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Le gaz africain nouvelle alternative

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Le gaz africain, nouvelle alternative

L’offre du continent, en pleine croissance, rencontre au moment opportun la demande européenne, justement à la recherche de sources d’approvisionnement alternatives à la Russie, mise en quarantaine. Reste à mettre les infrastructures au diapason. par Cédric Gouverneur

Depuis l’invasion de l’Ukraine le 24 février, l’Union européenne (UE) multiplie les sanctions contre le régime de Vladimir Poutine afin de frapper au portefeuille son économie de guerre. Dépendante à 45 % du gaz naturel de son remuant voisin, l’UE veut s’en affranchir totalement d’ici 2027 et recherche donc des alternatives. Dès février, l’Allemagne a ainsi suspendu le gazoduc Nord Stream 2, tout juste achevé, grâce auquel le géant russe Gazprom aurait dû doubler sa capacité de livraison. En représailles, Moscou ferme le robinet aux clients européens qui n’agissent pas à sa guise : fin avril, Gazprom a cessé ses livraisons à la Bulgarie et à la Pologne – anciens pays satellites de l’Union soviétique devenus membres de l’UE et de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) – parce qu’elles refusaient de régler leurs factures en roubles… « L’Allemagne et l’Europe doivent désormais vite accomplir ce qu’ils ont raté ces vingt dernières années », a amèrement résumé Stefan Liebing. Le président de l’Association économique germano-africaine (Afrika-Verein) a, dès mars, conseillé au ministre écologiste de l’Économie et du Climat, Robert Habeck, de faire la tournée des pays africains producteurs de gaz, rapporte la radio internationale allemande Deutsche Welle (DW).

L’Afrique pourrait, théoriquement, se substituer à la Russie. « Près de la moitié des 55 pays du continent dispose de réserves prouvées de gaz naturel », résumait, en juillet dernier, la plate-forme d’investissements Energy Capital & Power, basée au Cap. « À travers le continent, les réserves totales dépassent 800 000 milliards de pieds cubes » (soit environ 22 650 milliards de m3). Avant même le conflit en Ukraine et l’accroissement de la demande européenne, la compagnie britannique BP estimait déjà que la production de gaz naturel sur le continent pourrait s’accroître « de 80 % d’ici 2035 ». Selon Energy Capital & Power, les principaux producteurs seraient alors, par ordre décroissant : - le Nigeria (environ 5 660 milliards de m3), - l’Algérie (4 500), - le Sénégal (3 400), - le Mozambique (2 830), - l’Égypte (2 180), - la Tanzanie (1 600), - la Libye (1 500), - l’Angola (380), - la République du Congo (280), - la Guinée équatoriale (140), - le Cameroun (135).

« Les réserves totales du continent dépassent 800 000 milliards de pieds cubes. »

Le site gazier de Rhourde Nouss, en Algérie, développé par la Sonatrach.

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Le continent n’a évidemment pas attendu le conflit ukrainien pour doper sa production de gaz. Dès 2017, la Société nationale des hydrocarbures (SNH), confrontée à l’épuisement tendanciel des ressources pétrolières du Cameroun (69 000 barils par jour en 2018, contre 185 000 en 1985), a investi dans une usine flottante de liquéfaction de gaz, à Kribi. Au Nigeria, en 2020, le président Muhammadu Buhari a décrété que la décennie à venir serait « celle du gaz ». Et le ministre des Ressources pétrolières, Timipre Sylva, ne cache pas les grandes ambitions de son pays dans ce secteur : « Il est temps de réveiller le géant, a-t-il déclaré début mars aux médias locaux. L’Afrique occidentale peut devenir autosuffisante en énergie » grâce à la « révolution gazière nigériane ». Même optimisme en Tanzanie, où la cheffe d’État Samia Suluhu Hassan, au pouvoir depuis mars 2021, entend faire de la production gazière la « priorité » de son mandat. Elle n’a pas caché que le conflit russo-ukranien pouvait constituer « une opportunité ». Avec les sociétés Shell et Equinor, le pays développe ainsi un projet d’extraction off-shore de 30 milliards de dollars au large de Lindi. Le Sénégal et la Mauritanie développent quant à eux leur gisement offshore conjoint de Grand Tortue Ahmeyin (GTA) : son exploitation pourrait démarrer dès 2023. BP, qui pilote l’opération, estime les réserves à 1 400 milliards de m3, pouvant générer jusqu’à 90 milliards de dollars de recettes sur vingt ans pour les deux États. Les défenseurs de l’environnement sont moins enthousiastes : afin d’atteindre la poche de gaz, à 65 km de la côte, le GTA a nécessité une douzaine de puits d’extraction, perforés à 2 700 mètres sous la mer, et la construction d’un brise-lames artificiel, constitué de milliers de tonnes de béton…

