En passe de prendre la 2e place du plus gros film de tous les temps au box-office américain, The Dark Knight, la suite tant attendue de Batman Begins, ne cesse de battre des records dans tous les pays. Beaucoup de bruit pour rien ? Bien au contraire : Christopher Nolan a réalisé le film de l’année.
THE DARK KNIGHT
SOURIR E SOUS CAP E Il y a quelque chose de pourri dans le royaume de Gotham. La corruption est toujours ce ver qui ronge la Big Apple défigurée, enfermée sous une chape de noirceur, aussi apocalyptique et paranoïaque qu’un post-11 septembre. Le premier plan de The Dark Knight fait allusion à l’Histoire avec un travelling avant vers les hauteurs d’une tour de verre dont une fenêtre explose. Mais celle-ci est brisée en-dedans par des hommes masqués, armés jusqu’aux dents, amorçant leur vol audessus des immeubles puis celui d’une banque.
texte © Mickaël Pagano pour www.femmes.com
Dans ce nouveau Batman, la menace vient toujours de l’intérieur : les clowns-braqueurs finissent par s’entretuer sur ordre d’un chef dont ils ne connaissent pas le visage, seulement l’identité : le Joker. « Présenté » à la fin de Batman Begins (2005), ce psychopathe schizophrénique incarne parfaitement cette idée : il appartient au personnel infirmier quand il prévoit de détruire l’hôpital, « revient d’entre les morts » comme un diable surgit de sa boîte, détaille par deux fois les façons dont une lame dans sa bouche a découpé son célèbre sourire, etc. La menace est à l’intérieur, donc. Pire : elle est en chacun de nous. Les meilleurs éléments de la police sont viciés par un cartel mafieux. Au risque de mettre sa communauté en danger, le lieutenant James Gordon (Gary Oldman) fait appel à Batman. Le procureur Harvey Dent (Aaron Eckhart) s’engage à purifier Gotham City avec les méthodes de la justice, non sans envier celles du fameux « hors-la-loi » ni prendre ses décisions à pile ou face avec une pièce truquée. Bruce Wayne (Christian Bale), enfin, mène une vie publique futile de playboy milliardaire pour dissimuler celui qui le définit vraiment : Batman, son double vengeur. Tout au long du film, la question se pose au personnage principal : « être ou ne pas être » le Chevalier Noir ? à l’instar de William Shakespeare, Christopher Nolan
écrit avec The Dark Knight une œuvre baroque. Car le réalisateur d’Insomnia (2002) et du Prestige (2006) reprend ses thèmes favoris : l’anti-héroïsme et la dualité des protagonistes. Tel le spectre dans Hamlet, le costume vide de la chauve-souris est souvent présenté comme l’image inversée de Bruce Wayne, son côté obscur – Batman et Hamlet n’ont-ils pas les mêmes motivations : la perte d’un amour et, surtout, la vengeance ? The Dark Knight oppose également l’inconstance et la pluralité des intrigues à l’unité de ton, confond les genres et déguise un film d’action fantastique, fidèle au comic (ici, The Killing Joke d’Alan Moore et Brian Bolland), en thriller politique, réaliste. Même le burlesque se mêle à la tragédie avec le Joker (Heath Ledger). L’ennemi intime de Batman est théâtral, grand-guignolesque. Grimé, costumé, il met en scène ses crimes avec un sens rare du spectacle, de l’humour (noir) et de la répartie : « Tu n’es qu’un monstre… comme moi » démontre le bouffon anarchiste au Chevalier Noir avant de s’esclaffer. Plus que toute autre figure, le Joker est l’allégorie des instincts, des atouts créateurs et destructeurs de la nature humaine – la réalité rejoint souvent la fiction : l’acteur Heath Ledger est mort d’une overdose médicamenteuse en janvier dernier… Est-ce le respect d’une certaine vraisemblance ou le témoignage d’un malaise, la complexité et l’ambivalence des personnages ou l’ostentation (toujours propre au style baroque) d’un mal-être, qui fait de The Dark Knight un film sombre, profond ? C’est justement en cela que son auteur, Christopher Nolan, a « trompé » son monde tout autant qu’il l’a ébloui, signant là son chef-d’œuvre. The Dark Knight, de Christopher Nolan (Warner Bros.) Sortie en salles le 13 août 2008
Série girlie
E T AINSI D E SUIT E Alors que le tournage de Sex & the City - le film investit les rues de New York, les chaînes françaises annonçent l’acquisition des droits de diffusion de trois nouvelles séries américaines : GoSSIP GIRL et LIPSTICK JUNGLE, issues de la « chick lit », comme leur aînée télévisuelle – adaptée du roman de Candace Bushnell et premier succès du genre (littéraire) –, et CASHMERE MAFIA. La relève seraitelle enfin assurée ?
texte © Mickaël Pagano pour www.femmes.com
GOSSIP GIRL (1) Diffusé depuis septembre dernier sur The CW (une chaîne presque exclusivement dédiée aux séries), Gossip Girl conte la vie d’un groupe d’élèves privilégiés des écoles privées de l’Upper East Side de Manhattan, le quartier chic de New York. Aux écoutes des amitiés, amours et autres merveilleuses apparences de cette jeunesse dorée, une blogueuse indiscrète, dont tous ignorent l’identité, et qui donne son nom, ou plutôt pseudo, au soap : Gossip Girl (la fille aux potins). C’est aussi et d’abord le titre de la série littéraire (Fleuve Noir) écrite par l’Américaine Cecily von Ziegesar – qui a elle-même étudié à la Nightingale-Bamford School, l’un de ces lycées huppés –, dont les douze tomes ont créé l’événement auprès des jeunes. Présentée comme « le Sex & the City des adolescents », son adaptation a pourtant connu des débuts timides outre-Atlantique et se languit toujours de fidéliser une audience. Parce que le public de Gossip Girl, âgé de 18 à 34 ans, préfère l’écran d’ordinateur à celui de télévision. Alors en avril dernier, The CW a interrompu ses rediffusions gratuites sur Internet et, pour annoncer la deuxième partie de la saison 1, relancé le bouche-à-oreille avec une campagne promotionnelle osée baptisée OMFG (« Oh My Fucking God » en langage SMS). Et grâce au buzz du Web
1 comme à la sur-médiatisation dont jouit l’actrice sexy Blake Lively, Gossip Girl est aujourd’hui parmi les premières séries téléchargées sur les plateformes dédiées et téléphones portables du monde entier. It Girl et Gossip Girl, The Carlyles, les deux successful spin-off (dérivés) imaginés par l’auteure Cecily von Ziegesar auront-ils les mêmes faveurs ? LIPSTICK JUNGLE (2) Quand les relations professionnelles de belles businesswomen dans la métropole américaine sont plus malheureusement plus excitantes que les autres, amicales, amoureuses et sexuelles… On jurerait lire la bible de Sex & the City, mais il s’agit bien du synopsis de Lipstick Jungle, sur lequel a toutefois craché la chaîne NBC une fois que le pilote de la série a été tourné en 2005. Pourquoi, si les deux « dramédies » (comédies dramatiques) se ressemblent – chacun est d’ailleurs adapté d’après un roman éponyme (Albin Michel) de Candace Bushnell –, et que le premier, culte mais arrêté un an auparavant, n’a jamais trouvé son successeur ? En fait, le projet initial prenait justement le contrepied de Sex & the City, attirant l’attention de la téléspectatrice sur la vie d’une trentenaire, ses hauts (talons, beaucoup) et ses bas (nylon, plus du tout) de
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2 working girl et femme mariée. Sur le papier, l’idée était attrayante, presque originale ; à l’image, sa réalisation est déplaisante, puisque banale. NBC a immédiatement désavoué le prototype comme l’une de ses actrices principales ; également les productrices / « directrices artistiques », l’an dernier, en pleine écriture des scénarios (alors qu’elles avaient réussi, fin 2006, à faire adopter une autre version du programme !). Oubliant ses coulisses laborieuses et les critiques peu flatteuses, Lipstick Jungle observe d’honorables taux d’audience depuis sa diffusion début février et voit maintenant ses trois comédiennes (Kim Raver, Brooke Shields et Lindsay Price) courtisées par les journalistes. La série vient même d’annoncer la commande d’une prochaine saison – ne faut-il pas « prendre le temps comme il vient » ? CASHMERE MAFIA (3) Maître d’œuvre de la série Sex & the City et encore producteur délégué de son adaptation pour le cinéma, Darren Star a créé l’événement sur le petit écran avec les sept premiers épisodes de Cashmere Mafia. Concurrent direct de Lipstick Jungle, ce nouveau drama réunit les mêmes thèmes, les mêmes personnages dans un même lieu : soit les discussions et les agitations
d’un « club anti-hommes » formé par quatre meilleures amies, sexy et ambitieuses, calquant leur rythme de leur quotidien sur celui de la ville qui ne dort jamais. Ces premiers épisodes de Cashmere Mafia ont réveillé l’audimat de ABC aux états-Unis et la curiosité de M6 en France – la chaîne, qui détient ceux de Sex & the City, aurait déjà négocié leurs droits de diffusion. Un avènement inattendu pour la nouvelle série, éclairci par la renommée de ses créateurs (l’on doit Beverly Hills et Melrose Place à Darren Star, Working Girl et Coup de foudre à Manhattan au scénariste Kevin Wade) comme de ses actrices (notamment Lucy Liu, remarquée dans Ally McBeal, Kill Bill, et Miranda Otto, dans Le Seigneur des anneaux, La Guerre des mondes). Néanmoins, son avenir reste incertain... Et si Cashmere Mafia reprenait le flambeau avant que Sex & the City ne renaisse de ses cendres ?
Gossip Girl, créée par Josh Schwartz et Stephanie Savage Diffusion sur TF1 dès le mois de septembre 2008 Lipstick Jungle, créée par Eileen Heisler et DeAnn Heline Diffusion sur TF1 (encore non programmée) Cashmere Mafia, créée par Kevin Wade Diffusion sur Téva dès le mois d’octobre 2008
SURVEILLANCE
MENSONGES ET VID é OS
texte © Mickaël Pagano pour www.femmes.com
Quinze ans après le très controversé Boxing Helena, Jennifer Lynch revient à la réalisation avec Surveillance (en Sélection Officielle au Festival de Cannes 2008), un thriller intense, qui permettra certainement à la « fille de » (David) d’être surveillée de très près par ses pairs… « Deux agents du FBI arrivent dans une petite ville perdue pour enquêter sur une série de meurtres. » (extrait du synopsis officiel) Pour son deuxième long métrage, Jennifer Lynch auraitelle plagié l’intrigue de Mystères à Twin Peaks, la célèbre série créée par son père et Mark Frost ? Si elle avoue sans détour que le nom de David Lynch comme producteur exécutif l’a aidé à monter son film, la réalisatrice n’a pas eu besoin de fouiller l’œuvre paternel pour en trouver le véritable sujet : la perception d’un même événement par diverses personnes. La filiation pourrait donc s’établir à l’égard de Rashômon d’Akira Kurosawa (1950) ou I Saw The Whole Thing d’Alfred Hitchcock (1962), dans lesquels plusieurs témoins donnaient chacun leur version d’un crime/accident. Dans Surveillance, Jennifer Lynch met en scène trois interrogatoires filmés. Soit trois histoires (le départ en vacances d’une famille, le deal d’un couple de junkies, les arrestations abusives par deux policiers) qui s’emboîtent sur une fin identique (un carambolage puis une tuerie provoqués sur la route par des serial killers). Mais certaines vérités n’étant pas bonnes à dire, les personnages cachent tous quelque chose : leur part d’ombre. Avec ces déclarations, passé et présent, son et images se télescopent. Ainsi, dès lors qu’elles sont faites en voix off, les dépositions n’ont plus rien à voir avec
les flash-back qui les illustrent. Quant aux principales « vérités » (les news à la télé, les interrogatoire filmés), elles sont chaque fois révélées par le biais de la caméra ou de l’écran de Surveillance. Que/Qui faut-il croire ? à l’instar de l’agent du FBI Sam Hallaway (Bill Pullman) qui, tel un cinéaste omniscient en salle de montage, visualise et reconstitue seul le puzzle des vérités énoncées, le spectateur s’avise lentement des apparences trompeuses dénoncées. Lentement mais jamais sûrement. Car plus on s’enfonce dans les mensonges, plus notre perception du Bien et du Mal est floue. Flouée, même, par une tension et une cruauté graduellement insinuées par la réalisatrice. Jusqu’au dénouement, climax d’une violence à la fois cathartique et jouissive. Les uns parleront de twist ending, final inattendu. Les autres, qui « referont » le film sous un nouvel angle, observeront que Jennifer Lynch nous questionne tout au long de Surveillance : « dire la vérité peut-il vous sauver la vie ? »
Surveillance, de Jennifer Lynch (Wild Bunch Distribution) Sortie le 30 juillet 2008
BLINDNESS
OUVRIR LES YEUX
texte © Mickaël Pagano pour www.femmes.com
Le cinéaste brésilien Fernando Meirelles (La Cité de Dieu) adapte L’Aveuglement de José Saramago. Blindness porte un regard juste sur la condition humaine. Une illumination. On ne perdra pas de vue le réalisateur Fernando Meirelles. Ses deux précédents films, les adaptations mondialement remarquées de La Cité de Dieu (2003) et de The Constant Gardener (2005), exposaient le chaos dans une explosion graphique et saturée de couleurs grâce à une camératémoin agitée au cœur des violences. Si l’apocalypse est aussi une perspective annoncée dans son dernier long métrage, Blindness, le cinéaste brésilien va à l’encontre de l’esthétique qui a fait son succès. Pour donner à voir la cécité. Épidémique, le mal plonge peu à peu une ville entière dans le néant. Mais pas dans le noir, puisque ses habitants, subitement isolés du monde extérieur, baignent dans une lumière blanche. L’aveuglement remet en question le cinéma, et pas seulement celui de Fernando Meirelles : comment rendre la non-voyance à l’écran ; comment adopter un point de vue ? La mise en scène de Blindness répond avec subtilité : les images sont pâles, souvent voilées, floues, abstraites, superposées ou surexposées ; la bande sonore est claire, amplifiée, tournée vers le horschamp ; et le personnage principal du film, la femme d’un ophtalmologiste, est le seul qui puisse voir. « Si tu peux voir, regarde. Si tu peux regarder, observe. » La citation, extraite de l’ancien livre des exhortations et en préface du roman dont est tiré le film (L’Aveuglement, par le prix Nobel de littérature 1998 José Saramago), ressemble à une prescription formulée à l’égard du
réalisateur, de la protagoniste et du spectateur. Tour à tour allégorie des réactions politiques et individuelles aux catastrophes naturelles, des menaces de l’avenir, réflexion sur les instincts primitifs, l’animalité de chacun et les relations sociales entre tous, expérience, aussi, de la faiblesse désespérée ou de l’étonnante force de la conscience humaine, Blindness, finalement, ouvre les yeux sur notre refus de voir. Ce qui se passe autour de nous. Ce que nous sommes. En s’enfermant volontairement avec les contaminés pour rester auprès de son mari, la femme du médecin (parfaite Julianne Moore) passe de voyante à voyeuse, « contrainte » d’observer ceux qui l’entourent, lui parlent et l’écoutent, la touchent mais ne lui renvoient pas son regard, et leur déchéance. Sans jamais la maîtriser tout à fait, elle renversera plusieurs fois la situation, se délivrera de cette impuissance en se révélant ses propres responsabilités, en agissant, tel un symbole biblique (un nouveau Messie ou saint Paul), pour l’amour de son prochain, sinon pour sa survie. Comme elle, le spectateur est soumis aux images les plus édifiantes et terrifiantes. Puis contrairement à cette femme, il est toujours confronté à ce qu’il préfèrerait ne pas (sa)voir. Et pourtant, comment détacher les yeux d’une œuvre aussi morale et éblouissante que Blindness ? Blindness, de Fernando Meirelles (Pathé Distribution) Sortie en salles le 08 octobre 2008
Warner bros.
