrit ce nouvel outil dans son schéma départemental « Patrimoine et Culture 2019-2025 ». « Nous répondions à de nombreux critères explique Gilbert Barba, directeur des Nuits de l’Enclave et codirecteur du Centre Dramatique des Villages (avec Frédéric Richaud, directeur artistique d’Éclats de scène), la couverture des fameuses zones blanches, l’itinérance, l’accueil en résidence

de compagnies, d’auteurs… et la fusion volontaire de nos deux structures. Ce projet a été pensé avec les tutelles, le département mais aussi l’État et la Région Sud, qui ont tous abondé financièrement. C’est un vrai choix politique, de toute part. »

Dimension humaine Si l’ambition artistique est celle d’un Centre dramatique, il s’agit avant tout pour les deux codirecteurs de se singulariser en « gardant une dimension humaine avec les villages et leurs habitants ». Dans chaque commune les salles


DOMINIQUE MARÇON

Toulon

27.06 → 24.11

Ancien Évêché 69 cours Lafayette

Nouvelles Vagues Collections Design du Centre Pompidou scénographie d’India Mahdavi

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DU 19 AU 28 JUILLET 2019

CONCERTS GRATUITS

, iStock -

Le projet en est encore à ses débuts, mais Frédéric Richaud et Gibert Barba sont bien décidés à l’inscrire dans la durée. « Entre 2020 et 2022 on sera en “construction”, on va assoir notre travail, créer plus de partenariats… Nous sommes en train de construire un outil que nous voudrions pérenne, et qui par la suite pourra être repris par une ou un artiste après nous. Pourquoi pas, après ces trois ans, proposer une labellisation ? Rien n’empêcherait, si les institutions y voient de l’intérêt et sont partie prenante, de mettre en place un Centre Dramatiques des Villages ailleurs, dans d’autres régions ! » Dans la durée, et dans la philosophie d’éducation populaire et de décentralisation théâtrale. « Depuis plus de vingt ans nous n’avons eu de cesse de transmettre ce que nous avons reçu de nos pairs, de partager nos savoir-faire et d’offrir au plus grand nombre la passion de notre métier dans un partage équitable avec les enseignants. C’est donc tout naturellement, à l’aube de la création d’une nouvelle structure, que nous continuons à partager et faire ensemble. » C’est dans cet esprit que sont aussi prévues des actions culturelles en lien avec l’Éducation nationale (avec des ateliers, des rencontres avec les artistes, du théâtre forum…) et une programmation plus spécifiquement axée sur le public jeune. Rendez-vous est donc pris pour la première représentation du premier spectacle de ce Centre Dramatique des Villages du Haut-Vaucluse : le 12 octobre au complexe Vignarès de Valréas, avec Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran de et avec Éric-Emmanuel Schmitt.

festival du 27 au 30 juin 2019

mANU DIBANGO African Soul Safari Feat. Manou Gallo Randolph Matthews Afro Blues Project Manu Guerrero Quintet Agathe Iracema feeling alive Théo Ceccaldi Trio Django Riccardo Del Fra quintet et l’Orchestre de l’Opéra de Toulon My Chet My Song Tony Allen The Source

The Kenny Garrett Quintet

CO󰈖󰈖󰈖󰈖󰈖󰈖󰈖󰈖󰈖

Caravancello Spirale Trio

cddv-vaucluse.com

www.jazzatoulon.com -

Hommage à Michel Petrucciani The po’boys Sonia Winterstein quartet Ananda Revival Alexis Tcholakian trio

@jazzatoulon - Infos au 04 94 09 71 00 > Allez-y en bus et en bateaux-bus !

- 04 94 07 25 25 - 05/2019 - Illustrations :

La transmission en héritage

4e festival international d’architecture d’intérieur

Conception graphique : Agence

seront transformées en autant de lieux artistiques potentiels, devenus le temps d’une soirée des théâtres grâce à un équipement mobile adapté. Pour favoriser une proximité directe des habitants avec les artistes et créateurs, au cœur du dispositif, le CDDV organisera des résidences de création pour leur permettre de « produire un travail original en associant le public à leur démarche ». « Ouvrir les portes aux artistes, les accompagner au plus près et au mieux c’est aussi ouvrir les portes au public » rajoute Gilbert Barba. La fusion n’est pas encore effective, elle le sera en janvier 2020, 2019 étant l’année de la préfiguration, mais « le Centre Dramatique des Villages est déjà créé symboliquement », et une première programmation itinérante sillonnera les communes d’octobre à mai. Une programmation pluridisciplinaire qui mêle des figures populaires (Francis Huster, Francis Perrin, Éric-Emmanuel Schmitt…) à des compagnies régionales (Pirenepolis, Vélo Théâtre, Naïf Production…) ou nationales. Ces accueils de spectacles se feront parfois en partenariat avec les structures environnantes, que ce soit La Garance à Cavaillon, Les Hivernales - CDCN d’Avignon, le Festival d’Avignon, le CDN La Comédie de Valence… « Il faut trouver le bon fonctionnement, mais les portes sont ouvertes explique Gilbert Barba. On va essayer de collaborer, y compris avec d’autres structures, pour permettre à des compagnies d’avoir éventuellement plus de tournées ou plus de moyens pour monter des spectacles. »

Design Parade


12 politique culturelle

Une féministe libertaire au Tibet

Nichée sur les hauteurs de Digne, entourée d’un grand jardin, la maison Alexandra David-Neel, après neuf mois de travaux, est réouverte au public, assortie de son musée

Maison Alexandra David-Neel, chambre tibétaine © MC

Samten Dzong Il faut prendre rendez-vous, comme lors d’une visite à une personne de la famille un peu lointaine. On attend au frais sous un arbre. Votre Cicerone vous ouvre la porte fermée à clé, puis redonne un tour de clé une fois entrés. Petit comité, il faut bien faire attention, ne rien déranger, dans la touffeur des pièces minuscules aux plafonds bas de Samten Dzong (« Résidence de la réflexion » en tibétain). Du hall d’entrée, orné de kakémonos en l’honneur de l’ancienne occupante, là des masques protecteurs… on regarde depuis le pas de la porte la « chambre tibétaine » dans laquelle Alexandra David-Neel (1868-1969) aimait s’asseoir, recevoir. Les objets collationnés au cours de ses

voyages, témoins immobiles, laissent imaginer les étendues immenses parcourues, l’émerveillement de civilisations éloignées… Le Bouddha qui a accompagné la voyageuse depuis le Japon attend là, dans la sérénité de sa pause. Sur les étagères, vivement colorés, des livres tibétains (Alexandra David-Neel

Maison Alexandra David-Neel, son bureau au rez-de-chaussée © MC

en légua quatre cent cinquante au musée national des arts asiatiques-Guimet). On passe dans le bureau, juste à côté du « dining-room » : Alexandra qui parlait parfaitement anglais se plaisait à nommer cette pièce ainsi, où elle accueillait amis et journalistes dont la platitude des questions et la demande de merveilleux l’insupportait au point qu’elle leur rédigeait parfois questionnaire et réponses ! (l’extrait d’interview qu’un vieil appareil de TSF diffuse dans son bureau en témoigne avec humour : à l’interrogation à propos des « moulins à prière », elle s’exclame « mais non ! C’est ridicule, ce sont des manis, et on ne les fait pas tourner tout le temps ! »). Austère la table de travail en bois brut, toute simple ; un porte-plume noirci d’encre repose là, des pages manuscrites abandonnées semblent espérer encore être poursuivies ou annotées. La reconstitution des lieux, du papier peint aux couleurs des enduits dont les teintes rappellent celles du Tibet, tente de rendre compte de l’atmosphère dont s’était entourée l’écrivain. On monte à l’étage, chambre minuscule, quasi spartiate, où s’est éteinte à 101 ans celle qui a tant travaillé sur le bureau voisin, tout aussi dénudé que le précédent. Les bibliothèques regorgent d’ouvrages aimés, au mur de la chambre l’énigme d’une photo « ratée » prise par Alexandra David-Neel au musée Guimet, qu’elle avait voulue encadrée au-dessus de sa couche. Pourquoi avoir voulu garder ce cliché, quelle signification lui apportait-elle, rien ne nous le dit, si ce n’est que c’est au musée Guimet, peut-être le jour de ce cliché, qu’elle eut sa vocation bouddhiste. Ailleurs, une pièce entière est peuplée de malles de voyage, patientes, comme


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toit de la maison d'Alexandra David-Neel, surmontée d'un gyältsän © MC

Maison Alexandra David-Neel, musée, masque de danse Cham (Tibet fin XIXe), carton moulé et peint, legs Alexandra David-Neel 1970 Musée national des arts asiatiques Guimet © MC

pour de nouveaux ailleurs. Au-dessus, la « tour » dite de méditation est coiffée d’un gyältsän, emblème de victoire tibétain… Maison symbolique, maison d’écriture, la seule qu’ait jamais possédée Alexandra David-Neel, financée par son seul travail de femme de lettres.

Une femme libre Œuvre, récit, parcours, tout est reflet d’une personnalité hors du commun, libre avant toute choses. Le musée, remarquablement documenté en photographies,

lettres, témoignages, coupures de presse, carnets de notes, cahiers d’exercices, objets collectés…, nous permet de suivre ses traces : fille d’instituteur, fugueuse à de nombreuses reprises, indépendante dès le plus jeune âge ; cantatrice (son costume de Lakmé souligne la finesse du personnage) ; épouse qui rédigea son propre contrat de mariage et ne vécut que très peu de façon « conjugale » -mais entretint une correspondance fournie avec son mari, durant quarante ans, jusqu’à la mort de celui-ci- ; anarchiste, proche de la famille d’Élisée Reclus ; journaliste engagée, produisant des articles dans La Fronde, journal né en 1897, écrit et géré par des femmes ; conférencière sur la condition féminine, dénonçant l’exploitation des femmes, leur sujétion à leurs seules fonctions biologiques, leur indécente dépendance à la gent masculine, qui fait considérer le mariage comme une « profession » ; exploratrice, son sac de voyage élimé laisse s’emporter notre imagination à sa suite sur les routes que si peu d’européens, à l’époque, osaient parcourir ; pionnière, première femme européenne à être entrée à Lhassa, érudite dans son étude des langues tibétaine et sanskrite… Sa dernière collaboratrice, Marie-Madeleine Peyronnet, à laquelle elle légua le pouvoir de vivre dans sa maison (donnée ainsi que ses collections et travaux à la ville de Digne), rappelle la

difficulté d’exploiter ses notes, écrites indifféremment en français, anglais, tibétain ou sanskrit, tant ces langues lui étaient devenues naturelles. « Mon désir de me rendre compte par moimême est trop fort pour me permettre de me contenter en n’importe quelle matière de ce que je puis apprendre dans les livres ou par les récits d’autrui », écrivait cette auteure exceptionnelle qui a arpenté les routes de l’Asie en compagnie de son jeune guide, Aphur Yongden (qui sera le compagnon de tous ses voyages et qu’elle adoptera comme son fils, de retour en France), parfois déguisée pour accéder à certaines destinations, dont Lhassa, ville interdite, a observé, s’est nourrie des spiritualités orientales, a relié bouddhisme tantrique et esprit libertaire. Insatiable, elle passe son permis de conduire à 67 ans, renouvelle son passeport à 100… Nous plongeons dans l’histoire du siècle, découvrons celle, méconnue, des relations entre l’Asie et l’Europe au XIXe. Visite passionnante à prolonger par la lecture des ouvrages de celle qui signa son premier article dans L’Étoile Socialiste aux côtés de Louise Michel, et cultivait avec amour les roses de son jardin. MARYVONNE COLOMBANI

Maison Alexandra David-Neel Digne-les-Bains 04 92 31 32 38 alexandra-david-neel.fr

à voir Une exposition temporaire, Visions tibétaines, complète la visite, riche en documents rares, comprenant une impressionnante collection de représentations de Bouddha sur toile, et de livres tibétains, jusqu’au 24 décembre


14 politique culturelle

Manifesta 13 s’annonce et vous appelle

La biennale d’art contemporain, qui aura lieu à Marseille de juin à janvier, annonce ses grandes lignes et dévoile son visuel et son thème

de les amplifier et d’imaginer un avenir. ». Car « la trace que nous voudrions laisser dans la ville n’est pas architecturale, mais sociale », précise -t-elle encore. Comment oublier que depuis leur arrivée des immeubles se sont effondrés, et que le rapport des Marseillais à leurs dirigeants a changé ? Comment la ville rebelle va-t-elle accueillir les artistes venus d’ailleurs portés par une municipalité en grave échec, et un Département qui marche dans ses pas ?

T

rait d’union.s. Le titre choisi et dévoilé lors d’une cérémonie toute en anglais affiche à la fois les ambitions et le décalage de ce qui est, depuis plusieurs années à présent, présenté comme une chance majeure pour la culture à Marseille. Le titre Trait d’union.s dit la générosité de la démarche, qui voit en Marseille le port et ses passages, ses flux, et le creuset qui se crée en son sein. Lien entre l’Europe et la Méditerranée, c’est à ce titre que Marseille intéresse la Biennale européenne, basée à Amsterdam, tout comme Palerme il y a deux ans. Il s’agit, ici, de « poser des questions brûlantes », rappelle la directrice Hedwig Fijen. Dans « cette ville merveilleuse, si ancienne, en transition et en mouvement perpétuel », Manifesta 13 veut « explorer de nouvelles formes de vie en collectivité » et « donner l’occasion aux artistes et acteurs culturels locaux de tisser des liens avec les artistes et chercheurs internationaux ». « Il aurait été prétentieux de venir et d’imposer notre façon de penser, précise-t-elle, devançant l’objection. Depuis 1 an nous sommes venus et avons écouté toutes les voix de Marseille, afin de trouver le moyen

Un projet très ouvert Mais faire un procès d’intention à Manifesta serait injuste : l’équipe a travaillé, plus qu’ailleurs, à rencontrer opérateurs culturels du territoire et habitants, à prévoir des projets participatifs, un Tiers programme fondé sur les cartographies subjectives de la ville. Les histoires enfouies, populaires, non institutionnelles, les vestiges, les formes de solidarité feront l’objet de tout un volet de la programmation, et l’équipe y travaille de près depuis un an, en relation avec la vie associative et les établissements scolaires. Quant à la programmation principale, elle est fabriquée par des artistes qui se disent « médiateurs ». Marina Otero, architecte espagnole qui vit aux Pays-Bas, veut construire des villes coopératives « intergénérationnelles, avec des gens qui n’ont pas les mêmes idées ni les mêmes origines mais veulent coexister plutôt que se séparer ». Ou Katerine Chuchaline, Tartare née en URSS, qui se définit comme une « hybridation » entre nomadisme, critique du capitalisme et mémoire du soviétisme. Elle veut inventer des « traits d’unions entre les artistes

et les disciplines, avec des chercheurs et des écrivains, pour travailler ensemble à de nouvelles formes d’œuvre. » Ces deux artistes, avec Stefan Kalmar (anglais) et Alya Sebti (marocaine), dévoileront le détail d’une programmation en cours d’élaboration.

Appel à candidature : urgent ! Chaque édition de la biennale comporte un programme Parallèle, sorte de Off financé en partie par le In. Mais Manifesta 13 aura la particularité de voir ce projet abondé par la Région Sud, méfiante envers ce Manifesta Marseille qu’elle juge, depuis le début, comme un événement importé : c’est donc la première fois qu’une collectivité apporte un financement direct, et exclusif, au programme parallèle. Les Parallèles du Sud lancent donc un appel à candidature ! Et les projets retenus de structures implantées dans le 6 départements de PACA pourront voir leur financement abondé par la Région. Béatrice Simonet, en charge de ce volet, soulignait la « richesse de la scène artistique locale » qui ne pouvait pas « être laissée de côté ». Seule interlocutrice à s’exprimer en français, elle précisait que toutes les disciplines artistiques étaient invitées à candidater. Les projets seront examinés par un jury formé de deux membres de Manifesta et de deux opérateurs du territoire. Ils doivent être portés par deux opérateurs « dont un local », et « refléter une dimension internationale ». Les dossiers sont à retirer dès à présent, et la dead line est le 25 septembre. Il y a urgence à s’emparer de notre Manifesta ! AGNÈS FRESCHEL

Manifesta 13 Marseille se déroulera du 7 juin au 1e novembre 2020 Réunions collectives pour l’appel à candidature 17 juillet 42 La Canebière, Marseille 04 86 118 118 manifesta13.org


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Arles,

ou le consensus politique L’École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles a inauguré ses nouveaux murs en présence d’une série impressionnante d’ex-ministres

L

es ministres de la Culture qui ont présidé à la naissance de la plus grande école de photographie d’Europe étaient là : Jack Lang (PS) qui la créa, Aurélie Filippetti (PS) qui augura le déménagement, et Françoise Nyssen (LREM) qui l’accomplit. Mais d’autres ex-ministres vinrent aussi à la tribune : Hubert Védrine (PS) qui préside les Rencontres d’Arles, Michel Vauzelle (PS) qui soutint le projet à la mairie d’Arles et au Conseil Régional, Renaud Muselier (LR) qui a pris sa succession : à gauche surtout mais à droite aussi la nouvelle ENSP regorge de protections, et le nouveau ministre Franck Riester ne manqua pas de saluer « la constance du projet » qui n’a jamais été remis en cause par les « alternances politiques à l’État, la Région ou la Ville ». Oubliant au passage que le maire d’Arles, depuis 2001, est Hervé Schiavetti (PCF) et qu’il a succédé à Michel Vauzelle (élu en 1995) dans un esprit de continuité plutôt que d’alternance.

En quête d’investiture ? Le matin les mêmes ouvraient © Claude Almodovar les cinquantièmes Rencontres de la Photographie, professant unanimement la défense de la prestigieuse manifestation estivale. Dans la salle, saluée, Maja Hoffmann, qui joue aujourd’hui un rôle essentiel dans l’activité économique, culturelle et patrimoniale de la ville. Avec d’autres socialistes encore, Claude Vulpian ou Nora Mebarek. Et la Reine d’Arles, incontournable figure d’un folklorisme provençal bizarrement genré, honorée jusque dans les lieux de la création artistique la plus contemporaine. À la tribune, parmi les autres, Sabine Bernasconi, vice-présidente à la culture d’un département 13 qui met pourtant particulièrement à mal les opérateurs culturels arlésiens. Elle est d’ailleurs venue avec les élues à la culture de la Ville de Marseille et se présente, aussi, comme maire du centre-ville marseillais : si, les municipales approchant, Arles n’est pas un enjeu pour la droite, un jeu étrange est à l’œuvre. Comme un rapprochement possible, au nom de la culture, de ceux qui divergèrent, et cherchent aujourd’hui l’investiture de la République en Marche.

Pour les artistes Ce consensus, c’est Renaud Muselier qui en parle le mieux, plaisantant sur les combats -verbaux !- qu’il a mené contre son prédécesseur, alors que pour financer l’ENSP « on parle d’une même voix, et sans une hésitation ». L’investissement

de 20 millions d’euros est assumé à hauteur de 4,75 millions par la Région, le reste l’étant par la Ville, la Communauté Urbaine et l’État. Un financement considérable pour un bâtiment magnifique, lumineux, vaste, fonctionnel et agréable, très loin de l’ostentation métallique de la tour de Frank Gehry qui lui fait face, et auquel sa modestie affirmée répond. Les étudiants, dans ce vaste écrin conçu par Marc Barani, vivront bien, travailleront, développeront -l’argentique a encore toute sa place à l’école-, exposeront, innoveront. Auditorium, salles de cours, lieux de résidence, tout est prévu pour que cette grande école s’ouvre plus encore aux étudiants et enseignants étrangers. « Aux artistes Africains en particulier, proclame Hervé Schiavetti, qui trouveront ici le refuge dont ils ont besoin, parce que nous avons aussi besoin de leurs images ».

Vive l’irrespect Une voix légèrement discordante, entre les deux discours assez lisses de Franck Riester : aux Rencontres de la Photo comme à l’ENSP, le Ministre a affirmé son soutien aux photographes, faisant la liste des dispositifs nouveaux qu’il voulait mettre en place : droit d’accrochage, défense des droits d’auteurs et droits voisins auprès des GAFAM, mise en place d’une assemblée de la photographie, diffusion des collectons nationales... Autant de mesures fondamentales mais assez techniques, qui ne mettaient au jour aucune problématique politique. C’est sans doute Sam Stourdzé, directeur des Rencontres, qui le matin exprimait le plus clairement le paradoxe de ces grands événements ou établissements culturels qui font heureusement l’objet d’une belle unanimité politique, mais doivent cependant cultiver la subversion. « Les Rencontres sont respectées, mais ne doivent pas devenir respectables, ce qui est une notion bourgeoise et conservatrice. La photographie aujourd’hui n’est plus regardée avec condescendance, mais elle doit rester irrespectueuse envers tout ordre des choses, continuer à défricher et remettre en cause ». Ses 50e Rencontres sont effectivement, malgré cette ouverture protocolaire, très irrespectueuses. AGNÈS FRESCHEL

Les Rencontres de la Photographie ont été ouvertes et l’ENSP a été inaugurée, le 1er juillet à Arles Lire aussi P 42-44


16 festivals

Cap sur les courts Danse et festin aux arènes d’Arles avec la 4e édition du Festival de Courts métrages Phare…

D

u 1er au 3 août, au Théâtre Antique d’Arles, le Festival Phare fera découvrir des courts métrages inédits de jeunes réalisateurs venus du monde entier ! Fictions, animations et documentaires concourront dans les compétitions nationales et internationales. Cette 4e édition se veut festive, dansante et drôle. Et le ton en sera donné dès la soirée d’ouverture

par un Ciné-humour noir, caustique, corrosif, parfois sanglant, toujours comique, interdit au moins de 12 ans, suivi à 23h30 d’un Pop Mashup Dancefloor présenté par le Mashup festival -le mashup étant une pratique artistique entre cinéma et art numérique qui crée de nouveaux films à partir de sons et images glanés sur le Net. Le vendredi après-midi, on chaloupera dans un Ciné-danse, au travers de films sur ce thème. Comme tous les soirs, la séance sera accompagnée par un Ciné-causeries, au 7e bar : le philosophe Robert Pujade commentera une quarantaine de scènes de repas jalonnant l’histoire du cinéma avant un Ciné-festin de courts métrages en compétition à dévorer ! En complément (alimentaire) dans le cadre de Marseille Provence Gastronomie 2019, l’école MoPa proposera quelques formats très courts De 16h à 18h, samedi, hommage à une Grande du cinéma et

L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot © MK2 distribution

une boulimique de la vie : Agnès Varda. On pourra (re)voir ses courts métrages autour de la danse et de la musique, dont Salut les cubains de 1963. La soirée de clôture débutera dans les arènes dès 19h. Au menu : table ronde en présence des membres du jury de cinéastes, projections des films du MoPA et des films couronnés par les trois « Phares » : celui des cinéastes, des étudiants et du public. À 22h30, Prieur de la Marne proposera un ciné concert à partir du projet avorté d’Henri-Georges Clouzot, L’Enfer : 13 heures de pellicule dont il a extrait 40 minutes, imaginant un autre scénario et composant une digression sonore sur ces images mythiques où s’éclaire la bouleversante beauté de Romy Schneider. Porter la lumière sur le format court dans sa diversité et sa vitalité, c’est l’ambition de ce Festival à ne pas manquer assurément ! ÉLISE PADOVANI

Festival Phare 1er au 3 août Théâtre Antique, Arles festival-phare.fr

Ciné de nuit

S

i vous n’aimez pas la mer, si vous n’aimez pas la montagne, cet été, à Marseille, allez au cinéma, à la tombée de la nuit, sans argent, juste avec un petit coussin pour ceux qui aiment leur confort. En effet, jusqu’au 27 septembre, d’un bout à l’autre de la ville, dans 17 lieux, vous pourrez voir 23 longs métrages et un programme de 4 courts dont Un transport en commun de Diana Gaye. Il y en a pour tous les goûts. Vous aimez les films qui ont marqué l’histoire du cinéma ? Rendez-vous sur le Frioul le 27 juillet, surfant sur la Nouvelle Vague avec Pierrot le fou de JLG ; la veille vous y aurez peut-être croisé La Tortue rouge de Mikael Dudok de

Wit. Evidemment, Chaplin sera au programme avec La Ruée vers l’or en copie restaurée au Musée Borély le 24 août, en préambule du cycle Histoires de cinéma qui débutera cet automne. Vous rêvez de (re) voir les œuvres de cinéastes incontournables ? Vous partagerez la quête du jeune Ahmad qui veut rendre un cahier emprunté à son ami dans le touchant Où est la maison de mon ami ? de Kiarostami, le 30 août au Couvent Levat et, le lendemain, au Théâtre Silvain, dans le cadre de Marseille Provence Gastronomie, vous passerez un moment dans la cuisine de Raimunda (Penelope Cruz) en compagnie des femmes qu’aime mettre en scène Almodovar (Volver). En

