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Des histoires à raconter
Au premier plan
Pourquoi raconter des histoires ?
De loin, la scène peut sembler chaotique : autour d’une table, des femmes avec des tabliers colorés et saupoudrés de farine pétrissent de la pâte pour en faire des pâtisseries et des quenelles. Elles passent d’une marmite de légumes à la vapeur assaisonnés à celle du riz. Elles remuent au passage les haricots et les pommes de terre qui bouillent, puis jettent un coup d’œil dans le four sur le plat principal – celui avec l’ingrédient secret que seule tante Carmen connaît. Les fruits frais, mijotés et enrobés de miel sont placés sur une grille de refroidissement. On ouvre des placards et on y prend des épices pour assaisonner le ragoût. On ajoute une petite pincée de sucre pour les pâtisseries ainsi qu’un peu de copeaux de noix de coco. Quant aux oignons, qu’il est doux leur grésillement alors qu’on les fait sauter comme un chef ! Rires et conversations remplissent la cuisine. Cependant, la tâche de chaque femme n’est pas ignorée. Trois conversations se déroulent en même temps. Tout le monde peut suivre le rythme de l’évolution de chaque histoire en pétrissant les commentaires, en mélangeant les mots joyeux.
Enfant, j’imaginais que tous les plats préparés contenaient des « morceaux » d’histoires cuites au four ou délicatement remuées en utilisant l’observation, la perspicacité, une blague, une pensée profonde, voire un avertissement. Une fois la table mise et le bénédicité fait, je me régalais de ces histoires comme si chaque mot avait été préparé, cuisiné, et servi juste pour moi. Un vrai banquet d’histoires !
Pourquoi raconter des histoires ? Simplement parce qu’elles nous aident à donner un sens à nos vies1. Elles nous engagent dans une communication à un niveau personnel, plus profond, où l’empathie et la compréhension prennent place ; où l’humanité rencontre les fils fins et fragiles des émotions et de la logique ; où l’improbable devient tangible à travers des expériences personnelles partagées2. Je crois que les histoires peuvent combler un fossé et raccourcir la courbe de l’apprentissage ; nous tirons des leçons précieuses des histoires qui ne nous appartiennent pas mais que quelqu’un nous raconte. Dans mon esprit, je repasse ce banquet d’histoires de mon enfance.
UNE INSPIRATION
Dimanche matin, je mets la table pour un brunch en l’honneur d’Erin, une nouvelle amie. Les propos et les rires de mes amies me parviennent depuis ma cuisine. Ces amies font partie de la famille, en quelque sorte, parce que nous avons raconté des histoires, partagé un cheminement spirituel – parce que nous nous sommes rappelées les unes les autres des histoires significatives, honnêtes et vraies auxquelles nous nous accrochons pendant les périodes plus pénibles de nos vies. Ce matin, nous préparons le repas ensemble. Cindy, la mère d’Erin, est décédée il y a six semaines. Erin, sa seule enfant, est restée en ville pour s’occuper des détails douloureux de la fermeture de ce chapitre de sa vie. Mes amies et moi avons toutes pris soin de Cindy. Dans la dernière année d’une longue et douloureuse maladie, nous lui avons rendu visite et avons passé du temps avec elle. Erin et Cindy ne s’étaient pas adressé la parole depuis 10 ans.
Pour honorer les souhaits de Cindy, on m’a chargée, en tant qu’aumônière du groupe, de passer « ce coup de fil » qui change la vie de quelqu’un – un coup de fil dont on se souvient souvent en raison de l’heure, de la date et du lieu exacts où l’on se trouvait lorsqu’une perte, des circonstances inconnues, et un chagrin ont frappé à notre porte et sont entrés chez nous.
Pour tenir la promesse que nous avons faite, je place soigneusement une petite boîte en cèdre à côté du couvert d’Erin.
La voici enfin qui arrive ! Alors que mes amies l’accueillent toutes en même temps, une scène familière se déroule. On l’emmène dans la cuisine, on lui confie une tâche, et la voilà immédiatement incluse dans la narration en cours. En voyant Erin troquer bientôt son expression bouleversée contre des éclats de rire, je souris. C’est peut-être pour ça que la narration d’histoires est si importante : être ensemble, comme Dieu nous a invités à l’être. Parfois, j’oublie qu’il nous donne l’occasion de partager notre cheminement spirituel et nos liens émotionnels avec les autres. Pourtant, nous avons, en tant que chrétiens, l’histoire la plus extraordinaire à raconter !