INITIALS WB La Warner Bros. célèbre ses 85 ans en éditant un prestigieux coffret de 85 DVD. Une occasion rare de posséder l’histoire du cinéma à travers celle d’un studio qui a produit le premier film parlant et le dernier Batman, mais aussi les grands classiques hollywoodiens et certains chef-d’œuvres d’ici (La Nuit américaine, de François Truffaut) et d’ailleurs (Blow-Up, de Michelangelo Antonioni). 1926, investissant dans la technique : tandis que leurs confrères misent sur la pérennité du muet, ils s’assurent l’exclusivité du procédé d’enregistrement de Western Electric et fondent Vitaphone Corporation, du nom d’un procédé sonore qui mettra en voix et musique le premier talkie (film parlant), et près de 2 000 courts métrages de la compagnie en quatre ans. Mais Sam s’est éteint la veille de cet avènement événement, et le deuil, avant le succès, enveloppe la sortie du Chanteur de jazz d’Alan Crosland (1927). L’écrin Warner, contre toute attente, continue de briller dans l’exercice de son art et du danger : plutôt que de se contenter de mettre en valeur le cinéma parlant avec des comédies musicales ou des adaptations de pièces de théâtre, la Warner se consacre au genre policier, noir, ou social, dénonçant les erreurs judiciaires et le système carcéral (avec les acteurs Humphrey Bogart et James Cagney), dépeignant les chômeurs et la pauvreté de l’Amérique de la Grande Dépression (avec les réalisateurs Howard Hawks et Raoul Walsh). Le studio se distingue aussi avec un nouveau département animation, où Tex Avery, Bob Clampett, Chuck Jones et autres principaux évadés de Walt Disney participent aux mouvements de capitaux de la Warner grâce aux séries de cartoons Looney Tunes (Bugs Bunny, Porky Pig, Daffy Duck) puis Merrie Melodies.
texte © Mickaël Pagano pour www.femmes.com
Harry, Albert, Jack et Sam. Quatre frères dont seul le nom de famille et l’œuvre sont passés à la postérité. En 1923, ils créent Warner Bros. Inc., un studio de cinéma qui réunit leurs talents de producteurs et distributeurs, et se gardent de n’être jamais aux abois en lançant la saga Rin Tin Tin (26 films) l’année suivante. Les Warner prennent pourtant un risque financier dès
Dès 1935, le cinéma d’aventures leur offre une étoile d’Hollywood en la personne d’Errol Flynn, premier rôle de Capitaine Blood, La Charge de la Brigade Légère ou encore Les Aventures de Robin des Bois, tous signés Michael Curtiz et devenus des classiques. Des fictions d’aventures à l’Histoire, il n’y a qu’un petit pas franchi par des monuments du cinéma dont les figures de la Warner doivent souvent répondre : de Les Aveux d’un espion nazi d’Anatole Litvak (1939), qui attaque les
La décennie passée a glorifié les duos : Bette Davis/Joan Crawford dans Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? (Robert Aldrich, 1962), Audrey Hepburn/Rex Harrison dans My Fair Lady (George Cukor, 1964), Elizabeth Taylor/ Richard Burton dans Qui a peur de Virginia Woolf ? (Mike Nichols, 1966), Faye Dunaway/Warren Beatty dans Bonnie and Clyde (Arthur Penn, 1967), et laisse finalement deux frères à la tête de Warner. Le vent d’Hollywood a changé, les studios bouleversent
actions pro-nazies américaines, à Mission to Moscow de Michael Curtiz (1943), conviction pro-soviétique du pays, en passant par Sabotage à Berlin et Casablanca (1942). À la même période, d’autres films entrent aussi dans la mémoire des hommes : notamment Le Grand sommeil d’Howard Hawks (1946), et Le Trésor de la Sierra Madre (1948) qui valut à John Huston l’Oscar du meilleur réalisateur.
donc leurs plans et s’adaptent à cette nouvelle ère : du documentaire Woodstock (Michael Wadleigh, 1970) à la science-fiction de THX 1138 (premier long du surdoué George Lucas, 1971), de la censure anglaise d’Orange mécanique (Stanley Kubrick, 1971) à la Palme d’Or de L’Épouvantail (Jerry Schatzberg, 1973), de l’horreur de L’Exorciste (William Friedkin, 1973) au politique
Changement d’époque et d’équipée : les foyers se sont installés devant le petit écran et sa grille de programmes. Pour faire face à la diffusion d’émissions de tous types (des soaps et des métrages, du sport et du théâtre, mais surtout des variétés et autres jeux richement dotés), la Warner diversifie les genres (musicals, westerns), augmente sa liste d’ingénieux cinéastes (George Cukor, Elia Kazan, Nicholas Ray, John Ford), de nouveaux comédiens (James Dean, Paul Newman, Warren Beatty) et actrices (Doris Day, Jane Fonda, Grace Kelly), découvre, enfin, des savoir-faire inédits (Le Crime était presque parfait d’Alfred Hitchcok, en relief ) tout en devinant les chef-d’œuvres (La Fureur de vivre, en 1955, et La Prisonnière du désert, en 1956). Puisque La Horde sauvage de Sam Peckinpah (1969) dompte encore un triomphe, le départ de Jack Warner, à la fin des années soixante, n’affaiblit pas son empire.
Les Hommes du Président (Alan J. Pakula, 1976), du film catastrophe La Tour infernale (John Guillermin et Irwin Allen, 1974) au super héros Superman (Richard Donner, 1978) la Warner est, à l’instar de ses fabricants d’images, visionnaire. Clint Eastwood, Mel Brooks, Jack Nicholson, John Boorman, Martin Scorsese, mais aussi Federico Fellini, François Truffaut et Luchino Visconti – parce qu’on décide de produire ou distribuer en Europe –, tous bousculent avec succès les habitudes et les regrets d’un âge d’or révolu, s’en font même les dignes ou rudes successeurs, tandis qu’on assiste à la création d’une filiale vidéo et à la multiplication des activités (édition de livres, industrie du disque, télévision) de Warner Communication.
Les années 1980 parlent encore de mutations cinématographique et économique avec, pour meilleurs étendards d’une révolution du grand spectacle, Blade Runner de Ridley Scott (1982), L’Étoffe des héros de Philip Kaufman (1983), Il était une fois en Amérique de Sergio Leone (1984) ou L’Arme fatale de Richard Donner (1987), auquel les producteurs donneront trois suites. C’est justement le serial qui, depuis bientôt vingt ans, permet à la Warner de toujours se hisser dans les premières places du box-office planétaire : les épisodes de Matrix, Danny Ocean, et surtout Batman et Harry Potter, dont les opus battent des records, continuent d’écrire aujourd’hui la légende des studios aux initiales gravées en lettres d’or.
Warner Bros., 85 ans (1923-2008), coffret 85 DVD en édition collector limitée et numérotée
SHINE A LIGHT
LUMI è RE SUR LES STONES
En 1970, Martin Scorsese était assistant réalisateur et monteur sur le film Woodstock, 3 jours de musique et de paix, de Michael Wadleigh. De cette première expérience, il dira : « J’ai appris à organiser et contrôler une équipe de cameramen, mais nous n’avions pas de script. Nous ne savions pas à l’avance qui allait chanter quoi. C’était le chaos. » Près de vingt ans plus tard, l’ouverture de son « rockumentaire » Shine a Light nous fait croire que rien n’a changé : Martin Scorsese demande des caméras partout et un décor envahissant, au grand dam des Rolling Stones, qu’il fait jouer dans le petit Beacon Theater de New York, et Mick Jagger, ce grand monsieur, refuse sa set-list (encore incomplète) au cinéaste. En fait, la rock attitude est restée la même. Martin Scorsese, qui a toujours emprunté à l’œuvre des « Glimmer Twins » (le titre Gimme Shelter est la bande-son de Les Affranchis, Casino et Les Infiltrés), n’a d’ailleurs jamais abandonné l’idée de réaliser son rêve : filmer ses idoles. Trop tard ? Mick Jagger, Keith Richards et Charlie Watts tournent ensemble depuis 1962 – Ron Wood les a rejoints en 1974. Mais la prestation comme la prestance des sexagénaires gravent encore la pellicule et la légende, vivante, du rock : « J’ai simplement voulu restituer en sons et en images la formidable force dégagée sur scène par les Rolling Stones », assure Martin Scorsese. Shine a Light met en scène les origines du groupe, réunissant des guests (le vieux Buddy Guy, la vigueur de Jack White et Christina Aguilera) pour convoquer le blues en live, et rassemblant quelques vidéos d’archives et d’interviews comme prédestinées à ce docu-concert filmé. Sous l’œil du cinéaste admirateur, les Rolling Stones sont des artistes de chair et de sang, toujours sublimés par le temps qui passe. Justement parce qu’il n’a pas de prise sur des pierres qui roulent… Shine a Light, de Martin Scorsese (Wild Side Video)
Martin Scorsese a fini par réaliser, mieux qu’un film, son rêve : Shine a Light, Un documentaire sur les Rolling Stones. « La musique est pour moi aussi importante que le cinéma. Elle m’inspire constamment, elle imprègne mes images, mes mouvements d’appareil, mon montage. Je sais que, sans la musique, je serais perdu »...
Alors que Sex and The City - le film sort aujourd’hui en DVD dans des éditions dédiées à la mode, la tendance d’une suite est à la hausse. L’actrice-productrice Sarah Jessica Parker et le scénaristeréalisateur Michael Patrick King en travaillent déjà la matière...
