Préface Parce que régulièrement, la petite histoire rencontre la Grande Histoire, il me semble important de la transmettre au sein des écoles et des associations, auprès des jeunes et des adultes. L’histoire de la Belgique s’est écrite à travers l’héritage de chacune des migrations qui ont façonné notre société multiculturelle d’aujourd’hui. Nous avons choisi d’aborder une tranche de cette histoire à l’occasion de la célébration des 50 ans de présence marocaine en Belgique. Une histoire qui s’est écrite tant à travers le parcours des hommes venus travailler que celui des femmes arrivées seules ou dans le cadre du regroupement familial. Des femmes qui n’étaient pas attendues ici en tant qu’égales1 de l’homme et qu’il faut cesser d’oublier... Elles ont coécrit la mémoire des pionniers qu’ont été ces hommes ayant participé à la reconstruction d’après-guerre de notre pays. Le travail de mémoire est essentiel pour les membres de cette communauté car il favorise la structuration de la personnalité et assure une base stable à la construction identitaire. Les migrants sont des personnes qui, à l’issue de la rupture avec leur environnement initial, doivent reconstituer seuls et en une génération ce que les autochtones construisent sur place sur plusieurs générations : l’ensemble des repères utiles à la structuration individuelle, familiale, sociale, économique et culturelle. Il s’agit d’un défi quasi impensable que je vous invite à considérer, ici, du point de vue - encore plus impensable - de la famille monoparentale portée par une femme marocaine analphabète débarquant en Belgique pour élever seule ses enfants; rôle et contexte auxquels elle n’a jamais été préparée. C’est en traversant cette expérience singulière dont je suis héritière que je me suis mise en route pour interroger le parcours féminin de la migration, et ce, après m’être moi-même sortie de l’inconfort des questionnements identitaires tels que j’ai pu les expérimenter en me sentant « le cul entre deux chaises » en tant que fille d’immigrée. Ces questions, je les revisite avec mes patient-e-s en consultation psychothérapeutique. 50 ans plus tard, j’observe la persistance d’un phénomène de répétition, d’incompréhension et de souffrances regrettables. Au fil du temps, à la question de l’avenir des filles marocaines est venue s’ajouter cette autre série de questions, non sans trouble : que vont devenir nos mères vieillissantes ? Comment vont-elles vivre, une fois leur autonomie perdue ? Où et comment voudront-elles mourir ?
Farida Boujraf
A
vec mes partenaires, j’ai le plaisir de vous inviter à découvrir notre coffret pédagogique, véritable invitation au voyage et à la curiosité qui tous deux alimentent notre esprit critique et donnent un point d’appui à nos désirs de changement.
« Ils ont extrait notre charbon, construit nos automobiles, érigé nos maisons. Lorsqu’ils sont arrivés en Belgique avec leur bagage culturel, ils ont fait bien plus que quitter un point de cette Terre vers un autre. Ils ont radicalement transformé leur trajectoire de vie. Au moment du départ, ils ont été identifiés comme simple « force de travail » et engagés parce qu’ils étaient des hommes en bonne santé. Aujourd’hui, hommes et femmes de cette communauté demandent une vieillesse bien traitée, moralement et physiquement. » Omar Samaoli2
1 Le statut social des personnes est lié à leur situation d’emploi. Il leur confère des droits spécifiques relevant de notre système de sécurité sociale. Dans le cadre de la convention liant le Maroc et la Belgique, les femmes n’avaient pas le droit de travailler (jusque 1967). Elles bénéficiaient de droits dérivés, c’est-à-dire des droits obtenus via le statut de leur mari et non en tant qu’individu considéré à part entière comme ayant un statut propre. Elles étaient à charge de leur époux, comme l’étaient les enfants d’un ménage. Ce statut découle directement de celui accordé à toutes les femmes, quelle que soit leur nationalité.
Omar Samaoli , gérontologue, directeur de l’Observatoire Gérontologique des Migrations, chargé d’enseignement en gérontologie à l’Université Pierre et Marie Curie, Paris VI. Tiré de son allocution lors du colloque du Centre interfédéral pour l’Egalité des Chances du 16/09/2014 - « Vieillissement et Immigration ». 2
U n p r o j et p é dagogi q ue é labo r é dans le cad r e des 5 0 ans de p r é sence f é m inine m a r ocaine en B elgi q ue
en écho au spectacle « Ici Mimouna » de et avec Farida Zouj
Introduction générale 5 10 Présentation de la démarche 14 Quelques éléments de contexte À propos du parcours migratoire 20 des femmes 28 À propos de leurs enfants 38 Méthodologie 39 Le plan des scènes
orts de leurs expériences respectives et de leurs pratiques de terrain, les partenaires de ce projet partagent ici des outils qu’ils ont construits et des réflexions engrangées tout au long de leurs rencontres avec leur(s) public(s). La Fédération des Centres Pluralistes de Planning familial assure une mission d’éducation permanente et continuée dans les domaines de la vie relationnelle, affective et sexuelle. Par ses actions collectives, La Fédération s’engage à donner - à chaque citoyen - des outils pour aborder sa vie adulte comme sujet sexué et désirant, dans le respect de soi et l’ouverture à l’autre. La Fédération s’attelle également à donner aux collectivités des outils pour favoriser une prise de conscience et une réflexion sur le contexte culturel et les valeurs véhiculées dans notre société. Annoncer La Couleur est un programme fédéral d’Éducation à la Citoyenneté Mondiale - ECM - proposant aux enseignants des formations, la mise à disposition de nombreuses ressources au sein de ses centres de prêt (dossiers, DVD, jeux, …), ainsi qu’un appui pédagogique et financier aux écoles pour développer leurs projets de sensibilisation en ECM (diversités, migrations, commerce et consommation, etc.) avec les jeunes. Leur catalogue d’outils et leurs activités peuvent être consultés en ligne sur www.annoncerlacouleur.be. L’asbl Interstices est productrice de projets culturels et artistiques. Elle utilise les langages artistiques dans le cadre des formations qu’elle développe en communication interculturelle, principalement auprès des travailleurs du secteur de l’aide à la Jeunesse en Communauté Française. Elle accompagne la gestion des projets professionnels d’artistes associés et a produit le spectacle « Ici Mimouna » qui servira de support au projet pédagogique présenté dans ce coffret.
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4 C’est ensemble et à travers la démarche artistique, didactique et ludique que nous envisageons les repères utiles à la construction identitaire et à l’établissement de relations positives de chacun avec son environnement. L’idée générale qui sous-tend ce projet est de « mieux se connaître pour mieux avancer ». Il s’agit de mieux se connaître soi-même et de mieux connaître l’autre. Nous adressons ce projet : oo aux jeunes de 10 à 18 ans, en milieu scolaire. Ceux issus de l’immigration marocaine, leurs condisciples belges et d’autres nationalités ; oo aux adultes susceptibles de les encadrer, à ceux qui fréquentent les associations d’éducation permanente et d’alphabétisation. Il s’agit, selon nous, de co-construire la relation et le dialogue interculturel. « On ne peut pas comprendre ces jeunes sans tenir compte du parcours de leurs parents. Ils doivent pouvoir trouver dans le pays d’accueil des initiateurs du monde nouveau qui reconnaissent le monde ancien, celui des origines. Des pacificateurs qui ouvrent une voie positive au métissage. » Colette Bériot3
COLETTE BÉRIOT , « l’Education à la vie affective et sexuelle en contexte multiculturel », Santé Mentale en Contexte Social. Multiculturalité et Précarité / 2010. 3
C’est dans le contexte particulier de la célébration du cinquantième anniversaire de la signature des accords de février 1964 liant le Maroc et la Belgique en matière d’appel à la main d’œuvre (Convention belgo-marocaine de 1964 CBM4) que ce projet prend place. En 2014, 50 ans de présence des marocains en Belgique sont célébrés à travers diverses actions culturelles, sociales et politiques proposées dans tout le pays. On y parle principalement des hommes venus en Belgique pour travailler. Il est moins souvent question des femmes, et ce, surtout lorsqu’elles sont venues sans mari, en-dehors du regroupement familial. Qui sont-elles ? Comment ont-elles fait le trajet de là-bas jusqu’ici ? Que sont-elles devenues ? En 2004, dans le cadre de la célébration des 40 ans de présence marocaine en Belgique et encore aujourd’hui pour les 50 ans, il faut constater une réelle sousreprésentation des femmes marocaines et un manque de visibilité des questions qui les concernent spécifiquement. Le même constat est relevé en France. « Force est de constater que l’histoire des femmes émigrées-immigrées constitue encore le point aveugle des histoires écrites (et non écrites) des femmes des sociétés d’accueil et d’origine : les rapports entretenus dans les deux espaces avec les premières, particulièrement lorsqu’une histoire coloniale a scellé en son temps leur destin (...), sont empreints de positions idéologiques et de déni d’histoire. » Sabah Chaïb5
« La convention belgo-marocaine du 17 février 1964 relative à l’occupation de travailleurs marocains en Belgique », Courrier hebdomadaire du CRISP , n° 1803, par A. FRENNET-DE KEYSER , 46 p., 2003. 4
SABAH CHAÏB , Femmes immigrées et travail salarié, Les Cahiers du CEDREF , Paris, 2008. 5
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6 Farida Boujraf est psychologue, psychothérapeute et c’est sous le nom de Farida Zouj qu’elle s’exprime en tant qu’artiste marocaine. Mue par un profond désir de témoigner afin de contribuer à lever le voile sur certains non-dits concernant ces femmes et leur vécu, elle est à l’initiative d’un projet qui consiste à revisiter l’expérience des femmes dans cette immigration, leur place dans la famille marocaine et dans la société, ici et là-bas. Intimement concernée par ces réalités, elle tente de les aborder sous un angle artistique en prêtant sa voix aux femmes qu’elle a pu rencontrer et qui sont arrivées en-dehors du regroupement familial. « Ici Mimouna » est un seule-en-scène dont Farida est l’auteure et l’interprète. Il s’agit d’une synthèse des propos de femmes et de mères ayant émigré seules et que Farida rencontre tout au long de son projet ainsi que sur son propre parcours. Dans ce spectacle, l’auteure retrace leur trajectoire à travers les récits que nous rapporte Mimouna, son personnage fictif. Souvent, ces femmes sont tenues dans l’ombre, écartées des projecteurs pour ne pas faire honte. Elles composent alors leur nouvelle existence sans reconnaissance de leur singularité. L’auteure s’interroge : quelles ont été leurs ressources, quelle a été leur vie et quel sera leur avenir ? Leur arrivée en Belgique témoigne d’un désir profond d’échapper au statut et aux conditions de vie que leur réserve leur pays d’origine. Il s’agit ici de les rendre visibles pour leur offrir une reconnaissance ou, comme le dirait Axel Honneth 6, « le rétablissement d’une identité blessée »7.
Philosophe et sociologue allemand, Axel Honneth a développé une théorie de la reconnaissance réciproque dans laquelle il envisage la reconnaissance sous l’angle du rétablissement d’une identité blessée. 6
7 Revue du MAUSS, N°23 De la reconnaissance, don, identité et estime de soi - La théorie de la reconnaissance : une esquisse et Visibilité et invisibilité. Sur l’épistémologie de la « reconnaissance » - AXEL HONNETH
Pour Farida, il s’agissait - dans cet esprit - d’enfin rendre hommage à ces femmes restées dans l’ombre mais aussi de questionner les freins que certaines mettent à l’émancipation de leurs filles en reproduisant - malgré elles ou non - le schéma de la domination masculine. Après s’être émancipées, elles ont eu à assumer le regard que les membres de leur communauté portaient sur elles. Assurément, la plupart d’entre elles avaient à regagner un peu d’estime en contraignant leurs filles à être « meilleures qu’elles »… Parfois meilleures peut signifier « en accord avec les membres de la communauté ». Farida se demande … Qu’est devenu le projet d’émancipation des femmes qui ont quitté - seules - leur pays d’origine et comment les générations suivantes vont-elles reprendre le flambeau ? 2014 est également l’année d’une autre célébration, celle du 10ème anniversaire de la dernière version de la Moudawana8, le code de la famille marocain qui définit le statut personnel et donc la condition de la femme marocaine. Suivant la tradition du droit musulman, ce code - constitué de près de 300 articles - établit l’ensemble des règles qui prévalent pour tout ce qui concerne le mariage, la dissolution du lien conjugal, la filiation, la capacité et la représentation légale, les testaments et les successions. Cet anniversaire a été l’occasion d’un bilan pour les mouvements féministes, au Maroc et en Belgique. La plupart des marocains de Belgique sont porteurs de la nationalité belge et bon nombre d’entre eux méconnaissent le code de la famille. S’ils sont belges pour la Belgique, ceux-ci restent cependant marocains pour le Maroc. Le code de la famille est donc d’application pour ces ressortissants. Les mariages mixtes sont de plus en plus nombreux. Ils soulèvent une série de questions dont celles de la reconnaissance par le Maroc du conjoint non musulman et du statut des enfants nés de ces unions.
