Voilà presque trente ans de carrière qu’il nous dit qu’il a 10 ans… Mais à l’entendre chanter, à (re)lire ses textes, on ne cherche finalement qu’à le croire tant sa timidité, sa discrétion, sa sensibilité nous touchent. Douce caresse, donc, que la tournée acoustique du plus nostalgique des chanteurs français : Alain Souchon.
ALAIN SOUCHON
FOULE SENTIMENTALE
texte © Mickaël Pagano pour Versailles madame
Vous allez sortir un 4e album live. Pourquoi avoir gravé autant de prestations scéniques, de moments uniques ? Pas tant que ça, en fait – parce que ça fait longtemps que je chante ! Quatre concerts en trente ans, ça va ! C’est très agréable d’avoir les moyens d’enregistrer d’une manière très professionnelle ce que l’on fait tous les soirs – on ne se rend plus bien compte, parfois. C’est aussi un souvenir formidable. Dix ans après, on réécoute les bandes et on se dit : « Oh la la, comment je chantais ça ! » et « Oh, j’avais cette voix-là ! » Et puis les gens aiment bien : je reçois des mails de personnes qui, à la suite d’un concert, cherchent à savoir si un CD live est prévu. Ce n’est pas de la grande création mais un souvenir avant tout : ça ponctue la vie. Garder un live, c’est accompagner sa mémoire. Moi-même, je me souviens être allé voir Georges Brassens, Paul McCartney… Justement, qui allez-vous voir en concert ? Je ne vais pas souvent dans les concerts, alors quand j’en ai l’occasion, je vais d’abord voir mes amis : Michel Jonasz, Laurent Voulzy... Parce qu’on voit les choses différemment : on est anxieux pour eux, et surtout, on ne les juge pas. J’aime bien les concerts de Jean-Jacques Goldman – je suis ébloui par l’affection que le public lui porte, la cohésion qu’il y a entre la foule et lui –, et ceux de Francis Cabrel – je le trouve formidable, professionnel et talentueux : sa voix et sa guitare suffisent pour remplir une salle… J’aime aussi les spectacles un peu plus intimes, comme ceux de Jean-Louis Murat et d’Alain Bashung. Vous citez une famille de chanteurs français à laquelle vous appartenez. Vous avez pourtant évoqué Paul McCartney, précédemment… Oui. Je suis d’une génération où les Beatles étaient très importants. Quand ils sont arrivés, on avait tous envie
d’être les Beatles ! Ils ont sophistiqué, raffiné la musique populaire, qui était bien simpliste. Ils ont marqué le siècle, sans doute : dans leurs compositions, leurs façons d’arranger, d’envisager les harmonies. à côté, les Rolling Stones ne sont que des showmen, des créateurs qui mettaient leurs personnalités de petits voyous au service de la musique – la leur était un peu râpeuse, choquante. Ils avaient une attitude extraordinaire qui nous amusait beaucoup quand on était jeunes : ils faisaient les singes, tiraient la langue, prenaient des positions obscènes, jouaient toujours un petit peu faux de la guitare en disant : « Je vous emmerde ! », mais ils faisaient des tubes ! Cette espèce de révolte qu’ils véhiculaient nous enthousiasmait. Maintenant, ils sont vieux, ils n’inventent plus rien en musique ; mais j’aime qu’ils aient du succès. C’est comme si c’était nous qui avions du succès, que notre jeunesse n’était pas tout à fait finie… Quant aux artistes français que j’adorais – Brel, Brassens –, ils sont tous morts, alors… Peut-on connaître les coulisses de votre tournée ? Je fais une tournée spéciale. Je voulais chanter, pendant un an, presque tous les jours, dans des petites salles : pour voir ce que ça faisait. Plutôt que d’être avec, comme d’habitude, une quarantaine de personnes, deux semi-remorques et deux autocars, de faire les Zénith, etc. Cette fois, nous sommes trois musiciens sur scène, une quinzaine de personnes pour les lumières, le son : autant dire une équipe légère. Les salles ont entre 800 et 3000 places, et sont situées dans des coins, des petites villes où les gens n’ont pas l’habitude de voir des chanteurs. Finalement, ça fait plaisir à tout le monde : pour nous c’est un travail différent de ce que l’on a l’habitude de faire – la grosse cavalerie, où l’on est loin de tout, loin du public, derrière des projecteurs… Là, on est très proches des gens, et on joue d’une manière beaucoup plus soft. Ceci dit, ce n’est pas complètement acoustique : il y a des guitares électriques ! Les chansons
sont arrangées de telle sorte que trois musiciens puissent les jouer. C’est une autre expérience artistique. Vous ne vous êtes jamais produit à Versailles ? Non. Pourtant, c’est une ville que je connais bien : je me promène assez souvent place Hoche, un endroit peu abîmé car protégé… En fait, j’aimerais vivre à Versailles. J’adore l’architecture de ces grandes avenues larges et de ces contre-allées, ces appartements du premier étage qui sont les plus hauts de plafond, le parc du Château, son histoire, les dessins de Le Nôtre, la façon dont Versailles est entretenu – avec le potager, qui a été refait… Même les statues, quand vient l’hiver, semblent enveloppées d’une manière artistique : c’est magnifique ! J’adore tout : ça me fait rêver, ça me fascine depuis toujours. Il ne faut pas s’arrêter à la réputation de Versailles : une ville où il y a des gens aisés qui portent un jugement un peu simple sur la société, par moment – on dit « les Versaillais » d’une manière péjorative. « Il y a des gens bien partout », comme le dit Jean-Jacques Goldman. « J’ suis mal en campagne, mal en ville », mais vous avez besoin des deux pour composer, écrire, et, justement, faire des scènes… Oui. Ce que j’aime, c’est le changement. Si je suis tout le temps à la campagne, je m’ennuie : quand arrive le mois de novembre et qu’il commence à pleuvoir, à faire nuit à 16h, c’est atroce ! A ce moment-là, j’aime la ville, avec son côté artificiel qui vous embarque… Mais je ne peux pas y rester plus de quinze jours : j’ai besoin de retourner à la campagne ! Je compose partout : au bord de la mer, chez moi à Paris, à la campagne… Y a que sous les tropiques que je me morfonds vraiment !
« Chanteur de variétés, c’est une façon de passer ma vie d’une manière fabuleuse. Jouer de la guitare, écrire des chansons, et que les autres les aiment bien, que ça me rapporte de quoi vivre, c’est extraordinaire comme aventure ! »
Les années passent, et vous restez pourtant fidèle à l’image du chanteur de variétés françaises qui s’est fait connaître en 1974. êtes-vous tout de même ouvert à d’autres courants musicaux ? Chanteur de variétés, c’est une façon de passer ma vie d’une manière fabuleuse. Jouer de la guitare, écrire des chansons, et que les autres les aiment bien, que ça me rapporte de quoi vivre, c’est extraordinaire comme aventure ! Je trouve que j’ai de la chance
d’être resté toujours dans la même ligne : je ne suis pas les modes, mais je les écoute – j’aime la musique classique, je voudrais mieux connaître le jazz… – et elles m’influencent. Ce qui m’émeut, c’est l’assemblage des mots et d’une mélodie. Je cherche à mettre en adéquation ma voix, mes paroles et ma musique : parce que, même si on peut toujours s’arranger d’une manière artificielle, tant qu’on n’a pas trouvé le truc qui fait qu’on a l’impression que ça a toujours existé, que
c’est facile, limpide, ça ne marche pas. C’est pour ça que je mets beaucoup de temps… Quelles sont vos sources d’inspiration ? Qu’est-ce qui vous pousse à écrire ? Ma maison de disques ! Non… J’aime bien m’enterrer, et puis sortir de mon trou, en faisant des chansons qui vont épater les filles ou les gens… Je me dis : « Ah, ça c’est habile » ou « ça c’est bien trouvé, c’est sympa », « ça, ça veut bien dire quelque chose ». J’essaie de me toucher moi-même, de trouver des émotions. Quel est le secret de vos chansons ? Il n’y a pas de secret pour une chanson : on rame, on gratte la guitare jusqu’à ce que l’on soit content ! Et puis après, j’essaie tout de suite de trouver des mots qui vont bien avec ma suite d’accords. Il faut que ça me fasse un peu planer, quoi… Je m’émeus tout seul ! Et en même temps, je peux être ému par des âneries, des trucs sans intérêt : donc je demande l’avis de Laurent [Voulzy, ndlr], de ma femme, de mes fils… Votre inspiration, ce n’est pas l’importance de la Femme dans vos vies intime et professionnelle ? Dès que j’ai été petit, j’ai rêvé de rencontrer une fille comme dans les contes de fées, qui me trouverait formidable, et que je défendrais contre vents et marées, contre toutes les agressions : voilà, je me voyais en chevalier quand j’avais 8 ans. Après, à la mort de mon père – j’avais alors 15 ans –, je me suis obligatoirement retrouvé dans un univers de femmes. Mais j’ai très rapidement vécu seul… J’ai été attiré par les filles depuis le début comme un protecteur ; ensuite j’avais envie de leur faire des baisers dans les oreilles… Mais j’étais très timide. Des copains m’emmenaient dans les surboums, où je pouvais danser avec elles… De même que toutes les femmes doivent regarder les hommes avec mystère et intérêt, moi je regardais toutes les filles avec mystère et intérêt, en me disant : « Comment ça se fait qu’elles mettent des chaussures comme ça ? » Ce sont des choses qu’on ne peut pas comprendre, nous, les garçons, mais elles mettent quand même des chaussures qui… Ça doit être pour nous énerver !
J’ veux du live, d’Alain Souchon (CD et DVD Virgin) En concert acoustique le 06 novembre 2002 au Théâtre Alexandre Dumas, à Saint-Germain-en-Laye
JANE BIRKIN
Jane Birkin s’en étonne ellemême : « Ma voix me chante à travers les haut-parleurs et je n’ai pas honte... » Pour la première fois, Tous les textes de son nouvel album lui appartiennent. Et c’est SI bien écrit qu’on ne peut s’empêcher de les écouter sans penser à Gainsbourg... Qui lui avait pourtant interdit de chanter un autre que lui !
Serge Gainsbourg lui a écrit sept albums. Amours des feintes, peu de temps avant sa mort, fut le dernier qu’il lui dédia. Depuis 1991, Jane Birkin a tenté de se séparer de cette œuvre à jamais enlacée à son image. La femme a connu d’autres hommes et la muse, d’autres créateurs. Avec À la légère (1999) et Rendez-vous (2004), seule puis en duos, elle interprète différents artistes, prête son accent à des musiques et des textes qui racontent toujours la Jane d’un Comic Strip ou une Birkin plus pathétique. Arabesque (2002) est l’entre-deux obligatoire : la chanteuse y estompe ses « infidélités », orne à nouveau sa discographie avec les titres du passé. Pourtant, l’ex-fan des sixties continue de prendre ses libertés, et enchaîne avec les mots moins français de Fictions (2006), comme pour tourner la page… Jane Birkin l’a principalement écrit il y a sept ans : Enfants d’hiver, qui sort et la fait naître aujourd’hui, est le premier enregistrement qui l’affranchit enfin de Gainsbourg. Pour cela, Jane Birkin a signé toutes ses paroles. Et posé sa voix sur des notes sobres, feutrées, actuelles, avec les accords d’Alain Souchon, Franck Eulry et Hawksley Workman, entre autres discrets et complices compositeurs. Le verbe en rythmique, l’auteure couche sur leurs partitions des rimes intimes – des souvenirs d’enfance (Enfants d’hiver), l’amant d’un soir (14 février), la sexualité des seniors (Prends ma main). La verve poétique, elle touche aussi la portée d’un sentiment avec des figures qui ne manquent pas de style – la lauréate birmane du prix Nobel de la paix, toujours « enfermée » (Aung San Suu Kyi), sa fille Charlotte, jamais nommée (Pourquoi). Quant au Serge mythique, qu’il en reste bouche bée : à force de vouloir lui fausser compagnie, sa Jane B. le conjugue au présent, très justement, dans une ultime chanson céleste (Je suis au bord de ta fenêtre). La glace est brisée. Une bonne nouvelle pour cette étoile : Enfants d’hiver est, même dans les non-dits, une belle preuve d’amour. Enfants d’hiver, de Jane Birkin (EMI / Capitol)
texte © Mickaël Pagano pour www.femmes.com
PERMISSION Céleste
DREAM OF LIFE
texte © Mickaël Pagano pour www.femmes.com
PATTI SMITH INTIME
« Chaque individu a plusieurs facettes, raconte le cinéaste. Je sais que je ne suis pas seulement un photographe de mode. Et Patti Smith n’est certainement pas qu’une icône du rock. Elle est bien davantage. Pour moi, ce film traite de la découverte de son identité. » Steven Sebring a rencontré l’artiste en 1995, au cours d’une séance photo pour le magazine Spin et, obtenant de filmer ses concerts, a finalement réalisé, onze ans plus tard, son portrait le plus intime. L’histoire du documentaire Dream of Life commence donc avec une figure engagée du rock féminin qui, pour faire face à une vie de famille récemment assombrie par les décès de son mari (l’ex-guitariste de MC5, Fred « Sonic » Smith), de son frère et de son pianiste, remontait alors dans les lumières de la scène après quinze ans d’absence – et un seul album, Dream of Life (1988). Elle se déroule avec les images et la voix unique, obsédante, d’une personnalité marquante, aux talents multiples. Steven Sebring nous introduit dans l’univers de la chanteuse, récitante, poétesse, également peintre et photographe, mais aussi mère et militante. À travers elle et ses amis – qu’elle évoque ou qui l’évoquent, de Bob Dylan, William Burroughs et Alan Ginsberg à Philip Glass, Michael Stipe (REM) et Flea –, le documentaire décrit plusieurs décennies de la culture américaine, souvent underground pour l’« héroïne populaire » du réalisateur. Ce conte moderne s’achève sur la sélection officielle de Dream of Life pour les festivals du film de Berlin et de Sundance en 2007, tandis que Patti Smith entre au Rock and Roll Hall of Fame. Et la sortie du film en DVD cet hiver est un point d’orgue à une année pendant laquelle l’icône a poursuivi l’œuvre de Steven Sebring – en 2008, Patti Smith dévoilait quarante ans de sa vie : son art avec l’exposition « Land 250 » à la Fondation Cartier, et sa plus grande inspiration, Robert Mapplethorpe, avec le double album live The Coral Sea. Dream of Life, de Steven Sebring (Medici Arts)
« J’espère que ce film incitera les gens à s’intéresser plus à ce qui les entoure ou à se nourrir l’esprit avec des livres, de la musique, de la culture, de l’art, de l’histoire... Je voudrais que Dream of Life donne envie aux gens de faire quelque chose de leur vie. » Steven Sebring, Réalisateur Du premier documentaire SUR PATTI SMITH.
