Extrait "La ville stationnaire"

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LA STATIONNAIREVILLE COMMENT METTRE FIN À L’ÉTALEMENT URBAIN ? PHILIPPE BIHOUIX, SOPHIE JEANTET & CLÉMENCE DE SELVA

INTRODUCTION 8 1. LA VILLE DENSE N’EST PAS ÉCOLOGIQUE 20 2. DE L’ATTRACTIVITÉ TERRITORIALE À LA VILLE REPOUSSOIR 59 3. LES PROMESSES DÉLÉTÈRES DE LA SMART CITY 79 4. L’ÉCOCONSTRUCTION, CACHE-SEXE DU BUSINESS AS USUAL ? 106 5. LES RÉFLEXIONS EMBRYONNAIRES DU “MONDE D’APRÈS” 144 6. LA ZAN À LA RESCOUSSE 165 7. DE LA ZAN À LA ZAB (“ZÉRO ARTIFICIALISATION BRUTE”) : VERS LA VILLE STATIONNAIRE 189 8. CONSTRUIRE MOINS, ACCUEILLIR MIEUX 213 9. REDISTRIBUER À TOUTES LES ÉCHELLES 269 CONCLUSION : VERS LA VILLE VERTUEUSE 291 ANNEXE : SOURCES POUR MESURER L’ARTIFICIALISATION 303 Notes 313 Remerciements 333

INTRODUCTION

I. Bâtiment, travaux publics (TP), voiries et réseaux divers (VRD).

arler de ville “stationnaire” dans un monde en croissance, économique et démographique, peut sembler étrange. Mais n’est il pas encore plus étrange de croire que le destin des villes serait de croître indéfiniment, jusqu’à se rejoindre et former d’incommen surables conurbations continues, comme c’est déjà le cas d’ailleurs sur certains territoires, en France, en Europe et dans le monde ?

P

Un système insoutenable

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Tout le monde est d’accord sur le constat : la croissance urbaine, tirée par les évolutions démographiques, mais aussi les recomposi tions sociales et économiques, est largement insoutenable. Le poids environnemental des villes, tant par leur “fabrication” (artificialisation des sols, consommation de matières premières, énergie “grise” et émissions de CO2 liées à la production des matériaux de construction, en particulier le ciment et l’acier) que par leur “métabolisme” (flux d’énergie, de matières et de déchets nécessaires à leur fonctionnement, besoins de mobilité des personnes et des marchandises, etc.), n’est plus à démontrer. Le secteur de la constructionI reste, par les volumes de matériaux mobilisés comme par les principaux choix constructifs, l’un des principaux émetteurs de gaz à effet de serre et l’un des principaux consommateurs de ressources extraites des mines, des carrières et des sablières, ou des champs pétroliers : 50 % de l’acier, 20 % de l’aluminium, 25 % des plastiques, 100 % ou presque des granulats… sont utilisés pour construire et entretenir nos villes et leurs infrastructures.

Les rendre “écologiques” ou “durables”, sans même parler de neutralité carbone, est un défi énorme, alors que la population mondiale continue à se concentrer – le taux d’urbanisation mon dial, actuellement de 55 %, pourrait passer selon l’Organisation des

Nations unies à 68 % en 20501, sous l’effet de la poursuite des migrations rurales et des phénomènes de métropolisation, et même de “mégapolisation”. Si elles comportent certainement des carac téristiques communes, les dynamiques d’urbanisation dépendent éminemment des facteurs locaux propres à chaque pays, démogra phiques, économiques, sociaux, culturels. Notre propos n’est pas de généraliser pour tenter d’embarquer, dans les réflexions du présent ouvrage, à la fois Lagos, Tijuana, Chongqing, Bruxelles et… Montpellier ou Rennes. Sauf quand il sera pertinent d’apporter quelque éclairage international, nous nous en tiendrons modestement, pour l’essentiel, à un périmètre français, celui que nous connaissons le mieux et sur lequel nous pouvons, collectivement, décider d’agir.

En France donc, pourquoi les villes croissent elles ? Pourquoi construit on tant ? Il y a certes des besoins de logements, d’équi pements, de surfaces commerciales, etc., pour une population en légère croissance – de l’ordre de 0,3 % par an. Le manque de logements, leur cherté, leur difficile accessibilité aux plus modestes, sont régulièrement pointés, tant par les professionnels et les associations que par le personnel politique. Dont acte. Pour tant, chaque année, pour chaque habitant supplémentaire, on met actuellement en chantier… plus de deux logements ! Ces cinq dernières annéesI, l’augmentation de la population a été d’environ 165 000 personnes par an (le résultat du solde naturel, la diffé rence entre les naissances et les décès, et du solde migratoire, l’écart entre les flux d’immigration et d’expatriation), alors que l’augmentation moyenne du parc de logements a été double 350 000 en moyenne2, II.

