

Mario Luraschi
ARTS ÉQUESTRES
Collection dirigée par Jean-Louis Gouraud
MILLE VIES EN UNE
Pour toutes les photographies © Collection privée Mario Luraschi.
© ACTES SUD, 2025
ISBN 978-2-330-19774-2
MARIO LURASCHI
Mille vies en une
500 films, 250 chevaux
Avec la collaboration de Christophe Renauld
Et la contribution de Sophie Pertus
Arts équestres
L’ENTRÉE
J’ai deux jours et je vais mourir.
Binago, un village lombard entouré de forêts. Une maison. La cuisine que chauffe un énorme brasero. Il est 4 heures du matin ce 11 décembre 1947. C’est là que tout commence. Et que tout va s’arrêter si on ne trouve pas très vite quoi faire.
Le premier jour, je régurgite ; le deuxième, je dépéris et on me croit mourant. Mon père convainc un ami médecin de traverser soixante kilomètres de neige depuis Milan. Il diagnostique une allergie aux laitages en général, au lait de maman en particulier. Mais il faut me nourrir ou je meurs. On n’a que des pommes. Râpées, elles seront longtemps mon alimentation de base et je vais toute ma vie détester croquer dans une pomme, pour ce bruit qui me rappelle la râpe. Aux larmes de ma mère chaque fois qu’elle raconte ma naissance, je mesure l’angoisse qui s’est emparée de la maison.
Et puis il y a cette première polémique : comment m’appeler ? Ma mère dit Marco. Ma grand-mère paternelle veut Mario, du nom d’un neveu mort à la guerre de 14-18. Elle l’emporte.
Mon frère Enrico – qui deviendra Henri – m’a précédé d’un an. Maman a vingt-six ans, papa trente-huit. Nous habitons une maison décorée aux vilains goûts italiens de l’époque, cossue mais avec les toilettes dans la cour. Nous sommes d’une famille de paysans, de bouviers. Les trois mois d’hiver, mon grandpère embarque comme cuistot sur un bateau pour l’Amérique. Il meurt quand j’ai trois ans et ma grand-mère quelques mois plus tard. Je n’ai d’eux aucun souvenir, à cette malle près qui
l’accompagne sur le transatlantique, que nous utiliserons pour émigrer et qui m’a suivi dans toutes mes maisons. À leur mort, les propriétés sont démantelées. Divisée entre leurs dix enfants, la valeur des prés et des vaches ne représente plus grand-chose… En allant couper du bois avec un de mes oncles, j’attrape le virus de la forêt. Ma jeunesse est libre, ma mère ne me demande jamais où je vais, d’où je reviens. Je suis curieux, hyperactif. D’aussi loin qu’il m’en souvienne, j’ai toujours eu besoin de grimper aux arbres. Le jour où commencent les travaux de la déviation, les copains et moi regardons bosser les ouvriers sur le chemin de l’école. Nous repérons les chariots qui convoient les cailloux. Dès le premier dimanche, et tous ceux qui suivront, on pousse le chariot en haut des rails et on les dévale jusqu’à la butée pour se faire éjecter dans le tas de sable. Je laisse une arcade sourcilière dans cette première cascade.
Mon père est chef d’équipe chez Pirelli, il gagne bien sa vie, il est respecté. C’est pourquoi un de ses collègues lui demande de sortir de l’usine un imperméable qu’il a “chauffé” : “Toi, on ne te fouille jamais.” Les gardes lui tombent pourtant dessus ce soir-là, probablement avertis par le collègue… qui sera nommé à sa place, mon père étant viré pour vol ! Il ne balancera pas ce drôle d’ami pour autant. Papa est un dur, un homme de principes. Champion de boxe avant la guerre, il y partira sept ans, sans états d’âme ni traumatisme apparent. Il m’a toujours dit : “Il faut se détacher.” Communiste, c’est pourtant côté franquiste qu’il a dû faire la guerre en Espagne. Le Corpo Truppe Volontarie, envoyé porter la propagande mussolinienne au-delà des frontières, n’emmenait pas que des volontaires : sur dénonciation, mon père est arrêté au titre de ses opinions politiques, bastonné, parqué et envoyé au front. Il s’y bat un an. Il me dira avoir vu les républicains plus violents et pires assassins que les troupes nationalistes, évoquera ces femmes et enfants cloués aux murs, à la baïonnette. “Pour ses idées et ce qu’il incarnait, intrinsèquement je haïssais Franco, mais j’ai fini la guerre avec du respect pour ses soldats.” Après l’Espagne, il rejoint l’armée italienne en Afrique. Dans ces troupes d’élite, on a fini par oublier qu’il est communiste, au point de l’affecter à la protection rapprochée de Mussolini. Quand le Duce veut
fuir vers la Suisse, mon père propose, en régional de l’étape, de participer à l’organisation de son passage. Ça lui permet d’informer les partisans. On connaît la suite : Mussolini est reconnu et arrêté au nord du lac de Côme. Les ss de sa garde sont flingués dans la nuit et on le ramène à Milan où il sera exécuté deux jours plus tard. Mon père a pris des photos des cadavres pendus aux crochets de boucher, un de ses amis en fera des cartes postales et un peu de profit. Lui, le militant, me dira : “En dictature, ne fais pas de politique, tu seras le plus tranquille du monde”, ce dont je me souviendrai à l’heure de partir acheter des chevaux dans l’Espagne franquiste et le Portugal de Salazar.
