Fondation Addiction Valais : 70 ans d'histoire

FONDATION ADDICTION VALAIS

70 ANS D’HISTOIRE

Marie-France Vouilloz Burnier

Fondation Addiction Valais

8 Préface

Dates clés

Les prémices. De la Croix d΄Or à la Ligue valaisanne d΄action antialcoolique 13 Quelques éléments préliminaires pour une commémoration

La naissance de la Ligue antialcoolique 20 1954 1971

Une nouvelle problématique 23 24 28 29 30

La Ligue valaisanne d΄action antialcoolique et ses missions

Du Dispensaire antialcoolique sédunois aux Services médico-sociaux

Les tâches complémentaires de la Ligue

Le financement de la Ligue

Une décennie effervescente 42 1989 1999 III

Le rapprochement entre la FVAT et la LVT (1989-1990)

Le développement résidentiel dès 1992

Le financement des prestations des institutions résidentielles

Le développement du secteur ambulatoire

Le développement du secteur prévention

Un changement de perspectives

Vers une nouvelle vision de la prise en charge des personnes dépendantes

Vers une évaluation critique du dispositif et sa professionnalisation

La recherche de la qualité

Le canton à la rescousse de la LVT/FVAT

La révision de la loi fédérale sur les stupéfiants (LStup)

Le renforcement des messages de prévention et de sensibilisation

La situation de la prise en charge institutionnelle et le développement de prestations de jour

Vers une dynamique de changement de la structure LVT

32

Vers une adaptation de l΄organisation avec l΄apparition des premiers problèmes de drogues

La Ligue valaisanne contre les toxicomanies (LVT)

La naissance de la FVAT et du secteur stationnaire

La Villa Flora, une institution pour alcooliques

La reconnaissance légale et financière par l΄État de la LVT et de la FVAT

Le Foyer des Rives du Rhône, une institution pour toxicomanes

Une mission d΄information et de prévention

La Fondation Addiction Valais, à la recherche de l΄équilibre

Des premiers pas hésitants

Les turbulences de la Fondation Addiction Valais

Vers un retour au calme

photographique 70 ans

Dates clés

1904

Fondation de la Fédération cantonale de la Croix d΄Or par le chanoine Jules Gross

Approche de la problématique de la consommation d΄alcool par l΄abstinence et la tempérance

Collaboration de la Croix d΄Or avec le corps enseignant, et l΄école devient un instrument indispensable dans la lutte contre l΄alcoolisme

1942

Inauguration de la Maison Blanche à Salins par l΄association L΄œuvre valaisanne de relèvement et préventorium antialcoolique, première institution valaisanne de prise en charge des buveurs

Engagement de la société basé sur le bénévolat, la charité et le dévouement

1953

Direction de la Maison Blanche reprise par Alphonse Loutan

1954

Création de la Ligue antialcoolique par Alphonse Loutan et le Dr Pierre Calpini, chef de service de l΄hygiène

Transmission de la prise en charge des personnes alcooliques des ecclésiastiques aux médecins

Ouverture du premier dispensaire antialcoolique à Sion sous la responsabilité d΄Alphonse Loutan et collaboration avec la Maison Blanche

Développement de la prévention auprès des jeunes

Engagement de la personne alcoolique à signer l΄abstinence au début de sa cure

Introduction de cures de désintoxication physique en provoquant l΄effet antabuse et désintoxication morale par contrôle social

1960

Fermeture de la Maison Blanche en raison d΄un manque d΄efficacité par absence de formation adéquate du personnel

1962

Modification de la dénomination de La Ligue antialcoolique qui devient la Ligue valaisanne contre les abus d΄alcool

Mandat de l΄État à la Ligue pour éduquer et surveiller les récidivistes de l΄ivresse au volant

Modification du dispensaire antialcoolique de Sion qui devient le Service médico-social avec un perfectionnement professionnel des deux agents sociaux en place

1963

Ouverture du Service médico-social de Sierre

1965

Ouverture du Service médico-social de Martigny

1966

Ouverture du Service médico-social de Brigue

Création de la Commission consultative de prévention contre l΄ébriété au volant

1970

Ouverture du Service médico-social de Monthey

Apparition des premiers cas de drogue dans le Haut-Valais

1971

Ouverture du Service médico-social de Viège

1972

Modification de la dénomination de la Ligue contre les abus d΄alcool qui devient la Ligue valaisanne contre les toxicomanies