I. De 2016 à 2021.

II. Les mises en chantier ont été de 385 000 logements/an (la différence avec l’évo lution du parc venant essentiellement des démolitions et des transformations de logements en locaux non résidentiels).

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Figure 0.2 : Évolution de la taille des ménages

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Figure 0.1 : Evolution de la population vs évolution du parc de logements

Figure 0.1 : Évolution de la population vs évolution du parc de logements3

II. On “fabrique” donc des résidences principales, secondaires et vacantes dans une proportion de 5 pour 1 et 1. Tandis que le stock actuel est dans une proportion de 10 pour 1 et 1.

IV. 165 000 personnes, soit 75 000 logements à 2,2 personnes par foyer ; pour envi ron 3,1 millions de logements vacants (et 3,6 millions de résidences secondaires).

Là est bien l’un des nœuds du problème. Si globalement l’évolu tion de nos “modes de vie” fait augmenter la surface moyenne bâtie par personne (c’est vrai pour le logement, mais le même type de constat peut être fait concernant d’autres surfaces, comme les com merces), la recherche d’emploi, les incitations fiscales, les développe ments régionaux hétérogènes et les recompositions géographiques

Évidemment, de nombreux facteurs contribuent à ce rapport singulier. Le premier facteur, ce sont les recompositions sociales et économiques, les évolutions sociologiques, comme la réduction de la taille moyenne des ménages, passée de 3,1 personnes dans les années 1960 à 2,2 aujourd’hui4, I. Mais quand même… Livrons-nous à un exercice purement intellectuel : si les nouveaux habitants avaient pu, ces dernières années, se loger et se “répartir” dans l’ensemble des villes et villages de France, il n’aurait fallu dénicher que deux ou trois logements par an dans chaque commune ! Autant dire qu’il n’aurait probablement pas été nécessaire de construire du tout pour les accueillir dignement.

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Le deuxième facteur, c’est que l’augmentation du parc de logements ne concerne pas que les résidences principales. Sur les 350 000 nou veaux logements par an, un peu plus de 50 000 correspondent à des résidences secondaires (ou de tourisme) et un peu moins de 50 000 à l’augmentation des logements vacantsII. Le taux de vacance des logements, actuellement d’environ 8,3 % – en progression de 30 % sur les quinze dernières annéesIII –, permettrait, de manière tout à fait théorique, bien sûr, de faire face à… quarante ans de croissance démographiqueIV.

I. Entre 1975 et 2011, la population augmente de 0,5 % par an, le nombre de ménages de 1,3 % par an. Dans la même période, la surface moyenne de la résidence prin cipale passe de 72 mètres carrés à 91 mètres carrés.

III. De 2006 à 2021 ; son rythme de progression diminue cependant depuis 2017.

Figure 0.3 : Évolution annuelle du parc de logements et taux de vacance 5 font bondir le taux de vacance, principalement dans les centres urbains des petites et moyennes agglomérations, tandis que, pendant ce temps, nous bétonnons, nous bitumons, nous densifions et nous étalons à la fois dans les métropoles et les périphéries. Comment en sommesnous arrivés là ? Quel système économique, quelles injonctions de métropolisation, de compétitivité mondiale, d’attractivité et de com pétition territoriale, nous ont conduits à une telle absurdité ?

Des pistes incertaines

Si la prise de conscience a largement progressé – sur l’artificialisation des sols par exemple – et que des réflexions et des initiatives fleurissent partout, force est de constater que nous restons, pour l’essentiel, largement démunis face aux dynamiques en cours, aux forces en présence, à l’inertie des habitudes, aux enjeux écono miques, aux idées reçues.

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Figure 0.2 : Evolution annuelle du parc de logements et taux de vacance

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Un temps vue comme une solution écologique face aux effets néfastes de la périurbanisation pavillonnaire (consommation de terres agricoles, développement de la voiture individuelle, indivi dualisation), la densification des villes, renforcée par la course à la métropolisation et à l’attractivité territoriale des “villes-mondes”, n’a sans doute pas apporté les bénéfices environnementaux escomp tés (chap. 1). Au contraire se sont révélés les inconvénients et les vulnérabilités d’une concentration humaine trop grande, aujourd’hui face aux crises sanitaires, demain sans doute face aux enjeux d’autres crises à venir, à commencer par le changement climatique (chap. 2).