« La Moudawana : je veux comprendre! »- Initiation au statut juridique de la femme marocaine. Publication de l’asbl La voix des femmes - 2003. 8
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8 L’affaire Ali Aarrass9 a également permis de prendre la mesure d’une différence fondamentale de droit entre citoyens belges selon qu’ils soient ou non porteurs de la double nationalité. Précisons que cette double nationalité n’est pas le fruit d’un choix personnel. En proposant ce coffret pédagogique, nous souhaitons contribuer à rendre plus accessibles un ensemble d’informations et de connaissances, en vue de favoriser le dialogue interculturel et afin de soutenir l’émancipation des jeunes issus de l’immigration avec des outils d’animation concrets ainsi que des réflexions aidant l’animation. L’expérience migratoire des marocains venus en Belgique pose un ensemble de questions aux migrants, à leurs enfants et également aux adultes qui les accompagnent. Parmi ces adultes, il y a les parents, et nous savons qu’une part importante de l’éducation est traditionnellement confiée aux mères, les enseignants dont une grande majorité est constituée de femmes, les condisciples, co-créateurs de notre société multiculturelle et plus tard, les collègues de travail, les partenaires en amour, les enfants, ... Ces questions n’ont pas cessé de se poser lors de la fermeture de l’espace Schengen, ou lorsque la Belgique a mis fin au regroupement familial. Elles restent d’actualité tant dans les domaines de l’éducation, de l’enseignement
Ali Aarrass est porteur de la double nationalité. Il est à la fois belge et marocain. Il a été emprisonné à Rabat et a subi des tortures durant sa détention préventive (2012). Il n’avait pas encore été jugé. Sa famille a sollicité le gouvernement belge pour lui apporter une assistance consulaire, droit dont tout belge peut bénéficier lorsqu’il est à l’étranger. Ce droit lui a été refusé par le Ministre des affaires étrangères alors en place. Didier Reynders s’est exprimé sur le fait que l’assistance consulaire n’est pas une obligation des États, seulement un droit, qu’ils peuvent ou non exercer, selon leur bon-vouloir. La Belgique la refuse toujours dans les cas de double nationalité afin d’éviter « des effets irréversibles » sur les relations entre la Belgique et le Maroc. 9
et du travail, qu’à propos du port du voile, de l’égalité des chances entre hommes et femmes ou de certains phénomènes de repli identitaire. Dans les pages qui suivent, vous trouverez : oo Quelques éléments de contexte permettant de resituer l’appel à la main d’œuvre immigrée et ses évolutions. oo Une brève description du parcours migratoire des femmes arrivées dans le cadre du regroupement familial, ou non. oo Un tour d’horizon concernant la place des femmes dans la société d’accueil. Il y sera notamment question de l’élan d’émancipation qui a conduit certaines femmes à venir vivre en Belgique alors que rien n’était prévu pour les accueillir et de la façon dont s’envisage le vieillissement de cette population. oo Notre réflexion à propos des enfants d’immigrés. Il sera question de leur rôle une fois scolarisés, de l’éducation des filles et des relations intergénérationnelles. Une fois ces éléments de contexte posés, nous vous proposons quelquesuns des constats qui ont retenu notre attention et motivé notre démarche pédagogique. Ensuite, le « plan des scènes » propose une description des contenus de chacune des scènes du spectacle « Ici Mimouna » et des thèmes qui y sont abordés. Deux autres volets d’action ont été développés en amont de ce coffret pédagogique. Ils sont brièvement présentés afin de compléter votre travail de préparation lors d’une animation. En fin de livret, vous trouverez des fiches d’exploitation. Elles proposent une trame d’animation et vous suggèrent des pistes de réflexion suite au visionnement du spectacle. Ces fiches peuvent également être téléchargées sur notre site10.
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www.ici-mimouna.be
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« Mieux se connaître pour mieux avancer » Le support vidéo « Ici Mimouna » proposé en annexe de ce projet, met en scène une femme et sa fille. Il illustre certains aspects des relations mèrefille avec le souhait clair de libérer la parole des femmes. Il s’agit pour nous d’ouvrir l’échange à leur propos pour sortir de l’ombre un ensemble de questions qui les concernent. Partant des rappels historiques et sociaux considérés du point de vue des femmes et des mères, nous développons ici un outil pédagogique qui s’adresse en priorité aux jeunes mais également aux adultes toutes origines confondues. Nous traiterons de différents constats auxquels nous tentons d’apporter notre contribution à travers nos propositions d’animation. Nous souhaitons aborder la question de la place des femmes dans cette migration, tout en évitant de nous adresser exclusivement aux filles et aux femmes. Les sujets abordés ici sont donc volontairement ouverts sur différents aspects en regard des constats que nous avons relevés. La démarche envisagée ici est de vous proposer un ensemble d’informations parmi lesquelles vous pourrez puiser pour visiter les thèmes que vous aurez envie d’approfondir en animation de groupe. Ces informations sont loin d’être exhaustives, il serait d’ailleurs impossible de l’être dans un projet comme celui-ci. Nous vous invitons à compléter vos recherches en vous rendant sur notre site où vous trouverez des liens vers d’autres sources de documentation. Nous tenterons de tisser une trame virtuelle reliant les sources disponibles, en mettant régulièrement à jour les informations sur le site spécialement conçu pour ce projet11. Les fiches d’exploitation insérées en fin de livret proposent plusieurs portes d’entrée avec des outils d’animation permettant d’aborder les thèmes de 11
www.ici-mimouna.be
votre choix, en fonction des scènes du spectacle qui serviront le mieux vos objectifs. Certaines propositions d’exploitation abordent la question du parcours migratoire - en général - pour en arriver à traiter plus spécifiquement du parcours migratoire des femmes. Il y sera notamment question de : oo l’égalité et la coexistence entre personnes et groupes distincts, oo statut et rôle de chacun - tels qu’attendus selon les contextes, tels que souhaités personnellement - et des tensions qui peuvent survenir entre attentes sociales et souhaits personnels, oo questionner les représentations du féminin (selon l’époque et le lieu), oo questionner les expressions que chacun utilise pour se démarquer, oo mettre en perspective nos mœurs et traditions respectives, … Mais aussi de traiter de : oo la mémoire, le chemin de l’exil, les différents lieux de vie, les liens avec le pays d’origine et avec les membres de la famille restés au pays. Afin d’élargir la question de l’expérience migratoire au-delà de la communauté marocaine, il sera également question des migrations avec et sans convention bilatérale conférant des statuts juridiques distincts dans le pays d’accueil. D’autres propositions s’intéresseront plus spécifiquement à l’exercice citoyen en comparant les modèles de sociétés et les systèmes politiques ainsi que les rapports Nord/Sud, la société multiculturelle, la tolérance et la coexistence, ... D’autres encore se centrent plus spécifiquement sur l’un ou l’autre aspect avec, notamment la question des stéréotypes culturels, sociaux et de genre en relation étroite avec la notion de rôle et attente de rôle. oo Qu’est-ce qu’être une femme et comment se définit son rôle pour chaque culture (femme, mère, fille, épouse, grand-mère) ? Qu’en disent les religions ?
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arri
1850 1920 1922 1925 1946 1956
vé e ré g d e s 5 ion 0 19 2 min 0.0 0 0 0 -2 i è re e F l a m 19 2 d’o 4 1ère a tm u 2R é ta l n d s e n v rie va g e cr l u rs p urg u te iq u olo e de r me e nais e cr nt d u e5 tem pou 0 e r .0 0 n le s 19 2 0m min t 5 -1 D i n 9 i e c eu 3 s ta t u pol re d r s i t a l o n a 0 2è m ien e va ise eM s (120 g uss En t r o lin . 0 0 u e d ’i e 1 m 0m i 94 6 in e m ig ra e u t t r i on s en qui de s tr 1974 , 193 av a vien ce Fi n 0) so ill nen de s t tra e u rs p n t su r a cc to e vail ord ler u q u al u t s bi Le s en i à la la t ro i B el fié s c a ta t é r a u x s gr giq s t ro en and ue ph e 195 es p 6 su de has Ma es d rc i n i t e e l’ e ll e im m ig ra 1èr ti o n ep arri has mar vé e v e ia l oca de de 17· e in e s t r av 2 aille accor 1963 à mai ·196 4 ds nd u rs 1 Con ’œ et d bilaté 974 ra u e le e t o u v re i v e n t i o x n s ur f uvr 16· i è re s u e d e b e l g o ami : 7·1 l le ( m l 14 0 ap d’o 96 4 C o p u a ro c a .0 0 uvr 0 im in la i e r s o nv e n m ig ti o n r e ti o n t u rc u r é s e n ral e b el s dan b elg o 199 ges s le 6) s ba -turqu e (9 0 .0 0 0 im ssins i . Venu e mig nd u s tr ré s en iels 199 6)
18 5 0
12 oo Qu’en est-il dans la société d’hier et d’aujourd’hui ? Quelles sont les évolutions ?
oo De la même façon, la question peut être posée de ce qu’est « être un homme, un père, ... » et des attentes de rôles dans les relations hommes-femmes. oo Il y a ce qui peut ou ne peut pas être dit dans la relation parents-enfants avec d’une part, l’angle intergénérationnel et d’autre part, l’angle du genre (mère-fille, mère-fils, père-fille,-père-fils), ... Chaque fiche ouvre le champ à de nombreux possibles qu’il vous appartiendra de choisir.
1963 1964
197 4G de r l’i m a n d e fam c mig ili al ra ti r ise p é Apr co n de o tr è np s l’i m s 1 t a r l o l i è re 974 mig it u e u e nd ra le t r av ail t r a v t i o n e e s v e r e g ro t le cte u u ail p em s no so n r s ent pr u h a u t o ct ro y v e a u x i v i l é g i tem és és pe en un n i ve t q u a à d e s r m i s d l i é e au d’é fié s et trang ers duc p o ss a ti o n su édant p ér de s de 19 ieu 2 7 r a è 5 ju nné me de s s e pha qu’ flux s ’8 àl se 0 mig ra to : ral e n a m o it ié tis fam ire s. 197 L e p sem en ili al 5 Im t ro (re g mig ro u j e t e s t ra ti p 198 o par em 5C ent re g n p r i n ) cip a ré a ro u ti o n p em le de ent m ent l’e s fam pac ph é d ili al e p eS nom u is c h l ène am eng en 3 ém co n m a l d e re o i t i é ce r d g p e e r r é ph ise s n av e a n t l e s l e s p o s d e s a n n é e a s e s l cu i i n d maroc tiqu e s mmig ’8 0 : e sc e n d a i n s , u re s t r i r a t i o n s ct ant n Au j d ’i m i o n d ’ i ve s e le s t, o i n po mig ur ré ( d i v i d u s o n s sib ili t d ’ h u i E s mar t lim és u iag i t é e d e r e ro p e f e ) o s10.9 ntrer e rtere s se n % e st étra de la B elgiq : pop u ngè ulat e re a io u 1· 1·2 n 014 Fi n Enfin, nous adressons ici, nos plus vifs remerciements à toutes celles et tous ceux qui ont rendu ce projet possible. Merci aux femmes qui ont apporté leur témoignage.
Merci aux partenaires qui ont apporté leurs expériences et leurs contributions. Merci aux pouvoirs publics qui ont cofinancé ce projet.
Merci à la Sonuma qui a rendu possible l’accès aux archives de la RTBF. Merci aux Éditions Jacques Brel qui nous ont autorisé la diffusion d’une nouvelle interprétation de la chanson « On n’oublie rien » de Jacques Brel. … Bonne lecture
1974 1975 1985 Aujourd’hui
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Convention bilatérale Suite à la seconde guerre mondiale, la Belgique a besoin de relancer son économie et son secteur industriel, ce qui nécessite de recruter des travailleurs étrangers. Pour ce faire, la Belgique signera des accords avec différents pays, à commencer par l’Italie en 1946, l’Espagne en 1956 et la Grèce en 1957. Après la catastrophe de Marcinelle12 survenue le 08 août 1956 (bois du Cazier), l’Italie refuse d’envoyer de nouveaux travailleurs vers les mines belges. La Belgique doit aller chercher sa main d’œuvre de plus en plus loin et signera alors des conventions bilatérales avec le Maroc et la Turquie (1964), l’Algérie (1969) et la Yougoslavie (1970). Le recours à la main d’œuvre étrangère avait déjà été pratiqué par le passé, alors que le Maroc était sous protectorat français et espagnol et que les travailleurs dits « africains » arrivaient par la France. A l’occasion de la signature des différentes conventions bilatérales, la Belgique tente également de traiter ses besoins de repeuplement et de rajeunissement de sa population. En février 1964 pour le Maroc et en juillet 1964 pour la Turquie, des conventions bilatérales sont signées. Ces deux pays ont eu des exigences très différentes quant aux conditions d’organisation de cette immigration vers la Belgique. La convention marocaine aurait servi de brouillon à celle négociée âprement par la Turquie. De l’avis des historiens et des sociologues, L’incendie qui a rapidement gagné toute la mine a fait 262 victimes. Des hommes de 12 nationalités différentes (dont 136 Italiens et 95 Belges) y ont perdu la vie laissant des centaines de veuves et d’orphelins. L’Italie décide de mettre fin à l’envoi de main d’œuvre vers la Belgique. Une réglementation plus stricte de la sécurité du travail est alors mise en place. 12
c’est dans l’indifférence générale que l’accord cadre CBM a été signé par les ministres du travail marocain et belge, et assorti dans un second temps (en 1968) d’une convention de sécurité sociale. Ces textes définissent les conditions d’accueil et d’emploi pour les hommes venus travailler en Belgique, autorisent les épouses à les rejoindre dans le cadre du regroupement familial en tant que femme au foyer, et règlent la question délicate des transferts de fonds autorisant les travailleurs à envoyer leurs économies au pays. Jusqu’en 1967, les femmes et les enfants de migrants n’étaient pas autorisés à travailler en Belgique. Les femmes bénéficiaient de droits dérivés qui les maintenaient dans une grande dépendance envers leur mari. « L’immigration des femmes étrangères dans le cadre du regroupement familial ne vise donc pas leur intégration dans le monde du travail » Nouria Ouali13
Le 1er août 1974, la Belgique décide d’arrêter officiellement l’immigration, limitant l’accès aux candidats à l’emploi. Les migrants arrivent alors dans le cadre du regroupement familial qui va s’accentuer et asseoir la construction et la stabilisation des familles marocaines en Belgique. C’est dans ce cadre aussi que s’organise l’accueil des aînés qui rejoignent leurs enfants pour vieillir à leurs côtés. Parler d’immigration marocaine c’est traiter à la fois de la question du genre, des classes sociales, de la religion, des réalités socio-économiques et politiques d’ici et de là-bas, d’hier et d’aujourd’hui.
N. OUALI , Les droits dérivés des femmes immigrées, Steunpunt Women’s Studies, Newsletter 5, août-septembre 1993, pp. 33-34. 13
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Le genre C’est parce que cette immigration a principalement été abordée en parlant de la situation des hommes venus travailler en Belgique que nous choisissons de faire davantage place, ici, au statut des femmes dans la famille et dans la société. Nous revisiterons les aspects souvent méconnus de la trajectoire des femmes de la première génération en les situant dans leurs rapports avec la société d’accueil, notamment à travers l’éducation des enfants mais aussi dans le cadre de leurs conditions d’emploi et plus récemment, à propos de leur vieillissement.
