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EN VUE
from IC LE MAG #19
by 656 Editions
Tous visuels © Lichen / Les Passeurs
PASSEUR DE SAVOIRS DURABLES Sa parole est rare et pourtant précieuse. En déconstruisant plusieurs de nos savoirs et de nos idées reçues sur le sujet de l’impression durable, Camille Poulain, fondatrice de l’agence LICHEN, spécialisée dans la création éditoriale éco-conçue, fait bouger les lignes. Son dernier combat, pour la nouvelle revue LES PASSEURS, en est un exemple parfait. Cécile Jarry
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Camille POULAIN, fondatrice de l’agence Lichen
«À chaque fois que j’entends quelqu’un énoncer fièrement “Imprimé sur un papier issu de forêts gérées durablement”, je me dis, oui et alors ? C’est juste la base, non ? Évidemment c'est important, indispensable, incontournable. Mais justement, cela devrait être un non-sujet. Aujourd’hui, ça ne devrait pas être à ceux qui utilisent du papier qui n'est pas issu de déforestation sauvage d'être fiers, mais aux quelques-uns qui n'en utilisent pas d'avoir honte ! ». Camille Poulain est une personne discrète, mais qui ne mâche pas ses mots. Avec la directrice de création Marine Pacoret, elle a créé Lichen, une agence de création éditoriale éco-conçue, dont l’une des activités favorites est de passer au crible la fabrication d’imprimés existants pour la rendre plus responsable. Plus largement, Lichen accompagne les PME, associations et petits éditeurs de livres et de presse engagés, dans leurs projets de communication durables. Parmi eux, le tout nouveau magazine Les Passeurs qui, pour son deuxième numéro, souhaitait « faire mieux » que pour son premier opus en termes d’impression, comprendre « imprimer plus durablement ».
FAIRE UN MAGAZINE RAISONNÉ... VASTE PROGRAMME « Les Passeurs, c’est un magazine de prospective sur les futurs possibles de la montagne. Un exercice passionnant de projection. Des articles sérieux, instructifs, bourrés d’infos, avec un ton qui rend le tout facile à lire et à comprendre. Bref, à lire absolument quand on est amoureux de la montagne ! Le numéro 1 est paru début 2021 et le numéro 2 vient de sortir. Depuis le début de l’aventure, l’équipe voulait que le contenant soit raccord avec les idées prônées dans le contenu. Elle a donc cherché quelles étaient les bonnes pratiques à mettre à œuvre pour imprimer le magazine », résume Camille Poulain. « Et ce fut loin d’être aussi simple que nous avions pu l’imaginer, indique, de son côté, Anne Gallienne, une des co-fondatrices des Passeurs. Nous baignions dans un flou artistique complet et on s’est très vite rendu compte que pour faire de l’impression responsable aujourd’hui, il ne suffisait pas de prendre un papier recyclé et de choisir un imprimeur local ! Pour un jeune magazine comme le nôtre, faire face à des process industriels bien en place a été très compliqué, mais nous avons beaucoup appris... et nous continuons à apprendre ».
LE PAPIER RECYCLÉ ? PAS FORCÉMENT L’IDÉAL Pour le premier numéro, Les Passeurs, dans leur envie de bien faire, avaient choisi d’imprimer le magazine sur un papier recyclé - le Cyclus - auparavant fabriqué en France par Arjowiggins, mais qui, depuis la fermeture de l’usine et la reprise de la référence par Antalis, l’est désormais en Allemagne et en Autriche. « Ce qui est problématique, car il s’agit de deux pays à la production d’énergie très carbonée, impliquant des émissions de CO2 importantes lors de la fabrication. De plus, le papier recyclé a déjà souvent à son actif un bilan carbone peu glorieux, car les papiers à recycler traversent l’Europe de part en part pour être livrés sur leur lieu de recyclage, pour ensuite en revenir, analyse Camille Poulain. Par ailleurs, le Cyclus est un papier qui boit énormément, il a donc besoin d’un fort taux d’encrage. Or, pour imprimer le magazine, l’imprimeur avait opté pour une impression en noir, avec deux Pantone, dont un fluo. Les Pantone ne sont pas des encres écologiques. Elles sont composées sur une base d’huile minérale, avec des pigments très chimiques ».
