2009 Ecologik

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Vers le zéro déchet « Réduire, recycler, réutiliser », depuis qu’il est sorti de la bouche du premier ministre Japonais Koizumi au sommet du G8 en 2004, le concept des 3R est LE pilier des politiques de gestion des déchets en Europe. À écouter les acteurs du bâtiment, tous les matériaux seraient 100 % recyclables, ou le deviendront sans tarder. Alors, le polycarbonate, recyclable ou non ? Et le bois, l’acier, l’alu ? Oui, répondent-ils. Mais grâce à quelle dépense d’énergie, avec quels risques et à quel prix opère-t-on cette valorisation ? Une des difficultés du recyclage des matériaux et des déchets de construction vient de leur diversité et de leur complexité. Plus une matière est composite, plus elle demande d’énergie pour être séparée – ou « désorganisée » – et recyclée. Notre société mise beaucoup sur cette filière. Elle oublie qu’elle s’est construite sur une autre logique plus économe de réutilisation de l’existant aujourd’hui encore connotée babas cool voire squats. Le travail sur les mentalités est fastidieux. Quelques architectes décident pourtant de tirer parti des ressources des semi-produits de la construction le plus longtemps possible, d’user les matières jusqu’à la corde, en repoussant l’instant où le recyclage deviendra vraiment nécessaire. Le réemploi est une prise de position critique vis-à-vis de nos modes de production. C’est aussi une affirmation éthique, sociale et esthétique. Pourquoi reste-t-il si marginal, beaucoup mieux admis dans les œuvres des artistes que dans celles des architectes ? u

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Of bric and broc

Maison éphémère pédagogique, San Francisco, 2005 Les photos de la Scraphouse ont fait plusieurs fois le tour du monde depuis sa construction à San Francisco en 2005. À quelques pas de l’Hôtel de Ville, cette maison en matériaux de récupération a été ouverte au public pendant quatre jours à l’occasion de la Journée mondiale de l’environnement. Anna Fich, la réalisatrice qui a eu l’idée du projet en a tiré un documentaire : véritable expédition, la quête des matériaux a duré trois semaines. En une quarantaine de jours, la profusion de déchets amassée par une équipe de volontaires – claviers d’ordinateurs, tuyaux d’arrosage, bois peints, panneaux de signalisation… – s’est muée en une maison coquettement aménagée, avec deux chambres en mezzanine, cuisine, salle de bain, terrasse : le symbole d’une architecture renouvelable audacieuse. Les plans ont été dessinés par l’organisation à but non-lucratif Public Architecture – dirigée par l’architecte John Peterson – dont le afonctionnement est lui aussi atypique. L’agence met en relations des organisations d’intérêt public, non lucratives, en quête de projets nécessitant un architecte et des constructeurs, avec des entreprises du secteur voulant faire un don de temps et de service sous forme de « 1 % pro bono », équivalent à une vingtaine d’heures par personne et par an. Ce principe de contribution bénévole a été instauré l’année de la construction de la Scraphouse, dans une logique de valorisation et de partage des ressources. www.scraphouse.org www.publicarchitecture.org

Dossier réalisé par clémence mathieu

Page précédente : Afrique du Sud. Habitation mystérieuse en bordure d'un village Zulu dans la plaine de la région du Drakensberg à la frontière du Lesotho. ecologiK 07

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La main à la pâte

Lieu associatif à Argentan, Orne, 2007

Architecture de la valorisation

Installations itinérantes en matériaux de réemploi, Hollande, 2007

Avant de devenir l’Espressobar de l’université de Delft en 2007, cette installation à base de machines à laver désossées s’appelait la Miele Space Station et a voyagé sous différentes formes à travers tous les Pays-Bas.

Recycloop, en évier inox, installation itinérante créée en 2007 à Utrecht.