Les classes sociales Hommes et femmes immigrés sont, le plus souvent, issus d’une classe populaire. A leur arrivée, les hommes ont gagné les rangs de la classe ouvrière qu’ils ont alors contribué à élargir. Certains ont également milité au sein du mouvement syndical particulièrement actif à cette époque, et qui constituait un important levier d’action de l’éducation populaire (cf. éducation permanente). Les membres de la classe ouvrière ont développé entre eux des rapports qui ont contribué à la constitution et à la consolidation d’une culture de classe. C’est dans ce cadre qu’apparaîtront toute une série d’initiatives associatives dont, notamment, les collectifs d’alphabétisation. Aujourd’hui, la notion de classe sociale est très peu utilisée et les occasions de se composer une culture de classe tendent à disparaître.
La religion Une grande majorité d’immigrés marocains sont des membres de la communauté musulmane. La pratique de cette religion revêt une ampleur très différente selon les époques. Des changements majeurs apparaissent avec la reconnaissance du culte dans le cadre institutionnel belge. La Belgique reconnaît le culte musulman depuis 1974. Contrairement à la plupart des autres cultes, la religion islamique ne définit pas de hiérarchie comme le fait par exemple l’église. La question de la représentation institutionnelle des musulmans a donc largement fait débat entre musulmans mais aussi pour l’état belge qui doit concilier à la fois ses exigences de
reconnaissance de la pluralité démocratique, les besoins de sécurité de l’état à une époque où la peur du terrorisme est manifeste et les attentes légitimes des musulmans qui souhaitent que l’application de la loi de 1974 soit effective. En 1985, le Ministre J. Gol dépose un arrêté royal en vue de créer le Conseil Supérieur des Musulmans de Belgique, organe supposé constituer l’instance représentative de l’Islam en Belgique, mais le Conseil d’état rejette cet arrêté car le gouvernement n’est pas autorisé « à créer de sa propre autorité un organisme chargé de représenter, fût-ce seulement pour la gestion du temporel14 d’une culture, l’ensemble des adeptes de celui-ci »15. L’affaire Rushdie, l’assassinat de l’imam directeur et du bibliothécaire de la Mosquée du Cinquantenaire, la revendication légitime de la communauté musulmane de bénéficier de cours de religion islamique au sein des écoles publiques et la mobilisation ayant pour but d’autoriser le port du voile durant les heures de cours sont autant d’événements qui remettent à l’ordre du jour la nécessité de statuer sur la question des rapports entre l’état et les représentants de cette communauté. Le Commissariat Royal à la Politique des Immigrés (CRPI) formulera une proposition pour la reconnaissance du culte musulman dans un rapport publié en novembre 1989. Il est question alors de constituer un Conseil Supérieur des Musulmans de Belgique, interlocuteur de l’état et dont les membres seraient élus par voie démocratique. Après quelques détours, c’est l’Exécutif des musulmans de Belgique qui s’imposera en tant qu’organe représentatif chargé de désigner les professeurs de religion ainsi que les conseillers religieux pour les hôpitaux et les prisons. Son activité est évaluée par le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme. Enfin, en février 1999 le ministre de la Justice rendra publics les 16 noms qui composent le nouvel Exécutif. Il s’agissait alors du premier organe « chef de culte » de la religion musulmane constitué en Europe.
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Le temporel est - selon la terminologie juridique - le chef de culte.
In « La reconnaissance et la représentation de l’Islam », ANDREA REA, L’année Sociale, p.269-275, 1999. 15
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18 « La reconnaissance et la représentation de l’islam vont entrer dans leur phase d’institutionnalisation à partir du moment où l’islam apparaît plus comme une modalité de l’intégration des immigrés que comme une résistance des musulmans à la société européenne et judéo-chrétienne. En ce sens, la reconnaissance et la représentation de l’islam sont acceptées quand l’islam est perçu comme une religion de citoyens belges. L’objet des conflits entre l’État et les communautés musulmanes ne porte pas sur la modalité de constitution d’un organe représentatif, la solution adoptée étant finalement celle proposée par le CRPI et rejetée en son temps. Il porte sur la légitimation-délégitimation des musulmans, de leur identité de musulman qui finit par être acceptée parce que les opportunités politiques se présentent pour qu’il en soit ainsi. » Andrea Rea16
Les réalités socio-économiques et politiques Plus largement et depuis 1964, évoquons brièvement un ensemble de changements importants, tant sur le plan économique, social que politique. Au Maroc, il faut relever un mouvement d’apparente ouverture depuis la seconde moitié des années ‘90 et, avec l’accession au trône de Mohamed VI, plus de place a été accordée aux initiatives associatives. Pour le Maroc, il est question des Marocains Résidents en Belgique (MRE), et ce, qu’ils soient ou non porteurs de la nationalité belge. Le belge marocain est belge pour la Belgique et marocain pour le Maroc. Au travers de leurs ressortissants et des influences réciproques qu’ils exercent les uns sur les autres, ces deux sociétés ont considérablement changé. Chacune voit ses aspects traditionnels 16
ANDREA REA , Id.
se frotter à de nouvelles composantes multiculturelles de la modernité. Les marocains ont entretenu des relations fortes avec les membres de leur famille restés au pays et, gardant un attachement profond avec leur pays d’origine, ils ont développé une forme active de solidarité et de citoyenneté à distance qui concourt à influencer les évolutions de part et d’autre. À partir de 1958, le Maroc s’est doté d’un code de la famille - la Moudawana avec une définition très traditionnelle de la famille, des droits et de la place des femmes. Le statut des migrants vivant en Belgique, même après de nombreuses années, est fixé par la loi du pays d’origine. Ainsi, on a souvent parlé de la répudiation - il s’agit du droit exclusif des hommes de se séparer de leur épouse sans leur consentement - qui confère un statut très particulier non reconnu dans le droit des pays européens. La Belgique finit par interdire le report de ce terme sur les documents et papiers d’identité des femmes concernées. À travers les évolutions de la société marocaine, et avec l’influence qu’exercent les MRE, le texte d’origine de la Moudawana connaîtra plusieurs modifications. C’est par un tour de force que le Roi Mohamed VI imposera, en 2004, la version actuelle du code de la famille. S’il est vrai que le statut de la femme a largement été reconsidéré au sein de cette nouvelle version, il semble qu’à l’occasion du dixième anniversaire de sa révision, bon nombre de problèmes restent présents. L’égalité de droits entre hommes et femmes ne peut être simplement décrétée sans que les garanties de la réalisation des conditions de cette égalité soient conjointement assurées. Il s’agit notamment de modifier les mentalités, les habitudes et les modes de fonctionnement des acteurs de première ligne qui sont en charge de l’application de la décision. Cela suppose d’affecter les moyens nécessaires à l’application des principes énoncés (structurels, financiers, humains) et de prévoir des formations adaptées. Tout au long de cette histoire de l’immigration et avec l’accession massive à la nationalité belge, les marocains ont activement pris place dans la société d’accueil. Aujourd’hui, ils occupent des emplois dans tous les secteurs, au sein de toutes les institutions et de tous les partis politiques.
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Pour les femmes arrivées dans le cadre du regroupement familial Elles sont arrivées, en tant qu’épouses et femmes au foyer, sous le couvert d’un accord leur réservant un rôle traditionnel et des droits dérivés. Ces femmes, pour la plupart jeunes mariées en provenance de familles modestes, n’ont jamais été scolarisées. Illettrées, elles ne parlent aucune des langues nationales du pays d’accueil. Elles soutiennent leur mari à l’emploi en assurant la charge du ménage et l’éducation des enfants. Elles assument leur rôle dans une grande solitude et sans qu’aucune aide spécifique ne soit prévue pour accompagner leurs efforts d’adaptation, ni par l’état belge, ni dans le cadre des accords bilatéraux, ni via une quelconque filière marocaine. Les rôles dans la famille se transmettent selon la tradition et en fonction d’un contexte donné. Ils ont été fortement bousculés avec cette émigration des personnes issues d’une société traditionnelle musulmane vers une démocratie occidentale laïque. Ces femmes ont rempli leur rôle du mieux qu’elles le pouvaient. Certaines femmes ont pu vivre dans des conditions d’existence familiale sereines ou simplement acceptables. Elles ont vu leur ménage et leurs enfants prospérer. D’autres n’ont pu rester en couple lorsque le contexte dans lequel elles ont eu à remplir leurs devoirs d’épouse et de mère leur devenait insupportable. Les raisons évoquées sont multiples. Certaines femmes racontent que leur mari avait adopté des mœurs « occidentales ». Il s’était mis à consommer de l’alcool ou à fréquenter d’autres femmes comme il avait pris l’habitude de le faire quand il était « zoufri »17.
17 Le terme « Zoufri » est né de la « marocanisation », par l’accent et par l’intégration d’un mot français dans la langue arabe. Il s’agit « des ouvriers » et, ce terme est utilisé pour parler de leur statut d’hommes célibataires.
D’autres femmes ont subi des violences conjugales parfois liées à la perte d’emploi de leur mari. Ces violences apparaissaient souvent dans un contexte de perte de capital symbolique. La perte d’emploi, et donc de revenus, modifie considérablement la place et le statut de l’homme dans sa famille. Lorsque le père ne pouvait plus assurer la charge financière et que la femme décrochait des petits boulots, l’équilibre familial traditionnel se décomposait progressivement conduisant - dans certains cas - à une crise insurmontable.
Les femmes arrivées hors regroupement familial Qu’elles soient veuves, répudiées, divorcées, avec ou sans enfants, des femmes marocaines jeunes ou moins jeunes ont fui le Maroc et l’Algérie18 pour échapper à leur statut peu enviable ou à une situation problématique. Ces femmes « seules » n’étaient pas prévues au programme dans le cadre des accords régulant l’immigration marocaine. Elles ont eu à tracer leur parcours en bricolant des solutions de fortune, sans aucune aide puisqu’il n’y avait ni accueil, ni filière d’insertion professionnelle ou sociale. Logeant chez leurs compatriotes, membres proches ou éloignés de la famille ou du village d’origine, elles entraient dans des circuits de fortes dépendances. Certaines ont eu à payer « en nature » l’ensemble des services obtenus. Elles rapportent, à ce propos, des témoignages variés et surprenants. Dans certains cas, elles ont rencontré des personnes bienveillantes souvent trop pauvres pour leur apporter une aide suffisante et durable. Dans d’autres cas, elles ont eu à gérer des situations de tous types et qui relevaient souvent de l’abus. Leur hébergement était conditionné aux services ménagers qu’elles devaient rendre ou à l’argent qu’elles devaient rétrocéder si elles avaient réussi à se dégotter un petit boulot ou s’étaient résolues à vendre les bijoux de leur dot. Compte tenu de leur niveau de qualification, faible ou inexistant, ces femmes ont principalement occupé des emplois précaires dans le secteur du nettoyage ou de l’aide aux personnes. Des emplois physiquement éprouvants qui leur
Bien que marocaines, bon nombre de familles ont d’abord émigré vers l’Algérie avant de venir en Belgique. 18
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22 demandaient une grande flexibilité pour un salaire dérisoire et donc, ces femmes ont peu cotisé pour leur pension future. Dans certains cas, le travail de nuit ou comme personnel à domicile obligeait ces femmes à confier leurs enfants à la garde de l’une ou l’autre connaissance. Étant seules, « sans mari » pour les défendre et leur conférer un statut, elles n’étaient pas toujours respectées et, par voie de conséquence, leurs enfants non plus. Certains témoignages rapportent des expériences d’abus sexuel sur leur personne et/ou sur leurs enfants, et nous permettent de mesurer à quel point leur situation les rendait vulnérables. Animées par l’espoir d’un avenir meilleur, conscientes de pouvoir construire une autonomie à laquelle elles ne pourraient accéder au pays, ces femmes ont cultivé la patience (sber). Il fallait survivre pour prolonger le titre de séjour, offrir une scolarité aux enfants, asseoir une situation de plein emploi, ..., se construire. Leurs efforts se conjuguaient au présent pour avancer un jour après l’autre.
La place de ces femmes La place des femmes dans notre société continue aujourd’hui à faire l’objet d’un combat pour les mouvements féministes qui travaillent à défendre leur condition et leurs droits en général (emploi et différences de traitement, chômage, violences conjugales, perception des montants de pension alimentaire, ...). Pour ces mouvements, la situation des femmes d’ici et d’ailleurs se conçoit nécessairement dans une optique de solidarité, d’autant que, dans le contexte actuel, les règles de notre société ont pour effet de diviser la population et plus spécifiquement les personnes dominées. Il importe de considérer la place des femmes dans un contexte global, à la fois économique, politique et social pour favoriser la construction d’outils soutenant leur autonomie (empowerment), et leur auto-détermination (self-government) en agissant conjointement sur plusieurs dimensions : le choix de les outiller, de faire évoluer les mentalités, et la nécessité d’agir pour modifier notre société. C’est lors de ce type de combat qu’apparaissent les similitudes de situations et de luttes des femmes, plus particulièrement de celles qui sont issues des milieux populaires.