BERCY, 18 octobre 2003. les artères de la capitale s’encombrent d’addicts qui tutoient la musique de Brian, Stefan et Steve depuis 7 ans. âge de raison pour un groupe aux spectacles stupéfiants, déversant les flux (non sans gains) de mélodies tantôt écorchées, très tard mises à nu dans l’intimité d’une salle de concert. « Sex, drugs & rock ‘n’ roll » : la pensée (dés)incarnée hante encore Sleeping With Ghosts, dernier effet de Placebo. Ceux qui n’ont pas de veine restent aux portes d’une hallucination collective : Placebo, Live in Paris. Qu’ils se rassurent, LA dose de sons ET D’imagES sera bientôt en vente libre…
PLACEBO
THEY’LL BE YOURS
texte © Mickaël Pagano pour b. story
Le single Protège-moi est sur le point de sortir. Pourquoi avoir fait appel à des auteur et réalisateur maudits, controversés, pour l’adaptation française de ses paroles et son clip ? Brian Molko : On n’essaie pas de travailler avec des personnes que les gens apprécient, mais plutôt avec celles qui en valent la peine, qui ont tout à prouver. On n’est dans aucun système. J’ai rencontré Virginie [Despentes, ndlr] il y a quelques années, et c’est devenue une amie. C’est toujours plus agréable de travailler avec des gens qu’on connaît. Et puis j’ai pensé que ce serait un challenge pour elle, que ça lui apporterait une certaine notoriété. Et Gaspar Noé ? B. M. : On n’a pas encore vu la vidéo, donc on ne peut pas dire à quoi ça ressemble. Mais encore une fois, on cherche à ne pas se retrouver pris dans le piège commercial de ce que sont les clips, en général – tu peux pas montrer des nichons, ni des gens en train de fumer, faut pas montrer ci, ni montrer ça… Malheureusement, en tant que groupe, c’est sûr, on doit rentrer dans un cadre commercial… Mais dès qu’une opportunité se présente à nous pour s’en échapper, on est preneurs ! Alors, c’est très intéressant pour nous de travailler avec Gaspar, qui est allé à l’encontre des médias ! J’ai vu Irréversible et Seul contre tous… Tu bosses pas avec un mec comme ça pour te retrouver piégé, mais plutôt pour te lancer un défi, sortir de l’ordinaire. C’est ce qui nous a excités. Qu’en est-il de vos collaborations musicales : comment choisissez-vous vos participations aux projets d’autres groupes ? B. M. : Une fois encore, la collaboration s’établit sur les bases d’une amitié. à certaines occasions, on m’envoie des morceaux : il y en a certains que je vais faire, d’autres pas... Et c’est souvent des gens que je
connais : Alpinestars, Dimitri Tikovoï et son concept Trash Palace… Et récemment, une collaboration avec Jane Birkin [le titre Smile, sur l’album Rendez-vous (Capitol)]. Ce fut un grand moment. J’adore Jane en tant que chanteuse. Elle a aussi une grande beauté. Bref, c’est une institution culturelle ! Quant au grand Gonzalès, qui a produit ce titre, il est tout simplement fantastique ! Oui, ce fut vraiment un grand jour pour moi… Stefan Olsdal : J’ai récemment travaillé avec Darren Emerson, ex-Underworld – moi aussi, je travaille essentiellement avec des gens que je connais. Sinon, j’ai fait quelques petites choses en Hollande. Mais, en général, je travaille plus en France, sur des trucs plus dance, plus électro… Et j’ai parfois envie de devenir le chanteur leader du groupe, mais ça sonne trop gay pour Placebo… (rires) B. M. : Oh, mon minou… Tu crois, vraiment ? (rires) Parlons de ces « digressions » musicales, puisque vous êtes l’un des groupes les plus prolifiques en morceaux inédits. Comment définiriez-vous l’engouement de Placebo pour les B-sides ? B. M. : C’est génial, les B-sides : c’est la liberté ultime ! Tu fais ce que tu veux ! Ça n’a rien à voir avec l’énorme dose d’énergie créatrice nécessaire à la création d’un album ! Tu peux faire des instrumentaux, des BO, et même tes covers [reprises, ndlr] peuvent être carrément expérimentales… Et ça, pour nous, c’est vraiment agréable. C’est une sorte d’exutoire à cette créativité impossible à révéler à 100% sur un album : puisqu’on n’a pas toute l’intensité commerciale sur les épaules, on peut se lâcher. Et révéler les faces cachées de Placebo, avec des styles vraiment divers, voire très étonnants… B. M. : Exact. Par exemple, Mars Landing Party a été une franche rigolade en studio ! Parce que tant au niveau
des paroles que de la bande-son, c’était culotté… On jouait quelques notes et on partait dans un fou rire ! Ces covers, les choisissez-vous dans l’intention de faire découvrir vos influences et goûts musicaux ? B. M. : Non. Il y a des titres qu’on aime, des titres qu’on pense pouvoir faire, et d’autres encore qu’il nous amuse de reprendre... Faire des covers, c’est un peu comme être en vacances. Mais ces morceaux, c’est un rapprochement avec nos vies : ce sont des sons qui ont bercé notre enfance.
scène, de communiquer une émotion. T’es là pour la bonne marche du concert. Après, c’est terminé ! Tandis que pour le public, ça continue encore et encore dans leur tête. De notre côté, on va boire quelques verres et se mettre au lit ; pour se réveiller le lendemain dans une autre ville ; et recommencer une fois encore. Le groupe se concentre énormément sur l’idée que chaque date de tournée n’est pas un concert, mais un vrai boulot.
Justement, par ce biais, vous faites également connaître les « anciens » (David Bowie, Frank Black) à vos plus jeunes fans… B. M. : C’est possible… Par exemple pour des gosses de 15 ans qui vont découvrir Surfer Rosa des Pixies après avoir entendu notre reprise de Where is my mind?. Et tant mieux, parce que c’est un putain d’album : un plus grand classique que Nevermind [album de Nirvana, ndlr], selon moi ! Et si les jeunes sont confrontés aux Pixies, à Sonic Youth ou à PJ Harvey, et qu’ils achètent leurs albums grâce à nous, alors c’est fantastique !
Le 18 octobre dernier, à Bercy, a-t-il été une prestation particulière pour Placebo ? B. M. : C’était très, très stressant. C’est la date la plus importante qu’on ait faite : 80 000 personnes et des morceaux enregistrés, filmés pour un DVD ! Donc, forcément, il y a comme une tension, une pression supplémentaire. Il fallait que tout soit parfait pour le DVD ! Alors tu te concentres profondément pour que tout roule ; t’as pas le temps de te poser ; et, en plus, il faut que tu montes sur scène avec l’une de tes idoles, Frank Black, avec qui t’as répété ta chanson une seule fois dans la journée ! J’étais vraiment heureux quand le concert a pris fin. En sortant de scène, c’était vraiment : « Putain, ça y est, on peut souffler maintenant ! »
Sur scène, vous rendez-vous compte de l’impact que vous avez sur le public ? B. M. : Non, je ne pense pas. D’ailleurs, je crois que c’est une bonne chose. Certains disent de Placebo que c’est génial, d’autres que c’est de la merde. Mais notre but, c’est de continuer à faire de la musique. Après tout, ton job, c’est d’être musicien, artiste : c’est ce que tu sais faire, et c’est tout à fait naturel pour toi d’être sur
Comment définiriez-vous les liens qui unissent Placebo à ses fans français ? B. M. : En fait, c’est un peu comme une love story depuis le début. Et j’ai certainement été mis en avant parce que je parle français – et les Français adorent ça ! Il y a une tradition littéraire du Romantisme en France, avec des hommes comme Baudelaire et Rimbaud ; par conséquent, la compréhension des émotions que l’on transmet, des sentiments dont on parle, est évidente. à voir tous les groupes anglo-saxons qui ont plutôt bien marché en France – The Cure, PJ Harvey, Depeche Mode, Nick Cave , The Pixies et Placebo –, on comprend
cette connexion, cette logique, ce rapport… Et puis tous ces groupes ont quelque chose en commun : une sorte de Romantisme ténébreux, et surtout une musique très émotionnelle et honnête. Quand on prend du recul et que l’on pense à tous ces artistes, c’est sensé. Que dire des relations fans-idoles ? B. M. : C’est accessible… pour chacun de nos amis ! S. O. : Ça peut être difficile de devenir l’ami d’un fan… En général, à la première rencontre, il a déjà une certaine image de toi, de qui tu es… Il ne peut pas y avoir d’égalité : il attend beaucoup de toi parce qu’il t’estime plus important que ce que tu es vraiment. Et la relation peut devenir très exigeante. C’est super difficile d’y arriver. Placebo semble aussi concerné par les autres arts, l’Image en général – cinéma, photos, mode, pubs, clips… B. M. : Je sais les fans très attachés aux clips. Mais c’est souvent encore et toujours la même chose. On s’intéresse beaucoup plus au cinéma, à la photo. Et surtout à la mode... C’est vraiment cool d’être en relation avec de
expressif dans ce qu’il porte que dans ce qu’il fait ! B. M. : On n’a pas envie de ressembler à Oasis : arriver sur scène comme si on sortait du bar… Trop peu pour nous ! Quelles sont vos affinités avec la créatrice, qui signe également vos tenues de scène ? B. M. : Agnès est vraiment une très bonne amie… Je l’ai rencontrée à l’Olympia, il y a quatre ans. On était tous les deux très intimidés l’un par l’autre. Mais, au fil des années, on est devenus très proches. J’essaie de la voir chaque fois que je viens à Paris – d’ailleurs, je n’ai atterri qu’hier, mais je lui ai déjà téléphoné... C’est quelqu’un que je respecte et que j’aime très tendrement. S. O. : J’admire la façon dont elle mène son business. Elle est très indépendante. Elle n’a pas peur d’aller au fond de sa passion pour l’Art – il n’y a qu’à voir ses collaborations avec des artistes comme Gilbert & Georges… C’est une femme fantastique, incroyable… B. M. : Agnès a aussi une société de production de films, et elle soutient et travaille pour de jeunes photographes ou vidéastes… Elle est capable d’être sur dix projets en même temps ! Et je l’admire pour ça.
« on cherche à ne pas TOMBER dans le piège commercial de ce que sont les clips – tu peux pas montrer des nichons, ni des gens en train de fumer, ET faut pas VOIR ci, ET PAS VOIR ça… Mais dès qu’une opportunité se présente pour s’en échapper, on est preneurs ! » BRIAN MOLKO
grands créateurs. Nous sommes vraiment chanceux. On a réalisé un tee-shirt, récemment, avec agnès b., avec les paroles de I’ll be yours. Et de voir les noms d’agnès b. et de Placebo ensemble sur le tee-shirt… Waouh ! On en est vraiment très fiers ! S. O. : D’ailleurs, là… Ouais, je porte du agnès b. ! De toute évidence, vous faites attention à l’image que vous renvoyez… B. M. : Oui, on essaie de faire un effort. S. O. : Comme la plupart des gens, j’aime être présentable. Parfois, même, le groupe essaie d’être plus
DVD Soulmates Never Die, Placebo Live In Paris 2003 (Capitol)
DAVID BOWIE
UN HO M M E CENT V ISAGES
texte © Mickaël Pagano pour Versailles madame
« JE SUIS DE l’autre côté, seul à connaître la vérité. »
David Robert Jones. Telle est sa véritable identité. De l’enfant rêveur, né le 8 janvier 1947 à Brixton, banlieue populaire de Londres alors défigurée par la guerre, on ne connaît pas tout, sinon une admiration pour un grand frère, Terry, épris de jazz, une pupille gauche dilatée à la suite d’une bagarre de collégiens, des aptitudes au dessin œuvrées au sein d’une agence de publicité, enfin une passion pour la musique qui le révèle saxophoniste puis leader de plusieurs groupes. Doué, avide de reconnaissance, il n’est pas cet affreux homonyme, Davy Jones, chanteur des caricaturaux Monkees : David change donc de patronyme, et se couvre d’un premier masque qui lui colle encore à la peau. Sous les traits maquillés du mime Lindsay Kemp, David discerne une autre figure importante de ses premiers pas sur scène. Inspiré par ce théâtre du geste, il monte sur les planches pour mettre en scène les arts qui l’animent, dont la poésie et la musique pour laquelle il aspire
toujours à l’élévation. Son rêve se concrétise lorsqu’en 1969, sa propre voix lui demande de redescendre sur Terre : mais dès lors, l’auteur-compositeur, désormais envolé dans le rôle du cosmonaute Major Tom dans Space Oddity, ne tombera plus dans l’anonymat. En concert, il excite la curiosité : son corps d’androgyne et ses poses efféminées, lascives, éveillent l’intérêt de tous. Qui est ce nouvel artiste dont l’Angleterre tombe amoureuse ? Moins d’un an après, il est l’homme qui a vendu le Monde (The Man Who Sold the World) en restant allongé sur un divan tel une Olympia, vêtu d’une « robe d’homme » et s’offrant aux regards interdits. Son troisième album n’attise pas le scandale : il attire plutôt l’attention de l’histoire du rock. Original chef-d’œuvre parmi tant d’autres à suivre, Hunky Dory (qui commence d’ailleurs avec le titre prémonitoire Changes) lève le voile sur l’avenir et met en lumière un être impossible à cerner. Ce dernier coupe court aux modes, taille soudain ses longs cheveux pour les faire virer au rouge orangé et habille vite le glam de ses costumes excentriques saturés de couleurs : une transition alerte pour une transformation (extr)avertie. Et si un enfant est né de son intimité avec l’Angie (Angela Barnett, actrice) des Rolling Stones, le personnage qu’il a engendré pour son public avoue son homosexualité. Le bouleversement est
total… Ziggy Stardust est la première star à ne plus travestir ses propos. Le voyeurisme s’émancipe, et les foules se déchaînent devant les shows-exhibitions de leur idole avant-gardiste, qui emprunte et importe aussi bien le kabuki, les tenues japonaises, que les visions post-modernes de Metropolis. Dans ses tournées, Ziggy se confond bientôt avec une nouvelle effigie de son ego : le schizophrène Aladdin Sane, reflet plus lisse mais tout aussi décadent que son alibi Stardust. La nuit du 3 juillet 1973, docteur David et mister Ziggy / Aladdin sont ensemble la dernière fois… Face à des adulateurs dont le sang s’est glacé en saisissant cette confession, David exécute la prophétie de Ziggy et le suicide devant des milliers d’yeux criant leur douleur muette… Libéré de ses monstres – destructrices incarnations qui voulurent supplanter leur créateur –, David l’inventeur conçoit un album de reprises, Pin Ups, afin de calmer les esprits et, certainement, de retrouver les siens, par le biais d’hommages, billets doux à ses chansons favorites.