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Le Manable a été commandité en 2007 par un potager d’insertion, le Jardin dans la ville, créé en 1995 à Argentan pour approvisionner une épicerie sociale, les Restos du cœur et le Secours populaire. Il s’agissait de fournir un abri aux jardiniers pour manger et entreposer leurs outils, mais surtout de créer un lieu où organiser des événements, des rencontres, etc. C’est l’association NAC (Notre atelier commun) créée par Patrick Bouchain qui s’est portée ma tre d’œuvre et trois jeunes architectes qui en assurent la conception et la construction : Alexandre Roëmer, du collectif Exyzt, également charpentier, Félix Jeschke et Sonia Vu. Aujourd’hui, une quinzaine de personnes y travaillent. Le réemploi a donné une dimension symbolique au projet. Pour les architectes, construire en matériaux d’occasion, c’était « faire avec ce que la société rejette, porter un autre regard sur des objets et matériaux délaissés pour leur donner une seconde vie. Sortir de leur classification de non-usage, de non-productivité et montrer qu’on peut faire autrement ». Des propos qui ont une résonance particulière dans cette ville post-industrielle de l’Orne, dont la population, minée par les rachats et les délocalisations, peine à retrouver dynamisme et confiance. Le Manable est un projet avant tout participatif. Ses 120 mètres carrés ont été réalisés en trois mois, avec 50 000 euros mais beaucoup d’engagement humain.

Le collectif 2012, basé à Rotterdam, est convaincu que l’enjeu du recyclage n’est pas tant une affaire de traitement industriel (downcycling) que de processus de réinterprétation à intégrer dans la démarche de création (upcycling). Les architectes axent leur travail sur le réemploi à l’échelle de l’objet, du bâtiment ou du territoire urbain. Leur outil principal est Internet, par les réseaux qu’ils animent selon les concepts et l’échelle des projets. Le Superuse réunit une communauté virtuelle de designers et d’architectes, professionnels partageant avec des amateurs leurs créations ou leurs trouvailles originales en matière de recyclage. RecycliCity est un autre concept, ou plutôt un contexte, une sorte de leitmotiv invitant à déceler les bâtiments abandonnés, les décharges sauvages et autres parcelles oubliées pour les prendre comme point de départ de toute intervention. Les considérations écologiques ne sont pas leur seul objectif. Ils leur préfèrent la valeur ajoutée que comportent des morceaux qui ont déjà vécu, leur identité et leur imperfection. Déprimés devant les bâtiments rasés au profit de constructions dites « eco-friendly », ils revendiquent l’existant comme détour obligé pour ne pas perdre trop d’énergie et de matériaux en route. À découvrir au Centre canadien d’architecture de Montréal jusqu’au 19 avril 2009 dans le cadre de l’exposition Actions : comment s’approprier la ville. www.2012architecten.nl, www.superuse.org http://cca-actions.org/fr

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De la décharge à la réserve naturelle Vall d’en Joan, parc El Garraf, Catalogne, 2008.

Pendant trente ans, la décharge de Gavá – petite ville située à moins d’une demi-heure au sud de Barcelone – a reçu les ordures ménagères de la capitale catalane et des environs. Progressivement fermée, elle fait l’objet entre 2003 et 2006 d’une opération de dépollution et de restauration paysagère sur une portion de 20 hectares. Le projet est mis entre les mains des architectes Enric Battle et Joan Roig et de la paysagiste et agronome Teresa Galí-Izard. En premier lieu, ils sécurisent le terrain avec des digues d’argile, pour consolider les pentes d’immondices polluées et meubles. Une fois le champ libre, ils aménagent le terrassement qui reprend le motif local de mosa que agro-forestière. Les couches d’ordures sont imperméabilisées pour que l’eau cesse de s’infiltrer dans le sol ; différents systèmes de drainage la conduisent dans des réserves en aval, où, une fois filtrée, elle devient précieuse en période estivale. Quant aux déchets en décomposition, ils alimentent une production de biogaz. Au-delà des processus techniques d’assainissement, l’intervention ancre surtout ce paysage convalescent dans le territoire du parc naturel El Garraf, une des plus importantes réserves biologiques de Catalogne. À terme, l’ancienne décharge du Vall d’en Joan, exclusivement plantée d’espèces autochtones et résistantes à la sécheresse, typiques du maquis méditerranéen, devrait se confondre avec l’environnement protégé du Garraf et être librement ouverte au public.

