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Haguenau

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Flower power

Nathalie Rolland-Huckel exerce le très rare métier de laqueur. Ses bijoux et objets décoratifs, des œuvres uniques, séduisent et passionnent bien au-delà de nos frontières. Or, qui sait que dans ce même atelier de Gries, germe aussi ce qui se fait de plus sophistiqué et de plus luxueux dans les Arts de la Table? Car Nathalie Rolland-Huckel est aussi la créatrice de Passifolia, le nouveau service de table de la maison Hermès.

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Quand le beau rejoint le bon… C’est plus vrai que jamais avec ce sacré virus qui nous a confinés, chacun chez nous et devant nos cuisinières : l’engouement pour la cuisine atteint des sommets et se double d’une véritable passion pour les arts de la table. Après Siesta et Cheval d’Orient, Passifolia est le troisième service de table Hermès à l’actif de Nathalie Rolland-Huckel. Il a été présenté à la Gaîté-Lyrique à Paris en janvier 2020 devant une centaine de journalistes du monde entier.

Comme une bulle de verdure, de calme et de lumière

À Gries, son sourire nous accueille dès le portail pour nous conduire jusqu’à son atelier show-room attenant à sa maison d’habitation. «Après avoir vécu dans le Gard, le Limousin et à Paris, je suis revenue ici il y a quinze ans, dans le village de mon enfance.»

Ouvert sur la lumière et les arbres du jardin par de grandes baies vitrées, l’atelier est une ancienne grange qu’elle et son mari ont totalement rénovée. La nature y continue son chemin au gré du couloir qui longe les espaces de travail. Orangers, citronniers, orchidées et surtout le philodendron géant laissent présager du goût de la propriétaire pour l’exubérance florale. Élégance et joyeuse sérénité règnent sur les lieux. «C’est ici que je travaille patiemment la laque, et que j’ai réalisé Passifolia.»

«Je travaille le végétal depuis très longtemps, c’est mon univers.» Le café nous est servi dans le service dont la sauvage flamboyance fleurit sur un ensemble de 30 pièces. Assiettes, coupes, plats, bols et tasses déclinent une végétation formidablement dense et variée aux motifs hyper-réalistes : plantes imaginaires, plantes de son jardin ou du jardin botanique de Strasbourg, plantes dénichées en voyage ou envoyées en photos par ses amis… Les feuilles de marronnier

et de bananier s’acoquinent avec les anthuriums et les fougères, les orchidées avec les hibiscus, les pigments s’enflamment, la chlorophylle explose en jungle féerique. Véritable prouesse technique, pas moins de trente-deux couleurs se côtoient et plongent jusqu’à l’intérieur des tasses de ce service enrichi d’un mince filet d’or posé à la main.

Au fil des jours et des jours

« J’ai imaginé et dessiné ce service en 2017. Cela m’a demandé énormément de temps, de travail et de concentration, particulièrement lors de la conception des pièces. Même si c’est une activité solitaire et que je dispose d’une totale liberté, je ne suis pas toute seule. Il y a beaucoup d’allers-retours, notamment avec BenoîtPierre Emery, directeur de la table Hermès, qui m’a accompagnée dans un véritable et précieux travail de collaboration. Il m’a même envoyé des fleurs et des feuilles de ses lieux de vacances. Au fur et à mesure de l’avancement, je présente des esquisses au crayon, puis les motifs peints à la gouache. Une fois définitifs, mes dessins sur papier sont confiés à l’équipe de chromistes de la maison Hermès pour enfin habiller la fine porcelaine blanche de Limoges.»

Nathalie travaille en exclusivité pour Hermès depuis 24 ans

«Déjà petite, j’ai toujours été fascinée par la minutie du détail, à commencer par la précision du dessin des livres pour enfants « Martine ». J’adorais dessiner les plantes du jardin de mes parents, et vers huit ans, la découverte des Très Riches Heures du Duc de Berry à Chantilly a été une révélation. Plus tard, je me suis inscrite tout naturellement à l’École des Arts Décoratifs de Strasbourg. Puis est venu le goût pour la porcelaine et mon entrée à l’École Nationale des Arts Décoratifs de Limoges. C’est là que, encore étudiante, mon premier service de table les Folies de Bagatelle a été édité par Bernardaud chez qui j’effectuais un stage dans son atelier de création. Cela m’a ouvert les portes des plus grands de la porcelaine en France, mais aussi au Japon, aux États-Unis. Wedgwood, Noritake et Narumi, Villeroy et Boch, Mikasa, la manufacture de Limoges Médard de Noblat ont édité mes dessins. Je pense souvent à ce moment d’insouciance à 31 ans lorsque je suis allée voir directement le PDG d’Hermès, Jean-Louis Dumas, pour lui présenter mes dessins… et qu’il les a acceptés!»