Le fait est que, tout au long d’une carrière jalonnée de rencontres, il ne cessera d’être séduit par certaines, s’en attirera d’autres grâce à ses talents de producteur, et surtout de musicien devenu l’un des plus influents de la pop. C’est pourquoi – puisque David est un caméléon doublé d’un précurseur – il affiche un coup de cœur méconnu, le funk, et se dissimule aussitôt dans la chair chimérique d’un centaure canin nommé Halloween Jack. Paranoïaque, mythomane et insidieux, le protagoniste des Diamond Dogs vit dans un futur cruel et austère représenté, pendant des spectacles quasi cinématographiques, par le décor d’une ville dévastée. Young Americans (un album ouvertement soul) délivre David de l’animal, et son nom s’affilie au Septième Art. Pour les caméras, il est à présent Thomas Jerome Newton, un extraterrestre désœuvré qui cherche de
Catherine Deneuve dans Les Prédateurs). à l’aube des années 80, Scary Monsters (and Super Creeps), glorieux avatar, répond idéalement à une rentrée théâtrale émouvante encensée à Broadway : David personnifie l’oublié John Merrick, The Elephant Man. Couronné de succès dans tous ses projets, l’excellent peintre aux nombreux autoportraits – qui expose régulièrement et écrit dans la revue Modern Painters – est consacré dans la musique et au cinéma : en 1983, Nagisa Oshima le choisit pour interpréter Jack Celliers, l’officier anglais de Furyo, et David désigne Let’s Dance comme une bombe internationale. Les échecs qu’il observe ultérieurement ne le rattrapent pas : David regarde droit devant lui et discerne un juste retour aux honneurs (il est continuellement glorifié par l’élite – David Lynch, Lou Reed… – et la « relève » – Placebo, Nine Inch Nails…) et aux amours (il épousera le top-model Iman) avec les années 90. En 1995, le tortueux 1.Outside sort de l’imaginaire de David un obsessionnel Nathan Adler, faux journaliste et authentique tueur en série : composé
« Je ne suis pas un puriste. J’essaie de mélanger tout ce qui passe à ma portée. Si c’est là, je m’en saisis et je l’ajoute à la palette avec laquelle j’ai envie de travailler. »
l’aide sur notre planète, dans L’Homme qui venait d’ailleurs de Nicolas Roeg. Après le tournage, l’individu blafard au look céleste prend possession de David, qui l’améliore et se métamorphose en un élégant Thin White Duke (« fin dandy blanc ») sur son onzième ouvrage discographique, Station to Station. L’échappée suivante le mène à Berlin, où, assisté de l’expérimentateur Brian Eno et transporté par les recherches électroniques allemandes (Kraftwerk), David compose une trilogie presque instrumentale, révolutionnaire, froide et stridente, new age avant l’heure – tandis que les britanniques sonnent l’effervescence punk – : Low / Heroes / Lodger, aux sonorités froides comme les beautés que David côtoie à l’écran (Kim Novak et Marlène Dietrich dans Gigolo, et plus tard
de morceaux torturés, de mélodies tourmentées, il s’agit d’une réflexion sur la fin du millénaire, qui s’achèvera pour l’éternel génie impatient, pionnier du multimédia, par l’inscription de ses mines dans le virtuel – David apparaît dans le jeu vidéo Omikron: The Nomad Soul, et signe des partitions hybrides de techno, jungle, drum n’ bass sur Earthling. Les années passent, et les heures (Hours) tournent dans notre lecteur de CD… En juin 2002, David livre sa dernière déclaration musicale : Heathen est lyrique, brillante (déjà disque d’or), parfaite. Beaucoup l’ont déjà annoncé comme l’un des meilleurs d’un dieu du rock, homme aux multiples facettes. David Bowie. Telle est son incontestable identification. Heathen (ISO / Columbia) et les 30 ans de The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars (EMI), de David Bowie En concert au Zénith de Paris, les 24 et 25 septembre 2002
SHINE A LIGHT
LUMI è RE SUR LES STONES
texte © Mickaël Pagano pour www.femmes.com
En 1970, Martin Scorsese était assistant réalisateur et monteur sur le film Woodstock, 3 jours de musique et de paix, de Michael Wadleigh. De cette première expérience, il dira : « J’ai appris à organiser et contrôler une équipe de cameramen, mais nous n’avions pas de script. Nous ne savions pas à l’avance qui allait chanter quoi. C’était le chaos. » Près de vingt ans plus tard, l’ouverture de son « rockumentaire » Shine a Light nous fait croire que rien n’a changé : Martin Scorsese demande des caméras partout et un décor envahissant, au grand dam des Rolling Stones, qu’il fait jouer dans le petit Beacon Theater de New York, et Mick Jagger, ce grand monsieur, refuse sa set-list (encore incomplète) au cinéaste. En fait, la rock attitude est restée la même. Martin Scorsese, qui a toujours emprunté à l’œuvre des « Glimmer Twins » (le titre Gimme Shelter est la bande-son de Les Affranchis, Casino et Les Infiltrés), n’a d’ailleurs jamais abandonné l’idée de réaliser son rêve : filmer ses idoles. Trop tard ? Mick Jagger, Keith Richards et Charlie Watts tournent ensemble depuis 1962 – Ron Wood les a rejoints en 1974. Mais la prestation comme la prestance des sexagénaires gravent encore la pellicule et la légende, vivante, du rock : « J’ai simplement voulu restituer en sons et en images la formidable force dégagée sur scène par les Rolling Stones », assure Martin Scorsese. Shine a Light met en scène les origines du groupe, réunissant des guests (le vieux Buddy Guy, la vigueur de Jack White et Christina Aguilera) pour convoquer le blues en live, et rassemblant quelques vidéos d’archives et d’interviews comme prédestinées à ce docu-concert filmé. Sous l’œil du cinéaste admirateur, les Rolling Stones sont des artistes de chair et de sang, toujours sublimés par le temps qui passe. Justement parce qu’il n’a pas de prise sur des pierres qui roulent… Shine a Light, de Martin Scorsese (Wild Side Video)
Martin Scorsese a fini par réaliser, mieux qu’un film, son rêve : Shine a Light, Un documentaire sur les Rolling Stones. « La musique est pour moi aussi importante que le cinéma. Elle m’inspire constamment, elle imprègne mes images, mes mouvements d’appareil, mon montage. Je sais que, sans la musique, je serais perdu »...
THE BEATLES
ET LA M USIQUE FUT
texte © Mickaël Pagano pour www.femmes.com
Vénéré par le monde entier de la musique, signé par la critique comme le meilleur et le plus influent album de tous les temps, le Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles a marqué l’histoire du rock ‘n’ roll Et, 40 ans plus tard, continue de faire l’unanimité. la légende voudrait POurtant nous faire croire qu’il aurait pu en être autrement…. « Rien ne m’a vraiment touché jusqu’au jour où j’ai entendu Elvis. S’il n’y avait pas eu un Elvis, il n’y aurait pas eu les Beatles. » (John Lennon) Mais depuis leurs débuts, les Fab Four entendent bien bouleverser le rock ‘n’ roll, et le King lui-même finit par s’incliner devant le talent et l’offense de ses meilleurs successeurs et détracteurs. En 1966, tout le monde porte le groupe au pinacle sans que la célèbre déclaration : « Nous sommes plus populaires que Jésus désormais » (John Lennon) profane vraiment la « beatlemania » universelle. Journalistes et public croient en une tout autre rivalité : celle qui oppose les « quatre garçons dans le vent » aux Rolling Stones. En réalité, leur amour-propre musical ne peut être blessé par les bad boys alors dans l’amorce de Their Satanic Majesties Requires, mais plutôt par les blondinets Beach Boys. Car ces derniers glissent sur une vague d’originalité grâce à Pet Sounds (1966), chefd’œuvre composé en réaction au Rubber Soul (1965) des Beatles, qui répandent entre-temps les singles de Revolver (1966) comme une traînée de poudre dans les charts. L’auteur et bassiste Paul McCartney admire néanmoins le disque de son homonyme Brian Wilson et le confesse timidement : « Ce n’était pas vraiment avant-gardiste, c’était juste de la musique bien faite, de la surf music – mais vocalement et mélodiquement, ça allait un peu plus loin. »
La tête (encore bien-)pensante des Beach Boys souhaite toujours « redessiner la carte de la pop » et envisage l’accomplissement de son art – ou « le meilleur disque de pop jamais réalisé » selon les prédic(a)tions de son attaché de presse – comme une « symphonie adolescente pour Dieu ». Conceptuel voire expérimental, Smile, l’album aux dimensions hors tout (norme, temps) déjà annoncé par des Good Vibrations multi-radiodiffusées, est pour ainsi dire achevé lorsque Brian Wilson abandonne
soudain et définitivement toutes ses bandes. Certes usé par son génie incompris, cause et/ou conséquence d’une consommation démesurée de drogues et des contestations continues de la part des membres du groupe, la descente aux enfers (isolement, paranoïa, folie) de Brian Wilson est uniquement engrenée puis inévitablement gangrenée par l’apparition du Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles, qui devance de peu sa folle ambition. À l’unanimité, le milieu de la musique reconnaît qu’il y a un avant et un après Sgt. Pepper’s… Pendant, les Beatles sont à leur apogée, enregistrant dans leur studio d’Abbey Road avec les moyens budgétaires et le nombre de séances les plus importants jamais accordés à un groupe. Les Beatles retrouvent une liberté certaine… D’abord pour se détacher de ce qu’ils représentent aux yeux du monde et « arrêter de tourner pour faire des choses plus abstraite » (Paul McCartney) : les Beatles s’inventent une nouvelle identité, celle du Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, une fanfare costumée de style Edwardien qui répond néanmoins à la tendance hippie et au nom à rallonge coutumier de l’époque. Ensuite parce qu’ils innovent dans l’art et la manière de concevoir leur disque : en imaginant un savoir-faire (coller des bouts de bandes au hasard, ou les lire à l’envers, mixer un orchestre symphonique ou des instruments traditionnels aux leurs), en maîtrisant les difficultés techniques pour créer des procédés inédits (dont le vari speed qui permet de moduler la vitesse de défilement d’une bande, et le reduction mixdown grâce auquel les quatre pistes du magnétophone sont ramenées à une seule pour en générer ainsi trois nouvelles, elles aussi réduites pour en avoir deux supplémentaires, etc.), en laissant George Martin, le producteur de Sgt. Pepper’s…, instituer alors le concept album (soit l’enchaînement de certains morceaux). Bien d’autres inspirations élèvent le Sgt. Pepper’s… des Beatles au plus haut : même le 33 tours et sa pochette font parler d’eux – l’un renferme quelques secondes du sifflement d’une fréquence inaudible par l’homme mais par les chiens (qui aboient sitôt qu’ils l’entendent) avant de délivrer une boucle sans fin gravée sur le sillon intérieur ; l’autre, par l’attention que lui portent les Beatles (c’est notamment la première fois que les paroles y figurent), improvise déjà l’avenir du conditionnement du disque comme un élément tant artistique que marketing. « We’re Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band / We hope you will enjoy the show »... Mieux : quarante ans plus tard, on se réjouit toujours de vous écouter, John, Paul, George, Ringo. Encore et encore...
