COMMUNAUTÉ
ENTRETIEN
Élisabeth Rayer
Conseillère à l’Assemblée des Français de l’Étranger pour la Péninsule Arabe. Même si les choses commencent à changer très doucement, le débat et l’engagement politique sont deux choses rarissimes dans les pays du Golfe. Et cela aussi au sein des communautés d’expatriés ! Vivant depuis plus de trente ans aux Émirats, Elisabeth Rayer est Conseillère à l’Assemblée des Français de l’Étranger pour les pays de la Péninsule arabe, et Présidente de « Français du monde ADFE » (Association Démocratique des Français de l’Etranger) aux Emirats. Elle conçoit son action politique, avant tout, comme celle d’une élue de terrain, au service de ses concitoyens. Ce qui, selon elle, n’est pas contraire et n’empêche pas les débats d’idées.
PAR LAURENT DEGEORGES LMG : Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est exactement l’Assemblée des Français de l’Étranger ? Sa définition ? Son rôle ? Son fonctionnement ? Élisabeth Rayer : Il s’agit d’une Assemblée représentative des Français établis hors de France qui leur permet, même s’ils sont établis loin de leur pays, de participer à la vie nationale et de faire entendre leurs voix. Siègent, au sein de cette Assemblée, des conseillers qui sont élus au suffrage universel et qui les représentent auprès de toutes les instances officielles (politiques, administratives, Pouvoirs Publics). Par ailleurs, nous élisons, comme en ce moment, les sénateurs des Français de l’Étranger. Les conseillers sont répartis dans le monde entier et se réunissent, en Assemblée Générale à Paris, deux fois par an. Nous siégeons également au sein de Commissions, permanentes www.lemagdugolfe.com
ou temporaires, sur des questions précises, très concrètes. Actuellement, je fais partie de la Commission temporaire consacrée à la Sécurité (1) qui est une donnée importante dans la région du monde où nous vivons, de la Commission de l’enseignement et des affaires culturelles et de la commission européenne. Au sein de ces Commissions, nous rédigeons, entre autres, des rapports qui vont aux Pouvoirs Publics, pour qui ce sont des remontées d’informations importantes.
La défense des intérêts des expatriés LMG : En quoi, l’action des conseillers concerne-t-elle les expatriés dans leur vie quotidienne ?E. Rayer : Le rôle des conseillers est essentiellement la défense des intérêts de nos concitoyens expatriés, notamment 26
en ce qui concerne l’enseignement, la protection sociale, la fiscalité, et bien sûr tous les autres domaines où nous pouvons améliorer la vie quotidienne et les conditions de vie des Français de l’étranger. LMG : Vous êtes conseillère, donc représentante des Français de l’Étranger pour l’ensemble de la Péninsule Arabe (2), et vous n’êtes pas une « professionnelle » de la politique, comment faîtes-vous pour les rencontrer ? E. Rayer : En raison de ma profession, cela n’est pas évident. Il faut savoir que beaucoup de contacts, d’échanges s e réalisent par Internet. J’essaie aussi, autant que possible, de profiter des vacances scolaires pour voyager dans la région. Bien sûr, je n’arrive pas à le faire autant que je le voudrais. Cependant mon métier de directrice adjointe du Lycée Théodore Monod d’Abu Dhabi,
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LMG Numéro 15 - Octobre 2011
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me permet de rencontrer beaucoup d’expatriés. Les écoles françaises sont l’un des lieux de rencontre importants de notre communauté. Nous avons aussi des relais par le biais des antennes locales et notamment de « Français du Monde ADFE » (3) ou d’autres associations (culturelles, économiques…) avec lesquelles nous échangeons et, bien sûr, avec les services du poste diplomatique.
