Celle qui a tous les dons (Extrait 3)

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52 Le Rosalind Franklin semble mettre Caldwell et Parks en transes, pour des raisons différentes, évidemment, alors que les premières impressions d’Helen Justineau sont négatives. Il y fait un froid de canard, ça résonne comme dans un sépulcre, ça empeste le formol. Et, à voir son expression, Melanie fait preuve d’encore moins d’enthousiasme. Bien sûr, elles gardent toutes les deux des souvenirs récents et déplaisants de laboratoires, surtout de ceux où règne Caroline Caldwell. Or c’est ce qu’est ce « Rosie », comme Caldwell l’appelle : un labo roulant. Sauf qu’il dispose de couchettes et d’une cuisine, ce qui en fait donc aussi un gigantesque camping-car. Et de lance-flammes et de canons, si bien qu’il tient aussi du tank. Il y en a pour tous les goûts. Il est long comme un jour sans pain, ou presque. Le labo situé sur le côté occupe presque la moitié de l’espace disponible. Devant et derrière se trouvent les postes d’armes où deux tireurs peuvent se tenir dos à dos et guetter les flancs du véhicule à travers des fentes vitrées évoquant les meurtrières d’un château médiéval. Chacun des deux postes d’armes peut être isolé du labo par une porte qui fait sas. Plus au fond, il y a une salle des moteurs, ou assimilé. À l’avant, des quartiers de vie, avec douze couchettes fixées au mur et deux W.-C. chimiques, la kitchenette, puis enfin la cabine de pilotage, dotée d’un fusil sur affût du même calibre que celui du Humvee et d’à peu près autant de cadrans qu’un avion de ligne.


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Justineau et Melanie, debout dans le poste d’armes de devant, observent l’activité qui les entoure, dont elles sont momentanément déconnectées. Caldwell vérifie des équipements dans l’espace labo. Elle a un manifeste dans la main – il était sur le mur de la pièce, tout près de la porte. Il lui sert à trouver des instruments spécifiques, qu’elle inspecte ensuite à la recherche d’éventuels dégâts. Son expression est concentrée, furieusement sérieuse. Elle semble avoir tout à fait oublié la présence des autres. Parks et Gallagher se sont portés à l’avant, par-delà les quartiers de vie, dans le poste de pilotage. Ils se démènent autour de quelque chose – sans doute le cadavre dont a parlé Parks. Au bout d’un moment, ils passent avec. Enveloppé dans une couverture, il traîne derrière lui un sillage complexe d’odeurs déplaisantes, mais, par bonheur, anciennes et légères. — Les portes avant sont fermées à clé, grommelle Parks. Apparemment, on ne peut pas les ouvrir sans allumer le bahut. Et on n’a pas de jus pour. Ils évacuent la dépouille par la porte du milieu, celle par où ils sont entrés. Justineau note la présence d’un ordonnancement compliqué d’armatures de métal et de feuilles de plastique sur la face intérieure de la porte. Ce doit être un sas repliable. Dans un placard juste à côté, elle trouve six combinaisons isolantes dotées d’énormes casques cylindriques à visière minuscule, comme les têtes de robots dans les films des années 1950. Les gens qui ont conçu ce « Rosie » pensaient vraiment à tout. Mais apparemment ça n’a pas été d’un grand secours pour ceux qui étaient à bord. Justineau pose la main sur le bras de Melanie, qui bondit de presque trente centimètres en l’air. Cette réaction extrême fait sursauter Justineau à son tour. — Pardon, dit-elle. — Ça va, murmure Melanie en levant la tête vers elle. La fillette a les yeux écarquillés, le regard insondable. En temps normal, ses émotions affleurent, mais Justineau ne sait


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pas interpréter les abysses qu’elle y aperçoit, en dessous de la tension et du mal-être. — On ne restera sans doute pas longtemps, la rassure-t-elle. Mais elle-même perçoit la futilité de cette déclaration. Elle n’en a pas la moindre idée. Quand Parks et Gallagher reviennent, ils s’entretiennent avec Caldwell d’une voix étouffée, sur un débit rapide. Puis Gallagher se rend dans les quartiers, tandis que Parks fait tout le tour jusqu’à l’arrière du véhicule. Sa curiosité piquée, Justineau les suit jusqu’à la salle des machines. Où Parks ôte la plaque de visite de ce qui ressemble à un générateur électrique de bonne taille. Il en triture l’intérieur un petit moment, l’air pensif. Puis il se met à ouvrir les placards sur les murs, un par un, et à en inspecter le contenu. Le premier doit contenir environ un millier d’outils, bien rangés sur des racks. Le suivant est plein de bobines de câble, de pièces métalliques enveloppées dans de la mousseline graissée, de boîtes de différentes tailles comportant des numéros d’index à rallonge. Le troisième regorge de manuels, que Parks feuillette avec un froncement de sourcils concentré. — Vous croyez pouvoir remettre ça en marche ? lui demande Justineau. — Peut-être. Je n’ai rien d’un expert, mais ça doit être bricolable. Ils ont rédigé ces manuels de réparation pour les imbéciles comme moi. — Ça risque de prendre un moment. — Il y a des chances. Mais, bon Dieu, cet engin a plus de puissance de feu que la plupart des armées. Des canons de campagne. Des lance-flammes. Ça vaut forcément le coup d’essayer, non ? Justineau se retourne pour aller dire à Melanie qu’ils risquent de rester plus longtemps qu’elle l’imaginait – mais la petite est déjà là, campée juste derrière elle.


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