Après le renvoi de chez Pirelli, pour nous nourrir, il devient contrebandier, ce qui est aussi naturel dans le coin que pour un Breton d’embarquer sur un chalutier. Il va trafiquer du chocolat, des cigarettes, des choses difficiles à trouver dans la Lombardie des années 1950. Il se fait attraper et confisquer la marchandise. Après l’amende et la prison, il n’a plus rien. Je me souviens d’un soir où il nous donne sa part de minestrone en constatant combien la nôtre est modeste. Quand un Italien n’a plus de quoi faire un minestrone, c’est qu’il est vraiment fauché. On mange du riz les jours pairs et des pâtes le lendemain. Je connais l’odeur de la viande parce qu’elle rôtit chez les voisins, mais le premier souvenir de son goût, je l’associe à la France. Tout le village travaille en Suisse, sauf papa. J’ignore pourquoi et ne le demanderai pas, même bien après, conscient que c’est une période de misère et que je toucherais à la fierté de mon père en le questionnant.
J’ai sept ans quand il décide de partir clandestinement en France, chez un oncle éloigné. Arrêté près de Nancy, il est renvoyé, menotté, à la frontière et fait alors le nécessaire pour repartir avec des papiers. Il trouve du travail chez Nord-Aviation, à Issy-les-Moulineaux. Je verrai plus tard les baraquements indignes où sont entassés, à six dans quinze mètres carrés, ces ouvriers envoyés en éclaireurs de leur famille. Je me suis souvent dit que mon père avait payé en avance pour moi, qu’il avait chopé tout le mauvais karma pour que j’aie cette vie formidable.
Il revient pour Noël et au mois d’août. Ses francs valent trois fois nos lires. Il me donne toujours mille ou deux mille lires mais je ne les dépense pas, pour le cas où ma mère manquerait d’argent, ce qui arrive quand les mandats sont en retard. On doit faire attention. J’ai un souvenir marquant de cette frugalité, à neuf ans, quand maman tombe très malade. On est en plein hiver, sa toux et son état me terrorisent. Quand j’apprends qu’il lui faut un cataplasme, je pense que c’est le cataplasme ou la mort. Ça coûte neuf mille lires que nous n’avons pas. Mes tantes les plus proches non plus, je le sais et ne leur demande rien, préférant aller voir la plus aisée dont le mari travaille dans une banque. Affolé, je cours dans la neige, je frappe à sa porte, en pleurs. Je bredouille que c’est grave, que le médecin est inquiet, que maman tousse, qu’elle va mourir et qu’il me faut dix mille lires pour la soigner. Après m’avoir répondu que ce n’était pas son problème, elle me claque la porte au nez. J’y mets un coup de pied et hurle : “Je te hais, je te hais pour toujours.” Terrassé, j’entre dans la pharmacie et raconte ma détresse, promettant de payer dès que je le pourrai. Je repars avec le cataplasme que je cours porter à ma mère. J’ai dans mon cœur une haine solide pour cette tante dont l’avarice sera régulièrement confirmée. Chaque fois que je la croise, je lui envoie un regard noir, jusqu’au jour où elle me demande pourquoi. “Tu as moins de cœur qu’un pharmacien, je ne te pardonnerai jamais.” Ça la frappera suffisamment pour que, sur son lit de mort où maman, pas rancunière, m’emmènera, elle me demande de lui pardonner. Je refuse. Je veux qu’elle parte avec sa cupidité sur la conscience. Sans m’encombrer du souvenir de cette vieille peau, je vais toute ma vie mettre le pied à l’étrier à ceux qui me le demanderont. Dix mille lires ou dix minutes au téléphone peuvent changer la vie de celui qui en a besoin. Je donne à cette mère à l’enfant qui tend la main dans la rue, même quand je vois bien que c’est un business. Au moins celle ou celui qui reçoit ma pièce aura à manger ce soir.
