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Sidzanbnoma Nadia Denise Ouedraogo : « Nous allons assister à un retour du protectionnisme »
BUSINESS
Sidzanbnoma Nadia Denise Ouedraogo
ÉCONOMISTE À LA CEA
« Nous allons assister à un retour du protectionnisme »
La hausse sur le long terme du cours des minerais indispensables aux énergies renouvelables bouleverse la donne industrielle. Économiste à la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA), Sidzanbnoma Nadia Denise Ouedraogo répond à nos questions.
propos recueillis par Cédric Gouverneur
AM : La demande mondiale en minerais nécessaires aux batteries électriques et aux énergies renouvelables ainsi que les sanctions occidentales contre la Russie créentelles un contexte plus favorable aux pays producteurs africains ? Sidzanbnoma Nadia Denise Ouedraogo : Les sanctions occidentales contre la Russie auront des conséquences positives et négatives sur l’Afrique, qui possède 12 % des réserves mondiales de pétrole, 12 % des réserves de gaz naturel, plus de 80 % des métaux du groupe du platine, et plus de 40 % de l’or. La guerre a rendu beaucoup de matières premières plus chères, entraînant un renforcement des devises des exportateurs du continent, qui feront probablement partie des grands vainqueurs, car la flambée des prix se prolongera. À court terme, les pays producteurs d’énergies fossiles sont les plus grands gagnants : le prix du pétrole fluctue énormément, atteignant 139 dollars le baril à la mi-avril, soit 30 % de plus qu’au début de l’invasion. Ce boom bénéficie à plusieurs exportateurs, dont le Nigeria, l’Algérie, l’Angola et la Libye. Les pays qui possèdent les réserves de gaz les plus profondes au monde (Nigeria, Algérie, Égypte, Tanzanie, Mozambique) pourraient remplacer les approvisionnements russes en Europe. Bénéficier de cette opportunité nécessitera qu’ils relèvent les défis en infrastructure en accélérant des plans – vieux de plusieurs décennies – de construction de pipelines d’exportations. L’un des moyens consiste à ouvrir le secteur aux capitaux privés. Il faudrait aussi des contrats à long terme pour garantir un approvisionnement important en Europe, étant donné que le gaz servira d’énergie de transition pour encore quelques années. La Russie étant un important producteur de métaux précieux et rares, les sanctions occidentales à son encontre devraient amener les grandes entreprises américaines, comme Apple, à trouver de nouveaux fournisseurs. Le continent abrite ainsi d’importantes réserves de cuivre et de cobalt, de diamants, d’uranium, de fer, de manganèse, de bauxite ou encore de lithium… Le Rwanda est par exemple le plus grand exportateur de tantale au monde, métal indispensable dans les smartphones, les réacteurs nucléaires,
les pièces d’avions et de missiles, certains appareils chirurgicaux, etc. Ces États devraient voir leur solde courant s’améliorer, et les entreprises minières peuvent s’attendre à des bénéfices exceptionnels. Mais pour consolider ces gains et les utiliser afin de financer le développement durable, il faudrait remédier à la faiblesse des structures de gouvernance, ainsi qu’au risque élevé des investissements sur le continent. Elon Musk envisage que Tesla fasse de l’extraction de lithium, et Bloomberg estime que construire des usines en République démocratique du Congo (RDC) pour le transformer sur place coûterait moins cher qu’aux États-Unis ou en Chine. Comment réunir les conditions de cette industrialisation ?
La RDC est particulièrement bien placée pour occuper une position de leader dans l’industrie de la transition énergétique. Mais en tant qu’exportateur de matières premières toujours bloqué dans la phase d’extraction et de traitement p des minéraux, ce pays se trouve des minéraux, ce pays se trouve cependant au bas de la chaîne de valeur cependant au bas de la chaîne de valeur mondiale des batteries et des véhicules électriques, ne capturant actuellement que 3 % de la valeur mondiale totale. Par exemple, presque tout le cobalt qui y est extrait est exporté vers la Chine ou la Belgique pour être affiné, avec des avantages économiques insignifiants pour le pays. Le développement sur place d’une chaîne de valeur (production de précurseurs, fabrication de cellules de batterie, assemblage de cellules et fabrication de véhicules électriques) permettrait à l’Afrique de gagner une plus grande part du marché des batteries de véhicules électriques et des énergies renouvelables. Pour construire une chaîne d’approvisionnement nationale, les pays du continent doivent intensifier leurs investissements dans les infrastructures et élaborer les politiques et les cadres réglementaires nécessaires afin d’attirer des investissements, mettre à niveau les compétences disponibles et fournir la main-d’œuvre nécessaire. Pour ce faire, la CEA vient de lancer avec le gouvernement de la RDC un centre d’excellence spécialisé dans la formation et la recherche avancée sur les batteries, à l’Université de Lubumbashi. Une meilleure intégration des producteurs africains de minéraux de batteries dans les chaînes de valeur mondiales contribuera non seulement à la réalisation des objectifs de développement durable et élargira la part de la richesse
qui est conservée localement, tout en renforçant la compétitivité des PME locales et la création d’emplois décents pour les jeunes. Le secteur minier sur le continent ne se distingue ni par sa transparence ni par sa bonne gouvernance : l’exploitation des diamants du Botswana (avec son fonds souverain Pula) peut-elle être un modèle ? L’Afrique doit se doter dès à présent de mécanismes Certains pays permettant la bonne devraient gouvernance et l’utilisation voir leur solde efficiente de cette manne courant financière que représente l’exploitation de ses réserves, s’améliorer, et à l’image du fonds souverain les entreprises Pula, créé en 1993. Sa minières gestion est confiée à la peuvent Banque du Botswana pour assurer sa solidité juridique s’attendre à et ses transactions. Cette des bénéfices dernière évalue les besoins exceptionnels. en réserves internationales primaires (investies dans le portefeuille de liquidités) pour et les cadres réglementaires n atteindre ses principaux objectifs. afin d’attirer des investisseme Les actifs excédant ce qui est nécessaire mettre à niveau les compéten pour l’adéquation des réserves sont disponibles et fournir la main investis à long terme en consultation nécessaire. Pour ce faire, la C avec le ministère des Finances et de vient de lancer avec le gouve la Planification du développement. de la RDC un centre d’exce Le gouvernement investit directement spécialisé dans la formati dans le fonds Pula, et ses actifs recherche avancée sur le sont comptabilisés dans le compte à l’Université de Lubum d’investissement gouvernemental. Une meilleure intégr Les spécifications légales de ces des producteurs afr activités sont détaillées dans la loi. de minéraux de ba Les fonds souverains dans les pays dans les chaînes producteurs, de type hybride, allient mondiales cont la stabilisation économique et l’épargne, non seulement catalysent la bonne gouvernance et réalisation des la transparence fiscale. Gouverner en de développem collaborant avec la société civile devrait durable et éla aider le continent à éviter, cette fois, la la part de la r malédiction des matières premières. ■