Lors d’un exposé concernant l’action de Vie Féminine, Hafida Bachir19 reprenait quelques éléments de la grille de lecture fondant en partie les pistes d’action suivies par l’éducation permanente féministe. Ainsi, les inégalités et les discriminations vécues par les femmes seraient engendrées par trois systèmes de domination qui se conjuguent et se renforcent mutuellement avec des conséquences néfastes pour elles. Ces trois systèmes sont le patriarcat, le capitalisme et le racisme. Les deux premiers sont envisagés en tant que systèmes générant des inégalités structurelles et des inégalités socioéconomiques entre hommes et femmes. Le troisième système de domination à l’œuvre dans le maintien des inégalités est le racisme qui touche spécifiquement les étrangères mais le combat commun. Arrivées en Belgique, ces exilées solitaires ont eu à endosser tous les rôles et à assumer leurs responsabilités sans trouver de structure d’accompagnement pour les soutenir dans leur difficile mission. Personne n’était réellement préparé à leur venue. Les mouvements féministes, les services sociaux et les syndicats se sont mis à organiser progressivement un accueil de fortune qui s’est structuré au fil du temps et au gré des expériences. Pour toutes ces femmes arrivées dans et hors cadre du regroupement familial, il s’est agi d’un combat relevé avec une grande dignité. Leur récompense se traduisait - pour certaines - par une joie intense qu’elles exprimaient lors de la réussite scolaire de leurs enfants. D’autres, trop occupées à organiser les conditions de leur survie, ont assisté à la dérive progressive de leurs enfants ; qui du décrochage scolaire, qui de la toxicomanie, qui de la délinquance, … ou de tous ces dérapages à la fois. Pour d’autres encore, la chute ira jusqu’en enfer puisqu’elles assisteront, impuissantes, à l’expulsion, la contamination par le sida et la mort de leur enfant.
Hafida Bachir - Les droits des femmes de l’immigration dans un mouvement global - Chronique féministe N°113 - janvier/juin 2014. 19
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24 Certaines de ces femmes nous rapportent leurs témoignages. Elles se décrivent comme étant hypnotisées. Elles poursuivaient leur vie quotidienne en assumant dignement leurs obligations pour une part, alors qu’une autre part d’elles-mêmes était anéantie par le drame de voir leur enfant en souffrance, sur la voie de l’autodestruction. A une époque où l’on assistait au renforcement de l’appareil répressif de l’État, la loi de la double peine fut votée. Cette loi a permis de condamner tout étranger non-européen considéré comme récidiviste à une peine qui serait suivie d’une expulsion du territoire dès sa sortie de prison. On parle de double peine au sens où après avoir purgé sa peine le récidiviste est puni une seconde fois par l’expulsion. Le détenu a alors un statut différent durant son emprisonnement. Il n’a aucune possibilité d’amendement et de réinsertion et, privé de son droit de séjour, il ne pourra bénéficier ni de congé pénitentiaire, ni de liberté conditionnelle. Cette situation a été suivie de près par le comité de lutte contre la loi dite « du bannissement ». Bien que certaines modifications aient été apportées tant dans le texte de loi que dans son application, elle reste encore et toujours d’actualité. Les mères dont l’enfant était devenu délinquant(e) ont eu à sillonner la Belgique de part en part pour lui rendre visite en prison au gré des mutations qui leur était imposées et qui leur faisaient traverser le pays de la Flandre aux endroits les plus inaccessibles des Ardennes. Certaines ont eu deux enfants en prison à la même époque. Parfois, ils étaient incarcérés dans des établissements pénitentiaires différents. Ces femmes de petite condition ne connaissaient que rarement le répit. La situation de détresse des personnes expulsées et de leur famille était d’autant plus heurtante lorsqu’il s’agissait de délits commis dans le cadre d’un parcours de toxicomanie. En effet, c’est la dépendance qui conduit le toxicomane à la récidive. La toxicomanie est une maladie mentale qui suppose un traitement et une assistance que le seul emprisonnement ne permettra pas de traiter. Certains, parmi les personnes expulsées, étaient nés au Maroc mais n’y avaient jamais vécu parce que, dès leur naissance, leurs parents avaient émigré vers l’Algérie, la France ou la Belgique. Ils étaient
renvoyés vers un hypothétique « chez eux » où ils ne connaissent personne et n’avaient aucun logement, aucune assistance sociale et médicale, fait d’autant plus dramatique que certains d’entre eux étaient repartis d’ici porteurs du virus HIV. Cette issue était particulièrement pénible tant pour les détenus concernés que pour leurs familles. Les enfants qui perdent leurs parents sont des orphelins. Quel nom donnet-on aux parents qui perdent leurs enfants ? Nous ne nous étendrons pas sur cette question bien qu’il y ait beaucoup à dire à propos de cette expérience contre nature qu’est le désenfantement. Les hommes venus pour travailler en Belgique n’ont pas eu la vie facile non plus. Leurs conditions initiales de vie ont été largement décrites et défendues par des groupements collectifs et des mouvements syndicaux. Bien qu’empreint de grandes souffrances et de pénibilité, leur parcours a été « acté » et leurs revendications ont été portées en écho, officialisant leur légitimité là où la condition des femmes a été maintenue sous silence. Pour elles, tout s’est passé dans l’ombre. Le fait qu’elles aient eu une éducation traditionnelle avec des notions telles que le respect de la discrétion, de la pudeur, et du « cela ne se fait pas, pour une femme, de se mettre en avant », a largement contribué au maintien d’une certaine forme de statu quo. Il faut du temps et la construction progressive d’un climat de confiance pour permettre à ces femmes de nous livrer leurs secrets, pour sortir de ce silence pudique, de la solitude et des souffrances qui l’accompagnent. Aujourd’hui, qu’elles soient naturalisées ou non, bon nombre de ces femmes sont en âge d’en avoir fini avec leurs obligations parentales et professionnelles. Celles qui choisissent de mettre ce temps à profit pour apprendre à lire et écrire se plaignent de l’inadéquation de l’offre d’alphabétisation. Elles aimeraient bénéficier d’une formation adaptée à leur situation et à l’expérience qu’elles ont des réalités sociales et économiques de la Belgique où elles vivent depuis de nombreuses années. Au lieu de cela, elles se retrouvent sur les mêmes bancs que des primo-arrivants qui n’ont aucune connaissance de la Belgique. Des personnes qui arrivent avec des préoccupations personnelles d’un autre ordre parce que posées en un
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26 autre temps sur la trajectoire d’immigration, avec des besoins prioritaires différents compte tenu de leur présence plus récente en Belgique. Elles ne trouvent pas d’offre de services adaptée à leurs réalités et repensent aux divers « oublis » dont elles ont été l’objet. Nous savons que l’espérance de vie des femmes est supérieure à celle des hommes - qui plus est lorsqu’il s’agit d’hommes qui ont travaillé dans les mines ou occupé des postes physiquement éprouvants - ce qui pose alors la question des besoins de ces femmes vieillissantes. Dans les discours institutionnels, il est essentiellement question de la nécessité de rendre obligatoire le recours à une nourriture hallal dans les maisons de repos. Effort louable certes, mais c’est loin d’être là la seule question qui se pose à elles, femmes vieillissantes qui ne sont pas toutes en situation de s’inscrire dans le projet d’un quotidien en maison de repos. Elles demandent à vivre activement ce temps de retraite, avec la possibilité d’une socialisation autour d’une vie culturelle enrichissante et de loisirs créatifs adaptés à leur situation de déchiffreuses ou d’analphabètes. Le secteur de l’alphabétisation manque cruellement de moyens, l’action sociale et le secteur culturel sont les parents pauvres de nos sociétés en crise et la femme migrante vieillissante reste, dans cette histoire, une nouvelle fois déshéritée. Ces femmes n’ont que peu ou pas cotisé en raison de leur statut d’épouses « rejoignantes » bénéficiant de droits dérivés ou en tant qu’ouvrières peu qualifiées à faibles revenus. Elles abordent cette période de la vie où le temps est libre mais où l’argent est compté. Une fois pensionnées, ces femmes aux petits revenus devront très souvent compléter leur allocation avec une aide financière publique. La GRAPA - Garantie de Revenus Aux Personnes Agées - est une aide financière de compensation octroyée à la personne isolée ayant droit à une pension lorsque le montant de sa pension est inférieur à 1.000€ par mois. L’octroi de cette aide de compensation est conditionnée au fait que la personne âgée réside en Belgique. Elle ne peut quitter le territoire plus de 29 jours consécutifs.
Lorsqu’elles ont assumé cette trajectoire en se posant en égale de l’homme, ces femmes n’auront jamais bénéficié d’un quotidien paisible de femme au foyer. Bousculées par les épreuves de la vie des petites gens, elles arrivent à l’entrée d’un port - celui de la retraite - pour accomplir cette traversée du troisième âge avec une embarcation de fortune. Que faire de tout ce temps « libre », sans moyens financiers, dans un logement modeste ne disposant que d’un espace réduit et si l’on ne peut pas accéder à des cours adaptés ? Comment faire, alors qu’ici, le réseau de relations n’est pas aussi étendu que celui dont les familles disposent au pays et qu’il n’est pas question de retourner plus de 29 jours consécutifs pour puiser dans les ressources du pays d’origine ? Il reste à inventer la clé qui permettra d’ouvrir une porte d’avenir pour ces femmes.
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Il est difficile d’imaginer aujourd’hui ce que fut la vie belge d’autrefois, sans doute aussi difficile que de se mettre dans la peau d’un migrant débarquant dans ce pays où tout semble étrange et étranger, où tous les espoirs sont permis et où les attentes illusoires peuvent confronter chacun à de multiples déceptions. Les parents de première génération qui sont arrivés en Belgique étaient adultes bien que parfois très jeunes. Certains, âgés d’à peine 25 ans, avaient déjà deux ou trois enfants en âge scolaire. Les enfants entrent à l’école et vont avoir un rôle actif à jouer dans le déchiffrage des codes sociaux et culturels de la société d’accueil pour aider leurs parents analphabètes. On parle d’un phénomène d’inversion des générations et de « parentification » pour décrire cette situation où l’enfant devient parent de ses propres parents parce que c’est lui qui déchiffre l’environnement, lit et rédige les courriers administratifs, sert de médiateur entre le dedans et le dehors. Habituellement, toutes cultures confondues, l’adulte sert de modèle d’identification à l’enfant, et ce, que ce soit pour lui ressembler ou surtout pour éviter de le faire. Dans tous les cas, il constitue un repère et un positionnement face au monde extérieur trop vaste et trop grand pour être appréhendé en vrac par le jeune enfant. En cela, l’adulte est un médiateur qui permet à l’enfant « d’avaler la montagne par petits bouts » en lui assurant à la fois une protection et une lisibilité de l’insondable monde étranger. A l’issue de l’immigration, il se peut que cette fonction ne puisse être correctement ou facilement assurée. Les enfants ont alors à inventer leurs propres repères et à se constituer leurs propres références en trouvant des points d’appui qui dans la fratrie, qui auprès des adultes du milieu scolaire ou parascolaire. L’autorité parentale peut être fortement affectée par cette réalité. Il semble que filles et garçons des migrants marocains se soient débrouillés très différemment et que leur réussite soit conditionnée tant par des éléments
internes qu’extérieurs à la famille. Dans le Maghreb traditionnel, tout comme dans la plupart des pays méditerranéens, l’éducation des filles diffère fortement de celle des garçons. Ces différences sont renforcées par des éléments liés à la religion mais, ce sont principalement les traditions culturelles qui les appuieront. Dans le pays d’accueil, contexte et environnement seront assez déterminants. Ils vont agir tantôt en écho et en renforcement, tantôt en frein du développement, tantôt en favorisant le changement, tantôt en favorisant la reproduction culturelle, notamment en ce qui concerne les inégalités. Dans le monde scolaire, ce sont les discriminations dans les choix d’orientation qui vont pousser les garçons vers des filières techniques et les filles vers des filières professionnelles d’aide aux personnes et de travaux ménagers. À travers leur choix d’immigration, à travers l’éducation qu’elles donnent à leurs enfants, les femmes ont espéré, voire ont initié, un changement en faveur du droit à l’égalité des chances tant dans la réussite sociale et économique que pour une égalité de droit entre hommes et femmes. Pourtant, force est de constater que cette égalité est loin d’être acquise. Les discriminations perdurent tant à l’école (cf. filières d’orientation suivant le genre), dans le monde du travail (cf. discriminations à l’embauche) qu’au sein même de la famille où - le plus souvent - filles et garçons n’ont pas les mêmes droits. C’est dans le fonctionnement des relations interpersonnelles que nous pouvons relever un ensemble de contradictions agissantes. Dans le cadre des sociétés patrilignagières20 et patriarcales où la domination des hommes sur les femmes est marquée, ces contradictions sont renforcées et reproduites à travers le rôle des mères. C’est ainsi que l’on peut lire une certaine contradiction entre le désir d’émancipation des mères et les contraintes en faveur de la soumission
Terme évoquant la notion de filiation unilinéaire alors que le patriarcat évoque l’organisation sociale dans laquelle l’homme détient le pouvoir. Cette notion est reprise dans l’ouvrage de CAMILLE LACOSTE-DUJARDIN - « Des mères contre les femmes. Maternité et patriarcat au Maghreb », éditions découvertes / textes à l’appui, 1985. 20
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30 qu’elles imposent à leurs filles.21 Des filles qui seront parfois amenées à vivre une double vie tentant de concilier les exigences culturelles portées par leur famille avec leurs besoins d’émancipation et d’adaptation à l’environnement dans lequel elles évoluent ici. Un environnement basé sur d’autres critères de différenciation des rôles et sur une définition autre de la place de chacun selon le genre. Cette double vie est celle d’un grand-écart culturel vécu dans le non-dit, expérience singulière qui n’est pas dénuée de risques pour le développement de la jeune fille. De fait, cette dernière s’expose ainsi sans protection et sans le conseil d’adultes. Du point de vue des parents, cette expérience est également douloureuse. Ils sont conscients du fait que leur enfant leur échappe mais n’ont ni la grille de lecture, ni les réponses adéquates. Il arrive que certains parents envisagent alors de marier leur fille ou que certaines filles craignent d’être mariées au pays lors des prochaines vacances d’été. De façon générale, le dialogue intergénérationnel a été peu opérant dans le cadre de ce parcours migratoire, et ce, pour plusieurs raisons. Pour certains parents, parler du passé relève de la douleur. Ils ont préféré taire ce temps, ne pas le revisiter, ne pas réveiller des peines enfouies, des situations relationnelles problématiques et des conflits inachevés. Pour d’autres, il fallait épargner les enfants, ne pas leur imposer les larmes et la douleur qui accompagneraient inévitablement leur récit. Ces migrants viennent d’une partie du monde où, dans les années ‘60, les conditions de vie étaient rudes et la grande pauvreté fréquente. A cela s’ajoute un contexte sanitaire qui s’est progressivement amélioré mais qui n’était pas comparable à celui que l’on connait ici. Dans les pays du Maghreb, la contraception n’était pas autorisée pour les femmes musulmanes qui - de plus - sont mariées très jeunes. Certaines ont perdu un enfant pendant la grossesse ou dans le courant de la première année après l’accouchement. Il n’est pas facile d’évoquer ces événements avec ses propres enfants.