SEX AND THE CITY
INDICAT E UR D E T E NDANC E
texte © Mickaël Pagano pour www.femmes.com
« Il est presque impossible de trouver une personne qui vous aimera pour vous », déclarait Carrie Bradshaw (Sarah Jessica Parker) dans l’un des 94 épisodes de la série Sex and the City. « J’ai été assez chanceuse pour en trouver trois. » Ou pratiquement deux millions (en France, tout du moins) puisque c’est le nombre de téléspectatrices admiratrices qui ont vu son adaptation passer 14 semaines sur le grand écran. Le temps d’une saison (de mode), et Sex and the City le film est de retour… D’une part, les éditions collector DVD et Blu-Ray du film sont aujourd’hui disponibles à la vente, avec des suppléments qui parlent bien peu boutique et s’adressent plutôt aux fashionistas. Ainsi le « Commentaire audio » du scénariste et réalisateur Michael Patrick King comme sa « Conversation intime » avec l’actrice Sarah Jessica Parker font-ils office de lèche-vitrine en observant plus les thèmes et les personnages, voire l’influence de Sex and the City dans le monde, qu’en analysant certaines séquences du film – seules « Les scènes coupées » répondent succinctement aux attentes d’un(e) cinéphile. Autre bonus sur mesure pour les fans : « La mode dans Sex and the City », où la styliste Patricia Field, dont le talent était déjà manifeste sur la série, ne dérobe rien du dressing du film ni des rapports que les protagonistes entretiennent avec leurs tenues. D’autre part, si les producteurs (Warner Bros., New Line) ont rapidement spéculé sur les quelque 350 millions de dollars amassés par la version cinéma, Sarah Jessica Parker elle-même vient de rendre officielle la suite de Sex and the City - le film. À la rumeur qui annonçait les premiers plans de ce second opus à l’été 2009, la comédienne a répliqué : « Cela me semble tout à fait raisonnable. Nous devrions débuter le tournage à ce moment-là afin de pouvoir être sur les écrans en 2010. Mais cela signifie que nous devons tout décider dans les deux mois à venir. »
Car l’agenda de l’égérie de la mode est celui d’une business woman. Celle qui recevait le Fashion Award Icon et le titre de la femme la plus riche de New York peu après la fin de la série a depuis donné son nom à une paire de Manolo Blahnik, développé une ligne de parfums pour Coty Prestige, commercialisé sa propre ligne de vêtements (Bitten), joué le premier rôle d’Esprit de famille, Playboy à saisir, Smart People et Spinning into Butter, qu’elle a aussi produit. Enfin, Sarah Jessica Parker finance et supervise l’écriture d’une nouvelle série, The Washingtonienne. Inévitablement, le pilote déjà en boîte a séduit HBO, la chaîne qui diffusait le show Sex and the City : adaptée du « blook » de Jessica Cutler, ex-stagiaire au Capitole connue pour avoir dévoilé ses frasques sexuelles dans les coulisses de la politique, The Washingtonienne met en scène un trio de femmes de pouvoir (Amanda Walsh, Rachel Taylor et Bitsie Tulloch). Exit la suite de Sex and the City - le film ? « J’aimerais continuer la franchise éternellement, mais est-ce vraiment ce que souhaite le public ? Nous [Sarah Jessica Parker et Michael Patrick King, nldr] pensons avoir la bonne histoire. Mais est-ce la bonne histoire ? Ce sont les questions que je dois me poser pour respecter la série. » Voilà donc la seule priorité de l’actrice-productrice : « respecter la série » et le rôle qui l’ont faite star. « Il n’y aura pas de récit de maternité : ce n’est pas un choix que ferait Carrie. » Autant de déclarations qui donnent naissance à d’autres révélations et clameurs sur Internet : selon Michael Patrick King, l’un des personnages principaux de Sex and the City 2 mourra – une rumeur qui agitait les téléspectatrices en 2007 puisqu’elle touchait déjà le premier volet… Aguicheur, vous avez dit ? Sex and the City - le film, de Michael Patrick King (Metropolitan FilmExport) Sortie en DVD édition simple, édition collector 2 DVD, et Blu-Ray le 03 décembre 2008
LOVE STREAMS
NOUV E LL E S VAGU E S
texte © Mickaël Pagano pour b. story
« J’aime le cinéma ! » Cette TENDRE déclaration d’agnès b., reproduite sur un tee-shirt et souvent inscrite à même les murs de ses boutiques, a pris une nouvelle dimension en 1997. Il y a huit ans, la styliste créait sa propre société de production FILMIQUE : Love Streams. « à force d’aider des films à se finir, d’intervenir de différentes manières sans être vraiment impliquée, j’ai décidé finalement d’affirmer d’une autre manière un vrai amour pour le cinéma. » Parce qu’elle était régulièrement sollicitée par le Septième Art, qu’autour d’elle nombre d’amis vidéastes et cinéastes lui soumettaient d’autres plans, Agnès B. a créé en 1997 une société de production de films. Avec l’accord de Gena Rowlands – qui lui cède là le titre du plus grand succès public de son défunt mari, le réalisateur John Cassavetes –, Agnès choisit de l’appeler Love Streams : « car le cinéma exige sans doute beaucoup d’amour... Un hommage à John Cassavetes, à sa vision de la vie, des êtres et du cinéma. » Mais la mécène ne se projette pas immédiatement comme productrice. « Il y a de belles histoires aux sources de Love Streams, se souvient Nadja Romain, coresponsable de la société, dans un habile flash-back. Celle de Trouble every day, notamment. Claire Denis et Agnès s’appréciaient mutuellement, sans vraiment se connaître. Et puis la réalisatrice a demandé de l’aide à Agnès pour achever son tournage. Le film a pu exister grâce à son assistance à la dernière minute. Mais ça ne se passe plus du tout comme ça.» Désormais, Agnès est présente dès l’origine des projets (fictions, films d’artistes, aide à la distribution ou à la restauration de certains chefsd’oeuvre) auxquels elle participe, voire à leur initiative. « Là encore, tout est une histoire de rencontre. Les choses se font de manière très intuitive. Agnès est capable de sentir
instantanément l’intérêt d’un projet et de se lancer dedans corps et âme – quand tant d’autres prennent six mois de réflexion et de calculs ! » Aujourd’hui, Love Streams présente un catalogue organisé autour d’axes de travail précis « qui répondent aux goûts d’Agnès et à son histoire personnelle avec le cinéma ». La société a donc pris un billet pour une pérenne séance de cinéma indépendant et voit d’un bon œil les différents cadres où agnès b. se met en scène : le prêt de vêtements à des costumiers et des acteurs (Pulp Fiction de Quentin Tarantino, Mulholland Drive de David Lynch), et, récemment, la création d’une collection de DVD intitulée « j’aime le cinéma ! » éditée par Cinémalta (dont la styliste est, à titre personnel cette fois, la co-fondatrice avec Bertrand Maltaverne et Gilles Boulenger), celle-ci fut même inaugurée avec la sortie de l’œuvre fétiche d’Agnès, Love Streams. « J’espère y voir figurer un jour certains titres auxquels Agnès est attachée, comme La Charge de la brigade légère de Tony Richardson et autres films de Ken Russel ou W. C. Fields… Mais il est si difficile d’obtenir les droits d’exploitation de la part des majors ! » ajoute Nadja qui veille aussi au bon développement de la collection. Les synopsis, scénarios et story-board qui encombraient les bureaux de Love Streams ont depuis peu laissé place aux montages puis aux visionnages dans les salles obscures. Ces huit premières années auront permis à la société d’écrire les premières scènes de sa propre histoire d’amour pour le cinéma, faite de rencontres et d’amitiés. « Dans tout ce qu’elle entreprend, et particulièrement dans les domaines artistiques, Agnès fonctionne toujours au coup de cœur. Mais j’aime ce qu’elle défend, et c’est tout à fait passionnant de travailler avec elle dans ses envies. » à la conclusion de Nadja, l’on pourrait prêter à John Cassavetes une éventuelle réponse et authentique citation : « Faire des films, c’est en fait du plaisir à l’état pur. Il faut s’amuser et être dégagé... Aimer son travail, et le faire en compagnie de gens formidables. C’est ça qui me garde en vie. »
étienne chatiliez
LA FORC E F é ROC E
texte © Mickaël Pagano pour www.femmes.com
Le très attendu Agathe Cléry, avec Valérie Lemercier, est enfin sur nos écrans. Le nouveau film d’Étienne Chatiliez laissera-til, comme les précédents, plus qu’un bon souvenir ? Saura-t-il, une fois encore, prendre sa place dans notre quotidien ? « La vie est un long fleuve tranquille », annonçait-il noir sur blanc dans toute la France, il y a déjà vingt ans. À l’époque, Étienne Chatiliez, ex-concepteur-rédacteur pour l’agence de communication CLM/BBDO, est un jeune réalisateur et scénariste de spots publicitaires. Ses mini comédies musicales filmées pour éram (« Il faudrait être fou » pour les avoir oubliées), qui évoluent toujours vers la comédie de mœurs, sont dans l’air du temps et démontrent que leur auteur ne manque pas de souffle. Grâce au triomphe de son premier long métrage, Étienne Chatiliez a même le vent en poupe : La vie est un long fleuve tranquille est récompensé par plus de quatre millions de spectateurs et quatre Césars dont un pour le Meilleur Scénario. Car c’est bien l’écriture du cinéaste qui marque les mémoires. Mieux que des scènes et des répliques cultes (« Lundi, c’est raviolis » et « Jésus, reviens »), c’est le style d’Étienne Chatiliez que le public et la critique retiennent dès son premier coup d’essai et de maître au cinéma. Dans La vie est un long fleuve tranquille, sa griffe égratigne deux visages de la France : avec les portraits des familles Le Quesnoy (riches bourgeois, pieux et proprets) et Groseille (pauvres bougres, vicieux et « crapets »), il confronte deux mondes distincts – ceux de son enfance, passée dans le Nord –, mais sur un pied d’égalité. Le fond de son œuvre est donné. Le ton aussi : il sera comique, caustique, critique. Depuis, Étienne Chatiliez n’a cessé d’y mettre les formes.
En 1990, Tatie Danielle pointait du doigt le conflit des générations mais aussi – parce que le conte moderne dégénère toujours avec le cinéaste – la méchanceté d’une personne âgée, tandis que Tanguy, en 2001, ne prenait plus en main l’éducation d’un enfant devenu adulte et vivant toujours chez ses parents. En 1995, Le bonheur est dans le pré ouvrait une fois encore les barrières sociales et culturelles de milieux « ennemis », citadin et rural, tout comme La confiance règne, en 2004, n’entendait pas clore le bec à la lutte des classes gouvernante et laborieuse. Étienne Chatiliez a néanmoins fini par s’essouffler : ce dernier film a manqué de spectateurs – 500 000 environ – et, somme toute, d’originalité, pour devenir un succès. Et pourtant, est-ce bien ce que l’on demande à un cinéaste du cliché et de la satire ? Car Étienne Chatiliez, en bon publicitaire qu’il a été, n’a jamais cessé d’entretenir son œuvre des bonnes et mauvaises habitudes de vie d’une société que nous composons. Grossissant leurs traits de caractère grâce à la caricature, les faits divers deviennent un phénomène de l’actualité. Et ses/nos lieux communs (un trentenaire resté au domicile parental) sont aujourd’hui des noms communs (un Tanguy). La véritable réussite d’Étienne Chatiliez ? Le retentissement de son œuvre sur toute la société. Agathe Cléry, d’étienne Chatiliez (Pathé Distribution) Sortie en salles le 03 décembre 2008
NICOLE KIDMAN
PRO J E TS D ’ AV E NIR
texte © Mickaël Pagano pour www.femmes.com
Après Moulin Rouge !, Nicole Kidman retrouve le réalisateur Baz Luhrmann pour le film Australia. Entre événement les deux, quatorze autres longs métrages, un Oscar et la naissance de sa petite fille. Et seulement sept ans de réflexion. Nouvellement maman, l’actrice et productrice n’envisage pourtant pas un instant d’interrompre sa carrière et continue de s’associer à des dizaines de scénarios… À chacune de ses nouvelles apparitions sur grand écran, ses pairs l’imaginent déjà dans la peau d’un autre personnage de leur création. Producteurs et cinéastes ont envisagé Nicole Kidman en jeune Anglaise amoureuse d’un officier soudanais engagé dans la guerre civile (Emma’s War, de Tony Scott), en femme de pêcheur australienne tiraillée entre son mari et son amant (Dirt Music, de Phillip Noyce), en mère de la banlieue chic de New York confrontée à la mort accidentelle de sa fille (Rabbit Hole, de David Lindsay-Abaire) ou en directrice d’une agence de call-girls de luxe à Hollywood (Pay the Girl, de Betty Thomas). Autant de rôles que seule la rumeur attribue à l’actrice depuis le début des années 2000. Autant de films seulement projetés et qui attendent toujours leur mise en œuvre, aussi... Alors, pour calmer les esprits, Nicole communique officiellement ses intentions : elle ne figurera pas dans l’empire des sens dramatique de Wong Kar-Wai, The Lady from Shanghai. Et pour faire taire d’autres bruits, elle a parfois dû crier la vérité. En révélant qu’elle était
enceinte, la comédienne cessait de prêter ses traits à cette Allemande qui éveille un jeune étudiant en droit aux plaisirs de la chair à la veille de la Seconde Guerre mondiale, et le retrouve quelques années plus tard à son procès, tandis qu’elle est accusée de crimes nazis. Et si Nicole quittait précipitamment l’adaptation du best-seller de Bernhard Schlink, Le Liseur, par Stephen Daldry, le réalisateur qui l’avait dirigée dans The Hours et menée à l’Oscar en 2003, elle avait une bonne raison de le faire. À bon entendeur... Néanmoins, d’autres ouï-dire grossissent sans elle et s’accomplissent peu à peu en pré-production. Nicole Kidman devrait donc incarner une femme enfermée dans un somptueux appartement et sa sombre paranoïa, en proie à des fantômes, dans le remake du film d’horreur colombien à succès Al final del espectro, de Juan Felipe Orozco. Avec l’épopée fantastique de Simon Kinberg, The Eighth Wonder, elle pourrait interpréter une intrépide aventurière en quête d’une découverte archéologique à travers le monde. Le biopic d’une icône de la pop des sixties, Dusty Springfield, est d’ores et déjà destiné à l’actrice : le scénariste de The Hours, Michael Cunningham, lui réservait l’histoire vraie de la chanteuse britannique – son succès international en 1969, puis son exil aux États-Unis et sa déchéance en raison de ses tendances bisexuelles et de ses abus d’alcool et de drogues. Mais pour le moment, la filmographie de Nicole ne s’est assurément enrichie que de cinq projets. Nine est le plus avancé d’entre eux puisque le tournage a débuté récemment. À l’instar de son Chicago (2003),
« JE NE REGRETTE RIEN. JAMAIS. »
Rob Marshall s’approprie une comédie musicale, elle-même empruntée à l’autobiographique 8 ½ de Federico Fellini (1963). En pleine crise existentielle pendant l’élaboration de son prochain film, le metteur en scène Guido Contini (Daniel Day-Lewis) se réfugie dans ses fantasmes, auprès des femmes qui l’obsèdent : son épouse (Marion Cotillard), sa maîtresse (Penélope Cruz), sa défunte mère (Sophia Loren), sa costumière et confidente (Judi Dench), une journaliste de mode (Kate Hudson), une prostituée (Stacy « Fergie » Ferguson) et sa muse (Nicole Kidman). Le cinéaste Anand Tucker, lui, s’est inspiré du réel, plus précisément de la vie du premier homme qui a eu recours à la chirurgie pour changer de sexe : dans The Danish Girl, Nicole sera
Einar Wegener/Lili Elbe, marié(e) à l’artiste peintre Greta Wegener (Charlize Theron) et mort(e) des suites d’une ultime intervention. Le créateur de Nip/Tuck partagera son temps et ses caméras entre sa série télé et Need, un thriller dans lequel une psychiatre (Naomi Watts, la meilleure amie de Nicole Kidman) découvre que son époux la trompe avec l’une de ses patientes suicidaires (Nicole Kidman). Les derniers espoirs de l’actrice reposent dans son empressement à vouloir monter et participer à Monte-Carlo et la reprise de Comment épouser un millionnaire. Soit deux comédies romantiques, chacune à trois têtes, puisque le premier, bientôt réalisé par Thomas Bezucha, décrira les vacances d’un trio d’institutrices qui redécouvrent le désir de plaire en déclinant l’identité d’une femme riche, et que le célèbre film de Jean Negulesco (1953) faisait le
« Je dois avouer que je ne suis plus intéressée par l’idée de faire d’autres films. J’ai toujours du sang d’artiste dans les veines qui aura besoin de s’exprimer d’une façon ou d’une autre mais je n’ai plus le désir brûlant de le faire comme avant. »
portrait de trois intéressées (Marilyn Monroe, Lauren Bacall et Betty Grable) finalement prêtes à tout pour être entretenues par un riche époux. L’abondance de ses desseins n’affecte ni le talent ni le présent de Nicole Kidman. La comédienne est actuellement en pleine promotion d’Australia, la magnifique fresque de Baz Luhrmann. N’est-ce pas d’ailleurs ce même réalisateur qui, après Moulin Rouge !, annonçait son ambition de porter à l’écran l’histoire d’Alexandre Le Grand, avec Leonardo DiCaprio et… Nicole Kidman dans les rôles principaux ? La rumeur court toujours… Australia, de Baz Luhrmann (20th Century Fox) Sortie en salles le 24 décembre 2008
DREAM OF LIFE
PATTI SMITH INTIME
texte © Mickaël Pagano pour www.femmes.com
« Chaque individu a plusieurs facettes, raconte le cinéaste. Je sais que je ne suis pas seulement un photographe de mode. Et Patti Smith n’est certainement pas qu’une icône du rock. Elle est bien davantage. Pour moi, ce film traite de la découverte de son identité. » Steven Sebring a rencontré l’artiste en 1995, au cours d’une séance photo pour le magazine Spin et, obtenant de filmer ses concerts, a finalement réalisé, onze ans plus tard, son portrait le plus intime. L’histoire du documentaire Dream of Life commence donc avec une figure engagée du rock féminin qui, pour faire face à une vie de famille récemment assombrie par les décès de son mari (l’ex-guitariste de MC5, Fred « Sonic » Smith), de son frère et de son pianiste, remontait alors dans les lumières de la scène après quinze ans d’absence – et un seul album, Dream of Life (1988). Elle se déroule avec les images et la voix unique, obsédante, d’une personnalité marquante, aux talents multiples. Steven Sebring nous introduit dans l’univers de la chanteuse, récitante, poétesse, également peintre et photographe, mais aussi mère et militante. À travers elle et ses amis – qu’elle évoque ou qui l’évoquent, de Bob Dylan, William Burroughs et Alan Ginsberg à Philip Glass, Michael Stipe (REM) et Flea –, le documentaire décrit plusieurs décennies de la culture américaine, souvent underground pour l’« héroïne populaire » du réalisateur. Ce conte moderne s’achève sur la sélection officielle de Dream of Life pour les festivals du film de Berlin et de Sundance en 2007, tandis que Patti Smith entre au Rock and Roll Hall of Fame. Et la sortie du film en DVD cet hiver est un point d’orgue à une année pendant laquelle l’icône a poursuivi l’œuvre de Steven Sebring – en 2008, Patti Smith dévoilait quarante ans de sa vie : son art avec l’exposition « Land 250 » à la Fondation Cartier, et sa plus grande inspiration, Robert Mapplethorpe, avec le double album live The Coral Sea. Dream of Life, de Steven Sebring (Medici Arts)
« J’espère que ce film incitera les gens à s’intéresser plus à ce qui les entoure ou à se nourrir l’esprit avec des livres, de la musique, de la culture, de l’art, de l’histoire... Je voudrais que Dream of Life donne envie aux gens de faire quelque chose de leur vie. » Steven Sebring, Réalisateur Du premier documentaire SUR PATTI SMITH.