Qui siège à l’Assemblée des Français de l’Étranger ? En plus de ses 155 membres élus, qui seuls participent à l’élection des sénateurs, l’AFE comporte des personnalités désignées pour six ans par le Ministre des Affaires Étrangères « en raison de leur compétence dans les questions concernant les intérêts généraux de la France à l’étranger ». Leur nombre, naguère de vingt (plus le représentant de la Principauté d’Andorre), a été ramené à douze. Avec l’entrée en vigueur complète de la loi de 2004, les personnalités qualifiées qui siégeaient jusqu’à présent avec voix délibérative ne disposent plus que d’une voix consultative La composition des 180 membres de l’AFE depuis 2009 est la suivante : 155 membres élus (collège électoral sénatorial). 12 membres désignés par le ministère des Affaires Étrangères. 12 sénateurs représentant les Français établis hors de France, membres de droit. Le Ministre des Affaires Étrangères, Président de droit.
LMG : Quelles sont, dans les GCC, leurs principales demandes ? E. Rayer : Elles concernent essentiellement les questions liées à l’enseignement et à la protection sociale. Dans d’autres pays comme le Yémen ou l’Arabie Saoudite, la sécurité est également une préoccupation importante. LMG : Lorsqu’en France, les Affaires Étrangères - au sens large - sont abordées, cela se fait systématiquement sous l’angle de la politique, de l’économie et du business. Pourquoi ? Y a t-il un déficit d’image ou une mauvaise perception ? E. Rayer : Cela est relativement juste et parfois dommage ! Pourtant nous sommes plus de 2 millions de Français installés à l’étranger. Ce chiffre est d’ailleurs en constante augmentation et les situations deviennent également de plus en plus diverses. Aujourd’hui l’expatriation concerne des personnes de toutes les catégories sociales et, plus récemment dans cette région, des salariés de petites et de moyennes entreprises. Peut-être que la France, à l’inverse d’autres pays européens, n’a pas une « longue histoire » de l’expatriation. LMG : Plus généralement, avec la constante augmentation du nombre de personnes expatriés, y a-t-il une réflexion menée sur un statut de Français à l’Étranger ? E. Rayer : Non ! On ne peut pas parler de statut de Français de l’Étranger pour la simple raison qu’ils sont Français. La seule différence est de vivre à l’étranger. Par définition, il n’y a qu’une seule communauté nationale, avec des citoyens qui ont les mêmes droits et les mêmes devoirs.
Revenir en france peut être un parcours du combattant LMG : Mais, les procédures administratives, qu’elles soient
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fiscales, scolaires, etc. peuvent devenir très complexes, pour ne pas dire un casse-tête ? E. Rayer : Cela peut devenir un vrai parcours du combattant. En général, c’est à ce moment que les gens se tournent vers les conseillers, les associations de Français à l’étranger, etc. Il est sûr que beaucoup de choses restent à améliorer, je pense notamment à l’installation des étudiants. Nous recevons, en tant que conseillers, de nombreuses demandes d’aide, et le retour en France est très souvent problématique surtout après de longues expatriations, ou à l’âge de la retraite. Dans certains cas, il s’agit d’une véritable « réinsertion ». Il y a un énorme travail à faire ! LMG : Avec la crise financière, l’État ait la chasse au déficit. A en croire les bourses scolaires de cette année, les budgets sociaux alloués aux Français de l’Étranger semblent en baisse…. E. Rayer : La prise en charge des frais de scolarité des lycéens telle qu’elle a été conçue et mise en place n’aurait pas dû avoir lieu. Je ne parlerai pas du plafond de cette prise en charge aux frais de scolarité de l’année 20072008. Il aurait fallu travailler à une augmentation du nombre des bourses scolaires ! Avec la crise actuelle, l’augmentation des frais de scolarité et du coût de la vie, nous faisons face à de plus en plus de demandes de bourses qui ne peuvent être satisfaites, dans une politique budgétaire telle que nous la connaissons! Plus d’élèves, d’étudiants devraient avoir accès aux bourses scolaires ou d’études et c’est bien regrettable. LMG : Est-ce une politique qui va s’inscrire dans le temps alors qu’elle touche une question essentielle comme l’Éducation ? E. Rayer : Nous espérons que non ! L’année prochaine, il y a des élections...