Quoi qu’il en soit, lors du Forum des pays exportateurs de gaz qui

s’est déroulé au Qatar – hasard du calendrier – fin février, les participants n’ont pas caché qu’ils ne pourraient se substituer immédiatement à la Russie, soulignant, rapporte la chaîne qatarienne Al Jazeera, le besoin d’« investissements Outre le manque significatifs dans les de fonds, le infrastructures gazières », Trans-Saharan Gas-Pipeline comme la nécessité de « contrats à long terme » avec les Européens. doit faire face Le continent doit à des menaces compléter son réseau sécuritaires. de gazoducs. Or, ceux-ci sont rarement achevés. En 2016, le Maroc et le Nigeria ont signé un projet de gazoduc côtier, qui prolongerait celui reliant le Nigeria au Ghana, au Bénin et au Togo. Mais le géant africain manque de fonds… Pareillement, une semaine avant l’offensive russe, ce dernier, le Niger et l’Algérie ont signé à Niamey, en marge du 3e Forum des mines et du pétrole de la Communauté économique des États de l’Afrique

Le 6e Forum des pays exportateurs de gaz s’est déroulé au Qatar le 22 février dernier.

de l’Ouest (CEDEAO), une « feuille de route » pour enfin parachever la construction du gazoduc Trans-Saharan Gas-Pipeline (TSGP, dit aussi NIGAL), dans les cartons depuis 2009. La mise en service de cet ouvrage de plus de 4 000 kilomètres, qui pourrait acheminer 30 milliards de m3 par an depuis le golfe de Guinée jusqu’aux consommateurs européens est prévue en… 2027. Outre le manque de fonds, celui-ci doit faire face à des menaces sécuritaires : insurgés du delta du Niger, djihadistes du Sahel… À cause du péril terroriste, Total a dû abandonner en 2021 un prometteur projet gazier à Cabo Delgado, dans le nord-est du Mozambique. Et il n’y a pas qu’en Europe que la dépendance au gaz peut servir de moyen de pression géopolitique : en froid avec Rabat sur la question du Sahara occidental, l’Algérie esquive dorénavant le Maroc pour approvisionner l’Espagne… La seule alternative aux chantiers titanesques de la construction de gazoducs consiste à liquéfier le gaz : la liquéfaction, qui permet de transformer 600 kilos de gaz en 1 kilo de gaz naturel liquéfié (GNL), tout aussi calorifique mais bien moins encombrant, nécessite d’atteindre une température de -160 °C ! Le GNL est ensuite transporté par cargos. Il en résulte toutefois une débauche énergétique qui émet deux fois plus de C02 que le transport de gaz brut par gazoduc, guère compatible avec la nécessaire transition énergétique.

À noter que, même si l’Europe parvient à remplacer le gaz russe par l’africain, l’œil du Kremlin risque fort de demeurer présent dans l’équation. Évoquant le projet de gazoduc côtier reliant le Nigeria au Maroc, le ministre Timipre Sylva s’est en effet réjoui : « Les Russes sont très désireux d’y investir. » Pas sûr que les Européens partagent son enthousiasme ! ■

LES CHIFFRES

LE NOMBRE DE TOURISTES SUR LE CONTINENT A GRIMPÉ DE 51 % ENTRE JANVIER 2021 ET JANVIER 2022.

Le Rwanda a attiré un record de 3,7 milliards de

dollars d’investissements directs étrangers en 2021. 1,7 %

C’est le pourcentage d’Africains qui vivront dans l’extrême pauvreté en 2065, contre 35 % aujourd’hui, estime l’Union africaine.

70 TONNES D’OR

seront exportées par le Burkina Faso cette année, soit 4 tonnes de plus qu’en 2021. L’or est le premier produit d’exportation du pays.

51, soit le nombre de destinations desservies par Turkish Airlines sur le continent. La ligne Istanbul-Djouba (Soudan du Sud) a été inaugurée le 1er juin.

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