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presse images
Magazine INDONESIA / MAY 2007
Indonésie. Les bas-fonds dans la jungle Les forçats du pétrole. Dans des conditions dantesques, des villageois de la région de Cepu exploitent encore à mains nues l’or noir de la forêt. Mais les grandes compagnies pétrolières internationales convoitent leur trésor.
PHOTOS: © AVENTURIER PATRICK / GAMMA 13 rue d’Enghien – 75010 Paris France – Tel : 01 44 79 36 00 / Fax 01 44 79 36 77 SA au capital de 3 716 412 € - RCS Paris B 379 412 000. NAF 924Z
201.4654 / 2 C’est d’abord un bruit, un cri, métallique, mécanique et lancinant. Devant, là-bas, la forêt gémit. Puis ça devient une odeur, âcre, poisseuse, écoeurante. La vallée pue aussi. Enfin, après un ultime virage sur la piste défoncée, ça devient une vision : les bas-fonds dans la jungle ! De petites grappes humaines pataugent dans une boue souillée d’auréoles grasses et noires. Ici, un vieux bonhomme, maigre, ridé et édenté, s’agite, une fourche en bois dans les mains, sous un derrick de fortune : quatre troncs de teck, sommairement assemblés et maintenus avec des lianes. Là, torse nu, un villageois, courbé sur trois cuves, creusées dans le talus, baratte une pâte sombre et visqueuse. Là bas, des hommes transvasent un liquide brunâtre dans de grosses bonbonnes de verres. Plus loin, juché sur la carcasse d’une camionnette japonaise, cet autre enroule et déroule un filin d’acier sur la jante nue de son engin. Le bruit métallique de toute à l’heure… Ils sont une quinzaine, tous méticuleusement concentrés, sur une tâche que l’on sait forcément pénible. L’ensemble du chantier baigne en permanence dans les vapeurs et les fumées nocives de dizaines de foyers qui illuminent partout la forêt. Nous sommes à Bojonegoro, dans la province de Cepu, à 600 Km à l’est de Djakarta, sur l’île de Java, en Indonésie. À la fin du XIXe siècle, un ingénieur hollandais Adrian Stoop, chargé d’alimenter en eau douce la ville voisine de Cepu, découvre par hasard un gisement de pétrole. Plus d’un siècle après, à Bojonegoro, on exploite toujours l’or noir à mains nues. « Huit cents personnes travaillent sur les différents gisements », expliquent Imam Boni, l’un des « boss » de la région. Ils sont seize comme lui, qui depuis, la fin de colonisation en 1945, détiennent un précieux privilège. Ils ne sont pas propriétaires des terrains — ils appartiennent à l’Etat — mais ont hérité du droit de les exploiter, en l’occurrence d’y planter des derricks. Ils ne sont que seize et les autres les appellent les « boss ». « Avec les autres patrons, nous avons créé une coopérative qui paye chacun des huit cents ouvriers 25.000 roupies. Ça fait, 2 dollars. » Imam Boni poursuit : « le pétrole n’est pas très profond, 2, 300 m. Il remonte bien. Après, c’est facile. Ce qui jaillit est en fait une émulsion huile et d’eau. Voyez, c’est ce qui coule jusqu’à ces cuves décantation. Le pétrole étant plus léger que l’eau, il suffit d’attendre qu’il remonte à la surface. Ensuite, il est écumé et placé dans ces bidons. La production ? Ça varie. Des jours, on sort deux barils, d’autres, soixantedix. Ça dépend des puits, des gars… Puis, on n’est plus tout seul maintenant…» Il y a quelques années des relevés géologiques ont révélé la présence d’une énorme poche d’hydrocarbures dans la région de Cepu. La compagnie nationale, Pertamina, estime la réserve à 1,7 milliard de m3 de gaz et environ 600 millions de barils. En mars 2006, le gouvernement de Djakarta à signer un partenariat avec le géant américain ExxonMobil pour l’exploitation industrielle de ce qui s’appelle désormais le gisement de Cepu. « Alors à Bojonegoro, on essaye de survivre, explique Imam Boni. Avant les Américains, la compagnie nationale fermait les yeux. Ils nous laissaient faire, ils
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nous achetaient notre production qu’ils raffinaient ensuite. Aujourd’hui, on est obligé de raffiner nous-même. C’est pour ça qu’il y a tant de fumée. Ça pue, hein ! Avec 400 litres de brut, on arrive à faire 150 litres de “solar“. C’est une bonne essence. À la ville, c’est 2400 roupies pour un litre. Ça fait un quart de dollar. » Imam Boni, inspire, réfléchit : « C’est mieux que quand Pertamina achetait le brut… Mais ça ne va pas durer, on va se faire expulser. C’est sûr… » A cent dollar le baril, les « majors » n’hésiteront effectivement pas à saccager un peu plus la forêt.