-M-
texte © Mickaël Pagano pour b. story
Métamorphose
Lorsque j’entre dans sa loge, quelques minutes avant le spectacle, il m’affirme être « l’artisan, pas encore l’artiste : on est au début de la mutation ! » Il était une fois une transformation certes élémentaire mais inaccessible. « J’avais surtout l’envie de trouver mon personnage, de me grimer, d’afficher ma personnalité et ma fantaisie par un look, par une manière. Mon nom de scène s’est imposé à moi : ce serait la lettre M, l’initiale de mon prénom. Je n’avais pas envie de chercher loin. Et puis, après coup, ce choix s’est révélé être le meilleur possible : posé là, au milieu de l’alphabet, le M est aussi la phonétique du plus beau verbe de notre langue… Le plus difficile a été de rendre cette lettre coiffable ! » écrite au gel comme on lisse au crayon l’étoffe d’un héros, la célèbre majuscule couronne un Machistador qu’on ne présente plus. Pourtant, c’est bien sous la plume échevelée et poétique de Matthieu Chédid que les mélodies se succèdent, toutes capitales dans le paysage de la chanson française. Sans retenue, déjà l’auteurcompositeur-interprète me conte son aventure et son univers – sacré Monde virtuel –, me décrit une foule de protagonistes qui les habite, avec laquelle il aime à partager sa réussite… Puis, au détour des mots, en marge d’un regard concentré, -M- est apparu. Aussi soudainement que les projecteurs s’embrasent pour les premiers accords d’un concert. La métamorphose avait donc pris effet. « Jusqu’à aujourd’hui, personne n’avait jamais assisté à ça ! » Et tandis qu’une conclusion s’impose maintenant, je commence à réaliser la magie du moment. On touche l’évidence : -M- est l’ego de Matthieu. Et dès lors que le double fantasque (fantasme ?) s’éloigne, on effleure le secret : Matthieu est l’égal de -M-…
Pourtant indispensable à votre métamorphose, l’étape de l’habillage reste trop rarement révélée. Pouvez-vous nous en dire plus sur vos costumes de scène, créations originales signées agnès b. ? Chaque album a eu ses couleurs et son équipe au niveau des costumes… Ça part toujours de dessins que je peux faire, des croquis souvent retravaillés par un copain dessinateur, Cyril Houplain – on lui doit notamment la pochette du Baptême, le clip de Ma mélodie et les décors de l’actuelle tournée. Tout a commencé avec Carole Jouffroy, qui a fait ma première veste, rouge avec un liserai jaune, quelque peu inspirée de Sergent Pepper’s… et toutes ces choses- là. Ensuite, Natacha Gauthier a fait toutes les vestes de l’album et la tournée Je dis aime. Agnès est arrivée sur le dernier album, Qui de nous deux. Mais on peut dire qu’elle a toujours été là. C’est-à-dire que si on avait besoin, par exemple, d’une chemise pour un clip, on demandait à Agnès et elle nous la passait tout de suite : il y avait cette incroyable disponibilité de sa part… Et puis on a eu envie de travailler vraiment ensemble. Donc, pour Qui de nous deux, je suis allé la voir avec un croquis plus affiné qu’elle a mis en forme avec son expérience et ses goûts. Agnès fonce direct chaque fois qu’on a une envie, elle se rend disponible dans les moments-clés. On a fait des pantalons, des chemises – enfin, je veux dire, on a vraiment été très loin ensemble. Ça a été une chance inouïe et surtout un luxe total : je crois que j’ai plus de dix vestes comme la nouvelle ! De matières et de couleurs différentes ! Et de rencontrer une femme aussi posée, aussi douce, avec ce regard, comme ça, hyper tendre sur l’art et les créatifs... Elle a vraiment ce côté mécène accompli, et c’est très touchant et très beau de voir des gens comme elle. Parce que tout ce qu’elle fait, ça doit lui prendre beaucoup d’énergie, et elle trouve quand même le temps – je ne sais pas comment – d’être toujours présente dans d’autres disciplines, que ce soit le cinéma ou la musique, les arts plastiques, etc. C’est fascinant ! Je n’ai jamais vu ça ! Je suis complètement en admiration devant ce genre de personnages. Et devant l’être humain aussi, évidemment. Comment cette complicité est-elle née ? On avait des connaissances en commun. Mais ça s’est fait par la musique, et principalement par le biais de Vincent Ségal [le violoncelliste de -M-, ndlr], qui connaît Agnès personnellement depuis très longtemps. à l’époque, je crois qu’il était dans le milieu des graffeurs – on ne l’imagine pas comme ça, hein ! –, mais pas forcément du hip hop : tout ce monde des années 80 auquel Agnès était attachée. Ils ont dû se rencontrer dans ces ambiances-là… Je pense que si Agnès s’est
intéressée à moi, c’est parce qu’elle suit ce que fait Vincent depuis… quinze ans, déjà ? Parce qu’il a joué avec la terre entière ! Bref, Vincent est un pont entre Agnès et moi. Et puis, quelque part, entre lettres, on se comprend : le M, le B ‑ Arthur H n’est certainement pas loin ! évidemment, c’est un peu anecdotique... Mais il me semble qu’on se comprend, tous les deux.
considérer chanteur. Je ne le suis que dans un contexte très particulier. Par exemple, c’est rarissime que je chante chez moi : je ne chante qu’en studio ou sur scène, ou quand j’écris une chanson, évidemment. D’ailleurs, lors d’un jam avec les musiciens, jamais – ou très rarement – je n’irai me mettre au micro : je jouerai de la guitare !
La chanson Qui de nous deux évoque un duel entre l’artiste et son instrument. Ce titre n’était-il pas surtout l’évocation de la dualité Matthieu / -M- ? C’est vrai. La phrase exacte du refrain, c’est « Qui de nous deux / Inspire l’autre ». C’est un hommage à l’Autre. Et l’Autre, c’est d’abord soi-même, puisqu’on est multiple ; c’est aussi le public, car si tu n’as pas l’oreille de l’autre pour t’écouter, quand tu es musicien, ça n’a pas de sens ; enfin, évidemment, cet autre, c’est ta fille, ta femme, ce sont les gens les plus importants dans ta vie, ta famille… L’idée, c’est qu’on n’est rien tout seul, et qu’il faut être au moins deux pour exister. On a besoin de vivre à travers le regard de l’autre. Quant à ma guitare, pour en revenir aux paroles de la chanson, elle est en fait bien anecdotique !
La tournée Qui de nous deux touche à sa fin. Quels sont les projets à suivre ? J’ai besoin de fermer une porte pour en ouvrir une autre. Donc, il y a plein de trucs sur le feu, mais rien de très concret. Je ne sais pas vraiment… J’ai besoin de finir l’épisode Qui de nous deux. Chaque album est un livre, avec plusieurs chapitres. Aujourd’hui, j’ai besoin de fermer le livre présent pour en ouvrir un autre. J’ai plein de projets, des brouillons d’un tas de choses, mais il n’y a rien de prêt. Je ne sais pas encore sur quoi je vais me lancer. En tout cas, j’ai une envie profonde de me surprendre moi-même... Quand je fais Les Leçons de musique ou Labo M, par exemple, ce n’est pas que pour faire le malin : c’est avant tout parce que j’ai besoin d’aller vers l’inconnu, vers des formes un peu différentes, et de me stimuler moi-même. Avec toujours l’envie de faire plaisir. Mais sans savoir où je vais aller vraiment.
Que dire de vos participations à d’autres albums ou bandes originales de films : est-ce une façon de faire exister Matthieu Chédid au détriment de -M- ? Qu’on mette -M- ou Matthieu en signature, peu importe. C’est vrai que je trouverais ça plus logique de mettre Matthieu dans ces cas-là. Je suis musicien avant d’être chanteur : c’est presque mon « quotidien ». J’ai beaucoup accompagné d’autres gens sur scène, en studio, avant de faire mes trucs à moi. Et c’est comme si j’avais besoin de ça encore aujourd’hui : pouvoir gambader, aller d’un truc à l’autre, m’enrichir de rencontres humaines et musicales. Ça fait partie de mon oxygène et j’ai besoin, toujours, d’aller voir ailleurs. C’est surtout un plaisir personnel : celui d’apprendre – car on n’apprend jamais seul ! Encore une fois, c’est un hommage à l’autre. Ce n’est pas que je vais « pomper » Vanessa Paradis, Brigitte Fontaine, etc., mais plutôt que tous ces interprètes vont m’apporter quelque chose. Ce sont autant de portes ouvertes qui permettent de ne pas rester dans son petit monde mais de s’ouvrir à d’autres. C’est super ! Et il y a un échange... C’est très important pour moi. La différence à faire serait donc plus dans le partage des rôles : Matthieu comme auteur-compositeur et -M- comme interprète (acteur) ? Je me sens toujours, encore bizarrement aujourd’hui, plus guitariste que chanteur. J’ai parfois du mal à me
Je vais me faire le porte-parole de certains : puisqu’il y a eu Baptême [titre du 1er album de -M-, ndlr], doit-on se préparer aux funérailles de -M- ? Avec toute la sincérité du monde, je n’ai jamais anticipé l’histoire d’un prochain album quand j’étais dans le vécu d’un autre. Chacun est comme un bout de vie ; et j’ai donc besoin de mettre un terme à celui-là pour en vivre un autre. Vraiment, ce ne serait pas honnête de commencer à penser à ma mort alors que je suis en pleine vie. J’ai besoin de finir cette étape pour réfléchir à la suite. Aujourd’hui, très honnêtement, cet avenir, c’est le flou complet… L’idée d’abandonner votre personnage vous auraitelle déjà traversé l’esprit ? Je ne me vois pas… enfin… C’est sûr qu’à un moment, oui, je vais l’abandonner… Parce qu’il ne peut pas vieillir ? Ah si, si ! C’est juste que, à un moment, je vais perdre mes cheveux, au pire des cas ! Le temps va me rattraper ! Il est possible que ce soit moins cohérent de faire ça à 50 ans. Ou peut-être que non : à 70 ans, justement, ce sera parfait de rester comme ça ! Mais a priori, j’espère avoir le recul nécessaire pour arrêter avant que ce ne soit vraiment ridicule !
Et que peut-on vous souhaiter ? Je suis dans une vie rêvée, en tout cas pour moi. Cette grande tournée, dans de grandes salles, c’est comme un rêve devenu réalité : la suite logique, dans le rêve de tout musicien. Donc, ce serait presque trop demander, mais si ça pouvait durer comme ça… Même si je vis l’instant comme l’aboutissement d’une sorte de trilogie, parce qu’il y a eu trois albums. J’ai le sentiment d’avoir vécu une sorte de miracle… Après, j’espère ne pas être blessé ou aigri si ça devait s’arrêter. Et puis, le talent des autres, ça m’a toujours stimulé : j’ai besoin de voir
ces gens pour en faire rêver d’autres… Certains, au contraire, je le sais, ça peut les briser, les agacer de voir quelqu’un réussir… Jusqu’à maintenant, moi, ça m’a toujours enchanté de voir quelqu’un faire des belles choses. Alors je crois que je n’irai jamais me réfugier dans la haine : c’est pas mon truc ! Aujourd’hui, j’espère être à la hauteur, faire plaisir aux gens. Si c’est pas le cas, j’aimerais avoir l’intelligence d’arrêter avant que ce ne soit trop tard : j’ai pas envie de dénaturer ce que je suis en train de faire. Parce que je voudrais rester cohérent jusqu’au bout. Voilà ce qu’on peut me souhaiter.