La Nuit des sacs plastiques © Kazak productions

attendant le bonheur, Abderrahmane Sissako vous emmènera à Nouadhibou, une petite ville de pêcheurs sur la côte


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Humains de plein air Chaque dimanche à la tombée de la nuit, des films sur le toitterrasse de La Friche

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ncore humain, vraiment humain, toujours humains ? Telle est la riche thématique de Belle & Toile, le programme de cinéma en plein air de La Friche à Marseille ; huit projections gratuites sont prévues du 7 juillet au 25 août. Une sélection conçue par un groupe de cinéphiles réunis toute l’année au cinéma Le Gyptis, coanimé par Peuple & Culture Marseille, chaque long métrage étant précédé d’un petit film réalisé par Antoine Oppenheim et Timothée Vignal, avec le concours des Têtes de l’Art. Le 14 juillet, pour célébrer différemment la fête nationale, on pourra ainsi voir Get out de Jordan Peele, thriller horrifique et drôle à la fois (!) sur le racisme ordinaire aux États-Unis, interdit aux moins de 12 ans. Le dimanche suivant, l’inégalé Bienvenue à Gattaca, d’Andrew Niccol, glaçant film d’anticipation sur une société pratiquant la sélection génétique. Le 28 juillet, Western, signé Valeska Grisebach, réminiscence du far-west sur un chantier bulgare. Les Nouveaux sauvages, brûlot social et politique de l’argentin

mauritanienne (22 août). Vous préférez les succès populaires qui ont traversé le temps ? Vous passerez

Belle & Toile © Caroline Dutrey

Damián Szifron, sera projeté le 4 août. Plus léger, l’adaptation par Luc Besson de la bande-dessinée de science-fiction Valérian, le 11 août. Pas de bon été sans au moins un classique : ce sera Metropolis, réalisé par Fritz Lang en 1927, avec sa vision de l’année 2026, où la révolte gronde... Le film du 25 août, Llévate mis amores (Arturo González Villaseñor) traite quant à lui de solidarité : celle de femmes mexicaines qui apportent de la nourriture aux migrants. Prenons-en de la graine ! Bonus : les 1er et 8 septembre, deux

la soirée du 30 juillet aux Archives départementales avec Babette, sur la côte sauvage du Jutland au Danemark, dans le film de Gabriel Axel, Le Festin de Babette. Et celle du 27 août, même lieu, en compagnie de Louis de Funès et Coluche dans L’Aile ou la cuisse de Claude Zidi. Il y a des soirées à ne pas manquer, comme le 12 juillet au Mémorial de La Marseillaise, pour un ciné concert autour du film En rade d’Alberto Cavalcanti, un film rare, prêté par l’Austrian Film Museum de Vienne, avec Mauro Coceano à l’accordéon et Gaël Mevel au violoncelle. Il y a toujours un Plan B au Mucem, avec 4 séances, en particulier le 15 aout où, précédant le fameux King Kong de Merian

projections supplémentaires sont prévues, articulées avec les événements de rentrée de La Friche : La Graine et le mulet d’Abdellatif Kechiche pendant la manifestation culinaire et culturelle Kouss Kouss, suivie d’une programmation spéciale pour fêter les 10 ans du skate-park. GAËLLE CLOAREC

Belle & Toile jusqu’au 8 septembre Friche La Belle de Mai, Marseille 04 95 04 95 95 lafriche.org

C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, on pourra voir La Nuit des sacs plastiques, le court, sélectionné à La Quinzaine, du cinéaste marseillais Gabriel Harel, auteur des visuels. Ce Ciné plein air, dont la 24e édition est produite par l’association Cinémas du Sud et Tilt, en collaboration avec de très nombreux partenaires, se veut fédérateur, ouvert à toutes et tous et convivial. Bel été en cinéma ! ANNIE GAVA

Ciné plein air Jusqu’au 27 septembre Divers lieux, Marseille seances-speciales.fr


18 festivals

Cévennes up ! À Sumène, les Transes accueillent Fred Nevché et Delgres. Entre autres...

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éjà plus de deux décennies que les Transes Cévenoles œuvrent en toute liberté à la rencontre des musiques actuelles et des arts de la rue et du cirque. Le lieu de l’expérimentation : Sumène, attachant village gardois en Cévennes méridionales. Le temps d’un week-end s’y invente un festival hybride entre les grands frères d’Aurillac et de Rennes. À une toute autre échelle et avec une

ambition fort louable, celle de pérenniser une action culturelle en territoire rural où jeunes et moins jeunes devaient parcourir plusieurs kilomètres pour découvrir des artistes de cette envergure. En d’autres termes, vivre et se cultiver au pays. À l’origine de l’aventure, l’association Les Elvis Platinés, une bande de potes passionnés devenue une grande famille dévouée. Le résultat est là : au fil des étés, depuis 1996, les Transes Cévenoles, qui ont su surmonter bien des péripéties quitte à se réinventer, sont devenues un événement incontournable et inégalé dans le département, voire

au-delà. En réussissant l’exploit de ne jamais faire d’entorse à leurs valeurs, telles que la force du collectif et les bienfaits du décloisonnement. La recette est simple : arts de la rue et petits moments musicaux en journée et gros concerts le soir. Côté prix, trois options : petit, libre ou gratuit. Vous avez dit utopie ? LUDOVIC TOMAS

Les Transes Cévenoles 20 & 21 juillet Sumène lestranses.org

Au programme

Arts de la rue : L’Hô qui Arts de la rue : Rictus passe (Des Arts de nez), Joblard (Théâtre d’art et déchets), Peels de Hut (Anonima Teatro), Abus de souffle (Kerozen & Gazoline), Filomène (Quilibrio), La Cuisinière (Tout en Vrac), Nouvelles de Noones (1Watt), Les Tapas (Carnage Productions).

Musique : Chloé Breault,

Fred Nevché © B. Jamot

Joseph Edgar, Terra Maïre, Emile Bilodeau, LGS, Olly Jenkins, Le Souffle du Larsen, Dope Saint Jude, Al Tarba & Senbeï 20 juillet

(Garniouze), L’Hô qui passe (Des Arts de nez), Joblard (Théâtre d’art et déchets), Cirket (SaoSaoa), La Cuisinière (Tout en Vrac), Abus de souffle (Kerozen & Gazoline), Les Tapas (Carnage Productions).

Musique : Emile Bilodeau, LGS, Fred Nevché, Bonbon Vodou, Chloé Breault, Joseph Edgar, The Bongo Hop, Delgres, Dimone & Kursed 21 juillet

Escale unique pour Texas Le groupe de Sharleen Spiteri a choisi Arles comme seule date en France

L

a pierre bientôt deux fois millénaires du théâtre antique n’aura pas le temps de refroidir. Après les soirées dédiées à la photographie puis aux musiques du monde, l’été arlésien se poursuit avec les Escales du Cargo. Depuis quinze ans, le Cargo de Nuit, scène de musiques actuelles appréciée bien au-delà du pays d’Arles, propose une parenthèse juillettiste hors-les-murs. Cette année, l’événement réduit la voilure avec seulement deux dates et deux têtes d’affiches : les Écossais de Texas pour leur unique concert de l’année en France et Thérapie Taxi, trio provoc aussi efficace qu’agaçant de

la nouvelle scène pop hexagonale. Formé au milieu des années 80, Texas atteint les sommets des hit-parades avec le titre I don’t want a lover, en 1989. Depuis trente ans, la voix chaude de Sharleen Spiteri, la slide guitar d’Ally McErlaine et les mélodies du bassiste Johnny McElhone naviguent entre brit-pop, rock, blues, soul voire disco, au gré des albums et des tournées. La longévité de Texas réside peut-être dans cette malléabilité musicale, qui s’inspire autant de The Clash que de Marvin Gaye et qui fait fi des tendances. S’accordant des pauses plus ou moins longues, Texas est l’un des

rares groupes à être personnifié par une femme. Qui plus est par une icône lesbienne, bien que Sharleen Spiteri n’ait jamais tenté de faire planer le doute sur son hétérosexualité. La programmation de ces 15e Escales est plus que jamais éclectique avec le rock conscient de Balthazar, le blues créole de Delgres, la pop hypnotique de Pépite et le rap nonchalant de Mou. L. T.

Escales du Cargo 19 et 21 juillet Théâtre Antique, Arles escales-cargo.com


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La Côte en musique Pause musicale éclectique avec Les Moments et les Instants de Clair-Val

C

arqueiranne, commune littorale de 10 000 habitants à proximité de Hyères, organise chaque année depuis 1998 Les Moments et les Instants de Clair-Val. Un cadre magnifique -le parc Saint Vincent, son théâtre antique avec vue © Ville de Carqueiranne sur la mer, et le patio de la Maison des Quintette de cuivres du Var prendra la Associations de la ville- participe du suc- suite, dirigé par Denis Gautier. Du jazz, cès de la manifestation. le 18 juillet, avec le Quatuor Caliente, Quatre Moments et quatre Instants va- tirant volontiers vers le tango... ou la riés rythmeront la saison estivale : des valse ! Le mercredi 24, place aux voix a concerts principalement, mais également, capella de Motown and Soul, six chanle 17 juillet, une tornade blonde venue teurs adeptes des polyphonies, capables de Marseille présenter son One woman de faire le grand écart entre chant gréshow, Tata Zize. Tout commencera le gorien et beatbox. Le 25 juillet, les ama10 juillet avec La Nuit des gitans, « soi- teurs de musique classique trouveront rée pour rendre hommage à la culture leur bonheur avec le Trio Estello, dont Gitane, Tzigane, Manouche et à toutes le répertoire comprend des airs fameux les musiques des Gens du Voyage », en de Mozart, Schubert, Ravel, mais égalecompagnie de Negrita. Le lendemain, le ment de compositeurs contemporains tels

que Piazzola et Martinu. En août, deux dates seulement. Une comédie musicale le 21, rien de moins que Le boulevard des légendes, hommage rendu par 12 artistes aux français Édith Piaf, Charles Aznavour, Johnny Halliday, et France Gall, ainsi qu’à des pointures anglo-saxonnes, de Madonna à Prince. C’est à la Cie Samarov que reviendra le bouquet final, dans un dispositif original puisque le violoniste Dimitri s’installera sur les toits de Carqueiranne, pour interpréter des musiques de films et airs venus de l’Est. GAËLLE CLOAREC

Les Moments et les Instants de Clair-Val 10 juillet au 23 août Parc Saint Vincent, Maison des associations, Carqueiranne 04 94 01 40 26 carqueiranne.fr

Musique au bord de l’eau Les Nuits d’Agathos, trois soirées artistiques dans le Var

A

u lieu-dit Agay, situé aux abords méditerranéenne et la mer. Trois soirs de Saint-Raphaël, porte d’entrée de rang, du 30 juillet au 1er août, des arde l’Estérel (83), se trouve la rési- tistes pointus se succéderont sur trois dence de vacances Agathos. Les pieds scènes différentes. À commencer par la dans l’eau, où au frais dans l’ancomédienne Marie-Chriscien verger du château, détine Barrault, déjà prétruit sous l’Occupation sente lors de l’édition allemande, les plaiprécédente, qui lira sanciers y coulent des extraits de des jours paisibles. l’Odyssée. Pour accompagner Le tout-venant des touristes -à les vers immême de démortels d’Homère, une flûbourser 20 € par adulte, mi-tarif tiste (Claire pour les enfantsSala) et une harpiste (Marpourra les rejoindre dans ce lieu idyllique au tine Flaissier) seBen mitan de l’été. Car pour la ront à ses côtés dans le . jamin Alunni © X-D.R troisième année, la structure domaine du château d’Agay. organise un festival, Les Nuits d’Agathos. Le 31 juillet, les jardins d’Agathos receLa programmation est centrée sur le vront le pianiste et chef argentin Ferthème de la Méditerranée, la civilisation nando Palomeque pour un récital de

piano comprenant des airs de Domenico Scarlatti, Ludwig van Beethoven, Frédéric Chopin, Claude Debussy, et son compatriote Alberto Ginastera. Pour clore les festivités, il reviendra le lendemain avec un ténor, Benjamin Alunni, cette fois au domaine du Castellas, bastide provençale des bords de la rivière d’Agay. Cette dernière soirée sera consacrée à l’Espagne, du Pays Basque à l’Aragon, en passant par la Castille ou l’Andalousie, sur des compositions signées Maurice Ravel, Pauline Viardot-Garcia ou Jules Massenet. Notez que les concerts débutent à 21h, et sont suivis d’un temps d’échange avec les artistes autour d’un verre. G.C.

Les Nuits d’Agathos 30 juillet au 1er août Résidence Agathos, Agay 04 94 82 86 38 residenceagathos.com


20 festivals

À Figuière, l’art sans barrière

L

e Figuière-Festival est une manifestation à la croisée des genres : de l’art sous toutes ses formes, sans vernis ni artifices, des spectacles pour rire (souvent), pleurer (quelquefois) et réfléchir (tout le temps). Créé en 2016 par

Dad is dead © Pierre Planchenault

Christine Bombal et Nicolas Barrot, il est animé par l’audacieuse ambition de faire cohabiter sur les planches des pointures de la scène contemporaine, mais également des compagnies plus jeunes et émergentes et des artistes étrangers. Après avoir mis la musique à l’honneur

l’année dernière, ce sont les corps que sublime cette année le festival. Les circassiens sont ainsi au centre de l’attention dans l’incroyable spectacle Dad is Dead de Arnaud Saury et Mathieu Despoisse. Entre prouesse d’équilibre et finesse réflexive, la rupture n’est jamais loin et guette cet improbable tandem, juché sur deux roues instables. De la danse également, avec le spectacle Labourer de Madeleine Fournier. Silhouette grave et grotesque, cette danseuse rompue au contemporain joue et réinvente les codes de la bouffonnerie et du spectacle de clown entre férocité, vigueur et fragilité ; une présence scénique à la grâce saccadée et émouvante. Actuelle et résolument moderne, cette 4e édition offre une programmation iconoclaste qui floue les barrières des

genres, repousse les limites de l’art et déconstruit les codes, à l’image du spectacle Parlement de Joris Lacoste, porté à bout de bras par la comédienne Emmanuelle Lafont, superbe de nuances et de versatilité. Des spectacles enfin, qui empruntent à la performance et au manifeste, servis par des artistes à la violence impérieuse, bruts et brutaux, à l’image du somptueux corps à corps des danseuses Élise Ladoué et Annabelle Pulcini dans The New number order. Enfin, cette année, deux artistes plasticiens, Gaël Davrinche et Sarah Jérôme, accueillis en résidence, donneront à voir leur travail au fil des jours. Trois journées de festivités, de vie et d’énergie, avec la complicité et le soutien de la Famille Combard qui accueille depuis 2016 l’innovation et les envies de créateurs toujours plus inventifs. SELMA LAGHMARA

Figuière-Festival 25 au 27 juillet Domaine de Figuière, La Londe-Les-Maures 04 94 00 44 70 figuiere-festival.com

Du théâtre, au Fort de la Bayarde

I

nvestissant, du 29 juillet au 9 août, le Fort de la Bayarde à Carqueiranne pour la 19e année consécutive, le festival Théâtre In Situ - La Bayarde s’inscrit, cette année encore, dans la tradition d’un théâtre de boulevard populaire et festif. Créé en 2000, ce festival s’est très vite imposé comme la clé de voûte de la saison culturelle carqueirannaise durant la période estivale. Quelque part entre guignols et Commedia dell’arte, la programmation propose un itinéraire léger et divertissant, laissant place aux quiproquos, aux drames familiaux, aux malentendus et aux résolutions abracadabrantes. Du Molière tout d’abord, avec un Bourgeois gentilhomme dansant et coloré mis en scène par Jean-Philippe Daguerre. Un peu de Feydeau pour continuer, mis à l’honneur,

Fort de la Bayarde © Ville de Carqueiranne

ici, par Luq Hamett dans sa lecture très moderne de Ciel, ma belle-mère ! On trouvera également, entre autres, les pièces de Patrick Sébastien (Le Sommelier) et Francis Joffo (Quelle famille !), en passant par Nicolas Vitiello (L’Art’nacoeur) et Joseph Gallet et Pascal Rocher (Dîner de famille). Si le festival se distingue par le choix d’une tarification accessible à tous (de 15 à 35 euros, les spectacles étant gratuits

pour les moins de 8 ans !), on déplorera néanmoins un festival très (peut-être trop ?) masculin qui, s’il compte beaucoup de comédiennes, ne présente qu’une seule pièce dont l’auteur est une femme : la rocambolesque comédie de Sophie Brachet, C’est pourtant simple, avec la comédienne Marion Game. Cette égratignure faite à la parité n’enlève rien au charme de ce festival convivial et festif, qui semble promettre d’agréables soirées, entre le grésillement des cigales et les éclats de rire. S. L.

Festival Théâtre in situ - La Bayarde 29 juillet au 9 août Fort de la Bayarde, Carqueiranne 04 94 01 40 26 carqueiranne.fr


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Îles à facettes Guillaume Monsaingeon est co-commissaire, avec Jean-Marc Besse, de la nouvelle exposition Le temps de l’île au Mucem. Entretien Zibeline : Vous êtes philosophe, JeanMarc Besse géographe, comment avezvous travaillé ensemble ? Guillaume Monsaingeon : JeanMarc a lui aussi une formation de philosophie, avec une approche différente de la mienne, qui ne suis pas universitaire mais viens plutôt de l’art contemporain. Ce qui nous a rapprochés c’est l’amour de la cartographie, avec un regard un peu décalé. De notre point de vue, une carte dit toujours autre chose et plus que ce que l’on y a mis, même si elle est très contrôlée, que ce soit par le jeu des formes, les couleurs, la typographie... Parfois, c’est revendiqué : au catalogue de l’exposition figure ainsi une magnifique carte de Julien Bousac, qui a inversé terre et mer dans sa représentation du bassin méditerranéen, avec pour résultat une puissante réflexion sur cette zone de conflits et de migrations. L’île est une réalité physique, mais aussi une métaphore, quel récit en fait votre exposition ? En effet, la distinction entre île réelle et imaginaire n’est pas, pour nous, pertinente. Des fictions, telles que le livre de Daniel Defoe, Robinson Crusoé, dont nous fêtons cette année le tricentenaire, ou L’île au trésor de Robert Louis Stevenson, sont devenues constitutives de notre rapport à l’insularité. Les îles ne sont pas d’une autre nature que les continents, mais elles nous permettent de mieux comprendre le monde. La crise environnementale s’y manifeste plus dangereusement et urgemment qu’ailleurs : la montée des eaux nous concerne tous, mais elles seront atteintes en premier. Les enjeux de géopolitique se cristallisent en mer. Par le passé aussi : la France a effectué des essais nucléaires dans les années 60 en Polynésie. Était-ce important d’évoquer cela dans un musée d’État ? Particulièrement important ! D’ailleurs, je tire mon chapeau au Mucem : cela n’a jamais soulevé la moindre objection. Avec des œuvres telles que celle de Davide Bertocchi, réalisée à partir d’images collectées sur Internet, on aborde cette

L'Île de la Traverse © Julien Bousac

histoire vénéneuse. Avant la décolonisation, les essais nucléaires étaient réalisés dans le désert, en Algérie ; par la suite sur les territoires insulaires, où les populations peu nombreuses pouvaient facilement être déportées. Les expositions du Mucem se préparent longuement en amont. Comment avezvous procédé ? Au travers de séminaires, depuis plus de deux ans (à lire sur journalzibeline.fr), réunissant botanistes, géologues, spécialistes de géostratégie... Nous avons collaboré avec Aix-Marseille Université, qui gère la collection de zoologie Vasseur, un fonds très riche, ainsi qu’avec le département patrimonial de la Bibliothèque de l’Alcazar, dirigé par Sophie Astier. Elle nous prête une édition originale de L’Utopie de Thomas More, publiée en 1516 ! La fondation Camargo nous a également accueillis en résidence à Cassis. Notre objectif était d’ouvrir la problématique géographiquement, sans la limiter aux îles méditerranéennes, ainsi qu’à de multiples disciplines artistiques. Le point de vue des artistes est important ? Les artistes rendent plus complexe et intrigante la notion d’île, ils permettent d’aller plus loin, de la questionner mieux. Nous avons longuement travaillé, par exemple, avec une jeune vidéaste, Pauline Delwaulle. Elle a réalisé 18 haïkus

sous forme audiovisuelle, disséminés dans l’exposition, des variations sur les formes, les noms, la météo, l’exploitation des matières premières... Des diablotins peu bavards, magnifiques ! PROPOS RECUEILLIS PAR GAËLLE CLOAREC

Le temps de l’île 17 juillet au 11 novembre Mucem, Marseille 04 84 35 13 13 mucem.org

à lire Le temps de l’île Catalogue de l’exposition Dirigé par Jean-Marc Besse et

Guillaume Monsaingeon

Co-édition Mucem / éditions Parenthèses, 36 € Mappa Insulae

Textes de Jean-Luc Arnaud, Jean-Marc Besse, Guillaume Monsaingeon, David Renaud, Gilles A. Tiberghien

Editions Parenthèses, 19 €

à voir cet été Plan B 1er au 17 août Séances de rattrapage 5 au 31 août


22 festivals

Le Off, c’

Regardez du côté des compagnies régi Gilgaclash

Dom Juan

Le Scrupule du Gravier revisite, avec humour et console audio, la légende de Gilgamesh. Les trois comédiens-auteurs « découvrent » des habitants de la ville d’Uruk. S’établit une distanciation entre le récit antique et l’effet de réel, qui apporte une touche espiègle aux tribulations de Gilgamesh, aveuglé par sa puissance, son sentiment d’être invincible qui le mettait au-dessus des lois… La joyeuse troupe confronte le mythe à nos représentations : quelquefois le jeu s’arrête pour laisser la place à de vives discussions, qui contestent, évoquent la réalité, dénigrent ou raillent les protagonistes. Un retour vivifiant au premier texte de l’humanité. M.C.

La Naïve se plaît à dépoussiérer les classiques, en les accordant à notre temps. Tout en respectant scrupuleusement le texte original de Molière, cette troupe iconoclaste incarne Dom Juan en Jim Morrison (Charles-Éric Petit). La B.O. de The Doors suit avec intelligence la descente aux enfers du libertin en une mise en scène décapante et vive, et nous entraîne dans un rythme échevelé. Depuis 2012 La Naïve présente ce spectacle de haut vol à découvrir, voir et revoir sans modération ! M.C. jusqu’au 28 juillet à 12h30 Théâtre du Chêne noir chenenoir.fr

jusqu’au 24 juillet à 15h Théâtre des Carmes theatredescarmes.com

J’ai rencontré Dieu sur Facebook Ahmed Madani fraye avec des sujets dits « de société ». Depuis plus de trente ans, il aborde notre quotidien sous l’angle politique sans jamais se départir de sa veine poétique. Habitué du festival, il a ces dernières années triomphé avec deux pièces quasi documentaires centrées sur la jeunesse des « quartiers » et l’héritage de cette génération issue de l’immigration : Illumination(s) (2012), choral de 9 hommes, puis F(l)ammes (2016), relatant les espoirs et intimités de 10 femmes. Il revient avec J’ai rencontré Dieu sur Facebook. On s’est cette fois un peu éloigné des galères : Nina vit en harmonie avec sa mère prof de Français dans un coin tranquille de la banlieue de Sevran. Une histoire sans histoires. Et puis, au hasard d’une promenade sur le net, une photo choc, une prise de conscience, et c’est le début d’une fascination délétère qui va torpiller les habitudes du duo. Ahmed Madani s’attaque aux lourds thèmes de l’embrigadement, du djihadisme, avec beaucoup de clarté, une bonne dose d’humour, son lyrisme et surtout sa très fine connaissance des jeunes, qui lui évite de tomber dans le didactisme. Il livre une pièce ambitieuse et légère à la fois, les deux pieds dans le réel et la tête dans une fiction très efficace. A.Z. 5 au 26 juillet 11 Gilgamesh Belleville 11avignon.com

Monsieur Barbara Au départ, il y a un petit garçon, fasciné par les chansons de Barbara au point de se prendre pour elle. Les chansons de la Dame Brune l’accompagnent et rythment sa vie. Est-ce lui, est-ce elle ? Peu importe, la magie lumineuse des mots et des mélodies nous transporte en un monde poétique et onirique servi avec une sensibilité fine par Lionel Dameï (concepteur du spectacle) et Pascale Giraud. M.C. jusqu’au 28 juillet - jours pairs à 20h30 Atelier Florentin atelierflorentin.com

© AF

Je ne suis pas narcissique Création 2019, la pièce est née de la collaboration entre le compositeur-interprète Alain Klingler et Chloé Mons, comédienne et chanteuse. Ils ont collecté durant cinq ans les interviews d’actrices dans la presse féminine et en ont élaboré un montage sans modifier un mot. Tentative de définition de l’actrice, du mythe de l’interprète, entre héroïne tragique ou fantasmée… Entre le factice et le réel éclot un Personnage fascinant, condensé en une époustouflante performance. M.C. jusqu’au 25 juillet à 13h Atelier 44 latelier44.org


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’est parti !

ionales, et franchissez aussi le Rhône ! L’Origine du monde (46x55) Tout a commencé le 28 janvier 2015, jour où Nicolas Heredia, auteur comédien montpelliérain flâne dans une brocante. La matinée était déjà fructueuse, mais voilà qu’il tombe sur une reproduction du fameux pubis, coincée entre une roue de vélo et un lot de petites cuillères en argent. Il hésite. C’est tentant. La copie est grossière, la toile est piquée. 200 €. Hors de question de se laisser avoir à ce point-là ! Sur le chemin du retour, il regrette déjà. C’est quoi, 200 €, si on rapporte cette somme à « l’histoire potentielle que cette copie contient » ? Dans cette interrogation inquiète, le spectacle est déjà en train d’exister. Il revient sur le stand, il est désormais

en possession d’un objet porteur « d’horizons insoupçonnés », « d’aventure », de « folles soirées » (à partager avec le public) en perspective. Comment cette croûte acquise trop cher peut-elle atteindre une valeur de 18 000 €, le temps d’une heure de démonstration d’une implacable intelligence ? Objet à l’appui, humour pince-sans-rire au coin de la bouche, Nicolas Heredia (Cie La vaste entreprise) nous entraîne dans un voyage aux origines insoupçonnées. A.Z. 5 au 25 juillet La Manufacture, délocalisé au Musée Angladon lamanufacture.org

Les tondues

In-Two

Après avoir empoigné les mots de Magyd Cherfi sur ses précédents spectacles, Périne Faivre (Les Arts Oseurs) invite le public à un parcours déambulatoire dans la ville, pour y dénicher des saynètes mêlant texte, musique et installations plastiques. Devant la foule assemblée, les comédiennes exorcisent la bestialité vengeresse du siècle dernier, jetant en pâture l’histoire terrible des tondues d’après-guerre, et la domination symbolique exercée sur les femmes depuis la nuit des temps. À partir de 12 ans. J.B.