L’art de la laque, passion rare, passion libre

Cette fidèle collaboration avec Hermès depuis 1996 est aussi à l’origine d’une précieuse liberté : celle de développer sa passion, l’art de la laque.

« La complexité des superpositions de couleurs, de vernis et matières, la précision extrême du détail, l’absolue beauté et la rareté des pièces m’ont toujours bouleversée. J’ai commencé par suivre une formation à l’ADAC (Paris-Ateliers) puis me suis inscrite aux passionnants stages d’Isabelle Emmerique, maître d’art en laque. J’ai voyagé avec elle au Japon, en Birmanie et au Vietnam pour étudier la laque végétale. Nous sommes cinquante laqueurs professionnels en France, dont deux en Alsace, Françoise Wintz et moi.

Depuis le XVIIIe siècle, la laque française se crée avec des pigments naturels ou chimiques que l’on mélange à des vernis gras. Je les applique au pinceau, puis je ponce pour arriver à une matière lisse et faire apparaître les couches de pigments. J’utilise beaucoup d’or, en poudre ou en feuille. Les longs temps de séchage avant le ponçage font que je travaille souvent différentes pièces en même temps, et sur plusieurs postes : l’un où l’on ponce, un autre pour le séchage, un autre encore pour le décor. La finition demande au moins une dizaine de couches de laque transparente. Les tâches se succèdent au calme dans mon atelier. Je ne compte pas mes heures pour réussir le moindre détail et créer l’émotion. Certains de mes clients attendent jusqu’à un an pour une commande d’objet de décoration ou de bijou.»

– Grande coupe «Leaves». Laque européenne sur céramique, feuilles d’or et poudres de bronze. ©Studio Pygmalion. – Boites «Les précieuses». Bois de hêtre laqué, laque européenne. ©Studio Pygmalion. – Service de table «Passifolia» Hermès. Trente deux teintes composent ce service de table . Ici, assiette à pain, assiette creuse, assiette à diner, assiette de présentation et grand plateau rond.

Et pour Hermès encore, à la bonne heure

Cet éblouissement pour l’art de la laque, Nathalie Rolland-Huckel est heureuse d’avoir réussi à le faire partager à la maison Hermès. « Depuis quelques années, grâce à la directrice du studio de dessin Christine Duvigneau, je travaille pour le département horlogerie d’Hermès. Il s’agit là d’un véritable métier d’art. Chaque pièce de cadran de montre que je réalise est une pièce unique. C’est un domaine passionnant d’une extrême minutie qui répond également à mon goût pour la recherche et l’innovation».

Une belle mine de talents

Travail pour les services de table et montres Hermès, travail de la laque, créations et projets en pagaille. L’atelier de Gries bourdonne d’envies et d’enthousiasmes, de gaieté, de souffle et d’inspiration.

Son mari, le peintre et graveur Aymery Rolland dispose de son atelier à une centaine de mètres. Sa fille Solène est orfèvre et verrière à la flamme à l’Atelier de Salem au Tholy où elle crée bijoux et objets précieux. Et enfin, sa sœur Coralie, céramiste au Canada est toujours à portée de clic. «C’est chouette de travailler en famille! Nous faisons souvent appel aux savoir-faire des uns et des autres. Nos métiers sont des passions, et nos créations nous permettent de partager nos sensibilités, d’exprimer ensemble nos émotions. C’est une chance d’avoir comme préoccupation de créer du beau, tout particulièrement en ce moment, dans ce monde si compliqué.»

Plusieurs rendez vous pour découvrir ses créations

→ 10 au 19 septembre

Des pièces réalisées avec sa fille Solène seront présentées lors de l’exposition « Trésors » à la Galerie Aedaen à Strasbourg, puis du 24 au 28 novembre à la galerie Tschaen à Colmar (FREMAA).

→ 11 au 15 novembre

Au Salon Européen des Métiers d’Art

Résonance au Wacken où elle fera une conférence et une démonstration le 14 novembre.

Début décembre, comme chaque année, ses ventes privées à l’atelier

Depuis 2001, Nathalie Rolland est membre actif des Ateliers d’Art de France, et depuis 2010 vice-présidente de la FREMAA pour défendre les métiers d’art en Alsace.

LA MARLOTTE

RUE DU TRAÎNEAU À GRIES NATHALIEROLLANDHUCKEL.COM INSTAGRAM: @NATHALIE-ROLLAND-HUCKEL

Gardiens de la mémoire artisanale

En fondant À demain Maurice, la designer Harmonie Begon a souhaité développer une véritable éthique de la collaboration liant profondément le design et l’artisanat. Exemple avec la poterie Ernewein-Haas à Soufflenheim.