MAXIME LE FORESTIER
GUITAR HERO
texte © Mickaël Pagano pour Versailles madame
Qu’elles soient pincées ou vocales, l’auteur compositeur en a plus d’une à son arc. Et sans jamais tirer dessus, il sait même toucher la plus sensible en songeant à ceux qui sont sur une autre, raide, celle-là. Pour notre plus grand plaisir, Maxime Le Forestier est dans les cordes de notre magazine. Cette compilation live de morceaux choisis est-elle votre volonté ? à chaque tournée, je prends la liste des morceaux de la précédente, et je vois quelles chansons je vais jeter pour les remplacer par des nouvelles. Il ne reste, forcément, avec les années, que celles dont je ne peux pas me passer – à savoir que si je fais un concert sans chanter Mon frère, ma femme divorce, sans chanter San Francisco, je me fais étriper par le public – et les indispensables, les « tubes » (Ambalaba, Né quelque part, Passer ma route). Ensuite, j’essaye toujours de laisser quelques chansons plus anciennes, mais qui n’ont pas marché à leur époque – comme cette fois Les jours meilleurs, qui s’était gravement plantée en 1983, et qui retrouve un peu d’actualité. Cette année, comme jamais auparavant, j’ai réussi à placer un maximum de nouveaux titres pour les essayer devant le public, car c’est là qu’une chanson gagne vraiment ses galons… Ce spectacle vous tient à cœur... Mais n’est-ce pas difficile de promouvoir une prestation que l’on trouve maintenant gravée sur DVD ? C’est vrai, c’est rigoureusement la même configuration : le son, la lumière, les décors, les musiciens… Maintenant que le DVD existe, ma liste de chansons se complète de deux ou trois titres supplémentaires, pour que les gens qui viennent me voir sur scène aient un plus ! Pour revenir à l’enregistrement visuel du concert, je tiens à dire que ce n’est pas moi qui ai souhaité faire un
DVD : c’est l’idée de Pascal Nègre [PDG d’Universal Music, ndlr], que j’ai pris pour un fou lorsqu’il me l’a soumise ! Mettre en image un spectacle complètement statique, intimiste… Et finalement, le réalisateur Michel Bazille a trouvé la solution : filmer ce qui bouge, donc nos mains. La question s’est posée aussi de savoir ce qu’on allait pouvoir mettre dans les bonus. J’ai voulu éviter les musiciens au catering en train de manger, etc. Tout ce que j’ai laissé des coulisses, c’est Laurent Lachater, le backliner, un hard-rocker qui vient apprendre le classique avec nous, et qui soigne les dix guitares – il change leurs cordes, fait attention à leur température, les accorde pendant le concert, les range le soir, etc. –, qui vit littéralement avec depuis deux ans – ce sont ses femmes ! Et puis j’ai voulu orienter les bonus pour m’adresser aux guitaristes amateurs pour qu’ils comprennent que ce qu’ils entendent est jouable, en leur expliquant comment faire. Et si je cible principalement ce public, c’est parce que nous sommes beaucoup à nous faire saigner les doigts, et que nous sommes des gens souvent solitaires. Alors c’est bien, je pense, d’avoir un support autour duquel nous pourrons tous nous retrouver. Plutôt guitare est donc un titre parfait ! Quelles sont les relations que vous entretenez avec les grands guitaristes, mais aussi avec l’instrument-même ? Certains guitaristes m’ont tellement impressionné – John McLaughlin, Jimi Hendrix, Django Reinhardt, Jean-Félix Lalanne, Henri Crolla, Paco de LucÍa, Andrés Segovia, Ida Presti – qu’ils ne pourront pas m’inspirer ! De la guitare, je dirais que j’entretiens avec elle une liaison charnelle, sensuelle, chaotique, constante et quasi-quotidienne… « Quasi » parce que j’ai maintenant plusieurs guitares : je partage ! était-ce pour vous, qui êtes excellent musicien, un défi de jouer avec trois autres talentueux guitaristes ? Très intérieurement, oui… J’ai un respect immense pour Manu Galvin ; mais il n’est pas impressionnant, juste émouvant ! Quant à Michel Haumont, que je ne connaissais que de réputation – « une pointure », « le meilleur élève de Marcel Dadi » –, ça a été une découverte à la fois de l’homme et du musicien dont je ne me féliciterai jamais assez ! Enfin, jouer avec JeanFélix Lalanne, pour moi, n’a jamais été un défi, parce que c’est une complicité qu’on a depuis… Il devait avoir 20 ans la première fois que j’ai eu une tournée à faire en Afrique, avec seulement un musicien – parce qu’il n’y avait qu’un seul billet d’avion ! Jean-Félix, qui avait envie de voyager, était de surcroît le seul qui pouvait m’aider à remplir les salles : on a donc monté notre
premier concert ensemble en 1982. Et de là, on a fait pas mal de galères ensemble : les centres culturels français à l’étranger, où il n’y avait pas de moyens du tout, où il fallait se débrouiller… Donc, autant il m’impressionne comme guitariste, autant, quand je joue avec lui, je suis plutôt tranquille : s’il m’arrive n’importe quoi, je sais qu’il suivra ! C’est un homme qui joue avec ses oreilles, même si dans sa tête tout est structuré, très écrit : il est capable de beaucoup. Disons que, comme je me sers surtout de ce que je sais jouer pour accompagner mes chansons, par rapport à ces guitaristes-là (et bien d’autres), j’ai le permis de conduire mais pas la licence de Formule 1 ! Ce concert est-il la prolongation d’un hommage à Georges Brassens, votre maître à chanter ? J’ai chanté ses chansons pendant les dix-huit mois d’une tournée antérieure, c’est exact, mais déjà là, ce n’était pas un hommage à Brassens : la chanson française commençait à avoir ses classiques, et je pensais les jouer régulièrement seulement pour qu’ils restent au goût du jour... J’ai d’ailleurs débuté la tournée Brassens à la Merise, cette salle de Trappes où je vais me produire prochainement. C’est un excellent souvenir : j’ai joué 3h30 durant, et quand je suis sorti de scène, on m’a dit : « Tu es fou ou quoi ? » Je n’ai simplement pas fait attention à l’heure : tant que ma voix me le permet, je chante ! Depuis, j’ai toujours une montre avec moi pour ne pas dépasser les deux heures de spectacle ! C’est cette tournée qui m’a vraiment fait reprendre la guitare. Dans les années qui lui ont précédée, j’avais toujours à mes côtés un guitariste qui jouait mieux que moi : alors les trucs un peu durs, je les lui faisais faire, et je m’installais dans une douce flemme... Là, avec Brassens, il fallait vraiment que je travaille seul. Depuis j’ai écrit L’écho des étoiles, plus « guitaristique » que « pianistique » ; et me revoilà sur scène avec des guitares : c’est plutôt cohérent ! Vous participez également depuis longtemps à la généreuse et conviviale aventure des Restos du Cœur. Jean-Jacques Goldman semble même avoir fait de vous celui qui donne le la au sein de la troupe... La première fois que j’ai participé au concert des Enfoirés, j’ai vu l’énorme poids que Jean-Jacques Goldman avait sur les épaules. « Qu’est-ce qu’on peut faire pour que ce soit moins lourd pour lui ? » Je me suis dit que je pouvais peut-être faire répéter les chœurs : « ça va lui faire gagner 1/2h d’en prendre trois dans un coin, de les faire répéter ; comme ça, quand il mettra la chanson au point, eux la sauront déjà ! » Je me considère donc plus comme un assistant de Jean-Jacques qu’autre
chose. Il est la figure et le chef artistiques de ce truclà. Mais tout ce qu’on peut faire pour l’aider est le bienvenu. Les Restos, c’est comme un cercle dont on ne connaît pas le commencement : s’il n’y avait pas les 40 000 bénévoles et les 60 millions de repas qu’ils servent tous les ans, il n’y aurait pas de spectacle, ni le besoin de tous les artistes de s’impliquer à ce point, et vice versa. Il y a un échange d’énergie très intéressant entre les bénéficiaires, les bénévoles et le show-biz. Le concert annuel, au thème festif et rigolard – l’association a quand même été créée par un clown [Coluche, ndlr], ne l’oublions pas –, rapporte 1/4 du budget des Restos du Cœur. Les artistes y gagnent aussi énormément : on se voit une fois par an, ce qu’on avait du mal à réaliser avant – d’ailleurs, si aujourd’hui on a tant de duos sur les disques français, c’est grâce aux Restos ! Et surtout, on se connaît : j’ai désormais les numéros de tout le monde ! Une véritable solidarité s’est créée… J’ai un plaisir immense à participer à ce concert, dont on sait qu’il est le meilleur spectacle de variétés de l’année. Nous faisons notre métier dans les meilleures conditions et avec les meilleurs techniciens français qui soient. Qui plus est, c’est un rendez-vous qui a l’air de faire plaisir aux téléspectateurs de tous les milieux sociaux… C’est bon d’avoir le sentiment d’être dans un mouvement réellement positif qui fait du bien ! Plutôt guitare, de Maxime Le Forestier (CD Universal / Polydor et DVD Universal Music Pictures) En concert le 09 décembre 2002 à la Merise (Trappes), et du 14 au 16 décembre 2002 au Théâtre des Champs-Elysées (Paris)
MILES DAVIS
CONTRETE MPS
texte © Mickaël Pagano pour Versailles madame
Se doit-on fatalement de parler au passé d’un compositeur qui s’est tu il y a DIX ans déjà ? ses œuvres restent présentes : écoutées et entendues, interprétées et commentées, diffusées et possédées, elles sont et font vivre leur auteur. ET l’artiste, parce qu’il a éternellement été en avance sur son temps, n’a pas encore fait le sien. Hommage à Miles Davis. 25 mai 1926. Miles Dewey Davis voit le jour. C’est à l’âge de 13 ans, pourtant, lorsque son père lui offre un trompette pour son anniversaire, que naît Le « Miles ». Après s’être produit dans les bars de St-Louis (Missouri), il part, les week-ends et à l’extérieur de la ville, en quête d’un autre public avec les jam-sessions et le rythm & blues des groupes locaux. En 1944, le big band de Billy Eckstine est de passage à St-Louis : Miles est invité à s’ajouter à la section des cuivres, auprès des trompettiste « Dizzy » Gillespie et saxophoniste Charlie Parker, annonciateurs d’un nouveau mode de jazz, le be-bop. Miles quitte dans la même année le mid-west américain et s’inscrit à la Juilliard School of Music de New York. Sur place, il retrouve Parker, lequel lui sert un copieux rythme de vie : la nuit, Miles se nourrit de chacune des prestations de son idole ; le jour, Davis dévore les partitions et les exercices. Et, plus vite que la musique, Miles devient professionnel ; avec les meilleurs accompagnateurs et orchestrateurs, de tournées concertées en tournants concertants – dont l’ultime avant-goût de son influent avènement, Birth of the Cool –, l’instrumentiste excelle.
Et comme le titre du disque Miles Ahead (« Miles en avance ») le pré(-)cautionne dès 1957, Miles est même un précurseur, toujours à l’avant-scène du jazz moderne. Il improvise ainsi une BO – celle d’Ascenceur pour l’échafaud (film français de Louis Malle). élabore aussi son apogée – grâce au record de ventes de Kind of Blue. Courtise toujours toutes les innovations, tant dans son style (déjà, à l’époque des variations habillées de dynamisme, Miles avait préféré un jeu dénudé sur Birth of the Cool) que dans les modes (introduction du « jazz modal » sur Kind of Blue, union à la world music avec Sketches of Spain, fusion du jazz et du rock sur Miles in the Sky, intromission dans le rap, le hiphop avec Doo-Bop, l’album posthume). Embrasse enfin foules de récompenses – parmi lesquelles son premier disque d’or et 3e Grammy Award pour Bitches Brew… A la fois inventeur et profiteur de courants d’ères (airs) musicales (-aux), et aussi haut qu’il a élevé sa trompette dans les aigus, Miles s’envole. Et puis, il y a longtemps, il a fermé les cieux. Si le 28 septembre dernier ne nous avait pas rappelé les 10e et 50e anniversaires respectifs de sa mort et de sa brillante carrière, il aurait soufflé les bougies de ses 75 ans et certainement une fois encore dans l’embouchure de son étincelant instrument. Mais Miles Davis s’est éteint… Trop tôt !
Difficile de définir la musique de Phoenix… LES MEMBRES DU GROUPE en sont Eux-mêmes incapables et préfèrent être reconnus comme des « enfants des années 80 » avant tout. dans une interview exclusive avec leur bassiste Deck d’Arcy, LE DéFI EST DONC DE percer le mystère de leur album, UNITED. If I ever feel better, OU LA chronique d’un succès annoncé.
PHOENIX
RENA î T r e DE SES CENDRES
texte © Mickaël Pagano pour Versailles madame
On fête le 1er anniversaire de la sortie de United. Heureux du succès qu’il remporte ? Grave ! Mais on a complètement zappé : déjà un an ?… En fait, pour l’histoire, y a eu un gros buzz avant la sortie de l’album : du coup, sans même l’avoir écouté, les journalistes ont parfois donné une fausse image de Phoenix. Heureusement, la presse anglaise nous a été favorable dès qu’elle a connu United. Après, tu sais : on a enchaîné les concerts, le clip [réalisé par Steve Hanft, déjà auteur d’un clip de Beck, ndlr], et là, un max de festivals jusqu’à fin août. Peut-on revenir sur l’avant Phoenix ? Ça commence au collège, à Hoche, à Versailles, début 1990. Thomas, Christian et moi, on faisait du punk dans un garage. En 1996, « Branco » [Laurent Brancowitz, second guitariste du groupe, ndlr] nous a rejoints après avoir joué avec Darlin’ [un groupe qu’il formait avec Thomas Bangalter et Guy Manuel de Homem Christo, le futur duo de Daft Punk, ndlr]. Il est passé un soir, pendant une répète : il a pris sa gratte et commencé à boeuffer avec nous. La répète suivante, il était là aussi… La question ne s’est même pas posée de savoir s’il devait intégrer le groupe : il était là, point. Et puis on est partis faire la tournée des caf ’-conc’ de France avec des reprises de Prince et Hank Williams pour seul répertoire ! C’est à votre retour que vous décidez d’autoproduire votre premier single ? Ouais. En 1997, on a pris le nom de Phoenix et créé notre propre label, Ghettoblaster, pour pouvoir sortir un disque : un 45 tours – parce qu’on trouvait ça plus classe qu’un maxi – pressé à 500 exemplaires. ON l’a envoyé aux radios, aux fanzines, aux maisons de prod’… Sur ce coup-là, on a imité la façon de procéder de Beck, un artiste qu’on aime bien ‑ et ça a marché ! à l’époque, on était inconscients mais ambitieux ! Trois mois après, le label Source nous a appelés. Je me souviens, c’est moi
qui ai décroché… J’ai cru que c’était une blague, au début ; mais à l’autre bout du fil, la personne était super sérieuse et insistait pour nous rencontrer… Et juste avant de signer le contrat, Phoenix donne le tout premier concert de sa carrière… dans sa ville, Versailles ! Quels souvenirs en gardez-vous ? C’était marrant… En fait, c’est un des meilleurs souvenirs du groupe : à l’époque, il existait encore le charme de toute une préparation personnelle – aujourd’hui, on accumule les concerts sans la même magie. C’était notre « première fois », et devant tous les potes, en plus... C’était kiffant ! Depuis, comme grand souvenir, on a eu le Bataclan. Jouer sur la même scène que ceux qu’on venait voir quand on était plus jeunes, c’est énorme ! Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin ont assisté à votre concert au Bataclan… Parce que Phoenix a d’abord été le backin’ band de Air. Qu’avez-vous retenu de cette période ? Source nous a contactés : « Ça vous dirait de faire le live de Air, à Nulle Part Ailleurs ? » On n’a pas hésité une seconde : Air, on était fans. On a rencontré JB et Nicolas, on a répété ensemble... Ça s’est tellement bien passé qu’on est partis avec eux faire la promo radio et télé de leur album Moon Safari à l’étranger. Le truc, c’est qu’on a connu l’envers du décor avant de goûter à notre propre succès. Et vivre des moments « chanmé » : serrer la main de Lenny Kravitz lors d’un gala, ou jouer une version presque trash de Kelly Watch The Stars pour les Victoires de la musique, en costard et avec une fausse moustache, devant un Jack Lang médusé ! Comme Air, vous appartenez malgré vous au phénomène French Touch. Ça vous déplaît ? La French Touch, qu’est-ce que c’est ? Au départ, l’appellation était réservée à la musique dite électronique : et on mettait Air et Daft Punk dans le même sac,
alors qu’ils n’ont rien à voir ensemble. Maintenant, les journalistes regroupent tous les groupes parisiens, versaillais, qui ont percé en même temps – c’est encore plus simple ! Disons que ça ne nous dérange pas. Mais ça ne nous touche pas non plus. êtes-vous mieux reconnus par vos pairs ? Je sais que pas mal de groupes anglais, pas ou trop peu connus en France, adorent ce qu’on fait. Sinon… Une fois, on a écrit une lettre à Nash Kato [le chanteur de Urge Overkill, auteur du titre Girl, You’ll Be A Woman Soon, sur la bande originale du film Pulp Fiction, ndlr], qu’on admire beaucoup, pour lui demander s’il voulait bien reprendre On Fire. Il nous a répondu qu’il avait adoré le morceau, et il nous a fait un remix terrible ! Aujourd’hui encore, il joue cette version acoustique lors de ses concerts !
