JOURNÉE DE NOCES CHEZ LES CROMAGNONS
LEMÉ AC
Wajdi Mouawad
ACTES SUD-PAPIERS
Fondateur : Christian Dupeyron
Editorial : Claire David
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Illustration de couverture : © Lino, 2011.
© LEMÉAC ÉDITEUR, 2011
ISBN 978-2-7609-0699-0
© ACTES SUD, 2011
pour la France, la Belgique et la Suisse
ISSN 0298-0592
ISBN 978-2-7427-9612-0
JOURNÉE DE NOCES
CHEZ LES CROMAGNONS
Wajdi Mouawad
Dans ton combat contre le monde, seconde le monde.
Franz Kafka, Aphorismes
L’ARRACHEMENT
Journée de noces chez les Cromagnons a été écrite en 1991 au cours de ma dernière année de formation à l’École nationale de théâtre du Canada. La version éditée ici est stratifiée de toutes les corrections, réécritures et restructurations auxquelles j’ai procédé durant ces vingt années qui séparent sa rédaction de son édition. Ce travail s’est fait à l’occasion des différentes productions, des multiples lectures publiques, des productions radiophoniques et des centaines d’avis dont m’ont fait part toutes sortes de personnes sur ce qu’il « fallait » faire, ce qu’il « fallait » couper, ce qu’il « fallait » que ce soit. Il existe ainsi des versions sans Walter et des versions avec l’arrivée de nombreux invités. Des versions sans mouton, des versions sans fiancé, des versions avec bombes et des versions sans bombes. Il existe des versions sans la voisine et sans Walter mais avec le mouton, et des versions sans bombes mais avec Walter et Neel mais sans Nelly. Bref, la petite histoire de ce texte est en soi, toutes proportions gardées, un résumé édifiant de la manière dont, à la fin du xxe siècle, en Amérique du Nord, on croyait bon d’accompagner le texte d’un jeune auteur : en le rendant compréhensible au lieu de tenter de le comprendre. Il est cependant intéressant de constater que dans ce capharnaüm de versions qui occupe à lui seul la moitié d’un disque dur, s’il existe des versions sans l’un ou l’autre des trois enfants, il n’existe aucune version sans les parents. Il n’existe aucune version sans les jurons. Il n’existe aucune version sans la violence verbale du père. Il n’existe aucune version sans les plats à préparer. Il faut dire que l’origine de cette pièce est assez étrange. Je rentrais à la maison par un soir d’hiver quand l’idée d’écrire un texte sur Franz Kafka m’est venue. Franz apprêterait sa propre table de noces en vue de son propre mariage sous le regard
moqueur de son père. Celui-ci ne ferait que se masturber, manger, péter, rire et hurler tandis que Franz, s’agitant autour de sa table, ne cesserait de parler à son père, lui adressant en tremblant des paroles de plus en plus énigmatiques à mesure que son trouble augmenterait. La fiancée ne viendrait pas et le père, vainqueur, étranglerait Franz Kafka avant de lui ouvrir le ventre pour lui dévorer les tripes.
Cette question de la venue de la fiancée de Franz était alimentée par un travail que je devais faire au même moment à l’École de théâtre sur En attendant Godot de Samuel Beckett. Je m’étais concentré, justement, autour de l’action d’attendre et j’avais essayé de comprendre la raison pour laquelle, si j’adhérais avec une joie éblouie à la pièce du génial Irlandais, je n’arrivais pas à me passionner ni même à m’intéresser au fait que Godot, évidemment, ne venait pas. Ainsi, l’idée que la fiancée de Franz ne viendrait pas non plus m’a semblé prodigieusement ennuyante. J’ai commencé tout de même à écrire, mettant en place une noce dans la tradition juive de l’Europe de l’Est du début du xxe siècle. Or, en écrivant, j’ai vu ressurgir non pas mes lectures des romans et autres écrits de Kafka, mais des souvenirs liés à la guerre civile libanaise que j’avais, pour toutes sortes de raisons, complètement oblitérés. Quel était le rapport entre ceci et cela ? Pourquoi, écrivant sur Kafka, l’envie de faire tomber des bombes ne cessait de me venir ? J’ai dérivé de jour en jour, et Franz est devenu Neel, et Nelly est sortie du noir pour s’asseoir à mes côtés. Walter est arrivé comme une prémonition de ce que seront tous les jumeaux qui allaient bientôt m’envahir.