Cucurbitahome

Prototype de maison en déchets végétaux et plastiques recyclés, Paraguay, 2008 Depuis 1992, Elsa Zaldívar s’est engagée auprès de la population défavorisée de Caaguazú, au Paraguay, où elle met au point des programmes ruraux pour créer des revenus tout en luttant contre la déforestation. Car, entre autres fléaux, la culture intensive du soja a réduit le capital forestier du pays à moins de 10 % du territoire. Au tout début, il y a le développement d’une culture haut de gamme du luffa, une cucurbitacée locale dont la fibre sèche donne une éponge cosmétique qui s’exporte bien et constitue une source digne de revenus. Puis, cette première pierre posée, Elsa Zaldívar pousse plus loin le potentiel du luffa. Son objectif est devenu l’accès au logement. Avec l’ingénieur Pedro Padrós, Base ECTA – son organisation à but non lucratif – fabrique désormais des panneaux de construction flexibles, légers et résistants, alliant des plastiques recyclés à plusieurs fibres naturelles locales. Il s’agit des déchets de la production du luffa, mélangés à des feuilles de ma s et de palmier caranday. Selon les qualités des plastiques, les panneaux peuvent présenter de bonnes propriétés isolantes. Ab més, ils se recyclent deux ou trois fois, avec adjonction de fibres. En fin de vie, ils constituent un combustible pour la valorisation énergétique. Dans un pays où plus de trois cent mille personnes n’ont pas de logement décent et où le bois est une ressource à épargner d’urgence, la solution semble toute trouvée. www.rolexawards.com ecologiK 07

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Bibliographie

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Spacecraft

Fleeting architecture and hideouts Lukas Feiress et Robert Klanten, Die Gestalten Verlag, en anglais, 255 p., 300 x 240 mm, Berlin, 2007, 50 euros. Dans notre société, obsédée par la mobilité et contrainte par la densité, de plus en plus d’architectes et d’artistes osent s’emparer de franges marginales du territoire et de matériaux improbables pour fabriquer des lieux géniaux, libres des contingences de la ville. Une centaine de ces « vaisseaux » et de ces abris plus ou moins éphémères ont été répertoriés dans Spacecraft, incontournable dans la photothèque des accros du happening architectural.

Des détritus, des déchets, de l’abject une philosophie écologique

François Dagognet, coédition Les Empêcheurs de tourner en rond, Synthélabo pour le progrès de la connaissance, 200 x 105 mm, Le Plessis-Robinson, 1997, 14 euros. Un peu de philosophie sur un sujet aussi peu amène que celui des déchets, cela élève et du même coup réconforte. Car le sort de la matière jetée, dans notre société, évoque rien de moins que l’abandon, la décomposition et la mort. François Dagognet, philosophe, médecin, auteur d’une trentaine de livres, examine le délabré et le déchiqueté, le sale et le pauvre pour les relever de leur infamie et leur redonner leur dignité. Ce qui ne peut manquer de nous aider, d’une certaine façon, à retrouver la nôtre.

La poubelle et l’architecte Vers le réemploi des matériaux

Exposer sans gâcher

Système de récupération des matériaux de scénographie, Paris, 2008-2009 D’où viennent les matériaux de réemploi ? En très grande partie des chantiers de réhabilitation et de déconstruction. Quid des produits utilisés pour les innombrables salons et expositions qui rythment la vie commerciale et culturelle des villes ? Le collectif d’architectes Encore Heureux a pisté les scénographies temporaires pour mettre au point un système de récupération à trois issues, selon une interprétation personnelle du principe des 3R (voir ci-contre). Et pour cause : « la plupart des matériaux utilisés à ces fins partent à la benne, sont jetés et détruits une fois les événements terminés, alors même que les normes de sécurité – comme la résistance au feu et aux impacts – leur confèrent une durée de vie bien supérieure à celle des scénographies pour lesquelles ils sont utilisés », expliquent Nicola Delon et Julien Choppin. Rien qu’à Paris, près de 300 000 mètres carrés de salons et des dizaines de milliers de mètres d’expos temporaires pourraient alimenter en flux continu un réseau organisé, sur le modèle existant de ressourceries comme Emmaüs. Un projet pilote aura lieu à la Cité de l’architecture et du patrimoine en 2009, lors du démontage de l’exposition « Habiter écologique - Quelles architectures pour une ville durable ? », dont EcologiK est partenaire. http://encoreheureux.org

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Jean-Marc Huygen, Actes Sud, collection L’Impensé, Arles, 2008, 183 p., 36 euros. S’il fallait une synthèse des moyens à disposition pour construire à partir d’objets tombés en désuétude, ce livre nous la donne. Et moins d’un an après sa parution, il s’est imposé comme la référence pour les étudiants, les architectes et les amateurs les plus éclairés de la récup’. Il est possible de suivre les actions de l’auteur, architecte liégeois et professeur à l’école d’architecture de Grenoble, sur le site www.matieras.eu. Jusqu’en septembre 2009, on pourra découvrir, disséminés dans la ville de Liège, les structures en matériaux de réemploi que ses élèves ont réalisées avec des étudiants bruxellois en design textile.

