Qu'est-ce qu'on se raconte ?

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Qu’est-ce qu’on se raconte ?

Qu’est-ce qu’on se raconte, lorsqu’on raconte des ­ istoires ? Bien souvent des histoires qui nous ressemh blent, construites autour de conflits, de luttes contre des ­menaces, de compétition, des histoires avec des bons et des méchants, des gagnants et des perdants, des violences ­justifiées ou non. Des histoires qui nous ressemblent... Mais ne ressemblons-nous qu’à ces histoires ? La Guerre éternelle de Joe Haldeman affirme dès le titre la permanence de cette démarche narrative. Cependant, la vie a la vie dure, elle ne peut pas se maintenir seulement dans le conflit. Il lui faut autre chose pour se perpétuer. Peut-être pas La Paix éternelle, mais au moins l’envie et la découverte de l’autre, l’acceptation curieuse plutôt que le combat. Cela peut-il faire une histoire ? Peut-être, ou pas. Sauf que nous sommes ici dans les domaines de l’imaginaire. Alors autant laisser les auteurs imaginer... autre chose. C’est tout le propos de cette anthologie Contrepoint : ne pas fustiger la narration conflictuelle – laquelle a envahi l’essentiel des littératures de l’imaginaire pour les transformer en thrillers – mais lui apporter une note complémentaire à la recherche d’un point d’équilibre.


Les théoriciens de la narratologie s’accordent à dire que sans déséquilibre, sans opposant, sans agresseur, il n’y a pas de vraie histoire. Mais affirment-ils qu’il faut s’obliger à la baston pour qu’il y ait quelque chose à raconter ? Non plus. En théorie, le récit exige l’exposition d’une situation d’équilibre, une perturbation conduisant au déséquilibre, une action transformatrice permettant d’abord de revenir à un nouvel équilibre et en prime de satis­faire le lecteur. Pour autant, transformer ne se limite pas à lutter, à résister, à combattre... On peut inventer d’autres façons de s’y prendre et créer ce qui rendra un texte passionnant sans jouer sur la tension de l’affrontement. Il y faut juste la volonté et le talent. Ce talent, bien des auteurs l’ont. En ont-ils l’envie ? Il suffisait de le leur demander. L’appel à textes pour cette anthologie était libre de thème, mais précisait une seule contrainte : raconter une histoire en évitant les ressorts narratifs de l’affrontement, de la compétition, du combat ou de la fuite devant une menace. En invitant les quelques auteurs que je connaissais à relever ce petit défi, je ne m’attendais pas à ce que tous répondent avec enthousiasme. Pourtant, plusieurs l’ont fait. Même ceux dont l’œuvre entière est une exploration du conflit et de ce que l’homme peut cacher de plus sombre. Je pense notamment à Charlotte Bousquet, à Stéphane Beauverger, et à Thomas Day, mais aussi à Lionel Davoust, David Bry ou Xavier Bruce. Tous ont cherché, dans leurs écrits précédents, à traquer ce qui pousse l’homme vers


la violence, parfois avec l’arme supplémentaire de l’humour comme Laurent Queyssi. Presque tous m’ont avoué n’avoir rien écrit de non conflictuel avant que je le leur demande. Et Thomas Day, avec sa « Semaine utopique », poursuit cet aveu jusque dans ces pages mêmes. C’est là son talent : ne pas affronter l’obstacle que constituait une contrainte narrative discutable, mais le décrire sans le combattre. D’autres plumes, comme Sylvie Lainé ou Timothée Rey, se sentaient plus à leur aise dans le contrat non conflictuel de Contrepoint. Sylvie admet ne pas avoir éprouvé de difficulté particulière, tous ses textes relevant d’une démarche narrative de ce type. C’est peut-être ce qui l’a incitée à s’affranchir de ses thèmes de prédilection pour une forme d’hommage à un autre écrivain, ainsi que vous le découvrirez. Ce volume ne comporte que neuf textes pour des raisons d’agenda ou d’encombrement. Il pourrait vous en proposer trente de plus. D’ailleurs nous le ferons peut-être plus tard. Pas pour moraliser l’imaginaire – pardon à ceux que ce mot hérisse – ou faire acte de militantisme Bisounours. Mais parce qu’il y a, chez les auteurs et chez bien des lecteurs, ce goût et ce plaisir à sortir des schémas éprouvés et éprouvants pour imaginer d’autres façons de raconter nos rêves. Une démarche qui promet encore de belles aventures sans peur, sans menace et sans violence. Ne sachant pas ce qu’une préface doit être, je vais m’arrêter là : si je me suis trompé, j’aurai au moins fait


court sans trop retarder l’entrée en scène des textes. Qu’il me soit juste permis de féliciter tous ceux qui ont participé. Car la naissance de ce livre a respecté sa contrainte à la lettre : nous n’avons jamais eu à nous battre pour que ces histoires existent. Laurent Gidon – mai 2012


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