Journée de noces chez les Cromagnons m’a alors entièrement obsédé. J’avais le sentiment que j’étais sur le point de nommer quelque chose d’important pour moi. L’appartement est apparu, avec lui le balcon, la mer, le ciel d’orage ainsi que l’ensemble des actions qui allaient jalonner le texte. Si l’idée originelle a disparu, son ombre traverse cependant encore aujourd’hui chaque instant de la pièce. En ce sens, cette pièce est d’autant plus essentielle pour moi qu’elle m’a permis, pour la première fois, de faire se rapprocher deux mondes que tout, dans mon entourage et dans le contexte géopolitique qui m’a vu naître, ne cessait de séparer de manière violente et ensanglantée : le
judaïsme et le christianisme et l’Islam. Voulant écrire une pièce sur Kafka, j’ai fini par écrire une pièce sur ma propre famille libanaise. Quelque chose dans cette contorsion a déterminé ma position au monde et mon rapport à l’autre, quelque chose dans cette courbature m’a permis de m’arracher à la rancune que le monde de mes parents a nourrie envers tous ceux qui n’étaient pas du même village, de la même confession, de la même pensée. Faisant le lien intellectuel entre les trois mondes, il n’y avait plus d’Ancien ni de Nouveau, il y avait simplement l’arrachement à une partie de mes délires, l’arrachement à l’idée même du « même », à l’idée même du « pas comme ».
« Celui-ci est le même que nous, celui-là n’est pas comme nous. »
Les douleurs et les rancunes de mes parents, aussi légitimes soient-elles, n’ont pas à être les miennes et ceux-là mêmes qu’ils honnissent sont ceux et celles qui m’ont permis de comprendre mon monde et m’ont apporté éveil et joie. Le malheur ne m’intéresse pas. La vie est faite pour parler infiniment avec ses amis et n’avoir qu’une ou deux conversations avec ses parents. S’arracher alors à la tradition. On appelle cela l’exil. Cela ne se fait pas du jour au lendemain, car l’arrachement exige une dose de sommeil et de poésie pour que l’éveil frappe sa cible en son juste temps.
L’arrivée du fiancé est en ce sens probablement inévitable. Il sera ce qu’il sera. Catastrophe ou paix. Mais l’une ou l’autre, ce ne sera pas de notre temps. Il ne faut ni se réjouir ni se lamenter, car le temps est une flèche et la flèche invente sa cible à mesure qu’elle s’en approche. Écrire c’est aussi cela, participer au mouvement général qui saura inspirer la flèche pour que la cible qu’elle s’invente au cours de sa course soit prodigieusement magique et légère comme l’enfance.
W. M. São Paulo 19 décembre 2010
De la Norvège profonde aux contrées lointaines, Peer Gynt, rêveur audacieux et vantard, fuit ses responsabilités et ses amours sincères en quête d’identité et de gloire jusqu’à comprendre la vacuité de sa propre existence. Avec nesse et humour, entre fantastique et lucidité, Henrik Ibsen explore des questions universelles, telles que le besoin de reconnaissance, le libre arbitre, la folie et le rêve, qui résonnent puissamment encore aujourd’hui.
Dans cette “tradaptation”, mélange d’adaptation respectueuse et de traduction dèle, Olivier Py donne à ce poème dramatique la rapidité et le lyrisme de la langue d’Ibsen, faite à la fois de trivialités et de fulgurances métaphysiques, de pensée profonde et d’hilarante fatrasie.
La pièce est enrichie d’un cahier d’aquarelles inédites d’Olivier Py, o rant une sorte de synthèse en images d’une œuvre parfois énigmatique.
Né en Norvège, Henrik Ibsen (1828-1906) quitte son pays et habite successivement plusieurs grandes villes d’Europe, dont Rome au début des années 1880, où il écrit Le Canard sauvage. Cet exil volontaire ravive sa créativité, et ses pièces, notamment Peer Gynt, lui o rent une notoriété internationale.
Écrivain, metteur en scène et comédien, Olivier Py dirige le théâtre du Châtelet, à Paris, depuis 2023. Toute son œuvre est publiée chez Actes Sud.
14 € TTC FRANCE
ISBN 978-2-330-20460-0