Superuse De Ed van Hinte, Jan Jongert et Césare Peeren, 010 Publishers, en anglais, 144 p., 210 x 130 mm, Rotterdam, 2008, 19,50 euros. Tous les objets usagés publiés dans Superuse auraient pu être recyclés, brûlés ou abandonnés. Mais ils ont croisé la route du collectif batave 2012 et sont devenus la matière première de nouveaux objets de création de design et d’architecture. Dans la cadre de la fondation RecycliCity pour la valorisation des déchets dans la construction, ces disciplines exigent une vision originale de la matière et de nouveaux savoir-faire. Inventaire hétéroclite et inspiré, ce livre forme l’œil à repérer les morceaux de choix que notre conscience a été éduquée à ignorer.

L’Académie Fratellini

Le cirque de plain-pied / Saint-Denis Coline Serreau et Charlotte Erlith, Actes Sud, collection L’Impensé, Arles, 2008, 15 x 20,5 cm, 112 p., 28 euros. Dans le quartier Saint-Denis la Plaine au nord de Paris, l’architecte Patrick Bouchain a érigé un bâtiment original qui abrite le chapiteau et l’école de cirque de la famille Fratellini. Réalisé avec peu de moyens, le projet a fait appel aussi souvent que possible au recyclage, au non fini et à la récupération. C’est ainsi qu’il s’est approprié les tôles de bardage aux teintes « bronze, aluminium et champagne », refusées par Eurodisney pour l’extension de son parc… Coline Serreau, cinéaste, metteur en scène, actrice, est aussi trapéziste ! Elle nous emmène avec Charlotte Erlith dans un lieu majestueux et magique, nomade sans être aucunement précaire.

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Les ambigu tés du Grenelle

Recyclage

?

contre incinération La loi de programmation Grenelle 1 annonce un certain nombre de mesures difficiles à interpréter concernant le traitement des déchets ménagers : à travers ses articles, elle semble ménager la chèvre et le chou et hésite sur les priorités à donner, entre prévention, recyclage et incinération. Ce flou trahit-il la difficulté d’une rédaction collective ou, pire, la dissimulation d’avantages industriels et financiers ?

« Valorisation énergétique ». L’appellation édulcorée de l’incinération a été entérinée en 2005 par la directive cadre européenne, le texte de référence sur lequel reposent toutes les décisions concrètes : « La valorisation énergétique est l’utilisation de déchets combustibles comme moyen de génération d’énergie par incinération directe avec ou sans autres déchets mais avec récupération de la chaleur1. » Le processus réduit la proportion de déchets ultimes mis en décharge en diminuant leur volume de 75 à 90 % et leur masse solide de 70 %. Cette reconnaissance industrielle a permis à l’incinération de prendre le pas sur le recyclage qui, sans voir ses objectifs chiffrés à la baisse, et malgré les discours officiels qui continuent d’en vanter les mérites, n’est peut-être pas la priorité que l’on croit. Entre recyclage et incinération, il semble que les efforts pour l’environnement ecologiK 07

vivent une période de transition animée par des conflits d’intérêts industriels, économiques et techniques.

Une loi difficilement lisible Voté à l’Assemblée nationale le 21 octobre 2008, l’article 41 du Grenelle 1 stipule que « le traitement des déchets résiduels (impropres au recyclage, NDLR) doit être réalisé prioritairement par la valorisation énergétique ». Autrement dit par l’un des cent trente incinérateurs que compte aujourd’hui l’Hexagone. « La réutilisation, le tri, la valorisation matière2 et le recyclage seront encouragés et facilités en tant que modes prioritaires de gestion des déchets », précisent au même moment les députés. Les déchets collectés pour la filière de recyclage ne partent donc pas dans celle de l’incinération, cette dernière utilisant pour sa combustion