On a vu par le passé Alexandra Tobelaim (Cie Tandaim), faire parler les morts (Le mois des chrysanthèmes, 2016) ; elle séquestre cette fois le spectateur au sein d’une baraque en bois pour son « théâtre en boîtes pour passants ». Ces expériences riches en émotions se jouent en face-àface avec un comédien, pour laisser le spectateur en tête-à-tête avec lui-même à l’issue du spectacle. À réserver aux plus avertis, à partir de 13 ans. À noter qu’en janvier 2020, la metteuse en scène prendra la direction du NEST, centre dramatique national de Thionville. J.B.

9 au 21 juillet Centre-ville, déambulatoire, Villeneuve festivalvilleneuveenscene.com

10 au 17 juillet Vigne, Villeneuve festivalvilleneuveenscene.com

Le rapport Berthier Le comédien Thierry Combe (Pocket Théâtre) nous convie à un solo dans l’intimité d’un cercle de palissades. Avec beaucoup de pudeur et d’à-propos, il y expose le quotidien partagé avec Jean-Pierre, son grand frère atteint de handicap mental. Suivant les méandres d’une pensée en rhizomes, à base de post-it collés sur les planches de bois, le spectacle est enlevé, sincère, surprenant, parfois même loufoque et irrévérencieux, abordant sans fard des sujets encore tabous. J.B .

Christophe Lafargue, alias Garniouze, est l’un des plus fameux orateurs de la rue, connu notamment pour y avoir porté les Soliloques du pauvre du poète prolétaire Jehan Rictus. Aux côtés du circassien Sébastien Le Guen (Lonely Circus) et du musicien François Boutibou, il a imaginé cette jolie fantaisie démarrant dans le silence feutrée d’une médiathèque. Bercés par une folie douce, rock, ménagerie de livres, slackline et parade fellinienne rendent l’un des plus beaux hommages au cirque d’antan. À noter que Garniouze est aussi collaborateur artistique au spectacle de L’Agit, Nous étions debout et nous ne le savions pas, à la Pinède sous chapiteau. J.B.

9 au 21 juillet Verger, Villeneuve festivalvilleneuveenscene.com

9 au 20 juillet Médiathèque Saint-Pons, Villeneuve festivalvilleneuveenscene.com

Jean-Pierre, lui, moi

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24 festivals

L’enseignement de l’ignorance Le livre de Jean-Claude Michéa avait fait de l’effet il y a 20 ans. Anticapitaliste, il procède, avec quelques raccourcis saisissants, à une attaque en règle des « sciences de l’éducation » qui éloignent les élèves de la culture classique, seule susceptible de nous garantir de l’égoïsme de la consommation. Raccourcis parce qu’il oublie que cette éducation classique était surtout celle de la répression, d’une terrible sélection de classe et d’une ségrégation non moins castratrice des genres. Plus convaincant lorsqu’il pointe que la société capitaliste a besoin de décérébrer le consommateur pour le couper de ses valeurs empathiques naturelles, il s’attaque en particulier... à la libération des années 70 et leur frénésie de jouissance. Le paradoxe du spectacle est qu’il met en scène ces idées, souvent reprises par les plus droitiers des philosophes, comme une attaque anticapitaliste insoumise. Les trois comédiens, dont un au piano, s’en prennent au système de production

qui rend inutile 80% des hommes et les gave de divertissement aliénant, les éloignant de l’émotion esthétique et de la pensée critique. Cette ambiguïté du propos contamine le jeu : Héléna Vautrin joue à la dominatrice version SM (critique ou non ?), Fred Guittet trouve tout ça trop compliqué (décérébré ou pas ?)... Pourtant le retour de ce texte sur scène est salutaire : le spectacle soulève des questions, inhabituelles, sur nos libertés et nos valeurs, dans une mise en scène (Seb Lanz) rythmée et élégante qui donne à lire autant qu’à entendre. Et permet d’aiguiser ce sens critique dont Michéa a si peur que nous manquions désormais ! A.F.

Jusqu’au 24 juillet à 10h Théâtre des Carmes theatredescarmes.com

Cyrano de Bergerac

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Sublimement romantique, Cyrano est une ode à la parole débordante. Comment permettre à ce héros excessif de garder son humour, sa virtuosité, sa subversion, quand les codes de la parole ont tant évolué ? Le metteur en scène du Collectif Chapitre 13, Gaspard Baumhauer, a su voir, au-delà de la désuétude, l’actualité de l’alexandrin. Car la verve d’Edmond Rostand s’apparente au langage dont se servent, pour rapper et slamer, ceux qu’on voudrait réifier sous le générique de « jeunes de cités ». Singulier, le spectacle évite l’écueil d’un raccourci grossier entre rap, banlieue et jeunesse, pour exploiter la richesse d’une parabole, qui porte en elle une véritable critique sociale. L’héroïsme et la galanterie ne sont plus surannées, ils sont métamorphosés et portés hauts par des comédiens insolents de fougue et de malice, qui réinventent le rêve et l’audace pour les rendre bouleversants de vérité. S.L . Jusqu’au 28 juillet à 22h15 Espace Roseau Teinturier roseautheatre.org

© AF

The great disaster Des cercles bleus et noirs Écrit par Dominique Richard sur une commande de la metteure en scène Lucile Jourdan, le texte se présente comme une mélopée poétique qui mêle l’innocence de l’enfance au trouble de la maturité. La narratrice, interprétée par Stéphanie Rongeot à l’énigmatique sourire de Joconde, se livre aux souvenirs de son enfance illuminée par la figure aimée de son petit frère, Paul. Elle évoque leurs jeux de pirate dans la forêt proche, leurs batailles rageuses, leurs baisers sur les lèvres : un amour trop fort, trop grand pour eux. Elle évoque ensuite d’autres vives douleurs, de jalousie, de passions troubles, de fantasmes, de transformations. Un texte souvent bouleversant, servi dans un judicieux quadrilatère de rideaux amovibles... C.B. du 12 au 15 juillet à 21h30 L’Entrepôt misesenscene.com

Un petit bijou programmé au Conservatoire : Olivier Barrère, dirigé par Aurélie Pitrat dans une scénographie d’Erick Priano (« c’est important de le dire, c’est vraiment un travail de compagnie, à trois ») s’empare du texte de Patrick Kermann avec une vraie intelligence de dramaturge et un sacré talent de comédien. L’histoire d’un oublié de l’Histoire, mort dans le naufrage du Titanic, est traversée de souvenirs de son enfance, d’une belle lettre érotique, de scènes de travail dans la cuisine du paquebot, de personnages qu’il y rencontre, et d’incursions vers le futur aussi, les guerres mondiales et la Shoah, toujours présente chez Kermann. Et l’on pense bien sûr aux noyés d’aujourd’hui dans notre mer sans glace. Pourtant ce récit d’un mort oublié est vivifiant : drôle par moments, complice, Olivier Barrère réussit à faire passer l’élan de vie qui animait son personnage, amoureux, sensuel, observateur, acharné. Et vous pouvez ajouter à cela une scénographie à surprise, un travail vidéo et sonore délicat, une vraie jubilation de la parole et un rapport très direct au public ! A.F. Jusqu’au 26 juillet à 14h45 Théâtre des Halles theatredeshalles.com


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Zinc Il fallait toute l’audace de Michel Bellier pour adapter à la scène le roman Zinc du Belge David Van Reybrouck, auteur du magistral Congo. Avec maestria et doigté, il parvient à mailler l’histoire européenne de 1816 à nos jours avec le destin d’un héros ordinaire, Emil Rixen, qui n’a jamais quitté sa terre natale -un confetti coincé entre la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne- tout en ayant changé cinq fois de nationalité ! Tout ce que l’Histoire peut faire subir à cet homme est là, à portée de mots justes, de gestes précis, de rires francs, de regards perçants ou bienveillants tant le comédien « est » Emil

Rixen, appelé aussi Joseph. Truculent et généreux, intelligemment mis en scène par Joëlle Cattino, Michel Bellier est accompagné de deux compagnons de jeu, Patrick Donnay et Paolo Cafiero, chacun se renvoyant remarquablement la balle dans cette partie de jonglage millimétrée. Le spectateur, totalement consentant, se laisse mener par le bout du nez dans ce récit à trois voix, chaotique, qui navigue de la signature d’un traité de pays à une trahison amoureuse, d’un hymne national à un souvenir douloureux, d’un énième congrès à un énième changement de frontière, d’une naissance à une mort

précoce. Celle d’Emil-Joseph. Fidèle à l’esprit de l’auteur qui excelle dans les pirouettes stylistiques et temporelles, la pièce prend elle aussi un malin plaisir à jouer à saute-mouton. Sa verve, sa fougue, ses élucubrations débordent sur le plateau grâce au trio visiblement heureux de pouvoir ressusciter cet homme dézingué par les tribulations de l’Histoire. M.G.-G.

Jusqu’au 28 juillet à 11h25 Théâtre Episcène episcene.be

Noir et humide

Camille Carraz est éblouissante dans ce petit spectacle de Jon Fosse écrit pour le jeune public, et mis en scène par Frédéric Garbe. Ses gestes, le trouble dans sa voix, ses peurs surmontées sont celles de l’enfance, pas la mièvre mais la forcenée, la désirante. Elle descendra à la cave, noire et humide, pour connaître, transgresser, s’affranchir... Les dialogues de Jon Fosse avec leurs incises narratives, les sculptures et vidéos de Pauline Léonet, blanches dans le noir, la musique de Vincent Hours, qui tisse des épaisseurs sonores qui inquiètent puis rassurent et inquiètent encore... tout concourt à la beauté formelle d’un spectacle à mettre dans toutes les mains, des plus jeunes aux plus vieux qui y retrouveront leur enfance inavouée. A.F. Jusqu’au 28 juillet à 10h50 Théâtre transversal theatre-transversal-avignon.com

Vivre sa vie De Vivre sa vie de Jean-Luc Godard, Charles Berling a imaginé une pièce filmique découpée en douze tableaux comme dans l’œuvre originale. Une sorte de feuilleton télévisuel d’aujourd’hui inspiré des romans-photos, avec making-of, arrêts sur images, plans séquences et longs silences. Ce bijou de 1962, irradiant de la présence d’Anna Karina, renaît dans un décor de sitcom sans âge où les protagonistes évoluent avec élégance et fluidité, en chair et en os et en silhouettes grâce à l’habile effet miroir d’un écran propice à démultiplier les espaces, à créer l’illusion et la collusion des scènes. Rien de mieux que ce dispositif pour mettre en abîme les sentiments humains : la passion, l’amour, la jalousie, le désespoir, la solitude Car Vivre sa vie est une histoire de corps féminins, celui de Nana qui se rêvait actrice et devint putain, prise dans les griffes des hommes, clients ou proxénètes. Une histoire de vie et de mort que le comédien-metteur en scène offre en cadeau à ses formidables interprètes : Pauline Cheviller (Nana, anagramme

d’Anna), Hélène Alexandridis, Sébastien Depommier et Grégoire Léauté à l’aise dans tous les rôles. Au-delà de l’emprunt à Godard pleinement revendiqué, la pièce s’enrichit de textes empruntés à Duras, Weil ou Despentes qui interrogent par le récit ou l’essai philosophique la condition féminine, son émancipation, le pouvoir masculin, la marchandisation des corps. La nouvelle création de Charles Berling peut paraître parfois décousue, mais sa forme tridimensionnelle (théâtre, musique live et vidéo) répond au « film-documentaire, film-déclaration d’amour, film-paradoxe » du cinéaste de la Nouvelle Vague, et actualise à sa façon son point de vue cinglant sur la société des années 60. M.G.-G

Jusqu’au 28 juillet à 19h Théâtre des Halles theatredeshalles.com

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26 festivals

Métamorphoses ! Guillaume Cantillon s’empare des Métamorphoses d’Ovide, ou plutôt de leurs libres traductions, poétiques, par Gilbert Lely pour composer une forme performative. Au début, une projection d’images violentes, psychédéliques, sur la folie contemporaine : la nature en danger, les banques, l’industrialisation outrancière, la frénésie humaine, se succèdent à un rythme crescendo, mise en perspective anxiogène de la société actuelle avec la pensée antique. Puis le comédien nous sauve de cette atmosphère dépressive en déchirant la toile pour prendre le micro et conter, chanter, réciter de sa voix rocailleuse ou veloutée des histoires d’amour divines. Daphné et Apollon sur une musique acid

techno des années 80 ; Orphée et Eurydice sur une création sonore onirique ; Myrrha et Cinyras, Diane et Actéon, dans une scénographie qui progresse vers l’intimité et invite à atteindre une nature sauvage. La performance se métamorphose par le jeu de lumières évolutif, la présence scénique du musicien Vincent Hours, les ricochets entre les Rolling Stones, Mike Brant et Antony and the Johnsons qu’ose l’acteur « candide ». M.G.-G. Jusqu’au 27 juillet à 21h Artéphile artephile.com

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La révérence

La Cie Arscénicum reprend la création qu’elle avait proposée au Off 2018. François Cottrelle, toujours impressionnant, interprète le Général/Président lors de sa fuite en mai 68 à Baden Baden. Quelques heures historiques pour un théâtre documentaire mais surtout politique, qui ne cache rien des errements de l’homme qui envisage très sérieusement l’emploi de la force militaire, et s’oppose à un Cohn-Bendit surgi du public. La pièce de Philippe Chuyen remet en cause la Ve République et sa fausse démocratie parlementaire, son incompréhension du peuple. Formellement elle repose sur un parti pris réaliste, agrémenté d’images d’archives, mais elle sait aussi prendre de la distance, jouer à jouer, faire des entorses habiles au quatrième mur. Et François Cottrelle, sans singer le général, a comme lui la voix qui se brise, le ventre proéminent et la phallocratie naturelle. A.F. Jusqu’au 27 juillet à 10h30 Théâtre des Lucioles theatredeslucioles.com

11 septembre 2001 Ildi ! Eldi change de registre : Antoine Oppenheim et Sophie Cattani, en créant le texte de Vinaver sur les attentats qui ont bouleversé le monde, choisissent le tragique alors que leur univers était plutôt, jusque-là, poétiquement sarcastique. La réussite est totale : ils parviennent à conserver l’intimité, le rapport très direct au spectateur placé dans un espace commun sans quatrième mur, l’échange de regard, le ton de confidence. Sauf qu’ici la proximité est angoissante : parce que l’on entend les voix de ceux qui sont morts, de ceux qui ont réussi à descendre les étages, aussi, mais surtout celles des terroristes, de leur folie, de leur conviction, à laquelle répond celles non moins folles de Bush et des va-t-en-guerre. Et, rapidement, le désespoir banal de ceux qui ont hérité de ce monde déréglé, dans lequel un attentat est toujours possible, et une guerre au Moyen Orient toujours en cours. L’écriture de Vinaver, qui croise et alterne les répliques sans tirade accusatrice, est tissée du montage sonore des voix réelles captées ce jour-là, au téléphone et sur les ondes. Les comédiens, interdits de grandiloquence, avancent précautionneusement, assis à la table, prenant ou laissant le micro, vers des émotions parfaitement maîtrisées. A.F. Jusqu’au 28 juillet à 21h30 Théâtre des Carmes theatredescarmes.com


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Le théâtre immobile de

Macha Makeïeff D

ans la maison de Macha M., il y a une volière immobile bruissant d’oiseaux muets, quelque quatre-vingts animaux empaillés, des malles mystérieuses, des figurines inanimées, des miroirs défraichis, des objets hétéroclites perdus ou relégués, une cabine téléphonique sans combiné, d’anciens vêtements d’enfants accrochés aux murs Macha M. a laissé sa porte entrouverte mais tiré les rideaux, et la pénombre sied à son installation. Trouble fête, Collections curieuses et choses inquiètes n’est pas à proprement parler une exposition, ni une pièce de théâtre. C’est un récit fantastique que l’on parcourt à pas feutrés et en silence afin d’en absorber tous les recoins, les aspérités, les confidences chuchotées, les histoires partagées, les souvenirs réinventés. Il y a longtemps, Macha M. et son frère Georges ont habité la maison de l’enfance, rejoints plus tard par Lewis Carroll qui a laissé quelques traces indélébiles. Des citations extraites de son journal ou de son roman Alice au pays des merveilles. Georges aussi, dont le portrait apparaît en filigrane dans les pages de son carnet manuscrit ou dans l’entretien à cœur ouvert avec Macha M. Ces deux figures sont emblématiques de ce « théâtre immobile » où les enfants sont inconsolables et les animaux pétrifiés, où les objets comme le zoo ont une âme, où « l’étonnement de l’enfance se transforme en angoisse ». Car il y a longtemps déjà que Georges, le compagnon d’enfance « a refusé d’aller dans un certain ordre du monde » et s’est laissé emmurer dans son silence. Laissant la metteure en scène en tête à tête avec elle-même

L’effroi des rêves Avec ce nouvel acte aux allures de cabinets de curiosités du XVIIIe siècle, Macha M. fige une scène empreinte de tendresse et de tristesse, de rêverie et de magie ; la parade animale fascine autant qu’elle mystifie, le récit fait surgir l’absent et l’artifice croise le réel. Elle entrouvre la porte de notre inconscient, comme celle d’Alice ouvrait sur son pays des merveilles. Imaginé par François Menou, le parcours lumineux souligne délicatement chaque mise en scène que l’on découvre au fil de la progression de pièces en pièces dans cette maison du

© Jean-Henri Bertrand

souvenir. Une puissance évocatrice que la création sonore de Christian Sebille souligne et distord : loin d’illustrer seulement le propos, sa pièce électroacoustique semble commenter l’effroi que les objets suscitent, surprenant le visiteur avec ses percussions, ses bruits d’eaux qui n’en sont pas, ses chants d’oiseaux traversés d’étranges dynamiques. Dans la volière une pièce de 15 minutes s’écoute comme un concert, et tous les autres sons, ceux qui sortent de la niche du chien ou de ce lion trônant sur un immense lit, répondent en écho à son foisonnement. Dans le petit autel à la mémoire d’Agnès Varda, qui filmait les objets comme Macha Makeïeff les dispose, un autre univers sonore se déploie encore, montage de traces, de souvenirs, et de leurs commentaires. Un hommage sensible de femme à femme où la voix de Macha M. se mêle à

celle de Cléo, de 5 à 7. Cette déambulation poético-théâtrale dialogue encore avec la création Lewis versus Alice, à voir à La FabricA du 14 au 22 juillet, et le livre Zone Céleste paru chez Actes Sud. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI V

à venir Exposition Trouble fête, Collections curieuses et choses inquiètes jusqu’au 23 juillet et du 3 septembre au 14 décembre Conversations à la maison, le festival côté livre : rencontre avec Macha Makeïeff le 12 juillet à 11h30 Le temps des revues : rencontre avec Macha Makeïeff le 17 juillet à 15h Maison Jean Vilar Ateliers de la pensée avec Macha Makeïeff « Dialogues artistes-spectateurs » le 19 juillet à 11h Site Pasteur


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L’art dramatique et le poème épique Placés sous le signe d’Homère et de l’Europe, les premiers spectacles du Festival d’Avignon peinent à faire théâtre. Avec parfois beaucoup de talent ! L’Odyssée

Cette année le feuilleton théâtral du Jardin Ceccano est un peu moins frustrant que les années précédentes où, gratuit, il refusait la moitié au moins du public venu faire la queue plus d’une heure sous le soleil de plomb. La file d’attente, malgré la canicule, n’a pas diminué, mais on peut aussi suivre les aventures d’Ulysse en Facebook live ! Et retrouver ces épisodes de L’Odyssée joués par des jeunes comédiens, tous excellents lecteurs, dirigés par Blandine Savetier vers une émotion débridée mais jamais excessive. Des percussions, un peu de grec en chœur, et un calibrage du texte homérique en 13 épisodes de 50 minutes, au suspense haletant. La simplicité de la forme n’a d’égale que l’éternité du texte brut, et l’efficacité toute contemporaine du moyen de transmission !

Dévotion

Tout l’inverse de la proposition de Clément Bondu. Ce n’est pas la mémoire de l’humanité qu’il explore, mais celle du théâtre, qu’il met en écho avec les préoccupations de ses comédiens, les élèves de l’École Supérieure d’Art Dramatique qu’il a interrogés pour écrire son texte. Fonction du théâtre, personnages de ratés magnifiques, emprunt et hommage aux metteurs en scène du passé proche et du présent... la réflexion sur le théâtre s’inscrit dans le présent politique et social de ces jeunes gens, qui croisent chaque jour la misère et craignent le fascisme naissant. Mais l’écriture, extrêmement lyrique, souvent enflée, hyper référencée, peine à instaurer des dialogues et à faire scène : elle rend un hommage constant au théâtre sans parvenir à être, au sens propre, dramatique. C’est-à-dire cette écriture, dite de double énonciation, qui fait dialoguer des personnages, ou des personnes, afin que le sens, la relation, surgisse de la confrontation entre des répliques échangées.

Nous, l’Europe, banquet des peuples

Autre démarche, celle très claire de Laurent Gaudé : il ne s’agit pas de faire théâtre, mais de faire poème. Épique, sans doute. Le problème est que le romancier n’est pas plus un poète qu’un dramaturge. Sa langue romanesque est ici comme amoindrie, banalisée, didactique. Les chœurs racontent l’histoire d’une Europe et ses échecs, ses espoirs, son fondement sur l’industrie du charbon, les doutes que l’on a aujourd’hui qu’elle puisse se reconstruire sur d’autres fondements. Une

sorte de cours, instructif, qui manque singulièrement de fiction ou de témoignages, de vérité intime ou de fable. De quelque chose qui fasse théâtre. Et ce n’est pas François Hollande en guest star qui pouvait faire spectacle : c’est dans le réel que l’ex-président a mis la gauche en pièce, et son surgissement dans l’espace imaginaire d’une scène jette un trouble malsain, la politique spectacle s’immisçant dans un vrai spectacle qui ne parvient pas à être vraiment politique.

