Relation entre école, démocratie et développement de l'individu

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Université de Caen/Basse-Normandie

UFR : Sciences de l’Homme

Master 2 de Sciences de l’éducation Education, mutations, formation

Relations entre Ecole, Démocratie et Développement de l’Individu : Le cas du système éducatif Ivoirien

Présenté par : Yao DOFFOU N° étudiant : 20007419

Sous la direction de Françoise CHEBEAUX Jury : Valérie COHEN-SCALI, Dominique OTTAVI Soutenu le 05 octobre 2008

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SOMMAIRE

I – Choix du thème et orientation du mémoire

Introduction générale II – Cadre théorique et conceptuel de la recherche III – Cadre méthodologique et contextuel de la recherche IV – Réalisation et interprétation des entretiens V – Remarques relatives à l’élaboration du mémoire

Conclusion générale Bibliographie thématique – web graphie

Sommaire des annexes

Table des matières

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I – Choix du thème et orientation du mémoire Le présent mémoire est élaboré dans le cadre d’une étude du système éducatif ivoirien. Son point de départ, a été impulsé par le questionnement que suscite la pratique éducative de ce système dans le cadre du parcours scolaire des jeunes ivoiriens. Cette étude cherche avant tout, à identifier si ce système répond à la démocratisation scolaire, c’est-à-dire s’il garantit l’égal accès pour tous à l’éducation. En effet, la notion de “démocratisation scolaire” se rapporte à l’ensemble des actions politiques visant à donner les mêmes chances à tous les enfants d'une même classe d'âge d’être scolarisés dans les mêmes conditions, indépendamment de leurs origines sociales. Celle-ci se fonde en outre, sur le principe de gratuité d'obligation et de laïcité dans toutes les sociétés dites démocratiques. En effet, l'objet premier de l’école est d'assurer simultanément l'acculturation des jeunes générations au patrimoine scientifique, culturel et social. Mais elle doit aussi les mettre en relation avec les conquêtes du savoir le plus récent, en ce sens qu'on ne saurait envisager d'éducation qui ne prenne appui sur la transmission d'une culture. Cette culture doit à son tour, prendre en compte les référents historiques communs, sans lesquels, le sujet ne pourra même pas donner forme à sa différence. Dans la mesure où il serait impossible d’éduquer des individus, sans pour autant leur donner les moyens de comprendre les enjeux des choix qu'ils seront amenés à faire.

Toutefois, la culture ne saurait être disjointe d'une finalité d'harmonie sociale, et à cet effet, l'institution scolaire se doit d'établir un équilibre des rapports à l'enseignement, avec chaque enfant qui lui est confié. Le but étant, de partager entre chacun d'eux avec une exactitude suffisante, les connaissances (codifiées par des programmes) dont elle en est dépositaire. Mais au-delà des transmissions verbales et conceptuelles, l'école doit aussi exercer les jeunes à la pratique répétitive et contrôlée d'opérations et de techniques éprouvées. Et en même temps, les éveiller aux responsabilités à venir de fabrication et d'invention, car cela s'avère de plus en plus nécessaire dans le cadre des économies modernes (l'homo faber, toujours, en prise avec l'homo sapiens, sans compter l'homo economicus...) de la mondialisation. A l'instar de toutes les institutions scolaires, l'école ivoirienne ne peut se refermer sur son propre fonctionnement, qui, malgré sa durée, reste temporaire pour la plupart des individus. Elle doit intervenir pour développer les capacités d'autonomie des jeunes ivoiriens dans leur apprentissage, en vue de les relier à la société et à l'économie environnante, dans le souci de leur assurer une insertion

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progressive. Certes l'école n'a pas à "fournir des emplois", mais elle doit y préparer les individus "sans leur tourner le dos". Au regard de ce qui vient d’être dit, on peut alors se demander quelles doivent être les finalités de l'école ? Comme on pourrait être tenté de le croire, les finalités de l’école ne relèvent pas d'une définition objective qui puisse conduire à un consensus. Mais, celles-ci s'inscrivent dans une conception globale de la société et par conséquent relèvent de choix politiques ; c'est donc en fonction de ces choix politiques qu'il faut comprendre ces finalités. Dans cette perspective, la démocratisation de l'enseignement en Côte d'ivoire, doit également s'inscrire dans le cadre d'une volonté de démocratisation de la société ivoirienne elle-même. Ce qui dès lors pose la question de la démocratisation en tant que telle. On comprend dès lors, comment une interprétation "objective" de la démocratisation de l'enseignement, c'est-à-dire dégagée de toute analyse politique, réduit son étude à la seule analyse quantitative. Cela peut conduire à l'oublie des enjeux de l'enseignement qui ne s'inscrivent pas dans cette analyse, en particulier les enjeux épistémologiques. Ainsi, pour aborder la question des finalités de l'école, il conviendrait de revenir avant tout sur deux points développés par Hannah ARENDT dans sa Crise de l’éducation, (1972) où elle résume la question de l'éducation sous un angle plus générale que celle de l'enseignement. L'éducation, selon elle, assume à la fois à la responsabilité de la vie et du développement de l'enfant et la continuité du monde. Elle précise que ces deux finalités ne coïncident aucunement et peuvent même entrer en conflit. D'une part « l'enfant a besoin d'être tout particulièrement protégé et soigné pour éviter que le monde puisse le détruire », mais d'autre part, « ce monde aussi a besoin d'une protection qui l'empêche d'être dévasté et détruit par la vague des nouveaux venus qui déferle sur lui à chaque génération ». C'est cette double finalité contradictoire chez la philosophe, qui permet à la fois d'assurer la conservation du monde et de permettre aux nouvelles générations de construire leur propre rapport au monde. L'école est donc à la fois conservatrice, au sens de la conservation de la société humaine, et formatrice, au sens où elle permet à chacun d'être dans le monde. A l’instar des fonctions et finalités de l'école développée par Hannah ARENDT, notre mémoire se propose également de voir, si le système éducatif ivoirien permet de promouvoir à la fois l’insertion socioprofessionnelle des scolarisés et des déscolarisés. Et quelle serait la contribution de ce système dans la communication réciproque et tolérante entre ses jeunes, c'est-à-dire, leur socialisation, eu égard au tribalisme qui règne encore aujourd'hui en Côte 4


d'ivoire. Car instruction et éducation pourraient-elles jamais se disjoindre ? Le caractère sélectif, excluant et inégal de ce système éducatif portant sur ces questions, ont été pour nous autant d’éléments ayant suscité notre intérêt pour son étude, dans le but de comprendre ses forces et ses limites. En clair, cela devra nous permettre de voir ce que la pratique éducative de ce système, pouvait engager comme réflexion pour ce qui concerne les parcours scolaires des jeunes ivoiriens, et en l’occurrence ceux des plus démunis. Cette étude est également pour nous, l'occasion de pouvoir constater les difficultés que pose ce système aux yeux des élèves et leurs parents mais aussi pour le corps enseignant. Car ces derniers sont constamment confrontés à la surpopulation des classes pour cause d’infrastructures suffisantes et à de fréquentes perturbations dont les grèves. Situation qui on l’aura compris, dégrade les conditions d'apprentissage pour les uns, et l'organisation du travail pour les autres. C’est donc pour ces diverses raisons que la Côte d’Ivoire devra réviser si elle veut répondre efficacement aux processus de la démocratisation et de l’égalité scolaire, sa politique éducative actuelle, notamment par le biais des déterminants du taux brut de scolarisation.

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INTRODUCTION GENERALE A l’heure de la mondialisation, principal défi de ce millénaire (XXIème siècle), la question de l’éducation se pose avec acuité dans le monde en général, mais plus particulièrement sur le continent Africain. L’éducation, base de développement de toute nation, s’impose comme secteur prioritaire dans l’élaboration de toute stratégie de développement. Étymologiquement, le mot “éducation” implique clairement le fait de conduire, de guider et d’influencer. En somme, il s’agit d’un processus de développement, d’enrichissement et de culture. L’éducation est donc une activité formatrice, en ce sens qu’elle modèle l’activité sociale en lui donnant la forme désirée, et l’école, dans cette mesure, est l’agent essentiel qui permet, non de transmettre et de conserver toutes les réalisations d’une société, mais seulement les normes et valeurs qui peuvent contribuer à l’amélioration de l’avenir de celle-ci. Il incombe ainsi à l’environnement scolaire d’équilibrer les divers éléments du milieu social et de veiller à ce que chaque individu ait la possibilité d’échapper aux restrictions du groupe et de la société. Dans son Rapport et projet de décret sur l’organisation générale de l’instruction publique présenté à l’Assemblée législative en avril 1792, CONDORCET est tout à fait explicite lorsqu’il définit le but de l’école. « Offrir à tous les individus de l’espèce humaine les moyens de pourvoir à leurs besoins, d’assurer leur bien-être, de connaitre et d’exercer leurs droits, d’entendre et de remplir leurs devoirs; assurer à chacun la facilité de perfectionner son industrie, de se rendre capable des fonctions sociales auxquelles il a droit d’être appelé, de développer toute l’étendue des talents qu’il a reçu de la nature et par là, établir entre les citoyens une égalité de fait, et de rendre réelle l’égalité politique reconnue par la loi ». Pour lui, tous les hommes sont dotés d'une "raison" suffisante pour cheminer dans le savoir et se guider dans l'existence. Cette faculté est selon lui, ce qui constitue sa dignité et permet de récuser le « sujet » de la monarchie dépendant et soumis, pour constituer le citoyen de la République, autonome et responsable. Dès lors, le rôle de l’école est de donner à tous les savoirs essentiels de base, afin que chacun puisse accéder à un savoir élémentaire qui développe sa raison critique. C’est justement à ce niveau que la position éducative de CONDORCET est “ferme”. L’idéal d’une telle pédagogie à la fois humaniste et classique est pour lui sans ambigüité, car son analyse s'inscrit dans cet optimisme cosmopolitique, républicain d’une unité nationale, mais surtout d’un simple devoir d’humanité. Selon lui, tous

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les hommes doivent être instruits, car tous sont destinés à devenir des personnes libres et il ne peut pas y avoir de liberté, encore moins d'égalité sans instruction.

La question de l'égalité, est dans la théorie de l'instruction publique de CONDORCET, une pièce maitresse de sa philosophie, car à ses yeux, il n'existe pas autre autorité que celle du vrai. Autrement dit, puisqu'on ne peut que rarement atteindre le vrai, l'autorité, se fonde alors sur l'effort maximal pour éviter l'erreur, tel qu'il est accessible au moment de la prise de décision. Mais un tel effort n'étant pas garanti par la nature des sujets qui analysent et décident, il est donc dans ce cas, logique que personne ne puisse faire confiance à personne. C'est pourquoi, CONDORCET pense qu'un être humain ne peut pas remettre son sort ni aliéner son pouvoir de décision entre les mains d'un autre homme, mais il n'est pas non plus à l'abri de ses propres erreurs qui peuvent le tyranniser autant qu'une décision étrangère. C'est dans cette perspective que, la garantie en la matière pour lui, outre l'établissement de l'instruction publique qui permettra à chacun de juger en étant éclairé, est celle des procédures que l'on peut et que l'on doit suivre dans les délibérations. Cette idée est l'une des raisons qui fondent la démocratie de délégation qui a la faveur de CONDORCET. Ainsi, il pourrait bien sur la question de l'égalité, se révéler un des penseurs les plus précis et les plus clairs pour nos temps et nos sociétés démocratiques actuelles.

CONDORCET est connu pour ses positions en faveur de l'égalité, qu'il s'agisse de l'admission des femmes au droit de la cité dans un article intitulé : « Les femmes dans la cité d'Atlantide » ou de sa virulente critique de l'esclavage. L'égalité chez lui, est une notion rationnelle qui dérive de la liberté et de la perfectibilité indéfinie des personnes, mais sa liaison à la perfectibilité qui la fonde et la nie à la fois, la rend cependant paradoxale. Ainsi, la subordination à la liberté de CONDORCET l'oppose fortement à l'égalitarisme et permet de penser ce qu'on peut appeler « les différences sous le seul régime de la singularité ». C'est pourquoi, il compte sur l'instruction publique pour réduire toutes les contradictions persistant entre les principes fondamentaux proclamés en 1789 et la réalité ; le Rapport sur l'instruction publique d'avril 1792 précise à cet effet : « Il s'agit d'établir entre les citoyens une égalité de fait, et rendre réelle l'égalité politique reconnue par la loi» (p. 82). Mais comment concilier cette affirmation que tous les hommes sont égaux sur le plan politique et des droits de l'homme, avec l'idée que les esprits et les talents ne sont pas semblables ?

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L'instruction publique doit lutter à la fois contre le retour de l'inégalité dans l'accès au savoir, mais aussi contre la tentation de l'égalitarisme. Cette question, est résumée par la Note F du Rapport sur l'instruction publique : « On a donc cherché à réunir ici tous les avantages de la supériorité des lumières dans quelques hommes pour la faire servir, non à fortifier, mais à prévenir les inconvénients de l'inégalité des esprits » (p.187). Mais si l'homme possède la capacité de comprendre pour se guider lui-même et répondre de ses propres actes, encore fautil en éveiller le fonctionnement et en nourrir la substance. L’originalité de CONDORCET a été de comprendre très vite que l'inégalité des esprits peut se mettre au service de l'égalité politique proclamée par la loi. Ce paradoxe qui consiste à mettre l'inégalité au service de l'égalité elle-même, n'en est plus un, lorsqu'il devient une tâche pour tous au sein de la République. Ainsi, il se pose le problème suivant : comment concilier l'égalité politique proclamée par les Droits de l'homme en 1789 avec l'inégalité des conditions, des esprits et des talents ? Question fondamentale, qu'il résume ainsi dans le quatrième mémoire sur l'instruction publique : « Si une égalité réelle ne s'unit pas à l'égalité politique, alors le but de la société n'est pas rempli » (p.235). Ce qui va l'amener à se tourner vers les plus savants au sein de la Société nationale des sciences et des arts, qui déterminent les savoirs élémentaires, dont la maitrise rend chaque citoyen apte à l'autonomie intellectuelle requise par la constitution républicaine. L'élémentarité des savoirs enseignés pour lui, assure la formation du jugement éclairé des citoyens : car un savoir élémentaire étant susceptible d'être compris par un esprit et par tous les esprits à la fois.

A l'instar de CONDOCET, John DEWEY, dans Démocratie et éducation (1916), écrivait : « L’école n’est pas un moyen d’adapter l’individu à la société quelle qu’elle soit, elle est la société où l’individu

se prépare à la communauté qui sera la sienne demain, dans

l’épanouissement de sa spontanéité et de son intelligence aujourd’hui ». L’explicite du rôle qu’assigne DEWEY à l’école fait d’elle une nécessité sans laquelle il serait difficile pour toute société d’espérer produire un capital humain, si rien n’est fait dans le sens de l’amélioration de la qualité de l’offre et de la demande de scolarisation. Pour lui, l'individu se réalise en utilisant ses talents propres pour contribuer au bien-être de la communauté. En conséquence, la fonction cruciale de l'éducation dans une société démocratique, est de l'aider à acquérir le « caractère », c'est-à-dire, la somme d'habitudes et de vertus qui lui permettra de se réaliser pleinement de cette façon. Pour que l'école puisse cultiver chez les enfants le sens social et développer leur esprit démocratique, il faudrait déjà, estime DEWEY, qu'elle soit organisée en coopérative. Si l'on veut que l'éducation prépare à la démocratie, l'école doit 8


devenir « une institution qui soit, provisoirement un lieu de vie pour l'enfant, où l'enfant soit un membre de la société, ait conscience de cette appartenance et accepte d'apporter sa contribution » (p.224). Comme on peut l’observer dans son ouvrage, la théorie éducative de DEWEY, est beaucoup moins centrée sur l'enfant et davantage sur l'enseignant qu'on ne le pense souvent. Sa conviction que l'école telle qu'il la conçoit, inculquera aux enfants les vertus démocratiques procède de la confiance qu'il a non pas dans les «capacités brutes et spontanées de l'enfant» que dans l'habileté des maitres. Ceux-ci devant créer dans leur classe un environnement propre à amener l'enfant à transformer celles-ci en « habitudes sociales, fruits d'une intelligente compréhension de ses responsabilités » (p.94-95). La foi de DEWEY en l'enseignant transparait aussi dans sa conviction : « l'éducation est la méthode fondamentale du progrès et de la réforme de la société ». (p.93). Sa position éducative s’inscrit en effet, dans une transformation continue de l’école par la société et de la société par l’école, et non dans la suppression, ni dans l’imposition d’un idéal ab extra quel qu’il soit de l’école. De ce point de vue, il incombe donc à tout État d’innover et d’identifier les secteurs, sources d’impulsion de la qualité de l’éducation. Sur le plan biologique, l’éducation est à la vie sociale ce que sont la nutrition et la reproduction à la vie physiologique, en ce sens qu’un groupe social ne se maintient que par auto-renouvèlement continu. Mais chez DEWEY, ce renouvèlement s’opère par l’éducation des membres du groupe qui n’ont pas encore atteint leur maturité. La formation éducative la plus profonde réside donc dans le fait que les individus participent aux activités sociales des groupes divers auxquels ils peuvent appartenir. En dirigeant les activités de ses membres, la société détermine ainsi son propre avenir.

Bien longtemps avant CONDORCET et DEWEY (et même de l'ère chrétienne), partant du principe qu’il faut de la vertu pour gouverner, et observant sur le plan psychologique que « par leur nature, les hommes sont proches, mais c’est dans leurs pratiques qu’ils divergent » CONFUCIUS a lui aussi montré que l’éducation joue un rôle fondamental dans le développement de la société, tout comme dans celui de l’individu. Selon lui, non seulement l’éducation offre un moyen et ouvre une voie pour assurer le règne de la vertu, mais elle peut aussi modifier la nature humaine et l’améliorer qualitativement. Car en élevant le niveau de moralité de chacun, c’est la société toute entière qu’elle rend plus vertueuse. Même si ce philosophe pourrait être “excessif” en avançant que le règne de la vertu peut être assuré par l’éducation, le souci de privilégier celle-ci, et l’idée qu’il faut agir sur chaque individu, pour 9


hausser le niveau moral de la société, méritent aujourd’hui encore d’attirer l’attention. Les principes élaborés par CONFUCIUS marquent encore de façon significative tous les théoriciens et chercheurs de l’enseignement, au regard de la crise actuelle que traverse l’institution scolaire. D’où leur insistance sur le fait que l’éducation permet d’améliorer les qualités de chacun, et d’assurer l’ordre et le développement d’une société. La production de capital humain par le biais de l’école constitue de fait une clé majeure du développement économique et social à moyen terme de tout pays. Il est donc important que soient déterminées les voies par lesquelles tout système éducatif dans son ensemble peut apporter sa contribution à cet objectif global. Percevant le caractère crucial de l’éducation dans la perspective de développement socioéconomique d’un pays, Jules SIMON formulait la maxime suivante : « Le peuple qui a les meilleures écoles est le premier peuple, s’il ne l’est pas aujourd’hui, il le sera demain ». Certes, CONFUCIUS ne s’est pas étendu sur les rapports entre l’éducation et l’économie, mais il a cependant exprimé l’idée qu’il fallait d’abord assurer la prospérité d’un pays avant de l’éduquer. Une population instruite, nombreuse et prospère était à ses yeux la clé d’une bonne administration. Cette position met non seulement en évidence l’importance de l’éducation, mais elle montre aussi que le développement de celle-ci doit se fonder matériellement sur le développement de l’économie. Il pensait donc, qu’une nation ne pouvait être bien administrée que si sa population était florissante et si sa prospérité lui permettait d’avoir de plus en plus accès à l’éducation. Cette vue de l'économie de l'éducation, reflète une sorte de matérialisme encore élémentaire.