Autre point d’amélioration : le choix de la technique d’impression. En l’occurrence, de l’offset HUV. « Cette technique, prisée par les imprimeurs, intègre un séchage instantané des encres après impression, au moyen de lampes LED, l’objectif étant d’optimiser la production en gagnant du temps sur le séchage. Le problème, c’est que les encres UV sont polymérisées en séchant et forment ainsi une couche solide sur le papier, ce qui rend les imprimés très difficiles à désencrer et donc à recycler, si ce n’est pour faire du papier-toilette », décrypte Camille Poulain.
UN ENJEU AUSSI POUR LA DIRECTION ARTISTIQUE « Durant l’élaboration de notre premier numéro, notre directeur artistique, Christophe Peter du studio Wanaka, s’est rendu compte qu’à son niveau, il avait aussi un rôle important à jouer. Que ce soit au niveau de la maquette des articles, en évitant par exemple les aplats qui nécessitent l’utilisation de beaucoup d’encre, ou celui des formats utilisés, afin d’éviter par exemple d’avoir trop de chutes de
Les Passeurs, c’est un magazine passionnant, qui imagine la vie en montagne demain. Il est destiné à tous ceux que la montagne attire. Au sommaire du numéro 2 : La montagne zéro carbone, mode d’emploi. Disponible à l’achat en ligne et dans une sélection de très bonnes librairies. Pour en savoir plus : www.lespasseurslemag.com
papier, révèle Anne Gallienne. Pour le second numéro, Camille nous a aussi préconisé de passer en simple bichromie, avec un noir et un Pantone, ce qui a été un nouveau challenge pour Christophe ». « On peut, bien sûr, se demander pourquoi avoir fait le choix de garder un Pantone plutôt que de le supprimer totalement. Tout est question de balance, de choix et d’équilibre. Rendre un imprimé plus responsable ne signifie pas d’oublier l’âme originelle du projet. Ni, non plus, de chercher à être parfait, ce qui est impossible. En matière d’encre, comme pour beaucoup de choses, c’est surtout l’accumulation qui est nuisible : quadri plus Pantone. Dans le cas d’une bichromie, la quantité d’encre utilisée sera inférieure », argumente Camille Poulain. Évidemment, l’encre noire préconisée par l’experte fut une encre à base d’huile végétale, certifiée par les très reconnus et exigeants labels Blue Angel et Nordic Ecolabel, mais également Cradle-to-Cradle. En accord avec le studio Wanaka, il a également été décidé de fixer le noir à 90 % au lieu de 100 %, ce qui
« DURANT L’ÉLABORATION DE NOTRE PREMIER NUMÉRO, NOTRE DIRECTEUR ARTISTIQUE S’EST RENDU COMPTE QU’À SON NIVEAU, IL AVAIT AUSSI UN RÔLE IMPORTANT À JOUER, AU NIVEAU DE LA MAQUETTE OU DES FORMATS UTILISÉS »
Anne GALLIENNE, co-fondatrice des Passeurs
a représenté une baisse de consommation non négligeable. Une consommation d’encre bien inférieure, des économies d’eau - car moins d’encres, c’est moins de lavage pour la machine - et moins de plaques offset en aluminium... restait le choix du papier.
UN TRAVAIL D’ÉQUILIBRISTE « Pour l’intérieur, nous avons choisi un Munken Print White 1.8. Ce papier conserve l’aspect brut, un peu vintage, donné par le Cyclus au premier numéro, mais sans ses inconvénients. Il possède en effet une main importante, qui permet de réduire fortement le grammage, tout en conservant une belle épaisseur. Nous avons opté pour un 90 g. C’est également un papier qui offre un excellent rendu des couleurs et ne nécessite pas de vernis », détaille Camille Poulain. Cerise sur le gâteau, il a permis au magazine de gagner 107 g sur la balance et de basculer sous la fameuse barre des 500 g. Soit une belle économie d’émissions et de frais postaux ! Pour la couverture, le choix s’est porté sur un Arctic Volume White 300 g, très beau papier bouffant, couché, mais au rendu extrêmement mat. « Si nous avons sélectionné ces papiers, c’est également, et en grande partie, pour leur labellisation Cradle-to-Cradle. Il s’agit d’une certification et surtout d’une philosophie d’écoconception et d’économie circulaire que nous affectionnons particulièrement chez Lichen. Son principe est de faire du bien plutôt que faire moins mal », confie Camille Poulain. « L’impression du deuxième numéro a été confiée à un imprimeur implanté en Rhône-Alpes, le magazine étant lui-même largement savoyard. Le choix s’est porté sur l’imprimerie Chirat, qui imprime uniquement sur des presses Heidelberg en offset traditionnel, donc sans polymères », précise Anne Gallienne. « Éco-concevoir un imprimé, c’est un travail d’équilibriste, une balance constante entre l’écoresponsabilité, le budget et les contraintes inhérentes à chaque projet. Une réflexion non seulement sur l’objet imprimé, mais également sur le fait qu’il aura une fin de vie, pas forcément heureuse. Il est important que son impact reste le plus léger possible… même à ce moment-là », conclut Camille Poulain.