Quant aux promesses d’une technologisation accrue qui permet trait d’adoucir le bilan métabolique des villes en mettant le numérique au service de l’optimisation et de l’efficacité de leur fonctionnement, elles restent à ce stade bien ténues, malgré les incantations aux ver tus de futures smart cities (“villes intelligentes”), dont personne ne sait vraiment à quoi elles pourraient ressembler ni à quel terme elles pourraient raisonnablement muter, dont les “cas d’usages” environnementaux restent à l’heure actuelle limités (quelques poubelles connectées optimisant le ramassage…) ou bien complexes à déployer et généraliser, eu égard à l’urgence climatique (comme l’articulation à définir entre bâtiments, productions d’énergies renouvelables et véhicules électriques). Il est à craindre que même fortement tech nologisées, même “renaturées”, les métropoles ne seront jamais ni neutres (en carbone), ni “vertes” (chap. 3). Dans l’écoconstruction, les envies et les expériences fourmillent, soutenues sans doute par l’évolution de la réglementation. L’emploi de matériaux plus naturels, bio- (chanvre, paille, bois, etc.) ou géosourcés (terre ou brique crue, pierre, etc.), de matériaux issus du recyclage, progresse indéniablement. Mais le nombre d’opérations concernées n’a-t il pas vocation à rester marginal ? Nous n’avons pas, et de loin, accès aux volumes nécessaires de ressources si tous les bâtiments devenaient “biosourcés” (chap. 4).

Les réflexions sur la résilience des territoires se multiplient, et c’est heureux ; mais elles se résument encore souvent à des questions très partielles, comme la gestion d’inondations futures plus nom breuses ou la prise en compte des îlots de chaleur urbains – ICU pour les intimes. À l’opposé de solutions techniques (et consen suelles), la recherche d’une “vraie résilience” impliquerait un proces sus de réforme profonde de nos modes de vie, de nos institutions et de notre fonctionnement économique (chap. 5).

Ce paradigme, c’est celui de la croissance (urbaine), et celui du (nécessaire) maintien du rythme de construction actuel.

Résumons ces quelques réflexions : les chances pour que nos métropoles continuent, d’ici 2050 et au-delà, à croître gentiment et à se développer économiquement, certes sous une forme plus contrôlée, plus sympathique pour la planète, avec de la densifica tion ciblée et acceptable, de l’écoconstruction, tout en devenant “intelligentes”, résilientes, agréables à vivre et neutres en carbone et en consommation d’espaces naturels et agricoles (éventuellement en s’aidant de quelques compensations ailleurs), sont plutôt… ténues. Du moins sans un changement de paradigme, comme on dit dans ces cas-là.

Les villes n’ont pas vocation à se développer et grandir éternellement, faute de territoire disponible ou sous peine de congestion et d’asphyxie – ce n’est qu’une question de temps pour que cette évidence s’impose à tous. Plus tôt nous mettrons en pratique le “zéro artificialisation”, plus grande sera notre résilience, notre capacité collective à encaisser les chocs à venir.

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Viser la ville stationnaire ne veut pas dire figer la ville, zéro arti ficialisation ne veut pas dire zéro construction : celle-ci doit et peut continuer à évoluer, muter, s’épanouir et s’embellir, mais en cessant

Éloge de l’état stationnaire

I. Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel, dit “prix Nobel d’économie”, avec William Nordhaus, en 2018.

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Mais il nous a semblé intéressant d’évoquer cet imaginaire de la stationnarité, au sens de John Stuart Mill (1806-1873), un des rares économistes classiques à avoir considéré l’état stationnaire comme à la fois atteignable et positif, une économie libérée de l’injonction à la croissance, une économie de post-croissance, un état stable fai sant suite à un “état progressif”. Avant lui, les économistes clas siques s’étaient déjà penchés sur les possibles “limites de la croissance6”, dès le x VIIIe siècle avec Adam Smith, ou au début du x I x e avec Thomas Malthus et David Ricardo. Malthus voyait dans la loi des rendements (agricoles) décroissants une contrainte amenant fatalement à la stagnation, tandis que Ricardo – qui introduisit le premier le concept d’état stationnaire (steady state) – y ajoutait la baisse des profits et des investissements, liée à la rente injustement prélevée par les propriétaires terriens, entraînant une hausse des salaires.L’eau a coulé sous les ponts depuis et, à suivre des économistes mainstream comme Paul RomerI, l’innovation permettrait de pour suivre la croissance pendant des milliards d’années. Bon, nous verrons bien ! Mill en tout cas est le premier, et un des rares économistes à ce jour, à ne pas considérer la fin de la croissance comme une fatalité plutôt désagréable. Il en avait au contraire une vision optimiste : l’état stationnaire était à la fois inévitable et nécessaire, mais aussi