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The slums in the jungle Oil slaves in Indonesia.
Working in Dantean conditions, villagers from the region of Cepu continue to extract black gold from the forest regions using their bare hands. But, the large international oil companies have their treasure in their sights.
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First there is a noise, a nerve-shattering mechanical scream. Ahead lies the wailing forest. Then, comes the smell; bitter, cloying and sickening. The valley reeks. Finally, after the final bend in the rutted track, there is the view of the slums in the jungle! Small bunches of people wade through mud contaminated with a black, oily film. An old man, emaciated, wrinkled and toothless, with a wooden fork in his hands moves about below a makeshift derrick: four teak tree trunks hastily assembled and held together with vines. A bare-chested villager, bent over three tanks built into the slope, churns a dark and viscous paste. Men decant a brown liquid into large glass carboys. Further away, perched on the shell of a Japanese-made van, another man winds and unwinds a steel rope on to the vehicle’s bare wheel rim. The mechanical noise heard earlier comes from about fifteen men, all focused on a task which we know very well to be tiring. The entire site is bathed permanently in noxious steam and smoke from the dozens of fires which light up the forest. We are in Bojonegoro, in the province of Cepu, 600 km east of Jakarta, on the island of Java, Indonesia. th At the end of the 19 century, a Dutch engineer, Adrian Stoop, in charge of supplying drinking water to the neighbouring town of Cepu, accidentally stumbled upon an oilfield. More than one century later, in Bojonegoro, black gold is still being extracted with bare hands. “Eight hundred people work at the different oilfields”, explains Imam Boni, one of the “bosses” of the region. There are sixteen others like him who, since the end of colonisation in 1945, have retained a precious privilege. They are not the owners of the land — this belongs to the State — but, they have inherited the right to exploit it by setting up derricks. There are only sixteen of them and all the others refer to them as “boss”. “With the other bosses, we have created a cooperative which pays each of the eight hundred workers 25,000 rupees. That’s $2.” Imam Boni continues: “the oil is not very deep at 2,300 m. It is easy to bring it to the surface. After that it’s straightforward. What is brought up is actually an emulsion of oil and water. Look, it is what flows into these decanting tanks. With oil being lighter than water, you just have to wait for it to rise to the surface. After that, it is skimmed and put into these containers. The production? It varies. Some days, we extract two barrels, some days seventy barrels. It depends on the wells and the men… But, now, we are no longer operating alone…” A few years ago geological surveys revealed the presence of an enormous hydrocarbon reserve in the Cepu region. The national company, Pertamina, believes it to contain 1.7 billion m³ of gas and approximately 600 million barrels of oil. In March 2006, the government in Jakarta signed a partnership deal with the American
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giant ExxonMobil for the industrial exploitation of what is now called the Cepu oilfield. “We try to get by in Bojonegoro” explains Imam Boni. Before the Americans, the national company turned a blind eye. They let us get on with our business and they bought our production which they then refined. Today, we have to refine it ourselves. That is why there is so much smoke. It stinks no? With 400 litres of crude oil, we are able to make 150 litres of “solar” oil. It’s a good fuel. In town, it’s worth 2,400 rupees a litre. That’s a quarter of a dollar. An inspired Imam Boni explains: “It’s better than when Pertamina bought the crude oil… But, it’s not going to last. We are going to be evicted. That’s certain… “ At $100 a barrel, the “major players” will not think twice about destroying a little more of the forest.
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