J’ai terminé de mettre la table. Après une prière d’action de grâces pour le repas, Erin ouvre la petite boîte en cèdre et en sort lentement six fiches. Des fiches de recettes de cuisine. Soudain, elle se rend compte que les aliments qu’elle a aidé à préparer sont des recettes de sa mère. Sous les fiches de recettes se trouve une photo de Cindy tenant la petite Erin dans ses bras. Sans voix, Erin secoue la tête, comme pour dire : Elle a laissé ça pour moi ? Du regard, elle fait le tour de la table. Les convives ont tous pris soin de sa mère : les infirmières, la kinésithérapeute, l’aumônière. En cet instant, les titres officiels tombent ; à table, il n’y a que des amies. Je lui dis que nous avons toutes écouté les histoires de Cindy sur sa magnifique fille qui avait six plats préférés. Je lui rappelle les belles prières que Cindy a déposées aux pieds du Créateur, humblement, demandant de tout son cœur qu’Erin « revienne à la maison ». « Elle a prié pour moi ? » murmure Erin. Elle soupire. Il y a tant de choses à raconter !…
Le silence est lourd, bref, mais la morale de l’histoire, elle, est bien comprise. Et c’est ainsi que les histoires commencent. Pour Erin, c’est un festin émouvant de souvenirs précieux au lieu des larmes. Cindy a laissé plus que des recettes de cuisine. Elle a laissé à Erin le rappel de la prière, l’aliment spirituel de l’âme, bien plus solide que les fils fins allant de l’émotionnel à la logique. Elle a jeté un pont pour réparer un gouffre de 10 ans grâce à un repas qui nourrit le corps. Les rires ne seront pas épargnés, car Erin se régale vraiment de mots préparés, cuits, et servis juste pour elle.
1 Joseph Campbell, The Hero With a Thousand Faces, 3e éd., Novato, Calif., New World Library, 2008, p. 25-29. 2 Ibid.
Dixil L. Rodríguez est rédactrice adjointe de Adventist World.
Écrire avec le cœur
Les histoires constituent un puissant ministère ! Raconter des histoires nous oblige à les écrire avec notre cœur, à nous rendre vulnérables. Pensez à des histoires que vous avez entendues. Quel impact ont-elles eu sur vous ? Que racontent-elles sur notre foi ? Comment révèlent-elles notre cheminement spirituel, nos liens émotionnels avec nos semblables ? L’écriture d’une histoire permet d’élaborer un message significatif et inspirant. Les trois types d’écriture les plus courants commencent par le rappel d’une expérience comportant une morale (ces mots de sagesse et d’inspiration qu’on désire laisser aux lecteurs)*.
Ancien moi/nouveau moi. On perçoit et on met par écrit les changements survenus en soi suite à un moment ou à événement transformateur.
Ancienne vision/nouvelle vision qu’on a d’une personne.
Écrivez sur une personne (quelqu’un de spécial dans votre vie) et sur la façon dont votre perception d’elle a changé après un moment révélateur. Ce « changement » chez elle peut également refléter un changement en vous.
Anciennes valeurs/nouvelles valeurs qui menacent, remettent en question ou perturbent d’une certaine façon
les anciennes valeurs. Avez-vous vécu une expérience qui a remis en question vos valeurs ? Qui a créé un changement dans votre vision du monde ?
HONORONS NOS HISTOIRES !
Pensez à l’avance aux questions que les lecteurs pourraient se poser. 1. Qu’est-ce qui rend tel ou tel événement aussi mémorable ? Quels détails physiques vous viennent à l’esprit lorsque vous repensez à cet événement ? 2. Y a-t-il un moment dans l’histoire où ça a fait clic, et qui vous a fait « grandir » spirituellement ? Intellectuellement ?
3. Quelle est la signification de l’histoire ? 4. Comment votre histoire aborde-t-elle des questions et des préoccupations humaines plus larges ? 5. En quoi est-elle utile aux autres ? 6. Qu’est-ce qui en fait un sujet auquel votre lecteur s’identifiera ? 7. Quel est le thème de l’histoire ?
* Adaptation de The Allyn & Bacon Guide to Writing, de John D. Ramage, John C. Bean et June Johnson, Londres, Pearson, 2016.