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Alors on danse
Aujourd’hui, 114 personnes suivent à l’année les cours de l’école de danse d’Anniviers. Leur nombre a même atteint 150 certaines années. Depuis sa création, l’école a triplé la quantité de ses élèves. Comment expliquer cet immense succès dans une vallée où la tradition donne plus d’importance au chant qu’à la danse ?
Le chant est profondément ancré dans la culture anniviarde : c’est un lien social très puissant, comme en témoignent le nombre incroyable de sociétés de musique et de chant, ainsi que le succès constant du karaoké dans les soirées, les bars ou les fêtes privées. Après un verre ou deux, les voix s’élancent toutes seules. Musique devrait rimer avec danse… et pourtant cette expression par le mouvement a eu des difficultés à trouver sa place dans la vie des Anniviards. Comment expliquer cela ? La danse a longtemps été considérée comme un péché sauf si elle était dédiée à l’adoration de Dieu. Danser pour louer Dieu était acceptable, mais pas guincher pour le plaisir ou pour attirer l’attention sur soi, car il était entendu que notre corps appartenait à Dieu. La danse était considérée comme une source de tentation, pouvant éveiller la convoitise amoureuse hors mariage. Toute danse qui suscitait des désirs en soi-même ou en quelqu’un d’autre était perçue comme un péché. Se trémousser à deux était donc tout spécialement déconsidéré. Mais malgré l’interdiction religieuse, les jeunes d’autrefois se cachaient dans les mayens pour danser, au son de la musique à bouche (harmonica), et/ou de l’accordéon, organisant des soirées secrètes et espérant que les parents n’en sauraient rien... ça réussissait parfois. Dans le cas contraire, ils étaient dénoncés au curé qui leur faisait la morale publiquement à la messe du dimanche. Les danses qui ont réussi à percer le carcan religieux sont des danses de groupe où la distance entre les personnes était assurée, comme le picoulet de la Fête-Dieu.
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L’immense succès de l’école de danse est donc le signe d’une profonde révolution des mentalités anniviardes. La culture s’affranchit doucement des carcans et s’ouvre au monde. Le corps se libère et s’exprime. La danse retrouve son innocence. Elle est à nouveau une ode à la vie, à la beauté, au mouvement et à la nature. Elle ne porte plus la marque du diable. Lorsque la danse a commencé à se faire une place dans la société anniviarde, elle était collective, et non pas en couple ou individuelle. Les gestes, traditionnels, obéissaient à des mouvements codés. Puis, lentement, cette danse folklorique s’est faite plus rare, réservée à des moments spécifiques. Des danses aux formes multiples ont débordé les cadres imposés et se sont immiscées dans la vie courante, à travers les fêtes de village, sous la pression du monde extérieur et grâce à l’afflux de nouveaux habitants d’origines diverses. Aujourd’hui, la danse est devenue une activité à la mode, propulsée en avant par les réseaux sociaux, les clips et la rapidité des échanges. Le lien entre la danse et les racines s’estompe au fur et à mesure que la culture devient planétaire. Comme le propose Anne-Sophie Theytaz, un joli défi serait de mettre tradition et modernité en synergie… par exemple avec une danse traditionnelle sur TikTok ? En Anniviers, certains peinent à faire le pas de prendre des cours, malgré leur envie. Pour cela, l’école de danse a lancé fin 2022 des Apéro danse pour adultes, un cours sur une soirée où un type de danse, comme la salsa ou la bachata, est enseigné, suivi d’un apéritif lors duquel on peut continuer à danser, ou juste boire un verre. Beaucoup de gens se déplacent pour participer à ces apéros d’un nouveau genre.

L’école de danse, mais qu’est-ce que c’est?
L’école fut créée en 2013 par Anne-Sophie Theytaz. À la demande de plusieurs parents, elle se lança dans l’organisation d’une nouvelle structure, mit en place des plannings, un logo, un règlement, … Depuis, le nombre de cours n’a cessé d’augmenter et aujourd’hui, l’école propose treize cours de danse pour tous les âges et deux cours de babygym. L’activité s’étend sur une période de dix mois. Pour les jeunes, les cours de danse sont devenus une activité parascolaire ancrée. L’école a trouvé sa place dans le paysage culturel de la vallée en proposant un spectacle annuel, ainsi qu’en se représentant à la fête du village de Vissoie et à la remise des prix de Sierre-Zinal. Dernièrement, les élèves ont même présenté une chorégraphie pour les trois remises de prix des coupes d’Europe de ski alpin.