En l’absence de mon père, je comprends aussi que je suis le fils du communiste, ce que les bonnes sœurs de l’école me font payer à coups de serviette mouillée. Le jour où elles apprennent
que, par ma mère, je suis également le petit-neveu du cardinal Dalla Costa, archevêque de Florence, opposant à Mussolini dès les années 1930, leur regard et leurs manières changent. Cette fois, c’est l’hypocrisie que je découvre… On le connaît peu en France, mais Elia Dalla Costa, qui aura mobilisé tout son clergé pour mettre à l’abri femmes et enfants, notamment juifs, qui sera nommé Juste parmi les nations à titre posthume, est une personnalité marquante de l’Italie du xxe siècle. Après guerre, il comprend que l’Église doit s’implanter dans ces nouvelles zones suburbaines qui sortent de terre. Il est aussi l’un des premiers promoteurs du dialogue interreligieux. Épuisé, il présente sa démission à Pie XII en 1951 ; celui-ci la refuse et ne la lui accordera que sept ans plus tard, pour des raisons de santé. Il se retire à Côme, dans un palais où nous lui rendons la visite qui m’a le plus marqué. Voyant arriver le déjeuner, je lui demande pourquoi il y a tant de mets différents sur la table alors que nous sommes si pauvres. Il m’explique que lui n’est pas riche mais que l’Église l’est. Je prends en plein visage la puissance économique et psychologique de l’Église. J’ai aimé nos discussions dont je me rendrai compte des années plus tard qu’elles sont mes premières leçons de philosophie. Je ne saurai que bien après quel grand homme il était mais, petit garçon, je le sens. Le grand-oncle cardinal meurt en 1961. Son procès en béatification est en cours depuis 1981 et le pape François a autorisé, en 2017, la promulgation du décret qui reconnaît ses vertus héroïques, lui attribuant ainsi le titre de vénérable. J’ai même appris qu’il avait furtivement compté parmi les papabili du conclave de 1939 ! Petit-neveu d’un pape, j’aurais peut-être vécu une autre vie…
LE CRI
Binago s’étire le long de la route de Côme à Varèse. Huit ans après la guerre, les rares véhicules à moteur qui y passent sont autant d’attractions. L’événement, c’est le bus. À l’entrée du village, on agrippe son porte-bagage et on saute deux kilomètres plus loin dans sa poussière. Tout le monde s’en fout, nos jeux n’inquiètent ni n’offusquent personne.
Derrière les façades qui encadrent la nationale, chacun cultive son potager. En contrebas du muret qui sépare nos deux cours habitent Sergio le mercier ambulant et Nino, son cheval. Un soir, je décide que, demain, je me lèverai tôt pour les observer. Vers six heures et demie, me voilà installé sur le muret, guettant leur rituel : Sergio ouvre la porte du passage qui relie sa maison à l’écurie, il appelle “Nino ! Nino !”, et Nino hennit, parce que son ami arrive et avec lui un seau d’avoine. Après une semaine à me voir tous les matins, Sergio me fait la surprise de poser une échelle contre le muret et m’invite à toucher Nino. Bai brun, il est joli ; ce qui me fascine, c’est sa puissance, sa force et sa chaleur au toucher. Rapidement, j’en viens à le brosser, nettoyer les harnais et apprêter la voiture. Ancienne et vernie, c’est un chef-d’œuvre aux mille tiroirs, dont certaines poignées sont des visages féminins. Les ressorts à lames se terminent en feuilles de vigne, les brancards sont sculptés : c’est éclatant comme une carriole sicilienne, en beaucoup plus raffiné. Peinture et décorations sont impeccables et Sergio traite méticuleusement son outil, ses casiers, ses bobines et ses rubans. Si Nino est le premier cheval de ma vie, cette voiture me donne pour toujours le goût des belles
choses. Le box est de la même veine. Quatre mètres sur quatre, peint et briqué, c’est un palace.