L'originalité de ces auteurs, réside dans le fait que leurs apports en éducation, font encore écho aujourd'hui dans le champ des investigations pédagogiques. Loin d'être tombés dans la désuétude, ils continuent d'inspirer les nouvelles générations de chercheurs, notamment en pédagogie scolaire. Le point commun à ces trois auteurs à été de faire de l'éducation, le « fer de lance » de toutes les sociétés humaines, au regard de la mission civilisatrice qu'elle englobe. Aujourd'hui par exemple, lorsque l'on aborde la notion d'égalité scolaire, l'originalité de la pensée Condorcétienne, vient du fait qu'elle échappe, aux réductions que nous nous ingénions à opérer sur la notion philosophique d'égalité, à savoir l'égalitarisme et l'élitisme. La philosophe Michèle CRAMPE-CASNABET, dans son ouvrage intitulé Condorcet, lecteur des Lumières, (1985) souligne à cet effet son originalité sur la question de l'égalité. Selon elle, chez CONDORCET « Réaliser l'égalité c'est faire appel à la loi instituée par les hommes éclairés; mais à son tour, la loi humaine révèle son insuffisance à faire valoir la loi 10


naturelle. Reste pour les sauver, l'instruction dont le but est de rendre les hommes égaux, ce qu'ils sont par nature, de révéler les hommes qui ont reçu de la nature un talent particulier, d'effacer les inégalités qui règnent dans les facultés de l'esprit » (p.68). La philosophe Louise MARCIL-LACOSTE, lui a également consacré un numéro en 1993 dans la revue Lekton, dans laquelle, elle y fait l’éloge à ce propos. Car, à l'idée de renverser tous les privilèges sur le plan politique, correspond toujours chez CONDORCET, la volonté de lutter contre les inégalités et les injustices sociales et économiques.

Ainsi, gestion du savoir et gestion mentale nous semblent former l'objectif fondamental qui sous-tend une grande partie des pratiques éducatives à l'heure actuelles, notamment la complexité de l'apprenant. Du moins, en ce qui concerne sa dimension sociale, qui se trouve de plus en plus aujourd’hui reléguée au second plan par l'institution scolaire. Ce qui pourrait, expliquer au moins partiellement, le nombre d'échecs enregistrés au sein de celle-ci. Partant de cette observation, il conviendrait donc de revisiter la pensée éducative de John DEWEY, qui semble toujours, être d’actualité et donc loin d’apparaitre superflue, voire encore obsolète. Ses principes philosophiques et leurs développements pédagogiques, constituant encore aujourd’hui, des arguments convaincants en faveur des médiations sociales d'une plus grande continuité entre la vie et l'école, l'école et la vie. En outre, le succès de son ouvrage, Démocratie et éducation, (1916) bien qu'étant écrit au début du XXème siècle à l'intention de l'institution scolaire américaine, réside dans le fait qu’il n’est pas un ouvrage de circonstance écrit pour une société et une époque donnée. Car cet ouvrage pose et résout les éternels problèmes de l’individu dans la société nouvelle. Pour DEWEY, l’éducation devrait permettre à l’individu de continuer à s’éduquer même après avoir quitté l’école. Ainsi, l’apprentissage, la connaissance et la culture chez lui, ne sont pas des fins en soi, mais des signes de progrès et des moyens pour de nouvelles améliorations.

Philosophe, homme politique et éminent pédagogue, CONFUCIUS (551-479 avant l'ère chrétienne), a été l'une des grandes figures de la civilisation de la Chine ancienne et le fondateur du système éducatif féodal. Sa pratique tout comme sa réflexion sur l'éducation a exercées une influence considérable dans le développement de l'éducation aussi bien en Chine qu'ailleurs dans le monde. Dans l'Antiquité, il était considéré comme le premier "des sages" et le "modèle de dix mille générations". De nos jours, on reconnait en lui une des grandes figures de la civilisation, car considéré dans de nombreux pays comme le modèle des enseignants. Sa contribution à l'éducation et le rôle remarquable et durable qu'il a joué dans ce 11


domaine, lui assurent encore aujourd'hui, une place exceptionnelle non seulement dans l'éducation, mais aussi dans la culture. La conception de l'école dont il fut le père, est d'une portée sensible, car il est depuis quelques années à nouveau à la mode ; son œuvre redevient un sujet d'étude, d'évaluation de l'actualité et de sa philosophie même. Au regard de leurs apports et l'impact de leurs pensées qui ont dominé le champ de l'éducation à leurs époques, et aujourd'hui la nôtre, le choix de ces auteurs est donc loin d'être fortuit. Car ils ont largement influencé et contribué au développement et à l'enrichissement des grandes théories éducatives élaborées dans nos sociétés modernes. Ces auteurs, aujourd'hui encore, jouent un rôle capital dans les sciences de l’éducation et continuent d'inspirer et d'influencer les nouvelles approches éducatives compte tenu de la crise que traverse l'institution scolaire. Fort du rôle assigné à l'éducation par DEWEY, CONDORCET et CONFUCIUS (grands penseurs en éducation) dans notre analyse, l’école devient ainsi le moyen privilégié dont dispose toute société, quelle qu’elle soit, pour assurer à la fois sa propre pérennité, ainsi que celle de ses citoyens. Mais à l'heure de la mondialisation, les systèmes éducatifs des pays africains d’une façon général, et celui de la Côte-d’Ivoire en particulier, présentent cependant de nombreuses irrégularités en matière de démocratisation scolaire au vu des diverses inégalités qui y règnent. Aujourd'hui encore, le modèle sélectif, élitiste et excluant de l'école ivoirienne, fait d'elle, un système aux antipodes de la démocratisation scolaire. Comparés à ceux de certains pays d’Europe occidentale comme la France, ce système éducatif accuse un retard de plusieurs décennies, par rapport à celui de la France, bien que ce dernier ne soit pas non plus totalement irréprochable. En effet, en Afrique subsaharienne, les inégalités liées aux couches sociales et aux genres sont parmi les plus préoccupantes. La sous-scolarisation des couches sociales défavorisées est caractéristique de l’absence de démocratisation en matière d'éducation dans ces systèmes éducatifs. Ainsi, la conférence mondiale sur l’éducation pour tous, tenue à Jomtien (Thaïlande, 1990), a été le point culminant dans la prise de conscience et la nécessité d’accorder une priorité à l’éducation des classes populaires. Mais surtout de celles des filles, afin de corriger ce déséquilibre scolaire grandissant dans les pays en voie de développement.

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Certes, depuis cette date, de nombreuses actions se sont multipliées (institutions internationales, gouvernements, ONG1) en faveur de la promotion à l’éducation pour cette population donnée. Mais plus d’une décennie après, la situation de ces couches défavorisées n’a pas beaucoup évoluée en matière d’éducation. Le forum mondial sur l’éducation, réuni à Dakar en avril 2000, réaffirmant les principes de l’éducation pour tous (Jomtien, 1990), et montrant la détermination de la communauté internationale à corriger ce déséquilibre, n'a pas pour autant fait évolué la situation. Aujourd’hui, certains observateurs (ONG, chercheurs, pouvoirs publics) parlent, à tort ou à raison, d’une aggravation de ces inégalités dans un contexte de fléchissement général de la scolarisation, du fait essentiellement des difficultés économiques dont souffrent la majorité de ces pays. Dans le cas de la Côte-d’Ivoire, le contexte nouveau, lié à la crise politico-militaire qu’elle traverse depuis septembre 2002, constitue une des caractéristiques majeures de l’inadéquation et de l’inefficacité de son système éducatif. Le pays est divisé en deux : au Nord du territoire national (occupé par la rébellion appelée "Forces Nouvelles"), les écoles publiques et privées sont fermées. Tandis que celles du Sud, ouvertes, (tenue par l'armée régulière en place depuis 1960) donnent l'apparence trompeuse d'une vie routinière. Ces évènements expliquent en partie la stagnation du système éducatif ivoirien, du moins en ce qui concerne la déscolarisation des élèves dans les régions occupées.

Face à cet immobilisme de l'école ivoirienne, une profonde réflexion reste à mener, même si de l'analyse à la mutation, il faudra du temps. Ainsi, la phase préliminaire de notre travail de recherche, va consister à analyser ces problèmes, afin de mieux cerner les éléments constitutifs de son inadéquation à la démocratisation scolaire. Nous allons donc tenter de définir les concepts suivants dégagés à partir des commentaires et représentations de nos répondants lors de la réalisation des entretiens : les parcours scolaires : une histoire de famille; les stratégies développées par les familles; qu’est-ce qu’être “jeune” en Côte-d’Ivoire; et surtout la notion de “recrutements parallèles”. Nous allons à présent, aborder la partie théorique de notre travail en commençant tout d'abord par une présentation de la Côte d'ivoire, ensuite nous ferons un rappel général de la situation des systèmes éducatifs des pays de d'Afrique subsaharienne au lendemain des indépendances, et plus particulièrement celui de la Côte d'ivoire qui fait l'objet de notre étude. Puis nous analyserons, à travers quelques

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Organisation Non-Gouvernementale.

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indicateurs, les actions menées par les dirigeants ivoiriens depuis son indépendance, jusqu'à aujourd’hui.

II – Cadre théorique et conceptuel de la recherche : Chapitre 1 : Le contexte démographique, économique et des finances publiques 1.1─ Aspects physiques Avant d'entamer les aspects démographiques, économiques et des finances publiques qui caractérisent le contexte du secteur de l’éducation en Côte d’Ivoire et de son développement, il serait utile de faire une mise en perspective plus globale des caractéristiques du pays et de sa situation générale. Cela devra permettre d’avoir de plus amples informations concernant le pays, en vue d’une meilleure compréhension et lisibilité de notre travail. La Côte-d’Ivoire est un pays situé en Afrique occidentale, avec une superficie de 322 462 km² (l’équivalent de l’Allemagne), elle a pour capitale politique et administrative Yamoussoukro ; Abidjan demeurant la capitale économique. La langue officielle est le Français, et le Franc CFA1, pour monnaie (dépendant de la Banque de France). Le pays est baignée au Sud par le golfe de Guinée ; limitée à l'Ouest par le Liberia et la Guinée ; au Nord par le Mali et le Burkina ; et à l'Est par le Ghana. Sa façade maritime, au Sud, borde l’océan Atlantique sur 550 km, le relief se caractérise par trois grands ensembles : les plaines au Sud et au Centre, les plateaux au Nord et le massif montagneux à l’Ouest où culmine le mont Nimba (1 752 m). On distingue trois types de végétation : la forêt de type équatorial (végétation luxuriante, grandes variétés d’essences, arbres géants) occupe les 2/5 du pays à l’Est ; la savane au Nord (d’abord arbustive puis de plus en plus herbeuse) ; le long de la côte, un cordon alluvionnaire, avec planté de cocotiers, bananiers, palmiers à huile et hévéas. Quatre fleuves principaux irriguent le pays : Cavally, Sassandra, Bandama et Comoé.

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Communauté Financière Africaine.

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1.2 ─ Contexte démographique D’abord protectorat français en 1843 et devenue colonie française en 1893, la Côted’Ivoire acquiert finalement son indépendance le 7 août 1960. Félix Houphouët-Boigny, sera depuis cette date le premier président de la République, et il l’y restera jusqu'à sa mort en 1993. L’économie et le succès du pays repose essentiellement sur l’agriculture notamment le café et le cacao dont il est le premier producteur mondial. Ce qui lui a permit de connaitre au cours des deux premières décennies après son indépendance, un essor exceptionnel faisant d'elle, le pays “phare” dans la sous-région Ouest africaine. Avec une population de 1,8 millions d’habitants en 1920, la population ivoirienne a beaucoup augmenté en 1955 passant ainsi de 1,8 millions à 3,1 millions d’habitants puis à 6,7 millions d’habitants en 1975. Cette population est caractérisée par un fort taux de croissance (3,4 % annuel) et une mortalité encore élevée (112 pour 1000 de mortalité infantile et 400 pour 100 000 de mortalité maternelle) selon l’INS (Institut National de la Statistique, 2006). Près de 53 % de la population a moins de 20 ans ; cette jeunesse est à la fois un atout (renouvèlement des ressources humaines et potentialités économiques) et un défi dans la mesure où elle pose des problèmes en termes de scolarisation, d’emploi, de santé de loisirs, etc.

Le dynamisme démographique du pays, est la résultante de trois principaux facteurs, à savoir un taux d’accroissement naturel élevé, une immigration importante (26 % d’étrangers) et une urbanisation rapide (43 % de la population vit en milieu urbain). Sur le plan de la distribution de l'espace, la population ivoirienne est inégalement répartie sur le territoire national. La densité moyenne est de l’ordre de 57 habitants/km², mais 78 % de la population occupent 47 % du territoire national dans le sud forestier, alors que de façon complémentaire, 22 % de la population occupent les 53% restant de la superficie du territoire national dans la zone de savane. Au plan de la structuration sociolinguistique, la population ivoirienne est composée d’une soixantaine de groupes ethniques répartis entre quatre grandes aires sociolinguistiques : Akan, Mandé, Krou et Gour. La Côte-d’Ivoire a réalisé un recensement général de la population et de l’habitation en 1998, faisant suite au recensement précédent de 1988. Le tableau I.1 donne les principales évolutions constatées entre ces deux recensements, ainsi que les projections faites par l’INS pour l’année 2006 lors de ces estimations. Ce qui a servi de référence dans cette étude et pour l’année 2020, utilisée comme horizon cible de moyen terme dans des travaux plus prospectifs par l’INS.

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Tableau I.1 : Evolution de la population d’âge scolaire et totale du pays, 1988-2020 Population (000)

Recensement 1988

Recensement 1998

Projection 2006

Projection 2020

Hommes

Femmes

Total

Hommes

Femmes

Total

Hommes

Femmes

Total

Hommes

Femmes

Total

3-5 ans

-

-

-

752,6

712,2

1 464,8

817,6

820,3

1 637,9

1 245,9

1 231,5

2 477,5

6-11 ans

905,8

951,0

1 856,8

1 343,6

1 259,9

2 603,5

1 443,6

1 423,7

2 867,3

2 125,6

2 113,8

4 239,4

12-15 ans

443,4

467,0

910,4

774,1

746,0

1 520,1

893,9

845,0

1 739,0

1 187,2

1 188,0

2 375,2

16-18 ans

323,2

285,7

609,0

507,2

532,1

1 039,3

619,4

582,5

1 201,9

787,4

790,5

1 577,9

5 527,3

5 288,4

10 815,7

7 844,7

7 522,0

15 366,7

10 024,0

9 633,8

19 657,7

14 348,6

13 900,7

28 249,3

Totale

Source : Institut National de la Statistique et ajustements par les auteurs

Au cours de la période intercensitaire allant de 1988 à 1998, la population totale résidant dans le pays est passée de 10 815 694 habitants à 15 366 672 habitants, marquant ainsi une croissance annuelle moyenne au taux de 3,6 %. Ce taux consolide à la fois la croissance naturelle de la population résidente en 1988 et le solde migratoire externe positif qui a globalement caractérisé la période 1988 à 1998. L'INS a estimé sur cette même période que, les migrations vers le pays ont concerné à environ 1,2 millions de personnes, suggérant ainsi un taux de croissance naturelle de la population de l’ordre de 2,7 % par an sur la période comprise entre les deux recensements. On notera aussi que la population rurale (selon les conventions retenues par l’INS) représente environ 58 % de la population totale du pays en 1998, alors qu’elle représentait 61 % en 1988 ; ce qui traduit une tendance générale à l’urbanisation. En 2006, l'INS a en effet estimé que la population rurale représentait environ 55 % de la population globale de la Côte d’Ivoire. Les estimations de celle-ci, du fait de la transition démographique en cours et d’un apport extérieur moindre, tablent sur un taux de croissance annuel de l’ordre de 3,1 % entre 1998 et 2006. Ceci a conduit à une population nationale estimée à 19,6 millions en 2006 par l’INS.

1.3─ Contexte politique et social Sur le plan politique, la Côte d’Ivoire est confrontée à une instabilité sans précédent depuis le coup d’état de 1999. En effet, en octobre 1995, le scrutin présidentiel en Côte d'ivoire, a été marqué par un climat politique et social tendu, avec des oppositions manifestes entre

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communautés et régions. Ce qui a donné lieu à des violences intercommunautaires, notamment dans l'Ouest du pays, entre les Bété et les Baoulé, ethnie dont est issu l’exprésident de l'époque (Henri Konan Bédié). Tandis que les musulmans du Nord sont restés marqués par la marginalisation dans laquelle les institutions ont tenté de maintenir leur candidat Alassane Dramane Ouattara, en raison de ses origines étrangères (Burkina-Faso). Emergé ainsi en Côte d'ivoire, le concept « d'ivoirité » initié par le président Bédié en 1993 ; qui, lors de son accession au pouvoir, va faire réviser la constitution, pour instituer le septennat renouvelable jusqu'à l'âge de soixante quinze ans, en lieu et place du quinquennat renouvelable une seule fois existant jusqu’alors. Il a fait de ce concept, un usage plutôt libéral en élaborant un projet d'identité culturelle commune pour les plus de 60 ethnies composant la Côte d'ivoire. L'ivoirité est un concept visant à définir la nationalité ivoirienne dans un processus de démocratisation et d'unification nationale d'une société ivoirienne en manque d'imaginaire « globalement national ».

Ce concept s'appuie sur des notions culturelles et vise à promouvoir les cultures et les productions nationales. Mais, repris par les adversaires politiques de l’ex-président à l’époque, ce concept fut imprégné par des idées nationalistes et xénophobes. Des campagnes de presses l’ont ainsi imposé comme slogan national à l’encontre des populations du Nord, ce qui a conduit à l'élimination aux élections présidentielles de 2000 du candidat du Nord Alassane Ouattara. Ce rejet de l’ancien premier ministre, fut facilité par le contexte de « méfiance identitaire ». Et à une différence ethnique, s'ajoute également une différence de religion : les ivoiriens du Nord, musulmans, (Malinkés) ont été soupçonnés d'être de « mauvais ivoiriens », et sont donc rejetés par les ivoiriens du Sud. Ce qui aboutit à un fort sentiment d'exclusion des populations du Nord, à cause de leurs patronymes à consonance étrangères. Bref, ce concept d'ivoirité repris hors de son contexte premier, a été en partie à l'origine de la crise actuelle que traverse aujourd’hui la Côte d'ivoire. Certains médias et hommes politiques ont multipliés des articles et des appels opposant les « vrais » ivoiriens aux populations allogènes, (Malinké) communément appelées les Dioula. Ce terme désigne, selon les circonstances, un ivoirien au patronyme musulman et originaire du Nord de la Côte d'ivoire ou des États de la sous-région (Mali, Burkina-Faso, Guinée, etc.).

Ces discours xénophobes ont trouvé un « terreau » favorable dans la crise économique qui a touché le pays depuis le début des années 1990, lorsque les cours du cacao se sont effondrés. Ces tensions se sont accrues encore un peu plus, suite au refus de la candidature de l'ancien 17


premier ministre ivoirien Alassane Dramane Ouattara, aux élections présidentielles de 2000. Le motif évoqué était qu'il avait des origines Burkinabées et donc pas un « vrai » ivoirien. L’adoption la même année d’une nouvelle Constitution et l’élection présidentielle qui portent au pouvoir Laurent Gbagbo, (actuel président) n’apaisent pas pour autant les tensions sociales et politiques. Puisque celles-ci vont se soldées par un conflit armé le 19 septembre 2002, entrainant la scission du territoire ivoirien en deux parties. Au lendemain de ce soulèvement armé, les Dioula ont globalement été traités de « rebelles » par certains médias et responsables politiques proches de la présidence.