Des spectacles, des émotions
La création du spectacle annuel est un processus long et délicat. Anne-Sophie commence par réfléchir à un nouveau thème chaque été, puis elle se lance dans le travail de recherche des musiques pour les premières chorégraphies de chaque groupe. C’est une tâche qui requiert beaucoup de patience, car il faut trouver 26 musiques différentes qui doivent plaire aux danseurs et coller au thème, mais aussi être inspirantes et pas trop ardues à danser et à chorégraphier. Anne-Sophie cherche parfois pendant six heures pour dénicher une seule musique ! Elle crée ensuite les chorégraphies, imagine un fil conducteur qui relie toutes les danses entre elles et choisit les costumes : un travail de création intense entièrement réalisé dans l’ombre, en parallèle des cours de danse. Reste encore à prévoir toute la logistique de l’organisation du spectacle (lumière, scène, coulisses, vidéos, photos, bénévoles, …) pour être prêts début mai. Le spectacle annuel est présenté deux soirs et attire environ 700 personnes, dont les familles des élèves, mais aussi d’autres gens de la vallée et de la plaine. Pour Anne-Sophie, « le plus beau moment a été le spectacle sur les émotions en 2019. Je n’ai jamais été si émue, autant par le témoignage des gens qui ont ouvertement parlé de leurs émotions dans le fil conducteur du spectacle, que par l’émotion que les danseurs dégageaient. Deux danses m’ont particulièrement touchée : la première est celle où huit papas ont dansé avec leurs filles respectives sur la chanson Un père de Chimène Badi, pour symboliser l’amour d’un père à son enfant. C’était émouvant de voir la complicité dans les yeux des pères et de leurs filles. Et la deuxième danse qui m’a bouleversée avait pour thème le harcèlement : c’est la première fois que j’ai pleuré en cours, car les paroles de la chanson étaient tellement fortes et les filles qui dansaient l’ont interprétée avec tellement de sincérité, que j’ai été saisie d’une profonde tristesse. D’ailleurs, beaucoup de spectateurs ont été émus eux aussi, car on traitait de thèmes joyeux comme le mariage, l’amour, l’amitié ou le désir, mais aussi d’épreuves tristes comme le deuil, le divorce, la dépression ou l’anorexie. J’avais aussi demandé à une douzaine d’hommes (la plupart pères d’élèves) de danser sur un thème pas évident : le désir. J’ai trouvé incroyable que ces hommes jouent le jeu, je crois même qu’ils étaient les premiers surpris d’oser faire ça. Lors de la deuxième représentation sur scène, en pleine chorégraphie, je les ai tous vu porter la main au col de leur t-shirt. Je me disais : « Mais qu’est-ce qu’ils font ? Ce n’est pas prévu qu’ils mettent les mains là ! » Et tout à coup, ils ont déchiré leurs t-shirts devant tout le monde… Le thème s’y prêtait totalement. J’ai d’abord été surprise, puis morte de rire, et j’ai trouvé génial qu’ils se prêtent autant au jeu, au point d’improviser ça. Je ne vous explique même pas la tête des danseuses sur scène qui, en plus de ne pas être au courant de cette mise en scène, ont dû continuer de danser comme si tout était normal ! »
Des projets plein la tête Anne-Sophie ne manque pas de projets, même si elle manque de temps pour tous les réaliser. Son cerveau est un bouillon d’idées en permanente évolution. Son rêve serait d’avoir une belle salle de spectacle, avec des gradins et une grande scène aménagée, avec sonorisation et éclairage. Elle ne servirait pas qu’à la danse, mais pourrait aussi accueillir les spectacles de chant, les concerts de la fanfare, ou des représentations théâtrales… Un autre de ses projets serait d’ouvrir un cours de danse dédié aux aînés, en mélangeant les générations : « Par exemple, je trouverais génial d’avoir dans un cours un grand-papa ou une grand- maman avec sa petite-fille ou son petitfils, au moins le temps d’une danse. Ce serait enrichissant, un moment magique de partage pour tous les deux. » Il serait intéressant aussi d’intégrer la danse au cursus scolaire