Un jour, Sergio considère que j’ai fait mes preuves à l’écurie et me propose de l’accompagner dans sa tournée, autant dire à la découverte du monde. Dès la sortie du village, c’est la montée vers Solbiate, une côte terrible. Sergio marche à côté de Nino, il lui chuchote des encouragements et moi, je pousse. Arrivé au village, Sergio sonne la cloche et les femmes surgissent. Je comprends à leurs sourires pourquoi sa voiture est si belle. Elles ne me voient pas et moi je ne les regarde pas encore. Sergio bonimente. Les affaires sont bonnes et nous repartons en faire d’autres à Olgiate où il m’invite à la trattoria. Nous nous garons devant une fontaine au centre de laquelle trône une madone. Nino est nourri et abreuvé. D’autres voitures de colporteurs s’y arriment également en un ballet où aucune ne touche sa voisine. Je suis marqué par cette précision et ce respect tacite du territoire temporaire de chacun qui contrastent avec le bruit, l’agitation, la joie. Mon Italie, c’est celle de La Strada ; belle, ronde de seins et de hanches, flamboyante, la femme qui nous apporte des spaghettis fumants, c’est Sophia Loren. Elle penche vers moi ses mèches et son décolleté, me caresse la joue du revers de sa main : “Il est bien joli, ce petit garçon.” C’est la première fois qu’une femme, ni mère ni tante, me touche ainsi, les yeux dans les miens. Elle allume un truc terrible et sensuel qui ne s’éteindra qu’avec moi.
Un matin où je marche vers le muret, j’entends le rituel “Nino, Nino”… et un silence qui me raidit. J’accélère le pas en entendant grincer le verrou, j’arrive quand s’ouvre la porte. Jaillit le cri le plus animal, le plus désespéré qui soit. Je me précipite et saute dans la cour de Sergio. Je le trouve à genoux dans le box vide, pleurant comme un enfant. On a volé Nino dans la nuit. Sergio enfouit son visage dans le harnais, il le touche, s’y frotte, y cherche l’odeur de son ami. Quand arrivent les carabiniers, c’est sa femme qui leur parle, lui ne leur adresse pas la parole. On ne retrouve pas Nino. On ne retrouvera jamais Nino. Quelques jours passent et j’entends Sergio m’appeler. Je
m’approche du muret contre lequel il a posé l’échelle. “Viens, Mario, viens.” Je descends. Sans un mot, nous sortons ensemble la voiture. Nous descendons la grand-rue et obliquons vers la campagne. Nous passons une clôture, nous voilà dans un champ. Sergio me fait reculer de quelques mètres. Il attrape une dame-jeanne d’alcool que je n’avais pas remarquée sur le siège passager, asperge la voiture et allume un briquet. La voiture s’embrase dans un bruit de tuyère. En quelques minutes, c’est une torche puis un tas de braises. Sergio n’en a pas retiré une aiguille. Il s’est placé à côté de moi pour regarder le feu. Il pleure. Je pleure. Nous ne pleurons pas la voiture, nous enterrons Nino, nous brûlons la vie de Sergio.
J’ai le souvenir d’une émotion terrible. Je suis allé, quelques jours, sur mon muret. Je l’ai vu ouvrir le box et regarder le vide. Puis il a fait détruire la grange pour bâtir un atelier. Il est devenu maçon.
À chaque retour, je me poserai sur ce muret. J’y ferai une autre découverte cruciale, celle de la nostalgie.
LE BAPTÊME
J’ai neuf ans. C’est l’été, un mois d’août caniculaire. J’ai été confié à une tante qui m’envoie faire une sieste. Je monte au troisième étage. La porte de la chambre de ma cousine est ouverte. J’y entre doucement, je la crois endormie. Des gémissements m’inquiètent : j’y entends de la douleur, je crains qu’elle ait mal. J’avance silencieusement. Je ne comprends pas ce que je découvre, ces pieds posés sur les montants du lit, cette posture ouverte face au miroir de l’armoire. Ma cousine se caresse et, moi, dans ce miroir, je vois pour la première fois le sexe d’une femme, sombre buisson sur chairs brillantes. Je trouve ça surtout drôlement étrange. Ma cousine se rend compte de ma présence, elle pousse sur ses jambes pour les refermer, je m’enfuis, elle me rappelle, se lève, ses jambes disparaissent sous sa robe. Elle me prend la main et me demande ce que j’ai vu. “J’ai vu tes jambes, là et là, et ta main, ici.” Je désigne les montants du lit et son giron avant d’ajouter : “Tu as mal quelque part ?” Elle répond : “Non, non, ne t’inquiète pas, ce n’est rien. Je ne me faisais pas mal, je me faisais du bien.” Et elle m’explique. Me parle d’intimité, de volupté, de ce plaisir possible pour chacun. Elle me dit que je n’ai rien vu de laid ni de vicieux. Elle comprend combien d’informations tout à fait nouvelles pour moi elle me délivre et demande le secret absolu. Mon innocence et ma promesse achèvent de la détendre. Plus elle me parle, plus ses mains serrent la mienne, puis les miennes. Au moment du serment, elle me prend dans ses bras, me hume, m’étreint.