Malgré une série de sommets, rencontres et médiations au niveau national et international, dont celui de Marcoussis (France) en janvier 2003 et de Ouagadougou (Burkina Faso) conclu le 4 mars 2007 (qui décrit de façon détaillée toute une série de mesures qui devraient conduire la Côte d'ivoire à la stabilisation politique et à un nouveau processus de sortie de crise); le pays n’est toujours pas parvenu à la résolution définitive de la crise. La Côte d’ivoire est toujours aujourd’hui sous le contrôle de deux forces antagonistes en présence d’un contingent de forces onusiennes et françaises dites « impartiales ». Sur le plan social, la crise a amplifié le taux de pauvreté, qui toucherait 48,8 % de la population en 2006 contre 38,4 % en 2002, d’après le dernier rapport du PNUD. Ce dernier a été élaboré sur le développement humain, (2006) et classe la Côte d’ivoire au 164ème rang sur 177 pays, avec un indice de développement humain durable de 0,421 en 2004. Ce rapport mentionne également un taux de chômage des jeunes très élevé, ainsi qu’une nette dégradation des services sociaux de base.

1.4 – Données démo-linguistiques La population ivoirienne est assez inégalement répartie dans le pays, puisque la région des Lagunes (avec la ville d’Abidjan) compte à elle seule 34 % de la population totale; les cinq régions les plus peuplées (Lagunes, Haut-Sassandra, Savanes, Vallée du Bandama, Montagnes) dépassent les 73 % de la population. La Côte-d’Ivoire constitue une véritable mosaïque ethnique, car on y dénombre plus de 60 ethnies différentes regroupées en 4 grands groupes (selon les critères linguistiques) :

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● Le groupe Mandé : localisé dans le Nord-Ouest du pays, ce groupe aussi appelé Mandingue compte surtout les Malinké, les Bambara, les Dioula, les Foula … Au centre Ouest, l’ethnie des Dan réside dans la zone montagneuse du pays, principalement autour de Man (une des principales villes de la Côte-d’Ivoire). ● Le groupe Krou : au centre Sud et au Sud-ouest, résident les Krou ou Magwé, la principale population de cet ensemble ethnique sont les Bété. ● Le groupe Gour (Voltaïque) : au Nord-est, ce groupe constitue l’un des plus anciens peuples de la Côte-d’Ivoire, avec les Sénoufo, et les Lobi, qui habitent le Nord. ● Le groupe Akan : à l’Est, au centre et au Sud-est, se trouvent les Akan, l’ethnie la plus nombreuse et que l’on divise en Akan du Centre (principalement Baoulé), en Akan frontalier (Agni, Abron, etc.) et en Akan lagunaire (Ebrié, Abouré, Adjoukrou, Appolloniens, etc.).

Les ethnies les plus importantes sont les Sénoufo (9.7 %), les Malinké (8.5 %), les Baoulé (6.6 %), les Dan ou Yacouba (5.9 %), les Bété (5.7 %), les Agni (4.5 %), les Gouro (3.6 %), les Dioula (3.4 %), les Guéré (3.4 %), les Dida (2.1 %), les Lobi (1.8 %), les Wôbé (1.7 %), les Abbey (1.4 %), les Adjoukrou (1 %) et les Ebrié (0.7 %) … Mais le Français est la langue officielle de l'État et celle de l’école, car on estime qu’environ les deux tiers de la population, âgée de 6 ans et plus, pratiquent une “forme de Français” à peu près inintelligible pour un francophone non-Ivoirien. On compte en Côte d'ivoire, plus d’un million de locuteurs qui utilisent cette variété pidginisée de Français idiome (ensemble de moyens d’expressions propres à une communauté, un peuple). En effet, les colons français ont à l’époque, regroupé les langues en groupes linguistiques. On distingue ainsi en Côte-d’Ivoire les langues Kwa, Gour, Krou et Mandé. La Côte-d’Ivoire accueille en outre sur son sol, 4 à 5 millions d’étrangers; soit au moins le tiers de sa population. Les Burkinabé constituent environ 3 millions, les Ghanéens environ 500 000, les Libériens (100 000), les Européens (environ 20 000 Français, dont un tiers de binationaux, des Allemands, des Belges, etc.), les Américains et Syro-libanais sont estimés à environ 100 000.

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1.5 – Historique des systèmes éducatifs des pays d’Afrique subsaharienne Nous allons dans cette partie, parler d'éducation en Afrique subsaharienne d'une manière assez générale mais nuancé. En réalité, les situations sont contrastées d'un pays africain à un autre, et donc loin d'être les mêmes, bien qu'on peut cependant y noter des similitudes des systèmes éducatifs entre certaines régions. Il y a des différences notables des entre les régions de l'Afrique francophone et celles de l'Afrique anglophone et lusophone. Mais aussi, entre les pays du sahel et l'Afrique du Sud, entre les pays en rente comme le Congo ou le Gabon et les autres pays selon leur histoire coloniale en matière d'éducation. Ainsi, un rappel historique des systèmes éducatifs des pays d'Afrique subsaharienne en général, va donc nous permettre de comprendre particulièrement celui de la Côte d'ivoire. En effet, au moment où un grand nombre de pays de cette région est devenu indépendant dans les années 1960, le taux brut de scolarisation (TBS) primaire moyen était de 30 %, c’est-à-dire que moins d’un enfant sur trois allait à l’école. Certes, de nombreuses réformes ont été entreprises au sein de ces systèmes éducatifs en matière de scolarisation, mais il n’en demeure pas moins que les populations dans leur ensemble n’en ont pas beaucoup bénéficié, ce cette situation perdure encore aujourd’hui. La principale cause constatée de cette immobilisme, est la rupture entre la philosophie des systèmes éducatifs d'alors et celle des premiers temps des indépendances jusqu’à nos jours. Il s'est opéré en effet au lendemain des indépendances, une prise de conscience face à la question éducative de la part des dirigeants des pays d'Afrique subsaharienne.

De fait, pour atteindre ces deux objectifs, la plupart des systèmes éducatifs de ces pays se sont dotés d’une structure verticale, c’est-à-dire que l’objectif principal de l’enseignement primaire était d’acquérir des compétences pour rentrer dans l’enseignement secondaire. Ce qui logiquement, devait conduit au baccalauréat (examen d’entrée dans l’enseignement supérieur). Le but de cette politique, était d’obtenir une maitrise lorsque l’on entre en première année de primaire, c’était du moins la première caractéristique de tous les systèmes de la région à l’époque. En outre, ces systèmes éducatifs étaient gratuits, c’est-à-dire qu’à tous les niveaux, les usagers contribuaient très peu au financement de leur coût. Dès le départ, la gratuité a été généreuse dans l’enseignement supérieur, contrairement à ceux des pays riches du Nord, car la quasi-totalité des étudiants avaient à l'époque le droit à une bourse. C'était des systèmes dont les cartes initiales correspondaient à l’aboutissement de ceux des pays riches après deux siècles d’évolution.

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Ces systèmes ont donc commencé par la situation que connaissent aujourd’hui les pays développés avec cependant une différence, car ceux des pays riches que nous connaissons sont financés par des capacités fiscales bien plus importantes que celles observées en moyenne dans ces États Africains, qui par définition sont pauvres. Ces systèmes ont bien fonctionné pendant deux décennies, car jusqu’en 1980, ces pays avaient réalisé l’objectif de produire progressivement les cadres dont ils avaient besoin. Mais il y avait surtout une bonne adéquation entre la formation et l’emploi à l'époque, qu'il en existe aujourd'hui. En revanche, le deuxième objectif de scolarisation universelle a été moins bien réussi, car entre 1960 et 1980, on a à peu près doublé le chiffre de 30 % d’enfants scolarisés initiaux pour arriver à un taux de scolarisation moyen au primaire de 60 %. On peut donc penser qu’à partir de 1980, les difficultés ont commencé à s'accumuler au sein de ces systèmes éducatifs : ● Dégradation progressive de l’adéquation entre les diplômés sortant du système, et les ouvertures d’emploi correspondant ; 

Dégradation de la qualité à tous les niveaux;

Dégradation des acquis antérieurs en matière de scolarisation primaire;

Dégradation des budgets publics;

Déception quant au rôle de l’éducation dans le domaine du développement économique, à savoir de faciliter le développement et la croissance économique de ces pays.

Cela a donc conduit à toutes sortes de réformes et de mises en place de projets en éducation, dans tous les pays anciennement colonies françaises. L'éducation et la formation comme passeport pour demain pour quelques-uns seulement, a été une dimension importante. Toutefois, l'éducation en ce sens, était élitiste. Dans un premier temps, elle s’intéressait prioritairement aux enfants des classes privilégiées, excluant ainsi les autres couches sociales de la fonction de reproduction de l’éducation. Et dans un deuxième temps, elle visait à créer une population apte au service du colonisateur, surtout dans les fonctions d’interprète. Dans les faits, c’est l’ensemble des populations qui, après un certain temps de résistance, s’est engouffré dans le nouveau système éducatif. Quelles sont donc les orientations qui ont été données à cet engouement à l’entrée en masse des pays africains dans le nouveau système éducatif, jusque-là inconnu, mais supposé créer les conditions de leur nouvelle vie ?

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Dans le cas du système scolaire ivoirien, on peut se demander si elle assure bien une fonction de transmission culturelle, au regard des difficultés rencontrées dans le cadre des apprentissages. A titre comparatif, nous pouvons nous référer aux écarts importants qui existent entre les taux de réussite obtenus dans les différents examens dans le système éducatif ivoirien, par rapport à ceux des pays développés comme la France.

Chapitre 2 : Présentation du système éducatif ivoirien La Côte d’ivoire fait partie des pays de l’Afrique francophone ; elle est proche des pays les moins avancés (PMA) en terme de niveau de développement scolaire. Pourtant, depuis son indépendance, le système scolaire de la Côte-d’Ivoire avait connu une forte expansion. La forte demande scolaire émanant des familles, la volonté de réduire les disparités régionales et de rattraper les retards historiques, le poids de la croissance démographique, sont autant de facteurs explicatifs de l’explosion scolaire du pays. La "machine" scolaire s’était développée rapidement et souvent indépendamment des conditions socioéconomiques. Le pays avait fait du système éducatif, un secteur prioritaire au lendemain de sa souveraineté nationale.

Les salaires des enseignants étaient très incitatifs contrairement à ceux de leurs collègues de la sous-région. La part du budget d’éducation dans le budget national a représenté environ 40 % sur les trois décennies, soit de l’ordre de 6% du PNB selon le MEF. Ses dirigeants à l’époque s’étaient fixé deux principaux objectifs. D’une part, atteindre aussi vite que possible l’objectif d’alphabétisation universelle pour les nouvelles générations. Et d’autre part, former des cadres compétents pour prendre en main la destinée du pays, dans le but de remplacer les anciens colonisateurs. Il est donc question dans ce chapitre de présenter le système éducatif ivoirien de façon globale et de ressortir les principaux concepts qui feront l'objet de notre analyse.

2.1– La situation globale du système éducatif ivoirien Depuis plus de deux décennies, la Côte-d’Ivoire a été exposée à un macroéconomique et démographique relativement difficile (sans parler du contexte politique délicat des dernières années). Ainsi, le produit intérieur brut qui certes à connu une croissance substantielle de

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2338 milliards de FCFA en 1990 à 7531 milliards de FCFA en 2000 ; soit près de 9% par an en moyenne en termes nominaux. Mais, lorsqu’on examine cette croissance en termes réels, la performance a été bien plus modeste avec une évolution de 5 908 milliards de FCFA en 1990 à 7531 en 2000, lorsque tous les chiffres sont mesurés en valeur monétaire constante cette même année selon la DPS, (Direction de la Planification et de la Statistique). Cependant, elle a depuis toujours mis l’accent sur la formation de ses citoyens, en y allouant une part très importante de son budget. C'est-à-dire que les dépenses en éducation représentaient 46,5% du budget de l'État jusqu'à la fin des années 1980. L’éducation constituait à l'époque en Côte-d’Ivoire, une des priorités des autorités gouvernementales. Mais, à partir des années 1990, le budget de l'Education nationale, en milliards de francs CFA, a beaucoup diminué (et plus sensiblement pour les dotations budgétaires allouées au secondaire général). Ainsi, il est passé de 76,3 milliards en 1988, à 62,9 milliards en 1992, d'après les estimations faites dans les annuaires de statistiques scolaires réalisées par la DPS. En premier lieu, l’examen porte sur la perspective temporelle entre les années 1992 et 2007 dans le contexte de la Côte-d’Ivoire. Ces données montrent que les couts unitaires ont de façon globale, beaucoup diminué à tous les niveaux d’enseignement dans le système éducatif ivoirien entre 1992 et 2007. Dans le primaire le cout unitaire a baissé de près de 39 %, mais la baisse est encore plus conséquente dans les deux cycles d’enseignement secondaire général, car la dépense unitaire publique représente en 2007, environ la moitié de ce qu’elle était en 1992. Dans l’enseignement supérieur, la baisse des couts unitaires avec pour corolaire la dégradation des conditions d’enseignement, est encore plus intense, dans la mesure où la dépense par étudiant a baissé d’environ 60 % entre 1992 et 2007. La substantielle augmentation du poids du supérieur dans les financements du secteur au cours des quinze dernières années (notée plus haut) n’a donc pas été suffisante pour accompagner une demande éducative sans cesse croissante.

Ce phénomène, observé dans beaucoup de pays africains en particulier les pays francophones, est spécialement accentué en Côte d’Ivoire montrant qu’un arbitrage implicite a été fait au cours des dernières années sur la quantité au détriment de la qualité des services offerts. Seul l’enseignement technique et la formation professionnelle a vu sa dépense unitaire augmenter de façon sensible, de 1,4 fois le PIB par habitant en 1992 à 2,7 fois cette même 23


grandeur en 2007. Et à l’instar des systèmes éducatifs des pays d’Afrique subsaharienne, ces difficultés perdurent à l'heure actuelle au sein de l’école ivoirienne.

Au niveau de son accès, celle-ci est limitée au primaire par rapport aux exclus, car l'enseignement est peu intensif dans le primaire, on enregistre un faible taux d'admission et une forte stagnation des taux bruts de scolarisation dans le secondaire. Si on adopte maintenant la perspective des comparaisons internationales conduites à une date aussi rapprochée que possible de la période actuelle, l’image qui ressort est assez différente. En effet, tant dans le primaire que dans le secondaire général, le niveau de la dépense publique par élève (qui a certes significativement baissé au cours des 15 dernières années) reste assez nettement au-dessus de la référence de celle des pays de la sous-région. Ainsi, le cout unitaire du primaire en Côte d’Ivoire en 2007 correspondait à 18,3 fois le PIB par habitant du pays et se situait à 65 % au dessus de la moyenne des pays de comparaison, c'est-à-dire, 11 % du PIB par habitant. Ce cout se situait également à environ 40 % au dessus du chiffre qui correspond à l’application des paramètres du cadre indicatif de l’IMOA-EPT (13 % du PIB par habitant). Dans l’enseignement secondaire général, les écarts ne sont pas aussi importants même s’ils restent, plus élevés que la référence internationale. Le cout unitaire est en effet respectivement de 27 et de 28 % plus élevé en Côte d’Ivoire que ce qui est observé en moyenne dans les autres pays d’Afrique francophone auxquels elle est comparée. Le tableau II.1, propose des éléments de comparaison des couts unitaires qui se fondent sur des valeurs exprimées en pourcentage du PIB. Tableau II.2 : Cout unitaire public par niveau d’études; comparaison internationale (Pays francophones d’Afrique sub-saharienne) Cout unitaire (% du PIB/tête)

Primaire

Collège

Lycée

ETFP

Supérieur

Côte d’Ivoire (1992)

30

85

141

405

Côte d’Ivoire (2000)

16

45

116

126

Côte d'Ivoire (2007)

18,3

31,5

72,3

267,1

167,5

Burkina (2006)

16,6

19,3

62,5

180,7

215

Bénin (2006)

13,1

10,9

31,9

120,7

134

Cameroun (2003)

7,1

31,6

37,1

61?à

83

Guinée (2005)

5,8

10,8

9,4

92,6

133

24


Madagascar (2003)

11,0

26,7

64,4

83,0

190

Mali (2003)

11,1

26,5

117,1

202,6

192

Mauritanie (2004)

12,0

39,6

33,8

188,0

120

Niger (2003)

20,0

49,0

157

Nd

515

RCA (2005)

7,2

17,3

28,0

91,0

225

Sénégal (2003)

10,7

14,7

70,3

95

257

Tchad (2003)

7,0

26,8

35,8

192,1

412

Togo (2007)

11,0

23,0

29,0

129,0

130

Moyenne des pays comparateurs

11,1

24,6

56,8

130,5

217,3

Rapport RCI / Moyenne

1,65

1,28

1,27

2,04

0,77

Source : Données à partir des calculs du RESEN2

Pour l’enseignement supérieur, la situation est radicalement assez différente, en effet, la baisse significative de la dépense publique par étudiant en Côte d’Ivoire sur les quinze dernières années donne à voir, le niveau de la dépense unitaire en 2007 (1,68 fois le PIB par habitant). Cela apparait clairement en dessous de la moyenne observée dans les pays de la sous-région (2,17 fois le PIB par habitant), où l’écart est de 23 %, comme on peut l’observer dans le tableau ci-dessus. Il faut en outre noter que le cout moyen de la dépense publique par étudiant en Côte d’Ivoire, (1,68 fois le PIB par habitant) résulte de la composition d’un cout moyen de 1,23 fois le PIB par habitant dans les formations universitaires. Ce qui correspondait à 6,33 fois le PIB par habitant dans les grandes écoles publiques du pays. La comparaison de la moyenne des pays comparateurs et du chiffre pour l’Université souligne la faiblesse du cout unitaire dans les formations universitaires ivoirienne (cout unitaire 40 % plus faible que la moyenne des pays comparateurs). Enfin, la comparaison du cout unitaire moyen de l’enseignement technique et de la formation professionnelle entre la Côte d’Ivoire et les autres pays francophones, montre que les formations sont spécialement couteuses en Côte d’Ivoire. Celles-ci sont en effet, en moyenne, deux fois plus chères dans le pays que dans ceux de la sous-région. Cette situation pourrait s'expliquer par l’existence de petits établissements qui ont des couts de structure assez importants et d’inefficiences significatives dans la production de ces services. On note par ailleurs, d'importantes disparités régionales, en comparaison aux taux d'admission. Au plan de la qualité de l'enseignement, on enregistre un faible rendement interne et externe de 25


l'école ivoirienne, avec des redoublements excessifs. Ainsi que des déperditions et gaspillage des ressources humaines liées à l’inadaptation des formations par rapport aux besoins des marchés de l'emploi, et un déficit chronique d'enseignement.

Il convient également de souligner le faible niveau d'étude du personnel éducatif qui, pour la plupart, est recruté à partir du BEPC pour l'enseignement primaire, et à la Licence en ce qui concerne l'enseignement secondaire (sans une réelle formation/qualification de celuici). Cette pratique peut entrainer des conséquences sur la vie économique et sociale en général, et sur la communauté éducative en particulier. Ainsi, face à tous ces problèmes, de nouveaux objectifs s'imposent donc au système éducatif ivoirien, si celui-ci veut tendre vers l'Education Pour Tous (EPT) et ce à tous les niveaux de la sphère sociale.