de dévorer l’espace autour d’elle (chap. 6 et 7) – et les matériaux au loin. Bien sûr, nous savons qu’en disant “la ville”, nous nous expo sons à la critique, justifiée, des géographes, des urbanistes et des sociologues. Après des décennies d’étalement urbain, de construc tion d’infrastructures dédiées à la vitesse, de périurbanisation ou de rurbanisation (on ne sait plus très bien), le tissu urbain est bien distendu et la dialectique ville-campagne loin derrière nous. Qu’ils se rassurent, nous en avons bien conscience.

Il n’y a pas grand plaisir à considérer un monde où il ne resterait rien de livré à l’activité spontanée de la nature, où tout rood I de terre propre à produire des aliments pour l’homme serait mis en culture ; où tout désert fleuri, toute prairie naturelle seraient labourés ; où tous les quadrupèdes et tous les oiseaux qui ne seraient pas apprivoisés pour l’usage de l’homme seraient exterminés comme des concurrents qui viennent lui disputer sa nourriture ; où toute haie, tout arbre inutile seraient déracinés ; où il reste rait à peine une place où pût venir un buisson ou une fleur sauvage, sans qu’on vînt aussitôt les arracher au nom des progrès de l’agriculture. Si la terre doit perdre une grande partie de l’agrément qu’elle doit à des objets que détruirait l’accroissement continu de la richesse et de la population, et cela seulement pour nourrir une population plus considérable, mais qui ne serait ni meilleure, ni plus heureuse, j’espère sincèrement pour la postérité, qu’elle se contentera de l’état stationnaire longtemps avant d’y être forcée par la nécessité8.

J’avoue que je ne suis pas enchanté de l’idéal de vie que nous présentent ceux qui croient que l’état normal de l’homme est de lutter sans fin pour se tirer d’affaire, que cette mêlée où l’on se foule aux pieds, où l’on se coudoie, où l’on s’écrase, où l’on se marche sur les talons et qui est le type de la société actuelle, soit la destinée la plus désirable pour l’humanité, au lieu d’être simplement une des phases désagréables du progrès industriel7

Cent soixante-dix ans plus tard, force est de constater que nous avons bien arraché les haies pour faire place aux progrès de l’agriculture, mais aussi pour faire place à nos villes et nos infrastructures routières en extension. Saurons-nous nous “contenter” d’un état stationnaire – au stade où nous en sommes, il faudrait plutôt

I. Ancienne mesure de surface de terre, égale à un quart d’acre.

et surtout désirable. Jugeons plutôt comme ses écrits, du milieu du x I x e, résonnent d’une incroyable modernité :

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Nous l’avons dit, il ne s’agit pas d’arrêter de construire. Mais il faudra construire considérablement moins. D’ailleurs, construire moins sera de toute façon nécessaire pour construire mieux, de manière plus écologique. Comment réaliser ce tour de force ? En connais sant et en utilisant mieux ce que nous avons déjà à notre disposi tion : en exploitant toutes les potentialités des villes, leurs capacités actuelles, alors que le patrimoine existant est immense, et parfois invraisemblablement mal utilisé ; en réhabilitant les bâtiments et réparant les villes, progressivement, des errements passés ; en les rendant adaptables pour lutter contre l’obsolescence des lieux, et se préparer aux profonds changements à venir, difficiles à anticiper et appréhender : reterritorialisation de certaines fonctions productives et logistiques, nouveaux usages et modes de consommation, adap tation au changement climatique…

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commencer à réparer –, ou bien jusqu’où irons-nous ? Une dernière citation pour terminer cet hommage au visionnaire Mill, et se ras surer sur la potentielle désirabilité de cet état stable : “Il n’est pas nécessaire de faire observer que l’état stationnaire de la population et de la richesse n’implique pas l’immobilité du progrès humain9.”