Harmonie Begon, Jean-Louis et Jonathan Ernewein-Haas. Photo: Christophe Urbain Un pichet parlant. Photo: Harmonie Begon

Un peu moins de 5 000 habitants et peut-être autant de symboles et décorations potières ornant les rues, les vitrines et enseignes. Traverser Soufflenheim nous donne une drôle d’impression : la tradition est devenue une attraction entièrement tournée vers le tourisme. Quelque part entre un bonhomme en pots de terre cuite et un sapin en ferraille orné de plats typiques, le sens s’est perdu. Pour le retrouver, il nous aura fallu être invités par Harmonie Begon dans l’atelier de la famille Ernewein-Haas, et que Jean-Louis, le père, nous déroule l’histoire de l’argile de Soufflenheim et son utilisation, notre regard attiré par les gestes consciencieux de Jonathan œuvrant discrètement au tour. Derrière l’attraction, il y a le travail bien fait, il y a des savoirs se passant de génération en génération, avec lesquels on ne devrait peut-être pas badiner. Alors quand des designers et les belles intentions arrivent, pardon, mais Jean-Louis et Jonathan ne se laissent pas conter. La création, ils ont les pattes dedans depuis belle lurette et ils n’ont pas eu besoin de designers pour inventer leur pot “poulet à bière” dont ils ont déposé le brevet. Et les pots, cassés ceux-là, Harmonie Begon en a essuyé : «La première fois que je suis arrivée ici, raconte-t-elle. Jean-Louis m’a envoyé paître en me disant que lui aussi était designer... » Intimidée, elle leur a expliqué sa démarche : se documenter, s’immerger, regarder, son envie de «valoriser celles et ceux qui font, concrètement». Les trois premières semaines, elle les a passées à être ouvrière et à découvrir toute l’histoire de la maison entreposée là, sur les étagères. «Il a fallu que je lui apprenne, nous raconte de son côté JeanLouis. Et notamment la partie décor: on prend les objets et on les décore un à un, à la poire. » Cette attention, objet par objet, a mis la puce à l’oreille d’Harmonie. Leur première collaboration prendra forme sur La Dînée, un événement organisé par Accélérateur de particules. Durant une de ces soirées, Harmonie cuisine et sert son menu dans les poteries réalisées avec Jean-Louis et Jonathan. « C’était un travail en petite série, je me suis dit que si déjà on manipulait une à une les pièces, on pourrait proposer des anses et une décoration différentes sur chacune.» Elle découvre aussi que l’argile de Soufflenheim prend une teinte jaune après la cuisson et décide de ne pas tout «engober» (l’engobe est un revêtement) pour retrouver la couleur d’origine. Au cours de ses recherches, elle constate aussi que les motifs de la poterie alsacienne ont été métamorphosés par le folklore.

Les concept-stores: non merci

En fait, au départ, ils étaient réalisés au doigt : pas de cigognes, pas de fleurs, pas de fioritures. Ses réflexions, elle les partage et ils ont travaillé, ensemble. «Harmonie, elle a des idées, elle est perspicace. J’ai vu l’engagement qu’elle avait à défendre notre maison… Trouver des gens comme ça, c’est rare. Elle s’est proposée de travailler avec nous, on fait ce qu’il faut pour elle aussi. C’est donnant-donnant, nous confie Jean-Louis qui a pu être surpris par les propositions de la designer. Elle change de déco mais aussi de système, ça m’a apporté de nouvelles idées.»

En découvrant sur une brocante de vieux pichets ornés d’expressions alsaciennes un peu lourdingues, elle échange avec Jean-Louis, et paf : les pichets parlants étaient nés. Aux formes gourmandes et aux couleurs sobres, les pichets et leurs phrases débordent de malice. 20 pièces ont été produites ; toutes vendues. Puis vient une période de doutes avant qu’elle ne réalise qu’elle n’a jamais été aussi accomplie que lors de son travail à la poterie. Elle monte un dossier Tango & Scan pour valoriser leur collaboration: 15000€ pour aller plus loin. «Parce qu’il faut aussi parler de viabilité économique.» Pour elle, c’est important de prouver que les collaborations peuvent aussi déboucher sur des succès commerciaux. Ils planchent sur une collection d’objets et en parallèle, elle cherche des points de vente en cohérence avec leur démarche. Les concept-stores: non merci. Elle souhaite célébrer l’artisanat populaire et la simplicité. Leurs créations trouveront leur place à la Droguerie du Cygne, au musée Alsacien, à la Nouvelle Douane à Strasbourg et à la Boutique du château de La Petite-Pierre : proches des gens. Désormais sûre d’elle, elle a créé À demain Maurice, une entreprise de design qui se met au service des artisans et «qui considère les pratiques locales comme les modèles d’un futur désirable» et durable. « À demain», parce que c’est sûr, elle reviendra. Classe.

ALSACE-POTERIE.FR HARMONIEBEGON.COM ADEMAINMAURICE.FR

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