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Camille Lacoste-Dujardin - Ibid
Au pays, évoquer le passé se fait souvent en famille, en toute convivialité, le plus souvent, en présence des personnes avec qui se sont tissés les souvenirs, ce qui constitue une véritable occasion de développer une lecture très différente des faits. Avec des bribes complémentaires au récit, parfois avec plus d’humour et d’anecdotes, ce type de partage n’est pas comparable à ce qu’un parent seul pourrait raconter depuis sa place d’exilé, éventuellement en pleine nostalgie. Les enfants eux-mêmes ne cherchent pas toujours à en savoir « trop » par pudeur, pour ménager leurs parents en les invitant dans le présent et dans le futur plutôt que dans ce passé dont ils ne se souviennent pas, auquel ils ne comprennent pas tout ou dont ils n’ont jamais fait partie. Ils ne se risquent pas non plus à dévoiler leurs réalités pour éviter de décevoir leurs parents, pour ne pas les heurter, parce qu’ils ne comprendraient pas et puis finalement pour se préserver une zone de liberté en se passant de leur autorisation. Au fond, chacun tente de préserver l’autre... A force de trop vouloir se ménager l’un l’autre, il arrive que l’on se préserve trop, que l’on se réserve au point de ne plus réussir à se laisser toucher, ni à se rapprocher, à partager des émotions, des expériences, des opinions. Le silence des non-dits prend de plus en plus de place, la distance se creuse et on voit apparaître des injonctions là où le dialogue aurait permis la transmission. En quittant leur pays, leur famille, leur mari en quête d’une vie meilleure et plus égalitaire, ces femmes ont apporté de nouvelles opportunités à leurs enfants. Arrivées ici, portées par leur désir d’émancipation, c’est avec force et courage, qu’elles se sont construit une vie décente en affrontant, comme elles le pouvaient, le regard que les membres de leur communauté ont pu poser sur les choix « hors normes » qu’elles se sont autorisés. Elles ont assumé leurs choix jusqu’au moment où, leur fille atteignant l’âge de la puberté, elles ont eu peur de ne pouvoir préserver plus longtemps l’honneur de la famille. C’est en tant que bastion que s’érige alors l’exigence de la virginité et des comportements supposés en témoigner et c’est régulièrement le moment où le lien familial se déchire.
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32 Ces femmes ont forcé leur destin en envisageant leur émancipation sans mesurer l’ampleur des exigences que suppose l’égalité entre homme et femme. Elles ne savaient pas à quoi elles devraient renoncer (respect, considération, relations avec les autres membres de la communauté, ...) pour accéder tout simplement à leur autonomie financière. Leurs forces s’épuisent tout au long d’un quotidien accablant et, un jour, elles entendent tous ces « qu’en dira-t-on » qui constituent une pression sociale insoutenable. Comment chacune pourrait-elle franchir autant d’étapes sur une seule génération alors qu’en Europe, les mouvements féministes n’ont pas fini de négocier l’égalité pour les femmes qui ont pourtant obtenu le droit de vote depuis 1948 ? Ces mouvements ont d’ailleurs joué un rôle important tout au long de ces cinquante dernières années, et ce, tant pour les femmes d’ici que pour celles venues d’ailleurs. En tant qu’adulte, enseignant et acteur de l’éducation en milieu multiculturel, avoir accès aux informations qui concernent la trajectoire des parents et des enfants permet de poser un regard en connaissance de cause qui favorisera la rencontre.
« Mes lectures m’ont permis de comprendre autrement les turbulences des jeunes en milieu immigré. De comprendre que la difficulté vient sans doute du grand silence, dans les animations, sur la question de l’interculturel, de la ségrégation, du racisme. Cela me fait entendre autrement ceux qui « s’en sortent » dans les animations. Ceux-là s’attachent surtout et avant tout à la maturation psychique et sociale des jeunes, à leur construction identitaire, tenant compte de leur contexte de vie, acceptant d’être critiqués, acceptant de faire face aux conflits qui surgissent, non pour les résoudre mais pour en explorer les racines. Ceux-là utilisent l’EVAS 22 pour élaborer avec le public multiculturel des repères pour la construction d’une identité métisse. Et j’entends maintenant par là un métissage commun où l’animateur, quelle que soit son origine, accepte d’être luimême modifié, affecté par l’échange : lui aussi métissé. » Colette Bériot 23
EVAS - Education à la Vie Affective et Sexuelle, programme d’éducation porté par les centres de planning familial. 22
Colette Bériot , « l’Education à la vie affective et sexuelle en contexte multiculturel », Santé Mentale en Contexte Social. Multiculturalité et Précarité / 2010, p.3. 23
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Quelques-uns de nos constats Ils ont été à la base de notre démarche et nous tentons d’y apporter une modeste contribution … oo Les femmes qui ont fait le choix de migrer seules sont rarement prises en considération dans les propos concernant l’immigration marocaine et leur parcours est méconnu. oo Animées d’un important désir d’émancipation, ces femmes pionnières ont parfois abandonné leur intention initiale car le prix à payer était trop lourd et le regard des autres trop difficile à affronter dans la solitude. Certaines ont choisi de se rallier aux attentes de leur communauté. oo Leurs filles ont eu à relever le défi de se créer une identité en choisissant de poursuivre l’élan initial de cet idéal d’égalité tout en tenant compte de la nécessité de restaurer l’image d’une mère atypique aux yeux des membres de leur communauté d’origine. oo En tant qu’enfant issu de l’immigration marocaine et, tout au long du cursus scolaire, nous relevons le peu d’occasions de valorisation de la culture d’origine. oo Le fait d’avoir des parents illettrés ou qui n’ont pas les compétences « attendues » dans le pays d’accueil est susceptible de renforcer le sentiment de dévalorisation. oo Il y a une méconnaissance des spécificités culturelles (histoire du Maroc et de la Belgique, réalités sociales, économiques, politiques, etc.) toutes disciplines confondues. Cette méconnaissance qui s’applique tant aux parents de première génération - souvent analphabètes et issus de la classe populaire - qui sont confrontés à leurs lacunes par rapport aux réalités belges dans lesquelles ils tentent de prendre une place active, qu’aux enseignants qui n’étaient pas ou très peu formés aux spécificités de cette culture et aux réalités d’une société multiculturelle.
oo Il a d’abord été dit que les immigrés devaient faire un effort d’assimilation, il a ensuite été question de leur intégration. Ces deux notions ont largement fait débat. Aujourd’hui, alors que les membres de la communauté marocaine de Belgique ont progressivement pris une place d’acteurs dans différents domaines (vie associative, enseignement, santé, sciences, économie, culture, politique, …), ces notions restent encore régulièrement utilisées. oo Il y a bien eu tout au long des 50 dernières années, un mouvement d’émancipation qui conduit bon nombre des marocains à définir leur identité par eux-mêmes, dans des termes positifs et non à travers des termes qui évoquent des carences par rapport à la culture du pays d’accueil (en termes d’insuffisance). oo La construction identitaire se fait par couches successives et confronte chacun à un ensemble de difficultés. Il serait regrettable que chacun soit contraint de reconstituer seul la trame d’une histoire collective. Il existe bon nombre d’informations et de publications se rapportant à l’histoire de cette immigration, aux questions identitaires, aux spécificités culturelles, aux productions artistiques, aux accords et aux relations entre les deux pays, … mais elles nous semblent dispersées.
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Les différents volets de l’action Notre coffret pédagogique est un complément à l’action initiée en 2013 par l’asbl Interstices et dont nous retraçons ici les grandes lignes. Ces autres volets constituent un apport d’informations qui pourront alimenter la démarche pédagogique.
Mai 2013 : « D’un voyage à l’autre » Le projet démarre par un voyage que Farida et sa mère effectuent en 2013 alors qu’elles décident de revisiter, ensemble, l’étape singulière que fût l’année 1968 sur leur parcours. Cette année-là, la maman quitte l’Algérie refusant le choix de son mari de prendre une seconde épouse. La polygamie était autorisée au Maghreb mais la maman de Farida ne peut l’admettre. Elle décide alors de partir vers la France d’abord et vers Bruxelles - ensuite. Elle était accompagnée de Farida âgée, alors, de 3 ans. Le film documentaire « D’un voyage à l’autre » raconte ce retour aux sources. Il a été réalisé par Christian Van Cutsem, produit par le Videp et, Farida a partagé ses impressions au travers d’un carnet de voyage publié en ligne 24.
Janvier 2014 - Création du spectacle « Ici Mimouna »25 Farida Zouj nous propose un seule-en-scène drôle et émouvant dans lequel elle campe deux personnages : Mimouna, la mère de première génération et Jamila, sa fille universitaire maroxelloise de deuxième génération. Mimouna est née au Maroc et vit à présent en Belgique. Bien qu’elle soit analphabète, son parcours témoigne d’une belle intelligence et d’un bon sens croustillant qui alimentent des perles de réflexions. Tantôt en monologue, tantôt engagées dans un dialogue mère-fille, ces deux personnages s’expriment et traduisent différents propos. Mimouna est veuve. Elle a quitté
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www.ici-mimouna.be/voyage/
Un texte de et avec Farida Zouj. Une création au Théâtre de la Place des Martyrs - Bruxelles, du 16/01 au 15/02/2014. Mise en scène de Veronique Castanyer. Œil extérieur : Pietro Pizzuti. 25
son pays poussée par un profond désir d’émancipation. Elle part à la recherche de l’égalité de droit entre hommes et femmes, et arrive en Belgique avec sa fille. Jamila, elle, incarne typiquement la question de la double appartenance culturelle et des tensions identitaires qui en découlent… Elle est partagée entre la reconnaissance qu’elle porte à sa mère pour son combat féministe avant-gardiste, et la volonté qu’elle a de faire reconnaître ses propres besoins d’émancipation, différents de ceux de la génération de sa mère et des autres femmes de sa communauté. Tout au long du spectacle, nous traversons les 50 années de présence marocaine dans une Belgique décrite à travers le prisme des musiques d’une époque, les émissions de radio qu’anime Jamila, le regard d’une mère marocaine et les dialogues entre mère et fille. Ce spectacle a été filmé le 12 février 2014 lors d’une représentation publique au Théâtre de la Place des Martyrs donnant ainsi matière pour alimenter les réflexions et les animations proposées dans le cadre de ce coffret pédagogique.
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un spectacle - des repères - des fiches d’exploitation oo La proposition qui vous est faite ici est d’utiliser les contenus du spectacle « Ici Mimouna » pour poser un cadre de référence commun. Vous pouvez consulter l’agenda des tournées pour vérifier si le spectacle se jouera prochainement sur scène 26 ou utiliser la version vidéo du spectacle. La version vidéo peut être téléchargée 27 ou commandée en format dvd (édition limitée). oo Vous pourrez vous reporter aux thèmes évoqués. Ils sont répertoriés dans le plan des scènes qui figure dans les pages suivantes. oo Plusieurs références vous sont proposées en ligne sur notre site et seront régulièrement mises à jour avec notamment quelques références (bibliographie, services publiques, associations, sites internet, acteurs de terrain, ...). oo Plusieurs fiches d’exploitation accompagnent ce livret pédagogique et sont également téléchargeables sur notre site. Elles proposent des mises en situation pratique, des exercices, des jeux ou des créations. Ces fiches peuvent être utilisées pour un thème spécifique ou pour aborder transversalement les thématiques traitées dans le spectacle. Les propositions d’animation ne sont pas spécifiquement attachées à une scène. A vous de puiser, dans ce matériel, les thèmes et les propositions d’animation selon vos préférences. oo Vous pouvez également contribuer au projet avec votre équipe, votre groupe et/ou vos élèves en élaborant de nouvelles fiches d’exploitation. Nous les mettrons en partage si vous nous les envoyez en veillant à préciser leur mode d’emploi et en utilisant la même structure que celle reprise sur nos fiches (voir modèle des fiches en annexe). N’hésitez pas à enrichir les informations mises en partage sur notre site, notamment en proposant des liens et des références utiles et complémentaires.
26
www.ici-mimouna.be/voir-le-spectacle/les-prochaines-dates/
27
www.ici-mimouna.be/coffret-pedagogique/
« Ici Mimouna » Scène 1
La mort
page 40 Scène 2
Le pain quotidien
page 41 Scène 3
La thèse
page 42 Scène 4
Le forum de Mehdi
Scène 9 Egalité de droits entre hommes et femmes
page 45 Scène 10
Radio Belles 2
page 45 Scène 11
Mariage
page 46 Scène 12
page 43
Le tabou révélé
Scène 5
page 46
La liste des courses
Scène 13
page 44 Scène 6 Le baluchon
page 44 Scène 7
Radio Belles 1
page 44 Scène 8
La Société de Logement de la Région de Bruxelles-Capitale
page 45
Défoulement
page 47 Scène 14
Dialogue et transmission
page 47 Scène 15
Diaporama : « On n’oublie rien » de Jacques Brel
page 47
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Scène 1 La mort
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a mère est morte et, comme on le lui a demandé à l’hôpital, Jamila va chercher des vêtements pour l’enterrement. Elle réalise soudain que sa mère ne sera pas enterrée avec des vêtements. Le corps nu des musulmans est lavé puis enveloppé dans un linceul. Mais quelle prière faudra-t-il dire ? Qui peut laver son corps ? Comment se comporter lors de l’enterrement ? Jamila : « Je me sens comme une page blanche détachée du livre Les pages et la reliure du livre qui raconte notre histoire, c’était toi maman ». T h è m e é vo q u é oo Rituels, mémoire et transmission.