des jeunes, au même titre que la musique, le chant ou les autres sports. L’école de danse voit grand pour 2023 : un spectacle sur le thème de la danse autour du monde ainsi qu’une grande représentation pour la 50ème édition de Sierre-Zinal lors de la remise des prix. Anne-Sophie voudrait aussi développer les Apéro danse pour adultes le samedi soir ou mettre en place des stages courts de découverte de danses du monde, comme l’afrodance, le latino, le breakdance ou le hip hop. Mais ce dernier projet se heurte à la difficulté de trouver des enseignants d’accord de se déplacer jusqu’à Vissoie. Peu importe, le parcours de l’école de danse a toujours été jalonné d’écueils: « Il a eu de grosses difficultés, mais il y a eu surtout des solutions. Chaque obstacle a été une opportunité de voir ou de faire les choses autrement, de se remettre en question. Dans l’organisation d’un évènement, il y a toujours des obstacles ou des imprévus à surmonter, ça fait partie du jeu. Actuellement, la difficulté qui revient chaque année est l’aménagement des plages horaires. C’est de plus en plus compliqué, en raison du nombre d’élèves qui augmente, et surtout parce que j’essaie de prendre en considération les autres activités parascolaires et les horaires des bus. L’autre difficulté, très spécifique à la vallée, est de garder les élèves lorsqu’ils « quittent » la vallée pour aller au collège, à l’université ou en apprentissage. Ils descendent en plaine, découvrent d’autres choses, se font d’autres amis, certains logent en bas car c’est plus pratique, et il est donc plus difficile pour eux de poursuivre la danse à Vissoie. »
Et même un film !
« Pendant le confinement, je faisais des vidéos que j’envoyais sur tous les groupes WhatsApp de danse que j’avais. En mai 2020, alors qu’on ne pouvait pas, à cause des restrictions liées au covid, faire le spectacle dont le thème était Danse à travers les générations, j’ai demandé à tous les élèves de solliciter leurs parents ou leurs grands-parents pour savoir quelle était leur musique préférée, puis de créer une chorégraphie dessus et ensuite de me l’envoyer pour la partager avec les autres élèves, afin qu’on puisse vivre quelque chose ensemble malgré la distance. Après ça, on a repris les cours comme on a pu (en présentiel avec les masques pour certains, par zoom pour d’autres). Ce n’était pas idéal du tout. Par visio, la connexion coupait, le son n’était pas toujours bon, mais j’ai essayé de proposer quelque chose. Puis s’est approché gentiment le moment de prendre une décision concernant le prochain spectacle, celui de mai 2021. Je n’avais pas annulé, juste reporté d’une année, le spectacle de 2020. Il était hors de question pour moi de le reporter une fois de plus ou de juste l’annuler. Je voyais que les enfants étaient tristes en cours, et ils me disaient : « Mais on va pouvoir le faire le spectacle, cette fois, hein ? » Ils avaient besoin de croire en quelque chose car cela faisait des mois qu’on faisait des allers-retours avec les restrictions covid. J’ai créé un petit comité pour m’aider à trouver des solutions, qui a majoritairement pensé que l’idée de faire un film était très bonne. J’ai donc commencé l’organisation du tournage du film Danse à travers les générations, avec l’idée de faire danser les 140 élèves répartis en 26 chorégraphies dans 26 lieux différents du val d’Anniviers. Cela permettait de mettre en valeur des lieux de notre vallée sous un aspect différent : en danse et en musique. Le film n’était réalisable, au niveau budget, qu’avec l’aide d’un crowdfounding et à la condition de tourner toutes les scènes en quatre jours, ce qui a pu être réalisé avec l’accord du comité directionnel du centre scolaire d’Anniviers et de chaque parent