Il faudrait donc au sein de ce système, faire non seulement face à une expansion quantitative, (donner plus de moyens financiers à l'école). Mais il faudrait aussi répondre à une exigence accrue de qualité du personnel éducatif, en rehaussant par exemple le niveau d'étude des enseignants à tous les niveaux de formation. Car, nous savons tous que, la baisse des ressources affectées à l’éducation, ainsi que de la formation du personnel, peuvent avoir une répercussion immédiate sur la qualité de l'enseignement et de la formation des citoyens. Pour garder son emploi ou pour en trouver un autre, la formation continue dite “en cours dégressif” devient ainsi une nécessité, car personne ne peut prétendre que seules les connaissances acquises à l’école seront suffisantes pour sa vie professionnelle toute entière. Aujourd’hui en Côte-d’Ivoire, une proportion importante de la population, dont les jeunes en particulier, quitte très tôt l’école sans une réelle qualification. Pourtant, cette jeunesse aurait grand besoin d’une préformation pour s’inscrire dans le tissu productif économique, qui trop souvent la contraint à adopter de nouveaux comportements. Dans cette optique, une éducation en matière d’environnement, de population, de qualité de vie, à la solidarité, à l’alphabétisation de ces jeunes, et surtout des filles, s’imposent. Et cela s’avère à l’heure actuelle plus que nécessaire, ne serait-ce que pour soutenir une politique éducative, visant à pallier les problèmes de la démocratisation et l’égalité scolaire de son système éducatif.

En effet, depuis CONDORCET, le principe de l'égalité devant l'enseignement a été clairement posé : l'instruction est le besoin de tous et la société la doit à tous ses membres. Ainsi, cette préoccupation égalitaire a continué à se développer dans de nombreux écrits dont 26


notamment, Le manifeste du parti communiste de MARX et ENGELS, (1847) mais aussi dans des projets éducatifs comme ceux de Jules FERRY sous la III ème République (lois de 1882-1883). Ainsi en France, l'égalité ou la recherche d'égalité, produits de la Révolution française, sont, depuis cette période, une revendication constante et quasi unanime de nombreux sociologues scolaires dont François DUBET, (2004) ou encore Pierre BOURDIEU et du monde politique. Claude DURAND-PRINBORGNE dans son ouvrage L'égalité scolaire par le cœur et par la raison (1989), pour définir l'égalité scolaire et la démocratisation de l'enseignement, soutient avec force la thèse de l'égalisation en ces termes : « Ce qui compte, c'est donner à tous, des possibilités permanentes d'agir sur leur devenir » (p.139). Il rejette la baisse de niveaux chers à ceux qui soutiennent que la réduction des inégalités scolaires, engendre l'égalitarisme qui tend à sacrifier les bons élèves à la médiocrité des autres. En outre, il montre que dans cet ouvrage que le taux d'illettrisme s'est abaissé au cours des dernières décennies et est nettement moins élevé chez les populations jeunes que chez celles qui sont plus âgées. Claude DURAND-PRINBORGNE rapporte ainsi, le problème des difficultés que rencontrent 20% « d'exclus scolaires ». Ainsi, il préconise comme solution, de « passer d'un système qui trie sur un référentiel de valeurs traditionnelles, par des procédures de sélection, à un système qui, après avoir révisé l'échelle des valeurs et admis l'égal dignité de certaines formations, offrira aux choix des élèves un large éventail de voies d'excellence ».

Pour évoquer les actions à entreprendre pour le progrès de l'égalité scolaire et la conquête plus longue de l'égalité sociale, C. DURAND-PRINBORGNE, s'attache à répondre à la question des moyens d'une politique de l'éducation plus égalitaire. Il propose à cet effet en complément aux réformes conduites au cours des dernières années, celles des études secondaires. Cette action sera certes à mener hors de l'école, sur « les facteurs supposés déterminants » mais elle devra être principalement menée dans l'institution : choix et formation des enseignants qu'il faut mobiliser, développement de la préscolarisation et organisation du soutien pédagogique, dépistage, adaptation des structures, des effectifs et du cadre de vie scolaire, procédures d'information et d'orientation, aides sociales, etc. L'égalisation des chances d'accès dans le système éducatif ivoirien est un fait, même si subsistent des inégalités (selon le sexe, les catégories socioprofessionnelles, les lieux de scolarisation et l'offre d'éducation).

27


Certes nous devons rechercher toutes ces inégalités au sein de ce système en analysant ses dysfonctionnements internes (en termes de cursus ou de pédagogie), nous devons cependant également lire les causes à l'extérieur de celui-ci. Les missions de l'école à ce niveau, doivent permettre dès l'enseignement primaire, d'assurer l'intégration de l'enfant dans son environnement social, culturel et économique. Et cette formation morale, civique et culturelle, devraient le préparer à aborder le cycle de l'enseignement secondaire. Au niveau de l'enseignement secondaire, cela devrait contribuer à assurer la consolidation et l'approfondissement des acquis du cycle primaire, ainsi que l'ouverture sur toutes autres cultures et le développement de son esprit d'initiative et de créativité.

2.1.1 ─ La structure du secteur éducation/formation Le système éducatif ivoirien, est fondé sur le modèle hérité de l’époque coloniale ; il comprend : l’enseignement préscolaire ; l’enseignement primaire ; l’enseignement secondaire général, dont le premier cycle constitue avec le primaire, l’éducation de base ; l’enseignement technique et la formation professionnelle; l’enseignement supérieur ; et enfin l’alphabétisation et l’éducation des adultes. Ces différents secteurs d’enseignements sont sous la tutelle de trois principaux ministères : ● Ministère de l'Education Nationale (MEN) s'occupe de l'ensemble des niveaux de l'enseignement général ainsi que du préscolaire et de l'enseignement non formel ; ● Ministère de l’Enseignement Technique et de la Formation Professionnelle (METFP) a en charge les formations techniques et professionnelles de niveaux secondaires 1 et 2; ● Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (MESRS) est chargé de l'application de la politique du gouvernement en matière d'enseignement supérieur et de la recherche scientifique.

Le tableau II.3, présente l'évolution des effectifs scolarisés en Côte d'Ivoire par niveau d'enseignement et type de structure : public/privé.

28


Tableau II.3 : Evolution des effectifs scolarisés niveau et type de structure, 1996-97 à 2006-07

1996-97

1997-98

1998-99

1999-00

2000-01

2001-02

2002-03

2003-04

2004-05

2005-06

2006-07

Préscolaire

32 141

34 909

35 553

38 965

41 592

44 799

28 842

35 972

41 556

53 706

52 028

Public

16 306

17 959

19 075

20 056

22 566

24 900

17 560

22 562

20 693

25 118

28 036

Privé

15 835

16 950

16 478

18 909

19 026

19 899

11 282

13 410

20 863

28 588

23 992

Primaire

1 735 814

1 807 503

1 910 820

1 943 101

2 046 861

2 113 836

1 310 941

1 624 349

1 661 901

2 111 975

2 179 801

Public

1 540 316

1 593 869

1 688 503

1 716 888

1 815 081

1 872 856

1 310 941

1 427 371

1 451 312

1 864 630

1 924 550

Privé

195 498

213 634

222 317

22 6213

231 780

240 980

167 152

196 978

210 589

247 345

255 251

404 123

410 979

428 505

445 195

470 279

500 301

331 865

430 666

483 390

570 253

600 618

Public

266 540

271 121

283 981

292 913

293 154

306 717

192 530

256 979

288 393

352 204

384 410

Privé

137 583

139 858

144 524

152 282

177 125

193 584

139 335

173 687

194 997

218 049

216 208

122 914

128 318

137 345

154 520

169 181

182 160

130 214

165 664

176 762

192 957

207 632

Public

69 992

74 238

81 814

88 573

96 059

105 625

73 340

91 092

94 733

103 749

111 730

Privé

52 922

54 080

55 531

65 947

73 122

76 535

56 874

74 572

82 029

89 208

95 902

28 793

39 781

39 613

43 679

43 711

29 109

28 066

33 120

42 327

47 666

50 499

12 897

16 783

21 454

27 107

25 882

26 417

24 682

25 345

25 730

22 457

24 018

ESG 1er cycle

ESG 2ème cycle

ETFP

Public

29


Privé

15 896

22 998

18 159

16 572

17 829

2 692

3 384

7 775

16 597

25 209

26 481

MESRS

87 873

101 969

102 267

110 472

115 413

-

-

-

146 490

-

156 772

Public

67 381

73 989

72 577

80 750

-

-

-

-

79 586

-

99 865

dont hors MESRS

15 226

18 606

16 630

18 640

-

-

-

-

15 604

-

15 623

Privé

20 492

27 980

29 690

29 722

-

-

-

-

51 300

-

56 907

Source : DIPES MEN / DPS METFP / DPE MESRSS (2007)

La baisse que l’on observe entre les années 2002-03 et 2004-05 pour certains degrés d’enseignement, est dans une large mesure imputable à la situation sociopolitique qui a prévalu sur cette période dans le pays. Elle trouve son origine dans la conjonction de deux phénomènes : le premier est « mécanique » et concerne l’absence de collecte de données statistiques scolaires sur certaines zones du pays, notamment le Nord et le Centre (occupées par la rébellion); et la seconde, concerne la baisse probable du niveau de la couverture scolaire dans d’autres régions, bien qu’elles aient été moins touchées par la crise.

2.1.2 ─ Préscolaire, primaire et enseignement secondaire général L'enseignement préscolaire est essentiellement concentré dans les zones urbaines et connait une expansion rapide. Le secteur privé assure l’accueil de plus de 50% des enfants scolarisés à ce niveau, mais avec des frais de scolarité relativement élevés. C’est l'étape éducative dispensée par les établissements aux enfants âgés de 3 à 5 ans. En ce qui concerne les chiffres au niveau du préscolaire en Côte d'ivoire, on est passé de 32 141 élèves en 19961997 à 52 028 en 2006-07 (graphique II.1); soit un accroissement annuel d'environ 5%. Cet accroissement est un peu plus le fait de l'extension de l'offre public, le nombre d'enfants scolarisés dans les structures publiques ayant connu un accroissement annuel d'environ 5,6% contre 4,2% dans les structures privées. Pour le MEN, les données par établissement sont disponibles jusqu'en 2001-02. Depuis lors, la collecte a concerné des informations très synthétiques par Direction Régionale. Il est à noter que les données disponibles pour les 30


années 2002-03 à 2005-06, concerne la seule zone gouvernementale. Sous forme agrégée et partielle, ce ministère dispose donc, d'information relativement longue concernant les différents segments de l'enseignement général, par rapport aux deux autres (METFP, MESRS).

Graphique II.1 : Evolution des effectifs du préscolaire, 1996-97 à 2006-07

60 000 total 50 000 40 000

public privé

30 000 20 000 10 000

19 96 -9 7 19 97 -9 8 19 98 -9 9 19 99 -0 0 20 00 -0 1 20 01 -0 2 20 02 -0 3 20 03 -0 4 20 04 -0 5 20 05 -0 6 20 06 -0 7

-

Source : DIPES/ MEN (2007)

Au niveau de l’enseignement primaire, l’évolution en termes relatifs est plus modeste, avec un accroissement annuel moyen des effectifs scolarisés de 2,3 % sur les dix années de la période retenue (plutôt inférieur à celui de la population d’âge scolaire correspondant). On est ainsi passé de 1 735 814 élèves scolarisés dans les établissements publics et privés au cours de l’année scolaire 1996-97 à 2 179 801 au cours de celle de 2006-07. Le niveau actuel montre que le pays a pu retrouver (et même légèrement dépasser) le niveau absolu des effectifs scolarisés qui prévalait avant l’irruption de la crise, soit 2 113 836 élèves recensés pour l’année scolaire 2001-02. La croissance des effectifs dans le privé est légèrement plus soutenue que dans le public (respectivement + 2,7 % et 2,3 %). Mais, la part du privé demeure relativement stable, passant de 11,2 % des effectifs scolarisés au cours de l’année 1996-97, à 11,7 % en 2006-07 selon les estimations de la DIPES et du MEN. Le cycle primaire d’une durée de 6 ans, concerne théoriquement les enfants âgés de 6 à 11 ans. Il conduit au Certificat d'étude primaire élémentaire (CEPE), tandis que l’accès au premier cycle de l’enseignement secondaire, d’une durée de 4 ans, est subordonné à l’examen d’entrée en sixième. Au niveau de ce cycle, l'évolution est plus modeste, avec un

31


accroissement annuel moyen des effectifs scolarisés de 2,3% sur les dix années de la période retenue. Ce qui est plutôt inférieur à celui de la population d'âge scolaire correspondant.

Graphique II.2 : Evolution des effectifs du primaire, 1996-97 à 2006-07

2 500 000 Total

public

privé

2 000 000 1 500 000 1 000 000 500 000

19 96 -9 7 19 97 -9 8 19 98 -9 9 19 99 -0 0 20 00 -0 1 20 01 -0 2 20 02 -0 3 20 03 -0 4 20 04 -0 5 20 05 -0 6 20 06 -0 7

-

Source : DIPES/ MEN (2007)

Au niveau de l’enseignement secondaire général, on retrouve un niveau d’accroissement plus important : 4 % pour le premier cycle et 5,4 % pour le second cycle. La croissance des effectifs de l'enseignement privé est importante, avec un accroissement annuel moyen de 4,6% au premier cycle et de 6,1% au second cycle. Ces évolutions conduisent dans les établissements privés, respectivement pour le premier et second cycle, à 36 et 46% de l'ensemble des effectifs scolarisés à ces niveaux d'enseignement au cours de l'année 2006-07. Alors que ces mêmes ratios étaient estimés à 34 et 43% au cours de l'année 1996-97, c'est-àdire il y a dix ans. Pour ce qui est du second cycle de l'enseignement secondaire général, l'analyse par série (tableau II.4) montre que près des trois-quarts sont inscrits (41%) dans des séries scientifiques (séries C ou D), avec une prédominance de l'offre publique. En revanche, les élèves de séries littéraires sont plus nombreux à être scolarisés dans le privé (52,6% = 14,1% /26,7%).

Le premier cycle de l'enseignement secondaire est assuré dans des collèges et est sanctionné par le Brevet d’études du premier cycle (BEPC) et dure 4 ans. Le deuxième cycle de l'enseignement secondaire qui dure trois ans, est sanctionné par le baccalauréat, qui autorise l’accès aux études supérieures (Université par exemple). Au niveau de l'enseignement

32


secondaire général, on retrouve un niveau d'accroissement plus important : 4% pour le premier cycle et 5,4% pour le second selon les données de la DIPES et du MEN. Tableau II.4 : Répartition des élèves de lycée par série et statut d’établissement, 2006-07

Littéraire

Scientifique

(Série A)

(Séries C et D)

Public

12,7%

41,1%

Privé

14,1%

32,1%

46,2%

Total

26,7%

73,3%

100,0%

Total

53,8%

Sources DIPES (2006/07)

2.1.3 ─ Enseignement technique et formation professionnelle Sa mission est double : d'une part, il répond aux besoins en formation des populations pour leur insertion durable dans la vie active et favoriser leur promotion socioprofessionnelle, et d'autre part, de satisfaire les besoins en personnels qualifiés des entreprises pour améliorer leur performance et leur compétitivité. A ce titre, il contribue au développement des ressources humaines, à la promotion sociale et professionnelle, à la réalisation des objectifs de croissance économique, à la réduction du chômage, etc. Ses structures de formation sont composées de : ● 59 établissements publics de formation, dont trois Lycées Techniques (LT) préparant au baccalauréat et au BTS; 9 lycées professionnels (LP) préparant au BT et au BTS; 11 Centres de Perfectionnement aux Métiers (CPM) préparant au x BEP, BT et BTS; et 36 Centres de Formation Professionnelle (CFP) préparant au CAP et au BEP;

33


● 16 structures publiques d'intervention en milieu rural, dont 13 Unités Mobiles pour les Formations qualifiantes (UMP), et 3 Ateliers d'Application et de Production (AAP) pour le perfectionnement des artisans et l'appui logistique aux jeunes diplômés du système; ● 274 établissements privés de formation agréés par l'Etat. Sur l'ensemble du sous secteur enseignement technique et formation professionnelle, on distingue trois secteurs se subdivisant en corps de métiers et filières de formation : ● Secteur industriel : 11 corps de métier, 53 filières de formation ; ● Secteur des services : 5 corps de métier, 19 filières de formation ; ● Secteur agricole : 1 seul corps de métier, deux filières de formation.

Les effectifs (élèves, étudiants, stagiaires et apprentis) sont passés de 28 793 au cours de l’année 1996-97 à 50 499 en 2006-07, soit un accroissement annuel moyen au taux de 5,8 %. Cette évolution a été plus intense dans le secteur public (6,4 %) que dans le secteur privé (5,2 %). Comme le montre le graphique II.4, cette évolution est très perturbée sur la période allant de 2001-02 à 2004-05, ceci étant consécutif à la situation de crise qui prévalait dans le pays sur cette période. Cela se traduit par une chute temporaire des effectifs du privé, alors qu’il y a un maintien des effectifs scolarisés dans le secteur public. En 2006-07, 52,4 % des élèves sont scolarisés dans le privé ; cette proportion est inférieure à celle constatée au cours de l’année scolaire 1996-97 qui était de 57 %. Pour le METFP, il n'existe que des informations agrégées sur les années scolaires 2004-05 et 2005-06, ainsi qu'une situation plus détaillée pour l'année scolaire 2006-07. Graphique II.3 : Evolution des effectifs de l’ETFP, 1992-93 à 2006-07

34


Source : DPS/METFP (2007)

L’effectif des apprenants dans le secteur agricole1 est de 274 élèves soit 0,5 % de l’effectif total. Le secteur industriel accueille 15 692 apprenants soit 31,1% des effectifs (78,1% d’entre eux sont dans des structures publiques). Enfin, au niveau du secteur des services, les effectifs sont de 34 807 élèves, soit 68,9 % des effectifs, le tiers d’entre eux étant dans le public (les deux-tiers dans le privé) selon les données de la DPS et du METFP.

2.1.3 ─ L'enseignement supérieur Le dispositif de cet enseignement est essentiellement sous la tutelle du Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique. A la rentrée 2006-2007, on dénombre : ● Trois universités publiques : (Cocody, Bouaké et Abobo-Adjamé) et de quatre Grandes Ecoles (Ecole Nationale Supérieure de Statistique et d’Economie Appliquée ; l’Institut National Polytechnique ; l’Ecole Normal Supérieure ; et l’Institut Pédagogique National d’Enseignement Technique et Professionnel).

Parmi ces quatre grandes écoles publiques, on a deux écoles professionnelles (ENSEA, INP) et deux écoles de formation de formateurs pour les enseignants du secondaire (ENS et 1

.Il y n’a qu’une école en C.I qui offre des formations en Exploitation Pêche, Maintenance Machine Marine, Aquaculture, Construction et Réparation Navales, mais il convient de noter que des formations spécifiques à la production animale et aux ressources halieutiques sont assurées par les ministères en charge de ces questions.

35


IPNETP). Dans le cadre de la décentralisation et de régionalisation, quatre Unités Régionales de l’Enseignement Supérieur (URES) ont été créées dont deux sont rattachées à l’université d’Abobo-Adjamé (Abidjan) et celle de Bouaké ; une à Daloa et la dernière à Korhogo. Mais, depuis la crise de 2002, une partie de ces URES est délocalisée à Abidjan. En ce qui concerne les universités et Grandes Ecoles privées, le pays en compte : 18 universités privées et 126 grandes écoles privées.