Les versions live de vos morceaux sont extrêmement différentes des versions studio. S’agit-il d’une envie voire d’une revendication du groupe afin de ne jamais être catalogué ? Ou est-ce simplement la volonté d’étonner votre public ? En fait, les morceaux de l’album sont tellement chiadés qu’il serait bien difficile de les rejouer tels quels sur scène ! C’est même impossible ! Mais si les versions sont si différentes, c’est avant tout pour surprendre le public, en lui montrant notamment qu’on a bossé pour lui, et rien que pour lui. Au Bataclan, le plaisir était à la fois dans la salle et sur scène : ce soir-là, il y avait une putain de vibe entre le public et nous, mais aussi entre les musiciens… C’était géant !
La presse vous colle l’étiquette rock FM ou vous classe au vaste rayon pop. Pourtant United emprunte à tous les styles musicaux. Est-il possible de définir le son de Phoenix ? Pas vraiment. La ligne directrice de l’album, c’est précisément de ne pas avoir d’étiquette. Source aurait aimé qu’il soit house, suite à Heatwave [leur premier single sur ce label, tendance disco organique, ndlr]. Forcément, on a fait radicalement l’inverse. Mais ça leur a plu – ils sont super éclectiques ! Notre façon de travailler, c’est de piquer des éléments intéressants et de les associer au contexte radicalement opposé d’un morceau : on veut sortir de l’exercice de style, et créer l’originalité grâce à une bidouille réfléchie. Pour United, on avait des maquettes hyper abouties sur lesquelles on avait travaillé pendant six mois ! En arrivant au studio, on a juste eu à les réenregistrer… On a dû créer seulement 20 % de
l’album en studio : parce qu’on avait une vision globale de tous les titres avant même de les mixer. Mais bon, la prochaine fois, on essaiera peut-être de se prendre plus la tête en studio, et moins sur les maquettes… Enfin, c’est vraiment pas sûr : on est quatre perfectionnistes ! Préparez-vous déjà le prochain album ? On va se poser en septembre – on n’a pas de tournées, juste quelques dates ponctuelles – et en profiter pour travailler quelques nouvelles compos en répète… Le prochain album, je dirais que c’est pas avant 2003. Mais j’en sais rien : c’est juste que ça me semble correct. D’ici là, on sortira des singles : d’ailleurs, Too Young est déjà programmé pour la rentrée...
AIR
NOU V ELLE è r e
texte © Mickaël Pagano pour Versailles madame
1969 : après les images visionnaires de STANLEY Kubrick dans une ambitieuse Odyssée de l’espace, la planète se passionne pour « un petit pas » que Neil Armstrong laisse sur la Lune. Comme par intuition, JeanBenoît Dunckel et Nicolas Godin voient le jour… 2001 : le Monde entier attend après l’annonce spéciale ou spécieuse, spatiale et spacieuse, de l’atterrissage imminent des prochains airs du duo.
S’ils font partie de cette French Touch que la presse britannique – cette grenouille infaillible de la météo universelle – nous envie, c’est d’abord parce qu’ils ont, malgré eux, profité d’une rafale médiatique. En effet, Jean-Benoît et Nicolas ont grandi à Versailles dans un même univers culturel : au lycée déjà ils s’inspiraient de tous les courants musicaux, aspiraient à s’élever aussi haut qu’un David Bowie (Life on Mars) en créant Orange, un quintet amplifié. Mais les maisons de disques ne s’illuminent pas à l’écoute de leurs compositions, et le groupe s’éteint. Nos deux artistes retombent brutalement sur terre et retournent à leurs études. Nicolas, cependant, abreuve ses créations personnelles d’un nouveau souffle. JB le rejoint quand bientôt, les producteurs de Source boivent ses paroles et ses mélodies. Jusqu’à s’enivrer, sans se rendre malade, d’un flot de singles que le duo réunit sur un premier album. Les Premiers symptômes connus, Air se lance à la conquête du Cosmos dans un Moon safari. Fermez les yeux, ouvrez les cieux. Vous flottez sur quelques envolées lyriques du chant, virevoltez avec une constellation de cordes, apercevez d’autres voix séraphiques, êtes mis en orbite autour de planantes partitions pour guitare et piano… Oui, les morceaux sont légers. Parfois même, l’intemporelle boule à facette se devine dans le scintillement des étoiles. Néanmoins, le décollage est immédiat : un million de terriens participent au voyage ! Mais, tandis que leur tournée américaine fait salles combles, que l’Angleterre élit nos deux Versaillais « meilleur groupe de l’année », l’Hexagone reste frileux et se contente d’une petite bouffée d’Air. Il faudra attendre un an pour que cette élite professionnelle leur remette une récompense sélénite providentielle. Air, la tête dans les nuages, garde donc les pieds sur terre : il ne faut pas tracer de plans sur la comète. Il s’agit de se projeter dans l’avenir avec réflexion. Et puis, à
la vitesse de la lumière et du son réunis, JB et Nicolas filent éclairer la mise en scène de Sofia Coppola, Virgin Suicides, en lui associant une bande originale plutôt sombre. Les doux songes d’hier laissent place à de saisissants cauchemars : diverses plaintes fantomatiques se substituent aux ballades angéliques, et toutes les sonorités célestes se font soudain plus souterraines. C’est le reflet possible d’un sidéral et sidérant Dark Side of the Moon (Pink Floyd). Mais l’accueil et l’enthousiasme du public restent identiques aux précédents. Et cette fois, l’auditoire national n’est pas en reste et apprécie – 65 000 exemplaires vendus sur le sol français – ; même les pairs de la paire lui décernent un nouveau prix lors des dernières Victoires de la musique. Il était temps ! Car en ce début de millénaire, on l’a suffisamment approchée pour ne point décrocher la Lune.
L’héritier légitime d’un musicien de l’inclassable groupe Magma n’est pas frustré. Au contraire : comparés aux génies libérés d’Erik Satie, Frank Zappa, Robert Wyatt (Soft Machine) ou Syd Barrett (Pink Floyd), l’esprit et le talent du fantasque Sébastien Tellier ne cessent de s’épanouir. Après avoir dénudé ses meilleures compositions dans sa compilation acoustique Sessions, l’artiste exhibe ses nouvelles préférences électroniques pour Sexuality, son 3e album studio. Rendez-vous avec Sébastien, transpercé par les flèches de l’Amour, pénétré par des flashs didactiques, stylistiques et érotiques.
Sébastien tellier
LES PLAISIRS DE S é BASTIEN
texte © Mickaël Pagano pour www.femmes.com
I. (R)ÉVOLUTION Après L’Incroyable vérité et Politics, Sexuality est à nouveau un album-concept, avec une identité sonore et thématique encore différente. Avez-vous l’intention de rester insaisissable ? Oui, d’une certaine manière… La perfection peut se trouver soit dans le monde de l’équilibre, lorsque deux notions opposées coexistent – par exemple, superficiel/ profond – et dans le vide absolu, là où il ne peut pas y avoir d’imperfection. Changer tout le temps, ça signifie que je ne suis ni comme j’étais avant ni comme je serai plus tard : je suis parfait parce que je ne suis rien du tout. Ce qui est important, c’est de ne pas refaire un disque tant qu’on n’a pas changé d’état d’esprit. Refaire le même type de compositions, des redites, les mêmes accords mais pas dans le même ordre ? Ça ne m’intéresse pas du tout ! C’est bien plus passionnant de se pointer en studio, derrière un piano, et de se mettre à jouer ; d’aller découvrir ce qu’on pourrait faire qu’on n’a jamais fait. Sinon pourquoi faire de la musique ? Sexuality n’aurait eu aucun intérêt si mes goûts, si ma vision du monde, n’avaient pas changé. Je vis plusieurs vies à travers mes albums, et c’est ce qui me plaît : l’aventure intellectuelle et artistique totale, intense. C’est-à-dire me renouveler, moi, pour créer un nouvel art – puisque je suis le carburant de mon art, c’est à moi de changer, de me régénérer. Et, de disque en disque, je change d’appartement, de voiture, de garde-robe… Avant Sexuality, j’ai aussi changé de petite amie – je ne l’ai pas voulu, c’est comme ça – et j’ai découvert l’amour, ce qui m’a libéré et apporté tout un tas de choses… Tous ces changements, c’est ce qui crée l’intensité de mon art. L’art va au-delà de mon disque : il est aussi dans ma vie. Et c’est toute ma vie qui est tournée vers mon art. Est-ce une forme d’autodestruction pour mieux recréer ensuite ? Oui, voilà. Je n’aime pas les gens bourrés de certitudes,
ceux qui se comportent comme si le chemin était fini. Je suis tellement opposé à cette vision-là du monde, de sa propre vie, que je fais complètement l’inverse, par réaction. On ne devrait pas pouvoir se complaire dans l’art, qui est de l’ordre de l’instinct, du destin, du hasard, et certainement pas du « ça je sais le faire, alors je vais le refaire » ! À part si c’est poussé à l’extrême, comme avec AC/DC : c’est tellement tout le temps pareil que ça en devient vraiment artistique, il y a une vraie logique. Par contre, sans citer personne, beaucoup de chanteurs de variété française font toujours le même disque, ne parviennent pas à se renouveler. Peut-être qu’ils n’en ont pas l’envie. Et ça, pour moi, c’est terne, c’est triste : c’est une vie ratée. J’admire les Beatles, qui ont fait des disques très différents les uns des autres : on sent vraiment une évolution entre chacun ; ce ne sont pas les mêmes mecs, et ça se sent vraiment. Pink Floyd, aussi : la différence entre Wish You Were Here et Animals, Animals et The Wall… Il y a d’autres groupes que j’adore et qui ne font pas systématiquement le grand nettoyage entre tous les albums : les Beach Boys, par exemple. Mais, encore une fois, ce n’est pas ce que j’aimerais vivre… Et puisqu’il est impossible de se changer totalement – même avec la meilleure volonté du monde, il y a toujours quelque chose qui reste – on ne peut pas se perdre en faisant table rase. À défaut de pouvoir subir un lavage de cerveau, je suis bien obligé de me contenter de changer ce que je peux changer ! Mais comment fidéliser un public, alors ? Je ne fidélise personne, effectivement. Et quand je vais lire, de temps en temps, des critiques, bonnes ou mauvaises, sur MySpace, je m’aperçois que les anciens « fans » sont déstabilisés… Pourtant, j’aimerais bien faire partie de la variété française, mais en faisant quelque chose de complètement différent. Car ce n’est pas la dimension commerciale de la variété qui me plaît, mais plutôt le fait d’appartenir à la culture générale des gens. Je suis mal à l’aise dans une niche underground, mal à
l’aise dans la niche intello dans laquelle on m’a plongé : appartenir à la variété, c’est finalement fuir tout ça. Et ce n’est pas l’appât du gain : je vis aujourd’hui avec La Ritournelle, et Fantino aussi, dont s’est servi Sofia Coppola [sur la bande originale de son film Lost In Translation, ndlr]. Ce sont pourtant des chansons hors format ! Je n’ai donc pas besoin de me « prostituer » parce que j’ai de la chance, tout simplement. Parce qu’avec de l’art pur, j’arrive à vivre quand même… Ça s’est juste bien passé, on ne sait pas pourquoi, c’est comme ça. Donc, quand je parle de variété, je parle d’une façon de toucher les gens, de faire des émules, d’avoir une influence sur la culture générale des gens. Comme l’ont fait avant moi des gens que j’admire : Daft Punk, qui a complètement renouvelé la vision de la musique festive (au-delà de la dance en général), et Air, qui a complètement renouvelé la production musicale à la sortie de leurs premiers albums. Ils ont eu un impact certain sur le monde. Et moi, parce que j’ai toujours été catalogué « musique underground », « trop intellectuelle », je n’ai pas pu « changer le cours du monde », d’une certaine façon. Et ça me manque beaucoup. II. RENCONTRES Comment avez-vous rencontré ces deux duos de la musique électronique, Air et Daft Punk ? J’ai signé mon premier contrat avec Record Makers, un label créé par Air. On n’a jamais fait de musique ensemble en studio, mais ils ont toujours fait partie de mon monde artistique. J’ai fait leur première partie alors que je n’avais jamais donné de concerts avant – ou seulement deux, au Duc des Lombards, un club de jazz, avec ma guitare et ma voix. Et voilà qu’on m’envoie en répétitions à Houston pour un premier concert à Dallas ! J’ai commencé mes trucs à moi grâce à eux, dans des conditions de rêve. Ce qu’on met 10 ou 15 ans à construire, moi, je l’ai eu tout de suite : trois semaines après avoir signé, j’étais parti sur les routes ! Quant aux Daft, je les ai toujours admirés – ils ont changé la face de la dance, quand même, c’est énorme ! Et comme avec Air, ça s’est un peu passé sans que je le décide. En fait, j’ai un rapport à la vie où je suis plutôt attentiste : je n’aurais jamais été déposé une maquette dans la boîte d’un des mecs de Air ou essayé d’écrire un mail bien senti à un des mecs de Daft Punk. Je ne fais pas ça : j’attends que les choses viennent à moi. Et Daft Punk, ils sont venus à moi en prenant une de mes chansons, Universe, pour la mettre dans Electroma [long métrage expérimental réalisé par Guy-Manuel de Homem-Christo