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Élisabeth Rayer pays d’accueil». Tout en reconnaissant volontiers que « le nombre d’étrangers par rapport aux « nationaux » ne facilite pas les échanges avec ces derniers », Elisabeth Rayer explique: « nous avons besoin, en tant que Français, de faire cet « effort », d’aller vers cette autre culture et je pourrais dire, en ce qui concerne les Emirats et les pays du Golfe, ces autres cultures ». Femme engagée depuis sa jeunesse, elle défend précisément l’idée de « l’engagement de terrain » avec la volonté de « se prendre en main », de « défendre la citoyenneté ». Avant d’ajouter, « la politique, c’est la vie ! ».
Native du Vaucluse, Élisabeth Rayer est directrice adjointe du Lycée Français Théodore Monod d’Abu Dhabi. Arrivée il y a plus de 30 ans dans le Golfe, elle réside dans les Émirats depuis 25 ans, après avoir vécu trois ans à Koweït puis deux années en Arabie Saoudite. Arabisante, elle confie : « même si cela fait longtemps que je vis en dehors de notre pays, je me sens profondément française ; je me sens porteuse des valeurs de la France, telles que la démocratie, les droits des hommes et des femmes, la laïcité, la solidarité, l’abandon de toute forme de discrimination…Dans le même temps, je me suis appropriée beaucoup de choses des pays du Golfe ». La conseillère à l’Assemblée des Français de l’Étranger regrette parfois que « les Français ne cherchent pas toujours à connaître et à comprendre leur pays d’accueil ». Pour elle, « même s’il est très difficile d’être en contact avec la population locale, le rôle d’un Français de l’Étranger est peut être aussi de faire l’effort d’aller à la rencontre des modes de vie, de l’histoire, des traditions et de la culture du
LMG : Il y a différents groupes politiques à l’AFE. En dehors des convictions politiques bien légitimes des uns et des autres, quelles sont les différences qui les caractérisent ? Y a-t-il la même division qu’en France entre gauche, droite et les autres ? E. Rayer : A l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE) les divers groupes politiques existent et sont représentés. Il ya des conseillers de gauche, et de droite. Ces divergences ne nous empêchent pas de travailler ensemble. A l’association « Français du Monde ADFE », nous ne dépendons d’aucun parti politique, nous défendons toutes les valeurs essentielles : la démocratie, les valeurs humanistes, la laïcité, la solidarité, la liberté, l’égalité, toutes les valeurs de la gauche républicaine. Comme bien souvent en politique, cela dépend aussi des personnes. Il ne faut jamais oublier que nous sommes, avant tout, des élus de terrain et que nous devons nous occuper des Français de l’Étranger.
Ce qui n’interdit pas les débats d’idées !
Comment organiser 2012 LMG : 2012 est une année électorale très importante. Avez-vous une idée de comment va se dérouler la campagne présidentielle dans les GCC ? E. Rayer : Avant le 31 décembre, nous allons surtout nous attacher à promouvoir l’inscription des ressortissants français au consulat et sur les listes électorales. Ensuite, les associations essaieront d’organiser des débats, autour d’un repas, d’un moment convivial, afin d’échanger, de discuter autour des programmes. Nous essaierons de faire venir des personnalités, même si cela est souvent compliqué à organiser… LMG : Il s’agit de la première élection législative où 11 députés seront élus par les Français de l’Étranger. Assisteront-ils à des réunions politiques dans notre 29
gigantesque circonscription, qui va quand même, de Koweït à l’Afrique du Sud ? E. Rayer : Nous soutenons un candidat, Jean-Daniel Chaoui, qui réside à Madagascar. Il est venu aux Emirats en mai 2011. Il doit se rendre en Arabie Saoudite et au Qatar. Nous serons ses relais et il faut bien convenir qu’Internet sera le principal vecteur de cette campagne électorale. (1) Cette Commission a en charge l’ensemble des questions de sécurité concernant les Français de l’Étranger, des causes naturelles aux troubles politiques, en passant par le terrorisme, les enlèvements , les disparitions, mais aussi la sécurité sociale etc. (2) La circonscription des conseillers de la région du Golfe couvre les pays suivants : l’Arabie Saoudite, Bahrain, les Émirats Arabes Unis, Koweït, Oman, Qatar et le Yémen. (3) Présidée par la sénatrice Monique Cerisier ben Guigna, l’Association Démocratique des Français de l’Étranger se situe à gauche de l’échiquier politique (Parti Socialiste et alliés).
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