Je ne sais pas ce qui s’est passé en elle, à quel moment elle se reconnecte à son désir que j’ai interrompu et comment elle le
connecte à moi, mais voilà qu’elle revient à sa première explication, me redit qu’elle ne souffrait en rien, que tout cela est doux, et, comme pour le prouver, guide ma main. Ce contact est affolant, surnaturel et familier : instinctivement, je reproduis ce que je l’ai vue se faire. Quelques instants après, elle remonte sa robe pour que je voie ce que je touche, alors je m’approche pour mieux contempler, elle m’ouvre ses bras. J’ignore pourquoi elle a initié ce contact puis laissé faire ma curiosité et si elle a pensé sceller mon silence en y glissant un énorme secret. Nous sommes dans l’Italie catholique des années 1950. J’ai neuf ans, elle en a quinze de plus. J’ai beau avoir toujours été son petit cousin préféré, je n’ose imaginer les conséquences pour elle si je n’avais pas tenu parole. Car je vais me taire. Cet après-midi-là et tous les autres, et tous ces soirs où l’on m’envoie dormir chez ma tante et où c’est dans le lit de ma cousine, qui joue les attendries, qu’on me permet innocemment de me coucher. Ma cousine qui me donne tout. Sa peau, sa bouche, son plaisir, mon éducation. Moi, j’ai l’impression d’entrer au paradis, qu’une vie nouvelle s’ouvre. Traumatisme ? Tu parles ! J’y trouve une poussée d’assurance et de supériorité… Quand les copains se mettent à l’envers pour une photo dévoilant un bout de sein, je suis mort de rire… mais personne ne sait pourquoi, car je ne me suis jamais vanté. J’avais juré.
Les mois qui suivent sont un nirvana. Je ne suis pas amoureux d’elle et ne le serai jamais. Cela n’aura aucune importance ni aucun impact sur la chaleur de nos retrouvailles, car, en quittant l’Italie, je la quitte et, amoureux ou pas, c’est un déchirement…
LE POINT DE VUE DES ÉDITEURS
James Bond ou Lucky Luke, Jeanne d’Arc ou Napoléon : chaque fois qu’il faut des chevaux dans un film, on fait appel à lui. Mario Luraschi est le Monsieur Cheval du cinéma français et international.
Fournir une cavalerie entièrement équipée et harnachée, régler une cascade, assurer une doublure : il sait tout faire. Au cours de sa longue et brillante carrière, il a ainsi contribué au tournage de plus de cinq cents films et mis en selle (et en scène) d’innombrables comédiens, de Philippe Noiret à Johnny Depp, de Jean Reno à Jean Dujardin, de Mylène Farmer à Penélope Cruz ou Salma Hayek.
On l’a sollicité aussi pour imaginer et réaliser de grands spectacles vivants, tels que Excalibur à Las Vegas, Wild West Show à Eurodisney, les tournois de chevalerie de Kaltenberg, en Allemagne, ou la fameuse course de chars dans le Ben Hur créé par Robert Hossein au Stade de France.
Bref, Mario Luraschi est connu et respecté dans le monde entier comme un homme de cheval, un cavalier intrépide, un dresseur exceptionnel ayant monté un millier de chevaux et préparé en haute école une bonne partie d’entre eux. Mais ce n’est qu’une facette de ce personnage multiple.
Mario Luraschi est aussi un collectionneur d’art amérindien, dont l’expertise est sollicitée par les musées, un homme d’affaires avisé, un bâtisseur, un acheteur de chevaux à l’œil infaillible, un bourrelier-sellier habile, un meneur d’hommes, un amoureux au grand cœur ayant vécu mille vies en une.
Il raconte tout cela dans ce livre, avec son entrain et sa franchise habituels. On en sort abasourdi, en se disant que, au fond, sa longue vie aventureuse et réussie aura été sa plus belle cascade.
J.-L. G.
Arts équestres
ACTES SUD
DÉP. LÉG. : MARS 2025
25 € TTC France www.actes-sud.fr
ISBN 978-2-330-19774-2
Photographie de couverture © Pascal Ito, 2025