Création de la première commission cantonale consultative de lutte contre les drogues

Création des centres Contact à Brigue et à Sion, centres d΄accueil, de consultations et d΄information pour jeunes consommateurs afin de lutter contre la drogue sous forme ambulatoire

1973

Ouverture du centre Contact de Martigny

Développement des activités de prévention et d΄information auprès des écoles professionnelles, des milieux scolaires, des parents et des entreprises

1974

Ouverture des centres Contact de Monthey et de Sierre

1975

Création de la Fondation valaisanne en faveur de la prévention et du traitement de l΄alcoolisme et de la toxicomanie (FVAT)

Acquisition de la Villa Flora à Muraz-sur-Sierre par la FVAT

1976

Ouverture de la Villa Flora qui peut recevoir entre 15 et 20 personnes dépendantes à l΄alcool afin qu΄elles puissent prendre conscience de leurs difficultés liées à l΄abus d΄alcool

1977

Reconnaissance légale et financière de la LVT et de la FVAT par l΄adoption du décret cantonal d΄application de la loi fédérale sur les stupéfiants

1980

Adoption du règlement (lutte contre l΄alcoolisme) par l΄État qui détermine les tâches de la LVT (prévention primaire, secondaire et tertiaire) et son financement (à 96 %), ce qui restreint sa marge de manœuvre

1981

Inauguration du Foyer des Rives du Rhône à Sion, centre pour toxicomanes adultes, avec une capacité de 15 personnes et une approche thérapeutique axée sur l΄abstinence pour rétablir l΄équilibre physique, mental et symbolique

Essor des polytoxicomanies, accentuation du problème de l΄alcoolisme chez les jeunes

1982

Lancement des actions d΄information et d΄éducation à la santé Pleine Forme, participation à la formation et à la mise en place de médiateurs scolaires

1984

Subventionnement total des foyers de la FVAT par le canton (avec notamment une couverture de déficit par la LVT) et par la Confédération (au travers de l΄OFAS)

1987

Développement de programmes d΄information et de prévention originaux, tels que « T΄as pas 5 minutes ? » ou « Bar Ouvert »

Collaboration à l΄élaboration des programmes méthadone avec contrat tripartite (médecin prescripteur, usager, professionnel de la LVT) et à l΄édiction des directives résultantes du 28 avril 1987 sur la prescription de la méthadone aux toxicomanes en traitement

Ouverture d΄une Antenne Sida au centre Contact de Sion en collaboration avec la Ligue valaisanne contre la tuberculose et les maladies pulmonaires

1989

Rapprochement pragmatique de la FVAT et de la LVT traduite par l΄adoption d΄une convention

1990

Entrée en vigueur de la convention FVAT-LVT, qui engendre une structure originale et unique en Suisse, et par laquelle la FVAT confie la gestion administrative et comptable de ses foyers à la LVT tout en gardant ses prérogatives sur ses infrastructures et le management de son personnel

Création de la Commission Concept dont la mission consiste à définir des options en matière de lutte contre les toxicomanies dans les domaines de l΄aide ambulatoire et stationnaire ainsi que dans l΄information, l΄éducation et la prévention

Création des Forums Drogues en collaboration avec la Société médicale du Valais et les Institutions psychiatriques du Valais romand, modèle unique en Suisse de rapprochement des partenaires engagés dans le dispositif des toxicomanies

1992

Affirmation de la politique antitoxicomanie du Valais, incluant répression, prévention renforcée, transition facilitée de la prison à l΄institution thérapeutique, traitement méthadone et suivi ambulatoire

Ouverture et inauguration du Foyer François-Xavier Bagnoud à Salvan qui promeut la même philosophie de prise en charge que le Foyer des Rives du Rhône à Sion

Ouverture du Centre REHA à Gampel avec une capacité de douze places d΄accueil de personnes dépendantes à l΄alcool pour des courts séjours

Restructuration de la Villa Flora avec la mise en place d΄un concept remanié et original de réhabilitation et de réinsertion professionnelle

Décloisonnement des prises en charge des personnes dépendantes à l΄alcool et des toxicomanes

Naissance des Centres d΄aide et de prévention (CAP) résultant de la fusion des Services médicosociaux avec les centres Contact