FLOORING LES SOLS SOUPLES
PRENNENT DE L’ÉPAISSEUR
Autrefois superbement ignoré par le monde de la décoration, le sol a désormais voix au chapitre, sous l’impulsion d’une offre florissante de revêtements. Au cœur de cette proposition enrichie, les sols souples se distinguent tout particulièrement : du PVC au linoleum, en passant par la LVT, ils rivalisent de qualité, d’imprimabilité et de responsabilité. Un trio de fabricants leaders, composé de Tarkett, Forbo et Gerflor, domine sans partage le marché français.
État des lieux. Bertrand Genevi
© Forbo
« POUR GAGNER EN RÉALISME, NOUS SCANNONS DES VRAIS MATÉRIAUX POUR CRÉER LES DESIGNS. CELA DONNE UN ASPECT PLUS AUTHENTIQUE POUR LES ESPACES DANS LESQUELS L’IMAGE PRIME, COMME LE RETAIL, LES BUREAUX OU L’HABITAT »
Pascale TRICHON, directrice commerciale grands comptes chez Tarkett
200millions de mètres carrés : voici la taille du marché des revêtements de sols en France. Le secteur du bâtiment s’y taille la part du lion, mais le marché résidentiel forme une proportion loin d’être négligeable. Au sein de la famille des revêtements, le segment des supports souples - également appelés sols résilients - représente un tiers du volume total. Ceux-ci peuvent prendre différentes formes : on y retrouve des types de produits aussi divers que les sols PVC, la LVT (Luxury Vinyl Tile) et le linoleum ainsi que, de façon très marginale, les supports en liège et en caoutchouc. Distribués en rouleaux, en dalles ou en lames, les sols souples ont grignoté d’importantes parts de marché sur les autres types de revêtements ces dernières années, notamment au détriment des sols stratifiés et des carrelages. Le marché français se montre plutôt dynamique dans l’ensemble, même si les fabricants ont souffert en 2020. Le contexte sanitaire a certes dopé les ventes de revêtements aux propriétés hygiéniques, mais un secteur de la construction en fort ralentissement a grevé la santé globale du marché. En revanche, le segment résidentiel a pris de l’ampleur, en particulier pendant les périodes de confinement, qui furent propices aux envies de changement de décoration intérieure. À l’instar de l’activité économique, l’heure est au rebond général depuis 2021, notamment sur le marché professionnel. Les secteurs de la construction et du retail ont en effet repris de la vigueur. Pascale Trichon, directrice commerciale grands comptes chez Tarkett, note même « une légère croissance par rapport à 2019 ». La responsable justifie cette bonne orientation : « Le sol souple est incontournable sur le marché des revêtements : c’est une solution qui a fait ses preuves, à la fois esthétique, fonctionnelle et dotée d’un rapport qualité-prix inégalé ».