PATRICE CHéREAU
texte © Mickaël Pagano pour b. story
CORPS E T â M E
La Dispute. Le premier grand succès de Patrice Chéreau est celui d’un metteur en scène de théâtre qui ose ainsi décrire la pièce qu’il monte : « Marivaux ouvre la porte et Sade entre. » L’artiste marque alors son œuvre des thèmes qui l’habiteront toujours : le couple (deux êtres animés, unis par la volonté, le sentiment ou toute autre cause qui les rend aptes à agir ensemble) et le tourment (violente douleur physique ou morale). Trente ans plus tard, c’est l’homme de cinéma qui découvre non sans une certaine émotion Le Retour de Joseph Conrad : « J’ai été bouleversé. par la description de cet homme perdu, par sa disparition finale, par l’énigme de cette femme, par le peu qu’elle disait, par son retour, par sa force indestructible, par une phrase enfin : “Si j’avais cru que vous m’aimiez, jamais je ne serais revenue.” » La nouvelle lui offre Gabrielle, sa dernière production.
Votre nom est associé au cinéma en tant que réalisateur, scénariste ou même acteur, mais aussi au théâtre et à l’opéra… Que dire des interactions existant entre ces différentes formes d’art ? On ne parle d’interactions que si une même personne fait les trois. Ce qui n’est pas fréquent ; mais c’est mon cas. Il n’y a pas énormément de metteurs en scène qui font cela. D’une certaine façon, le théâtre est comme ma langue maternelle, et je suis devenu bilingue avec
le cinéma. L’opéra, par moments – et seulement par moments, parce qu’il s’agit en fait d’un art ingrat –, m’a appris à travailler sur la musique. Dans la mesure où j’ai donc cette connaissance, cette pratique musicale, alors cela m’aide quelquefois pour faire un film. Ces interactions influent-elles sur votre travail ? Je ne sais pas, parce que j’ai souvent l’impression de faire exactement le même métier, que je fasse du théâtre ou du cinéma. C’est le cas, par exemple, dans la direction d’acteurs. Je pense diriger les acteurs exactement de la même façon au théâtre et au cinéma : je leur demande le même type de choses. Évidemment, de leur côté, eux ne doivent pas jouer de la même façon, n’utilisent certainement pas les mêmes outils. Mais pour moi, cela reste, d’une certaine manière, le même métier. Seriez-vous à la recherche d’une sorte de média ou médium qui réunirait tous ces arts auxquels vous appartenez ? Non, non… Disons que ça correspond plutôt à différentes périodes de ma vie. J’ai démarré au théâtre à 19 ans ; puis j’ai eu envie de faire de l’opéra – j’avais alors 26 ans. Et l’opéra étant en soi une activité que l’on ne peut pousser aussi loin que le théâtre, j’ai finalement eu envie d’autre chose : j’ai donc fait mon premier film à 29 ans. En fait, quand on regarde ça de loin, tout est très groupé ! Et maintenant, j’ai plus envie de faire des films, seulement parce que je me sens plus libre au cinéma, c’est tout. Gabrielle est un film sur le couple, sur le manque de communication qui est à l’origine de sa destruction. Est-ce pour souligner cette absence de communication que vous avez choisi d’exploiter autant toutes les formes de langages (monologues et dialogues, interruptions et silences, ou encore écrits et musique) ? C’est plus simple : j’ai eu envie d’un film stylisé. J’ai eu envie d’un film qui aurait un style plus fort que les précédents, plus affirmé, visuellement. Donc, j’ai voulu du noir et blanc, et, par moments, d’écrire des titres. J’ai eu envie de ne pas être soumis au diktat du naturel, mais plutôt de chercher une vérité, et en même temps la styliser. Voilà. Aviez-vous déjà toutes ces idées de mise en scène à la lecture de la nouvelle de Joseph Conrad ? Oui, ou en tout cas peu de temps après. En relisant Le Retour, j’ai simplement essayé de me dire : « Comment vais-je raconter cette histoire ? » Et j’ai eu envie du noir et blanc, mais aussi de la couleur ; j’ai eu envie du mélange
des deux... Pour mieux raconter l’histoire, pour que, simplement, le monde de cet homme soit très visible dès le début et qu’on voit physiquement se fracasser ce monde. Vous signez là une véritable adaptation, d’autant plus que le personnage principal de Joseph Conrad était Jean, et non Gabrielle… Ce n’est pas tout à fait exact : Gabrielle était dans la nouvelle, mais elle ne parlait pas. C’était une femme totalement énigmatique et silencieuse… Et j’avais envie de savoir, de comprendre ce qu’elle pensait. J’ai voulu lui donner autant d’importance que son mari. Aujourd’hui, on ne peut plus faire un film avec une femme qui soit simplement une présence muette : il fallait vraiment que Gabrielle parle autant que Jean, qu’il y ait une égalité absolue pour les deux personnages. Certaines séquences de Gabrielle s’attardent justement sur les visages, les expressions, la gestuelle, comme pour sonder l’âme du personnage... Si la caméra s’attarde sur les visages, c’est parce qu’on essaye de comprendre, de déchiffrer les comportements. C’est une chose que le cinéma permet contrairement à tous les autres arts. Mais puisque la caméra le fait dans tous les films au monde, je ne me sens pas différent des autres réalisateurs... Vous accordez néanmoins beaucoup d’importance au corps – que vous magnifiez ou torturez –, mais aussi à la mise en valeur voire la personnification des décors, des couleurs et de la lumière. Il semble que vous donnez toujours une dimension picturale à vos films… C’est sans y faire attention, vraiment… Bien sûr, tous mes choix sont volontaires. Mais je ne pense pas : « Je veux, en voyant deux images de mon film, que les gens disent que c’est de moi, qu’on me reconnaisse ». Ce n’est pas ma préoccupation. La nouvelle de Conrad s’intitule Le Retour. Comment interprétez-vous cette action de Gabrielle ? C’est ce qu’elle a fait, ce qu’elle assume et ce qu’elle a décidé… Le fait de partir et de revenir, ce n’est pas un geste qu’elle fera plusieurs fois : elle ne recommencera pas. Alors, elle le fait sur un coup de tête, j’imagine. Mais en même temps, elle découvre, probablement de façon très désagréable, qu’elle n’était pas capable d’aller au bout de son geste. Et c’est pourtant quelque chose qu’elle assume… Ce n’est ni par conventions ni par cruauté, comme certains le pensent : elle n’a juste pas été au bout de cet acte, n’a pas suivi cet homme qui
l’attendait, n’est pas partie définitivement avec lui. Elle s’est sentie trop faible, pas à la hauteur, et elle revient chez elle. L’interprétation d’Isabelle Huppert a été récompensé à la Mostra de Venise. Vous-même êtes régulièrement salué par vos pairs. Néanmoins, vous trouvez quelques difficultés à produire vos films… Tout le monde a des difficultés. Le monde de la production du cinéma français est pavé de gens qui ne peuvent pas monter leurs projets ! C’est dur de monter un film : on a des projets, on ne trouve pas l’argent pour les réaliser, alors on en fait d’autres, jusqu’au moment où, finalement, on finit par tourner un film... Mais je n’ai pas eu de réelles difficultés à monter Gabrielle. Beaucoup plus pour financer des projets plus chers que celui-là, ça oui…
d’avoir participé à Gabrielle. Pas simplement d’avoir produit un film, mais ce film-là, cette histoire-là. Je pense qu’Agnès comprend très bien cette histoire. Et peut-être ne me suivra-t-elle pas sur mon prochain film ? Il faut absolument toujours que l’on soit libre de dire oui ou non à des projets. Et quels sont les vôtres, justement ? Je n’ai pas de projet pour l’instant… Si, me reposer ! Depuis un mois que je donne des interviews toute la journée ! Une promotion, c’est effrayant ! Hier [jour de la sortie en salles de Gabrielle, ndlr], par exemple, j’ai commencé à 08h du matin, fait deux télévisions et sept radios, pour terminer par un débat avec le public à 22h. Et voilà quinze jours que ça dure ! Et juste avant, j’ai
« POUR GABRIELLE, J’ai eu envie d’un film qui aurait un style plus fort que les précédents, plus affirmé, visuellement. »
à l’instar de Son frère (2003) et, précédemment, de la captation de la pièce de théâtre Phèdre (2002), Gabrielle est coproduit par Love Streams, la société de production cinématographique d’agnès b. Imaginez-vous que je ne sais plus quand j’ai rencontré Agnès pour la première fois... Je sais simplement qu’elle m’a aidé, plusieurs fois, ponctuellement, dans le passé : en imprimant une affiche, en sponsorisant certains spectacles que je mettais en scène, etc. Jusqu’au moment où, finalement, je l’ai rencontrée. Et je pense qu’un lien d’amitié s’est créé. Par la suite, je lui ai proposé de produire Son frère. C’était notre première collaboration, et cela s’est très bien passé. Agnès est une personne magnifique et, avec Love Streams, une partenaire fidèle un peu en marge de la production. C’est ça qui est beau : elle vient d’ailleurs. Elle a donc une pensée plus riche et plus totale. Et puisque ça s’est formidablement bien passé avec Son frère, on a continué ! Je suis très heureux de cette fidélité… Très fier, aussi. à quoi rattachez-vous cette fidélité : à des affinités artistiques ou à de véritables coups de cœur ? Je l’associe à l’accord qu’il y a entre nous dans les projets que je lui propose. Je pense qu’elle est très heureuse
eu le Cosí fan tutte [opéra bouffe de Wolfgang Amadeus Mozart mis en scène par Patrice Chéreau au festival d’Aixen-Provence puis au Palais Garnier, ndlr] ! J’ai déjà fait la promotion de Gabrielle dans sept villes de province, plus Bruxelles, et dois aller à New York dès la semaine prochaine… Je voudrais dormir !
Gabrielle, de Patrice Chéreau (Mars Distribution) Sortie le 28 septembre 2005
Jan Švankmajer
Le s y e u x grands fermés
texte © Mickaël Pagano pour www.femmes.com
2008 aurait pu être l’année Jan Švankmajer. MaIS, ce cinéaste et « militant surréaliste », comme il aime à s’identifier lui-même, a rarement été mis dans la lumière. Avec la projection de ses courts métrages PAR une nuit d’octobre, il SERA BIENTÔT POSSIBLE DE réparer cet oubli.