Soutien de la Ligue à la constitution de l΄Association des personnes concernées par des problèmes liés à la drogue

Augmentation des cas de surdoses mortelles et des cas de sida

1994

Adoption par le Conseil d΄État du projet de développement de la LVT (création d΄un fonds de prévention, source de financement des futures actions préventives de la LVT) à la suite d΄un droit aux subventions de l΄OFAS pour son secteur ambulatoire

1996

Adoption par le Conseil d΄État de l΄ordonnance sur les toxicomanies, abrogeant le décret de 1977 concernant l΄application de la loi fédérale sur les stupéfiants et le règlement de 1980 concernant la lutte contre l΄alcoolisme

Réalisation dans le domaine de la prévention et en collaboration avec le GREA, de la borne interactive Café Saïgon adaptée aux trois langues nationales et utilisée sur l΄ensemble du territoire suisse

1997

Adoption de la convention de la collaboration avec le Département de la santé publique

Modification des statuts de la LVT, avec les quinze membres du comité constituant également le conseil FVAT et la LVT

Désengagement financier progressif de l΄OFAS engendrant l΄obtention d΄une aide financière transitoire de l΄OFSP et un soutien financier de l΄État du Valais

1999

Début de la campagne de réduction de la consommation moyenne d΄alcool « Combien ? » (qui se déroulera jusqu΄en 2007) basée sur un concept novateur qui introduit l΄humour dans les messages de prévention

Développement d΄un poste de collaborateur scientifique avec l΄appui et la supervision du groupe Recherche Intervention Substances Québec, affilié à l΄Université de Montréal

Rapprochement du REHA Zentrum avec le Centre psychiatrique du Haut-Valais (PZO)

2001

Élaboration et participation au développement du concept social et des mesures préventives du Casino de Saxon

Introduction d΄un instrument permettant d΄évaluer la gravité des problèmes associés à la surconsommation de drogues et d΄alcool et de quantifier le besoin additionnel de traitement

2002

Obtention de la certification du système de management de la qualité SQS-QuaTheDA par chaque foyer résidentiel et par le secteur ambulatoire de la LVT

Nouvelle appellation du centre REHA à Gampel qui devient via Gampel à l΄occasion de ses dix ans d΄existence

2003

Intégration de tous les services au recueil de statistique national harmonisé act-info

Introduction d΄un nouveau modèle de financement des foyers de la FVAT après l΄arrêt de leur subventionnement par la Confédération avec la mise en place d΄un nouveau contrat de prestation entre la LVT et l΄État du Valais

2004

Lancement du label Fiesta (de réduction des risques en milieu festif) en collaboration avec de nombreux partenaires, dont la Police cantonale, les polices municipales, la Fédération des communes valaisannes et le Service cantonal de la santé publique

2008

Engagement de la LVT au niveau romand et fédéral dans la mise en œuvre d΄une politique coordonnée dans la lutte contre l΄alcool, les toxicomanies et les addictions sans substances

Acceptation par la population suisse de la révision de la loi fédérale sur les stupéfiants qui entérine la politique fédérale des quatre piliers (prévention, thérapie, réduction des risques, répression)

Approbation de la nouvelle loi sur la santé qui élargit le domaine de la prévention à l΄alcoolisme et autres types d΄addiction et qui pérennise les commissions de lutte contre les toxicomanies

Élargissement de la mission de la LVT pour créer des actions de prévention contre le jeu excessif et proposer différentes prises en charge des personnes dépendantes aux jeux d΄argent

Développement à la Villa Flora et à via Gampel de l΄offre de prestations de jour destinées à prévenir les rechutes

Création par l΄État du Centre d΄indication et de suivi par le Service d΄action sociale qui évalue les demandes de placement dans les institutions sociales subventionnées du domaine du handicap et des addictions

2009

Transformation du poste de secrétaire général de la LVT en celui de directeur général

2011

Adoption de nouveaux statuts qui avalisent la dissolution de la LVT dans la FVAT qui prend la dénomination de Fondation Addiction Valais

2012

Début de l΄activité de la Fondation Addiction Valais dont l΄organisation est constituée d΄un secteur ambulatoire et d΄un secteur résidentiel, et d΄un centre de prestations pour soutenir leurs activités