Architecture

Un auteur, vivant, dans la Cour. Pour un spectacle en français, sans vidéo, sans dispositif spectaculaire, sans musique enveloppante, reposant sur une scénographie élégante, une fable et le talent des acteurs. On en rêvait depuis des années, et Pascal Rambert l’a fait. Pourtant un ennui tangible assaillait le public de la Cour, surtout à la fin de la première partie. Après l’entracte les rangs clairsemés assistèrent à une seconde partie plus efficace, qui venait trop tard... Pourquoi ce demi-ratage, cette insatisfaction ? Des moments de beauté bruts étaient à l’œuvre, ceux pour lesquels on accepte d’habitude de s’ennuyer un peu : Stan (Nordey) dans la longue tirade où il parle enfin de l’homme qu’il aime, Anne-Sophie (Ferdane) à propos des blessés des tranchées, Emmanuelle (Béart) qui réclame le droit à jouir, Laurent (Poitrenaux) constamment, Denis (Podalydès) dans la seconde partie et Jacques (Weber) dès l’ouverture...Oui Pascal Rambert a raison de miser sur ces merveilleux acteurs, d’écrire pour eux, de donner leurs prénoms à ses personnages. Mais cela ne suffit pas à faire fiction... Car qu’est-il arrivé à l’écriture de Rambert ? De quelle démesure a-t-il été saisi pour croire qu’il pouvait écrire en quelques mois, et mettre en scène en quelques semaines, plus de 4 heures de théâtre pour la Cour d’Honneur ? C’est bien l’écriture qui manque à cette Architecture qui n’est qu’un squelette, un schéma de pièce envahie de ces poncifs dont on se débarrasse dès qu’on travaille un peu, surtout quand on s’appelle Pascal Rambert... Poncifs psychologiques d’abord : le coming-out de l’homosexuel, sur lequel repose une grande partie d’Architecture, est un ressort faiblard. L’attitude de la fille, psychanalyste, femme forte, qui ne quitte pas son mari et accepte sa frustration sexuelle au point d’en devenir folle, est anachronique : les intellectuelles viennoises étaient bien plus affranchies


29 les anneaux que ceux qu’elles n’aiment pas leur ont offert. La mise en scène se concentre sur les deux personnages amoureux, joue habilement des ombres et des lumières, d’une scénographie à étages où des projections s’insèrent sans excès. Elle fait confiance aux comédiens, tous très justes, à la beauté du texte, à ses énigmes intemporelles comme les rêves. Un joli moment, hors du temps.

Oskara

Tout aussi hors du temps, et onirique, le spectacle de Marcos Morau est surprenant de beauté. On ne sait pourquoi, et peu importe, la mort d’un personnage (un danseur ? le chorégraphe ?) le projette vers des rêves de danse et de folklore basque d’où surgissent d’énormes apiculteurs, des danseurs en jupe, des chevaux de dentelle, des joueurs de pelote qui se relèvent de la mort, un homme couvert d’un manteau de poil et d’un chapeau pointu... et surtout, un chanteur basque, Julen Achiary, qui va littéralement nous fendre l’âme. La beauté mélancolique de cette langue inconnue et si mystérieuse, les modulations si subtiles de la voix, les transparences des rideaux, la virtuosité des danseurs (compagnie Kukai Dantza), tout concourt à l’éblouissement, même si (ou parce que ?) une grande partie du sens nous échappe... Oskara © Christophe Raynaud De Lage - Festival d'Avignon

que cela. Quant à la jeune femme qui tombe amoureuse de l’architecte autocrate qui a largement l’âge d’être son père et célèbre, en poétesse, la vieillesse de sa peau, il est un cliché qui serait acceptable... si elle n’était pas le seul personnage à prendre son pied, comme si la gérontophilie était la voie royale du plaisir sexuel féminin. Les poncifs d’écriture sont d’un autre ordre : la pièce repose sur d’innombrables tirades, toujours trop longues, mal taillées, répétitives, qu’il suffirait de retravailler, resserrer, re-rythmer, pour qu’Architecture y gagne beaucoup. Les dialogues, parfois croisés, ont aussi du mal à construire des relations entre des personnages dont on ne sait trop ce qu’ils éprouvent les uns envers les autres, même au bout de 4 heures, et qui sans doute le savent peu eux-mêmes : il est question, toujours de ce qui se passe en eux, pas entre eux, ce qui est embêtant pour une écriture dramatique, c’est-à-dire de la relation. Quant à la fable... la fin de l’intelligentsia bourgeoise au début du XXe siècle, sujet aussi des Damnés dans la même Cour il y a deux ans, n’est plus le naufrage dont il faut que nous nous remettions. Ses échos avec notre temps sont ambigus : il s’agit aujourd’hui, comme hier, de renoncer sans regret à ses privilèges, de fabriquer du commun, et non de contempler éternellement le souvenir des lézardes sur des murs déjà écroulés.

Pelléas et Mélisande

Autre parti pris, tout aussi inhabituel dans le In aujourd’hui : il s’agit pour Julie Duclos de monter un texte du répertoire ! Sans le tirer ailleurs, sans y superposer d’autres lectures, simplement en proposant la sienne, son trajet, dans la pièce de Maeterlinck et ses accents symbolistes concentriques. Un univers où les mares puantes contaminent les murs d’un château qui se meurt, où la lumière peut disparaître tout à fait au gré des fluctuations des âmes, où les jeunes filles pleurent auprès des fontaines, et y jettent les couronnes et

Le présent qui déborde

Christiane Jatahy, quant à elle, ne cherche ni dans le dramatique ni dans l’épique. Ce qui l’intéresse dans le théâtre, c’est la présence des gens, public et comédiens assis ensemble, qu’elle confronte à un autre espace, celui du film. Le quatrième mur est un écran, une fenêtre spatiale qui ouvre sur d’autres espaces, mais aussi une barrière temporelle entre ce qui a été filmé, et ce qui se passe dans la salle, frontière que la cinéaste/metteur en scène ne cesse d’abolir. En entrecoupant son film d’images filmées en direct dans la salle, en filmant ses personnages face à la caméra comme s’ils nous parlaient et attendaient des réponses, qu’on leur donne parfois, en entraînant tout le monde dans une danse folle, en brouillant la perception de la musique, jouée en live ou diffusée par le film... Cette richesse formelle réinvente le théâtre à l’heure du cinéma, ou l’inverse, mais tout l’intérêt en est qu’elle repose sur le sentiment de l’urgence à témoigner des douleurs du monde. Car comment témoigner de ce qui se passe en Palestine, chez les indiens amazoniens, chez les petites filles sud-africaines autrement qu’en allant les filmer ? Le présent qui déborde est celui des exilés, des Ulysses trimballés de rives en rives, de prisons en violences, pris entre le désir du retour vers la terre natale et le fait de savoir qu’elle n’existe plus. Au Liban, en Afrique du Sud, au Brésil, en Grèce, hommes femmes et enfants jouent l’Odyssée, lisent l’Odyssée, en font leur histoire, celles de leurs exils et de leurs pertes. Des récits individuels, vrais témoignages, rejoignent le mythe, et le tout, ici et maintenant, ailleurs et histoire, se confond dans une lumineuse et profonde unité. Un véritable « commun », comme on en ressent peu au théâtre. AGNÈS FRESCHEL

Le Festival d’Avignon se poursuit jusqu’au 23 juillet festival-avignon.com


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Le geste et la parole

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ue pouvons-nous percevoir d’une attitude physique, d’un enchaînement de gestes et de déplacements d’une personne dont on n’entend pas la parole ? A contrario, que nous dit le témoignage oral d’un être dont on ne connaît pas l’apparence physique ? Selma et Sofiane Ouissi apportent des pistes de réponse à travers Le Moindre Geste, une expérience immersive déstabilisante dans les parcours de vie d’habitantes et habitants de Marseille. Dans la grande salle de Klap, les spectateurs, casque sur les oreilles, écoutent le récit d’un homme ou d’une femme, rencontré et filmé plusieurs mois en amont par le duo de chorégraphes tunisiens. Mais sur le grand écran, face à eux, n’est pas projetée la vidéo de l’interviewé : ce sont d’autres individus qui apparaissent. Des gens ordinaires qui semblent mimer un personnage dont ils ne savent rien. Car dans une autre salle, ces performeurs amateurs actent face caméra. Eux n’ont pas le son mais seulement l’image de cette même personne dont le public est simultanément en train de découvrir l’histoire et qu’ils tentent d’incarner en imitant ses gestes. À la fin de la représentation, spectateurs et acteurs éphémères se retrouvent autour d’un verre pour réunifier les deux côtés du miroir et partager leurs émotions. Un moment unique et troublant sur la perception de l’autre. LUDOVIC TOMAS

Le Moindre Geste a été joué du 27 au 30 juin, à Klap Maison pour la danse

Luminescence, Amir ElSaffar © Pierre Gondard

De la préém du geste

Ensemble c’est tout

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rès engagé dans les formes participatives diverses, le Festival de Marseille a accueilli la première en France d’Invited, de Seppe Baeyens. À la différence de Sous influence, du Sacre ou du Moindre geste qui ont nécessité une préparation, cette fois les spectateurs ne découvriront que sur le fait qu’il sont aussi performeurs. D’abord assis sur un cordon géant disposé en spirale qu’ils devront déplacer, ils vont vivre une aventure artistique commune d’une simplicité et d’une générosité réjouissantes. Les acteurs non identifiables se mêlent au public avant le début de la représentation. Démarre alors un processus d’invitation permanent à se lever, à échanger sa place, à traverser le plateau, à se mettre à courir ou à porter quelqu’un sur son dos pendant qu’un groupe de trois musiciens joue en direct. Le doute s’installe rapidement sur le rôle et le degré de complicité de chaque intervenant. Puis l’hésitation et la timidité à interagir de manière autonome s’atténue progressivement. Si la construction du récit est collective -mais cadrée-, le vécu et le ressenti est propre à chaque individu. Un exercice imposé de faire ensemble, dans lequel les barrières entre artistes et spectateurs s’effondrent sous le poids de l’égalité et de la confiance. L.T. Invited a été joué les 28 et 29 juin, à la Gare Franche

Flamenco d’un continent nouveau

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uminescence était présenté pour la première fois en France. Le spectacle d’Amir ElSaffar a reçu un accueil triomphal du public. Compositeur, trompettiste, joueur de santour et interprète, l’artiste irako-américain invite une chanteuse de flamenco (Gema Caballero), une danseuse flamenca contemporaine (Vanessa Aibar), un percussionniste (Pablo Martin Jones), une altiste et joueuse de joza (Dena ElSaffar) et un compositeur électro (Lorenzo Bianchi Hoesch) pour un projet ambitieux de croisement d’esthétiques musicales, affranchies de la notion même de tradition. Mâqam (mode musical arabe) et flamenco se prêtent naturellement à la rencontre, et l’expérience acquise par ElSaffar dans son approche transculturelle entre jazz et musique orientale donne sa force et son assise à la pièce. Les interventions subtiles aux machines contribuent à l’effacement spatio-temporel de l’œuvre, dans une alchimie qui tend vers l’universel. Chanteuse et danseuse s’investissent pour parachever l’ensemble. La voix cristalline de l’une et les transgressions chorégraphiques de l’autre nous renvoient à deux étoiles qu’il est cependant difficile d’atteindre : Rocio Marquez pour le chant et Rocio Molina pour la danse. Et il aura fallu convenir que les audaces de celles-ci sont inégalables pour ne pas se gâcher un plaisir luminescent à défaut d’être transcendant. L.T. Luminescence a été joué les 28 et 29 juin, à la Vieille Charité


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Jukebox dansant

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minence

danseurs pour le XXe siècle n’a pas hérité des défauts de l’exposition On danse ?, conçue dans le même espace, le Mucem : Boris Charmatz, dans un rapport de proximité, d’intimité, a le souci de donner les clefs aux visiteurs. Pendant trois heures et dans différents lieux du musée, danseurs et danseuses réinterprètent des soli qui ont marqué l’histoire de la danse néo-classique et contemporaine. De Pina Bausch à Beyoncé, de George Balanchine à William Forsythe, en passant par Merce Cunningham et Dominique Bagouet, ils décortiquent avec pédagogie les mouvements comme les intentions des chorégraphes passés à la postérité. Le répertoire ne vise pas l’objectivité. Pas plus que les interprètes qui apportent leur propre sensibilité. Loin des scènes institutionnelles et quel que soit le nombre de spectateurs, l’engagement des danseurs est total, sans enjeu ni contrainte, motivé par le seul plaisir de démocratiser. Rarement un

public n’aura connu telle liberté de zapper d’un solo à un autre en direct. Cela occasionne parfois des moments d’une rare intensité émotive. Sous un soleil de plomb, Boris Charmatz, effectuant un passage de L’Après-midi d’un fauve de Vaslav Nijinski, interrompt soudainement son solo quand une personne âgée qui n’est autre que son père fait un malaise dû à la chaleur. Mai Ishiwata prend le temps de décrire le décor et de confier les consignes de la chorégraphe Carole Ikeda pour la pièce Utt. Fabrice Ramalingom, un quart d’heure avant la fermeture du Mucem, propose de jouer par la énième fois de l’après-midi et devant un seul visiteur des extraits de Set & Reset et Astral Convertible de Trisha Brown, en proposant une version lente et à la vitesse réelle. Une leçon de générosité, loin des préjugés élitistes. L.T. 20 danseurs pour le XXe siècle a été joué les 29 et 30 juin, au Mucem

Nos coups de cœur et nos coups de mou de la 24e édition du Festival de Marseille

La revanche des salopes

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nitialement intitulée Bitches (femelles, chiennes ou putes, c’est selon), la première création du Groupe Crisis a finalement pris le nom de Drames de princesses, œuvre du Prix Nobel de littérature Elfriede Jelinek, dans laquelle le collectif féminin puise sa matière textuelle. Une décision pertinente qui évite tout malentendu sur le propos féministe de la pièce. Ces comédiennes et danseuses marseillaises prennent les traits d’effigies féminines pour déconstruire les rapports de domination entre les sexes et abolir le concept de femme objet. D’un personnage de conte qui attend le prince charmant à une ancienne première dame des ÉtatsUnis restée célèbre pour avoir reçu les éclats de la cervelle de son président de mari, la mise en scène de Hayet Darwich opte pour la radicalité, visuelle et discursive. Les cinq tableaux régurgitent des éléments de la culture populaire passés au crible de l’engagement artistique. Les corps, dénudés, souillés de sang, avilis, sont autant de symboles d’une prise de conscience sur le conditionnement du regard porté sur la femme, souvent lié à sa condition sociale. La violence qui mène vers l’insoumission et l’émancipation n’a d’égal que celle qu’elles continuent de subir. Et la morbidité manifeste de la dramaturgie d’impacter sur la dimension sarcastique de l’écriture. Avec des longueurs et une intention pas toujours accessible, Drames de princesses bouscule en attendant de totalement convaincre. L.T. Drames de princesses a été joué du 1er au 3 juillet, à la Friche la Belle de Mai

Opulence normative

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es êtres bien en chair sur des piédestaux, tels des œuvres de Botero. La comparaison s’arrête là. Si Taoufiq Izeddiou s’inspire des personnages du peintre et sculpteur colombien, il leur retire toute expression d’innocence et de naïveté, limitant leur rondeur au seul aspect physique. Botero en Orient interroge les codes de la beauté, du convenu. Sur un plateau comme dans la société. Les quatre danseurs dont le chorégraphe lui-même affrontent le monde aseptisé, conscients de leur marginalité qu’ils affichent en jouant de leurs formes. En sous-vêtements ou costumés, visages découverts ou masqués, ils transforment leur plastique en un atout. Agitant leurs kilos en trop (mais pour qui ?), percutant leurs corps gras, ils écrivent une partition musicale et chorégraphique qui en devient poétique. Et construisent et déconstruisent les murs symboliques de la normativité. L.T. Botero en Orient a été joué les 3 et 4 juillet, à Klap Maison pour la danse


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La preuve Le Festival Lyrique d’Aix assied une

Requiem Mozart, présent à chaque saison, était un choix évident pour ouvrir le Festival d’Aix. Mais celui, attendu au tournant, de s’atteler à son Requiem relevait un défi certain. Si le metteur en scène Romeo Castellucci et le jeune chef Raphaël Pichon ont déjà tous deux porté à la scène des œuvres religieuses, ils s’étaient jusque là plutôt intéressés à Bach : l’un à la Passion selon Saint Matthieu, l’autre aux cantates avec le très réussi Trauernacht. Moins imagé, moins narratif surtout, le Requiem de Mozart pouvait sembler inadéquat à un tel exercice. Les pièces plus méconnues du compositeur et autres chants grégoriens savamment ajoutés au texte par le jeune chef se succèdent pourtant avec cohérence. La très belle ouverture aux cuivres de la Meistermusik, la douceur des phrasés et le grain des cordes laissent deviner un travail conséquent des musiciens sur leurs instruments d’époque, et de Raphaël Pichon sur l’essence des œuvres. En fond de scène les noms d’espèces, de peuples, de monuments et de langues disparus défilent ; les tableaux mutent au rythme de rideaux et cocons déchirés, de peintures

© Pascal Victor

et de matières déversées sur ses murs et ses protagonistes ; les solistes, danseurs, et surtout le chœur, impressionnant de solidité, enchaînent les chorégraphies traditionnelles d’Evelin Facchini. Si bien qu’un sentiment de confusion s’installe. Malgré la réussite plastique évidente de nombreux tableaux, l’œuvre semble souvent tenir lieu d’écran davantage que d’écrin aux images de la mise à scène :

le discours développé par Romeo Castellucci sur la mort comme envers de la vie apparaît moins inspiré et percutant que ses précédentes incursions dans le logos mozartien et ses ambiguïtés. Privée ici de son habituel déroulé en deux temps, la dialectique castelluccienne accole ses morts et renaissances programmatiques sans ciller, et peine donc à émouvoir. S.C.

Jakob Lenz L’ œuvre de jeunesse de Wolfgang Rihm, écrite sur un livret de Michael Fröling à partir de la nouvelle Lenz de Georg Büchner, évoque la fin de l’écrivain poète et dramaturge allemand qui fut un ami de Goethe, et dont les pièces s’inscrivaient dans le tumulte et la fureur, le Sturm und drang du premier romantisme. La douleur de la perte de sa fiancée, Friederike, ont conduit le poète à la folie. L’opéra met en scène Jakob Lenz en proie à une crise de schizophrénie : il confond sa promise avec une petite fille morte

et dans un délire christique l’enjoint à la résurrection, « Lève-toi et marche ! ». Le silence de Dieu, le vide de la Nature, si belle et infinie soit-elle, le mensonge des mots, incapables de rendre la vie aux êtres chers, le poussent à abandonner toute raison. Ses déchirements, ses larmes, son impuissance à vivre sans l’aimée, la conscience de la vacuité terrifiante du monde, sont transcrits avec une puissance et une expressivité bouleversantes. Le mal être est tangible ici dans le bousculement des


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e par cinq vision politique et esthétique de l’art

Tosca Pour la première fois en 71 ans Puccini fait son entrée au Festival d’Aix, mis en scène par le cinéaste et polygraphe Christophe Honoré. Il était temps que le mépris envers le répertoire italien, d’essence populaire, cesse, dans ce temple de l’opéra savant ! S’appuyant sur l’importance de La Tosca dans la carrière des chanteuses lyriques, il déplace le sujet et tente de définir ce qu’est une diva. Pour cela, tout est multiplié en une vertigineuse mise en abyme, deux caméras sur scène filment en continu

les personnages, leurs images sont projetées en direct sur le(s) écran(s) qui surplombent le plateau ou, au dernier acte, sur un voile transparent, l’Orchestre de l’Opéra de Lyon se trouvant alors sur scène, dirigé par le talentueux et enthousiaste Daniele Rustioni. S’emparer du rôle c’est aussi se confronter à la cohorte des fantômes des anciennes interprètes ; celles-ci, La Callas en tête, défilent sur le double écran surmontant la scène, alors que la soprano Angel Blue, bouleversante, livre un Vissi

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suite p.34

© Jean-Louis Fernandez

esthétiques, chorals superbement portés par un chœur de six chanteurs, échos de clavecin dont le « classicisme » renvoie à une harmonie perdue, ébauches de musique répétitive, passages à une composition atonale et arythmique, palpitations minimalistes… le tout est orchestré en treize tableaux, séparés par de subtils intermèdes musicaux. La mise en scène virtuose d’Andrea Breth rend compte des paysages mentaux superposés à la froideur de la réalité : rochers luisants, eaux ruisselantes, bibliothèques

d’arte vissi d’amore aux inflexions subtiles et profondes. C’est autour de cet air que s’orchestre l’ensemble : tout débute chez une ancienne Prima Donna, rôle tragique et sensible endossé par la grande soprano Catherine Malfitano, elle-même un mythe (et quel regard !). Un disque d’opéra tourne, elle s’écoute, reprenant silencieusement les phrasés de sa gloire passée… le rêve est interrompu par l’arrivée d’une jeune troupe qui vient répéter chez elle La Tosca pour lui rendre hommage. Les chanteurs s’agitent, réinventent les lieux, esquissent la trame... En un troublant jeu de miroirs, la Prima Donna guide la jeune soprano qui donnera la réplique à l’éblouissant ténor Joseph Calleja (Mario Cavaradossi) poignant dans E lucevan le stelle. Le spectateur se trouve enserré entre deux fictions, celle d’un hypothétique présent et celle d’une œuvre intemporelle. La mémoire devient le lieu où tout se tisse. Il faudra attendre le meurtre de Scarpia, (excellent Alexey Markov), pour que la chanteuse, quittant jeans et blouson à capuche, revête les robes rouge puis or de la Diva tandis que, drapée de rouge, la Prima Donna meurt… Pour que naisse la nouvelle étoile ? M.C.

aux rayonnages vides, néons crus et lit d’hôpital psychiatrique. Sa direction d’acteurs, fulgurante, repose sur la performance éblouissante du baryton Georg Nigl, qui interprète Lenz avec une poignante intensité, passant dans la même phrase d’aigus enfantins à la gravité caverneuse du désespoir, chante en falsetto, crie, use de toute la palette expressive de la voix et accorde à son personnage une épaisseur et une vérité déchirantes, tandis qu’impuissante, la touchante humanité de son ami

Oberlin (superbe Wolfgang Bankl), se voit raisonnée par l’impitoyable Kaufmann (remarquable John Daszak). L’Ensemble Modern, dirigé avec une précision enthousiaste par Ingo Metzmacher ne laisse aucune échappatoire et le terme « cohérence » asséné par Lenz emmailloté dans une camisole de force prend une dimension troublante et tragique. M.C.


34 festivals

Les Mille endormis Commande du Festival d’Aix-en-Provence et des théâtres de la ville de Luxembourg, l’opéra était présenté en création mondiale, accompagné par le United Instruments of Lucilin sous la houlette précise et inspirée d’Elena Schwarz. Le poète et dramaturge Yonatan Levy signe ici son premier livret et sa première mise en scène d’opéra et le compositeur Adam Maor son premier opéra. Le sujet, d’une actualité brûlante, évoque en une fable poétique les relations israélo-palestiniennes. Dans un monde dystopique, mille détenus administratifs arabes font une grève de la faim, le Premier Ministre Israelien (Tomasz Kumięga), les fait plonger dans le coma, pour ne pas avoir à les juger. Le Ministre de l’Agriculture (Benjamin Alunni) s’alarme de la sécheresse qu’infligent les Nations Unies. Les années passent, et le sommeil des Israéliens se peuple de cauchemars, les enfants se réveillent en parlant arabe… les mille endormis ont colonisé leurs rêves… en rétorsion, S., chef du service Général de la Sécurité (David Salsbery Fry)

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préconise d’une impressionnante voix de basse l’envoi de Nourit, l’assistante du Premier Ministre, (lumineuse Gan-ya Ben-Gur Akselrod) dans les songes des dormeurs afin de les détruire. Plongée par hypnose dans un sommeil profond, elle découvre un univers de paix spirituel et libre : « il ne peut y avoir d’autre patrie pour l’homme que celle qui se trouve entre une âme et une autre ». Toute une histoire de la musique se retrouve là, conjuguée en une éblouissante gradation, entre les éclats atonaux de la musique contemporaine, le lyrisme de la plus pure tradition des opéras du XIXe, qui s’orientalise avec une élégante évidence, puise dans les traditions ancestrales, inclut des échos de la diphonie mongole, le rythme des récitatifs religieux, effaçant toutes les frontières de genres et de nations, en un syncrétisme musical qui tient à l’universel. La justesse et l’intelligence du jeu, la beauté des voix, le sens tragique qui sait se parer d’humour, servent avec bonheur cette œuvre magistrale. M.C.