Pourtant cité en exemple par sa famille de cœur et de travail, le créateur tchèque célébrera peut-être ses plus grandes gloires dans l’anonymat : il y a cinquante ans, il sortait diplômé de la Faculté du théâtre (département des marionnettes) après avoir étudié à l’Académie des Beaux Arts ; voilà vingt-cinq ans, il recevait le Grand Prix du festival d’Annecy pour son court métrage Les Possibilités du dialogue ; Alice, enfin, son premier long (et certainement la plus connue de ses œuvres), était applaudi il y a tout juste vingt ans dans les salles obscures. Jan Švankmajer (1934, Prague) ressemble très tôt à l’artiste tel qu’il est décrit par les deux premières définitions raisonnées du dictionnaire. Il est d’abord celui « qui se voue à l’expression du beau, pratique l’art » tandis qu’il assimile et désapprend, entre 1950 et 1958, dans les meilleures écoles du pays. Il est aussi celui « qui pratique un métier, une technique difficile » quand le collage, le dessin, le graphisme, la gravure, la sculpture et la peinture servent l’apprenti(-sorcier)-cinéaste de 1964 – année de son premier court métrage, Le Dernier trucage de M. Schwarzwald et de M. Edgar. Mais, encore aujourd’hui, Jan Švankmajer ne s’estime pas réalisateur de films d’animation, et laisse même sa
carrière s’estomper dans les mémoires les plus fragiles. Du média cinéma, il ne veut retenir – à la fois conserver et contenir – que la possibilité de créer autrement que celui-ci donne au plasticien : en faisant intervenir de nombreux autres procédés – arts et artifices. Cependant, dès le milieu des années 1960, Jan Švankmajer œuvre sur le court métrage comme nul autre. L’illuminé explore les codes et les styles du cinéma d’animation (en volume), repousse et dépasse toujours les limites
du genre, explose finalement la ligne qui le sépare du cinéma de prises de vues réelles. D’autres ont échoué là où Jan Švankmajer est passé maître. Walt Disney, notamment, qu’on ne présente plus sauf pour relever ici quelque commun caractère avec son homologue slave. Car bien avant d’imaginer le personnage de Mickey Mouse, l’Américain mit en boîte plusieurs petits programmes sur le même principe, combinant animation et « réalité » pour fixer un conte sur la pellicule : Alice’s Wonderland, adaptation du roman de Lewis Carroll, est d’ailleurs le dernier courtmétrage produit par Laugh-O-Grams, Inc., la première société de Walt Disney, qui fit faillite juste après. L’œuvre de Jan Švankmajer est ludique : elle évoque souvent l’enfance et convoque le sens tactile du spectateur. Mais de ses doigts agiles, le magicien fouille aussi les recoins de l’inconscient à la recherche d’un possible malaise : « Dans les vieux grimoires des sorcières, on disait que pour chasser un démon ou un monstre, il fallait trouver son nom. C’est la méthode que j’utilise pour chasser mes angoisses et mes peurs : je les nomme dans mes
« Disney + Buñuel = Švankmajer » Milos Forman
films. » Jan Švankmajer se joue ainsi des frayeurs de chacun, de sa capacité à imaginer le pire dès lors qu’il ne maîtrise pas ce qui l’entoure. Utilisant complètement le seul langage cinématographique (images et sons), ses films abordent la question d’un homme en lutte avec l’absurdité du monde environnant, dont il est pris au piège – un discours qui se fait parfois l’écho d’une analyse politique ou sociale, immédiatement censurée par le régime communiste tchécoslovaque jusqu’à la fin des années 1980. Ils débordent également d’images surréalistes : les objets prennent vie mais leur fonction initiale est détournée ; les corps humains renvoient à leur propre animalité parce qu’ils sont morcelés, plus organiques que jamais… Comme l’ordonne Alice au début du film du même nom : « Fermez les yeux, sinon vous ne verrez rien » ni des songes ni des inventions de Jan Švankmajer. Ce génial metteur en scène de choses et d’histoires extraordinaires, cet animateur méconnu mais hors pair qui éveille parmi les plus grands de ses contemporains – Terry Gilliam (Brazil), Tim Burton (L’Étrange Noël de M. Jack), Darren Aronofsky (Requiem for a Dream)… Nuit Švankmajer, le 18 octobre 2008 à 20h, au Salon des Arts (Paris)
CHANEL
à la mode Katharine Hepburn puis Danielle Darrieux l’avaient incarnée peu de temps avant sa disparition dans la comédie musicale Coco. L’année prochaine, Mademoiselle Chanel va revivre sur tous les écrans et sous les traits de Shirley MacLaine, Anna Mouglalis et Audrey Tautou. Zoom sur un sujet de biopic très à la mode.
depuis renommée Chanel & Stravinsky, l’histoire secrète, sera signée par Jan Kounen (99 francs) et interprétée par Anna Mouglalis (Les Amants du Flore) et Mads Mikkelsen (Casino Royale). L’égérie de Karl Lagerfeld – elle fut l’ambassadrice du parfum Allure de Chanel en 2003 – est actuellement sur les plateaux du film, principalement au Théâtre des Champs-Élysées, où, le 29 mai 1913, Igor Stravinsky présenta Le Sacre du Printemps devant une foule fâchée et une Coco captivée. Sept ans plus tard, suite à la Révolution russe, le compositeur se réfugia à Paris et fit la connaissance de son admiratrice, qui l’accueillit avec femme et enfants avant de se blottir à l’insu des siens dans ses bras. La liaison, la passion entre les deux créateurs est, selon Claudie Ossard, « un flash, un regard sur un moment de la vie de Chanel ».
texte © Mickaël Pagano pour www.femmes.com
La scénariste et cinéaste Danièle Thompson confiait récemment à l’un de nos journalistes qu’en comptant la commande qui lui avait été faite, « quatre projets étaient en écriture : le film d’Anne Fontaine, celui de William Friedkin et un téléfilm avec Shirley MacLaine. » La réalisatrice avait finalement renoncé à cette intention trop commune de porter la vie de Gabrielle Chanel à l’écran. Danièle Thompson avait alors achevé le tournage de son prochain métrage : Le code a changé, au générique duquel figure Marina Hands. La jeune comédienne (César 2007 de la meilleure actrice), jusqu’au printemps dernier, était elle-même impliquée dans les futurs plans de William Friedkin, engagée au casting de Coco & Igor. Mais en avril, le réalisateur américain (L’Exorciste, French Connection) a finalement annoncé son retrait, au regret de s’entendre financièrement avec les producteurs du film. L’adaptation du roman de Chris Greenhalgh,
Si la productrice du Fabuleux destin d’Amélie Poulain et d’Un long dimanche de fiançailles se félicite également de voir Jean-Pierre Jeunet et sa muse une troisième fois réunis afin de mettre en boîte le prochain film publicitaire de Chanel N°5, Claudie Ossard appréhende certainement le choix d’Audrey Tautou dans le rôle principal de Coco avant Chanel d’Anne Fontaine. Coproduit par Haut et Court (Entre Les Murs, Palme d’Or à Cannes 2008) et librement adapté du roman d’Edmonde Charles-Roux, L’Irrégulière, cet autre biopic consacre les années de formation de la grande couturière, qui inventera la femme moderne après l’avoir incarnée. « Toute femme qui veut s’inventer un destin peut se reconnaître dans les premières années de Coco Chanel, jeune fille sans éducation, qui rêve d’intégration tout en exacerbant ses différences et ignorant ce que sera son extraordinaire destin. C’est ce qui fait toute la modernité de ce film et la raison pour laquelle je n’ai pas hésité une seule seconde quand le rôle m’a été proposé », relate l’actrice, bientôt rejointe au casting par Benoît Poelvoorde, Emmanuelle Devos et Marie Gillain. La distribution de Coco Chanel, de Christian Duguay, rassemble notamment Olivier Sitruk, Marine Delterme, Sagamore Stévenin, Cécile Cassel, Jean-Claude Dreyfus, Anny Duperey et Malcom McDowell autour de Barbora Bobulova (34 ans) et Shirley MacLaine (74 ans), qui interprètent la styliste à différentes périodes. Car à l’inverse des longs métrages, cette mini série en deux parties et plusieurs flashs-back, couvre la vie de « Mademoiselle » : de sa pauvre enfance passée dans un orphelinat jusqu’au renouveau, après-guerre, de son empire du luxe, rue Cambon. La suite de son histoire fut jouée à Broadway en 1969. À l’époque, Katharine Hepburn (62 ans) est Coco dans la comédie musicale du même nom, créée par Alan Jay Lerner et André Previn. Selon la vraie Chanel – dont la
formule : « Personne n’est jeune après quarante ans mais on peut être irrésistible à tout âge » est restée célèbre –, la star la plus récompensée aux Oscar est alors « trop vieille » pour jouer son personnage. Pourtant, quelques années plus tôt, c’est ce même rôle que la fille de l’actrice, la jeune Audrey Hepburn, prédisait déjà à sa grande amie Shirley MacLaine… Coco Chanel, de Christian Duguay Diffusion les 29 et 30 décembre 2008 sur France 2 Coco avant Chanel, d’Anne Fontaine (Warner Bros.) Sortie en salles le 22 avril 2009 Chanel & Stravinsky, de Jan Kounen (Wild Bunch Distribution) Sortie en salles non programmée
ALINE BONETTO
FABUL E UX D E STIN
texte © Mickaël Pagano pour Versailles madame
Par sa poésie, le dernier film de Jean-Pierre Jeunet aura marqué tous les esprits. L’un d’eux plus particulièrement, puisqu’il a imaginé tous les décors de cette émouvante ode aux « petits bonheurs ». AlIne bonetto, la chef décoratrice d’amélie poulain, revient sur l’histoire merveilleuse de ses souvenirs… Amélie... a connu un grand succès à travers le monde, s’auréolant d’une myriade de prix internationaux. En France, le film a reçu quatre César, dont un qui couronnait votre talent… Je suis très heureuse d’avoir reçu ce prix. Je le considère un peu comme une récompense intime, celle que la grande famille du cinéma français m’aurait donnée. Mais c’est aussi important pour moi d’avoir reçu son équivalent anglais, le BAFTA (British Academy of Film and Television Arts) : le « prestige » est tout autre, puisque j’étais là-bas en concurrence avec des grosses machines comme Harry Potter, Le Seigneur des anneaux, Moulin Rouge et Gosford Park… La surprise a été totale lorsque mon nom a été cité : je n’avais rien préparé ! Quant aux Oscars, si je suis revenue sans la fameuse statuette, j’ai eu l’immense privilège d’avoir tout de même été nominée par mes pairs américains… Votre passion de la décoration vous a-t-elle tôt promis un si fabuleux destin dans le cinéma ? Je n’ai pas eu un parcours académique : je vais où mes pas me guident… J’ai arrêté mes études très tôt et suis partie voyager à 18 ans en Afrique, en Asie. Là-bas, je me suis nourrie d’images, de couleurs, d’influences diverses, de rencontres avec d’autres cultures et d’autres gens. Mon arrivée dans le cinéma est le fruit d’une rencontre : alors que je travaillais sur le clip de Dario Moreno [Oh mon bateau, ndlr] pour lequel j’avais fabriqué un culbuto géant, j’ai rencontré un
chef décorateur qui m’a demandé si je voulais devenir son assistante. J’ai dit oui sans trop savoir où cela me mènerait ! Après trois ans dans la pub, j’ai travaillé sur Delicatessen. C’était, pour moi comme pour 80 % de l’équipe – dont les deux réalisateurs, Caro et Jeunet –, une première expérience avec le long métrage. Et grâce à ce film, je suis montée sur les planches pour recevoir un César ! Tout peut aller si vite, parfois ! Mais attention, il s’agit là d’un parcours exceptionnel : je ne me cite
pas en exemple pour celles et ceux qui cherchent à devenir chef déco ! Ne pas avoir suivi l’enseignement d’une école ou le parcours classique d’une hiérarchie – stagiaire, seconde puis première assistante – m’a permis d’inventer ma manière de travailler, sans absorber les méthodes de quelqu’un d’autre. Mais cela peut aussi avoir quelques inconvénients : au début, j’ai manqué de repères, par exemple… En quoi consiste le travail d’un chef décorateur sur un tournage ? Le plus important reste la préparation. C’est d’abord un travail de détective : une enquête au travers des livres, photos et illustrations, et des brocantes. J’ai moi-même un stock de vieux papiers et objets – quand on fait ce métier, on ne peut rien jeter : tout peut être beau ! Mais il arrive qu’on n’ait pas l’objet soudain convoité… Par exemple, pour Amélie, j’ai dû faire un casting de chiens empaillés pour trouver celui qui n’aurait pas une expression trop sinistre – c’est le compagnon de la concierge, Madeleine Wallace : il fallait qu’il ait l’air attentif –, qui aurait une certaine position et le regard dirigé vers le haut – pour qu’il trouve sa place en face du portrait de son maître… La recherche des papiers peints, également, nous a menés jusqu’en Belgique et Hollande : certains d’entre eux datent des années 1940 et sont absolument introuvables en France – l’ultime alternative étant de créer le motif du papier peint si vraiment on ne trouve pas ce que l’on souhaite : ce fut le cas pour trouver une identité et une unicité à la chambre d’Amélie Poulain... Ensuite, après tant d’investigations, les équipes passent aux travaux : la construction des décors, des murs jusqu’aux poignées de portes, et, lorsqu’il s’agit d’extérieurs, la « rénovation » de certains lieux – avec Amélie, on a dû repeindre la moitié de Paris ! Il faut toujours garder en mémoire que le décor est au service d’une histoire. Il doit raconter tout ce qui n’est pas écrit dans le scénario, et pour cela, toujours aller dans le sens de la personnalité des personnages… C’est très important. Combien de mois auront été nécessaires à la préparation d’Amélie ? Trois mois de préparation effective auront été nécessaires pour les décors d’Amélie Poulain : pour JeanPierre, j’ai construit plusieurs maquettes en volume, indispensables, en terme de mise en scène, pour correctement évaluer le déplacement des comédiens ; j’ai ensuite parlé de couleurs avec le chef opérateur [chargé de la lumière, ndlr] et la costumière. Car c’est avant tout un travail d’équipe… L’avantage étant que nous nous connaissions tous très bien, et qu’on allait
à l’image du film, l’histoire du tournage d’Amélie semble être une succession d’instants magiques… N’existe-t-il donc aucune « mauvaise anecdote » ? En ce qui me concerne, si… Derniers jours de tournage : on tourne dans la chambre d’Amélie. Pendant les pauses, l’équipe déco charge tous les éléments qui ne nous servent plus dans un gros camion, afin de les rapatrier sur Paris avant qu’on les égare ou qu’ils soient abîmés. En revenant sur le décor, je me prends les pieds dans un