Dans chaque famille, toutes origines confondues, il y a des sujets tabous, des non-dits et des secrets. La naissance, l’amour, le sexe, la maladie, les traumatismes, la guerre, la mort, ... Où, quand et avec qui peut-on parler de ces choses de la vie ? Au-delà de l’immigration marocaine, qu’en est-il dans notre société multiculturelle ? Enfants cachés, descendants de l’Holocauste, famille ayant collaboré avec les allemands durant la seconde guerre mondiale, maladies honteuses, traumatismes, ... Avec l’exil, les opportunités de récit et de rencontres avec des témoins de la vie quotidienne se réduisent. Le respect du non-dit et des secrets permet-il d’en limiter les effets et les conséquences ? Chaque culture développe des rituels spécifiques pour accompagner les étapes du cycle de vie. Quels sont les rituels de passage aux différents âges, religieux et laïcs : baptême, circoncision, communion, Bar Mitsvah, Bat Mitsvah, fiançailles, mariage, ... ? Actuellement, la naissance se déroule dans l’isolement et la sécurité de l’hôpital, les soins apportés au corps des morts sont réservés aux professionnels. Comment apprendre, poursuivre, transmettre ces savoirs humains ?
Scène 2 Le pain quotidien
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n découvre Mimouna de son vivant. Elle se raconte tout en faisant son pain maison. Elle est face au Journal Télévisé de la RTBF, une édition de 2004 (archives de la SONUMA) dans laquelle il est question des accords bilatéraux de 1964 (CBM). Mimouna partage ses commentaires. Il est souvent question de l’immigration des hommes. Mimouna tente de rétablir la vérité historique en précisant qu’il y a aussi eu des femmes et que toutes ne sont pas arrivées dans le cadre du regroupement familial. Elle raconte leur réalité et le contexte de non-droit pour les femmes au Maghreb. « La migration porte un visage humain, et c’est celui d’une femme. » Babatunde Osotimehin28 T h è m e s é vo q u é s
o o Traditions culinaires et savoir-vivre. o o Quelques éléments d’histoire : Les accords bilatéraux de 1964 font suite aux événements de l’histoire de l’immigration italienne (catastrophe du bois du Cazier).
Voici une occasion d’aborder les valorisations culturelles à propos des aspects culinaires et du savoir-vivre à l’œuvre dans chaque culture pour apprendre à se connaître et se reconnaître. Cette scène permet également d’aborder la question des rôles traditionnels : mère au foyer, père au boulot, de leur évolution en milieu urbain, dans le contexte économique actuel. La migration des femmes, le comment et le pourquoi. Bien qu’il y ait encore peu de données chiffrées, certaines publications permettent de rendre compte d’une féminisation des mouvements migratoires au fil du temps29. Aussi, on note que les femmes prennent une place de plus en plus active dans les mouvements associatifs et qu’elles apportent une contribution certaine dans les flux financiers entre le pays d’accueil et le pays d’origine.
o o La place et le droit des femmes au Maghreb, au pays d’origine.
ABDELKRIM BELGUENDOUZ , « Maroc : genre et migrations. Entre hier et aujourd’hui », CARIM-AS , notes d’analyse et de synthèse 2010/67. Robert Schuman Centre for Advanced Studies, San Domenico di Fiesole (FI). Institut universitaire européen, 2010. 29
Directeur exécutif du Fonds des Nations Unies Pour la Population (UNFPA) . 28
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Scène 3 La thèse
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amila est heureuse d’avoir enfin trouvé le titre de sa thèse de doctorat. « Contribution des femmes à l’humanisation des moyens de production au sein des entreprises à vocation marchande ». Mais comment expliquer son sujet à sa mère ? De quiproquos en malentendus, on assiste à un dialogue de sourd entre mère et fille, à se demander qui explique quoi à qui. Tout au long de cette scène, Mimouna interprète les éléments d’information dont elle dispose et nous fait entrer dans sa vision de la Belgique, de son histoire et de sa politique.
T h è m e s é vo q u é s
oo Le discours féministe, l’entrée des femmes à l’université, les femmes dans le monde du travail. oo L’analphabétisme - dépendances et inversion de génération pour les enfants de parents analphabètes. oo La famille royale en Belgique et au Maroc. Un monde sépare la réalité de ces familles, et celle du simple citoyen. oo Il y a eu plusieurs immigrations : espagnole, italienne, marocaine, turque. oo La politique belge face au port du voile.
Le droit de réussir socialement laisse parfois apparaître des conflits de loyauté envers la génération précédente. La réussite scolaire ou sociale ouvre un fossé entre les générations et risque d’opposer des systèmes de valeurs et de références en mettant les membres d’une même famille en conflit. La Belgique et le Maroc sont des royaumes. Quelle comparaison peut-on développer à propos des systèmes politiques en place dans ces sociétés ? Plus largement, quelles comparaisons peut-on établir concernant le régime politique de chaque pays d’origine des membres du groupe ? Quel système politique pour chacun des pays d’origine des membres du groupe : démocratie, citoyenneté, république, dictature, ... ? En quoi ces systèmes nous influencent-ils (facilités ou non à la participation citoyenne, à la prise de parole en public, au débat, accessibilité au bien-être ou au confort matériel, ...). Des notions telles que - l’autonomie et l’indépendance pourraient être abordées tant du point de vue de l’individu que du point de vue de la société. Comment chaque pays a-t-il construit son autonomie ? Comment est-il devenu indépendant alors qu’il était sous protectorat, colonisé ou non ?
Scène 4 Le Forum de Mehdi - allusion au Forum de Midi RTBF - RADIO - émission débat sur La Première
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imouna écoute la radio chez elle tout en épluchant ses légumes. Nous sommes en 2004. L’Espace Mémorial de l’Immigration Marocaine (EMIM) ouvrait officiellement la cérémonie de commémoration des accords de 1964 (cf. archives de la Sonuma) avec ce discours de son Président - Hassan Boussetta30 : « Disons-le clairement cette convention de ’64 est un mauvais accord... Un accord révélateur de l’inégalité entre travailleurs et de la domination des pays industrialisés face à des pays qui en ont été réduits à jouer le rôle de pourvoyeur de main-d’oeuvre. Des pays qui ont été réduits aussi à exporter leurs hommes et leur jeunesse faute d’être en mesure de leur assurer un meilleur avenir. A l’occasion de cette commémoration, l’EMIM a souhaité rendre un Hommage à ceux qui ont été les principaux acteurs de cette immigration ouvrière : aux pères, aux mères, dont la plupart sont aujourd’hui des grand-pères et des grand-mères. Nous, leurs enfants et petits-enfants sommes d’autant plus touchés par le récit de leur aventure que, tous les jours, nous les voyons se préparer secrètement pour leur dernier grand voyage. »
HASSAN BOUSSETA , Président de l’EMIM (Espace Mémorial de l’Immigration Marocaine), discours d’ouverture lors de la commémoration au Palais des Beaux-Arts en février 2004. Extrait de « 40 ans 30
T h è m e s é vo q u é s
oo Qu’a-t-il voulu dire ? Quel regard portons-nous sur ces accords aujourd’hui ? Que signifie « mythe du retour » pour la première génération et pour les générations suivantes, celle des enfants nés en Belgique. Quel retour ? Quel sens ce projet aurait-il pour ceux qui restent, ... ? oo Quelle place la radio prend-elle dans nos vies, d’hier à aujourd’hui ? Comment aborder les notions de « rapports de domination », l’histoire des colonisations opérées par la Belgique et par d’autres nations, les rapports nord-sud, l’ethnocentrisme, l’égalité, ... ? Et aujourd’hui, comment les belges se positionnent-ils face à la crise ? Certains quittent le pays pour tenter leur chance en Asie, en Inde, là où leur pouvoir d’achat sera plus élevé. Certaines entreprises délocalisent une partie de leurs emplois au Maroc et ailleurs ... (Cf. Call-center). Avons-nous plus ou moins de choix que par le passé ? L’expérience multiculturelle, l’appartenance multiple nous ouvre-t-elle davantage de possibilités ? Lorsque les enfants naissent et grandissent en Belgique, comment peut-on tout quitter pour retourner dans le pays d’origine alors que l’on a objectivement passé plus de temps ici ?
de présence marocaine en Belgique : fragments de souvenir » Documentaire de Khiti Benhachem et Mehrdad Taghian, réalisé en 2004 pour l’émission « 1001 cultures » du 30/12/2004- RTBF, in Archives de la SONUMA .
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Scène 5 La liste des courses
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imouna est analphabète. Elle garde les journaux publicitaires, y découpe puis colle les articles dont elle a besoin pour constituer sa liste de courses qu’elle confie ensuite à sa fille. C’est une bonne stratégie qu’elle a développée, mais ce n’est pas toujours pratique! T h è m e é vo q u é
oo Aujourd’hui l’analphabétisme et la fracture numérique constituent de véritables handicaps. Quelle place notre société moderne accorde-t-elle à ces personnes et que prévoit-elle pour faire face à ce type de handicaps ? L’analphabétisme rend la personne dépendante ainsi, chaque démarche administrative nécessitera qu’une tierce personne prenne le temps de se rendre sur place pour interagir en direct, avec l’administration. Lorsqu’aucune ressource n’est directement disponible, la personne analphabète s’appuiera sur la présence physique qui permet de compenser ses limites en recourant à la communication non-verbale et à différents aspects relationnels. Ceci n’est pas toujours bien accueilli par les employés qui eux sont « pressés ». Tout cela a un coût en temps, en énergie et demande bien souvent de faire profil bas, sans garantie d’obtenir les résultats escomptés. Les administrations prévoient le passage obligé par des guichets électroniques. Bon nombre de services nous accueillent par téléphone en nous demandant de naviguer à travers un menu : « pour tel service - pousser sur 1a touche 1 »..., des pratiques qui - dans notre société en laissent plus d’un sur le bord du chemin.
Scène 6 Le baluchon
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près l’expérience négative de la liste des courses, Mimouna se sent un peu nostalgique. Elle ouvre son baluchon, la valise dans laquelle elle garde des objets précieux, ceux qui, pour elle, ont une grande valeur sentimentale.
T h è m e s é vo q u é s
oo L’expérience d’être orphelin. oo oo oo oo
Le veuvage. La nostalgie. La solitude. L’éducation des enfants dans la famille monoparentale. oo La responsabilité d’éduquer la fille dans le respect de la tradition.
Scène 7 Radio Belles 1
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amila anime une émission de radio basée sur le recueil de témoignages de ses auditeurs dont ...
T h è m e s é vo q u é s
oo Le retour des parents est empêché lorsqu’ils songent à leur descendance née ici. oo L’influence de la religion sur l’émancipation des femmes. oo La loi de « la double peine » (prison + expulsion). oo La dimension politique du concours de l’Eurovision de la chanson.
Scène 8 La Société de Logement de la Région de Bruxelles-Capitale
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imouna est inquiète, une lettre de 8 pages est arrivée et elle se demande ce qu’elle raconte. T h è m e s é vo q u é s
oo Bien qu’il s’agisse d’une situation de logement social, les procédures sont lourdes et les bénéficiaires ne comprennent rien au jargon des administrations qui est - à peine caricaturé. Au Maroc, c’est pire... Mimouna : « C’est quoi cette langue, c’est ça qu’ils appellent le latin ? » oo Le refus de la Belgique d’apporter son assistance consulaire à un ressortissant belgo-marocain qui est torturé en prison alors qu’il n’a pas encore été jugé.
Scène 9 Égalité de droits entre hommes et femmes
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voquant la question de la virginité lors d’une conversation avec sa fille, Mimouna réalise qu’elle a mal informé sa fille à propos de l’importance de rester vierge jusqu’au mariage. Jamila exprimera son opinion à propos de cette exigence qui repose essentiellement sur les filles. T h è m e s é vo q u é s
oo L’absence de dialogue entre les générations et le fait que chacun reste sur ses positions. oo L’importance du dialogue mère fille en lieu et place du contrôle. oo Comment une valeur donnée (la pureté) se traduit-elle dans les comportements (la virginité et le contrôle).
Scène 10 Radio Belles 2
J
amila est encore sous le choc de la discussion qu’elle vient d’avoir avec sa mère à propos de la virginité des filles. Elle est décomposée et ne parvient pas à entrer dans son émission radio. Les voix de femmes qui témoignent lui permettent de reprendre consistance.
T h è m e s é vo q u é s
oo Etre différente ? De qui, de quoi ? Quelles sont les normes qui prévalent, quelle place leur accorder ?
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Scène 11 Mariage
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imouna revient d’une soirée de mariage qui lui a beaucoup plu. Elle raconte sa soirée et, à cette occasion, évoque l’humour de ses copines. à la fin de cette scène, une femme parle du droit qu’avaient les hommes de répudier leur épouse sans leur consentement.
T h è m e s é vo q u é s
oo Les normes de la bienséance et l’humour dit grivois (cf. les précieuses ridicules). oo Le rituel et la fête de mariage. oo Comment le mariage se construit-il ? Choix délibéré entre partenaires, options familiales, prédestinations, ... ? oo Comment les conjoints sont-ils préparés au mariage et par qui ? oo Et que dit le droit ? Pour le Maroc, il faut voir ce que dit la Moudawana. Cette scène de légèreté et d’humour ouvre le champ à de nombreuses pistes d’investigation et d’exploitation en offrant une occasion de comparer les traditions du mariage en fonction de la composition du groupe d’animation (origines et traditions). On peut également s’intéresser à la fonction des « zianas » dans la tradition maghrébine. Il s’agit de la femme qui va accompagner la jeune mariée, la préparer (maquillage, costumes) et qui peut parfois être une confidente qui informera la jeune femme de la façon dont se passe le dépucelage, de ce que l’islam préconise, interdit, ...
Scène 12 Le tabou révélé
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imouna raconte à sa fille ce qu’a vécu une de ses amies. Aïcha a découvert que ses filles avaient été sexuellement abusées par leur père. L’une d’elles s’est suicidée. Mimouna voudrait que Jamila aide Aïcha à écrire un livre à ce propos.
T h è m e s é vo q u é s
oo Le tabou et sa transgression : l’inceste. oo L’enfant chargé de mission (de réparation). oo Le suicide des jeunes.