2015

Mise en place d΄une stratégie de refondation avec des changements organisationnels dans les postes de direction devant instituer une véritable culture de collaboration entre l΄ensemble des secteurs d΄Addiction Valais

2017

Rupture annoncée par l΄Association des amis et anciens des Rives du Rhône

Étude indépendante pour le Conseil d΄État sur les concepts et le fonctionnement de la Fondation. Elle recommande de la maintenir comme institution cantonale de référence, tout en proposant l΄adoption d΄un concept de gestion des ressources humaines

2018

Transfert des activités de prévention primaire à Promotion Santé Valais dans le cadre d΄une convention de collaboration

Obtention de la certification du système de management de la qualité SQS-QuaTheDA pour l΄ensemble de la Fondation

Ouverture du Jardin des Berges dans le bâtiment rénové de l΄ancien Foyer des Rives du Rhône à Sion et qui met fin à l΄existence des Rives du Rhône au sein de la Fondation

Mise en place de prestations de job coaching dans le Haut-Valais

2019

Transformation de la Villa Flora en Centre de jour

2022

Mise en place des prestations de suivi socio-éducatif à domicile (SSED)

2023

Adoption du nouveau concept d’accompagnement d’Addiction Valais qui introduit formellement la philosophie du rétablissement comme modèle transverse au sein de la Fondation

Première femme à la tête de l΄institution en la personne de Me Géraldine Gianadda

Introduction

Quelques éléments préliminaires pour une commémoration

La Fondation Addiction Valais est née officiellement le 1er janvier 2012. Cependant son activité remonte à 1954 sous une première appellation de Ligue valaisanne d΄action antialcoolique qui évoluera en Ligue valaisanne contre les abus d΄alcool puis en Ligue valaisanne contre les toxicomanies, en parallèle avec le développement de la Fondation valaisanne en faveur de la prévention et du traitement de l΄alcoolisme et de la toxicomanie.

La Fondation fête ainsi ses 70 ans en 2024. C΄est une occasion parfaite pour revenir sur l΄histoire du développement de cette organisation, unique en Suisse et souvent novatrice, active dans le champ si particulier des dépendances et des addictions. La présente publication retrace ce développement en cinq parties

marquées par des personnalités visionnaires ou pionnières et d΄importants changements de paradigmes. Ces grandes étapes sont mises en perspective avec les évolutions du contexte socio-politique valaisan, des substances consommées et des problématiques rencontrées, de la prévention et de l΄accompagnement professionnel des personnes concernées par une addiction ainsi que du rôle de la Confédération, du Canton et des communes. 1904

Les prémices. De la Croix d΄Or à la Ligue valaisanne d΄action antialcoolique

Dans un canton où la culture de la vigne est nourrie de tradition et de passion depuis des millénaires1, le vin, considéré comme un don de Dieu, participe pleinement au rituel sacré, exprime un ancien savoir-faire remarquable, illustre une sociabilité empreinte de convivialité et symbolise l΄ivresse du passage à l΄âge adulte. Comment dans de telles conditions se pencher sur l΄alcoolisme et sur la misère affective, sociale et familiale qu΄il peut engendrer ?

Les conséquences de l΄alcoolisme sur l΄individu et sa descendance sont en général largement sous-estimées en Valais comme ailleurs, depuis la nuit des temps. Quand les autorités valaisannes publient, le 20 mars 1616, une ordonnance de la Diète interdisant la vente de vins sur les marchés de Sion c΄est pour souligner que « c΄est après avoir bu que les hommes sont les plus imprudents2 ». Cependant, les ecclésiastiques propriétaires de vignes salarient régulièrement en vin leur personnel et offrent même le vin à leurs paroissiens pour des processions qui donnent parfois lieu à des écarts de conduite blâmés par l΄évêque lui-même3. Dès le XVIIIe siècle, les désordres publics provoqués par l΄abus de boisson sont signalés aussi bien dans les archives judiciaires quand il s΄agit de délits, que dans les archives communales quand il s΄agit des abus engendrés par la fréquentation des tavernes, et dans les archives familiales pour souligner l΄ivrognerie de la domesticité ou celle des invités lors de l΄organisation de fêtes ou de cérémonies religieuses4