Tous types d'établissements confondus, le nombre d'étudiants en formation initiale a augmenté d'environ 80% en dix ans (1996-07 à 2006-07) dans l'enseignement supérieur selon l’INS. Cette augmentation est passée de 87 873 à 156 772 étudiants, manifestant ainsi un taux d'accroissement annuel moyen estimé à près de 6%. Dans le public (y compris les établissements hors MESRS), les effectifs ont été multipliés par 1,5 passant de 67 381 à 99 865, soit un taux d'accroissement annuel moyen de 4%. Ils ont donc été multipliés pratiquement par trois sur la même période, passant de 20 492 à 56 907 étudiants, soit un accroissement annuel moyen de près de 11%. Le graphique II.4, ci-après, illustre l'évolution des effectifs sur les dix dernières années. Graphique II.4 : Evolution des effectifs de l’enseignement supérieur, 1996-97 156 772

165 000

146 490

Total privé

145 000

public MES public hors MES

125 000

115 413

105 000

87 873 84 242 85 000 64 501

62 110

65 000 52 155

51 300

56 907

45 000 29 722 25 000

20 492 15 085 15 226

15 623

18 640

5 000 1996-97 1997-98 1998-99 1999-00 2000-01 2001-02 2002-03 2003-04 2004-05 2005-06 2006-07

Source MESRS (2006-07)

Les données détaillées dans le graphique, permettent de faire un point sur la répartition des étudiants par type de structure, observable dans le tableau II.5 ci-après.

Tableau II. 5 : Répartition des étudiants du supérieur par type de structure et cycle, 2006-07

36


Types de structures

Universités publiques

1er Cycle

318

43 460

23 146

3 101 32

Grandes écoles privées Etablissements hors MESRS Total

2nd Cycle

3ème Cycle Nombre

%

7 636

74 560

48 %

5 631

950

9 682

6%

2 166

1 771

363

4 332

3%

1 437

43 124

5 914

2 100

52 575

34 %

642

12 149

1 844

988

15 623

10 %

2 429

104 000

38 306

12 037

156 772

100 %

Grandes écoles publiques Universités privées

Ensemble

Classes Préparatoires

Source : Annuaire statistique DPE/MESRS, 2006-07

Ainsi, 89,3% des étudiants sont scolarisés dans des établissements sous tutelle du MESRS, et la majorité d'entre eux (48%) sont scolarisés dans les universités publiques et unités régionales d'enseignement supérieur. L'université de Cocody (Abidjan) accueille à elle seule 72% des étudiants, et les 4 332 de ceux des 18 universités privées sont également tous scolarisés à Abidjan. Globalement, on constate une diminution des étudiants inscrits dans les grandes écoles publiques, et un grand nombre d'étudiants scolarisés dans les universités privées au cours des deux dernières années. Le tableau II.5 indique par ailleurs que dans les universités publiques, seulement 10,2% des effectifs de ces établissements sont inscrits en 3ème cycle contre 31% au 2ème cycle et 58,3% au 1er cycle.

En revanche dans les grandes écoles publiques, il y a plus d'inscrits au 2ème cycle (58,2%) contre 32% au 1er cycle et 9,8% au 3ème cycle. Au niveau des universités privées, 50% des étudiants sont inscrits au 1er cycle, 41% au 2ème cycle et 8,4% au 3ème cycle; pour les grandes écoles privées, on constate que le 1er cycle enregistre 82% des inscrits pour seulement 4% au 3ème cycle. La même tendance est observée dans les établissements publics hors MESRS avec 78% au 1er cycle et seulement 6% au 3ème cycle. Environ 84% des étudiants sont inscrits à Abidjan, qui regroupe plus de 50% des universités et des grandes écoles, suivie de la ville de Bouaké avec 9,1% des effectifs. Yamoussoukro totalise 5,3 % des étudiants ; les autres localités ont moins de 1% des effectifs.

Le tableau II.6 ci-dessous indique un très faible niveau d'inscription dans les filières agricoles (0,4%) contrairement aux filières des sciences sociales, du commerce et du droit (48%). Les filières scientifiques et santé enregistrent, quant à elles, environ 20% des inscrits. 37


Tableau II.6 : Répartition des étudiants du supérieur par filière et par cycle, année 2006-07 Domaine de formation

Ensemble

Classes Préparatoires

1er Cycle

Agriculture

0

78

563

Education

0

2 510

Lettres et arts

29

2nd Cycle

3ème Cycle Nombre

%

7

648

0,4 %

3 459

259

6 228

4,0 %

11 674

6 310

991

19 004

12,1 %

1 904

50 134

18 410

4 826

75 274

48,0 %

Services

0

3 044

2 115

449

5 608

3,6 %

Sciences

168

15 878

4 482

1 617

22 145

14,1 %

Ingénierie et industrie

124

11 812

1 506

734

14 176

9,0 %

0

5 600

1 167

3 122

9 889

6,3 %

204

3 270

294

32

3 800

2,4 %

2 429

104 000

38 306

12 037

156 772

100 %

(CITE niveau 1)

Sciences sociales, commerce et droit

Santé et protection sociale Non spécifié Total

Source : RESEN pour les années 1990 à 2000 et Ministère de l’économie et des finances pour les autres années

2.1.4 Le personnel du secteur de l'éducation par niveau et par structure Plusieurs sources en 2007, ont été mobilisées pour évaluer le nombre du personnel travaillant pour l'éducation, émergeant ou non du budget de l'Etat de Côte d'ivoire. Il s'agit des données des Directions de Ressources Humaines (DRH) des trois Ministères chargés de l'enseignement, les statistiques du cabinet du MEN concernant les enseignants volontaires, et les données de la « solde ». Les données DRH donnent une situation de l'ensemble des personnels enseignants, qu'ils soient titulaires ou stagiaires, du personnel administratif en service dans les établissements scolaires. Les données de la « solde » fournissent des informations sur l'ensemble du personnel enseignant et administratif rémunéré par les trois Ministères au titre de l'année 2007 à ce propos. Elles donnent également des détails sur les organismes (ministères, institutions, etc.) auxquels sont rattachés ces personnels.

Ces deux sources sont renforcées par les données des statistiques du Ministère du MEN sur les enseignants volontaires sur lesquels se sont appuyés ces trois Ministères durant la période de conflit. Ces derniers ont été recruté dans l'urgence pour remplacer les enseignants titulaires 38


qui ont quitté leur poste pendant la crise, afin de faire fonctionner les écoles dans certaines régions (essentiellement le centre, le nord et l'ouest) occupées par la rébellion. Les estimations concernant le nombre de ces enseignants volontaires, d'après les différentes sources évoquées font état de 5 000 individus.

Le tableau II.7, présente une première consolidation du

personnel dans le système éducatif ivoirien suivant les données de la « solde » et des données des DRH des trois Ministères pour l'année 2007.

Tableau II.7 : Personnels enseignants et administratifs (dans les établissements et les services) par ministère, 2007 Ministère MEN Fonctionnaires Stagiaires Vacataires METFP MESRS Education mais en postes dans d’autres ministères Total fonctionnaires Total

Solde 63 925

3 385 2 159 2 107 71 576

DRH/cabinet 71 147 63 488 2 565 5 094 3 566 4 313 71 367 79 026

Source : Solde et DRH et Cabinet du MEN (2007)

Selon les données de la « Solde », ce sont au total 71 576 personnes qui ont été payées en 2007 pour le compte de l’éducation dont 63 925 pour le MEN, 3 385 pour le METFP, 2 159 pour le MESRS. Le croisement entre le ministère ou l’institution auquel ces agents sont attachés actuellement et leur emploi n’a malheureusement pas permis d’identifier précisément leur ministère d’origine. Toutefois, dans la mesure où ils sont pour l’essentiel des éducateurs spécialisés, des professeurs certifiés, des professeurs licenciés ou encore des maîtres d’éducation permanente, on peut raisonnablement penser qu’ils proviennent pour l’essentiel du MEN et du METFP. D'après celles des DRH, il y aurait eu en 2007, environ 79 000 personnes travaillant pour le compte de l’éducation dont 74 000 sont payés sur le budget de l’Etat et environ 5 000 vacataires payés par les parents d’élèves. L’éducation nationale en emploie la majorité, c'est-à-dire 89 % (soit environ 66 000 agents). Un peu plus de 3 500 est employé par l’enseignement technique et la formation professionnelle (soit 4,9 %) et environ 4 300 sont à l’enseignement supérieur (soit 5,9 %), de 39


l’ensemble du personnel de l’éducation. Compte tenu du fait que l’ensemble du personnel recensé dans les bases de données des DRH ne sont pas tous payés à la solde, (il y en a en effet,

qui

sont

payés

via

des

subventions

à

certains

institutions/établissements

d’enseignement), la comparaison entre les deux sources n’est pas immédiate. Pour ce faire, il faudrait identifier par ministère, l’effectif du personnel payé via ces mécanismes. Si cette identification semble aisée pour le MEN, il n’en est pas de même pour les deux autres ministères. En effet, les enseignants stagiaires en situation de classe dans l’éducation nationale sont tous payés sur du transfert courant, et selon les données de la DRH du MEN, ils étaient au nombre de 2 565 en 2007. En tenant compte de cet effectif, l’écart entre le personnel payé en 2007 par la solde et les données de la DRH serait d’environ 500 personnes identifiées à la solde comme étant de l’éducation nationale mais qui ne figurent pas dans la base de données de la DRH du MEN (sans considérer les 2 107 agents payés pour le compte de l’éducation mais qui n’y sont pas, et pour lesquels il est difficile d’identifier le ministère d’origine). En ce qui concerne l’enseignement technique et la formation professionnelle, le personnel payé via les subventions/transferts, identifiés dans le budget exécuté de 2007 proviennent de l’Institut Pédagogique National de l'Enseignement Technique et Professionnel (IPNETP), de l’Agence Nationale de la Formation Professionnelle (AGEFOP), du Centre de promotion des nouvelles technologies de l'information et de la communication, de l’Ecole Ivoirienne de Bijouterie et des Métiers Annexes (EIBMA) et du Centre Ivoirien pour le Développement de la Formation Professionnelle (CIDFOR). En utilisant les données DRH, l’ensemble du personnel de ces établissements/centres est de 66 (dont 9 enseignants en situation de classe à EIBMA). La différence entre les données solde et DRH serait environ de 170 personnes. Quant à l’enseignement supérieur, où l’écart entre les données de la solde et de la DRH est le plus important, il faut rappeler que l’ensemble des universités, des grandes écoles ainsi que des instituts ont tout ou une partie de leur personnel payé sur subventions d’exploitation. Le tableau II.8, présente la situation du personnel dans les établissements et les services par niveau d’études (données DRH).

40


Tableau II.8 : Récapitulatif du personnel de l’enseignement public par niveau et fonction, (Année 2007, DRH) MEN

MESRS METFP

Préscolaire Primaire Collège

Lycée

Total Universités Ecoles

ENS

Dans les établissements Enseignants à la craie Educateurs/Instituteurs/Instructeurs

1 963

49 587

1 963

42 682

8 477

5 328

2 571

1 897

420

117

64

70 360 42 746

Ordinaire

35 376

35 376

Adjoint

7 306

7 306

2 565

2 565

859

859

Adjoint

1 706

1 706

Vacataires

4 300

Instituteurs stagiaires Ordinaire

247

507

CAP/CM/CFP

5 733

166

791

6 690

LIC-CAP/CPL/CLP

1 552

1 301

764

3 617

944

3 335

CAPES CLT/ES

5 094

4 299 952

952

Professeurs/Directeurs de recherche

145

2

3

150

Maitre de conférence/recherche

253

7

12

272

Maitre assistant/chargés de recherche

597

66

23

686

Assistants/attachés de recherche/ES

902

345

79

1 326

964

390

67

4 233

Personnel Non Enseignants Dans les services Cabinet/Directions centrales/Services rattachés

Instituts de recherches

Directions déconcentrées

169

1 286

781

576

3 556

419

458

4 433

1 094

337

260

1 691

198

198

ETABLISSEMENTS

2 462

82

Sources : Calcul à partir des données des DRH des trois ministères et Cabinet du MEN

41

2 544


Il y aurait un peu de 70 000 enseignants en situation de classe dans le système (soit 89 % de l’ensemble du personnel de l’éducation), environ 8 600 non enseignants dont 49 % (4 233) dans les établissements et 51 %, soit 4433 dans les services. A l’éducation nationale, on dénombre 65 355 enseignants en situation de classe dont 49 247 au primaire (42 682 instituteurs et 2 565 instituteurs stagiaires, 4 340 vacataires), 13 805 dans l’enseignement secondaire et enfin environ 2 000 éducateurs au préscolaire. Le personnel d’appui dans les établissements et les services représente 9 % de l’ensemble du personnel du MEN, 39 % dans les établissements (2 236 agents) et 61 % dans les services (3 556 agents). Dans les établissements, ce personnel administratif représente moins d’un demi-pourcent de l’ensemble du personnel dans les écoles primaires et 13 % dans les établissements secondaires. En termes de comparaisons internationales, ces proportions paraissent relativement faibles. Dans l’enseignement technique et la formation professionnelle, on dénombre un peu plus de 2 500 enseignants en situation de classe pour 995 non enseignants (soit 28 % du personnel total du METFP), 419 dans les services centraux/déconcentrés et 576 dans les établissements (représentant 18 % du personnel travaillant dans les établissements). Enfin, dans l’enseignement supérieur on dénombre 2 434 enseignants/chercheurs pour 1879 non enseignants (soit 44 % de l’ensemble du personnel du MESRS), dont 260 au niveau central, les services rattachés et déconcentrées, 198 dans les instituts de recherche et 1 421 dans les universités et grandes écoles. Dans l’enseignement supérieur, le personnel exerçant des fonctions administratives dans les établissements représente 37 % de l’ensemble du personnel dénombré dans les établissements.

2.1.4 – Couts et financement du système éducatif par l'Etat La plupart des actions mises en œuvre dans un système éducatif ont une contrepartie financière. Par ailleurs, ce sont souvent les aspects financiers qui limitent les possibilités d’amélioration, en quantité ou en qualité des systèmes éducatifs. Ce sont les contraintes financières qui fixent les contours de ce que peuvent envisager les politiques éducatives. Pourtant, à l'intérieur d'un budget donné, de nombreux arbitrages existent, d'abord en ce qui concerne la distribution globale par niveau d'enseignement entre la couverture et la qualité des services offerts à un niveau d'enseignement donné après que la distribution entre niveau ait été opérée entre les différents items qu'on peut acheter à un niveau d'étude donnée.

42


Pour faire fonctionner les services éducatifs, après que le niveau de dépense par élève ait été déterminé, tous ces arbitrages sont au cœur de la politique éducative, et tous ont une forte composante financière. Notre analyse porte sur l'évolution des dépenses publiques d'éducation par niveau d'étude, ainsi que la répartition par catégorie (ordinaire et investissements). Le tableau II.9, décrit l'évolution des dépenses publiques d'éducation exécutées par nature depuis 1990.

Tableau II.9 : Les dépenses publiques d'éducation par nature, 1990-2007 Dépenses en valeurs monétaires courantes Dépenses de fonctionnement

Dépenses en valeurs monétaires constantes (Fcfa constants de 2007)

Dépenses en capital

Années Personnels

Biens et services

Subventions et transferts

Dépenses sociales

Extérieur Totales

National Don

1990

220,6

1995

212,6

1996

Totales Totales

Courantes Capital Totales

Emprunt 3,0

223,6

486,1

6,6

492,7

15,5

23,9

236,5

302,9

34,1

337,0

231,4

12,6

20,5

251,9

318,5

28,2

346,7

1997

250,3

18,9

27,1

277,4

330,8

35,8

366,6

1998

264,3

22,5

31,4

295,7

334,2

39,7

373,9

1999

278,2

19,0

34,0

312,2

349,2

42,7

391,9

2000

171,6

29,1

55,2

16,5

272,4

6,4

0,1

3,5

10,0

282,5

333,5

12,3

345,8

2001

193,7

23,6

55,5

14,7

287,6

9,6

0,8

2,9

13,3

300,9

337,3

15,6

352,8

2002

226,2

25,1

63,0

17,2

331,6

18,3

0,0

1,6

19,9

351,5

377,4

22,7

400,1

2003

227,4

23,0

65,8

18,7

334,9

17,1

0,0

1,1

18,1

353,1

369,0

20,0

389,0

2004

226,1

26,7

65,0

18,7

336,5

16,8

0,0

6,7

23,5

360,0

365,4

25,5

390,9

2005

232,9

21,2

79,3

18,9

352,2

16,1

0,0

1,3

17,3

369,6

368,2

18,1

386,4

2006

239,3

21,5

81,0

19,1

360,9

16,9

0,0

0,0

16,9

377,8

368,2

17,2

385,4

2007

251,9

21,9

92,5

19,1

392,0

21,9

0,0

0,0

21,9

413,8

392,0

21,9

413,6

Sources : Idem Calcul à partir des données des DRH des trois ministères et Cabinet du MEN

En valeurs nominales, les dépenses totales d’éducation ont sensiblement augmenté entre 1990 et 2007, passant de 223,6 à 413,8 milliards de FCFA, soit un taux annuel moyen de croissance de 3,7 %. Les dépenses courantes, qui représentent toujours une proportion très élevée du total, évoluent pour leur part de 220 milliards de FCFA en 1990 à 392 milliards de FCFA en 2007. Ces évolutions doivent toutefois être relativisées dans la mesure où elles sont

43


basées sur une évolution des dépenses à prix courants qui ne tient pas compte des changements intervenus dans l’évolution des prix à la consommation au cours de la période considérée. C’est pourquoi, l’évolution est aussi corrigée des effets de l’inflation, le niveau des prix de l’année 2007 étant considéré comme référence.

On observe alors que le niveau des dépenses, en FCFA de 2007) est sensiblement inférieur en 2007 (392 milliards de FCFA) à ce qu’il était en 1990 (486,1 milliards de FCFA), manifestant une baisse de près de 20 %. Mais il faut signaler que la période comprise entre 1990 et 1995 est marquée par une baisse très considérable (38 %), de 486 milliards en 1990 à 303 milliards en 1995.

Ensuite, le système a connu une phase où les dépenses ont

globalement augmenté de façon progressive jusqu’en 2002 hormis la baisse enregistrée au cours de l’année 2000. Depuis 2002, la période est difficile en Côte-d’Ivoire avec une stagnation du volume des dépenses courantes allouées au secteur en termes réels. Ce n’est qu’avec l’année 2007 qu’on enregistre une augmentation significative, les dépenses courantes passant de 368 à 392 milliards. A l’intérieur des dépenses du secteur, les différentes composantes présentent des évolutions différenciées. Le tableau II.10 donne la structure globale des dépenses publiques d’éducation. Tableau II.10 : Structure des dépenses publiques d’éducation par nature, 19902007(En pourcentage du total) 1990

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

98,7

89,9

91,9

90,2

89,4

89,1

96,5

95,6

94,3

94,9

93,5

95,3

95,5

94,7

Personnels

60,8

64,4

64,4

64,4

62,8

63,0

63,3

60,9

Biens et services

10,3

7,9

7,2

6,5

7,4

5,7

5,7

6,7

Subvention et transferts

18,8

17,7

17,3

18,4

17,5

20,9

20,9

21,8

Dépenses sociales

5,8

4,9

4,9

5,3

5,2

5,1

5,1

4,8

Dépenses fonctionnement

Dépenses en capital

10,1

8,1

9,8

10,6

10,9

3,5

4,4

5,7

5,1

6,5

4,7

4,5

5,3

Source nationale

6,6

5,0

6,8

7,6

6,1

2,3

3,2

5,2

4,8

4,7

4,3

4,5

5,3

Source extérieure

3,6

3,1

3,0

3,0

4,8

1,3

1,2

0,5

0,3

1,9

0,3

0,0

0,0

Total

1,3

100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0

Source : RESEN pour les années avant 2000 et Calculs à partir des données du MEF.