© Tarkett
LA LVT, MOTEUR DU MARCHÉ
Les revêtements de sols souples connaissent une montée en gamme ces dernières années. L’essor de la LVT, des lames ou dalles vinyle haute performance, en constitue l’illustration. Ce support modulaire s’est installé petit à petit dans les espaces à fort trafic, tels que les bureaux, les commerces et l’hôtellerie. « La LVT a véritablement explosé dans les années 2000, mais elle continue encore aujourd’hui à tirer le marché des sols résilients », affirme Jean-Baptiste Demotes-Mainard, directeur de la communication corporate chez Gerflor. Les sols LVT séduisent, car ils combinent les vertus. À l’inverse des revêtements traditionnels en vinyle, qui se présentent sous forme de rouleaux, les dalles LVT sont indépendantes. Faciles à manipuler, elles s’installent et se remplacent aisément, de façon individuelle si besoin. Ce caractère éco-responsable se couple à un aspect haut de gamme et une grande durabilité induite par une résistance supérieure à l’usure et aux chocs. Une somme conséquente de qualités qui font de la LVT un produit très demandé pour les sols à visée décorative. La collection Allura Decibel de Forbo symbolise la nouvelle génération de LVT. Fruit de longues recherches, cette solution, de fabrication française, conçue sans phtalate (un composé chimique couramment utilisé dans le PVC, ndlr), est produite à partir d’électricité d’origine renouvelable. Sa technicité lui offre un confort acoustique de 19 dB, soit un niveau inférieur à celui d’un sol stratifié, et ses formats multiples garantissent des constructions variées. Enfin, ce produit est 100 % recyclable en fin
de vie. (suite page 26)
« AVEC L’IMPRESSION NUMÉRIQUE, NOUS POUVONS PROPOSER DES DESIGNS EXTRAVAGANTS, DANS UNE TENDANCE COURT-TERMISTE ET AVEC PLUS DE PERSONNALISATION, POUR LE SECTEUR DU RETAIL PAR EXEMPLE »
Jean-Baptiste DEMOTES-MAINARD, directeur de la communication corporate chez Gerflor.
© Gerflor
© Sophie Delaporte
CAS
D’ÉTUDE
UNE COLLABORATION ENTRE FORBO ET PHILIPPE STARCK
Le Flotex est un revêtement de sol hybride développé par Forbo, qui combine les qualités d’un sol PVC et les avantages d’un revêtement de sol textile. Doté d’une sous-couche, d’un envers et d’un dossier en PVC, ce produit se coiffe de fibres en polyamide. « Le Flotex, avec ses 80 millions de fibres par mètre carré implantées par flocage électrostatique, possède une densité dix fois supérieure à celle d’une moquette traditionnelle. Cela facilite les impressions de haute qualité », avance Jérôme Gautho, directeur général de Forbo. La technicité et le rendu premium de la solution ont convaincu le designer star Philippe Starck de s’associer à Forbo pour une collection capsule. Grâce à l’utilisation combinée de l’impression numérique et de la densité des revêtements de sols Flotex, la gamme propose des systèmes de motifs inédits qui jouent sur les échelles et les transitions, pour établir une nouvelle perception de l’espace et du revêtement de sol. Au-delà de Philippe Starck, Forbo a par ailleurs déjà collaboré dans le cadre de sa gamme Flotex avec le célèbre studio italien Ettore Sottsass et le pionnier du design textile Tibor Reich.
© Forbo
© Forbo
LE LINOLEUM, VERT AVANT L’HEURE
Autre produit phare des revêtements : l’emblématique et historique linoleum. « Le linoleum existe depuis 1860, c’est un produit vert avant l’heure », s’enthousiasme Jérôme Gautho, directeur général de Forbo, une entreprise née du regroupement, en 1928, de trois fabricants européens de linoleum. Le grand atout de cette matière réside dans sa composition, inchangée depuis sa création : matériau naturel et écologique, il se compose d'une toile du jute en sous-face et d'une enduction fabriquée à base d'huile de lin, de poudre de bois et de résine de pin. Annoncée en mars prochain, la nouvelle gamme de linoleum imaginée par Tarkett s’est déjà distinguée aux Muuuz International Awards 2021, un évènement qui récompense les produits les plus innovants de l’architecture et du design. Lauréate dans la catégorie « Agencements, matériaux et revêtements », le linoleum de la marque française aux 140 ans d’histoire a séduit le jury par ses caractéristiques environnementales responsables et sa centaine de coloris inspirés de la nature. Le linoleum détient également des propriétés inattendues, qui en font un revêtement de choix dans le monde de l’éducation, du sport et de la santé : il possède une double action antiseptique et antibactérienne reconnue, études scientifiques internationales à l’appui. Mais ce n’est pas tout. Le linoleum revêt un autre caractère intéressant : à la manière de la LVT, il s’agit d’une matière aisément imprimable.