Il faut toutefois attendre la fin du XIXe siècle pour que les médecins hygiénistes et les ecclésiastiques moralistes considèrent les méfaits engendrés par l΄alcool sur la dignité de l΄homme, sa morale et sa santé. Sous l΄impulsion des évêques suisses, des sociétés d΄abstinence et de tempérance voient le jour partout dans le pays et se regroupent en Ligue catholique suisse d΄abstinence. En Valais, les premières sociétés d΄abstinence voient le jour en 1886 à Champéry à l΄initiative d΄une Anglaise, en 1891 à Sion sous la pression de trois ecclésiastiques, en 1894 à Loèche-les-Bains par la volonté du Dr Joseph de Werra et en 1898 à Sierre. Le chanoine Jules Gross, éminent propagateur de l΄abstinence, réunit ces petites sociétés en 1904 dans la Fédération des sections d΄abstinence et de tempérance du canton du Valais connue sous le nom de Croix d΄Or, dont il devient le secrétaire5. « La Croix d΄Or, mouvement de fervents abstinents, associe le salut de l΄âme à la sobriété et l΄ivresse à la condamnation infernale.6 » À côté des ecclésiastiques du comité de la Croix d΄Or, on compte deux médecins, le Dr Paul Repond, directeur de la maison de santé de Malévoz, et le Dr Rodolphe de Riedmatten, futur médecin cantonal7 ; comme il sera mentionné ultérieurement, ces derniers vont œuvrer à la reconnaissance de l΄alcoolisme comme une maladie dont les conséquences dépassent l΄individu pour s΄étendre à la famille et particulièrement aux enfants.

Initiative née d΄une fondation privée et créée en 1976, la Villa Flora a été un centre de traitement pour personnes dépendantes de l΄alcool reconnu dans le paysage valaisan et romand. Durant quatre décennies, environ 2500 personnes ont été accueillies afin d΄être accompagnées vers une meilleure qualité de vie. Un programme de réhabilitation à court terme et de réinsertion professionnelle à moyen terme était offert aux pensionnaires dans un cadre chaleureux et adapté à un travail thérapeutique. Au début des années 1990, le centre a cherché à associer les proches et la famille à la démarche des personnes en rétablissement, en développant une offre de prestations qui leur était spécifiquement destinée.

En 1986, Villa Flora a créé un groupe d΄anciens pensionnaires, réunis sous le nom de l΄Amicale « Entre-Nous » et prémices de l΄association des anciens sympathisants de Villa Flora.

La transformation de la Villa Flora en Centre de jour constitue une page marquante dans l΄histoire de la politique de prise en charge d΄Addiction Valais.

La transformation de la Villa Flora

Vers un retour au calme

La nouvelle gouvernance de la Fondation se compose désormais d΄un Conseil de Fondation de sept membres et d΄un comité de direction composé du nouveau directeur général nommé en novembre 2018, Pascual Palomares, des responsables de secteurs et des ressources humaines246. Dès son entrée en fonction, le nouveau président, le Dr Ioan Cromec, rappelle que la Fondation est la référence cantonale en matière d΄addictions. Avec la volonté de s΄adosser à la Stratégie nationale Addictions 2017-2024, le Conseil inscrit le travail de la Fondation dans la ligne suggérée par le rapport Eichenberger247. La direction s΄efforce de mettre en œuvre les recommandations de ce rapport. Cela est rendu possible par le retour à un certain calme dans la Fondation, grâce à la nouvelle organisation dessinée par l΄ancien Conseil de Fondation et à l΄obtention de la nouvelle certification de qualité en octobre 2018.

En novembre 2018, le Jardin des Berges ouvre ses portes dans le bâtiment rénové de l΄ancien Foyer des Rives du Rhône à Sion, avec un nouveau concept d΄accompagnement. Cette étape marque la fin de l΄existence des Rives du Rhône au sein de la Fondation.

Dès 2019, à la suite de la transformation de la Villa Flora en Centre de jour, la Fondation dispose de services centraux, de cinq unités ambulatoires (Monthey, Martigny, Sion, Sierre et Viège)248, d΄un secteur résidentiel sur trois sites (via Gampel, François-Xavier Bagnoud, Jardin des Berges), d΄un Centre de jour à la Villa Flora, de prestations de soutien socio-éducatif à domicile ainsi que de prestations de job coaching (soutien à la réinsertion professionnelle). La perméabilité des frontières entre les différentes unités renforce la coopération entre les collaborateurs et collaboratrices, l΄adéquation et la cohérence des prestations fournies, et une continuité dans les prestations délivrées au sein de la Fondation. L΄ensemble est soutenu par l΄introduction du Stepped care, modèle qui vise à mettre en adéquation les prestations avec les profils des personnes accompagnées.