tous dans une même direction. Une fois ces « réunions de travail » terminées, chacun est parti mettre en œuvre ses desseins. Je suis donc allée dans les studios en Allemagne, à Cologne précisément, avec tous mes plans sous le bras ; et avec mes équipes, nous avons commencé à monter le premier décor – l’appartement de Raymond Dufayel, dit « l’homme de verre » –, dont on avait juste évoqué le concept avec Jean-Pierre avant mon départ. Et quand ce dernier est arrivé sur les lieux du tournage, il était tout simplement ravi du travail accompli : c’était exactement ce qu’il avait en tête. Mais ce n’est pas pour autant que tout était fait ! On trouve toujours quelques idées supplémentaires, juste avant le début du tournage… Par exemple, pour ce décor particulier, où tout le mobilier est rembourré... On ne trouvait pas la bonne télévision, car, comme dans la majorité des films de Jean-Pierre, les éléments du décor ne doivent pas tous nous renvoyer à une époque précise : il faut savoir rester intemporel. Pourtant, parce que le film était tout de même daté – avec, dans une scène, l’annonce de la mort de Lady Di –, on ne pouvait pas retomber dans le caisson en bois des jolies télés des années 1950 ni avoir une télé trop actuelle, pour coller au personnage… Au dernier moment, je me souviens avoir pris de la mousse, une couverture, avec en tête l’idée d’un exercice qui aurait pour intitulé : « Et si on faisait ça, est-ce que ça fonctionnerait ? » J’ai saucissonné le tout avec de la ficelle ; Jean-Pierre est passé par là et m’a dit : « Stop ! On ne la touche plus, elle est parfaite ! », alors que je n’avais pas vraiment à l’esprit de la conserver comme ça lorsque je l’ai fait…
tapis. Je me baisse, le roule et l’emporte immédiatement au camion pour l’y ranger. Entre-temps, l’équipe est revenue tourner un plan. Sur le plateau, l’accessoiriste, affolé, m’attrape et me demande si je n’ai pas vu le tapis, raccord dans la prochaine séquence… J’ai alors l’image de ce tapis roulé que je viens de déposer dans le camion – frayeur ! Je fonce au camion, mais il est déjà parti. Et je réfléchis vite aux solutions : 1) refaire à l’identique ce tapis au motif très marqué ? pas le temps ! 2) aller
chez un loueur et tenter de retrouver le même ? mission impossible ! 3) rattraper le camion dont personne ne connaît l’itinéraire ? Miraculeusement, un de mes assistants a retrouvé le véhicule et moins d’une heure après, le tapis était sur le plateau. Jean-Pierre ne s’est aperçu de rien… Je lui ai raconté cet épisode bien après m’en être remise : ça l’a bien fait rire ! Avec Delicatessen et La Cité des enfants perdus, Amélie est votre troisième collaboration avec JeanPierre Jeunet. Qu’est-ce qui vous unit à lui ? Il est ma plus belle rencontre professionnelle. à la lecture du scénario de Delicatessen, j’ai tout de suite trouvé un univers qui me convenait, où je me retrouvais parfaitement. Jean-Pierre a vite su instaurer un vrai climat de confiance et de complicité entre nous : une osmose parfaite… Avec lui, le décor est un personnage à part entière. Je ne connais que Jean-Pierre qui ait autant de respect pour l’image, et autant de demandes visuelles. On peut aller très loin dans le détail : c’est un vrai bonheur ! Il ne reste qu’à vous souhaiter autant de réussite pour vos projets à venir… Merci. Pour tout vous dire, la pré-préparation de Laisse tes mains sur mes hanches, le premier film de Chantal Lauby, avance bien. Et… Je devrais vite rejoindre l’équipe du prochain Jeunet : une histoire d’amour pendant la Guerre de 1914-1918, d’après le roman de Sébastien Japrisot, Un long dimanche de fiançailles… J’ai déjà soumis quelques idées à Jean-Pierre…
« À force de croire en ses rêves, l’homme en fait une réalité », disait Hergé. Steven Spielberg, qui tournera bientôt le premier épisode d’une trilogie consacrée à Tintin, et Citel Video, qui édite un coffret prestige avec la toute première adaptation (restée inédite depuis 1947), semblent avoir entendu la promesse du dessinateur.
TINTIN
texte © Mickaël Pagano pour www.femmes.com
OB J E CTIF TINTIN En 2007, pour le « centenaire » d’Hergé, Nick Rodwell, époux de la veuve du dessinateur et ayant droit de son œuvre, avait mis un terme à plusieurs décennies d’incertitudes concernant une nouvelle adaptation des Aventures de Tintin et Milou au cinéma par Steven Spielberg. Vingt-cinq ans après la mort de l’auteur belge et son refus in extremis d’accorder au cinéaste américain la seule production d’un long métrage, Steven Spielberg réalisera bien son rêve. Une trilogie, dont le premier épisode serait déjà entre les mains de Peter Jackson (la saga Le Seigneur des anneaux, King Kong) et le deuxième sous les doigts de fée du créateur d’E.T. À moins que ce ne soit le contraire. Une chose est sûre : « Si nous n’engageons pas un troisième metteur en scène, alors nous coréaliserons le troisième film » déclarait Steven Spielberg pendant le dernier Festival de Cannes. Avant de joindre le geste à la parole, la technique et l’équipe se constituent autour du projet. Afin de « rendre hommage au monde que l’auteur a créé » et « de faire ressembler [les comédiens] aux véritables personnages de Hergé », le système de motion capture, qui emprunte les mouvements, les expressions faciales et la voix d’un acteur pour un rendu en images de synthèse 3D, a été adopté. Le scénariste Steven Moffat (les séries Doctor Who et Jekyll) a déjà livré le script du premier épisode, qui devrait réunir les histoires du Crabe aux pinces d’or (1941), du Secret de la Licorne (1943) et de sa suite, Le Trésor de Rackham le Rouge (1944) – les deux BD de Tintin les plus vendues dans le monde. Le petit reporter pourrait ensuite parcourir le Pérou pour des péripéties inspirées des albums Les Sept boules de cristal (1948) et Le Temple du soleil (1949). Quant au casting, il s’est trouvé quelques héros : les détectives Dupond/t, identifiables à leur moustache, seront personnifiés par un duo de comparses, Simon Pegg et Nick Frost (Shaun of the Dead) ; avant d’interpréter Bilbo le Hobbit dans le prochain film éponyme de Guillermo del Toro (qui s’inscrit dans la continuité de l’adaptation de J. R. R.
Tolkien par Peter Jackson), Andy Serkis sera l’homme ad hoc pour incarner le capitaine Haddock ; enfin, Tintin aura les traits et les attitudes du jeune Jamie Bell (Billy Elliot, King Kong). En attendant que la sortie du premier volet se dessine enfin, l’œuvre hors ligne du créateur de Tintin fait l’objet d’un coffret prestige : L’intégrale Hergé, qui rassemble tous les films d’animation reproduisant ses vignettes à l’écran. Ou presque. Car l’édition proposée ne constitue pas une authentique intégrale : le long métrage Le Trésor de Rackham le Rouge (1962) comme les 59 épisodes de cinq minutes, de Ray Goossens, lui font défaut. Elle contentera néanmoins amateurs et collectionneurs en réunissant quelques inédits en DVD, dont L’Affaire Tournesol (1964) du même réalisateur, Le Temple du soleil (1969), d’Eddie Lateste, et surtout Le Crabe aux pinces d’or. Sortie fin décembre 1947 au cinéma ABC de Bruxelles, cette première transposition d’un album de Tintin au cinéma par Claude Misonne et Joao Michiels fut également le premier film d’animation belge. Conçu avec des poupées de chiffon sur armatures et de trop faibles moyens, Le Crabe aux pinces d’or est un compromis artistique et financier devenu document historique. L’on doit aux frasques juridiques du producteur Wilfried Bouchery l’enchaînement de plans originaux, inventifs, avec d’autres doublés par des images d’archives, ou l’alternance d’animations fluides avec des marionnettes fixes. Mais aussi la saisie de la seule copie existante par les huissiers, au lendemain d’une séance unique… Souhaitons de meilleurs auspices à Hollywood, même si, récemment, Universal s’est désisté face au budget estimé par Steven Spielberg et Peter Jackson, qui espèrent aujourd’hui le partenariat exceptionnel des sociétés de production Sony Pictures Entertainment et Paramount Pictures. L’intégrale Hergé (Citel Video), coffret métal en édition limitée à 10 000 exemplaires et numérotée
LE CRIME EST NOTRE AFFAIRE
CRIME ET CHATOUILLEMENTS
L’Heure zéro était une fausse piste ! On pensait Pascal Thomas seulement décidé à adapter l’œuvre d’Agatha Christie à l’aventure. Mais Le Crime est notre affaire donne une suite à Mon petit doigt m’a dit et se fait même l’indice d’une saga Beresford avec Catherine Frot et André Dussolier.
texte © Mickaël Pagano pour www.femmes.com
Le Crime est notre affaire est, faut-il le rappeler, l’adaptation d’un recueil de nouvelles signées par Agatha Christie, quinze histoires dans lesquelles Thomas et Prudence Beresford tentent de mettre au grand jour un nid d’espions. De Partners in Crime (titre original du livre publié en 1929), le cinéaste Pascal Thomas a entretenu l’esprit, la complicité du couple de dandys détectives mais n’a retenu qu’une seule intrigue. C’est peut-être là la seule ombre au tableau. Le décor planté, le spectateur se languit de soupçons et de suspense tant le récit s’étire parfois comme les journées d’une Prudence qui, au début du film et du roman, s’ennuie de ne plus vivre d’aventures trépidantes. Et lasse d’en rêver (« Imagine comme ce serait palpitant d’entendre cogner à la porte, d’aller ouvrir et de voir un mort entrer en titubant »), la mal nommée se risque vite à enquêter sur un hypothétique meurtre. Heureusement pour le public, Prudence Beresford ne restera pas comme une momie devant celle qu’une famille énigmatique met finalement sur son chemin. Incarnée par une vive Catherine Frot, l’espiègle et favorite héroïne d’Agatha Christie est en effet l’auteure
des réparties et rebondissements les plus imprévus du film. Autant de moments de grâce et de rires qui ponctuent Le Crime est notre affaire. Le réalisateur ne fait pas de mystère à propos de ce personnage : « Les autres [limiers] procèdent à coups de déductions, elle… à coups d’illuminations ! » Pascal Thomas lui aussi a eu de l’intuition. En allant toujours vers plus de fantaisie : baroque et romantique dans les ambiances, attendue et amicale dans le choix des comédiens (Melvil Poupaud, Christian Vadim, Chiara Mastroianni, Claude Rich), brillante et fringante dans les dialogues… En donnant si vite une « suite » à Mon petit doigt m’a dit (2005) : car si les lecteurs de la Lady du polar firent le succès des Beresford et les réclamèrent à nouveau, ils durent patienter 38 ans. Et, s’il avait fallu attendre tout ce temps pour revoir le couple Frot-Dussolier si complice et cocasse à l’écran, dans une autre comédie policière de Pascal Thomas, nous en aurions tous fait toute une affaire, non ? Le Crime est notre affaire, de Pascal Thomas (StudioCanal) Sortie le 15 octobre 2008
INDIANA JONES
LA LOI D E LA J UNGL E
texte © Mickaël Pagano pour www.femmes.com
Le plus célèbre des aventuriers revient dans un 4e volet intitulé Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal. Et c’est incontestablement l’événement cinéma de l’année 2008. Le 21 mai prochain, l’œuvre couronné de Steven Spielberg s’enrichira d’un succès dont lui seul a le secret. En s’imaginant, à tort, que le silence est d’or... Harrison Ford, George Lucas, Steven Spielberg. Le trio de ce que beaucoup considéraient depuis 1989 comme « la trilogie Indiana Jones » s’est finalement réuni autour d’une quatrième aventure : Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal. Pour le plus grand bonheur des fans du professeur d’archéologie le plus mémorable du cinéma, qui espéraient – pas si secrètement – le retour de leur héros sur grand écran. C’est le lundi 18 juin 2007 qu’a officiellement débuté le tournage, après que chacune des personnes associées au projet (le film, alors, n’a pas encore d’intitulé) ait signé une clause de confidentialité. Mais ce n’est un mystère pour personne : ce que les uns dissimulent ou taisent, les autres, tout yeux, tout oreilles, cherchent forcément à le découvrir sinon à le révéler… Pour calmer l’impatience des admirateurs, George Lucas – créateur du personnage à la veste de cuir, au fouet et au chapeau Fedora, co-scénariste et producteur exécutif des quatre Indiana Jones – divulgue ses informations avec parcimonie. Il dote d’abord ces nouvelles aventures d’un titre (et donc d’un objectif ). Puis celui qui a révélé Harrison Ford à ses pairs (Star Wars) annonce au public la réapparition du papa d’« Indy », Henry Jones, présenté dans la précédente ...Dernière croisade sous les
traits de Sean Connery. Pourtant, nul ne sait encore qui succèdera à ce dernier puisque l’acteur, définitivement retiré de la vie des plateaux, a refusé de reprendre son rôle… Un jeune comédien, Taylor Nelson, décide alors de donner des noms : Karen Allen incarne Marion Ravenwood, ancien amour d’Indiana Jones (déjà vue dans ...Les aventuriers de l’arche perdue) et monnaie d’échange des Soviets contre le fameux crâne de cristal qu’Indiana Jones doit retrouver dans la jungle d’Amérique du Sud. Taylor Nelson, qui interprète un danseur de balalaïka, dévoile aussi la trame et le drame de sa scène : Cate Blanchett, une interrogatrice russe, presse de questions Indiana Jones sous une tente, tandis que les soldats célèbrent sa captivité dans le camp. Steven Spielberg, qui s’était mis en quatre pour que ...Le royaume du crâne de cristal préserve tous ses secrets, s’est vengé depuis : il a fait savoir que la performance de Taylor Nelson, serait coupée au montage final du film. Une déclaration qui laisse deviner que le traître danseur n’a pas été invité à la fête privée de fin de tournage, le 11 octobre dernier… Indiana Jones 4, de Steven Spielberg (Lucasfilm Ltd.) Sortie en salles le 21 mai 2008
L’an dernier, Gilles Jacob demandait à Joann Sfar de croquer le 60e anniversaire du Festival de Cannes. Se faufilant partout telle une souris, l’auteur du Chat du Rabbin a repu sa curiosité et même travaillé à d’autres desseins en 15 jours. Et au moment de publier Croisette, Joann Sfar réalise déjà ses projets : l’adaptation de son plus grand succès BD et la vie de Serge Gainsbourg pour le cinéma.