« L’IMPRESSION NUMÉRIQUE PERMET DE LIVRER DE PETITES QUANTITÉS. NOUS SOMMES CAPABLES DE PRODUIRE 1 M2 COMME 3 000 M2 »
Jérôme GAUTHO, directeur général de Forbo
LA FINESSE DE L’IMPRESSION NUMÉRIQUE
La technicité et la performance des sols ont été historiquement érigées en valeur cardinale par les industriels. En grossissant le trait, toute considération sortant d’une réponse précise à des contraintes techniques appartenait à un domaine proche du superfétatoire. Mais cet état de fait a évolué. Depuis quelques années, la valeur et le potentiel esthétiques des sols sont reconnus. Ces derniers ont incontestablement gagné en importance sur le marché, sous l’impulsion du perfectionnement des technologies d’impression numérique. Tarkett, Forbo et Gerflor sont aujourd’hui tous équipés en interne d’un atelier d’impression sophistiqué. Utilisant les technologies UV ou Latex pour leurs productions, les fabricants renouvellent régulièrement leur parc technologique, pour profiter des dernières solutions. Des solutions qui leur offrent des rendus plus vrais que nature. « Notre dernière collection LVT ID Inspiration compte 100 références, qui sont réalisées pour la quasi-totalité en impression numérique. Pour gagner en réalisme, nous scannons des vrais matériaux pour créer les designs. Cela donne un aspect plus authentique pour les espaces dans lesquels l’image prime, comme le retail, les bureaux ou l’habitat », détaille Pascale Trichon. L’esthétique des sols se voit également renforcée par un autre bénéfice rendu possible par l’impression numérique : la non-répétition des motifs. Couplé à la matification de plus en plus nette des finitions, les vinyles deviennent bluffants de réalisme. À tel point qu’à l’œil, il est parfois difficile de faire le distinguo entre un sol souple imitant du bois, du marbre ou du béton et un sol en matière véritable.
LE SOL, MATIÈRE À CRÉATION
Cette qualité supérieure des revêtements aiguise l’appétit des architectes d’intérieur et des designers, qui explorent désormais les sols au même titre que les murs. Un virage qui n’était pas si évident selon Anthony Lebossé, directeur associé du studio de design 5•5 : « Nous sortons d’une longue culture d’habillage mural exclusif. Dans les églises, et même bien avant cela, dans les grottes préhistoriques, les sols étaient déjà négligés au profit des murs ! Mais le marché y prête de plus en plus attention, car il existe désormais des propositions plus riches qui nous permettent de nous exprimer. Cela crée de nouveaux réflexes d’appropriation de nos intérieurs. » Les fabricants de revêtements de sols répondent à cet intérêt croissant en intégrant des directions artistiques et des studios de création de plus en plus étoffés en leur sein. Des cahiers de tendances sont
© Tarkett
édités chaque année et deviennent des évènements attendus. Pour les définir, les marques parcourent le monde, des salons professionnels aux expositions, pour repérer des tendances globales en matière de design, d’architecture et de mode, et y puiser leur inspiration pour créer de nouveaux produits dans l’air du temps. Mais s’il existe une grande liberté dans la création, Jean-Baptiste Demotes-Mainard apporte toutefois un bémol : « Le sol doit rester un élément assez neutre dans un bâtiment, pour être agréable à vivre sur la durée. Il faut savoir qu’en moyenne, un sol reste installé 25 ans dans un bâtiment, donc la majorité de nos ventes consiste en des imitations de matières naturelles ou des motifs répétitifs assez discrets. Mais en complément, nous proposons bien entendu des designs plus extravagants, dans une tendance court-termiste et avec plus de personnalisation, pour le secteur du retail par exemple. C’est là où l’impression numérique prend toute son importance. »
PERSONNALISATION À GOGO
Au-delà d’une finesse visuelle, l’impression numérique autorise en effet une personnalisation totale des sols, en agissant en toute liberté sur les motifs ou la coloration, en intégrant des logos ou des images haute définition, etc. Si les trois grands fabricants ont tous développé un service de personnalisation, Gerflor se distingue avec sa gamme de sols sportifs Taraflex. Conçus pour la pratique de sports d’intérieur comme le basketball et le handball, ces revêtements PVC équipent les plus grandes compétitions sportives - notamment les Jeux Olympiques depuis 1976 - mais se destinent également au grand public. Avec le service « My Taraflex », qui combine les dernières technologies d’impression numérique avec le confort, la sécurité et la durabilité des services Taraflex, Gerflor offre ainsi la possibilité de customiser un gymnase aux couleurs du club local.