des ordures mélangées. En réalité, les incinérateurs – unités de valorisation énergétique (UVE) ou encore unités d’incinération des ordures ménagères (UIOM) – sont souvent couplés à un centre de tri. Au minimun 25 % des déchets triés, considérés comme des erreurs, sont expédiés dans les fours. Les associations de défense de l’environnement déplorent ainsi que les UVE puissent détourner du recyclage des denrées comme le papier, le carton et le bois. Une similarité de besoins « alimentaires » qui fait dire à Sébastien Lapeyre, directeur du Centre d’information indépendant sur les déchets (CNIID) : « L’incinération n’est pas complémentaire du recyclage, elle s’y oppose. » D’autant plus que le Grenelle sème le doute lorsqu’il prône une politique de prévention et d’anticipation : « Les quantités de déchets partant en incinération ou en stockage seront

globalement réduites avec pour objectif une diminution de 15 % d’ici à 2012. » S’agit-il d’une réduction de la production en amont? D’une proposition d’alternative à l’incinération et/ou au stockage des déchets résiduels? Ultimes? Allez savoir.

Incitations et dissuasions fiscales Si Grenelle 1 est une loi de programmation (Grenelle 2 sera sa version technique), un seul de ses amendements, le 41 bis3, est susceptible d’avoir un impact concret en modifiant le Code des impôts. Celuici touche précisément le recours à l’incinération, avec un encouragement fiscal consistant en une exonération de taxe foncière pendant cinq ans pour toute entreprise qui se connecterait à un réseau de valorisation énergétique. Une ambition à contresens du message du ministère de l’Écologie4 et du « caractère dissuasif souhaité pour la fiscalité sur les installations de stockage et d’incinération et les produits fortement générateurs de déchets ». Il faut entendre par là la Taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), dorénavant augmentée quand les ordures sont acheminées vers la décharge mais pas lorsqu’elles le sont vers une UVE.

Aberrations concrètes Les incinérateurs ont en France une capacité moyenne de 100 000 tonnes de déchets par an. En région parisienne, l’unité d’Ivry-Paris XIII, qui comprend à la fois un centre de tri et un incinérateur, exploitée par TIRU5, a une capacité supérieure à 700 000 tonnes – soit le plus gros d’Europe après celui d’Amsterdam dont la capacité atteint le million de tonnes par an. Ces unités, pour être rentables, ont besoin d’une quantité de combustible constante pendant des décennies. Si cette quantité vient à diminuer, l’UVE peut toujours s’adresser à un département

Beaucoup de poussière mais relativement peu d’odeurs dans la fosse de l’Unité d’incinération d’ordures ménagères d’Ivry-Paris xiii : grâce à un système de dépressurisation, l’air pestilentiel alimente la combustion dans les fours. Au centre, un « refus de tri » en provenance du centre en exploitation sur le même site.

voisin, ou même à un pays étranger et «rapatrier» des déchets triés. Il arrive en effet que les pays champions du recyclage se retrouvent en pénurie de combustibles pour leurs incinérateurs. C’est ainsi que la Suisse s’est intéressée de très près à l’importation de déchets de la ville de Naples qui, avec ses 10 000 tonnes quotidiennes, déborde. Genève, finalement consciente de l’aberration d’une telle importation en termes de communication, a finalement annulé l’opération en mars 2008. De la même façon, en 2007, faute de quantité suffisante de matière à brûler, la communauté de communes de la Porte d’Alsace – dont la qualité du réseau de tri est réputée –, a été amenée à remélanger des déchets triés et destinés

Visite de l’incinérateur d’Ivry-Paris XIII

À l’est de la capitale, 500 camions déversent quotidiennement entre 3 et 5 tonnes d’ordures ménagères chacun. Une valse qui raconte les coulisses de la vie urbaine… À la sortie des fours, deux destinations : la chaudière, dont l’eau se transforme en vapeur et alimente 50 % du réseau de chauffage urbain de la ville (la CPCU), et les turbines de production d’électricité (raccordées au réseau EDF). Les éléments qui résistent aux 900 °C des fours sortent sous forme de ferrailles revendues à des centres de recyclage, des mâchefers (25 %) dont une partie est utilisée pour la construction des routes et 4 à 5 % de REFIOM, résidus ultimes enfouis dans des zones de stockage spécialisées.