Grandeur et décadence de la Ville de Mahagonny Le recours à la caméra à l’épaule et autres fonds verts sur les planches est devenu un nouveau gimmick performatif de mise en scène. Il peut cependant s’inscrire dans le sillage de l’œuvre, voire lui ajouter un supplément d’âme. C’est exactement ce qu’Ivo van Hove parvient à produire avec Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny. Au livret déjà dense de Bertolt Brecht qui dénonce, au lendemain de la crise de 1929, les travers du capitalisme à Mahagonny, sorte de cousine dégénérée de Las Vegas, s’ajoute ainsi avec le dispositif de la caméra une critique bien vue de la société du spectacle. L’ensemble des chanteurs pointera ainsi un doigt accusateur vers le public en entonnant la ritournelle « Denn wie man sich bettet » sur le dernier vers du refrain, à savoir : « si quelqu’un doit se faire piétiner, ce sera toi ». Absente sur le prologue et lors de la scène de procès, la caméra apparaîtra pour cadrer les regards des prostituées et de leurs clients, et constituer tantôt une vitrine pour la ville-piège, tantôt un moyen d’en scruter les coulisses. Elle fera enfin corps avec le plateau le temps de la « grandeur » de l’Acte II : lorsque Jack s’empiffrera jusqu’à en mourir, le snuff movie, posé, ressemble à un selfie ; le

© Pascal Victor Artcompress

bordel puis le ring incrustent ensuite les protagonistes sur fond vert dans des images d’Épinal. Cet assemblage d’effigies rend ainsi justice à la fois à la démesure du texte de Brecht et à la nature composite de la musique foisonnante de Kurt Weill. Le lyrisme froid hérité de Schönberg trouve dans le Jimmy du ténor Jim Mahoney une belle incarnation ; la syncope et le timbre grinçant du jazz et du cabaret, ou encore la profusion de l’écriture contrapuntique et chorale sont servis avec versatilité et générosité par la wagnérienne veuve Begbick de Karita

Mattila et la plus mozartienne Jenny Hill d’Annette Dasch. En fosse, le Philharmonia, dirigé par Esa Pekka-Salonen, achève de rendre ses lettres de noblesse à une partition aussi grinçante que poétique : décidément, Kurt Weill n’est pas que le compositeur de Brecht... S.C. SUZANNE CANESSA ET MARYVONNE COLOMBANI

Œuvres données dans divers lieux au Festival d’Aix, qui se poursuit jusqu’au 22 juillet festival-aix.com


35

Quand Aix concertise

Aix en juin La conférence des oiseaux ©

Juin prélude au Festival International d’art lyrique d’Aix-enProvence, multiplie les manifestations, et prend une stature de festival à part entière, avec son esprit, ses habitués, ses formes propres

O

n a suivi avec passion la nouveauté des Opéras de-ci, de-là (lire journalzibeline.fr), d’autres moments, plus familiers, emportent aussi les suffrages. Ainsi, les récitals et concerts donnés à l’hôtel Maynier d’Oppède et en région par de jeunes chanteurs et musiciens de chambre déjà moult fois primés, venus du monde entier pour se perfectionner à l’Académie du Festival. Encadrés par András Keller (violon), David Alberman (violon), Mark Withers (clarinette, formateur à la médiation), Christiane Louis (formatrice à l’entreprenariat artistique), les quatuors Agate, Elmire, Seleni et le trio Sōra ont affiné leur approche de tous les répertoires. Une place de choix était réservée à Wolfgang Rihm dont l’opéra Jacob Lenz est à l’affiche du festival : avec Grave –In memoriam Kakuska, composé à la suite de la disparition de l’altiste autrichien Thomas Kakuska, le souvenir sensible s’orchestre en silences et éblouissements. Le Quatuor n° 2 op.10, joue des ruptures de ton et d’atmosphère, se coule dans un élan fluide, puis se resserre sur de vifs éclats, martèle les instruments, tandis que son Fremde Szene I essai pour trio avec piano s’empare de la polysémie de la racine allemande « fremd », étrange ou étranger, entre méditation et mouvements ostinato. D’autres auteurs du XXe sont

repris, dont Erwin Schulhoff (18941942) et ses Cinq pièces pour quatuor à cordes de 1923, qui s’inspirent et se distancient à la fois des influences du passé, entre pastiche de valse et tango qui s’orientalise. L’écoute, dans la foulée des compositions contemporaines, d’œuvres du XIXe en est transformée. Les Lauréats HSBC offraient leur concours à ces moments musicaux de haute volée. Le Quatuor Esmé accordait sa subtilité à une somptueuse interprétation de La Jeune Fille et la Mort de Schubert, enveloppante fluidité, articulation aérienne, ancrage sûr des profondeurs… et nous permettait de découvrir des auteures sud-coréennes contemporaines : Unsuk Chin avec un ParaMetaString aux motifs rythmiques qui semblent se stratifier, et à une harmonisation qui remodèle l’espace sonore ; et Soo Yeon Lyuh, spécialiste de l’instrument à cordes coréen traditionnel, le haegeum, dont elle s’inspire pour Yessori (« son du passé » en coréen), pépite ciselée hantée par les échos des musiques anciennes.

Voix et mots d’oiseaux La voix n’était pas oubliée, avec le duo piano (Célia Oneto)/ soprano (Marie-Laure Garnier), Lauréates HSBC 2018, qui évoque avec humour et maestria « grandeur et décadence du cabaret » avec des airs de l’entre-deux guerres de

Poulenc, Gershwin, von Zemlinsky, Kurt Weill, William Bolcom. Voix encore et pour la première fois au festival d’Aix sur des œuvres de Puccini, lors du grand concert gratuit « Parade(s) », au sommet du cours Mirabeau. Les sopranos Angel Blue, Siobhán Stagg, les ténors Joseph Calleja et Mackenzie Gotcher, le baryton Alexey Markov (que l’on retrouvera dans les productions du festival de juillet), interprétaient avec une intelligente passion des airs de La Bohème, Il Tabarro, Mme Butterfly, Tosca, Gianni Schicchi, Turandot, sous la direction enlevée, précise et enthousiaste de Daniele Rustioni. Une mention spéciale aux chœurs amateurs Ibn Zaydoun et Antequiem a cappella, dirigés par Philippe Franceschi, qui ont chanté/ joué/ interprété, avec une sensible vérité la belle (et difficile) partition de Moneim Adwan sur un livret de Fady Jomar, inspiré de La Conférence des oiseaux de Farid al-Din’Attar (1177). Histoire de quête, de découverte de soi, d’une belle profondeur, mise en scène avec inventivité par Victoria Duhamel : des parapluies diversement décorés symbolisent les oiseaux, qui chantent et parlent en arabe et en français (les paroles sont distribuées au public), les personnages principaux accompagnés d’un chœur antique qui évolue dans la fosse et accorde enfin les réponses symboliques à leurs interrogations mystiques. Un diamant brut d’humanité ! MARYVONNE COLOMBANI

Aix en juin s’est déroulé du 11 au 30 juin à Aix-en-Provence


36 festivals

Orange retrouve ses couleurs Grâce au sauvetage de la Région Sud, les Chorégies renouent une programmation de haut vol

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ne ouverture avec 600 collégiens chanteurs, des récitals dans la Cour Saint Louis, un ciné concert, Jean-Christophe Maillot pour le retour de la danse, et bien sûr de grands concerts symphoniques et des productions lyriques populaires... L’esprit des Chorégies renaît de ses cendres !

Ténor Les récitals de ténor ont quelque chose du spectacle sportif, ou du cirque : on y attend l’exploit, on y guette la faute, on y vibre sur le fil. Le public y connaît tous les airs, prévoit les précipices, devance les difficultés, dans une complicité toute particulière avec l’interprète qui livre un combat public contre les embuscades de la partition... Et quand on a la chance d’écouter, à quelques mètres de soi, une des voix les plus rares du monde, capable de surmonter haut la main tous les obstacles, il apprécie l’expérience ! Pourtant, pour un public moins rompu à cet univers, voir un récital lyrique, plus encore de ténor, c’est remettre en cause ce que l’on attend aujourd’hui d’un spectacle : rien n’est naturel, l’émotion est surjouée, le cérémonial des applaudissements et rappels est un rituel ridicule, et les talons hauts, maquillages, costumes endimanchés... tout est de mauvais goût. Mais lorsque la voix d’un Ramon Vargas s’élève, tout Ramon Vargas © Philippe Gromelle cela disparaît ! Après une introduction baroque et un Mozart aux conduites parfaites, le ténor mexicain entre dans le vif du programme : La solita storia del pastore de Cilea, E lucevan le stelle de Puccini, puis Verdi, et Puccini encore. L’émotion, énorme, passe par une maîtrise absolue de la voix, gorge serrée dans les déplorations ou déployée dans les passages héroïques, voix de tête et mixte pour suspendre le temps et susurrer l’amour, et une souplesse vocale sans égal. La Danza de Rossini est attaquée à une vitesse impressionnante sans aucun de ces rubatos qui la ralentit habituellement dans les passages difficiles. Juste avant le contre ut final il s’arrête, mutin, suspendant l’attente fiévreuse de son public, qui sourit avec lui, et les applaudissements éclatent après la note suprême livrée enfin... Quelques chansons italiennes ou mexicaines complètent heureusement le récital très vériste, sans déparer : il est des pays où traditions populaire et lyrique ne font qu’un.

L’art de la zarzuela Les Chorégies se poursuivaient avec le même souci d’excellence avec la Nuit espagnole, qui réunissait en récital des figures majeures du chant lyrique actuel, la soprano Ana María Martínez et le ténor Ismaël Jordi, tous deux moult fois primés, aux côtés de la star du lyrique qu’est le ténor et baryton Plácido Domingo qui renouait ici avec ses racines (sa mère, Pépita Embil, était surnommée la « Reine de la zarzuela ») en interprétant un florilège d’extraits de zarzuelas, ce genre théâtral lyrique espagnol né au XVIIe siècle, proche de l’opéra-comique français ou du singspiel allemand. Beauté des voix, élégance des phrasés, humour, sens théâtral, vivacité, intelligence interprétative, tous les ingrédients étaient réunis pour de superbes reprises des grands airs piochés dans les œuvres de Soutullo y Vert, Sorozábal, Serrano, Federico Moreno Torroba, Manuel Penella, Manuel Fernández Caballero… Ne nous attardons pas sur la mièvrerie désuète (et sexiste) des livrets, où l’amour se chante sur tous les tons « au soleil de l’Andalousie », entre roses, cœurs toujours en émoi face à l’impossible conquête de celle qui invariablement refuse d’accorder sa main, si bien que l’éconduit va « de soupirs en soupirs », ou plus agressif, met en balance l’amour ou la mort, puis rêve de la quiétude des retours… Les notes finales toujours vaillamment tenues suscitent les « brava » de l’assistance, on admire l’impeccable géométrie des ballets que danse avec une maîtrise joyeuse la Cie Antonio Gadès, (sur L’intermedio de La boda de Luis Alonso de Gimenez ou le superbe El sombrero de tres picos de De Falla) qui s’invite sur certains passages chantés en de brèves mises en scène. Le tout est soutenu par le bel Orchestre philharmonique de Monte-Carlo, dirigé par Olivier Diaz. On peut s’interroger sur la pertinence du propos, spectacle témoignage, certes, mais à lui donner un sens, la question reste ouverte… AGNES FRESCHEL ET MARYVONNE COLOMBANI

Le récital Ramon Vargas et La Nuit espagnole ont été vus les 4 et 7 juillet au Théâtre antique lors des Chorégies d’Orange, qui se poursuivent jusqu'au 6 août


L A TO U R N

E S I A L L I E S R A É E D’É T É L A M fera étape

VENDREDI 19 JUILLET L’ESTAQUE ESPACE MISTRAL MARSEILLE 16e

SAMEDI 20 JUILLET SAINT CANNAT PARC MUNICIPAL

MARDI 23 JUILLET LE ROVE SALLE DES FÊTES JEUDI 25 JUILLET

MARIGNANE COURS MIRABEAU MAIRIE VENDREDI 26 JUILLET

PORT DE BOUC PLACE LAZZARINO SAMEDI 27 JUILLET

MARTIGUES PLACE DU MARCHÉ LA COURONNE DIMANCHE 28 JUILLET

SEPTÈMES PLACE VALLON DU MAIRE

MARDI 30 JUILLET

LA SEYNE SUR MER PARC DE LA NAVALE

SPECTACLE GRATUIT A PARTIR DE 20H30 Tous les jours retrouvez les infos dans LA MARSEILLAISE ou sur www.lamarseillaise.fr


38 festivals

La reine à six cordes Le Festival International de Guitare de Lambesc a, une fois encore, arpenté les territoires les plus secrets de son éclectisme intelligent

D

urant six soirées, les accords de la reine à six cordes ont enchanté le parc Bertoglio, grâce à l’équipe dévouée et compétente des bénévoles de l’association Aguira, Charles et Annie Balduzzi en tête. Tout se déroule avec fluidité dans une convivialité que rien ne dément. La programmation concoctée par Valérie Duchâteau nous convie à écouter le monde, réunissant des artistes venus de très loin comme de tout à côté, et rend hommage aux luthiers, auxquels les interprètes doivent tant. Cette dernière proposait en ouverture des extraits de son nouvel opus, Guitarra Latina, où se croisent Bach, Beethoven, Marcel Dadi, Clapton, Brel, Django Reinhardt… Pas d’effets superflus, mais une capacité fine à renouer avec l’émotion, dans un phrasé élégant et sobre. Dans la même veine, la rejoignait Liat Cohen, « la princesse de la guitare classique », venue spécialement de Tel Aviv, scellant l’entrée de la guitare dans les compositions contemporaines, avec la superbe Usher Valse (inspirée de la nouvelle d’Edgar Poe) de Nikita Koshkin (compositeur russe du XXIe siècle). L’instrument soliste trouvait encore son accomplissement grâce à Rudi Florès (Argentine) dans les interprétations des musiques de son Amérique Latine natale, ou encore

avec la jeune et virtuose Cassie Martin, premier prix (entre autres) du Concours International Roland Dyens, Révélation Guitare Classique 2018, qui se glisse avec une aisance déjà parfaitement maîtrisée au cœur des divers répertoires de son instrument. Les formations conjuguaient leurs accords avec brio : les six guitaristes (Arnaud et Clarisse Sans, Sylvain Cinquini, Martin Vieilly, Jean Guillot, Hugo Brogniart) de l’Ensemble Copla abordaient dans leurs propres réorchestrations des œuvres d’Albéniz, Torroba, Piazzolla, Verdi, et une époustouflante réécriture dans le ton originel de la Danse macabre de Saint-Saëns. Un nouvel instrument à corde entrait dans le festival, avec le duo Vincent Beer-Demander (mandoline) et Philippe Azoulay (guitare), pour une exploration des musiques de film, enchaînant les œuvres de Bolling, Cosma (Vladimir) et Kosma (Joseph), Ennio Morricone, Francis Lai ou Ernesto di Capua, ces deux derniers dans des arrangements du regretté Roland Dyens. Moments de musicalité et de virtuosité pure, qu’une touche d’humour vient éclairer… Enfin, le Trio Cavalcade abolissait les frontières des genres, emportées dans les compositions inspirées de Mathias Duplessy qui « flamenquise » la guitare classique,

ajoute la voix et le chant diphonique des anciens chamanes, duettise avec la guitare nuancée de Jérémy Jouve, renoue avec les racines indoues par le biais des hallucinantes percussions de Prabhu Edouard. C’est d’ailleurs sur un hommage à Ennio Morricone de Mathias Duplessy que s’achèvera le concert de clôture, réunissant tous les musiciens participants. Bissés et ovationnés comme jamais ! Des surprises s’offraient même aux organisateurs ! En vacances dans la région, la compositrice anglaise Marie Linnemann, pédagogue et grande théoricienne de la guitare, a accepté d’interpréter l’une de ses œuvres (I love you) en duo avec Cassie Martin. Chaque note est jouée comme si elle était unique et pleine, un univers en soi. La virtuosité consiste ici non à chercher à s’emporter en de folles vitesses, mais à rendre sensible l’instant, en ce qu’il a de profond, de particulier. Bulles de beauté qui s’orchestrent… Oui, Lambesc est vraiment la ville de la guitare ! MARYVONNE COLOMBANI

Le festival a eu lieu du 24 au 29 juin, à Lambesc


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Le bonheur est dans l’assiette !

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epuis Marseille Provence 2013, la volonté de dynamiser le tourisme a permis à quelques initiatives autour de la cuisine, de la promenade ou du jardinage de retenir l’attention des collectivités, et d’accéder au rang de culture vernaculaire à partager. Ainsi est née MPG 2019, année de la Gastronomie en Provence avec cours de cuisine, animations autour des produits locaux, mais aussi Dîners insolites dans des lieux inattendus. Zibeline a testé pour vous le dîner sur la Digue du Large. D’abord, l’immense plaisir de s’y rendre en bateau dans l’air soudain plus frais, accueil au vin blanc et mouillettes à l’huile d’olive, puis déambulation jusqu’à l’immense table dressée sous les lampions pour 130 personnes. Emmanuel Perrodin, concepteur du projet, accueille les convives en rappelant l’aspect populaire de la cuisine provençale, « cuisine du cabanon », mais

annonce l’ambition de faire de la Provence une terre de la Gastronomie. Ainsi 16 repas seront servis dans la région pour une découverte de lieux originaux avec, chaque fois, un chef ou une cheffe différent qui officie aux fourneaux. Ce jour-là c’est Vanessa Robuschi du restaurant Question de Goût qui, avec l’équipe des Grandes Tables propose une dégustation allant de la socca aux sardines, de la joue de bœuf aux légumes au curry, puis au dessert amande et fleur d’oranger. Le tout avec des vins du Château La Coste. Et la vue sur toute la baie marseillaise. Un instant de pur bonheur. CHRIS BOURGUE

Les dîners insolites ont lieu jusqu’au 31 juillet mpg2019.com myprovence.fr Dîner insolite sur la digue du large © Dan Warzy

Africa Fête malgré tout et surtout

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estival itinérant qui a élu domicile à Marseille il y a quinze ans, Africa Fête navigue à vue, contre les vents et marées des baisses de subvention

des collectivités. L’an dernier, le festival a bien failli disparaître mais la détermination de ses organisateurs et de leurs alliés ainsi que le soutien du public

l’ont sauvé du naufrage. L’édition 2019 ne pouvait être qu’à l’image de cet esprit d’engagement, de résistance et de la passion qui anime les acteurs de la manifestation. Ce n’est donc pas tout à fait un hasard si la quasi totalité des événements qui constituaient la programmation ont été accueillis par des lieux du 3e arrondissement de Marseille, territoire de métissage et d’initiatives alternatives et solidaires. Pour son temps fort, ramassé sur les trois derniers jours, Africa Fête a choisi de célébrer les îles. Et © Chris Boyer d’inviter artisans, créateurs, associations et artistes à investir le jardin du Couvent Levat, petit coin de brousse à la marseillaise. De stands en buvette, entre ateliers de danse, de chant ou de

musique et DJ set, dans une ambiance de village africain, un public familial a pu déambuler et tomber ici sur un concert intimiste, là sur une exposition, un peu plus loin sur un conte avant de profiter de la grande scène musicale en soirée. Pour les jusqu’au-boutiste, deux afters étaient proposés. Le premier, dans un aussi couru que détendu Chapiteau, à la Belle de Mai, avec un mix du collectif Afromats, dénicheurs des premiers vinyles du continent. Le lendemain, c’est l’Embobineuse, antre underground du même quartier, qui accueillait un After Kréol avec les Marseillais de Phono Mundial et DJ Comodo Varan aux platines. LUDOVIC TOMAS

Africa Fête a eu lieu du 15 au 30 juin, dans différents lieux de Marseille


40 festivals

Aimer à l’infini Retour sur deux créations vues à Montpellier Danse : Winterreise d’Angelin Preljocaj et Infini de Boris Charmatz

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out est sombre, le sol, le fond, les costumes ; la lumière est celle du soleil froid d’hiver. Thomas Tatzl entame le premier lied, accompagné au piano-forte par James Vaughan. La voix de baryton basse, humble dans l’immense salle du Corum, s’impose immédiatement, c’est doux, c’est tragique, c’est beau, c’est Schubert au sommet de la mélancolie et du

femmes, 6 hommes), qui jouent et rejouent la partition du couple, lui, elle, multipliés par deux, trois, ou six, synchrones, comme si le plateau était cerné de miroirs, décuplant l’amour perdu en répliques obsessionnellement identiques. Les rares moments de dissociation apparaissent comme des respirations narratives : un trio, un homme et

Wintereisse, Angelin Preljocaj © JC Carbonne

désespoir. La création d’Angelin Preljocaj s’accorde aux 24 lieder du Winterreise du poète Wilhelm Müller mis en musique par le compositeur autrichien : amour malheureux, errance solitaire et aspiration au suicide. Le chorégraphe, s’il a fait le choix de l’interprétation de la musique en direct, affirme n’avoir pas voulu faire une traduction littérale du texte sur le plateau. Qu’est-ce que cela veut dire, finalement ? Que les gestes ne miment pas forcément les mots de l’amoureux éconduit ? Les larmes de mes yeux / Sont tombées dans la neige / Ses froids flocons avides absorbent mes soupirs. Que les rythmes des corps ne suivent pas toujours la mélodie en mineur ? Il reste que les 24 chants sont déclinés comme autant de chapitres rigoureusement scandés par les 12 danseurs (6

deux femmes, semble réinventer l’amour le temps d’un chant (Larmes de glace) ; l’ensemble des danseurs se désolidarise pour la Débâcle, chacun prend des poses de statues romantiques, les femmes sont encadrées par une découpe de lumière (superbe travail d’Éric Soyer) qui les place sur un piédestal symbolique. Alors la musique et la danse entament un véritable dialogue.

Infiniment réussi 120. C’est le premier nombre prononcé dans Infini, de Boris Charmatz, coproduction Montpellier Danse. Point de départ (Salò ou les 120 Journées de Sodome) d’une course contre, (ou pour) la montre, dans un déluge de nombres, scandés, modulés, incarnés par les six interprètes, qui jamais ne s’arrêtent, ils

crient, ils chantent, ils se passent le relai, ils comptent, dans un décompte implacable du temps qui passe, dans une somme à la vitalité qui subjugue tant tout est emporté, manifeste, riche, les corps libres et vrais, puissants même si soumis à l’autorité des nombres qui continuent de défiler. C’est un véritable tourbillon d’intelligence sensible qui, pendant les 90 minutes du spectacle, décline une multitude de dimensions, intimes, historiques, mathématiques, triviales, un voyage dans le temps absolument réussi, qui nous entraine aux confins d’une chronologie onirique, aux tréfonds de nos souvenirs d’enfance, dans un sens, dans l’autre, on se sent vieux tout d’un coup, tellement fatigués que la mort se confond avec un long sommeil où les années se muent en moutons, passage au pays des rêves, les transitions surprennent chaque fois, évidentes, inventives, on s’approche du zéro, on frémit, on bégaye sur le 1, comme tétanisé avant le grand saut, on coupe le temps en deux, on plonge dans les chiffres après la virgule, on remonte jusqu’aux 35 ans de Boris Charmatz, qui se souvient de cette constatation paralysante « Vous êtes libre maintenant de penser à ce que vous allez pouvoir faire », au nombre 359 il crie un « Merde ! » entre colère et désespoir, à 440 Maud le Pladec part en courant, « Au secours ! », la danse est une clé pour s’échapper de l’inéluctable, les sursauts, les envolées individuelles, les imbrications en chaines infinies, à la Escher, l’envoutement généralisé, la jouissance des nombres, la fascination de ce qui ne s’arrêtera jamais, le courage d’aller plus loin que 2019, comme une bande d’hérétiques arrivés tout droit du MoyenÂge. Point. Parce qu’il faut bien s’arrêter, malgré tout. ANNA ZISMAN

Le festival Montpellier Danse a eu lieu du 22 juin au 6 juillet


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Lyrique et explosif

A

près avoir exploré les univers de J.R.R. Tolkien, Jules Verne, Molière et les mythes grecs, Claude Brumachon plonge littéralement la troupe du Ballet du Grand théâtre de Genève dans le bain mi-profane mi-sacré des Carmina Burana qui ont inspiré à Carl Orff une cantate scénique unique en son genre. De quoi donner envie au chorégraphe de faire résonner cette peinture musicale de l’humanité écrite entre 1220 et 1250 avec l’époque contemporaine, « ses drames, ses populations déplacées, rampant entre terre et mer ». La danse au sol tient une place toute particulière dans la succession des 25 tableaux vivants, à l’égal de la danse d’ensemble à l’énergie puissante, véritable caisse de résonance de la musique tellurique de l’ouverture, reprise également en conclusion. Heureusement le chorégraphe échappe à la narration mot à mot, pas à pas, figure après figure, des poèmes-chants de Beuren déjà très démonstratifs. Il lui préfère les échappées belles, les courses frénétiques, les scènes explosives, les pirouettes et les portés virtuoses entrecoupés d’espaces d’apaisement, mais se laisse parfois aller à de lourdes répétitions… jusqu’à cinq fois la même gestuelle ! En évitant le mimétisme littéral, il développe sa propre vision de l’instabilité du bonheur humain, l’ivresse aveugle de l’homme, dans un opéra-ballet classique - entrées et sorties académiques - nourri d’un vocabulaire d’une belle richesse : finesse du jeu de mains, ralentis, inclinaisons des têtes, expressions des visages… Le tout enveloppé par la magnificence des costumes et des cimiers créés par la maison de couture parisienne On aura tout vu qui ne sauraient déplaire à Omar Porras. Visuellement incandescente, la partition chorégraphique de Claude Brumachon séduit par son lyrisme sans toutefois révolutionner le genre. MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Carmina Burana a été donné les 28 et 29 juin à Châteauvallon scène nationale, Ollioules © GTG/Gregory Batardon

présente

GWÉNOLA DE LUZE NADÈGE LACROIX

DAVID MARTIN Armelle LUQ HAMETT

Jean-Pierre

Castaldi

| DE FEYDEAU | MISE EN SCÈNE DE LUQ HAMETT |

qUELLE FAMILLE ! Xavier V I T O N

Nicolas D E L A S JEAN-MARIE LHOMME | SYLVAIN KATAN | THOMASClaire VERNANT Conty Julie Lagnier et en alternance STÉPHANE NAVARRO

Didier Claveau Simon Jeannin et Xavier Viton

Décors : CLAUDE PIERSON | Construction : LES ATELIERS DÉCORS | Musique originale : CHRISTIAN GERMAIN www.casejoue.com

Un spectacle créé au Trianon de Bordeaux

Licences n° 2-1066252 & 3-1066253

Mise en Scène ADAPTATION EMMANUELLE HAMET D’APRÈS « LE MARIAGE DE BARILLON » Scénographie AVEC

www.carqueiranne.fr -

Photo Charlotte Spillemaecker

LICENCES : N°2-1041897 / N°3-1041898 .

la comédie de Francis JOFFO

Ville de Carqueiranne Station de Tourisme


42 au programme arts visuels

La photographie est une arme

Comme saisies par un sentiment d’urgence, Les Rencontres d’Arles affichent de nouveaux parcours, très engagés

Corps impatients

Mélancolique et languissante, l’exposition prend sur le vif des couples, des vieillards, des enfants et de jeunes punks d’Allemagne de l’Est des années 80 ; une succession de moments de vie, capturés dans un noir et blanc hors du temps. Détournant les codes de la tradition documentaire en RDA, Ute Mahler et Gundula Schulze travaillent sur la jonction de l’intime et du public, du nu et du vêtu, de la famille et de la sexualité. Exposant des corps torturés, érotiques et morbides, capturés dans l’intimité de la chambre ou les décombres de la ville.