La gestion du Covid

La pandémie de Covid-19 a touché le quotidien de tous les Suisses, y compris celui des personnes dépendantes à l’alcool ou à la drogue. Pour ne pas aggraver la réalité de ces personnes, Addiction Valais s’est adaptée en permanence aux consignes édictées par la Confédération et le Canton, afin de lutter contre la propagation de la pandémie de coronavirus tout en ne laissant personne au bord de la route. Thomas Urben, membre de la direction d’Addiction Valais déclarait : « Nous devons favoriser le lien, pour que ces personnes se sentent moins seules et soutenues. Elles ont besoin d’avoir des contacts car le risque de rechute ou de rupture est très élevé ». Addiction Valais a ainsi très rapidement introduit des mesures pour assurer la poursuite des accompagnements sociothérapeutiques ambulatoires à distance, via des entretiens par téléphone ou par vidéoconférence.

Après 5 ans de crise aiguë, et avec des rapports de confiance rétablis en interne et en externe, la sérénité de la Fondation est enfin trouvée. Lorsque Thomas Urben, alors responsable du secteur ambulatoire, succède à P. Palomares en 2021, le président du Conseil de Fondation assure ainsi que la structure est solide et le personnel compétent249 En accord avec le Conseil de Fondation, le nouveau directeur établit un plan stratégique 2023-2027 dans lequel les axes stratégiques fondamentaux sont posés. Pour accompagner les personnes, la direction opte pour un nouveau concept d΄accompagnement orienté vers le rétablissement. La priorité stratégique de la Fondation consiste dès lors dans l΄individualisation des prestations en tenant compte des besoins, des motivations et des ressources de chacun-e : « Le contenu des prestations doit permettre à la personne d΄acquérir de nouvelles capacités, de consolider et de renforcer son pouvoir d΄agir et de créer une vision positive d΄elle-même250  ». La personne est accompagnée dans la réalisation de son propre projet par du personnel qui dispose de qualités d΄humilité et d΄engagement dans une pratique réflexive. Cette pratique n΄est rendue possible que grâce à l΄encadrement adéquat des professionnel-les, motivé-es par des formations internes qui « nourrissent la réflexion, aiguisent l΄esprit critique et augmentent la capacité d΄agir en autonomie dans son environnement professionnel251 ».

Finalement, le 1er juin 2023, Me Géraldine Gianadda reprend la présidence du Conseil de Fondation, succédant au Dr Ioan Cromec qui reste membre dudit Conseil.

Conclusion

Ce cheminement de 70 ans aux côtés de la Fondation Addiction Valais montre que la lutte contre les diverses formes de dépendances est un combat de longue haleine qui, à l΄instar du système hospitalier du canton, se structure hors des prérogatives étatiques, grâce à l΄initiative privée et à la mobilisation de quelques personnalités. Parmi elles, Pierre Calpini, médecin cantonal et cofondateur de la Ligue valaisanne antialcoolique, intervient régulièrement auprès du canton pour qu΄il finance les activités de la Ligue tout en lui laissant une large autonomie dans le choix de ses concepts thérapeutiques.

En Valais comme en France, la lutte contre l΄alcoolisme représente le premier engagement social visant à « sauver le peuple de la servitude de l΄alcool252 ». Ecclésiastiques et médecins se rassemblent pour procéder à la prévention antialcoolique dans les écoles, inaugurant ainsi l΄un des principes fondateurs de la Ligue, bien avant que le canton ne légifère dans ce domaine. Ils définissent une ligne répressive et morale qui marque de son empreinte les processus médico-sociaux mis en œuvre pour la prise en charge avec comme corollaire, la recherche de l΄abstinence à tout prix. Pourtant, après sept décennies de prévention, même si sa consommation est en constante diminution depuis 1992253, l΄alcool reste en Valais la substance addictive la plus ingérée. Les groupes de pression du secteur économique de l΄alcool (viticulteurs, cafetiers-restaurateurs, commerçants) influencent durablement le monde politique du canton qui, en l΄an 2000 encore, en opposition avec les professionnel-les du terrain, se positionne en faveur de la révision d΄une LStup résumée aux substances illégales254