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L’électrofiltre de l’UIOM d’Ivry-Paris xiii traite les fumées à la sortie de la combustion. Les ondes électromagnétiques qui circulent dans le « cube » concentrent les poussières sur les parois. Les résidus obtenus, récupérés dans le silo jaune au premier plan, sont ensuite définitivement enfouis dans des centres de stockages.

au recyclage. Ces anecdotes laissent entrevoir des failles peu rassurantes pour l’opinion publique. Si depuis 2001, l’incinération est considérée comme une énergie renouvelable car au moins 50 % des combustibles sont d’origine renouvelable (déchets organiques, bois), elle absorbe, faute de contrôle, toutes sortes de déchets dangereux – seuls les éléments radioactifs sont détectés automatiquement, à l’arrivée des camions. En cas de baisse des tonnages, la biomasse ayant besoin de déchets à fort pouvoir calorifique pour brûler correctement, les installations ecologiK 07

ont recours aux déchets triés comme les plastiques et les cartons des ménages et des entreprises (prioritairement des « refus de tri »). Doit-on en déduire que les communes ne peuvent, ni ne doivent pas viser un recyclage optimal ?

Question de santé Suspicieux quant aux substances toxiques rejetées dans l’atmosphère, les associations de riverains, médecins et pouvoirs publics locaux font preuve d’une défiance croissante à l’égard de l’incinération. Les implantations de nouvelles UVE donnent régulièrement

lieu à des levées de boucliers. Le Conseil européen prône pourtant la limitation de leurs capacités et le strict contrôle de leurs émissions polluantes. En France, les Directions régionales de l’industrie, de la recherche et de l’environnement (DRIRE) exercent un contrôle au point que les substances toxiques qui échappent aux filtres se compteraient en nanogrammes par mètre cube de fumées contenues dans les panaches de vapeur (dioxines, furanes, métaux lourds). Dans ce même souci de prévention, un rapport de l’Institut public de veille sanitaire (INVS) publié en 2008 étudie l’incidence des cancers à proximité des usines d’incinération d’ordures ménagères. Le rapport reste flou. Si la corrélation est avérée, les progrès menés depuis 1999 sur la filtration des fumées et la réglementation laissent entrevoir une possible réduction des risques. La conclusion laisse en effet sur sa faim : « Cette étude ne permet pas d’établir la causalité des relations observées mais elle apporte des éléments convaincants au faisceau d’arguments épidémiologiques qui mettent en évidence un impact des émissions des incinérateurs sur la santé6. » Strictement encadrées, les UVE continuent malgré tout de susciter l’inquiétude des populations et les élus ont de plus en plus de mal à les faire accepter dans leurs départements. La communication verdoyante des syndicats de traitement des ordures et de groupes leaders comme Veolia et Sita ne suffit pas à créer le consensus.

Alors la France, pour ou contre l’incinération ? Dans la course à l’énergie et à la légitimité industrielle, il existe bel et bien des conflits d’intérêts que le ministère de l’Écologie aborde avec prudence : « il s’agit d’une évolution graduelle, d’où certaines contradictions passagères »,

explique Laure Tourjansky, responsable de la politique de gestion des déchets au ministère de l’Écologie. Face aux ambigu tés, une mesure domine : la prévention. Elle est sur toutes les lèvres et calme les esprits en pariant sur l’éco-conception et le réemploi, la diminution et la qualité des volumes en amont des installations de traitement. Ne nous y trompons pas, les producteurs d’énergie pouvant justifier la valorisation énergétique par la création d’énergie renouvelable et la diminution des gaz à effet de serre, l’incinération a de beaux jours devant elle. Bientôt, les plus grosses centrales se doteront d’ailleurs d’unités de méthanisation pour produire du biogaz à partir de la macération accélérée de déchets organiques. Une technologie vendue par leurs développeurs comme la panacée en matière de traitement écologique. Enfin, l’attention méticuleuse voire obsessionnelle que certains citoyens investissent dans le tri, comme, à un autre niveau, les taxes payées par les entreprises aux éco-organismes, détournent pour un temps leur attention de processus techniques et politiques aussi ardus qu’ingrats. u clémence mathieu 1. Directive 2005/32/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 2005. 2. La valorisation matière est la récupération des matières métalliques issues de l’incinération : mâchefers, ferrailles et aluminium. 3. L’article additionnel 41 bis a été défendu par le député UMP de Seine-et-Marne, Christian Jacob. 4. « Ce qui va changer » / Prévention des déchets. www.developpement-durable.gouv.fr 5. Dont EDF détient 51 % du capital et Suez 49 %. 6. Étude d’incidence des cancers à proximité des usines d’incinération d’ordures ménagères. Rapport effectué dans le cadre du Plan Cancer 2003-2007, ayant couvert quatre départements de 1990 à 1999. Téléchargeable sur le site www.invs.sante.fr

Plus informations sur www.ecologik.org

À la sortie de l’électrofiltre, les fumées sont traitées en circuit humide. À leur contact, l’eau se transforme en vapeur et est rejetée 24h/24h dans l’atmosphère sous la forme d’un épais panache. ecologiK 07

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Quel devenir pour les

déchets de bois ?