et Thomas Bangalter alias Daft Punk, ndlr]. C’était un pas vers moi, et je me suis alors suffisamment senti en confiance pour demander à Guy-Man’ : « Est-ce que, éventuellement, tu voudrais bien passer à la maison écouter mes nouvelles démos ? » La connexion avec Daft Punk semblait pourtant simple : après tout, le duo s’est créé quand le guitariste de Darlin’, leur première formation, a rejoint les membres de Phoenix, qui n’étaient alors que les musiciens de Air lors de leurs prestations télévisuelles… C’était le début de ce qu’on a appelé la French Touch… J’ai découvert tous ces gens-là en même temps, et que tous se connaissaient entre eux, quand j’ai signé mon premier contrat. Guy-Man’, je l’ai rencontré plus tard, en soirée : c’était la période où Daft Punk allait sortir Discovery. Je me souviens : ils avaient fait une écoute au planétarium du Grand Palais, sur les Champs, et j’étais très fier parce que j’étais assis à côté d’eux, et tout le monde venait me serrer la main comme si j’avais participé au truc, alors que je ne les connaissais pas ! Et puis j’ai recroisé Guy-Man’ dans des soirées – on a des amis en commun –, et plus les années passaient, plus on était proches. Je dirais que toutes mes amitiés artistiques (dont M. Oizo, Kavinsky, SebastiAn) sont basées sur le respect de l’art. Quand je fais de la musique, il y a un moment où l’esprit décroche de la réalité, et je vois alors le monde à travers la puissance émotionnelle des choses. Et je me rends compte que c’est pareil avec les gens : certains ont un effet sur moi, me donnent envie d’aller vers eux, ce sont ceux qui ont un énorme pouvoir émotionnel, c’est-à-dire des artistes qui me prouvent leur talent. Alors, fatalité ou facilité ? Ok, c’était aussi une solution de facilité. Quand je parle de sexe, je n’ai pas envie de faire quelque chose de difficile. J’ai envie que tout se passe bien comme j’ai envie de vivre une entente amoureuse parfaite. Donc il faut que tout se passe dans la facilité. C’est vrai que choisir Guy-Man’, pour moi, c’était très confortable. Travailler avec lui, c’était comme être dans une Rolls avec chauffeur : j’avais tout fait, moi, dans mon travail – tout écrit, tout composé –, et il a pris le truc en main, il s’est mis au volant et, depuis un grand canapé en cuir, je le regardais travailler en donnant quelques indications : « Plus comme-ci… Plus comme ça… » Les séances n’étaient-elles pas intimidantes ? Non, parce que, sous son casque, Guy-Man’ est quelqu’un de très mignon, de très gentil. C’est vraiment
le type de personnage… On le dirait sorti d’un dessinanimé ! C’est un peu le genre de personne à qui on a envie de pincer la joue, quand on le voit. Et c’est quelqu’un qui essaie de donner du plaisir à ceux qui l’entourent – ce qui est très rare, dans le show-business ou même dans la vie. Il a su complètement s’oublier juste pour vivre avec les autres et leur faire du bien, finalement. Il a changé la vie de pleins de gens, la mienne aussi, et n’a jamais lâché personne. Donc, ça ne peut que bien se passer avec un mec comme lui : j’étais très à l’aise avec lui, parce qu’il dégage quelque chose de rassurant, de très apaisant. Et surtout, le plus important, cette notion que tout le monde oublie : la tendresse. Guy-Man’ est tendre, doux. C’est vraiment quelqu’un de bien…
politique, exactement, j’essayais d’attraper n’importe qui, n’importe quel type de public : « T’aimes l’electro ? Il y aura de l’electro », « T’aimes l’acoustique ? Il y aura de l’acoustique », « T’aimes le piano ? Il y aura du piano »... L’Incroyable Vérité parlait de mon enfance, de ma famille : je suis né en 1975, donc il est très seventies. Là, il se trouve que maintenant je n’avais pas envie, par exemple, de vivre un sexe des années 70 ni un sexe des années 50, mais plutôt de parle de sexe parce que c’est le sujet qui domine tout le reste, selon moi. Et parce que, finalement, on ne peut pas aller plus loin que de parler de l’origine de la vie. Je voulais plonger la sexualité dans la vision franche que j’ai du sexe, et qu’elle existe dans un équilibre parfait entre le superficiel – comme le monde du sexe et le sexe en général – et la profondeur – nécessaire, puisque le sexe, c’est aussi l’origine du monde, c’est tout simplement la vie. Et cet équilibre, je l’ai trouvé dans une musique toute synthétique, toute gentillette, efficace tout de suite qui me parlait aussi de la beauté de l’éphémère, pas d’intellectualisme. Mais qu’est-ce qui vous a mené à l’electro ? Je suis lassé des sons de contrebasse, de guitare et même de batterie acoustiques. Bon, j’écoute toujours Still & Nash, par exemple, mais ça ne me viendrait pas à l’esprit d’écouter un album de folk d’aujourd’hui. Ni du pop-rock ni du reggae. J’avais besoin de sonorités qui parlent de la chaleur de la nuit, une sorte de moiteur, et qui apportent un petit peu de nouveauté à mon oreille : et ça, je ne l’ai trouvé que dans l’électronique…
III. SEXUALITY (OU LA MUSIQUE SEXUELLE) On évoque la tendresse, les rapports humains. Justement, la pop électronique, les sons très synthétiques de Sexuality, sont-ils tout à fait en accord avec l’idée de l’affection, de l’amour, de la passion, et finalement du sexe ? Ça m’a beaucoup apporté de faire un album sexuel. Le sexe, c’est quelque chose de très sophistiqué, qui va avec l’air du temps, avec la mode. Donc j’ai fait un album sexuel sophistiqué. Voilà. Ça ne va vraiment pas plus loin. Politics était un album sur la politique : ça dégueulait d’arrangements, il y en avait partout, il y en avait trop. Trop de fric, trop de m’as-tu-vu ; ça partait dans tous les sens parce que, comme en
Pas même dans le R’n’B’ ? Certains titres sont pourtant très proches du genre… C’est vrai, j’ai été très influencé par le R’n’B américain. En fait, c’est la seule musique qui évolue : il y a toujours de nouvelles rythmiques, de nouveaux sons… En musique, il y a un nombre limité de notes, et ce sont plus ou moins toujours les mêmes harmonies qui reviennent. On pourrait considérer que toutes les notes ont été exploitées avec les Beatles. Donc, maintenant, faire avancer la musique, ce n’est plus une question de notes mais de production. Il faut évidemment l’esprit d’un artiste qui a quelque chose à dire – un cerveau –, mais pour exprimer ensuite cette nouvelle vision du monde, on ne peut plus compter sur les notes : son expression ne se trouvera que dans la production puisqu’aujourd’hui seule la machine – l’ordinateur, les plug-ins, les synthés virtuels, etc. –, la technologie donc, évolue dans la musique. Cette culture-là, elle est digérée par le R’n’B bien plus que par les autres mouvements musicaux. Et c’est pour ça qu’il y a de la nouveauté dans le R’n’B – pour moi, ça s’est traduit
par de nouveaux instruments, synthés entre les mains, de nouvelles table de mixage, équalisations… Voilà pourquoi j’ai envie d’appartenir à cette famille, à ces sons, à ces codes-là puisque je voulais, pour Sexuality, appartenir au monde de la sophistication, réussir à créer un album qui ait cette forme, cette espèce de jouissance directe. Que l’on puisse directement, sans entendre les paroles, comprendre que c’est de la musique qui parle de sexe. Mais je voulais aussi que cet album ait l’esprit latin, l’esprit européen, l’esprit sexuel noble – avec ce rapport romantique au sexe qu’ont su conserver l’Italie et la France. En résumé, Sexuality est un album à la forme R’n’B et au cœur latin. L’image et la personnalité du séducteur – que vous incarniez déjà avec votre reprise de La Dolce Vita – ne sont-elles pas contradictoires avec la provocation du titre, Sexuality ? Christophe m’a influencé, pour Sexuality, c’est sûr. J’imagine le chanteur de ce disque comme un séducteur au cœur brisé. Et même si j’essaye de le vivre à travers le disque, ce n’est pas moi : je suis amoureux, très heureux en amour, et puisque j’ai une femme et que je ne veux qu’elle, ça n’a plus aucune importance de séduire les autres ! Je ne suis plus un séducteur ! Je suis très loin de ça ! Mais pour chanter un disque sexuel, comment se placer autrement qu’en séducteur au cœur brisé ? C’est ce qui avait le plus de charme, selon moi : je n’allais certainement pas me mettre dans la peau d’un professeur, froid, ni celle d’un queutard fini ! Même si aujourd’hui le sexe est omniprésent et ne choque plus grand-monde, cela reste-t-il difficile de présenter aux médias un album intitulé Sexuality, une musique que vous dite sexuelle et parfois illustrée de bruitages orgasmiques ? Non, je suis très à l’aise, même en face de milieux auxquels je n’appartiens pas du tout. Parce que je ne parle pas de sexe en général, ni de prostitution ni d’affaires de justice : je parle de sexe au sein d’un couple amoureux, de l’amour, donc un sexe fondé sur la gentillesse, l’ouverture d’esprit, la tendresse et la douceur. J’ai un message positif, je crois, qui peut être – qui doit, même – être compris par tout le monde. Je ne cherche à choquer personne, et même avec une femme de 60 ans, je n’aurais aucune honte à discuter de ça. En ce moment, vous êtes dans la plupart des magazines. D’autres vous ont-ils quand même censuré, juste en vous ignorant ? Non, je ne pense pas, parce que, précisément, les médias se régalent de sexualité. Plus le propos est sexuel, plus
on en met. Je pense même que le fait que ce disque soit sexuel m’aide vraiment à le vendre, à répondre aux médias et à leurs interviews. Il y a toujours un petit « sexuality » qui traîne, parce que j’ai parlé de mon album : le titre, le mot, est dans chaque paragraphe. Ni vu ni connu : on parle de culture, mais, en fait, on parle de sexe. Ce que je trouve affligeant, c’est la manière dont on en parle et qui est souvent très, très mauvaise. C’est donc l’occasion pour les médias d’avoir quelqu’un qui apporte une parole nullement pornographique, sale ou malsaine, mais au contraire sincère, avec des valeurs de douceur. Vous entamez désormais une autre forme de promotion : en concert, comment mettez-vous en scène Sexuality ? Avant, les concerts dépendaient de mon état du jour : si j’étais surexcité, je faisais un concert surexcité ; si j’étais malheureux, je faisais un concert très malheureux. Voilà. Avec Sexuality, j’ai compris quelque chose : la notion de plaisir. Ma vision du concert n’est plus la même, maintenant : ce n’est plus moi qui m’amuse sur scène mais les gens qui se font plaisir. Je dois être le meilleur serviteur possible. D’ailleurs, j’aimerais bien que le public m’oublie vraiment : que je ne sois plus vraiment là, que je m’efface totalement derrière un nuage de fumée, et que ma musique soit beaucoup plus présente… Et puis, admettons que les gens n’aiment pas mon physique : je pourrais casser leur fantasme sexuel ! Alors que je voudrais qu’à mon concert, les gens s’embrassent, se caressent, soient émoustillés… Pour le premier concert de la tournée, à Londres [le 21 février dernier, ndlr], les critiques ont été dithyrambiques. J’étais vraiment étonné, parce qu’on a eu bon nombre de problèmes techniques, et au lieu de pouvoir me cacher parfaitement derrière des lasers et des écrans de fumée, j’ai dû me remettre en avant comme je le faisais avant. Mais pour les prochains concerts, la technique sera solide et je pourrai vraiment transmettre au public ce que j’ai envie de lui donner. Travaillez-vous déjà à nouveaux projets ? Non, je n’ai pas vraiment de piste. En fait, c’est très dur de trouver un sujet qui soit plus pertinent que l’origine du monde. Pour l’instant, je ne sais pas... Aujourd’hui, dans ma vie comme dans mon art, je compte beaucoup sur la science pour m’apporter des choses : la nouveauté, la nouvelle matière, je la trouverai peutêtre dans la science et les découvertes scientifiques qui auront lieu… Sinon, en ce moment, je passe tous mes temps libres, parfois même mes nuits, à composer des BO : après Steak [le deuxième long métrage de Quentin
Dupieux / M. Oizo, ndlr] et leur série d’animation Moot-Moot sur Canal+, je travaille à nouveau avec Éric et Ramzy sur Seuls Two, un film qu’ils ont réalisé et qui doit sortir en juin. Je fais aussi de la musique de film d’art contemporain pour un ami, Xavier Veilhan – j’ai d’ailleurs joué dans Furtivo*… Je fais de la pop, mais je pense que ça ne va pas à un Français de faire de la pop. Ni du pop-rock ni du reggae. Ce qui va à un Français, c’est de faire de la musique de film. Je ne sais pas pourquoi, mais je trouve que c’est un genre musical noble. Alors je fais de la musique de film pour avoir cette espèce de noblesse d’un grand compositeur.