44


Ce sont les dépenses courantes, et plus spécifiquement celles concernant le personnel, qui constituent la composante la plus importante des dépenses publiques d’éducation. Un premier aspect concerne la mobilisation de ressources pour les dépenses en capital. En proportion de l’ensemble des dépenses d’éducation, les dépenses en capital, qui représentaient environ 10 % du total entre 1995 et 1999, tombent aux alentours de 5 % depuis 2000. Un second aspect concerne spécialement le niveau faible des dépenses de biens et services, alors qu’en 2000, ces dépenses représentaient déjà une proportion relativement faible (10 %), ce chiffre est passé entre 6 et 7 % au cours des dernières années. Ce mouvement est d’autant plus significatif que les manuels scolaires, comptabilisées il y a quelques années au sein des dépenses d’investissement, le sont depuis, très peu. Une première approche consiste à examiner la ventilation des dépenses publiques pour le secteur par ministère et ensuite par ordre d’enseignement au sein des ministères qui regroupent plusieurs niveaux. Le tableau II.11, présente la première étape de cette décomposition par nature de dépenses entre les trois ministères qui constituent le secteur. Tableau II.11 : Structure des dépenses publiques d’éducation (%) par nature entre les trois Ministères constituant le secteur de l’éducation, 2000-2007 1992

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

Dépenses courantes

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

MEN

79,7

75,8

77,7

77,8

76,3

77,5

74,1

73,1

71,6

METFP

5,3

3,5

3,5

4,8

5,1

3,8

5,9

6,5

7,3

MESRS

14 ,6

20,7

18,8

17,4

18,6

18,8

20,0

20,4

21,1

Dépenses en capital

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

MEN

70

32,5

58,7

75,3

71,1

55,8

77,8

72,9

77,1

METFP

10

9,7

8,5

8,3

6,0

3,5

4,3

4,2

3,9

MESRS

20

57,9

32,8

16,4

22,8

40,7

17,9

22,9

19,0

Dépenses Totales

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

MEN

79,9

74,3

76,8

77,7

76,0

76,0

74,3

73,1

71,9

METFP

5,4

3,7

3,7

5,0

5,2

3,8

5,8

6,4

7,2

MESRS

14,7

22,0

19,4

17,3

18,8

20,2

19,9

20,5

21,0

Source : RESEN pour les années avant 2000 et Calculs, à partir des données du MEF.

45


Du point de vue des arbitrages interministériels au sein du secteur éducatif, la part du MEN (préscolaire, primaire, secondaire et alphabétisation) dans l’ensemble des dépenses publiques d’éducation a baissé de 80 % en 1992, et de 72 % en 2007 après avoir connu une période de hausse entre 2000 et 2002. Ceci résulte principalement de la baisse de la part des dépenses de fonctionnement de ce département ministériel qui est, elle-même, passée de 80% en 1992 à 72% à 2007 dans les dépenses globales courantes. Alors que la proportion de ce ministère dans les dépenses en capital était passée de 70 à 77 % sur la même période. Quant à l’enseignement technique et la formation professionnelle et l’enseignement supérieur, leurs parts ont connu respectivement une hausse de 38 % et 43 % sur la période en passant respectivement de 5 % en 1992 à 7 % en 2007 et 15 % en 1992 à 21% en 2007. Ces hausses sont consécutives à celles des dépenses de fonctionnement de ces niveaux d’enseignement.

2.1.5 – Substantielle contribution financière des ménages au secteur de l’éducation En Côte d’Ivoire, deux enquêtes auprès des ménages ont été réalisées récemment, à savoir l’EIS au cours de l’année 2005 et le MICS en 2006. Chacune d’entre elles comporte un volet scolarisation qui permet d’obtenir des indicateurs de couverture, indépendamment des données de recensement et des données administratives. Le graphique II.3, présente la proportion des individus par âge simple qui ont eu un jour accès à l’école. Cet indicateur est calculé sur la base des données du MICS 2006, à la fois sur les personnes scolarisées à l’heure actuelle et sur celles qui l’ont déjà été et ne le sont plus. La valeur maximale se stabilise autour de 70 % pour la classe d’âge 10-11 ans : les individus qui rentrent à l’école au delà de cette tranche d’âge donc vraisemblablement très peu nombreux et l’on peut donc considérer que la probabilité pour une génération d’accéder à l’école est de l’ordre de 70 %. L’utilisation des données EIS 2005 confirme cette estimation. Les dépenses publiques d’éducation sont généralement complétées par les dépenses engagées par les ménages pour l’éducation de leurs enfants. En effet, même dans les systèmes totalement publics, certains frais induits par la scolarisation restent à la charge des familles (l’acquisition des manuels ou de petits matériels scolaires, transport scolaire, cours complémentaires).

46


A l’intérieur d’un pays, les dépenses à la charge des familles peuvent être variables notamment selon le niveau d’éducation, le type d’établissement fréquenté, la localisation géographique et le revenu des familles. Pour estimer les dépenses des familles ivoiriennes pour la scolarisation de leurs enfants, nous utilisons les données de l’enquête de niveau de vie des ménages (ENVM) menées en 2002. Cette enquête a été réalisée auprès de 10 800 ménages dont 54 % se trouvent en milieu rural. Au total, 57 908 personnes ont été interrogées. Ramené au niveau national par le biais des pondérations, l’échantillon enquêté correspond à une population totale de 17 133 527 en 2002. Pour les personnes âgées de 3 à 30 ans, l’enquête permet de savoir s’ils sont scolarisés ou non au moment de l’enquête, et pour ceux qui sont scolarisés, leur niveau éducatif, leur classe ainsi que le type d’établissement qu’ils fréquentent. L’enquête donne par ailleurs, des informations détaillées sur les dépenses relatives à l’éducation par individu au sein d’un ménage au cours des 12 derniers mois. Les informations disponibles peuvent être classées en dépenses directes (frais d’inscription et de scolarité, frais d’achats de livres et de fournitures scolaires) et en dépenses indirectes (frais d’uniforme ou de tenue de sport, transport scolaire, nourriture, cours particuliers, cotisation association des parents d’élèves, activités périscolaires, autres dépenses). Ces informations croisées avec celles sur la fréquentation scolaire permettent d’estimer ce que les parents dépensent en moyenne pour l’éducation de leurs enfants selon le niveau d’enseignement dans lequel ils sont scolarisés. Cette statistique peut aussi être distribuée selon le type d’établissement fréquenté, le genre (fille/garçon), le milieu (urbain/rural) et suivant le niveau de richesse des familles (pauvres/riches). Des estimations en valeurs monétaires de l’année 2007 peuvent être obtenues par application d’un indice d’évolution des prix; appliquées aux effectifs scolaires de l’année 2007, ces estimations unitaires peuvent être alors transcrites dans une estimation de la dépense agrégée d’éducation supportée par les familles au cours de l’année 2007. Les résultats des estimations des dépenses moyennes par niveau d’éducation, par élève et agrégées, sont consignés dans le tableau II.12. Tableau II.12 : Estimation des dépenses d’éducation des familles Dépenses par élève

Dépense des familles

(Fcfa)

(millions Fcfa)

Dépenses publiques Dépenses Totales

Effectifs des élèves Niveau d’études

Préscolaire

(millions Fcfa)

(millions Fcfa)

% Dépenses familles

2002

2007

2002

Estimation 2007

2002

Estimation 2007

2007

2007

2007

44 799

52 028

66 162

75 292

2 964

3 917

6 800

10 717

37%

47


Primaire

2 113 836

2 179 801

24 637

28 037

52 079

61 115

169 200

230 315

27%

Collège

500 301

600 618

86 040

97 914

43 046

58 809

69 700

128 509

46%

Lycée

182 160

207 632

128 965

146 762

23 492

30 472

38 800

69 272

44%

Technique

29 109

4 6530

218 943

249 157

6 373

11 593

28 700

40 293

29%

Supérieur

120 088

156 329

216 758

246 671

26 030

38 562

82 800

121 362

32%

-

-

153 984

204 469

396 000

600 469

34%

Total national

2 990 293 3 242 938

Source : Estimations à partir des données ENVM 2002 et des données des services de planification

La première observation faite, est celle d’une croissance globale du montant moyen de la contribution familiale par élève avec le niveau d’études, de 28 000 FCFA (valeurs 2007) à près de 250 000 FCFA dans l’enseignement technique et dans l’enseignement supérieur (près de 100 000 FCFA au collège et de 150 000 au lycée). Cette loi générale de croissance avec le niveau d’études connait une exception avec le préscolaire qui, avec 75 000 FCFA par enfant scolarisé coute près de trois fois plus aux familles que le primaire. Cela tient au poids important de l’enseignement privé et au fait que les familles qui décident de scolariser leurs enfants à ce niveau d’études sont en moyenne plus aisées que la population générale.

La seconde observation concerne les chiffres des dépenses familiales, qui correspondent à des montants très substantiels. Ainsi, la dépense totale d’éducation supportée par les familles est estimée, en 2007, à 204,5 milliards de FCFA, selon les données ENVM et celles des services de planification, représentant 52 % de la dépense publique correspondante et 34 % des dépenses nationales de fonctionnement du système au cours de cette même année. On notera aussi que la contribution familiale relative est relativement élevée (pour les raisons évoquées plus haut) au préscolaire (37 %) et qu’elle est la plus faible, sans être du tout négligeable (27 %), au niveau du primaire. Dans les deux cycles secondaires, les contributions familiales représentent environ 45 % de la dépense nationale, des chiffres plus élevés que ceux constatées dans l’enseignement technique et dans le supérieur.

Le tableau II.13, décompose cette dépense moyenne dans ces différents postes de dépenses par niveau d’enseignement. Ainsi en 2002, elle était principalement constituée à 75 % en moyenne de frais de scolarité et des frais d’acquisition de manuels scolaires et d’uniforme. Le reste des dépenses est consacré au transport, à la nourriture, aux frais de

48


répétiteur à domicile, aux activités périscolaires et aux cotisations des Association des Parents d’Elèves (APE). Tableau II.13 : Décomposition du coût moyen par poste de dépense et niveau d’études, 2002 Préscolaire

Primaire

Collège

Lycée

Technique

Supérieur

Montants

66 162

24 637

86 040

128 965

218 943

216 758

Inscription/Scolarité

36 826

5 806

30 007

45 079

112 841

82 138

Fournitures et uniforme

20 901

13 850

36 837

48 261

60 663

65 164

Autres dépenses

8 436

4 981

19 195

35 625

45 439

69 455

En % de la dépense totale

100

100

100

100

100

100

Inscription/Scolarité

56

24

35

35

52

38

Fournitures et uniforme

32

56

43

37

28

30

Autres dépenses

13

20

22

28

21

32

Source : Idem, Estimations à partir des données ENVM 2002 et des données des services de planification

Cette dépense moyenne est assortie d’une variabilité qui peut dépendre d’une part du statut de l’établissement fréquenté (public/privé) et d’autre part des caractéristiques sociales des élèves (filles/garçons, ruraux/urbains, riches/pauvres). Intuitivement, on sait que les urbains dépensent plus que les ruraux et que les familles aisées dépensent davantage que les familles pauvres, mais on ignore dans quelle proportion. L’objectif est de mesurer ici les écarts entre ces groupes de population. Les résultats de l’analyse complémentaire effectuée pour tenir compte de ces différents facteurs discriminants sont présentés dans le tableau II.14.

Tableau II.14 : Dépense moyenne par élève (FCFA), selon le niveau d’études et certains critères Socioéconomiques, 2002 Préscolaire

Primaire

Secondaire 1er cycle

Secondaire 2ème cycle

Technique

Supérieur

66 162

24 637

86 040

128 965

218 943

216 758

Garçons

66 202

23 298

77 229

110 395

212 299

187 439

Filles

66 125

26 315

99 483

164 040

226 655

275 077

Public

25 568

18 738

57 369

81 898

124 402

148 052

Privé

119 502

67 579

161 734

233 601

310 411

511 400

Dépense moyenne Sexe

Type d'établissement

49


Localisation géographique Rural

13 482

15 657

63 336

89 777

148 646

-

Urbain

88 363

36 175

94 617

136 160

228 141

216 758

40 % les plus pauvres

9 524

14 751

62 689

73 709

94 725

-

40 % intermédiaires

24 548

19 677

60 564

89 413

148 622

93 030

20 % les plus riches

112 270

54 274

117 972

161 841

245 561

259 387

Revenu de la famille

Source : Estimations à partir des données ENVM 2002

En dehors du préscolaire où la dépense moyenne est la même pour les filles comme pour les garçons, les familles dépensent en moyenne à tous les autres niveaux d’enseignement 1,3 fois plus pour la scolarisation des garçons que pour celle des filles : avec une variation allant de 1,1 (au niveau du primaire et de l’enseignement technique) à 1,5 (au lycée et dans le supérieur). Par ailleurs, le secteur privé de l’enseignement concentre à lui tout seul environ 75 % des dépenses d’éducation des ménages selon les données ENVM (2002). Au niveau de l’enseignement primaire, les familles dépensent en moyenne 3,3 fois plus pour la scolarisation de leurs enfants dans une structure privée que dans une structure publique. Cette proportion diminue ensuite dans le secondaire pour se situer en moyenne à 2,7 fois et augmente par la suite à 3,5 fois dans le supérieur. Concernant les autres variables sociales, les urbains dépensent sensiblement plus que les ruraux, dans la mesure où ils ont plus recours à l’enseignement privé plus couteux et plus fréquent en milieu urbain, sachant par ailleurs que les urbains ont aussi en moyenne des revenus supérieurs à ceux des ruraux. En effet, les estimations montrent que les familles les plus aisées, celles qui appartiennent au 20 % les plus riches de la population dépensent plus que celles appartenant aux deux quintiles intermédiaires et surtout beaucoup plus que les familles appartenant aux 2 quintiles les plus pauvres ; et ceci quel que soit le niveau d’études. Graphique II.5 : Probabilité d’accès d’une génération à chaque classe du système

50


80% 70% 70%

68% 64% 59%

60%

55% 50% 46% 40% 34%

31%

30%

29% 23%

20%

20%

18% 14%

10% 0% CP1

CP2

CE1 CE2 CM1 CM2 6ème 5ème 4ème 3ème 2nde 1ère

Tale

Source : calcul des auteurs à partir des données EIS 2005 et MICS 2006

Ce résultat traduit l’existence des difficultés d’accès à l’école. En effet, si 70 % d’une génération a un jour accédé à l’école (certains d’entre eux pouvant d’ailleurs la quitter prématurément), cela signifie qu’il y a environ 30 % des enfants qui n’y sont jamais allés. Au delà de l’accès à l’école, les données de la MICS permettent d’estimer la proportion d’individus qui accède à chaque classe du système de l’enseignement général. Le graphique II.6, ci-après, présente le profil probabiliste (suite des probabilités d’accès aux différents niveaux) obtenu à l’aide de ces données. Graphique II.6 : Probabilité d’une génération à avoir eu accès à l’école 80% 70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0% 5

7

9

11

13

15

17

19

21

23

25

Source : Idem calcul à partir des données de l’enquête MICS 2006

51


2.2. – L’insuffisance des infrastructures et de l’encadrement des élèves

Cette insuffisance concerne aussi bien les infrastructures que l’encadrement pédagogique des élèves d’après les données des enquêtes EIS (2005) et MICS (2006). Selon ces deux enquêtes, les conditions dans lesquelles se font les apprentissages à chaque niveau d'enseignement peuvent être appréhendées par le taux d'encadrement moyen dans ces niveaux. L'objectif de toute politique éducative consiste au fait que, les conditions d'encadrement des élèves soient aussi favorables que possibles. Mais également que le plus grand nombre de jeunes d'une même classe d'âge ait accès à l'école et bénéficie de bonnes conditions de scolarisation. Cette politique vise à chercher les meilleurs compromis intégrant l'ensemble des aspects caractéristiques des conditions d'enseignement offertes aux élèves. Et une de ces approches de la politique éducative ivoirienne, consiste à examiner les conséquences sur les apprentissages des élèves et de la taille des classes. Une autre approche consiste à situer les valeurs actuelles observées par niveau d'enseignement dans son système éducatif dans une perspective comparative avec les autres pays de la sous-région, observable dans le tableau II.15. Tableau II.15 : Rapport élèves/enseignants (secteur public) et comparaisons internationales

Rapport élèves enseignants Primaire

Collège

Lycée

Supérieur

Côte d'Ivoire (2000)

42

38

24

-

Côte d Ivoire (2007)

39

45

21

33

Bénin

54

38

17

30

Burkina Faso

55

86

26

39

Cameroun

63

31

29

28

Guinée

47

40

36

14

Madagascar

50

22

12

23

Mali

63

46

23

60

Mauritanie

42

36

23

33

Niger

43

40

13

13

52


Tchad

72

39

48

48

Togo

44

47

52

30

Moyenne des 10 pays comparateurs

47

34

29

32

0,83

1,32

0,72

1,03

Côte-d’Ivoire / pays comparateurs

Source: RESEN (2007)

La position de la politique éducative en Côte d’Ivoire sur ce plan, est assez contrastée selon le niveau d’enseignement considéré. Dans le primaire, les évènements liés à la récente crise, n’ont pas conduit à une augmentation, mais plutôt à une diminution du ratio d’encadrement. Il passe de 42% en 2000 à 39% en 2007, ceci tenant notamment du recrutement d’enseignants rémunérés par les parents dans les zones centre nord et ouest (zones tenue par la rébellion). En terme de comparaison avec les pays de la sous région, la situation de la Côte-d’Ivoire est d’une part, favorable en référence à celle de ces pays, comme on peut l’observer dans le tableau II.15. Et d'autre part, cette statistique correspond à 39 points en Côte d’Ivoire contre 47 dans les autres pays de la sous-région, car elle est très proche de ce qui a été identifié comme convenable (40 points) dans le cadre indicatif de l’IMOA-EPT. Dans le secondaire général, notons d’abord que si l’indicateur du rapport entre le nombre des élèves et des enseignants est bien important à considérer car c’est lui qui porte les incidences financières des conditions d’encadrement (qui permet aussi des comparaisons internationales aisées), c’est plutôt la taille des divisions pédagogiques qui importe du point de vue pédagogique et de la qualité de l’enseignement. Ces deux indicateurs ne sont pas indépendants, mais le chiffre de la taille moyenne des divisions pédagogiques est généralement plus grand que celui du rapport enseignants/élèves, car le nombre d’heures d’enseignement que reçoit un élève est généralement plus grand que le nombre d’heures d’enseignement assurées en moyenne par un enseignant. Par exemple, dans le cas de la Côte d’Ivoire en 2007, le rapport enseignants/élèves dans le premier cycle secondaire a été estimé en moyenne à 45, alors que dans le même temps, la taille moyenne des divisions pédagogiques à 66. Concernant l’analyse comparative de l’indicateur du rapport enseignants/élèves, la situation est d’abord assez différente selon qu’on s’intéresse au premier ou au second cycle d’études. Dans le premier cycle, on observe à la fois

53


une dégradation de l’indicateur entre 2000 et 2007 (il passe de 38 à 45 en dépit de la prise en compte des enseignants rémunérés par les parents). Et une situation plutôt défavorable de la Côte d’Ivoire en référence à ce qui est observé en moyenne à ce niveau d’études dans les pays comparateurs. Le chiffre correspondant étant de 34, il faudrait donc augmenter d’un tiers le nombre des enseignants du premier cycle secondaire, pour ramener le paramètre du pays au niveau de la moyenne des pays comparateurs. Dans le second cycle, la situation est toute différente. En effet, d’une part le paramètre s’est amélioré entre 2000 et 2007, passant de 24 en 2000 à 21 en 2007, sachant d’autre part que le paramètre constaté dans le pays en 2007 (en 2000 aussi d’ailleurs) est sensiblement plus favorable que ce qui est observé en moyenne dans les pays comparateurs (29). Dans le supérieur, les conditions quantitatives moyennes d’encadrement (1 enseignant pour 33 étudiants, mais avec de larges variations selon les types d’institutions et les spécialités de formation) se situent dans la moyenne de ce qui est observé dans les autres pays. Ce qui signifie que certains enseignants peuvent se retrouver avec des classes de 100 élèves (selon les statistiques de l’UNESCO, 2001). Cette situation est aggravée par le gel des recrutements des enseignants, entre 1988 et 1997. Ces dispositions prises pour satisfaire aux exigences des PAS1, n’ont pas permis le remplacement des enseignants partis à la retraite (acquise ou volontaire) depuis 1988. A cela, s’ajoute l’utilisation d’un nombre important d’enseignants dans l’administration publique, ce qui accroit encore le déficit, selon l’UNICEF, car 42 % du personnel administratif du Ministère de l’Education nationale est constitué d’enseignants. L’enseignement est donc assuré à quasiment 100 % par des enseignants qualifiés au primaire, alors qu’à partir du secondaire, une part importante des intervenants n’ont pas la qualification requise. Ainsi par exemple, dans l’enseignement secondaire technique et professionnel, à peine 54 % des enseignants des disciplines techniques sont qualifiés, et près de la moitié des enseignants à l’Université ne sont titulaires que d’un DEA ou d’un DESS. De même, cette insuffisance s’observe aussi au niveau du matériel pédagogique qui est souvent évoqué comme l’une des principales causes d’échec. Ainsi, selon l’UNICEF, (1994) on comptait au niveau de l’école primaire un livre pour 3 élèves, et un livre pour 21 élèves au secondaire, alors qu’il faudrait en moyenne, selon l'économiste François ORIVEL (1995), un livre de mathématiques ou de français pour 2 élèves pour espérer des résultats acceptables.