Forbo tente, pour sa part, de développer des prestations de conseils personnalisés, pour être en mesure de devenir force de proposition, dans le design du sol d’une chambre d’hôtel par exemple. La souplesse sur les quantités produites rend possible et rentable un tel service. « L’impression numérique permet de livrer de petites quantités, souligne Jérôme Gautho. Nous sommes capables de produire 1 m2 comme 3 000 m2 ». Une option intéressante pour des chaînes hôtelières qui souhaiteraient décliner une identité différente selon la localisation des établissements. L’impression à la demande facilite également la gestion des stocks des fabricants : cette approche sans invendu s’avère économique sur le plan financier, mais elle se montre aussi éco-responsable.
VERS UNE ÉCONOMIE CIRCULAIRE
Dans une industrie qui produit de très grandes quantités de références en PVC, la question de l’impact environnemental est des plus prégnante. Déjà soumis à des réglementations telle que la norme européenne REACH sur l’utilisation des substances chimiques, les marques s’astreignent à des dispositions complémentaires pour contribuer au respect de la planète. Les émissions de CO2 sont au cœur du débat. Pour réduire l’empreinte de ses cinq sites de production en France, tous certifiés ISO 14001, Gerflor s’engage. « Nous travaillons sur le retraitement des fumées, la nuisance sonore et la consommation d’énergie. L’électricité que nous utilisons est 100 % verte et nous développons le solaire », détaille Jean-Baptiste Demotes-Mainard. La composition des produits constitue un autre sujet brûlant. Tarkett, qui possède 24 laboratoires de R&D dans le monde, a ainsi annoncé en 2019 que l’intégralité de ses sites de production vinyle en Europe utilisaient une technologie sans phtalate. De façon générale, la marque affiche une grande transparence sur la composition de ses produits, en réalisant un affichage volontaire, certifié par un organisme indépendant. Des fiches de données environnementales et sanitaires (FDES) sont ainsi réalisées pour chaque produit Tarkett, plutôt qu’une fiche globale pour l’entreprise. Quant à la part de matière recyclée dans les produits, elle est aujourd’hui très variable, atteignant jusqu’à 40 % pour le linoleum, mais pouvant être nulle pour d’autres. Le chemin est encore long, mais les grands fabricants fonctionnent de plus en plus sur un mode d’économie circulaire. Les chutes de production, mais aussi les chutes de pose sur les chantiers, sont récupérées et réintégrées dans les nouveaux revêtements. Et au-delà des chutes, les sols en fin de vie sont aussi réutilisés. Car « contrairement aux idées reçues, le PVC est un matériau qui se recycle à 100 % », rappelle Jérôme Gautho. Si les objectifs de matières recyclées et biosourcées fixés par les fabricants pour les années qui viennent sont ambitieux, l’évolution des modes de pose pourrait aussi jouer un rôle considérable.
POSE LIBRE ET USAGES HORS SOL
À date, le volume des ventes de revêtements de sols s’annonce plutôt flou pour 2022, du fait de l’évolution incertaine de la situation sanitaire et de la tenue d’élections qui pourraient impacter les marchés publics. Mais une chose est sûre : la pose libre devrait s’affirmer comme une tendance forte. Ce système de mise en œuvre sans colle répond aux nouvelles habitudes de construction, qui font la part belle à la modularité et à la durabilité. Les fabricants de revêtements s’y adaptent, en développant des produits adéquats, qui s’installent, se désinstallent et se recyclent aisément. Une solution idéale en magasins notamment, car elle nécessite peu de préparation et une mobilisation des locaux sur un temps limité.
Autre tendance : les incursions hors sol. Gerflor a ainsi développé une collection de revêtements muraux. La marque appréhende de plus en plus le flooring dans une expérience élargie. « Nous analysons à présent l’environnement dans son ensemble, en prenant en compte l’usage et l’expérience des usagers, dans un musée ou dans un lieu de consommation par exemple. Il y a quelques années, nous ne fournissions que des commodités. Désormais, nous travaillons sur une solution complète, des sols aux murs, pour amener une meilleure expérience utilisateur au global », confie Jean-Baptiste Demotes-Mainard. Le détournement et l’extension des usages constitue également une piste pour l’avenir, selon le designer Anthony Lebossé : « Le linoleum, par exemple, est une surface initialement développée pour les sols, mais elle représente aussi une solution idéale pour les plans de travail. Le linoleum est naturel, chaleureux et il vit aussi très bien dans le temps, car un produit fait pour le sol est intrinsèquement résistant. On pourrait aussi imaginer l’adaptation d’un sol PVC destiné aux hôpitaux dans de l’habitat résidentiel, uniquement en parant de couleurs les cordons de soudure. Cela changerait totalement la perception du produit ». Et si l’avenir du sol souple passait par la fluidité des usages ?