Parallèlement au combat contre l΄alcoolisme, la LVT est confrontée, dès le début des années 1980, au défi majeur de la croissance à la dépendance aux drogues. Elle est mandatée par le canton pour élaborer des projets de prévention, créer un service de médiation scolaire, concevoir une antenne sida et collaborer au développement des traitements de substitution à la méthadone. Consciente de la nécessité de faire évoluer la politique « répression-abstinence », elle participe activement à la réalisation de la politique fédérale des quatre piliers qui place l΄être humain au centre des préoccupations sociales, vise à améliorer les conditions de vie des usagers et des usagères de drogues,

à diminuer le taux de mortalité des toxicomanes et la criminalité liée à la drogue. La politique valaisanne en matière de drogues se calque sur la politique fédérale tout en conservant quelques spécificités dues à la situation d΄un canton éloigné des grands centres urbains.

Avec le début du XXIe siècle, le domaine de la dépendance s΄élargit aux addictions sans substances telles que le jeu et la cyberdépendance. Avec son plan stratégique (2023-2027), la Fondation Addiction Valais souhaite sensibiliser le monde politique au large champ des addictions, offrir à sa clientèle des prestations cohérentes adaptées à ses besoins, proposer des infrastructures accessibles et de qualité, assurer une gestion adéquate du personnel255 Elle doit toutefois faire face à un marché des drogues en plein bouleversement ; l΄arrivée du crack, la drogue du pauvre, un produit peu onéreux, très addictif, aux effets secondaires violents, chamboule la politique dévolue aux addictions. Des solutions innovantes s΄imposent pour lutter contre la précarité croissante aussi bien dans les campagnes que dans les villes. Le GREA requiert la mise en œuvre d΄un cinquième pilier visant à débloquer plus de moyens pour la santé, le logement et l΄insertion sociale des personnes sous l΄emprise de ce fléau256. Reviennent également sur le devant de la scène les questions de la dépénalisation de la consommation et de la réglementation du marché des substances aux effets psychotropes. Selon Ruth Dreifuss, pionnière de la politique des quatre piliers, la prohibition des drogues est une erreur au même titre que la punition des consommateurs et l΄abandon du marché en mains criminelles257 Elle rejoint en cela la Commission fédérale pour les questions liées aux addictions et à la prévention des maladies non transmissibles (CFANT) qui cherche une nouvelle voie et propose une certaine forme de régulation préférable à la criminalisation. Il s΄agit de mieux contrôler le marché, de mieux cibler la prévention et de s΄assurer d΄une meilleure qualité des drogues, sans jamais promouvoir les produits addictifs258

Cet ouvrage, écrit par Marie-France Vouilloz Burnier, retrace les 70 ans d’histoire de la Fondation Addiction Valais depuis sa naissance en 1954 sous la dénomination de Ligue valaisanne d’action antialcoolique. Il évoque les étapes passionnantes de son développement sur l’ensemble du territoire valaisan, porté par des personnalités visionnaires ou pionnières et marqué par d’importants changements de paradigmes dans la prévention et l’accompagnement professionnel des personnes concernées par une dépendance ou une addiction.

Marie-France Vouilloz Burnier est historienne indépendante et docteure ès Sciences de l’éducation de l’Université de Genève. Elle a publié plusieurs ouvrages dans le domaine de la santé publique, des professions médicales, de la petite enfance et de l’histoire des femmes. Elle a cofondé l’association Via Mulieris pour encourager les recherches menées par et sur les femmes en Valais. Autrice notamment de Marie-Rose Zingg et la Pouponnière valaisanne. Une pionnière de l’accueil de la petite enfance, Sion, Les Cahiers de Vallesia, 2021.

Sous la direction artistique d’Alexia Turlin, la Fondation Addiction Valais a également invité les photographes valaisan·ne·s Florence Zufferey et Olivier Lovey à réaliser un projet de réflexion cherchant à rendre visible l’invisible et à déstigmatiser la thématique de l’addiction. Les photographies présentées en fin de publication ont été créées dans ce cadre et entreront dans les collections de l’Etat du Valais qui soutient généreusement ce projet.