Retour à la ville

Mais les villes ne pourront pas réussir seules. Surtout, c’est l’amé nagement du territoire, la répartition des populations, la distribu tion des services et des emplois, qu’il faut profondément revisiter.

Personne n’a dit que tout cela serait simple… sans parler des injonctions contradictoires ! Mais, essentiellement, nous devrons apprendre à construire moins, à faire avec l’existant, prendre soin et transmettre notre héritage urbain, tout comme notre héritage naturel et culturel. Le chantier intellectuel et opérationnel est immense, et réclamera une remise en cause profonde de tous les acteurs de la ville (chap. 8).

Les métropoles ne doivent plus attirer et grandir, mais essaimer ; la puissance publique à toutes les échelles devra favoriser, inciter et accompagner, par son exemplarité, son pouvoir d’entraînement, ses décisions et toutes les mesures possibles (réglementaires, fiscales, etc.), une nouvelle décentralisation, une redistribution progressive de la population et des activités économiques vers les villes moyennes, les bourgs, les villages et les campagnes (chap. 9). Enfin, construire moins et inciter à la redistribution ne suffira (malheureusement) pas à réconcilier tout à fait la ville avec son territoire, et ses habitants avec l’écosystème.

Loin d’être mortifère, une telle orientation est possible, à notre portée, en une génération ou moins peut-être. Elle est raisonnable, souhaitable, enthousiasmante même. L’histoire accélère parfois de manière impromptue, c’est ce qu’on a pu constater récemment avec la crise sanitaire : les habitudes coriaces peuvent alors être modi fiées (la pratique du vélo), les réticences promptement balayées (le rapport au télétravail), les vieux tabous mis à bas (“l’argent gratuit” ou les ratios d’endettement à respecter)…

L’attractivité des villes denses a peut-être fait long feu, elle aussi : et si nous profitions de l’envie de millions de nos concitoyens pour enclencher une profonde évolution de notre rapport aux villes et aux territoires, des choix de politique publique qui accompagnent réellement la transition environnementale devenue nécessaire et urgente ? En tout cas, il est temps de déconstruire quelques idées reçues afin de réviser profondément notre approche et nos ambi tions collectives.

La croissance des villes est devenue insoutenable : le secteur de la construction est l’un des principaux émetteurs de gaz à effet de serre et engloutit des quantités énormes de ressources, pendant que l’étalement urbain dévore les sols naturels et agricoles.

F A B O P E • F A B RIQUÉ E N FRA N C E •

Philippe Bihouix est ingénieur, auteur de plusieurs ouvrages sur la consommation des ressources et les enjeux technologiques associés. Il travaille depuis vingt-cinq ans pour l’industrie, la construction et les transports. Sophie Jeantet est architecte-urbaniste. Elle mène depuis plus de vingt ans des projets de renouvellement ou de développement urbains au sein de structures publiques d’aménagement. Clémence de Selva est architecte. Elle travaille en maîtrise d’œuvre, assistance à maîtrise d’ouvrage et aménagement urbain depuis quinze ans, en France et à l’étranger.

LA VILLE STATIONNAIRE

Surtout, c’est notre rapport aux territoires qu’il faut faire évoluer, en favorisant la redistribution des services et des emplois, en œuvrant à une nouvelle attractivité des villes moyennes, des bourgs, des villages et des campagnes. Désormais les métropoles ne doivent plus attirer et grandir, mais essaimer.

DÉP. LÉG. : OCT. 2022 23 € TTC www.actes-sud.frFrance 978-2-330-16873-5

Photographie de couverture : Labyrinthe de maïs de Cordes-sur-Ciel, Tarn, France © Yann Arthus-Bertrand

Et si les villes n’avaient pas vocation à grandir éternellement ? Plus tôt nous protégerons nos terres agricoles, naturelles et forestières de l’arti cialisation, plus grande sera notre résilience face aux risques et aux crises écologiques à venir. Au plus vite, les villes doivent – et peuvent – devenir stationnaires. Il ne s’agit pas de les ger, mais de les transformer et les embellir, d’exploiter l’immense patrimoine déjà bâti.

Dans l’écoconstruction, les expériences se multiplient mais sont encore marginales. La densi cation et la métropolisation n’ont pas apporté les béné ces environnementaux escomptés, tandis que se révèlent les vulnérabilités d’une concentration humaine trop grande. Quant aux promesses d’une technologisation accrue, les vertus des futures smart cities restent mystérieuses ou ténues, malgré les incantations.

ISBN

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