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Le télétravail est un facteur favorisant la prise de substances addictives
Alors que sonne l’heure de la reprise pour certains tandis que d’autres restent en télétravail, Damien Duquesne et Corinne Dano, tous deux addictologues et médecins du travail, font le point sur l’impact du contexte actuel sur les addictions.
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En quoi la crise que nous traversons peut-elle fragiliser les personnes addictives ?
Damien Duquesne - Nous ne sommes pas égaux face à la situation créée par le confinement… L’inégalité physique et psychique face aux situations de confinement varie en fonction de facteurs multiples. Si nous travaillons à l’extérieur, la prise de produits psychoactifs peut se révéler une réponse « auto-prescrite » aux contraintes ressenties lors de l’activité professionnelle… Les personnes qui ont déjà expérimenté ces « solutions » et/ou qui en sont devenues dépendantes vont « naturellement » généralement augmenter les consommations. Si nous ne sortons pas travailler, les éventuels ressentis et vécus « je me sens mal » peuvent favoriser les démarches de recherche d’une diminution de ce « mal-être ». En fonction de nos histoires personnelles et de nos environnements, le recours aux produits psychoactifs peut être une manière de trouver un équilibre… Il n’est pas certain ni évident de « tester » dans cette situation confinée de nouvelles ressources internes et externes à la consommation de psychoactifs… Saluons les très nombreuses propositions diffusées par les médias et les réseaux sociaux favorisant une expérimentation et une pratique de ces ressources existantes : activités sportives au domicile, relaxation, sans oublier les propositions de groupes d’écoute et de parole qui se sont développées dans les médias TV, audio et Web… En conclusion, les diverses situations inégalitaires créées par le confinement rencontrent nos histoires de vie, dans lesquelles nos solutions pour trouver ou retrouver nos équilibres physiques et psychiques nous confrontent aux choix de solutions qui associeront plus ou moins les consommations psychoactives.
Le télétravail est-il un facteur favorisant la prise de substances addictives ?
Corinne Dano - Si l’on en croit une enquête* récente indiquant qu’environ un tiers des Américains en télétravail à leur domicile, du fait de la pandémie actuelle, consomment de l’alcool pendant leur temps de travail alors qu’ils ne le font pas sur leur lieu de travail habituel, la réponse est oui. Il faut dire que le télétravail du moment ressemblerait plutôt à un aménagement de poste rendu nécessaire pour garantir la protection des salariés tout en essayant d’assurer la continuité de l’activité de l’entreprise. De principe, le télétravail comme tout contexte professionnel est soumis à des obligations réglementaires. Il doit s’organiser et être encadré. Il s’adresse à des salariés volontaires, impliqués et formés, dont le poste se prête à l’exercice. De surcroît, une certaine compétence à travailler isolé paraît nécessaire. La réalité ne s’y prête pas vraiment. Les facteurs professionnels relatifs à l’activité de télétravail à domicile susceptibles de favoriser les conduites addictives (consommation de substances psychoactives SPA, jeux en ligne…) sont bien connus : isolement social et professionnel, gestion du temps (plusieurs études ont montré que les salariés en télétravail allongent leur temps de travail) et difficulté à scinder vie personnelle et professionnelle. Démotivation en lien avec la monotonie, disponibilité des SPA, accessibilité des jeux ou achats en ligne sont également décrits. Par ailleurs, la distance physique ne facilite pas le repérage des problématiques addictives. Le télétravail actuel peu anticipé n’a souvent pas bénéficié de l’évaluation des risques évoqués et de l’organisation à mettre en place afin de les prévenir. Certains salariés n’ont même pas d’espace de travail indépendant. Tous ces éléments contribuent à majorer le risque de développement des pratiques addictives. Les enquêtes en cours devraient nous apporter un éclairage supplémentaire.
Comment les managers peuvent-ils gérer ces situations ?
D. D. - C’est une bonne question ! Il y aurait lieu de revenir à mon avis à la question préalable de la prise en compte des risques pour la santé mentale en lien avec le télétravail (combien d’entreprises ont évalué ce risque en période de confinement, présence des enfants, ou solitude… ?). Cette analyse des risques est de la responsabilité de l’employeur. Le service de santé au travail peut accompagner les Codir et l’entreprise dans cette analyse ; en particulier en conseillant sur la méthode et sa mise en œuvre. Pour ma part, je reste attaché à la méthodologie proposée par nos amis belges Sobane, qui montre l’intérêt d’associer les salariés à cette analyse (www.sobane.be). C’est également ce qui inspire l’approche pratique de notre Plateau ressources en prévention des pratiques addictives à Lille Métropole.
C. D. - Selon la ministre du Travail, il y a aujourd’hui 5 millions de Français en télétravail, encouragés à continuer dans le contexte de déconfinement progressif. De ce fait, les partenaires sociaux sont appelés à négocier avec l’employeur un encadrement de ce mode de travail, une sorte « de mode d’emploi du télétravail » qui inclurait le droit à la déconnexion afin de prévenir les risques. Rappelons que la mise en place du télétravail et les mesures de prévention et de protection qui l’accompagnent depuis le 16 mars doivent figurer dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUER). Devraient donc y être inscrits le risque lié aux pratiques addictives ainsi que les facteurs de risque professionnels susceptibles de les favoriser. Pour guider les managers dans cette démarche qui se veut pragmatique, un certain nombre d’outils existent dont le portail https://www. addictaide.fr/pro/. •