Le documentaire de Tina Bara, Un long moment d’ennui, rétrospective de son œuvre et de sa vie, est le point d’orgue de cette exposition. Photographiant les sexes avec l’impudence retrouvée d’Egon Schiele, elle évoque la censure, la révolte et la vie dans les bois. Elle pose sur les corps un regard sans égards et les capture tels qu’ils sont ; gras, poilus et véritables, marqués par les cicatrices et la vie. Le corps devient récit de soi : « un portrait, tout autant que le visage » écrit-elle. S.L. Les Forges, parcours Mon corps est une arme

Evokativ

Libuse Jarcovjáková raconte l’histoire d’un Prague communiste (1970/1989) et d’un Prague de la nuit, avec une sincérité imparfaite et floue qui habite ces photos d’un irrésistible désir de vie : ce sont, dit-elle, des « tickets de retour pour la vie normale ». Photographe de l’intime, elle joue de la pénombre pour animer la nudité de silhouettes qui prennent vie dans la nuit. S’exposent ainsi des fragments de chair ; des mains, des ventres, des doigts. Jouant avec la nudité dans la chaleur de cet « été à tuer », elle libère les poitrines et les corps, qui demeurent abandonnés sur les lits, la main entre les jambes, un verre, une cigarette ou un sein jamais très loin. Sous l’apparente frivolité des postures, on discerne une tristesse, comme si la festivité ambiante n’était qu’un vernis, que font craqueler des autoportraits saisissant d’authenticité. Des photos qui font office de vanités, à une époque sombre pour les esprits libres. S.L. Chapelle Sainte-Anne, parcours Mon corps est une arme

Alberto García-Alix, Eduardo y Lirio, 1980. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et VEGAP

La Movida

L’expo documente le mouvement baroque et chevelu qui a érigé la marginalité en norme, et poussé le grotesque au rang d’art. Pablo Pérez Minguez et Miguel Trillo capturent, dans une série de portraits, ce « too much » des années 1980, entre dandysme et quête identitaire, cet esthétisme de l’exubérance dont l’excentricité vindicative semble annoncer les prémisses du drag. En couleur ou noir et blanc, ces mosaïques de corps et de visages s’embrassent, hurlent et s’affirment dans des postures et des regards fiers, qui laissent transparaître quelque chose de frêle et de cassé derrière le tulle et le cuir. Comme le souvenir de la dictature la plus longue de l’histoire contemporaine. S.L. Palais de l’Archevêché, parcours Mon corps est une arme


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Une relation expérimentale

L’exposition colorée des œuvres de Pixy Liao renvoie le couple à son essence la plus brute : deux corps s’éprouvant. Pris dans un Kama Sutra géométrique, un couple -elle et son compagnon- se superpose et se dissimule, tant et si bien que l’on ne sait plus où s’arrête l’un et où commence l’autre. Neutres et asexués, homme et femme deviennent des alter ego symétriques qui offrent une réflexion sur l’avenir du couple hétéronormé à l’heure des bouleversements sur la perception de genre. S.L. Croisière, parcours Mon corps est une arme

Datazone

C’est un peu comme le JT mais en pire. Pourtant très éloigné d’une démarche de photojournalisme, le travail Philippe Chancel montre un monde qui va mal et se fait du mal. Pas un continent pour rattraper l’autre. Jusqu’à l’Antarctique où la fonte des glaces n’a rien de naturel. Sur le banc des accusés : l’être humain en voie de déshumanisation. Globe-trotter des calamités planétaires, Chancel pointe les tensions, fragilités et contradictions d’un XXIe siècle où progrès ne signifie plus avancée. La preuve par l’image, à Noursoultan, capitale du Kazakhstan, où s’érigent des édifices futuristes absurdes au milieu d’un désert de steppes. Dans les Émirats, le photographe démontre comment la notion de ville est devenue un ensemble incohérent et artificiel, comment la phase (terminale ?) du capitalisme a transformé l’idée de paradis sur terre en enfer pour les plus faibles et, au final, comment l’Orient est devenu l’Occident. Quelle place reste-t-il aux communautés et cultures minorisées ? En Cisjordanie, dans la vallée du Jourdain où vivent les derniers bédouins palestiniens, les drones israéliens surveillent et oppressent. Même Marseille n’a pas échappé à l’acuité de l’objectif qui rappelle que la fracture est plus sociale que géographique. Et là où une conquête

Pixy Liao, Commencer la journée en prenant un bon petit-déjeuner ensemble, tirée de la série Une relation expérimentale, 2009. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

politique majeure comme l’abolition de l’Apartheid pourrait laisser croire en un monde meilleur, le rapport de classe perdure et le pouvoir réprime dans le sang une grève de mineurs, tuant 34 ouvriers sud-africains. À Flint, dans le Michigan, ville anéantie par le chômage et la délinquance, Philippe Chancel établit le lien entre désindustrialisation et insécurité. Au Japon, il dresse un parallèle entre les stigmates de la catastrophe de Fukushima et ceux de Hiroshima et Nagasaki. En Corée du Nord, il confronte notre perception d’un régime aux délires autoritaires au sentiment de bien-être que ses clichés de familles tout sourire renvoient. Derrière une approche dénonciatrice, l’artiste liste en réalité les défis à relever, l’enjeu écologique en tête. Au Niger, l’extraction pétrolière provoque une déforestation qui menace l’écosystème. À Kaboul, sur un mur criblé de balles aux impacts peints en rouge, un graffiti : « You missed » (« Vous avez raté »). Toujours dans la capitale afghane, le ministère de l’Information et de la Culture est auréolé d’un fil barbelé. Car l’œil de Chancel n’est pas que sombre et parvient à déceler l’espoir, voire l’humour, y compris dans les pires situations. L.T. Église des Frères prêcheurs, parcours À la lisière

Les murs du pouvoir

Murs d’influence, murs de migrations ou encore murs de ségrégation, ils sont autant de remparts à l’accueil, au partage et à la bienveillance. Certains sont tombés comme à Berlin en 89, d’autres subsistent comme à Chypre ou Ceuta et Melilla. Plus inquiétant, d’autres apparaissent dans la période récente, séparant des communautés Rom en Slovaquie et en Roumanie, durcissant une frontière entre Hongrie et Serbie. C’est là qu’Istvan Bielik, photojournaliste hongrois, a immortalisé une famille syrienne rampant sous des barbelés. Bien loin de l’Afghanistan de Philippe Chancel mais si proche de nous. L.T. Maison des Lices, parcours À la lisière

Marseille Rio 1941

Germaine Krull fut le témoin d’une traversée en cargo entre Marseille et l’Amérique du Sud, en 1941, afin de fuir le totalitarisme. Parmi les autres passagers, André Breton, Claude Lévi-Strauss ou encore le peintre Wifredo Lam. Au fil des escales, d’Oran à Cayenne, en passant par la Martinique, ces réprimés de Vichy, immigrés de l’Est, Juifs ou Républicains espagnols, artistes ou scientifiques décrivent de manière quasi anthropologique, à travers textes et photos, la restauration par le régime collaborationniste d’un ordre colonial atténué pendant la parenthèse du Front populaire. Parmi les images choc, celles relatant un univers concentrationnaire pour les émigrants en attente à Fort-de-France et celui des bagnes de non-droits en Guyane. L.T. Cloître Saint-Trophime, parcours À la lisière

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44 au programme arts visuels

Observatrice des rues New-yorkaises Quand les nuages parleront

Émeric Lhuisset aborde de manière spatio-temporelle un conflit centenaire entre un État Turc nationaliste réprimant son multiculturalisme et un peuple intrinsèquement résistant. Ou comment une guerre à huis clos a pour objectif l’effacement d’une population. Des prises de vue satellitaires de villes kurdes qui se sont soulevées contre le pouvoir entre 2015 et 2016 ont été retirées, des quartiers entiers écrasés par le régime d’Erdogan. Et le photographe de rappeler les exactions commises dès 1918 par l’empire ottoman à l’encontre des Assyriens. Un triste inventaire des barrières érigées en Europe. L.T. Cloître Saint-Trophime, parcours Les Plate-formes du visible

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L’exposition consacrée à Helen Levitt est une véritable rétrospective qui éclaire l’art singulier de la pionnière de la photographie de rue. Est-ce parce qu’elle était une femme dans le monde masculin de la photographie des années 30 ? C’est en surprenant des enfants, les Noirs de Brooklyn, les anonymes du métro, les groupes devant les paliers des portes, qu’elle trouve ses sujets. Photographie noir et blanc, documentaire, qui décrit et rapporte la pauvreté de New York après la crise de 29, qui s’attache pourtant à des

graffitis surprenants, des masques, des jeux, la pose d’un homme endormi ou d’enfants tirant sur un cigare : un faux réalisme qui ouvre la porte surréaliste du rêve, et humaniste de la tendresse. Son film In the street, puis ses photographies en couleurs moins instantanées, saisissent d’autres mouvements, d’autres collages et des rires, burlesques. Et on redécouvre 70 années de photographie dont on ne connaissait que quelques clichés... A.F. Espace Van Gogh, parcours Relectures

Mères, filles, sœurs

Extraordinaire, ce qui est saisi par Tom Wood à Liverpool dans les années 70, puis 90. Et pourtant si ordinaire, justement. Qu’elles soient posées ou prises sur le vif, ces photos de femmes respirent la confiance envers le Photie man derrière l’objectif, pour une photo qui n’est pas documentaire, mais comme familiale, intime malgré l’exubérance, parfois. Cette très jeune mère dans un terrain vague, ces sœurs très maquillées, d’autres très détendues, ces petites filles et ces générations de femmes ont le même regard franc, frondeur, débordant de vie et de couleurs. Quelque chose qui apparaît aussi, plus embryonnaire, sur les cartes postales anciennes que Tom Wood collectionne et qui sont présentées en contrepoint : des femmes entre elles, sans séduction ni domination, d’un naturel confondant. A.F. Salle Henri Comte, parcours Relectures

© Abigail Heyman, Supermarché, 1971

Unretouched women

Abigail Heyman, Eve Arnold et Susan Meiselas, trois femmes photographient des femmes au temps du féminisme américain. En 1970 elles publient des livres, militants, associant témoignages et photographies, l’une sur l’éducation des filles Growing up Female, l’autre sur les rituels aliénants de la « beauté féminine » The Unretouched Woman, la dernière sur les strip-teaseuses ambulantes Carnival Strippers. L’exposition présente les livres et les photos, qui ensemble rappellent l’acuité du combat des femmes pour se réapproprier leur corps. Avec de nombreuses photos marquantes : l’évolution de Lena, du corps et du visage de Lena,

depuis son premier jour de strip-tease ; la séance de maquillage (de torture !) de Joan Crawford ; Marylin sublime au naturel ; une afghane en burqa en 1971 ; la série Black is beautiful ; et puis ces ménagères terrifiées faisant les courses au supermarché bigoudis sur la tête. Des femmes à l’épreuve d’un changement qui, ces photos nous le rappellent, n’est pas tout à fait advenu... A.F. Espace Van Gogh, parcours Relectures

Les Rencontres d’Arles se déroulent jusqu’au 22 septembre rencontres-arles.com


1er—17 août 2019

Mayra Andrade, Clara Luciani, Johan Papaconstantino, Nu Guinea, Guts, Pongo, Muthoni Drummer Queen, La Chica, Rami Khalifé, Voilaa sound system, Big Ukulélé Syndicate... Bal populaire, ciné plein air, cirque contemporain, concerts, dormir au musée... Plan

B

M   ucem

Mucem.org

Photo : Pierre Girardin Design : Spassky Fischer

Avec le soutien de

Facebook, Instagram @mucemplanb


46 au programme arts visuels

Pasolini Scampia-Naples 2015 © Ernest Pignon-Ernest

Le Palais des hommes La Ville d’Avignon invite Ernest Pignon-Ernest au Palais des Papes pour une grande exposition rétrospective. Ecce Homo, voici l’homme, et la Grande Chapelle est transfigurée d’humanité

C

écile Helle, maire d’Avignon, est visiblement émue d’introduire ce « grand moment pour la ville », aux côtés de « cet artiste engagé » dont l’œuvre est « assise sur des convictions jamais reniées ». Ecce Homo regroupe plus de 400 œuvres de l’artiste. Les toutes premières, en 1962, sur papier journal, tracées en Algérie, juste à côté de cette ombre d’un homme calciné sur un mur d’Hiroshima : c’est avec cette silhouette noire, en 1966,

qu’Ernest Pignon-Ernest a commencé à faire œuvre avec les murs, la rue, les villes, au pochoir d’abord puis en affichant des sérigraphies, la nuit, activiste de l’art replaçant l’image des hommes sur les murs mêmes qu’ils ont bâtis.

Dessin, affiche, photographies Tout au long de cette œuvre de 50 ans il a parfois capté les extases, les lascivités et les mythologies populaires mais dans

Ecce Homo il expose surtout les souffrances, celles qui, lorsqu’on en témoigne, appellent à la révolte et au combat. Dans Prisons, exécutée juste après la désaffection de Saint Paul, à Lyon, un corps anonyme, de face, nu, à taille humaine, se répète sur les murs, sous les barbelés : une photo de l’œuvre éphémère, et d’immenses sérigraphies de Linceuls évoquant les suicides des détenus, plongent immédiatement le visiteur dans le tragique de l’univers carcéral. Chacune des sections de l’exposition est ainsi composée des dessins préparatoires, de sérigraphies, puis de photographies de celles-ci dans l’espace public. Les croquis révèlent les sources de l’artiste, des photos qu’il enrichit d’emprunts à l’histoire de l’art, essentiellement d’inspiration religieuse : crucifixion, extase, mort


47 de la vierge. « Il s’agit de notre mythologie, explique-t-il, elle fonde notre relation à la mort. Je suis athée mais quand on est peintre et qu’on travaille sur l’image des corps c’est cette mythologie qui surgit. »

« Faire œuvre des situations » Car il s’agit bien de capter le surgissement : comment ces dessins, en noir et blanc pour distancier le réalisme, mais à l’échelle 1 pour garder la taille humaine, agissent dans les lieux pour lesquels ils sont conçus : l’espace public, les rues, les lieux de travail. L’initiateur de street art le rappelle gentiment, il n’a « rien à voir avec 80% des street artistes d’aujourd’hui » . « Je ne fais pas des œuvres dans la rue, je fais œuvre de la rue. De ce qui se passe quand les hommes croisent l’image que je leur propose. C’est cela l’œuvre, et non l’affiche elle-même ». Ainsi la mise en croix de Genet, partiellement détruite, rouillée par la tôle d’un container sur laquelle elle était collée, estelle d’après lui « beaucoup plus intéressante » que le dessin original. Tous ces dessins affichés sont voués à disparaître. L’artiste raconte avec humour l’anecdote de son Rimbaud, devenu une icône. Un jour à la radio il dit qu’il n’a plus l’affiche, et c’est un auditeur, qui en avait arraché trois, qui lui en a donné une : celle qu’il expose aujourd’hui. « Il les avait prises parce qu’il aimait Rimbaud, à l’époque on n’arrachait pas mes dessins pour les revendre ». Car c’est aussi ce rapport de possession de l’œuvre qui a été bouleversé : éphémères, offertes à la rue, les sérigraphies ne sont pas l’objet de l’art, qui n’est que le rapport, révélation ou non, que les habitants des rues entretiennent avec l’image. Des sortes de happening dont les photographies gardent la trace, très théâtrale. Un art de l’éphémère ancré dans le présent.

aujourd’hui, en Palestine sur les traces de Mahmoud Darwich, à Naples sur celles de Pasolini et de la mythologie populaire. « Les poètes sont un peu mes saints, mon iconographie pour athée », dit-il en souriant. La dernière section de l’exposition leur est consacrée, et lorsque le visiteur s’avance il se trouve sous les regards croisés de Rimbaud, Neruda, Maïakovski, Desnos, Genet, Darwich, Artaud. Avec, en face, Pasolini assassiné porté par Pasolini vivant. Des poètes en souffrance, engagés, souvent communistes, parfois martyrs, symboles des combats d’un peuple. « C’est en Palestine que j’ai vécu l’expérience la plus frappante, en affichant Mahmoud Darwich : partout les gens le connaissaient, le reconnaissaient, récitaient ses poèmes. » Pas de femmes dans cette section, sauf la Louise Lame, amante livresque de Desnos : lorsqu’on s’étonne de cette absence dans la rétrospective d’un artiste qui a fait scandale en dessinant une Jésus fille, ou en féminisant les tableaux d’Ingres, il explique : « J’ai du mal à dessiner la souffrance féminine, elle est immédiatement insupportable, trop forte, beaucoup plus violente que celle des hommes ». Alors on repasse devant ce corps de femme, main sur le ventre, membres sectionnés, marouflé sur les murs en 1975, du temps du combat pour la légalisation de l’avortement. Image effectivement insupportable, plus encore que ces cadavres traînés à Naples, ou ces corps sortant d’un soupirail : l’iconographie chrétienne, notre mythologie, n’a pas habitué nos yeux à ces images-là, enfouies bien plus profondément que sous la peau des murs. AGNÈS FRESCHEL

Paris1978, Rimbaud, Détail © Ernest-Pignon Ernest

Tous les combats Actualité, mémoire au présent : au long de ces cinquante années de création Ernest Pignon-Ernest a été de tous les combats politiques. Contre le jumelage de Nice avec Soweto au temps de l’apartheid, contre les maladies du travail, les armes nucléaires, puis à Soweto encore en 2002, où il fait entrer en résonance les ravages du SIDA et la mémoire de la répression de 1976, à Alger où il évoque Maurice Audin, à Haïti

Ecce homo Interventions 1966-2019 Jusqu’au 29 février 2020 Palais des Papes, Avignon 04 32 74 32 74 palais-des-papes.com


48 au programme arts visuels

Expos à tous les étages ! Les 5 niveaux de la Friche accueillent, chacun, une exposition d’été, aux tonalités très différentes, et passionnantes

A

stérides, Fraeme (ex Sextant) et la Fondation Ricard parient sur de jeunes plasticiens, alors que Christian Caujolle propose deux expos photos essentielles.

Immersif Tandis que Rhum Perrier propose une programmation événementielle dans ses bottes de foin et son univers jaune citron (voir Zibeline 39), c’est un jardin d’éden rougeâtre et apocalyptique qu’offre le jeune artiste Paul Maheke. Ooloi, entre

l’œuvre et le public. Dans la vaste pièce, de longs voiles rouges, comme des rideaux de théâtre qui laissent passer le regard, ondulent au gré des souffles, des bruits de pas et du mouvement des corps. Parcourue par les visiteurs, l’œuvre prend vie pour représenter l’errance d’âmes interloquées, soudainement seules et incertaines. On ressent une impression de légèreté volage avec laquelle tranche l’infini poids de sphères mordorées qui ponctuent régulièrement l’espace. Pour

© Paul Maheke

installation et performance, interroge la différence entre la façon dont on s’aperçoit et celle dont les autres nous conçoivent. Comment, alors, représenter le corps et évoquer la subjectivité sans la figurer ? L’artiste tente de s’abstraire du corporel et du tangible pour s’élancer vers quelque chose d’immatériel et fugace qui figure l’individu tout entier. C’est ce qui se dégage profondément de l’œuvre : l’espace nous renvoie à nousmêmes, à la façon dont nous sommes au monde. L’installation est une expérience sensorielle, presque charnelle : un espace d’accueil destiné à faire interagir

nous maintenir au sol ? Ces points de gravité agissent sur les corps comme des aimants, que l’on contourne en les frisant, pour jouer à frissonner. Avant de parvenir au fond de la salle, vers lequel nous guident tous les points de fuite, et où un visage de feuilles nous regarde... Ce minimalisme guttural et primaire fait crépiter la peau et la pointe des orteils. Nous rôdons plus que nous déambulons dans la salle, dans une chorégraphie hypnotique, au son des accords d’une guitare ; rituel menaçant et familier qui scande les mots mystiques et poétiques d’un medium qui nous enjoint lui aussi « à

vivre dans ce moment » et à nous transformer en œuvre d’art.

Historique Dans la Salle des Machines, la ferveur et la créativité de la photographie contemporaine cambodgienne sont mises à l’honneur. 40 ans après l’entrée des Khmers Rouges à Phnom Penh, le pays est le lieu d’une prolifération artistique qui s’affranchit des courants et des écoles, et voit naître une nouvelle génération d’artistes animés d’une rage de créer. Comment évoquer l’abominable table rase, et la mémoire qui persiste malgré l’histoire traumatique ? Et comment, aujourd’hui, s’en affranchir ? C’est en confrontant trois générations de photographes que Christian Caujolle nous y convie. Mak Remissa, qui a vécu enfant le génocide, l’évoque avec pudeur et une sorte de mélancolie qu’on peut avoir pour un passé révolu, même lorsqu’il est aussi terrible. Ses photographies de silhouettes en papiers découpés forment des scènes brumeuses, comme extraites du fond de la mémoire. Exils, exactions, douleurs comme affranchies du réalisme, pour permettre la résilience. La deuxième génération va droit au but : colorés et acides, les portraits de Neak Sophal figurent le déterminisme professionnel et social des individus au visage camouflé, dans une société cambodgienne en pleine reconstruction. Philong Sovan, pour sa part, se fait le porte-parole des sans-voix, victimes de la spéculation immobilière et de la crise économique. Dans la pénombre jaune de la ville, il détache des scènes de genre : des enfants encadrés de bidons vides, des mères sur des chaises en plastique, dont l’atmosphère n’est pas sans rappeler Les mangeurs de patates de Van Gogh, dans le détachement de ces personnages au regard hagard. Les plus jeunes font tomber les masques : Lim Sokchanlina dénonce, dans un travail conceptuel et engagé, les murs qui


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continuent à coloniser le Cambodge. Venus de Chine, palissades dans des champs de fleurs, ils séparent en voulant unifier, comme des cheveux industriels dans la soupe. Jeune et profondément provocant, Ti Tit est quant à lui un artiste immédiat, blogueur. Il dépeint sans détours, en exposant son corps, son visage et son homosexualité, les aspirations de la jeunesse cambodgienne, aujourd’hui mondialisée.