La dernière directive cadre européenne fixe un objectif de recyclage de 70 % des déchets issus des constructions et des démolitions d’ici à 2020, sans énoncer de mesures d’application concrètes. Si le secteur du bâtiment permet une traçabilité parfaite des produits depuis leur fabrication, il est étonnamment incapable de fournir des informations précises sur la destination réelle de ses déchets. Ce manque de transparence freine les possibilités d’un recyclage de plus grande ampleur et induit des pollutions. Le bois, matériau chouchou des chantiers écologiques, n’échappe pas à ces difficultés. Les entreprises de recyclage des déchets industriels qui traitent le bois le reçoivent en mélange, non trié. Elles ne sont censées gérer que les bois propres, de « liste verte » comme les palettes et les madriers, et les bois faiblement adjuvantés, de « liste orange » comprenant le mobilier, les contreplaqués de coffrage, les panneaux d’aggloméré, etc. Mais le manque de formation des personnels du tri fait qu’il est difficile de contrôler la marchandise et que les erreurs sont fréquentes. En dehors d’une expertise systématique des bois peints permettant de détecter le plomb – quand le ma tre d’ouvrage est public –, seul un tri visuel rapide met à l’écart des éléments facilement identifiables, type traverses de chemin de fer créosotées1. Une fois la sélection effectuée, le bois de liste verte part sous forme de plaquettes forestières vers des chaufferies industrielles ou urbaines où il sert de combustible. Quant à la liste orange, déchiquetée ou broyée, elle entre généralement dans la composition de panneaux à particules. Ces bois non traités ne posent pas de problème particulier de recyclage.

Le bois brûlé sur chantier Officiellement2, c’est 30 % du bois propre issu des chantiers qui part en fumée sur place. « En réalité, il est difficile d’évaluer ecologiK 07

ces chiffres, mais les feux de chantiers concernent certainement des quantités encore plus importantes », commente Laurent Château, spécialiste des déchets à l’Agence de l’environnement et de la ma trise de l’énergie (Ademe). Plusieurs raisons à cela. D’abord, compte tenu du principe légal de responsabilité du producteur des déchets et de son obligation d’en assurer l’élimination à ses frais (voir EcologiK n°06 p. 114), le feu représente une baisse des coûts. Ensuite, les ouvriers allument volontiers des feux pour se réchauffer pendant les longs mois d’hiver. Quand le bois est acheminé vers des centres de tri, le fait qu’il arrive en mélange (pour de – fausses – raisons d’économies) joue dans l’augmentation de la part destinée à la valorisation énergétique, circuit incomparablement moins exigeant sur la qualité et le tri des matières.

L’incinération des bois traités Dans le cas des bois traités, la combustion dans les unités de valorisation énergétique (industrielles ou de chauffage urbain) peut se révéler dangereuse pour l’environnement et la santé, particulièrement s’il s’agit de bois traités au CCA (cuivre, chrome, arsenic). En effet, mélangés à d’autres types de déchets, ils dégagent des éléments toxiques qui déstabilisent la combustion. Et sous l’effet

du choc thermique, l’arsenic s’évapore, pouvant entra ner avec lui d’autres métaux lourds dans les fumées. La nature des produits de traitement a beaucoup évolué. Depuis vingt-cinq ans, l’utilisation de sels métalliques tels que le CCA, le CFK (cuivre, fluor, chrome), le CCB (cuivre, chrome, bore) s’est généralisée. Les CCA sont interdits en France par une diretive européenne depuis quelques années. Les études menées sur la combustion de ces protections chimiques indiquent que la plupart des incinérateurs industriels sont en mesure d’en capter les polluants, mais pas en totalité, et à condition que leurs concentrations soient limitées. Il serait préférable de recourir à des unités spécifiques, réservées à cet usage. C’est pourquoi les constructeurs ont de plus en plus tendance à se tourner vers les traitements certifiés non polluants, ou vers des procédés comme la rétification, qui rend le bois hydrophobe et imputrescible par le biais d’une pyrolyse à très forte température (voir EcologiK n°05, p. 113). À défaut de contrôle, il arrive aussi que les bois traités arrivent dans les cimenteries, qui sont autorisées à brûler d’énormes quantités de combustibles de substitution comme les huiles usagées et, ces dernières années, les farines animales. Les usines sont soumises aux mêmes contraintes réglementaires que les incinérateurs de