JOANN SFAR
DANS S E S PLANS Croisette, compte rendu en dessins du 60e Festival de Cannes, est votre neuvième Carnet. Auriez-vous finalement pris goût à l’autobiographie dessinée ? Des carnets, j’en fais depuis que suis enfant. Mais quand Lewis Trondheim a édité des carnets dans lesquels il racontait sa vie, j’ai publié les miens : des carnets de dessins qui se sont transformés en carnets autobiographiques. C’est devenu une espèce de drogue : il faut que je me force à arrêter, sinon, ce n’est plus une respiration entre deux livres.
texte © Mickaël Pagano pour www.femmes.com
Et pourtant, rendre une planche chaque jour, n’estce pas un rythme contraignant ? C’est une gymnastique assez compliquée : on passe sa journée ici et là, on dessine, on rentre colorier dans sa chambre le soir – 5h du matin, en fait ! –, et puis il faut livrer sa planche avant 10h pour la mise en ligne sur le site Internet... Ce qui est difficile, pour moi, c’est surtout de trouver un truc à raconter chaque jour : parce que la plupart du temps, il ne m’arrivait rien ! La seule contrainte, c’était de ne pas être méchant. Je ne suis pas méchant par nature. Mais je ne me suis pas censuré pour autant : quand il y avait des trucs que je trouvais nuls, je le disais. Par exemple ? J’ai été surpris de voir que, dès qu’on arrive au cinéma, la fascination est telle que « tout est formidable ». Je ne parle pas des grandes plumes mais des types qui viennent du monde entier et courent aux conférences de presse. J’ai assisté à celle de My Blueberry Night de Wong KarWaï où la question la plus pertinente fut adressée à Jude Law : « Qu’est-ce que ça fait d’embrasser Norah Jones ? » C’est très drôle, charmant et touchant aussi, de voir ces gens, intelligents, cultivés, redevenir des midinettes, des mômes de 12 ans et demi… C’est drôle de voir que le seul domaine en France où le pouvoir monarchique absolu a encore cours, finalement, c’est le cinéma. Parce que ce que la presse passe aux comédiens et aux
réalisateurs du cinéma, elle ne le passerait jamais ni à un politicien ni à un écrivain. Il y a vraiment quelque chose de très glamour dans le milieu du cinéma – encore une fois, je ne m’en plains pas, je le constate seulement. Dans le monde du livre, c’est très différent : quand on rencontre un journaliste, il faut faire attention à ce qu’on va dire. J’ai l’impression qu’au cinéma, les mecs peuvent débarquer le nez plein de coke et sortir trois conneries, on va trouver ça « formidable », qu’« ils ont un charme fou » ! On voudrait se faire une idée de la vacuité du monde ? Je crois que là, on tient quelque chose ! Pour quelles raisons avez-vous accepté un tel projet ? Il faudrait être bête pour refuser ! Gilles Jacob avait lu le carnet que je venais de faire sur le procès de Charlie Hebdo [Greffier (Delcourt), ndlr] et m’a proposé de faire la même chose à Cannes. Sur Charlie Hebdo, il y avait un enjeu, un combat politique : je ne pouvais pas vraiment faire le malin. Cannes, j’y allais sans aucun film à défendre, les mains dans les poches, pour m’amuser. Même pas pour faire le cinéphile ! Non, j’y allais pour raconter le cirque auquel j’assisterai tous les jours... Je n’ai même pas vu plus de dix films en quinze jours ! C’est pathétique… Mais il y avait tant d’autres manifestations auxquelles j’étais tenu d’assister pour faire mes dessins ! Et pourtant, j’ai connu le sentiment de désœuvrement : comme dans Lost in Translation, je me suis à la fois amusé et angoissé, beaucoup ennuyé. Moi qui ai l’habitude de faire trois projets par jour, là, pendant deux semaines, je n’avais aucun autre objectif que de boire du champagne – je l’avoue, c’était mon activité principale. Et, parfois, de la vodka. Dans Croisette, vous dites être allé partout. C’est la seule chose que j’avais demandée : qu’on me laisse entrer partout. Ce qu’ils ont accepté bien volontiers. Le Festival de Cannes n’a pas pu m’ouvrir les
portes d’un seul endroit : là où ont lieu les négociations privées et financières sur les films. Alors, non, je n’étais pas avec les Weinstein brothers quand ils ferment la porte, qu’ils sortent la bouteille de whisky et qu’ils négocient un film. Et je le regrette ! Mais j’ai pu aller partout ailleurs, dans tous les endroits qui relevaient du Festival de Cannes : les photo-call, les conférences de presse, les salles de projection, mais aussi les cuisines et au-delà des barrières de sécurité. J’étais une petite souris et j’espionnais aussi bien les gens dans la rue qui prenaient leurs photos des stars que ces dernières dans les dîners. Et bizarrement, ce sont parfois les dîners – ces dîners où il y a des dames en robe du soir, où tout le monde est beau (on se croirait dans Sissi impératrice !) – les endroits les moins futiles. On se retrouve autour d’une table avec un comédien, un réalisateur, un producteur qui ne se sont jamais rencontrés. Et là, ça vaut le coup d’écouter ce qu’ils se racontent : parce qu’il y a un côté très artisanal et très corporatiste dans le cinéma français, ces gens sont très fiers d’avoir eu une industrie nationale, et leurs discussions à ce sujet sont vraiment passionnées. J’ai aussi assisté au dîner du jury qui a précédé ou suivi les délibérations !
que j’étais en train de faire. Ce n’est pas une interview : je prends un verre avec elles, je discute. à la rigueur, elles s’aperçoivent que je les dessine, mais pas que j’écris ce qu’elles me racontent. D’ailleurs, il m’arrive de mettre les dialogues après, une fois qu’elles sont parties. Pas un seul petit caprice ? J’ai rencontré des gens plutôt raisonnables – et je le regrette ! La seule soirée extravagante que j’ai connue, c’était dans une villa louée par des producteurs ou scénaristes new-yorkais et tenue par des Russes, où les gens se faisaient conduire en 4x4, et où l’on payait tout en liquide – 40 € la coupe de champagne ! Là, oui, il y avait des gens à moitié à poil dans la piscine, et tout ce qu’on peut imaginer. Mais ce n’était pas le Festival. Le vrai secret du Festival – et ça, c’est un scandale ! –,
Et pouviez-vous facilement prendre la parole ? Oh oui ! Personne ne me considère encore comme une menace – ils n’ont pas encore compris que je vais faire des films ! Alors il n’y a aucune animosité contre moi. J’étais un ludion : autant en profiter puisque cette année était la seule où tout le monde à Cannes m’aimait bien – ça va changer ! Mais c’était très agréable de débarquer dans un microcosme qui n’est pas le mien. J’ai fait des rencontres charmantes : Edouard Baer, formidable, avec qui je me suis vraiment bien entendu, Pascale Ferran qui a été adorable, Sara Forestier, Hyppolite Girardot... Je me suis aperçu que le métier de comédien est finalement très proche de celui de dessinateur. Les acteurs se demandent s’ils sont justes dans ce qu’ils font, et de la même façon, quand je dessine un personnage, j’ai les mêmes préoccupations : je ne me demande pas si le dessin est bien fini mais plutôt si mon personnage joue juste la scène que j’attends de lui.
c’est que les fêtes sont chiantes. à l’extérieur, quand on est dans une queue qui fait des kilomètres, on se dit que ça va être super. On entre. Et là, il n’y a pas de starlettes, pas de paillettes : seulement des gens du cinéma… qui parlent boulot ! L’autre mauvaise surprise, c’est l’omniprésence de la télévision. Il n’en faudrait pas beaucoup pour se convaincre que Cannes est un festival de télévision tant les stars du petit écran et les logos des chaînes monopolisent l’attention : on sent presque trop que toute l’industrie française du cinéma est financée par la télévision.
Des stars ont-elles refusé que vous fassiez leur portrait ? Non, parce qu’elles ne se rendaient pas compte de ce
Des espoirs que vous aviez en partant pour Cannes, lesquels n’ont pas été déçus sur place ? Je ne suis pas allé là-bas avec l’intention de trouver des
secrets, mais plutôt pour faire un plan du paquebot : montrer un peu tout ce qu’on trouve à Cannes. Je jubilais à l’avance parce que je suis Niçois : j’y ai vécu 21 ans et demi sans avoir jamais foutu les pieds au Festival de Cannes ! Et là, j’avais une carte qui me permettait d’entrer partout. Enfin, les premiers jours, ça n’a pas été aussi simple : mes « Bonjour, je suis le dessinateur », ça marchait jamais. Alors Marie-Pierre Hauville [directrice de la communication du Festival de Cannes, ndlr] m’a donné la clé : « Dis que tu es l’assistant de Gilles Jacob » et m’a présenté aux quelques personnes susceptibles de me laisser entrer partout. Il faut le savoir : il suffit d’une carte et le sésame « Je suis l’assistant de Gilles Jacob » pour aller sans souci dans toutes les boîtes de nuit ! Que diriez-vous de votre hôte, Gilles Jacob ? C’est à lui, certainement, que je dois la meilleure anecdote du Festival : je suis dans son bureau, je vois un coffre-fort et je lui demande ce qu’il contient ; et lui de me répondre : « Des places, des places de cinéma » ! Gilles Jacob a été très gentil, vraiment adorable. D’ailleurs, l’affection que lui porte tout le monde du cinéma est palpable. Je pense que le miracle du Festival de Cannes
– et c’est pour ça que les gens du Festival d’Angoulême essaient beaucoup de s’en inspirer –, c’est de réussir à réunir devant la presse du monde entier la qualité d’une sélection, très exigeante, sans concession, et les paillettes, avec, par exemple, un George Clooney qui, comme son nom l’indique, vient faire l’imbécile. Les festivals de Venise ou de Berlin ont beau avoir un chic extraordinaire, ils n’ont pas cette assise publique. Bon, il y a aussi le mythe de Cannes... Mais je trouve que Gilles Jacob et son équipe ont une manière assez admirable de préserver ce cocktail unique qui fait le Festival de Cannes. Après, Gilles Jacob reste quand même pour moi aussi mystérieux que la manifestation… Quels souvenirs sont restés inédits ? Un truc ridicule, qui m’arrivait tous les soirs… Comme mon hôtel était un peu loin, l’équipe envoyait une Vel Satis me chercher ; j’arrivais en voiture devant le Palais, je faisais ma montée des marches tous les jours dans mon smoking… mais en essayant chaque fois de ne pas être vu. Alors je passais sur le côté et je me retrouvais comme un con derrière les flics, à l’endroit
où on n’est pas censé monter, et une fois en haut, alors que je m’apprêtais à dessiner, je me faisais virer par les forces de l’ordre ! Sinon, lors de la première soirée, la présentation du Festival, j’étais assis à côté de Christian Estrosi, l’actuel maire de Nice, qui a passé tout son temps à envoyer des SMS – remarque, le film était chiant, alors… Ça m’a fait rire. Je me suis dit : « Ah, ma ville est bien représentée ! » Tandis que certains tueraient père et mère pour approcher les stars, vous deviez n’avoir d’yeux que pour votre amie Marjane Satrapi, non ? Oui, d’autant plus qu’à titre personnel, la sélection de Persepolis me facilite énormément la vie pour mes projets ! Mais surtout, ce film arrive comme une grande preuve d’ouverture d’esprit de l’industrie française du
cinéma. On assiste en fait, en ce moment, à la naissance d’un cinéma que je n’appelle même plus d’animation mais de dessinateur – regardez Sin City ou Les Simpson, le film. Il semble possible, désormais, d’arriver avec une vision, un graphisme, un discours, et d’en faire un film qui sera traité avec le même appareil critique qu’un autre dit tout public. Ce n’est pas un hasard si je me trouve également, maintenant, à la tête de deux projets de cinéma, si Riad Sattouff et Lewis Trondheim sont chacun sur le point de tourner leur propre film. Tout ça s’inscrit dans une dynamique intéressante : les auteurs de BD s’aperçoivent qu’ils rassurent assez le monde du cinéma pour qu’il leur fasse vraiment confiance. Il y a encore quelques années, je me souviens, on disait : « La première chose à faire, c’est de se débarrasser de l’auteur. »
Ça a un peu changé. Tant mieux, parce qu’il n’était pas question d’aller vers le cinéma sans avoir la liberté que nous avons sur nos bouquins ! Et puis, personnellement, si je loupe un truc, j’aime bien dire : « Au moins, c’est de ma faute ! » Je ne suis pas partisan du : « J’ai prêté à quelqu’un qui a fait n’importe quoi ». Si ce n’est pas bien, on pourra venir se plaindre !