1

Programmes d’Ajustement Structurel.

54


Cette situation est essentiellement liée au prix élevé des manuels scolaires (souvent importés), ou à l’insuffisance ou quasi-inexistence, des bibliothèques qui en rendent l’accès difficile. Comment, dans de telles conditions pédagogiques, le système éducatif ivoirien peut-il satisfaire les besoins en enseignement de sa population, ou tout au moins atteindre les objectifs qui lui sont assignés ? On peut en effet définir la qualité interne comme étant la capacité d’un système éducatif de faire atteindre à ses usagers les objectifs d’acquisition de connaissances qu’il s’est donné. Cette qualité interne s’évalue à partir de 3 indicateurs principaux, que sont les redoublements et abandons, la qualité des dotations en inputs par élève (exemple : nombre de livres par élève) et surtout, les compétences cognitives acquises par les élèves. En Côte-d’Ivoire, l’état de ces indicateurs montre la difficulté à assurer l’accessibilité de l’éducation et l’acceptabilité des contenus enseignés.

2.2.1 – Fréquence et question des redoublements Dans la mesure où la fragilité de la demande constitue une cause potentiellement importante des abandons, il convient de l’analyser plus en détail. La question de la demande est liée en grande partie à celle des couts d’opportunité de l’école pour les parents. En effet, lorsqu’ils envoient leurs enfants à l’école, les parents jugent que celle-ci présente un rapport favorable entre les couts supportés et les bénéfices attendus. Si quelques années plus tard, il arrive que ceux-ci retirent leurs enfants de l’école, cela suggère que le rapport entre les couts et les bénéfices a, entre temps, changé et que les couts l’emportent alors sur les bénéfices. Ce changement de perception des parents concernant l’opportunité de laisser leurs enfants à l’école pourrait, dans beaucoup de cas, être liée à la question du redoublement. Cela se présente comme un signal négatif pour les parents, qui revoient alors à la baisse, l’intérêt qu’ils portaient à l’école. Si l’enfant ne réussit pas à l’école, cela revient à dire que les familles ne vont peut-être pas retirer les bénéfices qu’elles auraient préalablement anticipés. Dans de telles circonstances, la contribution des enfants à l’économie familiale peut perdre de son importance, et les familles ne verront aucune opportunité de les laisser continuer l’école. Ce phénomène est très susceptible d’avoir un impact significatif dans le contexte de la Côte d’ivoire qui, en 2006-2007, présentait un pourcentage de redoublements de 22 % en moyenne

55


sur l’ensemble du cycle primaire, pour atteindre 32 % sur la dernière année du primaire comme on peut le constater dans le tableau II.16. Tableau II.16 : Evolution des pourcentages de redoublants, 1999-00 à 2006-07 1er cycle ESG

Primaire CP1 CP2

CE1

CE2 CM1

2nd cycle ESG

CM2

Total

6ème

5ème

4ème

3ème

Total

2nde

1ère

Tle

Total

199900

20

18

21

19

24

41

24

8

10

22

36

19

10

9

34

22

200506

20

19

22

22

24

35

24

6

6

9

21

10

9

8

33

18

200607

19

17

21

20

22

32

22

6

6

6

21

10

10

6

24

15

Source : DIPES /MEN et RESEN 2002 pour l’année 1999-00

Certaines analyses, basée sur les données de 50 pays, ont montré, en contrôlant le niveau du PIB par habitant ainsi que le cout unitaire des études, qu’en moyenne, un point de redoublement en plus dans l’enseignement primaire est associé à une diminution du taux de rétention de 0,8 points. Ces analyses montrent également que ce sont surtout les enfants les plus vulnérables vis-à-vis de la scolarisation (les filles, les ruraux et les pauvres) qui abandonnent leurs études lorsqu’ils doivent redoubler. En se basant sur ces observations, le RESEN a pu anticiper que, si la côte d’ivoire réussit à réduire le pourcentage de redoublants actuel à 10 %, le taux de rétention pourrait augmenter d’environ 9,6 points [(0,8 x (22-10)] de pourcentage. Même si cette simulation n’a qu’une valeur illustrative, elle indique tout de même que la rétention pourrait passer de 80,4 % à 90 % en cas de réduction de la proportion des redoublants à 10 %; ce qui ne serait pas négligeable. Une autre façon de ne pas utiliser de façon optimale les ressources (publiques et privées) en éducation consiste à avoir une forte fréquence des redoublements en cours de cycles d’études. En effet, cela revient à doubler les ressources nécessaires pour la validation d’une année d’études. Dans le contexte ivoirien, les redoublements sont relativement fréquents comme on peut le voir sur la base des informations contenues dans le tableau II.17 ci-dessous.

56


Tableau II.17 : % de redoublants par classe dans l’enseignement général, 19892007

Année

Primaire

CP1

CP2

CE1

CE2

CM1

CM2

Sec 1

6ème

5ème

4ème

3ème

Sec 2

2nde

1ère

Tle

199091

24,3

22,2

19,1

21,1

17,2

22,7

42,3

11,0

7,3

5,8

10,6

22,1

13,4

10,2

13,9

16,1

199192

27,0

24,9

21,5

22,8

20,0

25,4

46,4

14,5

7,3

10,7

15,1

27,2

24,6

10,9

11,4

45,1

199293

26,6

21,8

21,4

25,6

20,9

26,9

43,3

199394

25,4

22,2

19,4

22,9

20,0

24,9

43,4

14,0

7,6

9,8

14,8

26,5

23,8

10,6

11,9

41,9

199495

26,7

23,4

21,4

23,9

22,2

27,8

43,0

14,6

10,4

10,4

16,0

24,3

29,7

17,4

16,0

48,5

199596

23,5

20,2

18,8

21,5

18,1

24,1

40,3

14,2

8,9

8,3

15,9

27,1

24,8

11,2

13,0

42,8

199697

24,2

21,0

20,0

22,5

20,4

24,6

38,9

14,1

8,7

7,7

16,8

24,3

23,7

11,1

8,6

42,7

199899

23,7

20,2

18,1

21,2

19,5

24,4

41,4

199900

24,2

20,2

19,4

22,0

19,6

24,9

41,3

15,7

6,7

6,4

19,2

29,1

21,4

9,9

8,4

40,4

200001

23,9

20,2

19,0

21,5

20,0

22,8

41,3

14,3

4,3

6,8

15,1

30,3

20,0

9,2

7,2

38,3

200102

23,3

20,0

18,7

21,2

21,2

22,4

37,7

14,3

4,3

6,7

15,1

30,3

20,0

9,2

7,2

38,3

200203

25,2

20,1

18,8

24,3

22,2

26,3

40,2

200304

24,9

19,9

19,2

22,3

21,9

25,7

40,9

200405

22,0

19,3

17,9

20,8

21,0

24,4

29,9

200506

23,5

20,1

19,3

22,3

22,5

24,0

35,3

10,4

6,3

6,3

9,0

20,9

18,2

9,0

8,1

32,6

200607

21,6

19,4

17,4

20,8

19,9

22,5

31,8

9,7

6,4

5,7

6,3

21,0

15,2

9,9

6,2

23,7

Source : DIPES /MEN et RESEN 2002 pour l’année 1989-07

57


Le rapport du RESEN (2007) mentionne une importance du redoublement dans le système éducatif ivoirien. Ainsi, il note par exemple une proportion de redoublants dans le cycle primaire de 24 % en 1990, comme en 2000. Cela reste vrai encore aujourd’hui, avec une proportion de redoublants estimée à 21,6 % dans l’enseignement primaire ivoirien en 2007. On observe sur les 18 années une légère tendance à la baisse, mais le niveau actuel reste 2 fois plus élevé que ce qui est observable en moyenne parmi les pays proches de la scolarisation primaire universelle. Selon les résultats de ce rapport, on observe dans le premier cycle de l’enseignement secondaire, des niveaux de redoublement élevés jusqu’en 2000 avec près de 16 % de redoublants parmi les effectifs, mais les valeurs de 2006 et 2007 se situent respectivement à 10,4 % et 9,7 %. Dans le 2nd cycle du secondaire, les redoublements sont aussi très fréquents. Entre 1989 et 1997, on observe des valeurs comprises entre 20 et 30 %, mais on note une certaine baisse depuis 2000 et le pourcentage de redoublants se situe respectivement entre 15 et 18 % en 2006 et 2007.

Enfin, on peut observer que le phénomène de redoublement varie de façon très sensible selon les différentes classes au sein de chacun des trois cycles d’enseignement considérés. Les classes terminales des cycles sont caractérisées par des chiffres spécialement élevés. Par exemple en 2007, alors que la fréquence des redoublements était en moyenne de 21,6 % sur l’ensemble du cycle primaire, elle était de 31,8 % en CM2. Dans le premier cycle secondaire, le pourcentage de redoublants dans la dernière classe du cycle était de 21 % alors que la moyenne sur l’ensemble du cycle était de 10 %. On observe des différences similaires pour tous les niveaux d’enseignement et pour toutes les années disponibles.

Le redoublement est souvent perçu dans le système éducatif ivoirien, comme un moyen face à la diversité des capacités et des résultats des élèves de contrôler un niveau minimum d’exigence et de qualité du service global. A ce sujet, deux questions peuvent guider notre analyse selon le niveau d’agrégation auquel elle est conduite : les élèves qui redoublent obtiennent-ils de meilleurs résultats aux examens que les autres ? (ou bien, font-ils plus de progrès en cours d’année que les autres ?) ; et les écoles qui pratique tout azimut la politique du redoublement, ont-elles de meilleurs résultats aux examens ? Pour répondre à la première question, nous utiliserons la méthode comparative qui seule, permet de donner une dimension positive et non normative. En effet, le premier aspect à considérer est de savoir, dans quelle mesure les acquisitions, aussi

modestes qu'elles soient, sont-elles homogènes entre les

58


différentes régions, et entre les différentes écoles qui fonctionnent en Côte d'ivoire. Ceci devrait constituer une piste pour identifier à quel niveau (région, école, classe) se situe les variables les plus pertinentes pour expliquer les différences d’acquisitions entre les élèves. Notre réflexion va donc être conduite sur la base d’un test d’acquisitions en français et en mathématiques, issue de l'enquête réalisée par le MICS (2006) dans un échantillon de classes de CP2, CE2 et CM2 en 2001. Une analyse de la variance des scores individuels des élèves pourrait être utile pour progresser sur cette question. Celle-ci devra permettre d’apporter des éléments de réponse en estimant dans la variance totale des scores des élèves, la part de la variance entre les régions et celle à l’intérieur des régions. Cette enquête nous indique que les différences moyennes entre régions ne représentent qu’entre 6 et 11 % de la variabilité totale des résultats. Les différences totales entre élèves sont donc beaucoup plus liées à des différences internes aux régions plus qu’à des différences entre régions, comme en témoigne le tableau II.18. Tableau II.18 : Part de la variance totale des scores des élèves au niveau de la région et au Niveau de l’école (%)

Niveau Classe

Discipline

Région

Ecole

Français

7

37

Mathématiques

6

33

Français

11

42

Mathématiques

6

33

Français

9

37

Mathématiques

7

34

CP2

CE2

CM2

Source : MICS (2006)

En ce qui concerne la seconde question, nous allons à présent l'examiner, en mettant en lumière les résultats des écoles primaires à l’examen de fin de cycle avec la fréquence des redoublements qui y est observée. Ainsi, le graphique II.7 ci-dessous, retrace pour toutes les écoles primaires de Côte d’Ivoire, les résultats à l’examen d’entrée en sixième (CEP) en fonction du % de redoublants de celles-ci.

59


Graphique II.7 : Taux de réussite au CEP selon le % de redoublants dans les écoles primaires

100 Taux de réussite au CEP

90 80 70 60

50 40 30 20

y = -0,523x + 88,52 R² = 0,050

10

0 0

10

20

30

40

50

60

70

80

% de redoublants de l'école

Source : MICS (2006)

La première constatation concerne la très grande disparité entre les établissements, tant au niveau du taux de réussite à l’examen que celle de la fréquence des redoublements. Ceux-ci s’échelonnent pour l’ensemble des écoles respectivement entre 0 et 100 % et entre 0 et 60 %. Or cette diversité est présente à tous niveaux de redoublement et de résultats : pour les écoles qui ont moins de 5 % de redoublants, on trouve des taux de réussite compris entre 0 et 100 %, alors que pour celles qui en ont plus de 20 %, il y a des écarts de taux de réussite compris dans le même intervalle. La relation entre taux de redoublants et de réussite est donc faible, mais en moyenne plutôt négative. L’intensité de la pratique des redoublants au niveau des écoles aurait donc globalement un lien négatif avec le niveau de réussite de ces écoles à l’examen de fin de cycle, car plus de redoublements est plutôt associé à de moins bon résultats finaux.

Rappelons que les analyses disponibles, tant celles menées sur des données individuelles dans des enquêtes nationales (programme PASEC) que celles menées sur des données comparatives internationales par les auteurs du RESEN (2007) dont Alain MINGAT et Shobhana SOSALE, (2001.) « Problèmes de politique éducative relatifs au redoublement à l'école primaire dans les pays d'Afrique Sub-saharienne », (PSAST/AFTHD, Banque Mondiale). Ces auteurs, montrent que l’argument selon lequel les redoublements pourraient être justifiés pour des raisons liées à la qualité de l’éducation, n'est pas empiriquement valide. 60


Ce rapport d’état du système éducatif ivoirien fait suite à une première tentative du même type engagée au début des années 2000 et qui arrivait à son terme au moment où les évènements intervenus dans le pays ont conduit à suspendre le processus engagé. En novembre 2007, le travail d’analyse a été réactivé pour la production d’un nouveau document qui est surtout un nouveau rapport plus qu’une reprise de l’ancien. Le contexte nouveau est un peu difficile sur le plan technique eu égard au fait que la collecte des données administratives sur les établissements scolaires a été partiellement interrompue et encore d’une qualité imparfaite. Mais ce même contexte a milité de façon très forte, pour qu’un travail type RESEN soit réalisé sans tarder. La première raison est liée à un besoin de faire le point sur la situation du système, qui déjà était problématique avant les troubles civils et l’a été encore davantage après ceux-ci. Ce qui a conduit à une nécessité de reprise en main vigoureuse d’une politique éducative sectorielle. La seconde raison concerne l’opportunité du système d’avoir accès à des financements extérieurs, notamment dans le cadre de l’IMOA-EPT et du C2D (Contrat de Désendettement et de Développement) de l’aide française. Selon Alain MINGAT et Shobhana SOSALE, il existe de bons systèmes scolaires (bon niveau d’apprentissage des enfants) qui ont des taux de redoublement faibles ou élevés. Selon eux, il n’y a pas de relation significative entre niveau d’apprentissage des élèves et fréquence des redoublements. De même, au niveau individuel (sauf pour ceux qui sont spécialement faibles), les élèves que l’on fait redoubler en principe pour leur bien, ne progressent pas mieux en tant que redoublant, que s’ils avaient été promus dans la classe supérieure. Par contre, si les redoublements n’entretiennent pas de liaison positive avec la qualité des systèmes, ils sont en revanche connus pour consommer davantage de ressources (publiques et privées), et aussi pour engendrer des abandons précoces en cours d’études.

En effet, d'après ces auteurs du rapport RESEN, les familles voient dans le redoublement imposé à leurs enfants, que celui-ci n’est pas performant, en ce sens que l'enfant ne profite plus de sa présence à l’école. Et comme les couts d’opportunité constituent toujours un argument négatif pour la scolarisation, le redoublement invite donc plus les parents à retirer leurs enfants de l’école. Les observations empiriques élaborées par les auteurs, montrent que ces impacts négatifs du redoublement sont spécialement forts dans les situations où la demande scolaire est par ailleurs plus faible chez les filles et surtout chez les enfants de milieu économiquement défavorisé. En somme, ces observations empiriques de la part de ces

61


auteurs, si elles n’invitent pas à suggérer une politique de promotion automatique généralisée (qui pose des problèmes par ailleurs), conduisent toutefois à souligner que des chiffres de l’ordre de 10 % pour la proportion des redoublants, doivent sans doute être considérés comme un objectif autant souhaitable que tout à fait possible. C’est d’ailleurs le chiffre retenu dans le cadre indicatif de l'IMOA-EPT, chiffre établi sur la base des pratiques observées dans les pays les plus performants vis-à-vis de l’objectif d’achèvement universel du cycle primaire.

Il est toutefois utile de mentionner que nombre de pays africains (notamment francophones) dont la Côte d'ivoire, cherchent aujourd’hui, à réduire de façon significative le taux de redoublements au sein de leurs systèmes scolaires. Tous ces pays considèrent que dans cette perspective, une bonne façon de procéder serait de mettre en place trois sous-cycles au sein du niveau primaire (sous-cycle 1 pour les 1ère et 2ème années, sous-cycle 2 pour les 3ème et 4ème années et sous-cycle 3 pour les deux dernières années) correspondant à des blocs de compétences bien identifiées. Ceci, afin de ne pas autoriser de redoublement au cours de chacun de ces sous-cycles de deux années et à limiter ainsi, la fréquence des redoublements entre sous-cycles consécutifs. Cette structure devant être associée à la mise en place d’une instrumentation, pour aider les enseignants à détecter les déficiences des élèves en cours de sous-cycle, et à y remédier de manière pertinente et continue. Ce qui, devrait être porteuse d’une gestion pédagogique mieux maitrisée et d’une amélioration de la qualité des services éducatifs offerts, afin de réduire de façon significative l’exponentialité des redoublements. Il est utile de noter également que si en Côte-d’Ivoire, les redoublements sont fréquents en moyenne dans le primaire et le secondaire, ils sont également élevés dans toutes les classes de ces cycles d’enseignement. Mais ils sont surtout importants dans les dernières années du cycle, ainsi, dans le primaire, en 1999, la proportion des redoublants tournait autour de 20 % du CP1 (Cours Préparatoire) au CM1 (Cours Moyen) pour atteindre 40 % au CM2. Il apparait clairement que, si les redoublements dans les différentes classes d’un cycle présentent des caractéristiques communes, ceux concernant la dernière année sont aussi liés aux conditions spécifiques de la transition entre cycles pour les classes de CM2 et de troisième, et à l’obtention du baccalauréat pour la classe de terminale.