L’entassement des ordures vu par MVRDV. Modélisation 3D publiée dans Metacity Datatowm, 010 Publishers, 1999.

déchets industriels et ménagers publics mais, malgré une température portée à 1200°C dans les fours, on peut s’interroger sur les risques que comportent de tels procédés.

Le recyclage en temps de crise Les quantités de bois traitées en centres de recyclage n’ont cessé d’augmenter au cours des années 2000. Chez Serdex, une entreprise spécialisée dans les matériaux de déconstruction située à Lyon, l’arrivage annuel est passé de 6 000 tonnes en 2002 à 35 000 tonnes en 2008. Mais avec la crise économique, le ralentissement du secteur du bâtiment compromet la capacité du centre à fournir des quantités suffisantes à ses clients. Quant au transport par Fret, autre enjeu de développement durable, Serdex l’avait adopté mais n’en a plus les moyens. Les prix pratiqués par la SNCF lui semblent dissuasifs. Le bois ayant une faible densité, à volume identique, un wagon de train rempli à ras bord – 20 tonnes – coûte plus cher qu’un véhicule dans lequel on peut charger 22 tonnes. On peut aussi s’interroger sur la différence entre le Fret français (qui autorise des chargements maximaux de 800 tonnes), et son voisin allemand dont les convois atteignent 1 200 tonnes. La marchandise reste donc, pour Serdex, acheminée par camions.

Aujourd’hui, faute de déconstruction sélective, le recyclage est difficile. Et celui du bois n’empêchera pas les risques de pollution, ni ne sera optimal tant que les pratiques des industriels n’auront pas massivement évolué. « La question des rôles et des responsabilités n’est pas très claire, ma tres d’ouvrage et entreprises se renvoient la balle, déplore Laurent Château. Personne n’est prêt à payer. » L’établissement public devrait publier au printemps un Guide pratique de prévention à destination des ma tres d’ouvrage et des entreprises de BTP, concernant la marche à suivre en anticipation de tout chantier, avant même de lancer les appels d’offre. « Nous sommes aujourd’hui en mesure de dire que les déchets de bois peuvent être triés correctement. Avec la Fédération française du bâtiment (FFB), nous prévoyons des avancées concrètes à court terme, c’est une question de crédibilité », conclut Laurent Château. u cm 1. Les créosotes sont utilisées pour protéger les traverses en bois sous les rails de chemins de fer. Ce sont des mélanges huileux de phénols et de crésols obtenus par distillation des goudrons du bois qu’ils protègent des parasites. 2. Selon le rapport 2007 de l’Institut français de l’environnement (IFEN) qui actualise les enquêtes de l’Ademe et de la FFB, conformément aux exigences européennes qui réclament des statistiques tous les deux ans.

Les déchets du bâtiment en chiffres Selon l’Institut français de l’environnement (IFEN), en France, plus de 80 % des déchets sont issus du BTP, dont 15 % concernent le bâtiment. Les travaux publics ne produisent quasiment que des déchets inertes, qui seront réemployés sous forme de granulats dans les travaux routiers ou stockés. Par contre, la construction des bâtiments – particulièrement la réhabilitation et la démolition – génère des matériaux mélangés, très variés. Le dernier recensement de la FFB comptait en 1999 80 à 99 % de déchets inertes (plus de 95 % pour les constructions post-1950), 1 à 20 % de déchets industriels banals non dangereux (DIB), et 1 % de déchets dangereux. Parmi les DIB, recyclés aux deux tiers, se trouvent des emballages, du verre, des menuiseries, cloisons, isolation, etc., et les bois non traités ou faiblement adjuvantés. Les bois traités, eux, représentent 86 % des déchets dangereux, aux côtés de l’amiante, des peintures au plomb, vernis et autres colles.

ecologiK 07


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