« LE MARCHÉ PRÊTE DE PLUS EN PLUS ATTENTION AUX SOLS, CAR IL EXISTE DÉSORMAIS DES PROPOSITIONS PLUS RICHES QUI NOUS PERMETTENT DE NOUS EXPRIMER. CELA CRÉE DE NOUVEAUX RÉFLEXES D’APPROPRIATION DE NOS INTÉRIEURS »
Antony LEBOSSÉ, directeur associé du Studio 5•5
© Gerflor
FLOORING LES SOLS SOUPLES PRENNENT DE L’ÉPAISSEUR
CAS
D’ÉTUDE
TARKETT : UN SHOWROOM ORIGINAL CONÇU AVEC LE STUDIO 5•5
« L’Atelier Tarkett ne ressemble pas à un showroom traditionnel. C’est un lieu de prescription qui invite également à la création et à l’expérimentation, et dans lequel les architectes, les décorateurs et les designers peuvent travailler nos matières et s’inspirer. On y accueille aussi des résidences de créateurs, des expositions et des conférences sur le design au sens large, et pas uniquement sur le sol », dévoile Pascale Trichon, directrice commerciale grands comptes chez Tarkett. Cet espace, inédit dans l’industrie des revêtements de sols, a été conçu en collaboration avec le studio de design 5•5, qui a axé son travail sur le potentiel d’utilisation des produits plutôt que sur leur technicité. « Tarkett avait une vision très techno-centrée de ses produits. La créativité n’était pas mise en avant, donc plutôt que de faire une mise en volume du catalogue, nous avons abordé le sol comme un vrai sujet d’expression dans l’architecture, explique Antony Lebossé, directeur associé de 5•5. C’est une surface intéressante, car on peut avoir un gros impact en utilisant peu d’éléments : de la création d’un sens de circulation à la mise en valeur d’une zone, en passant par l’élaboration de différents espaces au sein d’un même espace ».
© Tarkett
GERFLOR HABILLE LE MUSÉE DES CONFLUENCES À LYON
Après une première collaboration avec le Musée des Confluences en 2020, Gerflor a renouvelé son mécénat avec l’institution lyonnaise pour l’exposition temporaire Sur la piste des Sioux, qui s’étend jusqu’au 28 août prochain. La marque a conçu un sol totalement sur-mesure pour créer une expérience immersive dans le cadre de cet évènement qui revient sur la construction des stéréotypes autour des nations indiennes en Amérique du Nord. « Nous avons collaboré avec les scénographes du musée pour que le sol de la pièce principale de l’exposition participe pleinement à l’immersion des visiteurs, explique Jean-Baptiste Demotes-Mainard, directeur de la communication corporate chez Gerflor. Nous avons photographié des empreintes de chevaux et nos designers ont travaillé les couleurs en se rendant sur le sentier des Ocres de Roussillon. Ils ont puisé dans la palette chromatique de ce site exceptionnel pour y recueillir du sable et s’approcher au plus près de la teinte d’origine de la terre des Indiens. Un visuel de 2 x 6 mètres a été créé sur cette base, pour être ensuite imprimé en numérique. Une fois installé, le sol en trompel’œil donne l’illusion que le motif ne se répète pas, et ce sur une surface de 200 m2. »
Fondé par un trio d’associés très complémentaires, venant des secteurs du revêtement de sol et du print, l’Atelier la Démesure s’est lancé, en 2019, sur le marché de la moquette imprimée. En deux ans, la start-up industrielle a séduit de très grands comptes pour des projets workspace, retail et en hôtellerie-restauration, grâce à ses dalles de moquette personnalisées. Et la pépite continue de se développer rapidement. Florent Zucca
ATELIER LA DÉMESURE, LA START-UP QUI A LA DALLE !