C’est une question de style. C’est une culture qu’on a volé à une autre culture. Avec la pop, ça passe mal : on ne s’épanouit pas dans la pop française, parce qu’il n’y a pas d’aventure artistique. C’est un milieu un peu stérile. Mais, bon… J’en fais. Mais la classe, je vais la chercher dans la musique de film. * une exposition du même nom, liée à l’univers qui a précédé le film, est à voir du 15 au 26 mars à la Galerie Emmanuel Perrotin. Sexuality, de Sébastien Tellier (Record Makers)
Depuis 1996, le changeant Archive marque les mémoires tous les trois ans : avec le trip-hop de Londinium, puis la pop de Take my head, enfin le rock de You all look the same to me. Et depuis ce dernier enregistrement – entré dans les annales de la musique grâce à AGAIN, morceau d’anthologie d’une durée supérieure à 10 minutes –, le groupe est immuable, préservé et maintenu dans un espace temps de plus en plus court. Pour mieux entretenir nos souvenirs.
ARCHIVE
ON SE SOUVIENDRA... Votre dernier album, Noise, s’ouvre sur l’idée d’un monde oppressant, détestable, et se referme sur le thème de l’Amour. Seriez-vous tiraillés entre espérance et réalité ? Darius Keeler : Noise est la première chanson qu’on ait écrite ; Me & You a été la dernière. Nous préférons commencer par des chansons reflétant plus la colère. L’amour, c’est le pouvoir sur tout, donc c’est normal que cette idée soit à la fin de l’album. C’est ce qu’on voulait, et c’est comme ça que ça marche.
texte © Mickaël Pagano pour b. story
La musique peut-elle alors être considérée comme un refuge ? Craig Walker : C’est avant tout un moyen d’expression, bien évidemment. Et c’est toute la folie qu’on a dans la tête et qu’on relâche. C’est donc une sorte de refuge. Quand on est musicien, on se crée un monde dans lequel on existe, un monde dans lequel il est alléchant de rentrer et très difficile de sortir. C’est compliqué… On ne nous a jamais vraiment demandé d’expliquer ce qu’était, pour nous, notre musique ! D. K. : C’est un moyen de payer les factures ! (rires) C. W. : On vit dans un monde différent... Pour être un vrai musicien, il faut vivre ce que tu fais, que tu le respires – c’est le cas de tout ce qui requiert de la passion ! Et ça devient une sorte d’obsession… Une obsession qui vous pousse déjà à dire que Noise est le meilleur album d’Archive… D. K. : Toutes les albums qu’on a faits, au fur et à mesure, étaient parfaits. Noise est celui qui nous rend le plus heureux. C. W. : Noise est un montage de toutes les précédentes périodes… D. K. : Selon moi, c’est l’album le plus parfait dans la mesure où c’est celui sur lequel on a vraiment travaillé tous ensemble. On s’est concentré sur Archive sans aucune autre distraction, en se foutant bien des charts [classements anglais, ndlr] à venir.
C. W. : Même si, d’après moi, c’est un album que beaucoup de gens vont adorer. Car chaque chanson est très forte : chacune pourrait être un single ! Ce disque nous a pris du temps : il y a 4, 5 ou 6 chansons qu’on a écrites il y a plus d’un an puis laissées de côté, mais sur lesquelles on est revenu par la suite. D’ailleurs, on les aimait encore – et ça, c’est un très bon test ! Encore aujourd’hui, j’écoute l’album comme un fan ! Et vocalement parlant, c’est le meilleur auquel j’ai jamais participé – et pourtant, je fais de la musique depuis très longtemps ! –, parce qu’on a expérimenté et utilisé ma voix comme on ne l’avait jamais fait auparavant, parce que j’étais assez confiant pour le faire. Oui, personnellement, je pense que c’est un grand album… Et comment définiriez-vous votre style, votre son ? C. W. : C’est la combinaison des influences et des passés de trois personnes. On écoute – ah ! quel enfer pour décrire ! D. K. : On peut parler de musique progressive… Mais c’est avant tout émotionnel ! Archive est très proche de la musique de films, avec des morceaux évoquant toujours une scène cinématographique. Vous avez même fait appel à Graham Preskett, un expert en arrangements de bande originale de film. C’est une ambiance à laquelle vous travaillez, n’est-ce pas ? D. K. : C’est comme quand j’étais petit et que sont apparus les walkmans : on a pu se balader avec de la musique plein les oreilles… Dès lors, la musique s’est de plus en plus rapprochée du cinéma… C. W. : Il y a beaucoup de « mouvements » dans la musique, et c’est très évocateur de l’image. Fermez les yeux et vous verrez les images défiler dans votre tête ! D. K. : C’est très excitant de voir les images que notre musique a inspirées, puisque c’est pour ça qu’on fait notre musique. En fait, quand on bosse sur un clip, on dit juste ce qu’on veut, de quoi parle l’album. Et
on laisse la créativité et l’imaginaire du réalisateur agir. En général, on est plutôt chanceux : tout se combine parfaitement grâce à une équipe douée qui travaille régulièrement avec nous. C. W. : L’an dernier, on a fait une BO pour une production de Luc Besson [le film Michel Vaillant, ndlr] : c’était bien…
crée en studio et la tournée qui l’accompagne. D. K. : Nous, ce qui nous intéresse aujourd’hui, ce n’est pas la pub mais notre harmonie… C. W. : On aime tous beaucoup Radiohead. Ils jouent le jeu et ne la ramènent pas trop – ils n’ont pas besoin d’être dans les journaux tout le temps… Et quand ils rentrent chez eux, ils vivent une vie normale…
Certains détracteurs vous reprochent de trop fouiller le passé – certainement à cause de votre nom. Qu’en pensez-vous ? C. W. : On a tous des influences différentes. C’est sûr que les sixties et les seventies ont été des périodes incroyables pour la musique. De telles périodes ne se répéteront plus ! D. K. : Beaucoup de nouvelles formations essaient d’imiter les vieux groupes : The White Stripes, The Strokes… Ils font de la musique des années 70 ! Mais ils sont très immatures ! En ce qui nous concerne, avec Again [1er single du précédent album, You All Look The Same To Me, ndlr], les gens avaient du Pink Floyd dans les oreilles. Effectivement, le point de départ était certainement cette ambiance ; mais en utilisant des samples, en transformant les tonalités, les sons, on crée du neuf puisqu’on a des moyens et des possibilités que les Pink Floyd n’avaient pas à l’époque. Et certainement, sans l’influence de Pink Floyd, on n’aurait pas écrit Again ! C’est bizarre, mais c’est plutôt cool ! C. W. : On dit souvent d’Archive que c’est de l’imitation. C’est faux : c’est une évolution. Après le disco, la dance et d’autres genres de musiques encore, on pourrait dire que tout a été fait, que tout a été expérimenté. Tout ce à quoi on aspire, c’est faire preuve d’originalité. Et tout influence notre musique : ce qu’on vit, ce qu’on entend, ce qu’on voit sur un écran… D’ailleurs, on regarde plus de films qu’on n’écoute de musique ! Mais c’est une part si infime de nos influences !
Archive ne s’attache donc pas aux « modes » musicales... C. W. : Non. C’est très dangereux d’être impliqué dans une mouvance, car quand tu n’es plus d’actualité, tu disparais. De l’époque de Blur, il ne reste quasiment qu’eux, alors qu’il y avait tant de groupes pop et new age énormes derrière eux ! D. K. : Regarde Pulp : en Angleterre, ils avaient énormément de succès ; et maintenant, plus rien ! On ne les voit plus !
D’autres vous rapprocheraient plus de Radiohead… Vous n’avez pourtant ni leur carrière ni leur public. Comment l’expliquez-vous ? D. K. : Tout dépend de la façon qu’on a de nous comparer à eux. Parce qu’au niveau de la composition et de la cohésion de l’équipe, nous sommes beaucoup plus récents que Radiohead. Noise serait notre 2e album, et correspondrait alors à leur The Bends. De plus, pour nos deux premiers albums, ça s’est passé de la manière suivante : on faisait un disque, on le sortait, et puis le groupe se séparait... Impossible d’amener l’album jusqu’au public ! C. W. : C’est pourquoi dès le « départ » – mon arrivée, donc –, partir en tournée nous a semblé primordial. Le contact avec le public se fait à travers l’album qu’on
Et sur scène, comment ça se passe ? Va-t-on encore vous comparer à Pink Floyd ; les sons et lumières d’Archive seront-ils un jour aussi célèbres ? D. K. : En fait, on aimerait bien avoir l’argent de Pink Floyd pour le faire ! (rires) On aimerait vraiment arriver à ce niveau de mise en scène, mais on ne sait pas trop comment faire ! Personnellement, ce que je préfère dans un concert, c’est quand même l’émotion dégagée par le groupe, sa performance. Dès qu’il y a trop de choses, trop de lumières, trop d’artifices, le spectacle peut devenir ennuyeux. C. W. : On a en projet, pour la prochaine tournée, un show utilisant des techniques très avancées… En jouant avec les lumières, la pixellisation des images… C’est très excitant ! Mais en tant que musicien, c’est plutôt compliqué de s’investir dans ce genre de choses… Alors concentrez-vous sur vos tenues de scène ! C. W. : Bien sûr ! C’est super important ! Sur notre dernière tournée, on portait des costumes tout le temps. Même pendant la promotion de l’album. Dès qu’on passait nos costumes, c’était le moment d’aller bosser ! D. K. : C’était un style. Jeune, dans l’esprit. C. W. : Et puis ça nous permet d’être un groupe uniforme : sur scène, sept musiciens, et pas un qui soit fagoté comme un as de pique ! Tous beaux ! L’image, c’est vraiment très, très important. On veut vraiment développer ça sur les prochaines tournées. Avec le soutien d’agnès b., peut-être ? D. K. : Oh oui, avec plaisir ! Ce serait génial ! Quand je repense à nos débuts… On n’avait pas un sou... Pour monter sur scène, on s’habillait avec un pauvre costume noir…
C. W. : En général, on fait toujours des efforts. Comparé à tous ces autres groupes qu’on pourrait confondre avec leur public ! Cette « démarche », ça ne me plaît pas du tout ! C’est vrai, à quoi ça sert si les popstars ressemblent à tout un chacun ? Pour Archive, c’est agréable de s’impliquer un peu plus dans son image. Même si ça n’est pas évident. Mais avec agnès b., ça devrait aller !
Vous venez de réaliser trois albums en un temps record. Avez-vous d’ores et déjà d’autres projets ? C. W. : Oui. On travaille déjà sur le prochain, depuis le mois de janvier… On aimerait collaborer avec d’autres personnes, éventuellement sur le plan production de l’album… Mais pour l’instant, on se concentre sur la tournée à venir ! Noise, d’Archive (Warner Music/East West)
PRESSE & COMMUNICATION¶
MICKAËL PAGANO¶
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EXPériences professionnelles¶
2007-2008 / Chef de Rubrique en charge des éditions numériques d’un magazine féminin de luxe¶ www.femmes.com (directrice de rédaction : MarieClaire Pauwels, Prisma Presse)¶ ¶
2005-2007 / Rédacteur Web¶ Luminarc, Cristal d’Arques Paris, Mikasa et Studio Nova (Arc International)¶ ¶
2004-2005 / Rédacteur de guides touristiques¶ La Promenade des Grandes Eaux Musicales (Château de Versailles Spectacles)¶ Le Petit Futé - Les Yvelines / Versailles (Nouvelles éditions de l’Université)¶
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2003-2006 / Créateur et Rédacteur en Chef d’un magazine culturel¶ b. story (directrice de rédation : Agnès B., agnès b.)¶ ¶
2003-2005 / Organisateur d’un festival de musiques amplifiées¶ Rock en stock (Théâtre Montansier, Ville de Versailles)¶ 2001-2002 / Rédacteur en Chef d’un magazine féminin et de son site Internet¶ Versailles madame et www.versailles-madame.com (Opus 102)¶ 2001 / Rédacteur pigiste¶ Les Nouvelles de Versailles (Publi Hebdos)¶ / Co-Scénariste d’un film d’animation¶ L’Hôtel du phare, court métrage de Tugdual Birotheau, Prix étudiant Imagina 2002¶
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1998-2000 / Assistant-Réalisateur¶ Baie Ouest, série d’Emmanuelle Rey-Magnan et Pascal Fontanille (Distingo Productions, Merlin Productions, TF1)¶ Le Défilé du siècle, Centenaire du Salon de l’Automobile (FC Médias, Ma Production)¶ La Maison d’Alexina, film de Mehdi Charef (Cinétévé, Arte)
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FORMATIONS ¶
1999 / Maîtrise Arts du Spectacle, mention études cinématographiques et audiovisuelles¶ Université Paris III, Sorbonne Nouvelle¶
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1995 / Baccalauréat Littéraire, option Arts Plastiques¶
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1989-1995 / Formations théâtrale et picturale¶ Collège J.-P. Rameau et lycée J. de La Bruyère¶ ¶
1983-1990 / Formation musicale¶ Conservatoire national de Versailles¶
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COMPétences¶
Informatique¶ Maîtrise de Microsoft Office, Quark X-Press et des outils Internet sur PC et Mac¶ Bonne connaissance d’Adobe Creative Suite (InDesign, Photoshop, Illustrator et Premiere)¶
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Langues¶ Anglais courant et Espagnol niveau Bac