Scène 13 Défoulement
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amila est dépositaire d’une confidence et d’une demande d’aider Aïcha. Elle ne supporte pas le poids de cette mission et décide de noyer son chagrin dans l’alcool. On découvre, à cette occasion, les reproches que Jamila adresse à sa mère ainsi que l’expression de ses propres besoins, différents de ceux de la génération de sa mère et des autres femmes de sa communauté.
Scène 14 Dialogue et transmission
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amila va chez sa mère et partage avec elle un texte qui aborde le thème de la transmission mère-fille31. Jamila questionne Mimouna : c’est quoi pour toi une maman ? Mimouna interroge Jamila : c’est quoi pour toi un papa ? Ensemble elles nouent enfin un dialogue.
Scène 15 Diaporama
Jamila : « maman, tu m’as donné la vie, alors arrête de me la reprendre sans cesse ! » T h è m e s é vo q u é s
oo La tension qui laisse seule la jeune fille de seconde génération respectueuse et reconnaissante mais non sans besoins propres. oo Le tabou de l’alcool et sa transgression (raisons religieuses et autres). oo Le sens du devoir et le poids du sacrifice (aspects intergénérationnels).
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e travail de mémoire est évoqué à travers des photographies qui retracent le parcours de ces 50 dernières années de présence marocaine avec des visages, des lieux d’ici et de là-bas, la voix de Mr. Si Mohamed El Baroudi32 , les épitaphes d’humanistes et de progressistes ayant œuvré pour le dialogue interculturel et intercommunautaire, ... Le diaporama se clôture sur la chanson « On n’oublie rien » de Jacques Brel, interprétée - ici - par Farida Zouj.
CLARISSA PINKOLA ESTÉS , « Femmes qui courent avec les loups », Grasset, 1996. 31
Décédé en juin 2007, Mohamed El Baroudi était un exilé politique marocain à Bruxelles, un militant de gauche, un syndicaliste, un laïque convaincu, un internationaliste,... Il fut notamment à la base de l'organisation des 1ers cours d'alphabétisation au début des années '70, ce qui a abouti à la création du Collectif d'alphabétisation puis à la fondation de Lire et Ecrire. 32
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La Direction de l’Egalité des chances de la CFWB du Ministère de la Communauté française La Direction Égalité des Chances régionale - Cellule égalité des Chances et Diversité - Bruno De Lille L’administration de la COCOF - Affaires culturelles - Rachid Madrane
ALC Le Programme Fédéral Annoncer La Couleur section Bruxelles représenté par Gaëtan Van Landewyck Interstices asbl représentée par Farida Boujraf
contact : info@interstices.be
ISBN 978-2-930762-01-2
D/2014/13.282/1
design × www.41109.be
FCPPF asbl La Fédération des Centres Pluralistes de Planing Familial représentée par Leïla Lowie,
Au to u r d e « I c i M im o u na » Introduction Dans le spectacle « Ici Mimouna », il est question de l’immigration marocaine du point de vue des femmes. Après avoir vu le spectacle, plusieurs aspects peuvent être abordés pour contextualiser l’histoire de ce personnage qu’est Mimouna.
Objectifs o o Comprendre les conditions de l’immigration marocaine féminine des années 60-70 : pourquoi partaient-elles ? Comment ont-elles vécu les conditions d’accueil et comment s’y sont-elles adapté ? o o Échanger et enrichir sa vision de l’immigration marocaine, celle des femmes en particulier, ainsi que de l’héritage qu’elles laissent pour les générations suivantes. o o Remettre en question nos a priori autour des représentations du phénomène de l’immigration et de la place de la femme dans celui-ci. o o Analyser les éléments centraux de la pièce de théâtre “Ici Mimouna”.
Matériel Flip chart ou tableau Plusieurs copies de la ligne du temps (pp.12 et 13 du livret) et de la fiche N°5 Public Enfants à partir de 10 ans et adultes
fiche N° 1
Durée
Déroulement de l’activité o o Demander aux participants de noter individuellement leur « cri du cœur » et de l’exprimer à travers un mot et/ ou un dessin que leur inspire la pièce. o o Demander aux participants de quoi parle cette pièce, selon eux. o o Recenser les éléments cités (émotions, mots-clés, sujets) et les reporter sur un tableau ou flip chart. o o Questionner le groupe pour avoir une grille de lecture commune à propos de :
-la place de la femme, de la mère dans cette histoire, -l’absence du père,
-la vie en Belgique (humidité, administration, politique, …), -les relations entre les personnages : rencontre de cultures, mixité sociale, gap générationnel, …,
-le passage de mémoire : ce qu’on raconte ou ce que l’on ne dit pas à ses enfants, ce qu’on raconte ou ce que l’on ne dit pas à ses parents.
Questions complémentaires sur la pièce : Qu’est-ce qui vous a étonné ? Qu’est-ce que vous avez retenu ? Y a-t-il une chose que vous ne saviez pas et que vous apprenez dans ce spectacle ? Qu’avez-vous aimé/pas aimé ? Que savez-vous de votre histoire ? o o Replacer l’histoire de l’immigration et l’évolution du statut de la femme en Belgique sur une ligne du temps. Travail en sous-groupe d’abord en distribuant les différentes étapes (fiche n°5) de façon aléatoire aux participants/ sous-groupes (plusieurs copies). Nombre de participants De 5 à 25
De 1h à 1h30
L e s flaman d e s D e s f e mm e s co mm e l e s au t r e s ? Introduction Dans certains groupes d’animation en milieu populaire multiculturel, le terme « Flamand-e-s » est parfois utilisé dans le langage des jeunes pour désigner « l’autre ». Une tentative de différenciation qui peut être vécue comme une certaine forme de dénigrement. Dans sa définition, le communautarisme renvoie à l’attitude adoptée par certaines minorités (culturelles, religieuses, ethniques...) afin de se différencier volontairement avec la double intention de faire corps (pour s’entraider) et de se dissocier du reste de la société. La différenciation peut se baser sur des critères religieux, sociaux, politiques, culturels, …
Objectifs o o Questionner les participants sur les expressions qu’ils utilisent pour se démarquer, répertorier les critères (ethniques, religieux, sociaux, physiques, …) et mettre en perspective nos mœurs et traditions respectives. o o Interroger l’image que ce texte donne des femmes et de leur rôle dans la famille. oo Aborder la notion de communautarisme en général et replacer - ensuite - cette notion dans le contexte belge des rapports entre francophones et néerlandophones politiquement majoritaires ou minoritaires selon les époques.
Public Jeunes à partir de 14 ans et adultes
fiche N° 2
Matériel oo Le texte de la chanson « Les flamandes » de Jacques Brel. Prévoir un exemplaire par personne. Les flamandes Jacques Brel - 1958. Il est téléchargeable sur notre site. Il nous renvoie à une époque - pas si lointaine - où, dans notre pays, les mœurs étaient encore très codifiées tant par la religion que par certaines « traditions ». Le « Il faut » prenant alors généralement l’ascendant sur le « J’aimerais ». Une version audio de cette chanson est disponible à la médiathèque (cf. Point Culture de la Communauté Française). “Je me sens d’ailleurs plus Flamand que Belge. La Belgique est une notion géographique”1
Une biographie par Olivier Todd (2003), Jacques Brel, une vie, Robert Laffont, 456p., Collection Documento. ISBN 9 782221 145531 1
Nombre de part
Durée De 1h à 1h30
Déroulement de l’activité o o Distribuer un exemplaire du texte à chaque participant. Diffuser le morceau. Récolter les réactions du groupe. Piste de questions pour stimuler le débat : Que pensez-vous de cette chanson ? Qu’est-ce que ce texte vous apprend sur la vie de cette « classe sociale » à cette époque précise ? L’autorité des parents et celle de l’église semblent très présentes dans la vie de ces femmes. Qu’en pensez-vous ? Qu’en est-il pour vous aujourd’hui ? o o Reprendre les différents couplets et demander aux participants de lister les valeurs qui y sont mises en avant (mariage, famille, autorité de la famille et de l’église, travail, prospérité…). Dans votre famille, quelles valeurs sont-elles les mêmes, différentes ? Pouvez-vous expliquer et illustrer ? o o L’expression « Flamand-e-s » représente-t-elle quelque chose pour vous ? Pouvez-vous en expliquer le sens et identifier les critères sur lesquels cette expression repose? Quel est l’intérêt d’utiliser une telle expression ? Quels valeurs et traits de caractère souhaitez-vous mettre en avant en utilisant de telles expressions ? En regard du texte de cette chanson, ce point de vue évolue-t-il ?
ticipants De 5 à ...
o o Remplacer le mot « flamandes » par d’autres mots et observer les effets : espagnoles, italiennes, marocaines, autres, mais aussi, des mots apparemment absurdes, … o o Par comparaison pour traiter des mêmes thèmes, suggestion vous est faite d’envisager également le texte « ces genslà » de Jacques Brel. o o Proposez aux participants de partager à leur tour une chanson qui illustre pour eux certaines « valeurs de classe » (auxquelles ils adhèrent ou non). Cette étape peut, si le temps le permet, faire l’objet d’un atelier à part entière.
L e s mini - r éc i t s Introduction L’artiste qui a écrit « Ici Mimouna » a choisi plusieurs saynètes qui sont inspirées par des tranches de vie, des expériences réelles que des femmes lui ont racontées ou qu’elle a vécues elle-même. Mis bout à bout, ces récits ont donné naissance à une création artistique. Avec la référence de Cohen-Emerique, 1994 rappelons que se décentrer signifie « prendre conscience, distance de ses référents culturels pour arriver à une relativisation de ses points de vue, pour accéder à une certaine mentalité culturelle qui n’est pas synonyme de négation de son identité mais au contraire, une reconnaissance maîtrisée de son identité ». Lorsque - parfois - certains traits de l’identité passent au premier plan, nous parlons de zones sensibles. Il s’agit de régions de l’identité qui, lorsqu’on y touche, provoquent des réactions affectives (agressives ou de tristesse) très fortes. Ces zones sensibles couvrent des aspects qui font l’objet d’un combat personnel et/ou socio-historique, tels que : la conception de la liberté religieuse, de la laïcité, le rôle et le statut des femmes, la place de l’enfant dans
Public Jeunes à partir de 14 ans et adultes
fiche N° 3
la famille et dans la société… Les zones sensibles d’un individu peuvent évoluer selon les circonstances de la vie. Lorsqu’elles s’apaisent, elles s’intègrent aux couches profondes de l’identité. Lorsqu’elles restent à vif, elles peuvent provoquer des réactions affectives qui limiteront la communication. On se trouve alors dans une logique de conflit et non dans une logique de compréhension et de négociation. Il est dès lors important de prendre conscience de ses propres zones sensibles et de celles de ses interlocuteurs si l’on veut entrer dans une démarche interculturelle.
Objectifs o o Partir des connaissances ou de vécus personnels pour développer - chacun - la conscience de notre système de références, de nos valeurs, croyances et zones sensibles. o o Découvrir et tenter de comprendre le système de l’Autre, le questionner, lui donner de la valeur. o o Négocier en groupe en vue de construire un projet artistique commun autour d’improvisations théâtrales et/ou de dessin(s).
Nombre de parti
Durée De 1h à 1h30
Matériel o o Pour la version (a) Improvisation théâtrale, disposer d’un espace dégagé et assez grand pour travailler en sous-groupes. o o Pour la version (b) Dessin, prévoir un bloc de feuilles A4, A3 ou des grandes feuilles de type flip chart et des marqueurs de couleurs.
Déroulement de l’activité o o Présenter et/ou rappeler brièvement le thème abordé par l’animation - l’immigration marocaine vécue par les femmes sur plusieurs générations - pour s’assurer que l’ensemble des participants aient bien cerné le sujet. 5 minutes oo Répartir les participants en sous-groupes de 4 à 5 personnes, de façon aléatoire ou selon la dynamique présente. L’espace est organisé de façon à pouvoir discuter confortablement.
icipants De 5 à 25
o o Chaque participant est amené à raconter (sur base volontaire uniquement) dans son sous-groupe, une histoire positive ou négative, vécue ou entendue (famille, amis, collègues, à la Tv, etc.) en lien avec le thème.
20 minutes
o o Le sous-groupe choisit de mettre en scène (a) ou d’illustrer (b) un ou plusieurs des récits partagés afin de le(s) présenter au grand groupe, en l’illustrant : a. Par des saynètes courtes de 5 min. max par sous-groupe. b. Par quelques cases dessinées. 25 minutes o o Chaque sous-groupe présente successivement son travail devant l’ensemble des participants. o o Collecter les réactions en grand groupe, traiter les questions éventuelles et échanger à propos de ce qui a marqué les participants. NB Dans le cadre du développement d’un projet sur ce thème, le grand groupe peut choisir l’un des récits à mettre en scène pour être présenté sous une forme plus aboutie à d’autres groupes extérieurs (classes, etc.) ou produire un livret, une exposition avec une série de planches illustrées des diverses histoires présentées.
Co e x i s t Introduction Cette activité allie le langage et les symboles pour une réflexion sur la tolérance, l’égalité et la co-existence entre personnes et groupes différents ayant des cultures et des représentations variées.
Objectifs oo D évelopper une réflexion sur la différence et la co-existence de multiples cultures. o o Favoriser la tolérance et l’ouverture à l’autre. o o Prendre conscience de certaines de nos représentations.
Matériel
Public Jeunes à partir de 14 ans et adultes
fiche N° 4
Durée
Déroulement de l’activité Copier, agrandir et imprimer l’image ci-dessous Demander aux participants de décrire ce qu’ils voient (coexister et les différents symboles). Pistes de questions pour stimuler la réflexion et le débat : Que vous évoque cette image ? Connaissez-vous ces différents symboles ? Lesquels reconnaissez-vous ? Que signifient-ils et à quoi correspondent-ils ? Au delà de leur signification, qu’évoquent ces symboles pour vous (pris un-à-un, ou considérés comme un tout) ? Vous reconnaissez-vous dans certains de ces symboles ? Quels autres symboles connaissezvous ? Inviter les participants à rechercher d’autres mots et/ou symboles à ajouter. Il peut être intéressant de questionner les raisons de ces propositions, de la signification des symboles soumis. Proposer au groupe - et expliquer si nécessaire - la citation suivante : « L’égoïsme n’est pas de vivre comme on le souhaite, c’est d’exiger des autres qu’ils vivent comme on le souhaite. [...] L’égoïsme vise constamment à créer autour de lui une uniformité totale. L’altruisme considère qu’une diversité infinie est une merveille ; il l’accepte, l’approuve et s’y complaît. » Oscar Wilde, L’âme humaine
Recueillir les avis, impressions, les commentaires…
Nombre de participants De 5 à...