Tous visuels © Atelier la Démesure Le projet a infusé un temps dans la tête de Julie Beauperin, Bruno Szwed et Arnaud Delière. Puis les trois entrepreneurs, forts de leurs expériences professionnelles - passées et présentes - ainsi que de leur complémentarité, se sont lancés en 2019 en créant l’Atelier la Démesure, une start-up industrielle dédiée à la production de moquettes imprimées. Les associés se sont connus sur ce secteur d’activité, auquel ils ont souhaité donner un coup de fouet : Julie Beauperin a travaillé chez Tarkett et TecSOM, Bruno Szwed chez le fabricant Sommer, tandis qu’Arnaud Delière dirige l’imprimerie Documentis. Ensemble, ils ont investi dans un système d’impression numérique jet d’encre Colaris du fabricant autrichien Zimmer (pionnier des technologies de sérigraphie, impression numérique, revêtement, teinture, étuvage ou textiles techniques) pour de l’impression quadri à plat de dalles de moquette. Pendant six mois, la petite équipe travaille d’arrache pied afin de mettre au point la bonne recette pour fixer les couleurs sur la moquette. « Notre machine embarque quatre têtes d’impression, ainsi que deux boosters qui, à l’aide d’un produit gras, permettent de diffuser l’encre jusqu’au bout de la fibre de polyamide. Ensuite, un post-traitement à la vapeur permet de fixer les encres », explique Bruno Szwed, responsable de production chez Atelier la Démesure.
LES GRANDS COMPTES AU RENDEZ-VOUS
Une fois au point, l’entreprise se lance. « Nous avons créé Atelier la Démesure le jour où nous avons su fabriquer, précise sa présidente, Julie Beauperin. En un mois et demi, nous avons lancé une collection composée de cent motifs ». Aujourd’hui, le catalogue standard comporte 300 références. Les clients peuvent également proposer leurs propres motifs ou se faire guider par l’Atelier la Démesure, en conseil et accompagnement à la création graphique, pour des projets sur-mesure, sans minimum de commande. « Nous avons encore besoin d’évangéliser, que ce soit auprès des prescripteurs (architectes et designers) comme des clients finaux, car le produit est peu connu », explique Julie Beauperin.
Pourtant, la jeune pépite du flooring séduit rapidement de très grands comptes. En workspace, la SNCF, EDF, Sisley, Orange, Bouygues Construction, Vinci, Air France ou encore LVMH font appel à Atelier la Démesure pour de l’aménagement de bureaux. En retail, la Caisse d’Épargne, Truffaut et Chaumet lui confient des projets pour des magasins et agences. Le Crédit Agricole sollicite même l’entreprise pour un ouvrage immobilier de 45 000 m2 : un projet colossal qui va faire travailler la jeune société pendant trois ans ! De très belles signatures qui marquent un retour de l’activité à la normale après un exercice 2020 où l’Atelier s’est adapté en proposant une offre de signalétique Covid sur moquette qui aura très bien marché. « Depuis le mois de septembre dernier, nous avons débuté nos premiers projets à l’international, en Europe et en Afrique, ajoute Julie Beauperin. La moquette est un produit qui redevient tendance. Dans le secteur du workspace, on loue notamment ses propriétés acoustiques ».
UNE NOUVELLE LIGNE DE PRODUCTION
Forte de ce carnet de commandes (très) bien rempli, Atelier la Démesure s’agrandit déjà. La start-up industrielle vient de déménager dans de nouveaux locaux (1500 m2) à Blagny, au cœur des Ardennes, où elle va installer une seconde machine Colaris, beaucoup plus rapide que la première. « L’objectif est de consacrer notre première machine à la R&D, aux petits projets et à l’impression sur de nouveaux supports », précise la dirigeante. Et les idées de développement ne manquent pas. L’entreprise, qui se fournit chez des fabricants français et italiens de moquette vierge, travaille déjà en prestation d’impression pour quelques grands acteurs du revêtement de sol. « Nous envisageons de créer des collections pour des fabricants étrangers de moquette qui font du rouleau et qui voudraient proposer une option de personnalisation », confie Julie Beauperin. Également dans les tuyaux de l’entreprise, qui réalise 15 % de son chiffre d’affaires avec des particuliers : un projet d’activité web-to-print. Chez Atelier la Démesure, l’appétit vient en imprimant.