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Rabia Ferroukhi « La transition énergétique est une vaste opportunité »
BUSINESS
Rabia Ferroukhi
DIRECTRICE POUR LA RECHERCHE, LES POLITIQUES ÉNERGÉTIQUES ET LES FINANCES CHEZ L’AGENCE INTERNATIONALE POUR LES ÉNERGIES RENOUVELABLES (IRENA)
« La transition énergétique est une vaste opportunité »
Lutter contre le réchauffement climatique implique de basculer dans un monde décarboné. Pour les États africains producteurs de pétrole, cette transformation ne se fera pas sans douleur. Mais le dernier rapport de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA) estime que le continent a tout à y gagner, en matière de création d’emplois et de développement notamment. Explications avec Rabia Ferroukhi.
propos recueillis par Cédric Gouverneur
AM : Seulement 2 % des investissements dans les énergies renouvelables ont été effectués en Afrique, malgré son énorme potentiel dans l’éolien, et surtout le solaire. Pourquoi ? Rabia Ferroukhi : Être doté de ressources énergétiques renouvelables est une condition nécessaire, mais non suffisante. De nombreux autres aspects jouent un rôle dans l’orientation des investissements vers les énergies renouvelables. Ainsi, une dépendance économique structurelle à une matière première limite l’accès à un développement industriel efficace. Surmonter ces obstacles nécessite une amélioration significative de la collaboration internationale, afin de combler les lacunes accumulées par le passé. Les producteurs d’énergies fossiles se trouvent à la croisée des chemins : la demande de pétrole va baisser, des millions d’emplois sont en jeu. Comment peuvent-ils assumer la transition vers les énergies vertes ?
L’IRENA estime que, dans un scénario limitant le réchauffement à 2 °C, la valeur des actifs bloqués dans le secteur des combustibles fossiles totaliserait 3 300 milliards de dollars d’ici 2050… Retarder l’action pourrait faire grimper cette valeur à 6 500 milliards de dollars, soit près du double ! Au contraire, stimuler les investissements et aider à la réallocation et à la création d’emplois et de services dans d’autres secteurs économiques aidera les producteurs de combustibles fossiles à tirer parti, eux aussi, de la transition énergétique. En Afrique, notre scénario de 1,5 °C (dans lequel le monde atteint ses objectifs climatiques dans le cadre de l’accord de Paris) prévoit 3,5 % d’emplois supplémentaires sur la période 2021-2050. Autre point critique : les subventions aux carburants. Comment les supprimer sans impacter les plus vulnérables (une simple hausse
des prix des tickets de bus pouvant nuire au niveau de vie de dizaines de milliers de personnes) ?
Celles-ci jouent un rôle essentiel dans la distorsion des marchés de l’énergie chez de nombreux pays africains. Et les ménages à faible revenu consacrent, proportionnellement, une part beaucoup plus importante de leurs ressources pour leurs changements sociétaux importants. dépenses énergétiques. La transition La modélisation socio-économique doit s’accompagner de mesures des scénarios de l’IRENA montre que, pour la rendre plus juste et plus dans l’ensemble, le solde d’emplois équitable. Cela comprend des est positif en faveur de la transition subventions afin d’aider à l’accès aux énergétique, car les nouveaux emplois équipements en énergie renouvelable dépassent largement ceux perdus et des politiques spécifiques pour dans les combustibles fossiles. la distribution de ces énergies. Les producteurs d’équipement Personne ne doit être laissé de côté. se trouvent surtout dans quatre pays : Certains modèles cités dans votre les États-Unis, la Chine, le Japon rapport Renewable Energy Market et l’Allemagne. Comment promouvoir Analysis*, publié en janvier dernier, la fabrication de systèmes solaires estiment que les énergies et éoliens sur le continent ? renouvelables créent Certains pays en moyenne trois fois plus africains sont dotés d’emplois que les fossiles ! en minéraux essentiels Comment expliquer utiles aux éoliennes un tel écart ? ou aux batteries
La modélisation de Heidi électriques (notamment Garrett-Peltier révèle en effet le manganèse, que l’investissement dans le cuivre, le lithium, les énergies renouvelables le cobalt, le chrome et crée – pour chaque million le platine…). L’ampleur de dollars de dépenses – près à laquelle l’Afrique de trois fois plus d’emplois que tirera avantage de la dans les combustibles fossiles. transition énergétique Le caractère « distributif » des énergies dépendra fortement de la capacité renouvelables [c’est-à-dire leur accès des pays producteurs de matières à tous les secteurs de la société, ndlr] premières à investir et développer contribue à la création d’emplois de les capacités de transformation plus qualité. Mais l’effet net sur l’emploi du en amont de la chaîne de valeur. Ce déploiement de la transition énergétique n’est que lorsque l’activité économique dépend de davantage de facteurs que passera de la simple exportation de la simple demande de main-d’œuvre matières premières à celle de produits pour produire ces technologies. à plus forte valeur ajoutée que ces pays L’ampleur de la transformation joue pourront s’emparer d’une plus grande un rôle important : l’électrification part des emplois liés à la transition. liée à la transition introduit des Ceux-ci ne sont pas tous dans
Le continent offre un énorme potentiel dans le solaire. Ici, au Zimbabwe. l’industrie, il existe également un énorme potentiel dans les services. Le continent n’a que faiblement contribué au réchauffement climatique, mais désormais les Africains sont appelés à s’adapter à la transition énergétique… Comment convaincre la population des bénéfices de cette dernière ? Nous devons nous débarrasser de l’idée que la transition énergétique exige des sacrifices, et comprendre que cette transition vers un système énergétique durable représente, en réalité, une vaste opportunité. Notre modélisation révèle que, malgré l’abandon difficile On des sources d’énergie à forte intensité de carbone, la transition énergétique prévoit un PIB s’avère extrêmement prometteuse en Afrique pour l’Afrique. En moyenne, sur plus élevé que la période de transition, on prévoit celui réalisé un PIB en Afrique plus élevé que celui réalisé dans le cadre de l’actuel dans le cadre statu quo. Mais c’est en matière de de l’actuel bien-être qu’elle offre les avantages statu quo. les plus prononcés : notre indice de bien-être de la transition énergétique (qui intègre des composantes sociales, économiques, environnementales, etc.) s’améliore de plus de 25 % par rapport au statu quo. La transition apporte d’importants avantages structurels pour l’Afrique, notamment une économie diversifiée, innovante, l’accès à l’énergie et de profonds avantages pour l’environnement, tous essentiels à un développement socio-économique plus équitable. ■ *Disponible sur irena.org/publications.