De 1h à 1h30
D e s t in s d e f e mm e s Introduction Chaque époque et chaque culture développent leurs propres représentations de la féminité, ses modèles et ses égéries. Au-delà des considérations purement esthétiques, ces représentations véhiculent les valeurs et idéaux de leur époque. Par l’observation, la comparaison, l’échange et la réflexion, nous vous invitons - ici - à questionner les représentations du féminin.
Objectifs o o Développer la conscience d’un rapport étroit entre l’image des femmes et le contexte de sa production. o o Questionner le rapport entre représentations et émancipation des femmes. o o Identifier quelques-unes des grandes figures féminines et les transgressions assumées par ces femmes.
Matériel o o Une photo ou une reproduction de la statuette de la Vénus de Willendorf (disponible sur internet). o o Cette activité peut également se faire lors d’une sortie en groupe dans un musée.
Public Jeunes à partir de 14 ans et adultes
fiche N° 5
Durée
Déroulement de l’activité
De 1h à 1h30
1 Afficher ou distribuer les reproductions de la Vénus de Willendorf et poser au groupe la question suivante : « Que suggère cette statuette - datant de 23.000 ans avant Jésus Christ - sur le féminin ? » 2 Laisser aux participants le temps d’écrire - chacun pour soi - une ou deux phrases. 3 Facultatif Proposer une autre image et inviter les participants à écrire une ou deux phrases sur ce que leur évoque la comparaison entre les deux représentations. Photos et/ou reproductions de représentations artistiques et/ou populaires du féminin disponibles en bibliothèque, découpées dans des magazines ou glanés sur internet. Il peut s’agir d’œuvres de peintres célèbres tels que Mucha, Ingres, Gauguin, Renoir…, de personnages de bandes-dessinées, de publicité, de pin-up des années ‘40, de personnages célèbres,… 4 En sous-groupes de 4, échanger les points de vue et proposer une synthèse de groupe. 5 Mise en commun avec le reste du groupe. 6 Proposer ensuite au groupe un temps d’échange et de réflexion sur base des questions suivantes : Qu’est-ce que pour vous la féminité ? D’où nous viennent nos idées, nos représentations à ce propos ? Quelles sont les femmes qui ont marqué notre histoire et pourquoi sontelles importantes ? Ces femmes étaient-elles conformes aux représentations féminines de leur époque ? 7 Les représentations de la féminité modèlent-elles l’attitude des femmes ? Et, en retour, les attitudes des femmes agissentelles sur une éventuelle évolution de ces représentations ?
Nombre de participants De 5 à...
Q u e lq u e s m o m e n t s c lé s p o u r l e s f e mm e s dan s l’ h i s to i r e b e lg e 1900 La femme mariée peut déposer de l’argent à la caisse d’épargne et faire des retraits de moins de 100 francs sans autorisation maritale. Elle peut percevoir son salaire (jusque 300 francs par an) sans le concours de son mari et en disposer pour les besoins du ménage.
1908 La loi du 6 avril 1908 autorise la recherche de paternité pour enfants nés hors mariage sauf si le père supposé est un homme marié.
1912 La loi du 15 mai 1912 abolit le « droit de correction paternelle » et prévoit la déchéance de la puissance paternelle pour les parents condamnés pour des faits de mœurs ou de violence sur leur enfant.
fiche N° 6
1919-1921 Un nombre limité de femmes (veuves de guerre, anciennes prisonnières de guerre…) obtiennent le droit de vote aux élections législatives et provinciales. Toutes les femmes obtiennent le droit de vote aux élections communales. Elles deviennent éligibles à tous les niveaux politiques.
1922 Les femmes obtiennent le droit d’accéder à la profession d’avocat.
1923 Loi interdisant la « propagande anticonceptionnelle », à savoir la « publicité » des moyens contraceptifs et de l’avortement.
1932 La femme mariée peut disposer, administrer et jouir des « biens réservés », indépendamment du régime matrimonial.
1946 Les femmes ont accès à la magistrature.
1948 Les femmes obtiennent le droit de vote aux élections législatives et provinciales.
1957 La Belgique ratifie le Traité de Rome. L’article 119 énonce le principe de l’égalité des salaires entre hommes et femmes.
1958 Suppression de la notion de puissance maritale. On introduit d’importantes limitations à l’incapacité juridique de la femme.
Les femmes peuvent travailler sans l’autorisation de leur mari mais nombre de dispositions discriminatoires à l’égard des femmes subsistent. Le père n’est plus automatiquement considéré comme le chef de famille. Les parents exercent ensemble l’autorité parentale mais en cas de désaccord, la décision du père reste prépondérante.
1968 Soulèvement populaire de mai 1968.
1969 La loi sur les contrats de travail interdit aux employeurs de licencier une femme pour cause de grossesse ou de mariage.
1970 Mixité dans l’enseignement officiel rendue obligatoire.
1971 L’égalité est appliquée aux allocations de chômage.
1973 Loi interdisant la publicité des moyens contraceptifs est abrogée.
1974 Loi sur l’égalité parentale accorde les mêmes responsabilités au père et à la mère en ce qui concerne l’éducation et la gestion des enfants. Notion d’ « autorité parentale conjointe ».
1975 Une convention collective de travail est conclue au niveau national en ce qui concerne l’égalité salariale entre hommes et femmes.
1976 La réforme des régimes matrimoniaux assure l’égalité effective entre époux. Les femmes peuvent ouvrir un compte bancaire sans autorisation maritale.
1978 Une loi impose l’égalité des salaires entre hommes et femmes en Belgique.
1990 Loi dépénalisant partiellement l’avortement.
1993 Les femmes peuvent accéder au Trône de Belgique.
1998 La loi du 23 novembre 1998 introduit un régime de cohabitation légale.
2001 Loi interdisant en Belgique les mutilations génitales pratiquées sur des personnes de sexe féminin (excision).
2002 L’égalité entre hommes et femmes est inscrite dans la constitution.
2003 La loi du 30 juillet 2003 autorise le mariage entre personnes du même sexe.
2006 L’homoparentalité est reconnue et les couples de même sexe peuvent adopter un enfant.
glo s sai r e Ali Aarrass Il s’agit d’un belge-marocain ayant grandi et travaillé en Belgique et qui, en 2005, alors qu’il avait 47 ans, décide d’aller vivre à Melilla - sa ville natale - où il s’installe avec sa famille. Melilla est une enclave espagnole dans la région du rif marocain. Ali se fait arrêter par la police espagnole en 2008, à la demande de l’état marocain. Il semble que cette arrestation fasse suite à une dénonciation. Un prisonnier marocain (qui n’a jamais vu Ali Aarrass et qui s’est d’ailleurs rétracté depuis), aurait cité son nom lors d’aveux obtenus sous la torture. L’état espagnol a libéré Ali Aarrass estimant que son dossier était vide. Le Maroc demande son extradition, obtient gain de cause et, Ali est emprisonné à la prison de Rabat-Salé où il subit de violentes tortures. Il est soupçonné d’avoir participé à l’organisation des attentats de 2003, à Casblanca. Amnesty International a mené une campagne demandant de stopper la torture. Juan Méndez rapporteur de L’ONU pour les cas de tortures a pu rencontrer Ali Aarrass et confirmer l’existence des traces de torture. Le 21 mai 2014, le Maroc annonçait l’ouverture d’une enquête… L’affaire est toujours en cours et Ali est toujours en prison.
Benti Expression qui apparaît souvent dans le spectacle « Ici Mimouna » et qui signifie « ma fille ».
CBM La convention belgo-marocaine du 17 février 1964 relative à l’occupation de travailleurs marocains en Belgique.
fiche N° 7
Double peine C’est une mesure qui est prononcée par le Ministre de l’Intérieur ou par le Roi. Il ne s’agit donc pas d’une peine en tant que telle. La mesure d’expulsion n’est pas prononcée par un juge à la suite d’un débat contradictoire. Cette mesure vise à expulser l’étranger délinquant vers son pays dit “d’origine”. On parle dans ce cas d’un bannissement qui est prononcé pour une durée de 10 ans et exécuté après la peine de prison. Pour la personne concernée et pour son entourage, cette mesure est vécue comme une sanction qui s’ajoute à la détention, une double peine donc.
Droits dérivés La fiche qui reprend quelques moments clés pour les femmes dans l’histoire belge, vous permettra de mieux comprendre de quoi il s’agit. Le droit belge n’a pas toujours reconnu la femme en tant qu’égale de l’homme. Les femmes marocaines arrivées dans le cadre du regroupement familial ont donc bénéficié du même statut que les femmes belges, celui d’épouses à charge de leur mari. N’ayant pas le droit de travailler en Belgique
(jusque 1967), ces femmes n’avaient aucune source de revenus. Elles dépendaient complètement de leur mari. Ce statut est comparable à celui d’un enfant qui est considéré comme personne à charge de ses parents. Cette dépendance peut poser problème lorsque la femme ne peut s’appuyer sur aucun réseau familial, le sien étant au loin, dans les situations de violence conjugale.
Émir Kir Émir Kir est le fils d’immigrés turcs qui étaient arrivés en Belgique dans les années soixante pour travailler à la mine. Né en 1968 à Charleroi, il rejoindra les rangs du parti socialiste belge en 1995. Il habite la plus petite commune bruxelloise - SaintJosse-ten-Noode dont il devient le bourgmestre en 2000. Devenu très populaire en région bruxelloise, cet homme politique accèdera au pouvoir régional lors des élections de 2004. Émir Kir revient comme Bourgmestre à Saint-Josse-ten-Noode, Le 7 décembre 2012.
Joëlle Milquet Femme politique belge née le 17 février 1961 à Montignies-sur-Sambre (Charleroi). En 1990, Joëlle Milquet deviendra secrétaire politique du
groupe PSC (Parti Social-Chrétien) au Sénat puis présidente du PSC qui adoptera un nouveau projet sous le nom de CDH (Centre Démocratique Humaniste).
GRAPA Il s’agit de la Garantie de Revenus Aux Personnes Âgées. C’est une aide financière de compensation octroyée à la personne isolée ayant droit à une petite pension. Lorsque le montant de la pension légale est inférieur à 1.000€ par mois, un complément est prévu par le régime des pensions. L’octroi de cette aide de compensation est conditionnée au fait que la personne âgée réside en Belgique alors que, dans le cas de la pension légale, la personne peut résider hors de la Belgique tout en continuant à percevoir sa pension (montants réduits). Pour les personnes bénéficiant d’une GRAPA, il est interdit de quitter le territoire plus de 29 jours consécutifs. Cette règle complique les déplacements des personnes qui ont une famille ou un réseau de relations hors du territoire. En termes de prévention de la solitude et d’un ensemble de troubles associés à la situation d’exil, cette règle n’est pas adaptée. Le mieux-être des personnes est
souvent lié au fait de pouvoir vieillir entourées, dans un climat adapté, avec des modes de vie conformes aux besoins (vie communautaire, règles d’hygiène et d’alimentation conformes au culte, …).
Mimouna En Arabe, ce prénom signifie « la chanceuse ». Il a été choisi par l’auteure parce que son personnage ne se plaint jamais malgré tous les obstacles qui se sont posés sur sa trajectoire. C’est un trait de caractère que l’on retrouve souvent chez les femmes de cette communauté. Mais il y a aussi une autre signification à ce mot. La Mimouna est une fête populaire qui se célèbre chez les Juifs originaires d’Afrique du nord et particulièrement du Maroc. Au lendemain du 7ème jour de Pessah la tradition consistait à célébrer la cuisson de la première pâte au levain à l’issue de Pessah. Cette tradition marque la rupture avec la Pâque, pendant laquelle les juifs ne mangeaient qu’à la maison afin de diminuer le risque de consommer des aliments contenant de la levure, par inadvertance. En ouvrant tout grand les portes de leurs maisons le soir et en accueillant les voisins chez eux, les membres
de cette communauté signifiaient à leurs voisins que cet isolement n’était que le fait d’un respect de la religion et non d’une querelle. Il existe d’ailleurs une très belle tradition de voisinage au Maroc où le premier pain introduit dans la maison après Pâque est offert par les voisins musulmans qui l’apportent à leurs voisins juifs. Lors de la Mimouna, il est d’usage de préparer des mets à base de farine (couscous et moufleta), prohibée pendant toute la durée de Pessah.
Moudawana Code du statut personnel marocain qui constitue le droit de la famille marocain. Codifié en 1958 sous le règne du roi Mohammed V, ce code a été amendé une première fois en 1993 par Hassan II, puis révisé en février 2004 par le Parlement marocain et promulgué par le roi Mohammed VI le 10 octobre 2004. Cette dernière révision améliore entre autres les droits des femmes et permet d’espérer des évolutions.
Ziana Ce terme est utilisé au Maroc pour désigner l’accompagnatrice de la future mariée. Chargée des préparatifs (costumes, maquillage, henné,…) dans le respect des traditions, la ziana restera aux côtés de la jeune mariée durant les trois jours de célébration. Elle peut - dans certains cas - devenir une confidente ou une alliée précieuse pour informer la jeune femme autour d’aspects plus intimes en relation avec la nuit de noce.
Zoufris Ce terme était utilisé par les marocains de première génération qui tentaient de prononcer « les ouvriers » - les zoufris - pour parler de leur profession. Les ouvriers de la mine vivaient entre hommes et logeaient dans des baraquements de fortune. Le terme a fini par désigner le mode de vie des hommes célibataires.
50 ans de prĂŠsence fĂŠminine marocaine en Belgique