(car on devait sortir les enfants de l’école). C’était très compliqué à organiser et les conditions du tournage étaient difficiles, à cause du froid, de la grêle, ou même de la peur, par exemple sur le pont suspendu. Et il ne faut pas oublier que les danseurs étaient principalement des enfants, ce n’était pas la même chose que de travailler avec des adultes. Ils ont su faire preuve d’énormément de courage. L’autre obstacle était de parvenir à combiner les 26 lieux différents et les 140 élèves, sur un tournage de quatre jours. Pour chaque danseur, on devait savoir où aller le chercher, où le ramener et qui s’en chargeait, soit 280 trajets à planifier. A cela s’ajoutaient environ 350 costumes à répartir dans les différents lieux de tournage. Heureusement, de nombreux parents nous ont aidés. Ce fut une expérience incroyable et unique. On a dansé dans une étable avec les vaches, dans la neige, sous la grêle, dans le froid, dans une cabine des remontées mécaniques, au soleil, ou encore sur le pont suspendu… je pense que cela restera un moment hors du commun, aussi bien pour moi que pour chaque danseur. Après les tournages et le montage, comme on ne pouvait toujours pas se retrouver en salle, on a décidé, avec l’aide d’Anniviers Tourisme, de diffuser le film sur un écran géant à la patinoire de Vissoie en septembre. Ce n’était pas la même chose qu’un vrai spectacle, mais c’était super de se retrouver en communauté. »
La danse, une discipline plus qu’un sport

« En plus d’être une activité parascolaire, la danse développe certaines compétences. D’ailleurs, on ne parle pas de sport, mais d’une discipline. On ne vient pas en cours habillé n’importe comment et on respecte chacun. On apprend la tenue du corps, à maitriser et à comprendre les mouvements, la coordination. Le spectacle est une étape importante. On doit apprendre à assumer son image, car sur scène on est exposé à la vue de tous. On doit gérer le stress, quel que soit son âge (on le voit déjà chez les plus petits de 5 ans, quand ils nous disent « je dois faire pipi » ou « j’ai un peu mal au ventre » juste avant d’entrer sur scène). On apprend à se dépasser et à sortir de sa zone de confort. La danse permet de travailler aussi d’autres aspects que le sport, le rythme et la coordination. On travaille l’image de soi, la complicité, l’entraide, la transmission d’émotions à travers le mouvement, ainsi que le respect du corps de l’autre lorsqu’on danse à deux. J’aime prendre le meilleur de chacun pour que le résultat soit bénéfique au groupe. C’est aussi une notion intéressante et cela permet à l’élève d’avoir une bonne estime de lui-même, car il se sent valorisé. Chacun peut apporter sa contribution au groupe. La danse est aussi une école de persévérance : « Une année, dans un des groupes, je me suis retrouvée avec trois filles qui avaient la jambe cassée (mais pas à cause de la danse !) Elles étaient tellement motivées par la danse et le spectacle qu’elles n’ont loupé aucun cours. D’abord, elles se sont assises dans le coin de la salle, à prendre des notes pour apprendre les pas de la chorégraphie. Puis, avec leurs béquilles, elles ont marqué leur place pour apprendre les déplacements. Ensuite, elles ont rajouté les pas petit à petit, au fur et à mesure de leur rééducation. Normalement, une blessure de ce type ne permet pas d’apprendre une chorégraphie en si peu de temps, mais elles ont fait preuve d’une énorme volonté et j’admire cet engagement. »
Les garçons aiment la danse Lorsque l’école de danse a été créée, aucun garçon ne participait. Aujourd’hui, huit garçons suivent les cours. Les mentalités évoluent. La mixité permet de créer des dynamiques intéressantes au sein des groupes. De plus, Anne-Sophie sollicite des garçons de la vallée extérieurs à l’école de danse pour participer au spectacle, soit dans une partie théâtrale entre les danses, soit pour jouer un rôle masculin dans une chorégraphie : « Cela les amuse bien je crois, vu qu’ils reviennent régulièrement. L’année passée ils étaient une quinzaine de jeunes dont une dizaine de garçons à prendre part au spectacle. » Alors Messieurs, ne soyez pas timides, et entrez dans la danse !
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