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a journée avait commencé semblable à toutes les autres. Mais, quand Ronny était sorti de la salle de bains, sa mère lui avait tendu le communicateur en disant : « Pour toi. Il est arrivé quelque chose à Elinn. » Voilà pourquoi, à peine dix minutes plus tard et après avoir fait l’impasse sur son petit-déjeuner, il était en train d’enfiler sa combinaison spatiale devant le sas du module 5. Sans oublier le recycleur, même s’il n’aimait pas l’appareil, parce que Carl en avait décidé ainsi. Carl qui ressemblait à son propre fantôme. Blême et désemparé. Son histoire était un peu décousue et Ronny avait dû lui faire préciser plusieurs points avant de comprendre de quoi il retournait. En première ligne, Ronny était fâché contre Elinn. Ce n’était peut-être pas la réaction adéquate ; comme les autres il aurait sans doute dû s’inquiéter pour elle, mais il n’y pouvait rien. Il était surtout en colère parce qu’elle était partie sans lui en toucher un mot. Elinn et lui étaient les plus jeunes sur Mars et ils s’étaient toujours serré les coudes. Ces derniers temps, ils avaient même pris l’habitude d’effectuer leurs sorties secrètes ensemble. Et voilà qu’elle le lâchait. Il est vrai qu’elle avait une prédilection pour la solitude, mais elle s’était toujours confiée à lui avant d’aller trop loin. Qu’elle ait décidé de se rendre sans lui sur la planète inconnue était impardonnable. Le vrombissement sourd de la pompe qui faisait le plein de la chaloupe se mua en un bruit strident qui vrillait les tympans. Un des techniciens chargés des vérifications avant le départ
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courut vers les écrans de contrôle et réduisit la pression d’un cran. Urs était pâle lui aussi. « Mon père était furieux », dit-il. La mauvaise humeur de l’administrateur était légendaire dans la station. « Une chose est sûre, en tout cas : il va confisquer la combinaison d’Elinn dès qu’elle sera de retour. » Carl hocha la tête comme s’il approuvait. Mais qu’en seraitil vraiment ? Pigrato avait souvent déjà menacé de retirer leurs combinaisons aux enfants de Mars parce qu’il trouvait leurs sorties trop dangereuses. Ce n’était qu’un imbécile, même si c’était le père d’Urs et qu’Urs était son ami. Le visage livide, les yeux hagards, ils ne parlaient guère. La tension au sein du petit groupe était palpable. Il flottait une odeur mordante de méthane carburant. « D’ailleurs, il va venir avec nous », conclut Urs. Ariana leva les yeux vers lui. « Qui ça ? » Elle était en train de s’attacher les cheveux pour qu’ils ne se prennent pas dans l’encolure de sa combinaison. « Mon père. — Génial », maugréa Ariana. Au même instant, l’ascenseur s’arrêta et des pas résonnèrent dans la coursive supérieure, mais ce n’était pas Pigrato. On l’aurait reconnu : l’administrateur avait la démarche traînante typique des Terriens peu accoutumés à la faible gravité martienne. Peu après, Roger Taylor fit son apparition. « Salut les jeunes », lança-t-il en saisissant sa combinaison spatiale à la carrure extralarge. L’aréologue était aussi responsable de la salle de gymnastique qui permettait aux colons de ne pas voir fondre leur masse musculaire, et il en était le premier utilisateur. « Quelle histoire, hein ! » Les adolescents le dévisagèrent, l’air étonnés. « Ah. Je vois qu’on ne vous a rien dit. » Un bref sourire éclaira le visage de Taylor. « Le professeur Caphurna m’a tiré du lit. Il veut que je fasse partie de l’équipe qui traversera la
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tour et ramènera Elinn sur Mars. » Il arqua les sourcils. « Si les nouveaux artefacts fonctionnent, bien entendu. » Carl hocha la tête. « Oui, murmura-t-il. Il n’y a plus qu’à l’espérer. » Ronny eut un éclair de compréhension. Apparemment, la gravité était beaucoup plus élevée sur la planète inconnue, ce qui expliquait pourquoi Elinn s’était effondrée à peine arrivée de l’autre côté. Il était donc logique d’envoyer quelqu’un de la stature de Roger Taylor. La voix du pilote retentit dans les haut-parleurs. « Nous sommes parés pour le décollage. Tout le monde à bord. — Allez ! lança Carl. Plus vite nous arriverons, mieux cela vaudra. » Ils attrapèrent leurs casques et montèrent la rampe au pas de charge. Dans la passerelle d’accès, un léger sifflement trahissait une fois de plus que l’étanchéité de la porte n’était pas parfaite. Ils étaient à peine assis, le casque sur les genoux, et sanglaient leur harnais quand le pilote frappa contre la vitre de séparation pour attirer leur attention et annonça dans le micro : « Urs, ton père te fait dire qu’il suivra par le prochain vol. Il n’a pas pu se libérer. » Urs hocha la tête, apparemment aussi soulagé que ses amis. « Compris. Merci. » La porte se referma, la passerelle d’accès se rétracta puis les réacteurs les propulsèrent dans le ciel immaculé de Mars avec un hurlement rageur. ❐ Carl eut l’impression que le vol durait une éternité. Pourtant, ils rejoignirent la Tête de Lion en un temps record. Le pilote posa l’appareil aussi près que possible du campement, avertit ses passagers de mettre leur casque et ne perdit pas de temps à évacuer l’air de la cabine avant d’ouvrir la porte.