Le Festival de Cannes vous a-t-il aidé à approcher des gens, à faire votre casting ? Non. Ce qui m’a aidé, c’est d’y avoir fait l’annonce. J’ai dit : « On s’y met », et dans les trois jours qui ont suivi, j’avais rendez-vous chez tous les financiers du cinéma. J’ai même bouclé le budget en quelques mois, ce qui ne se fait jamais.
Persepolis vous aurait donc ouvert la voie dans le cinéma ? Marjane et moi avons été confrontés aux mêmes choses. J’évoque souvent les destins jumeaux de nos œuvres… Le Chat du Rabbin, sorti plus ou moins un an avant Persepolis, s’est vendu à 700 000 exemplaires en France, a été traduit dans près de vingt pays et primé aux étatsUnis. Les chiffres sont sensiblement les mêmes pour Persepolis. L’un et l’autre ont donc généré beaucoup de demandes du monde du cinéma. Et, à sept ou huit reprises, nous avons tous les deux refusé des adaptations. à force, nos refus ont créé une réelle attente sur ces projets et nous avons seulement accepté quand nous avons été assurés de les réaliser nous-mêmes. « Je veux bien que vous vous amusiez, mais je veux m’amuser aussi : ce sont mes jouets, après tout ! » Donc Marjane a fait ce dessin animé. Et moi, je travaille d’un côté sur l’animation du Chat... et de l’autre sur un projet que je traînais depuis deux ans et qui, là, démarre à fond : un film sur la vie de Serge Gainsbourg.
Vous avez également monté une société de production. C’est vrai. Autochenille, avec Clément Oubrerie, le dessinateur d’Aya de Yopougon, et Antoine Delesvaux, notre associé et co-réalisateur du Chat… à mes côtés. Cette société pourrait nous servir à adapter beaucoup de mes BD, mais aussi celles de Clément et d’autres de la bande comme Christophe Blain et Riad Sattouff. Ça me plaît d’avoir des auteurs à la tête d’une boîte : ça permet de faire des choix, tout au moins d’être responsable de ce qu’on décide. Pour le film sur Gainsbourg, j’ai fait appel à une autre société de productions : One World Films, créée par Marc du Pontavice et Didier Lupfer, deux vieux routards du milieu.
Ces deux films excitent déjà beaucoup la curiosité des critiques comme du public… Mais l’adaptation du Chat… ne sera prête que dans trois ans ! Parce que c’est de l’animation très méticuleuse, comme un retour à Blanche Neige et les sept nains : c’està-dire de l’animation sur papier, 24 images/seconde – pas du tout simplifiée comme peut l’être Persepolis. Avec Sandrina Jardel, mon épouse, nous avons refait six ou sept fois le script – moi qui ne récris jamais mes histoires ! –, le but du jeu étant que le spectateur ait l’impression de retrouver tout ce qu’il y a dans les cinq premiers albums alors que, par définition, cinéma et livre ne sont pas un seul et même médium. On ne raconte pas de la même façon. Et tout a été complètement repensé avec des comédiens formidables, qui nous entraînent, puisqu’on va faire les voix avant l’animation. Je suis allé chercher des gens que j’admire. Alain Chabat, qui sera le chat du Rabbin, a été le premier à accepter, et son nom a d’ailleurs énormément aidé à monter ce projet. Hafsia Herzi – la petite qui a joué dans La Graine et le mulet – fera la fille du Rabbin. Et pour le Rabbin luimême, j’ai choisi un comédien de théâtre que j’aime au-delà de tout : Maurice Bénichou.
Que pouvez-vous révéler de ce film décidément très secret ? Le titre : Serge Gainsbourg : vie héroïque. Je peux dire aussi que le pianiste Gonzales va prêter ses mains à Serge Gainsbourg, et que l’équipe qui a réalisé les effets spéciaux du Labyrinthe de Pan [DDT, mené et fondé par David Martí, ndlr] concevra les créatures surnaturelles du film... C’est à peu près tout ce que j’ai le droit de raconter ! Il s’agit d’un film qui débutera dans les années 1940 et se terminera dans les années 1980 : en termes de production, cela signifie près de cinq mois de tournage, avec de très grosses équipes. Difficile, alors, de rassurer votre premier public, tous ces « lecteurs [qui] peuvent légitimement se demander si on ne [vous] a pas coupé les doigts »… Ah ! Vous avez été sur mon site ! Et je vous y renvoie, puisque mon actualité BD reste inchangée ! J’ai honte ! Bon, en ce moment – la nuit, plus précisément, puisque je m’occupe de mes films en journée –, je dessine Le Petit Prince. Je ne touche presque pas au texte original de Saint-Exupéry, c’est donc un vrai boulot de mise en scène dans laquelle le personnage de l’auteur a presque autant d’importance que celui du Petit Prince. C’est comme si je mettais en scène une pièce de théâtre, en me disant : « Ne touche pas au texte mais réfléchis à ce que tu vas montrer à l’image ! » Il y aura 120-130 pages. Je dessine aussi le volume 4 de Klezmer. Et une nouvelle série de bande dessinée : L’Ancien Temps, qui va se passer
au Moyen Age, un peu à la Rabelais, avec des carnavals, des princes, tout ça… (Je regarde vos notes…) La Vallée des merveilles : j’ai écrit tout le volume 2 mais je n’ai pas commencé à le dessiner ; Petit Vampire : pareil ; Le Minuscule mousquetaire : pareil. Et Socrate le demichien, c’est pire : on a 25 pages mais on a dû arrêter parce que je n’ai rien écrit depuis des mois – pourtant, on se voit tout le temps, avec Christophe [Blain, ndlr], mais pour faire la fête ! (Quoi d’autre sur votre papier ?
Ah oui…) Emmanuel Guibert et moi avons acheté les droits de Sardine de l’espace – c’est bizarre d’acheter les droits de son propre album ! – pour en faire une série télé. Quant à l’adaptation d’Aya de Yopougon, ce sera le deuxième long métrage en dessins animés produit par notre Autochenille. Il est d’ores et déjà prévu de le mettre en route dans quelques mois : impossible d’attendre la fin du Chat… pour travailler dessus ! Croisette, de Joann Sfar (éd. Shampoing)
JACQUES TATI
DANS LE SIèclE DE TATI
texte © Mickaël Pagano pour www.femmes.com
Dans son éloge à propos de Playtime – le film a 30 ans cette année –, François Truffaut parle de Jacques Tati au nom de sa profession : « Il voit ce que l’on ne voit plus et il entend ce que l’on n’entend plus et le filme autrement que nous. » Portrait d’un incomparable visionnaire. Jacques Tatischeff est venu au monde de la comédie et du music-hall par le mime, au grand dam de son père et sans la reconnaissance du public. Troquant les numéros de ses maillots restés au vestiaire, où il faisait le clown devant ses partenaires au rugby dès l’adolescence, contre ceux qu’il joue lors d’un spectacle d’imitations, Impressions sportives, « Tati » naît véritablement sous les feux de la rampe en 1931. Il brûle les planches et les étapes, transformant ses essais comiques au cinéma les années suivantes : il écrit pour lui le rôle d’Oscar, champion de tennis (Jack Forrester, 1932), inscrit son nom d’acteur aux génériques de trois autres courts métrages – dont Soigne ton gauche (1936) de René Clément – avant de se mettre en scène dans Retour à la terre (1938). De cette première réalisation, l’on retient surtout la figure burlesque du facteur rural, laquelle Tati étudie et modèle encore dans L’École des facteurs (1947), sa dernière esquisse du personnage principal de Jour de fête (1949). Tati réussit l’exercice du long métrage, non sans peine : les distributeurs, qui ont toute autorité sur la diffusion du film, ne le trouvent pas drôle. Une seule projection improvisée permet pourtant à la salle comble, interdite devant tant d’humour, d’obéir à une envie – un besoin, aussi – : rire aux larmes. Tati aime le comique de répétition et ses trois postiers en vélo consécutifs cèdent leur place au soleil des projecteurs à une personnalité qui, depuis Les Vacances de M. Hulot (1953) jusqu’à Trafic (1971), tiendra le haut de l’affiche de chacun de ses films. « Un personnage d’une indépendance complète, d’un désintéressement absolu et dont l’étourderie, qui est son principal défaut, en fait, à notre époque fonctionnelle, un inadapté » selon Tati. C’est
justement parce que M. Hulot est incapable de faire face aux conditions « normales » de la vie qu’il ne cesse de mettre en lumière, bien malgré lui, la dualité, voire la rivalité du monde qui l’entoure : campagne/métropole, traditions/progrès, communion/communication... Tati ne dérape jamais sur une peau de banal et se glisse avec ravissement dans celle d’un original. Dès la première apparition de son personnage fétiche, l’acteur-cinéaste voit le monde se fendre la pipe. Un triomphe international
qui lui donne l’argent et donc le temps de tourner (et retourner) Mon oncle (et My Uncle, dans sa version anglaise, 1958), autre pellicule très applaudie tant par la grande famille du Septième Art que par les spectateurs, de plus en plus proches de l’auteur. Ces derniers, pourtant, ne saisissent pas nécessairement la réflexion de Tati : s’ils (d)énoncent la substitution d’un monde chaleureux, pittoresque et authentique à un microcosme froid, insipide et artificiel, ses films sont aussi l’annonce puis le reflet d’une France en devenir, entre 1950 et 1970. Comme si la prédilection s’était faite prédiction, Tati revient alors à ses débuts. En 1961, à l’Olympia, il reprend ses fidèles pantomimes, et projette un Jour de fête color(i)é au pochoir, habile démonstration d’une possible modernisation sans trahison ni altération. Il faut presque dix ans à Tati pour produire Playtime (1967), un exposé détaillé sur les mutations urbanistiques et l’avènement du petit écran dans une culture de masse déjà omniprésente. Précédées par la tendance excessive du réalisateur (d’ailleurs surnommé « Tatillon » sur le plateau) à rechercher la perfection, les anecdotes de tournage – retards illimités (faute de moyens financiers et d’une météo favorable), démesure du décor (une « Tativille » futuriste édifiée sur 15 000 m2) – nuisent à la réputation du film. Toutefois, quand bien même la critique multiplie les reproches à l’encontre d’un « mégalomaniaque », le nombre d’entrées totalisé par Playtime offre son plus grand succès populaire à la carrière de Tati. Un succès qui, provoquant la ruine de ses espérances, est bien plus difficile à encaisser qu’un échec. Car le coût final de son ambition – 15 millions de francs au lieu des 2,5 millions initialement prévus – met une hypothèque sur la maison de Tati, sa société en faillite et les droits des deux premiers Hulot aux enchères. Quatre ans plus tard, Trafic (1971) ne parvient pas à éponger pas les dettes du visionnaire... L’ultime réalisation de Tati n’est envisageable qu’avec la collaboration technique et surtout budgétaire d’une télévision suédoise. À l’instar de cette exhibition du même nom que font les bateleurs avant la représentation, pour attirer leur assistance, le téléfilm Parade (1974) passe en revue différents numéros de cirque et de variétés. Un Monsieur Loyal a délogé M. Hulot, et Tati, dans un dernier pied-de-nez théâtral, une riposte vidéo finale à l’industrie cinématographique et ses contraintes économiques, rejoue ses saynètes d’antan devant un véritable public. Jacques Tati, sans dialogues mais une bande son très écrite, a toujours parlé de la tragique disparition d’une philosophie (de vie) humaniste, voire du sentiment d’humanité. Il nous a quittés en 1982 tandis qu’il travaillait le scénario d’une œuvre au titre évocateur : Confusion.
PRESSE & COMMUNICATION¶
MICKAËL PAGANO¶
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EXPériences professionnelles¶
2007-2008 / Chef de Rubrique en charge des éditions numériques d’un magazine féminin de luxe¶ www.femmes.com (directrice de rédaction : MarieClaire Pauwels, Prisma Presse)¶ ¶
2005-2007 / Rédacteur Web¶ Luminarc, Cristal d’Arques Paris, Mikasa et Studio Nova (Arc International)¶ ¶
2004-2005 / Rédacteur de guides touristiques¶ La Promenade des Grandes Eaux Musicales (Château de Versailles Spectacles)¶ Le Petit Futé - Les Yvelines / Versailles (Nouvelles éditions de l’Université)¶
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2003-2006 / Créateur et Rédacteur en Chef d’un magazine culturel¶ b. story (directrice de rédation : Agnès B., agnès b.)¶ ¶
2003-2005 / Organisateur d’un festival de musiques amplifiées¶ Rock en stock (Théâtre Montansier, Ville de Versailles)¶ 2001-2002 / Rédacteur en Chef d’un magazine féminin et de son site Internet¶ Versailles madame et www.versailles-madame.com (Opus 102)¶ 2001 / Rédacteur pigiste¶ Les Nouvelles de Versailles (Publi Hebdos)¶ / Co-Scénariste d’un film d’animation¶ L’Hôtel du phare, court métrage de Tugdual Birotheau, Prix étudiant Imagina 2002¶
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1998-2000 / Assistant-Réalisateur¶ Baie Ouest, série d’Emmanuelle Rey-Magnan et Pascal Fontanille (Distingo Productions, Merlin Productions, TF1)¶ Le Défilé du siècle, Centenaire du Salon de l’Automobile (FC Médias, Ma Production)¶ La Maison d’Alexina, film de Mehdi Charef (Cinétévé, Arte)
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FORMATIONS ¶
1999 / Maîtrise Arts du Spectacle, mention études cinématographiques et audiovisuelles¶ Université Paris III, Sorbonne Nouvelle¶
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1995 / Baccalauréat Littéraire, option Arts Plastiques¶
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1989-1995 / Formations théâtrale et picturale¶ Collège J.-P. Rameau et lycée J. de La Bruyère¶ ¶
1983-1990 / Formation musicale¶ Conservatoire national de Versailles¶
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COMPétences¶
Informatique¶ Maîtrise de Microsoft Office, Quark X-Press et des outils Internet sur PC et Mac¶ Bonne connaissance d’Adobe Creative Suite (InDesign, Photoshop, Illustrator et Premiere)¶
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Langues¶ Anglais courant et Espagnol niveau Bac