Subversif Emmanuelle Lainé nous invite à sortir de la crédulité. Organisée par la Fondation d’entreprise Ricard, son installation est profondément subversive : c’est une plongée sans œillères dans le monde du travail, tertiaire, celui du bureau, avec ses open spaces, ses espaces de repos, ses bureaux et ses écrans. Pas d’humains dans la pièce, ni d’images humaines, mais la trace de leur passage : une bouteille d’eau, des vêtements sur des patères, des objets personnels se perdent au milieu des dossiers, feuilles blanches, matériel de bureau dont la banalité a quelque chose de brutal et dérangeant. Car tout le contenu, très réaliste et minutieux, est décalé : par la confrontation avec des images géantes d’outils de travail d’un autre temps, issus des collections du Mucem, objets d’artisans aux formes très charnelles évoquant un rapport disparu au travail ; parce que des jeux d’illusions répètent avec exactitude, et quelques erreurs, les espaces de travail, les décors photographiés interrogeant la vérité de l’image ; et parce que les photos sont couvertes de pièces, de billets, de ce qui traîne au fond de nos poches, perturbant toute échelle et la notion même d’horizontalité, comme sur nos écrans de travail verticaux couverts de pictogrammes qui flottent. Au pied des patères, sous les sièges, des tas de terre, rappelant notre destination finale, comme un signal d’alarme : nous avons des corps, matériels, et le

Ruti chez elle, Seringal Santo Antonio, Acre, Bresil 2017, © Ludovic Carème 2017/Modds

virtuel aseptisé de blancheur et de plastique de nos bureaux n’est qu’une illusion mortifère.

Engagé Ludovic Carème est un photographe de presse et d’art. Opposer ces deux catégories n’a, avec lui, aucun sens. On se souvient de ses portraits de Maliens « expulsables » en grève de la faim à Saint Bernard, rendant à chacun de ses sujets son humanité. Sur le grand plateau de la Friche, Christian Caujolle a conçu une exposition grand format sur ses années passées au Brésil. On y retrouve sa manière, ses portraits posés, cadrés comme des peintures, qui nous font face. Ses visages aussi, serrés plus près mais toujours à échelle humaine. Et ses immeubles, en contre-plongées, vus comme on les perçoit depuis la rue, surplombant ceux qui les regardent. Chacune des séries rend compte d’un scandale criant de la société brésilienne. En Amazonie, où la vie furtive et sensuelle est menacée par la déforestation ; devant la favela d’Água Branca, construite sur les égouts, où le photographe capte la lassitude, la dignité et la misère de ces travailleurs qui prennent chaque matin le bus pour aller gagner juste de quoi survivre, sans pouvoir se loger ; sur les trottoirs, où des dizaines de corps de sans-abris alignés disparaissent sous des amoncellements de cartons et de

tissus, laissant paraître un bout de main, comme un vestige de leur humanité recouverte, déjà prête à basculer dans la tombe ; dans les rues de Sao Paulo où, au-dessus de ces corps si nombreux, des immeubles vides couverts de graffitis audacieux étalent le scandale de la spéculation immobilière. L’exposition, scénographiée comme un parcours narratif, nous conduit à la fin vers une pièce circulaire centrale, où les visages les plus émouvants de la favela se livrent, avec des mots aussi, et la présence palpable du danger et de la répression. Portrait de la misère et de la destruction d’un pays et de ses hommes, Brésils est une exposition majeure, qui fait de la photo une arme, humaine, de dessillement. SELMA LAGHMARA ET AGNÈS FRESCHEL

Les deux expositions photographiques sont produites dans le cadre de Grand Arles Express, et accessibles avec le pass des Rencontres d’Arles (lire P. 40-42) L’été contemporain Suspension volontaire de la crédulité, Emmanuelle Lainé OOLOI, Paul Maheke Brésils, Ludovic Carème 40 ans après - La photographie contemporaine au Cambodge jusqu’au 29 septembre La Friche de la Belle de mai, Marseille lafriche.org


50 au programme arts visuels

Dans son mouvement même Le réel est mouvant, changeant, et il s’agit, particulièrement pour l’optical-art et l’art cinétique, d’en rendre compte. La Fondation Vasarely y contribue avec une exposition conçue par le Centre Pompidou

L

a révolution permanente, au centre architectonique d’Aix- inattendues apparaissent, des anamorphoses, des vibrations en-Provence, se propose, à la suite de l’exposition Vasarely, de surfaces et de profondeurs. On peut aussi rester statique, le partage des formes qui s’est clôturée à Paris il y a peu, de et contempler, face à des œuvres elles-mêmes en mouvement, montrer comment certains artistes (14, que des hommes…) les transformations visqueuses infinies s’opérant à l’intérieur se sont saisis de cet enjeu au XXe siècle. d’une poche en plastique remplie d’huile de moteur colorée Cinq lamelles d’aluminium dansent en hauteur, au gré des en rouge, prise dans un cadre métallique pouvant tourner sur courants d’air, projetant, selon les orientations de l’instant, lui-même (Giovanni Anceschi). Ou les mouvements et resleurs ombres mouvantes, noires et floues, sur deux murs pirations douces de l’eau, de l’air et de la lumière, circulant blancs (Bruno Munari). Au sol, une « boite à lumière », mu- au sein de deux demies-sphères, l’une en aluminium brossé, nie d’un moteur, est posée à la verticale. Toute sa surface est l’autre en plexiglas (Gyula Kosice). Même partage entre invitramée par le mot « mouvement », répété neuf fois, tation à la stabilité ou au qui s’éclaire, s’estompe, déplacement du visiteur miroite, semble flotter à dans la quatrième et derdifférentes profondeurs nière salle. On y trouve des sculptures animées (Horacio Garcia Rossi). Plus loin, sur un monipar des mécanismes : une teur vidéo encastré dans construction verticale en une cloison, des géomémétal chromé, brillante tries abstraites, calligrade mille feux, constellée phiques, blanches sur fond de miroirs circulaires à noir, apparaissent, se démoteurs (Nicolas Schöfveloppent, disparaissent fer). Et un cube noir sur(Viking Eggeling). Une monté de six cylindres transparents, cerclés de deuxième salle est entièrement dédiée à une peinmétal, liant lumières, sons ture murale monumenet mouvements (Gregorio tale, abstraite et flashy Vardanega). Puis d’autres (inspirée d’une scène de sculptures dont les effets visuels sont activés par la Shining, le film de Stanmobilité du point de vue : ley Kubrick). Des couleurs oranges, blanches, rouges, un très grand carré de tiges vertes, partent de la gauche Carlos Cruz-Diez, Physichromie n°506, 1970. © ADAGP, Paris métalliques fines et vertià toute vitesse, sous forme © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Philippe Migeat cales colorées, plantées sur de lignes horizontales, les unes au-dessus des autres, qui, plus des supports de bois peint, posés au sol (Jesús Rafael Soto). loin, dans leur arrêt soudain, génèrent des motifs octogonaux, Et une « structure permutationnelle » en carreaux d’acier inox accompagnés d’un effet de profondeur et de basculement « poli miroir », tout en losanges et angles aigus (Francisco Soimpressionnant (Philippe Decrauzat). Cet enchainement brino). Concluant l’exposition, deux films courts de Xavier d’œuvres, placé au début de l’exposition, semble résumer les Veilhan, qui, à travers de petites scènes mettant en jeu acteurs dynamiques fondamentales de la plastique optique et ciné- et objets sculpturaux, témoignent, l’un de son attrait pour le tique : temporalité-spatialité, matérialité-virtualité, stabili- cinétisme et son histoire, l’autre pour la sphère et ses dérivés. MARC VOIRY té-mouvement. Et annonce la suite. Une question de point de vue On se retrouve dans la troisième salle devant des tableaux où la toile est remplacée par une multitude de fines lamelles verticales colorées (Carlos Cruz-Díez), ou bien blanches et torsadées sur fond noir (Walter Leblanc), ou encore par de La révolution permanente minuscules tiges de métal en T, peintes et plantées à l’ho- jusqu’au 20 octobre rizontale dans de soigneux alignements millimétrés (Jesús Fondation Vasarely, Aix-en-Provence Rafael Soto). Lorsqu’on bouge en les regardant, des couleurs 04 42 20 01 09 fondationvasarely.org


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Épouser l’énergie du monde Aix ouvre grand ses portes à Fabienne Verdier. En trois lieux, dédiés chacun à une facette de son art

L

e Pavillon de Vendôme s’attache à reconstituer l’atelier nomade de la peintre, mettant en scène ses installations, le pinceau énorme (près de 60 kilos mus par un système de poulies) qui permet des tracés à la mesure de l’intensité spirituelle qui habite les paysages. À la Cité du Livre, quatre films élaborés en 2017 à l’invitation de l’Académie du Festival d’art lyrique. « Pour moi, affirme Fabienne Verdier, le langage pictural et

De l’importance du temps Le Musée Granet consacre son exposition temporaire à une rétrospective chronologique de l’œuvre, en six sections qui s’orchestrent depuis les années de formation en Chine à la rencontre avec le pays d’Aix et « l’expérience du plein air sur les terres de Cézanne ». Elle rencontre dans la province de Sichuan au pied du Tibet un vieux peintre, Huang Yuan, qui, malgré les interdits qui entourent l’art

Fabienne Verdier devant La Sainte Victoire © MC

le langage musical procèdent de la même énergie, la peinture donne à voir la musique » ; aussi, poursuivant la veine de ce qu’elle avait déjà pratiqué au sein de l’école Juilliard à New York en 2014, elle adapte un dispositif qui lui permet d’établir entre le tracé de son pinceau et le déroulé de la partition musicale (jouée par quatre quatuors à cordes) une véritable synchronie. Tâtonnements et fusions sont ici mis en scène et nous permettent de comprendre non seulement la démarche profondément originale du peintre, mais aussi l’énormité du travail accompli. L’on « voit » les pièces de Haydn ou Adámek, et les tableaux semblent murmurer les élans mélodiques…

traditionnel encore en 1983, accepte de lui transmettre les fondements de son art, le fameux « unique trait de pinceau », la répétition des années durant de mêmes gestes : « tant que tu n’auras pas réussi à donner vie au trait horizontal, nous ne passerons pas aux autres traits, lui dit-il ». Son tableau de 2007 en hommage posthume au vieux maître reprendra ce trait, vibrant d’énergie. De retour en France en 1992, elle effectue le chemin inverse, après avoir désappris les codes de représentation européens en Chine, elle se concentre sur la déconstruction du signe. « Le pinceau, dit-elle, c’est comme un être humain, avec ses os, ses articulations, son sang, ses nerfs.

C’est un être véritable. Il y a une énergie similaire entre la peinture et la gravitation universelle. Je tente d’exprimer cette énergie en peignant debout, sur le sol. Mon corps et le gros pinceau, un seul être… en fait, chaque peinture est une expérience de mon corps ». En créant les sublimes fonds de glacis de ses toiles, elle « essaie d’y peindre une vibration ». Quant à la couleur noire du trait, elle explique : « la couleur noire est une non-couleur, et spectre de toutes, donc la plus apte à exprimer la spiritualité ». C’est cette spiritualité que son pinceau capte, à sa manière non-figurative, des chefs-d’œuvre de la peinture flamande du XVe siècle, auprès desquels elle a médité quatre années, à l’invitation du musée Groeninge de Bruges. Il s’agissait alors de « saisir l’essence symbolique des représentations ». Quatre ans encore de travail avec des scientifiques, pour réfléchir sur « l’énergie blanche » des particules qui nous traversent, et la transcrire. Quarante ans de travail, une inlassable quête, poétique, des racines de la création… « Il est besoin de temps pour ouvrir de nouveaux territoires ». Aujourd’hui elle remet la nature sur ses toiles, avec son atelier nomade, sur la Sainte-Victoire ou dans les carrières de Bibemus. Cent ans après Cézanne, à l’invitation de Bruno Ely, directeur du musée Granet, elle réinterprète la montagne… « Nous devons apprendre de la géomorphologie de la montagne, quelque chose de fluide et dense. » Comme une respiration sensible au cœur d’œuvres monumentales. MARYVONNE COLOMBANI

jusqu’au13 octobre Musée Granet, Pavillon de Vendôme, Cité du Livre, Aix-en-Provence museegranet-aixenprovence.fr aixenprovence.fr citedulivre-aix.com


52 au programme arts visuels

Pour de faux Les troublantes photographies de Lynne Cohen habitent les murs du Pavillon populaire : sans présence humaine, elles exposent pourtant un miroir criant de notre société

D

es photographies qui cadrent un univers entre vintage (disons années 70) et futuriste (façon 2001, l’Odyssée de l’espace). Un monde fascinant et effrayant. D’où les humains auraient disparu. Passés par là (on en voit les traces, le long des murs, sur les prises de courant, crasse sans identité), ils semblent avoir

mais qui en retour nous procure l’impression que c’est finalement lui qui nous scrute, présence invisible, comme à travers un miroir sans tain. Voyeur observé d’un espace où les objets semblent avoir détrôné l’humain, les images de Lynne Cohen proposent une mise en abîme où détecter le vrai du faux s’apparente

Office and Showroom, 1996 Épreuve gélatino-argentique Édition 1/9, 104 × 123 cm encadrée Courtesy de l’Estate de Lynne Cohen et galerie In Situ – fabienne leclerc, Paris © galerie In Situ – fabienne leclerc, Paris

déserté les lieux. Nous le regardons, ce monde, avec un très fort sentiment de cette fameuse « inquiétante étrangeté », quelque chose qui nous happe, qu’on ne connaît que trop bien, d’autant plus menaçant qu’il est parfaitement familier. Ce monde, c’est tout simplement le notre. En exactement 100 images (tirages originaux), collectées par le commissaire Marc Donnadieu auprès d’une trentaine de prêteurs, l’exposition, la première de cette importance consacrée en France à Lynne Cohen (disparue en 2014), invite à regarder notre société en face. Un monde comme arrêté, pour que nous puissions justement mieux l’observer,

à une expérience quasi philosophique. La photographe américaine, installée définitivement au Canada dès 1973 où elle sera naturalisée, s’est tenue tout au long de ses 40 ans de création à une remarquable constance, ne déviant jamais de son protocole artistique : toutes ses œuvres sont prises d’un point de vue frontal, neutre, à la chambre 8x10 pouces, permettant la transcription d’une réalité où tout serait mis sur le même plan. La plupart des photographies sont en noir et blanc, s’ouvrant à la couleur dans la dernière période avec des impressionnants tirages très grand format.

Vérité placebo Ses sujets, surtout, tracent une ligne franche vers des contrées où le factice, le « comme si », le décor parlent d’une société qui toujours voudrait s’améliorer, produire plus de confort, de santé, de sécurité, de progrès scientifique. Lynne Cohen photographie (souvent en série, ce qui accentue encore le vertige) des salons bourgeois (ceux de ses collègues à l’université), puis des stands de démonstration à des foires commerciales (de briques, de chapeaux, de maisons), des bureaux d’entreprise, des salles de formation (d’infirmières, de pompes funèbres, de cosmonautes, de policier), des laboratoires d’analyse (du comportement, du sommeil), des salles de banquet, des clubs de sport,... Un concentré de situations théâtralisées par les acteurs de ceux qui incarnent ces lieux, mais qui en leur absence (on ressent que plus personne ne viendra donner un réel sens à ces installations) laissent à tous les détails, et à nous qui les observons, le pouvoir de dire plus et mieux la vérité de notre société occidentale. Le titre de l’exposition, Double aveugle, est inspiré des expériences médicales, où ni le patient ni le chercheur ne savent si le remède est placebo. Les images de Lynne Cohen nous entrainent dans des espaces où tout prend la dimension d’indices qui nous rappellent que c’est bel et bien nousmêmes qui pénétrons - et animons de nos imaginaires personnels - cette étrange réalité. Un aller-retour enthousiasmant au pays des objets de nos inconscients. ANNA ZISMAN

Lynne Cohen, Double aveugle - 1970-2012 jusqu’au 22 septembre Pavillon Populaire, Montpellier 04 67 66 13 46 montpellier.fr


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Hors cadre Deux artistes aux pratiques sans frontières sont présentées cet été au Crac de Sète

A

près la magistrale exposition Laura Lamiel du printemps dernier, Marie Cozette, directrice du Centre régional d’art contemporain, présente deux autres femmes artistes. La première, sétoise née en 1925, s’est nourrie toute sa vie des influences de sa ville portuaire, autant ses paysages que, presque telle une ethnologue, ses coutumes et pratiques. C’est Hélène Bertin, elle-même plasticienne, qui a conçu l’exposition du travail de Valentine Schlegel. Depuis six ans, cette jeune artiste s’intéresse à valoriser l’œuvre de celle qui l’a beaucoup influencée, dans sa façon d’intégrer des objets et matériaux vernaculaires à ses créations, et son rapport au travail communautaire (en famille, en métier, en amitié), qu’elle pratique dans son propre atelier à Cucuron. Son aînée expliquait quant à elle (en 1975) avoir « découvert le travail collectif, l’exaltation qu’il procure » lors des prémisses du Festival d’Avignon, où son beau-frère Jean Vilar l’avait invitée à assister Léon Gischia pour la réalisation des costumes : déployés très en hauteur, sur des cintres fabriqués sur mesure, les parures des personnages de Œdipe (1949) et Henri IV (1950) habitent la première salle du Crac. Tandis que souvent l’exposition de costumes procure une impression plutôt morbide, l’idée de les présenter comme des tableaux (des œuvres et non des objets ayant perdu leur vocation d’habiller un corps, un héros) un peu inaccessibles (comme l’étaient les comédiens mal éclairés dans l’immense Cour d’honneur) donne le ton de l’ensemble, hommage très inventif à l’approche artistique décloisonnée de Valentine Schlegel. La série de maquettes en plâtre, répliques miniatures des cheminées que la plasticienne a réalisées pour des particuliers (1969-1989) distille aussi une présence atemporelle, entre fantomatique (les créations sont entièrement blanches, ondulantes comme des voiles) et familière (maisons de poupées). « Ce que je fais, ce sont de grandes voiles, des

Anne Lise Coste, Salle N°2 - Mur D 16 huiles, aérographe, pastels sur toiles - Photographe Marc Domage

gonflements de vent. Je recrée ce qui m’a créée. » (Schlegel, 1980). L’entrelacement entre les sensibilités des deux artistes, l’exposée et la curatrice, est encore plus fructueux dans la salle des céramiques (des vases sculptures, inspirés de ceux peints par Braque) disposées sur un tapis de roseaux tressés de Camargue, et des couteaux (offerts par les amis de la sétoise), agencés au mur dans un mouvement qui rappelle un banc de poissons. L’art populaire présenté sur un piédestal. Tout un art.

À fleur de peau Marie Cozette a réservé un magnifique espace à Anne-Lise Coste (née à Marignane en 1973) pour une création in situ (êêê) à l’aérographe. Mots mêlées, écriture ronde tout en boucles enfantines, couleurs acidulées, messages, l’œuvre se développe sur plus de dix mètres directement sur le mur blanc, fait des vagues vers le plafond, se densifie, s’éclaircit. La démarche de l’artiste, qui partage certains des codes de l’art urbain, décontextualise habilement les références. Elle « cherche à faire entrer l’esthétique de la rue dans

l’atelier », explique-t-elle, et c’est dans ce même mouvement qu’elle laisse son instinct la guider, à la source d’une production très à fleur de peau, décomplexée, où l’engagement physique (le geste) et l’intimité tiennent une grande part. La pièce suivante, aux murs entièrement recouverts (tels un puzzle) d’œuvres récentes, témoigne de la variété de ses techniques et inspirations, dans une proposition très foisonnante (64 toiles), où les titres participent pleinement de l’œuvre : Jolie chatte dans un pré, I love sex, Migrants sous l’eau... Apaisement apparent ensuite, avec ses branches de mûriers posées sur des toiles tracées d’un trait de peinture avec le doigt. C’est minimal et très chargé, comme si tous les discours précédents s’étaient silencieusement réfugiés dans la magie de l’installation. ANNA ZISMAN

Tu m’accompagneras à la plage ? - Valentine Schlegel La vie en rose - Anne-Lise Coste jusqu’au 29 septembre Centre régional d’art contemporain, Sète 04 67 74 94 37 crac.laregion.fr


54 au programme arts visuels

Tous les chemins mènent au Mrac Un duo d’artistes-curatrices réinvente l’histoire de l’art au musée de Sérignan

C

ommençons par les écouter : « Lorsque nous avons démé- en découvrant les différents modules, de se faire guider dans nagé de Paris à Marseille, nous savions que c’était pour em- un univers singulier, qui serait, bien au-delà du raisonnebrasser une Histoire autre, une histoire méditerranéenne. ment théorique, l’expression d’une volonté très forte d’affir(...) Nous savions que ce serait un pas décisif, pour ne pas dire mer qu’en développant cette façon de créer, à plusieurs, avec politique - nous ne savions pas encore à quel point. » Ainsi se des matériaux locaux, non manufacturés, des techniques anprésentent les artistes-commissaires Charlotte Cosson et cestrales, « derrière des formes faussement naïves », une autre Emmanuelle Luciani, inisociété pourrait advenir (plus tiatrices du Southway studio, respectueuse de l’environne« une communauté - presque ment, des parcours indiviune confrérie - d’artistes, de duels, des croisements, des curateurs, de théoriciens où besoins simples). les dénominations [sont] de Le parcours s’apparente à une moins en moins nécessaires et promenade dans un lieu enles frontières de plus en plus chanté, plein de couleurs et poreuses ». Au Mrac, elles préde signaux, d’objets connus sentent une exposition qu’elles (des vases, des sièges, des tables, des fontaines) mais ont imaginée et scénographiée comme une œuvre à part enhabités d’une magie qui les tière. Les Chemins du Sud, rend parfaitement uniques une théorie du mineur est et atemporels, reliés par un la démonstration de leur retropisme vers les primitifs gard théorique, qui pose une italiens, ou les mythes grecs, histoire de l’art élargie à celle une fascination pour les arts des arts dits mineurs - la déde l’arc méditerranéen. Les coration, l’artisanat, aux côtés céramiques (Pietà, Ange, La (mais pas opposés) de ceux Grappe de raisin, Citrons,...) de qui occupent habituellement Gérard Traquandi ponctuent les musées. En pratique : une très à propos la découverte, quarantaine d’artistes, écheles nombreuses productions lonnés depuis le XIXe jusqu’à (fresques, chaux, céramiques, aujourd’hui (de nombreuses plâtre) de Bella Hunt et Dante pièces ont été commandées du Calce (beaucoup avec le par les curatrices, dont beau- Zoë Paul & Southway studio, Sans titre, 2019. Peinture sur briques. Southway studio, Marseille. Southway studio), monumencoup sont co-signées), exposés tales, aux lignes douces et troude façon à les relier entre eux. La plante verte dans une urne blantes, animales, sédimentent les œuvres entre elles dans d’Odilon Redon (1840-1916) est encadré d’une scénographie un ensemble très baroque, qui aboutit à un « Autel à l’âme de feuilles d’or réalisée par les deux curatrices ; les vases en du monde », chapelle funéraire avec ex-votos (Bella Hunt & pâte de verre de Betty Woodman (1930-2018), ou ceux en DDC), urnes en pâte de verre (Keeper Vase) de Jean-Marie céramique de Gustave Fayet (1865-1925) sont posés sur des Appriou et Jenna Kaës, qui signe aussi une série de Vitraux socles en plâtre du duo Bella Hunt & DDC. Ne pas couper Saint-Martin. Ou comment reposer la question du sacré dans le fil de l’histoire en isolant les productions dans des cadres l’art, « largement évacuée de la réflexion des créateurs d’auhermétiques, laisser courir le fluide entre les œuvres et les jourd’hui ». Un pas de côté, oui, mais pas forcément en avant. ANNA ZISMAN époques, pour laisser s’incarner une marge, un pas de côté vis-à-vis de l’industrialisation, de l’académisme puis des avant-gardes abritées par les « capitales boursières » (New York, Paris).

Une autre société Les vastes espaces du Mrac sont ainsi occupés par un ensemble à la fois extrêmement cohérent et varié, quelque chose qui imprègne véritablement le lieu, qui l’habite. On a la sensation,

Les Chemins du Sud, une théorie du mineur jusqu’au 3 novembre Musée régional d’art contemporain, Sérignan 04 67 17 88 95 mrac.laregion.fr


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Prochain numéro à retrouver chez tous les marchands de journaux

sortie le 2 Août

À écouter sur WebRadio Zibeline Jan Goossens, Hughes Kieffer, Colette Olive et Pierre Bergougnoux, Valérie Manteau, Nassera Benmarnia, Michel Samson et Michel Peraldi, Nicolas Mémain et Thierry Durousseau, Liliane Giraudon et Frédérique GuétatLiviani, Fréderic Valabrègues

à voir sur WebTV Zibeline Catherine Melin et Jean-Christophe Bailly, Pascal Luongo, Renée DrayBensousan, Matthieu Duperrex, Kamel Khélif, Manu Théron, Gérard Traquandi, Marie Batoux et Badra Delhoum, Adrien Vescovi, Marie Ducaté....


56 au programme arts visuels bouches-du-rhône

Cristof Yvoré Peintre français disparu en 2013, Cristof Yvoré est représenté par la grande galerie belge Zeno X. Ce n’est qu’en 2012 qu’une institution publique française, le Frac PACA, s’est rendue acquéreuse de trois de ses toiles. C’est ce même lieu qui initie une rétrospective de cet artiste à la démarche exigeante, qui faisait rimer création lumineuse avec labeur et acharnement à capter le détail, le fait divers, dans des lignes visant le geste juste et précis. A.Z. Pots, lapin, fenêtres, fleurs jusqu’au 22 septembre Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, Marseille 04 91 91 27 55 frac-provence-alpes-cotedazur.org

Cristof Yvoré, Sans titre, 2013. Crédit photographique : Jean-Christophe Lett. © Courtesy Zeno X Gallery, Anvers. Collection Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Véronique Bigo « Qu’y a-t-il dans le sac de Marie d’Estienne de Saint Jean, ou dans celui de Madame Cézanne...? ». Éléments de réponse lorsque les toiles de Véronique Bigo se mêlent aux collections des musées Granet, du Vieil Aix et des Tapisseries, jusqu’à l’Atelier de Cézanne, la Bibliothèque Méjanes, le Pavillon de Vendôme et la galerie Vincent Bercker qui propose une sélection de peintures, dessins et gravures. C.L. Sacs à malices jusqu’au 20 octobre divers lieux, Aix-en-Provence 04 42 91 88 75 aixenprovence.fr Au Musée des Tapisseries, en dialogue avec les œuvres de Véronique Bigo, acrylique sur toiles de lin encollées, 2019. Photo Jean-Christophe Lett

Bernar Venet Dans le cadre de sa politique d’art public, la ville de Martigues a souhaité être dépositaire de deux œuvres du sculpteur français de renommée mondiale Bernar Venet. C’est à la Pointe San Christ et au Jardin de la Rode, face à l’Étang de Berre, dans des lieux très fréquentés, que l’artiste installera deux de ses sculptures monumentales, emblématiques de son travail : 215.5° Arc X 15 et Neuf lignes indéterminées. DO.M. Juillet, août,… Pointe San Christ, Jardin de la Rode, Martigues ville-martigues.fr 219.5˚ Arc x 15˚, 2008, H 410 cm, acier corten. © Bernar Venet, ADAGP 2019

We were five En 1961, la revue Aperture publiait le travail de 5 étudiants (Joseph Jachna, Kenneth Josephson, Ray K.Metzker, Joseph Sterling et Charles Swedlund) du département de photographie de l’Institute of Design de Chicago, l’un des premiers lieux d’enseignement de la photographie en tant qu’art. Le musée Réattu a quant à lui créé le premier département de photographie artistique français, sous l’impulsion de Lucien Clergue, initiateur des Rencontres d’Arles, et propose cet été de découvrir tout un pan de la photographie américaine, celle de « l’école de Chicago ». A.Z. jusqu’au 29 septembre Musée Réattu, Arles 04 90 49 37 58 museereattu.arles.fr Yasuhiro Ishimoto, Sans titre, 1948-1952 Tirage sur papier aux sels d’argent © Kochi Prefecture, Ishimoto Yasuhiro Photo Center


au programme arts visuels bouches-du-rhône var alpes-maritimes

Chris Voisard D’abord sculpteur et restaurateur, Chris Voisard accomplit une mutation vers la peinture. Entre photographies et dessins, c’est 40 ans de recherche picturale qui se sédimentent dans ces Chorégraphies. Une démarche appuyée sur les réminiscences, les collectes de matériaux, les souvenirs attrapés au fil des arpentages. A.Z. jusqu’au 31 août Au passage des rêves, Arles 06 88 43 47 78 chrisvoisard.canalblog.com

© Chris Voisard

Nouvelles Vagues Dans le cadre de la 4e édition du festival de la Design Parade, Toulon accueille une exposition conçue à partir des collections Design du Centre Georges Pompidou. Plus d’une soixantaine de pièces sont réunies dans le magnifique bâtiment Art déco de l’ancien Cercle Naval, marquant le début d’une collaboration sur le long terme avec le musée parisien d’art contemporain, dont sa conservatrice Marie-Ange Brayer signe ici la mise en espace (scénographie : India Madhavi). A.Z. jusqu’au 24 novembre Cercle Naval, Toulon 04 94 93 82 19 villanoailles-hyeres.com Jean-Baptiste Fastrez (1984) Quetzalcoatl (2012) Tissus, Filet Nylon, Don Du Designer 2014 - Am 2014-1-34

Joan Miró En écho à la rétrospective présentée cet hiver au Grand Palais à Paris, la Fondation Maeght propose une exposition consacrée à l’œuvre graphique du peintre espagnol Joan Miró. De celui dont Raymond Roussel disait en 1925 que son art allait « bien au-delà de la peinture », on découvre ici une somme impressionnante de pistes novatrices, poétiques, libérées du figuratif, plus larges que l’abstraction. A.Z. jusqu’au 17 novembre Fondation Maeght, Saint-Paul-de-vence 04 93 32 81 63 fondation-maeght.com Joan Miró, Le Hibou blasphémateur, 1975. Gravure originale en aquatinte, carborundum et eau-forte sur vélin d’Arches. Photo Claude Germain © Successió Miró, Adagp Paris, 2019

de Bonnard à Picasso Sisley, Boudin, Renoir, Bonnard (époque nabis), Dufy, le cubisme, l’École de Paris. Les collections privées recèlent des chefs-d’œuvre bien souvent inaccessibles au grand public. Choisies dans la collection de David Nahmad, une quarantaine d’œuvres emblématiques des changements esthétiques au tournant des XIX et XX siècles, à portée de regard. C.L. De l’Impressionnisme - de Bonnard à Picasso - Collection Nahmad jusqu’au 3 novembre Musée Bonnard, Le Cannet 04 93 94 06 06 museebonnard.fr

George Braque, La Caisse d’emballage, 1947, Huile sur toile, 92 x 92cm. © Collection Nahmad

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58 au programme cinéma

© 2018 BUENA VISTA INTERNATIONAL Pergamon Film Wiedemann Berg Film

L’Œuvre sans auteur Le réalisateur de La Vie des Autres signe un film-fleuve inspiré de la vie du peintre Gerhard Richter

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lorian Henckel von Donnersmarck aime prendre son temps. Plus de huit ans après une incursion aux Etats-Unis avec The Tourist, remake plutôt loupé de l’Anthony Zimmer de Jérôme Salle, et treize ans après La vie des autres, son premier long-métrage, le réalisateur revient à l’Allemagne et à son histoire avec une fresque biographique longtemps mûrie, dont il a également écrit le scénario. L’intrigue de L’Œuvre sans auteur est ample, et se déploie généreusement par touches successives, comme pour s’approprier la technique du flou figuratif du peintre dresdois, au centre du regard du cinéaste. Si la seconde guerre mondiale et la RDA ont fait l’objet d’une filmographie consistante ces trente dernières années, peu de réalisateurs allemands ont pris le temps de tisser un lien entre ces deux époques pourtant proches et corrélées. L’Œuvre sans auteur y parvient en évitant la linéarité et la comparaison stricte, et en se plaçant toujours du point de vue inconfortable, meurtri et souvent mutique de l’artiste en devenir. Le film s’ouvre sur l’exposition dédiée à l’entartete Kunst – l’art dégénéré – où Kurt se rend enfant, accompagné par sa tante encore adolescente, Elisabeth. L’adage que lui transmet cette dernière - « tout ce qui est vrai est beau » - enjoint Kurt à ne jamais accepter de détourner le regard. Le régime nazi ne tolère pourtant ni l’outrance vérace d’Otto Dix, ni la poésie de Kandinsky, ni surtout le développement de la schizophrénie d’Elisabeth, que sa famille d’adoption peine à dissimuler. De la perte irréparable de cette tante et des lendemains si

Film de la semaine

difficiles de la guerre résulteront non seulement la vocation de Kurt, mais également son premier et grand amour, Ellie, liée à la mort d’Elisabeth bien plus intimement que le jeune couple ne le soupçonne. Cette coïncidence tragique, inconnue de Kurt, rejaillira pourtant à son corps défendant dans sa première grande œuvre. L’art de Kurt se heurtera alors à l’éducation artistique que lui prodiguera la RDA, rétive elle aussi à la peinture alors qualifiée de « bourgeoise » et au « moi » de l’artiste. Tout comme La Vie des Autres, L’Œuvre sans auteur est traversé par un souffle romanesque certain. La photographie de Caleb Deschanel est somptueuse, la partition de Max Richter souligne avec affect mais minutie chaque plan. Si les silences de Tom Schilling s’avèreront moins habités que ceux du génial Ulrich Mühe, décédé depuis, le réalisateur s’est de nouveau arrogé les services du très bon Sebastian Koch dans un rôle si difficile. Les portraits de femmes sacrificielles – Saskia Rosendahl et Paula Beer – ne sont pas non plus en reste. Quelques maladresses, quelques absences de nuance, dans son traitement de l’action et de sa conclusion pourront à nouveau être reprochés à Von Donnersmarck : ils ne sont cependant que les négligeables défauts de grandes qualités. SUZANNE CANESSA

L’Œuvre sans auteur (Partie 1), de Florian Henckel von Donnersmarck, sortira le 17 juillet (1h31)


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ÉCOUTEZ LE SON POP-ROCK DE RTL2 MARSEILLE LAURENT COUREAU 12H/16H marseille.rtl2.fr


Les films à ne pas louper Birdy, d’Alan Parker dimanche 14 juillet à 23h Coup de foudre de Diane Kurys lundi 15 juillet à 20h50

petit

écran

Pour une poignée de dollars de Sergio Léone lundi 15 juillet à 21h La tour Montparnasse infernale de Charles Nemes mercredi 17 juillet à 21h M. et Mme Adelman de Nicolas Bedos dimanche 21 juillet à 21h Mon roi de Maïwenn dimanche 21 juillet à 23h Et pour quelques dollars de plus de Sergio Léone lundi 22 juillet à 21h Rendez-vous d’André Téchiné mercredi 24 juillet à 20h55

Tu enfanteras dans la douleur mardi 16 juillet à 22h40 Arte poursuit son Été des grands documentaires de société. Connue pour une première carrière dans le X, puis ses films et écrits féministes, la réalisatrice Ovidie enquête sur les violences obstétricales – systématisation de l’épisiotomie, césarienne à vif, remarques infantilisantes…. Méconnu, le sujet fut longtemps tabou, jusqu’à l’intervention de Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les hommes et les femmes, qui commanda en 2017 un rapport sur le sujet. Parmi les pistes alors préconisées : renforcer la formation initiale et continue des professions médicales en matière de bientraitance et de consentement, mais aussi faire appliquer les bonnes pratiques de l’OMS, concernant tant la position d’accouchement que la fréquence des épisiotomies et des césariennes. Les témoignages réunis dans ce documentaire

Jean-Marie Périer, que reste-t-il de nos sixties ? dimanche 14 juillet à 23h05 Une petite madeleine pour entamer l’été : la réalisatrice Minou Azoulai consacre un documentaire au photographe Jean-Marie Périer. Les Archives Départementales de Marseille à l’été 2017, puis le toit de la Grande Arche de La Défense à Paris en début d’année ont déjà rendu hommage à celui qui immortalisa la génération des yéyés pour la postérité : on se souvient de la une de Salut les Copains, rebaptisée la Photo du Siècle, regroupant 46 têtes d’affiche, de France Gall à Christophe en passant par Antoine ou encore Les Surfs au complet. En commentant ses clichés légendaires, le photographe se fait témoin d’une époque, et tente de cerner son impact au niveau sociétal, politique et artistique.

rassemblent la parole des victimes, des militantes, des experts, des sages-femmes mais aussi des gynécologues qui dénoncent le manque de moyens du système de santé publique. Suivi à 23h45 d’un autre documentaire d’Ovidie, Là où les putains n’existent pas.

Sale temps pour la planète : Bretagne, des îles qui résistent vendredi 19 juillet à 13h05 Quotidienne, cette série documentaire signée Morad Aït-Habbouche étudie les conséquences des changements climatiques à travers la planète, et recense les initiatives qui les combattent. Gros plan cette fois sur les îles du Finistère, dernières terres françaises avant l’Amérique aux paysages

grandioses. Inhabitée, l’île de Bannec se présente comme un laboratoire à ciel ouvert : les scientifiques y étudient l’impact des violentes tempêtes, capables de déplacer des rochers de 40 tonnes, soit l’équivalent d’un tsunami. La voisine Ouessant, quant à elle, vise l’autonomie énergétique à horizon 2030, en usant du soleil, des courants et des vents pour développer les énergies renouvelables. La deuxième partir du documentaire est diffusée lundi 22 juillet à 13h05.

Enfants fantômes, un défi pour l’Afrique samedi 20 juillet à 10h30 Les enfants fantômes, ce sont les nouveaux-nés non déclarés par leurs parents à la naissance, donc privés d’état-civil toute leur vie durant. Estimés à plus de 230


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millions à travers le monde, ils se concentrent notamment en Afrique Subsaharienne : un enfant sur deux y vit sans identité, privé de ses droits fondamentaux dans son propre pays. Le réalisateur Clément Alline nous entraîne à la rencontre de cette population rendue invisible, exposée aux abus et contrainte de vivre à la marge, mais aussi de leur famille et des autorités locales, pour étudier les causes et conséquences de la méconnaissance de l’état-civil. Le documentaire a reçu le prix Média 2019 Enfance Majuscule.

Mode d’évasion lundi 22 juillet Depuis plusieurs années, la styliste Sakina M’sa initie des détenues de Fleury-Mérogis à des ateliers aboutissant sur un défilé. Filmé au sein de la maison d’arrêt de l’Essonne, ce documentaire de Laurent Chevallier revient sur l’organisation de cette inédite Semaine de la Mode au sein de l’univers carcéral, impliquant une centaine de femmes durant les ateliers préparatoires jusqu’à l’événement final. Originaire de la cité marseillaise Félix Pyat, formée à la Maison Méditerranéenne des Métiers de la Mode, Sakina M’Sa poursuit ses actions, de maisons de retraite en résidences au 104, prônant une « mode éclairée », éthique et responsable. Elle était l’invitée de la 4e édition d’Anti Fashion à la Friche de la Belle de Mai fin juin (lire compte-rendu p.7). Le documentaire est diffusé dans le cadre de la 4e saison estivale de L’Heure D, qui se décline chaque lundi soir autour d’une nouvelle thématique.

Zétwal mardi 16 juillet à 00h25 « Se mettre debout et s’élancer vers le ciel » : en 1974, le Martiniquais Robert Saint-Rose se lance dans une quête insensée. Le trentenaire veut redorer le blason de son île, et être le premier Français à marcher sur la Lune. Avec l’aide d’un ami, il construit une fusée dans son jardin à base de pièces détachées, et tente de rallier l’opinion et les autorités à sa cause. Surnommé Zétwal (étoiles en créole), il compte faire décoller sa fusée grâce « à la poésie d’Aimé Césaire ». Le réalisateur Gilles Elie-Dit-Cosaque part sur les traces de ce singulier personnage tombé dans l’oubli, rencontre ses anciens amis, proches, compagne ou professeur de lettres. Info ou mystification ? Peu importe, la portée poétique et symbolique de ce documentaire est terrassante, dans le sillage d’« un personnage qui cristallise les impossibles, désirs secrets comme potentialités avortées ». JULIE BORDENAVE

Et aussi… Tian Anmen, la mémoire interdite mardi 16 juillet à 20h30 La conquête de la Lune : toute l’histoire mardi 16 juillet à 20h50 Les diplomates du Pape mercredi 17 juillet à 20h30 Mare Nostrum, la route des plages mardi 23 juillet à 14h40 Révolutions sexuelles mardi 23 juillet à 20h50

Le monde parfait mardi 23 juillet à 22h40 C’est au cœur du pharaonique Polygone de Montpellier, défiant la minéralité néoclassique du quartier Antigone, que Patric Jean a posé sa caméra. Après La raison du plus fort et La domination masculine, le réalisateur s’attelle à décrire un nouveau pan de notre réalité, désireux de « filmer un lieu qui soit la quintessence de la société contemporaine sur les plans social, économique et politique ». On y croise Pierre, badaud auto-proclamé « maire du Polygone », qui aime à s’imprégner des flux environnants plutôt que rester enfermé chez lui ; un directeur qui avoue chercher à créer un « parc d’attractions pour donner envie d’acheter » ; des vendeurs ou hôtesses d’accueil plus ou moins stratèges et épanouis... Un ballet hypnotique, révélant en creux la vacuité et les cadences infernales qui régissent un tel univers, comme le constate le réalisateur : « le centre commercial constitue ce que notre société produit de plus absurde et de plus dommageable pour la planète et les hommes. »

La basque attitude vendredi 19 juillet à 14h55 État de santé : doit-on faire plus la sieste ? dimanche 20 juillet à 20h Dr Jack et Mr Nicholson dimanche 21 juillet à 22h50 Apollo 11, retour vers la Lune lundi 22 juillet à 21h La quotidienne : banques et placements éthiques mardi 23 juillet à 11h45 Habiter autrement mardi 23 juillet à 21h40 Les bandes à pied en Haïti mercredi 24 juillet à 15h40 Birkenstock, c’est moche mais ça marche ! vendredi 26 juillet à 22h35 Stax, le label soul légendaire vendredi 26 juillet à 23h30


62 feuilleton littéraire

Nos éclipses épisode 4 : Éclipse totale du soleil résumé de l'épisode 3 Marin trompe son épouse, Luce, avec une escort, Sophia. Luce a pour amant Imré qui vit avec Eva qui le trompe avec Antoine. Lui-même a une aventure avec Emilie. Un livre qui appartient à Sophia, La Ronde d’Arthur Schnitzler, passe de main en main, c’est maintenant Emilie qui l’a dans son sac. Dehors, les gens attendent d’assister à une éclipse solaire.

Eric san Pessan © Mélio Pes

L'auteur Éric Pessan, né en 1970 à Bordeaux. Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages : des romans, des pièces de théâtre, des textes destinés à la jeunesse, des livres réalisés avec des plasticiens. Il est membre du comité de rédaction de la revue Espace(s) du Centre National d’Études Spatiales. Derniers ouvrages parus : Quichotte, autoportrait chevaleresque (2018, Roman, Fayard), La connaissance et l’extase (2018, Essai-récit, éditions de l’Attente), L’homme qui voulait rentrer chez lui (2019, Roman jeunesse, L’École des loisirs).

en co-production avec La Marelle

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ans la rue, Émilie s’arrête, ouvre le livre au hasard. Un comte parle, il dit des choses terribles. Le bonheur ? dit-il, Pardon, mademoiselle, mais le bonheur n’existe pas. D’ailleurs, ce sont précisément les choses dont on parle le plus qui n’existent pas... L’amour, par exemple, est une de ces choses-là. La jouissance... l’ivresse... existent, c’est indéniable... c’est quelque chose de précis. Mettons que j’éprouve une jouissance... bon ! je sais que je l’éprouve. Émilie claque le livre comme on referme une porte en colère. Elle le rouvre au hasard pour une seconde tentative. Les hommes sont les mêmes partout. Plus il y en a et plus grande est la bousculade. Voilà tout... Une colère monte en elle, une colère vive qui l’étonne ellemême. Elle glisse le bouquin dans son sac à main. Elle ne reverra jamais Antoine, l’amour n’existe pas, seule la jouissance existe, se répète-t-elle. Elle déverrouille son téléphone, trouve le numéro de Lu qui lui avait fait une proposition hier, une proposition un peu spéciale faisant suite à de nombreuses propositions du même genre. Toujours, elle a sagement décliné. Elle appelle. Il est encore temps ? Elle arrive.

Elle a senti l’étonnement dans la voix de Lu. Elle vient. Pour la première fois, elle se joindra à eux. Dans son dos, des hommes se battent, ils ont des blousons noirs, des foulards noués sur le visage, il pourrait s’agir de casseurs, de policiers en civil, de n’importe qui. Émilie, tremblante, ne les a pas vus. La suite s’enchaîne très vite, Émilie se rend chez Lu et Do qui organisent une petite réception privée durant l’éclipse. Il y a là deux hommes qu’elle ne connait pas : Marc et Lucas. Tous ont à peu près le même âge qu’elle et tous achèvent leurs études. La télévision allumée retransmet l’éclipse en direct. Émilie se dema nde si l ’ écœu rement rétrospectif qu’elle ressent à chaque fois qu’elle fait l’amour avec Antoine vient de son âge ou plutôt de son statut social. Ne peut-on vraiment jouir qu’avec ses semblables ? Bientôt les vêtements tombent et Émilie ne se pose plus aucune question : elle est une peau qui vibre à la rencontre d’autres peaux, elle ferme les yeux et laisse Do s’occuper d’elle. Elle a besoin de la douceur d’une femme contre sa peau de femme. Ensuite, elle ira dans les bras de l’un des garçons, ou des deux, elle ne sait pas encore. De l’appartement,


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il n’est pas possible de voir l’éclipse, mais peu importe : c’était l’idée de Lu et Do, les deux femmes ont organisé cette après-midi parce qu’il y a mieux à faire que de regarder les astres. Eclipse is sexy, répète Do et brusquement le ciel se voile, quelque chose se produit : la lumière devient grise ; de la fenêtre ouverte entre un courant d’air glacial. Cinq corps nus frissonnent, Do sent Lucas débander en elle. C’est animal, c’est une peur qui vient d’un âge sans fond : l’éclipse dérobe le ciel, l’éclipse fait chuter la température, l’éclipse saisit même ceux qui lui tournent le dos. Marc était avec Lu et Émilie, il se redresse, il est gelé, il sent son cœur battre anormalement vite : dehors la lumière parait poudreuse, les nuages sont de la cendre. L’animal qu’il a peut-être été voici des centaines de millions d’années aimerait rejoindre son terrier. L’éclipse ne dure pas longtemps, à peine deux minutes. À la télévision toujours allumée un journaliste parle d’une grande déception, d’où que l’on se tienne en Europe, les nuages ont gâché la fête. Dans l’appartement de Do et Lu, cinq corps se trouvent empêtrés de désirs dissipés, la fête est gâchée par une inquiétude qui plonge ses racines dans le terreau ancien de l’humanité. Quelques mains encore caressent des dos, une bouche happe un sexe, une langue lape une peau, mais rien n’y fait. Presque silencieusement les épidermes s’éloignent, se couvrent de vêtements ; des visages se sourient avec confusion. Ils ont beau connaitre les mécanismes célestes, savoir que l’éclipse n’est qu’un hasard, que les étoiles ne se touchent jamais, ceux qui s’étaient crus plus vivants que le cosmos se quittent rapidement. Dans la rue, Émilie constate que le livre a disparu de son sac. Elle n’est pas sûre, mais il lui semble avoir retiré ce matin quarante euros qu’elle ne

retrouve plus également. Le livre est peut-être tombé, se dit-elle. Et plus elle pense à l’argent, moins elle est certaine de l’avoir eu avec elle. En ouvrant la porte de l’appartement de Sophia, Marc a un geste discret de sa main gauche devant son visage : il cherche à savoir s’il sent le sexe ou non. À vrai dire, il s’en fiche un peu, il sait très bien que sa compagne reçoit ponctuellement des hommes riches. Il sort les quarante euros qu’il a volés dans le sac de cette fille dont il a déjà oublié le nom et les dépose dans une coupe de fruit vide située sur le meuble encombré de la cuisine. La porte de la chambre est entrouverte, Sophia est là qui travaille à sa thèse. Marc souffle un baiser dans sa direction et vérifie une chose dans la bibliothèque surchargée de Sophia. Il y a un vide sur l’étagère du théâtre, deux livres qui ne sont pas à touche-touche. Sans dire un mot, il y glisse l’exemplaire de La Ronde d’Arthur Schnitzler qu’il a chipé tout à l’heure et il se rend dans la chambre. Le soleil, dehors, est redevenu plein. Marc a maintenant réellement envie de faire l’amour. Sophia lui sourit.

FIN


LES FESTIVALS DE L’ETE

CHAQUE ANNÉE, PLUS DE 11 000 MANIFESTATIONS PROGRAMMÉES SUR 300 COMMUNES À TRAVERS 6 DÉPARTEMENTS

Direction de la Communication et de la Marque de la Région Sud. Photo : Gettyimages.

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