62


2.2.2 – Abandons précoces en cours de cycle dans le premier degré et rétention de l’alphabétisation Pour ce qui est des abandons en cours de cycle dans le premier degré, les données concernant la fréquence et la question des redoublements, indiquent qu’ils sont relativement nombreux en Côte d’Ivoire. L'objectif de l’école primaire étant de permettre l’acquisition de compétences de base comme : lire, compter et écrire, il importe donc de déterminer combien d’années de scolarisation primaire seront nécessaires pour assoir de façon irréversible l’alphabétisation une fois adulte. Cela, pour que l’école primaire produise le capital humain minimal dont les individus ont besoin pour réduire les risques de se trouver dans une situation d’analphabétisation une fois adulte.

Pour mieux comprendre cette situation, nous pouvons nous référer aux données de l’Enquête à Indicateurs Multiples (MICS 2006), réalisée par l’Institut National de la Statistique (INS) avec l'appui de l'Unicef. La MICS 2006, est la troisième opération du genre réalisée en Côte d'ivoire après celles de 1996 et 2000, a été conçue sur la base d'un échantillon mettant en évidence, les zones urbaines et rurales, la ville d'Abidjan et les dix régions géoéconomiques ci après : Centre, Centre-Nord, Nord-est, Centre-Est, Sud, Sud-ouest, Centre-Ouest, Ouest, Nord-Ouest, Nord. Cette enquête nous permet de fournir des informations récentes pour l'évaluation de la situation des femmes et des enfants en Côte d'ivoire, en vue d'aider le processus de planification des interventions en direction de ces cibles.

Elle offre aussi les données nécessaires pour suivre l'état de réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), et ceux fixés par le plan d'action Un Monde Digne des Enfants (MDE) sur les indicateurs de santé, de nutrition, d'éducation, et d'environnement. Par la signature de ces conventions internationales, les chefs de gouvernements Africains dont celui de la Côte d'ivoire s'étaient engagés à améliorer les conditions de vie des enfants et à assurer le suivi de la mise en œuvre de ces engagements. La MICS, nous permet donc de disposer de données, en ce qui concerne le niveau d’alphabétisation des femmes de 15-49 ans de l’échantillon (13 000 de tous âges) appartenant à 7 600 ménages répartis sur l’ensemble du territoire national.

63


Pour ce qui ressort des femmes, en ce qui concerne les variables : lecture aisée; lecture difficile; et ne sait pas lire du tout; il existe des données concernant la classe la plus élevée qu'elles aient fréquentée. Les résultats pour l’ensemble des adultes de 22 à 44 ans sont estimés par les auteurs, en appliquant aux résultats obtenus sur l’échantillon, les différences hommes/femmes obtenues dans le MICS d’une année antérieure. Celles de 1999 concernant cette même tranche d’âge, a été choisie par l'INS pour assurer la comparaison avec des travaux similaires menés dans d’autres pays de la sous-région. Le tableau II.19, donne la distribution estimée des adultes de 22-44 ans selon leur niveau d’alphabétisation ainsi que leur scolarisation étant enfant, en opposant toutefois ceux qui ont été scolarisés de ceux qui ne l’ont pas été. Tableau II.19 : Niveau d’alphabétisation des adultes selon la scolarisation dans leur jeunesse (adultes 22-44 ans) Ne sait pas lire Plus haute classe atteinte (1)

Lit avec difficulté

Proportion alphabétisée (%)

Sait lire aisément

Total

(3)

(4)

[(2) + (3)] / (4)

(3) / (4)

(2)

Ensemble

3 270 495

445 794

1 941 411

5 657 700

42,2

34,3

Aucune scolarité

3 053 312

71 386

129 671

3 254 368

6,2

4,0

Sont allés à l'école

788 324

165 834

1 449 174

2 403 331

67,2

60,3

1ère année

74 547

3 203

6 144

83 894

11,1

7,3

2ème année

121 972

9 360

19 759

151 091

19,3

13,1

3ème année

145 490

19 010

47 126

211 626

31,3

22,3

4ème année

120 791

25 016

79 535

225 342

46,4

35,3

5ème année

240 061

71 765

323 873

635 698

62,2

50,9

6ème année

52 091

20 301

143 166

215 558

75,8

66,4

880 122

98*

95*

10ème année

Source : Données MICS de l'INS, (2006)

Les données du tableau II.19, indiquent sans ambigüité que parmi les adultes qui n’ont jamais été scolarisés dans leur jeunesse, une très grande majorité, (93,8 %) soit 3 053 312 à 3254 368 d’individus, sont illettrés. Seuls 6,2 % déclarent pouvoir plus ou moins bien lire et écrire, dont seulement 4,0 % de façon aisée. Au contraire, 60,3 % de ceux qui ont fréquenté l’école indiquent pouvoir lire sans difficultés. Ce chiffre correspond certes à une majorité des individus dans cette catégorie, mais il reste que pour 40 % des individus, la scolarisation n’a

64


pas permis de conduire à une rétention convenable des capacités de lecture à l’âge adulte. Il ressort de ces observations que la scolarisation des enfants dès leur plus jeune âge, est une condition nécessaire, mais pas suffisante de l’alphabétisation durable à l’âge adulte. Pour aller plus avant, il est utile de désagréger l’analyse et de prendre en compte la classe plus élevée fréquentée au cours des études initiales pour ceux qui ont effectivement été scolarisés étant jeunes, comme l'indique les résultats du tableau II.19.

Avant de commenter les informations contenues dans ce tableau, il convient de noter que seules sont valides les données pour les six premières années d’études (cycle primaire). Car la « carte de lecture » n’a pas été proposée aux adultes dès lors qu’ils avaient eu accès à l’enseignement secondaire, ce qui supposait qu’il savait lire. Cette conjecture est sans doute plus ou moins vraie avec 10 années d’études (c’est ce qu’on observe dans tous les pays pour lesquels ce type d’analyse a pu être conduit et où cette convention particulière n’a pas été utilisée). Elle ne l’est sans doute pas pour les individus ayant achevé leurs études en 7 ème ou en 8ème année (voire même en 9ème année).

En effet, il y a nécessairement une solution de continuité entre le groupe de ceux qui ont fait six années d’études et dont 66,4 % des individus savent lire aisément à l’âge adulte. Et ceux du groupe qui a fait 10 années d’études et pour lesquels la très grande majorité des individus maitrise sans doute de façon irréversible le savoir lire. Dans ces conditions, nous utilisons une méthode d’estimation économétrique qui satisfasse à la fois un bon ajustement des données pour ceux qui totalisent au plus six années d’études, et une situation de savoir lire quasi universelle avec 10 années d’études (fin du premier cycle secondaire). Cette procédure fournit aussi des valeurs estimées du savoir lire à l’âge adulte pour les scolarisations avec 7, 8 et 8 années d’études au cours de la jeunesse. Le graphique II.8, illustre la relation moyenne entre les deux grandeurs.

Graphique II.8 : % concernant le savoir lire selon la plus haute classe atteinte (femmes 22-44ans)

65


Graphique IV.1 : % savoir lire selon la plus haute classe atteinte (femmes 22-44 ans) 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0

Lit avec difficultés

% Savent lire

Lit aisément

0

1

2

3 4 5 6 7 Plus haute classe atteinte

8

9

10

Source : Calculs d’après les données MICS de l'INS, (2006)

La relation entre le nombre des années d’études dans la jeunesse et la proportion des adultes sachant lire aisément est très claire : avec un niveau d’études inférieur ou égal à 4 années, la proportion d’adultes alphabétisés est faible (inférieure à 40 %). Il faut attendre l’atteinte de la 5ème année d’études, pour observer un chiffre supérieur à 50 % des adultes qui peuvent lire aisément. A partir de 5 années d’études, la proportion augmente de façon significative (51 % avec la 5ème année) pour atteindre 66 % en fin de cycle primaire. Les estimations faites suggèrent que la proportion des femmes adultes qui savent lire aisément passerait ensuite à 77 % avec 7 années d’études; 86 % avec 8 années; 92 % avec 9 années et 95 % avec une scolarisation complète au niveau du premier cycle secondaire. Par ailleurs, l’alternative d’un enseignement dispensé dans la langue du pays s'avère cependant difficile, voire impossible en Côte-d’Ivoire et dans bon nombre de pays africains, à cause notamment de la présence d’une pluralité de groupes ethnolinguistiques. Une telle entreprise exigerait des efforts financiers, matériels et humains que ne peut assurer aucune collectivité nationale. A l’opposé, l’idée de choisir une langue d’enseignement parmi les langues du pays, même s’il s’agit de la plus parlée, ne peut que rencontrer des replis identitaires car, comme l’écrit Mylène BIDAULT, (2000) à partir de travaux de recherche sur Le droit à l’éducation dans le cadre du projet IPPE. L’objectif était de palier au manque d’indicateurs de participation des parents dans l’enseignement obligatoire : « C’est surtout la question de l’enseignement des langues qui pose le plus de problèmes aujourd’hui, celle sur laquelle les revendications des groupes minoritaires et autochtones sont parmi les plus fortes ». Cela signifie qu’il existe des difficultés de la lecture chez ces personnes, car le fait de dispenser un enseignement à un enfant dans une langue autre que celle de sa culture initiale, peut de façon significative compromettre ses capacités d'apprentissage. 66


Les écrits de Joseph KI-ZERBO convergent dans ce sens, dans la mesure où l’utilisation de la langue maternelle comme langue d'enseignement, pourrait permettre selon lui, à améliorer les résultats scolaires des élèves. Alors qu'un enseignement dispensé dans une langue étrangère, peut réduire l'efficacité pédagogique et les chances de réussite des enfants. Notre analyse s’inspirera donc des travaux de l'historien Joseph KI-ZERBO. En effet, il est l'un des pères de l'histoire de l'Afrique, mais également un théoricien et praticien émérite de l'éducation de l'Afrique contemporaine, en ce sens que l'école en Afrique est l'un des sujets qui l'a toujours préoccupé. De son Histoire de l'Afrique noire : d'hier à aujourd'hui, (1972); Eduquer ou périr, (1990) à son dernier ouvrage, A quand l'Afrique? (2003); l'école en Afrique reste un de ses sujets favoris.

La thèse qu'il développe dans tous ses ouvrages est invariablement la même : l'école telle qu’elle est aujourd’hui en Afrique, participe à son sous-développement. La cause de ce paradoxe est la désintégration de son substrat culturel, c’est-à-dire de l'acquis culturel africain, du "cordon ombilical" qui la relie à l'Afrique. Ainsi pour lui, si l'école en Afrique ne parvient pas à se positionner comme un tremplin pour le développement, et se trouve en remorque du développement au lieu d'en être la conductrice, c'est parce qu'il y a selon Joseph KI-ZERBO une cassure du système éducatif par "le pacte colonial". Pour être plus explicite, l'idée de Joseph KI-ZERBO est que, l'Afrique avait il y a des milliers d'années, un système éducatif performant avant même l'invention des lettres grecques alpha et bêta, qui sont les racines du mot alphabétisation et le mot schola, qui a donné scolarisation. Il évoque ainsi les scribes de l'Egypte, qui ont écrit, lu, compté, géré, philosophé, et ausculté l'au-delà et l'absolu en se servant de papyrus (premier support de l'écriture). Joseph KI-ZERBO ne considère pas, en soi, l'école coloniale importée en Afrique comme mauvaise. Elle représente seulement de son point de vue, un non soi qui a son propre environnement culturel qui n'est pas celui de l'Afrique et de sa culture.

Ainsi donc pour lui, c'est ce pacte colonial qui a transformé l'école du point de vue de l'initiative et de la création. Chez Joseph KI-ZERBO, c'est la culture africaine qui doit servir de racine à l'école du développement en Afrique. Car, comme il l’écrit, dans son ouvrage A quand l'Afrique? (2003) : « Si on se développe, c'est en tirant de soi-même les éléments de son propres développement » (p.99). Or dans le cas de l'école africaine actuelle, cette racine, ce n'est pas la tradition africaine, mais celle de l'occident. Il faut donc en finir avec cette 67


dépendance préjudiciable des systèmes éducatifs actuels en Afrique, pour ne plus que l'école africaine soit, pour emprunter l'expression de Jacques Nanema « en quelque sorte, la citadelle du pouvoir spirituel du maitre, logée au cœur des terres conquises ». Ainsi, Joseph Ki-Zerbo, estime qu'il convient qu’elle se serve de la culture africaine, en tant que la "sève des tréfonds", c'est-à-dire, qu'elle fasse sa mue, non pas une mue à l'image de celle du serpent, mais une transformation radicale. Mais si s'exposer à l'altérité est la condition pour "grandir", la nécessité de s'ouvrir ne doit pas non plus, de son point de vue, nous faire oublier le souci de conservation de nous-mêmes. Comme l’écrit Joseph Ki-Zerbo dans Eduquer ou périr, (1990) il ne s'agit pas de rester « du fumier pour les terres des autres, et s'il est bon de nager dans l'universel, encore faut-il ne point s'y noyer » (p.37). Cette rupture doit se faire par la réconciliation de l'école avec son cadre culturel, par la médiation du soi culturel, c'est-à-dire, qu'elle doit se faire au contact des réalités africaines. Nous n’allons pas aller dans les détails de ce que peut être une école africaine imprégnée de la culture africaine, car Joseph Ki-Zerbo en a précédemment déjà ébaucher à ce propos les grandes lignes, dans son Histoire de l'Afrique noire, (1972) ou encore dans Eduquer ou périr, (1990). Cette intégration du soi culturel selon lui, part de la décoloration des salles de classe, afin que l'école ne soit pas pour l'enfant un voyage interplanétaire. Mais aussi, jusqu'à la prise en compte des rythmes africains, du sport (la lutte), des danses, des langues, etc. Tout cela devrait permettre à l'enfant, selon lui, d'apprendre à rester en symbiose avec son fond culturel, son environnement social de base, sa culture. Ainsi, l'école apparait-t-elle non plus comme quelque chose d'extérieur à la société, mais comme la continuité de l'éducation familiale. Mais cette exigence d'une école culturellement intégrée dans la culture africaine ne risque-t-elle pas d'être interprétée comme une attirance pour l’autarcie ? Est-il possible de défendre l'idée d'une école intégrée culturellement sans verser dans une logique de repli identitaire ? Telles sont quelques préoccupations légitimes que pourraient susciter les propos de Joseph KI-ZERBO à ce niveau d’analyse. Mais il convient cependant de dire que la quête d'une école culturellement intégrée chez Joseph Ki-Zerbo, n'induit nullement un désir de repli identitaire. Au contraire, elle augure la présence d'une ouverture à l'altérité. En Côte d'ivoire, le Rapport de synthèse, (rapport de projet) réalisé à Abidjan, (2002) par le MEN, connu sous l'appellation de Projet Ecole Intégrée (PEI) a été initié dans cette optique. L'objectif de cette étude, était de justifier la mise en place du Projet Ecole Intégrée et la nécessité de l'usage des langues locales dans l’enseignement de base. Cette étude s'est appuyée sur les conclusions de 68


la thèse du mathématicien linguiste Khaled Aït AMOU et l'expérience réussie du Centre Scolaire Intégré du Niéné (CSIN) par l'ONG Savane Développement (SD) dans le Nord de la Côte d'ivoire. Dix établissements utilisant différentes langues, ont à ce propos été crées dans les dix régions pour la phase d'expérimentation.

Les matières enseignées sont les mathématiques, l'écriture et la lecture. Mais il faut rappeler que les limites de l'étude, reste l'utilisation des langues locales dans l'enseignement de base, qui s'avère un exercice périlleux dans les grandes agglomérations dans la mesure où le français est devenu la langue maternelle des élèves qui y résident. Néanmoins, les résultats et conclusions de cette étude révèlent que la mise en place du PEI, contribuent à une amélioration de l'apprentissage et de l'intégration de l'enfant dans la société comme l'a précédemment démontré Joseph Ki-Zerbo. Ils révèlent également que le Projet Ecole Intégrée, permet de lutter efficacement contre les déperditions et l'analphabétisme. Cette étude fait des recommandations à deux niveaux : 

au niveau pédagogique, améliorer le programme avec la confection d'un lexique français prenant en compte l'environnement culturel de l'apprenant. Elaborer des documents d'exercice et instaurer une formation permanente des conseillers pédagogiques et des instituteurs.

au niveau de l'Etat, il doit veiller à la réussite des activités agropastorales en dotant les structures de formation de matériels adéquats et suffisants. Il doit également veiller à la mise en place d'un comité de pilotage et à une généralisation progressive du projet.

2.2.3 – Le niveau de qualité de l'école ivoirienne dans une perspective comparative Nous ciblons ici le cycle primaire, car les informations comparatives disponibles se limitant essentiellement à ce niveau. La qualité des services éducatifs peut en général être appréhendée de deux façons complémentaires : soit par des mesures des acquis standardisés dans des enquêtes internationales; soit par la rétention de l’alphabétisation pour laquelle les informations proposées peuvent maintenant abordés dans leur dimension comparative. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, en l’absence de tests d’acquisition standardisés effectués à une date

69


raisonnablement récente, seule cette seconde perspective est examinée. L’idée de base était en général que le cycle primaire a pour objectif, mais non de façon exclusive, à impartir aux jeunes un niveau de connaissances qui leur permettra d’être durablement alphabétisés à l’âge adulte. Il est possible que tous les pays ne soient pas également performants sur ce plan et qu’après un nombre donné d’années de scolarisation (notamment six années), la fréquence de rétention de l’alphabétisation diffère d’un pays à l’autre. On a alors tendance à considérer que ces différences inter-pays reflètent des différences de qualité dans les services éducatifs offerts (plus la rétention du savoir lire est bonne, meilleure est la qualité des apprentissages initiaux). Des informations comparables à celles mobilisées pour la Côte d’Ivoire sont disponibles pour un assez grand nombre de pays du continent. Le tableau II.20 propose un échantillon des observations disponibles ; une illustration en est faite également dans le graphique II.9.

Tableau II. 20 : % d’adultes (22-44 ans) qui lisent aisément selon la durée des études initiales

Plus haute classe atteinte

0

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

Côte d'Ivoire

4,0

7,3

13,1

22,3

35,3

50,9

66,4

76,9

86,0

91,9

95,0

Bénin

1,8

2,3

6,3

16,2

35,7

61,4

82,0

92,9

97,4

99,1

99,7

Burkina Faso

1,9

2,9

5,1

9,9

20,7

41,6

69,3

89,2

97,2

99,4

99,9

Cameroun

5,0

8,7

15,3

26,1

41,7

59,9

76,4

87,9

94,4

97,6

99,0

Congo

2,4

4,9

9,9

18,9

33,2

51,3

69,1

82,6

91,0

95,5

97,8

Ethiopie

2,7

6,5

14,6

29,7

51,0

72,0

86,3

93,9

97,4

98,9

99,6

Gabon

6,5

19,3

30,6

45,0

60,3

73,7

83,9

90,6

94,7

97,1

98,4

Gambie

3,7

10,0

17,7

29,3

44,4

60,7

74,8

85,2

91,7

95,5

97,6

Guinée

4,7

6,7

10,9

19,3

35,3

59,1

81,7

94,1

98,5

99,7

99,9

Kenya

6,2

10,0

16,1

25,7

39,4

55,9

72,1

84,5

92,3

96,5

98,5

Lesotho

12,2

22,8

38

55,3

71,0

82,6

89,9

94,3

96,7

98,1

98,9

Malawi

4,8

11,3

23,3

40,8

59,6

74,9

85,1

91,2

94,6

96,6

97,7

Mali

2,9

4,7

11,9

27,0

50,5

73,7

88,5

95,5

98,3

99,4

99,8

Mozambique

5,5

7,6

13,4

27,5

55,2

84

96,7

99,5

100

100

100

Niger

0,8

1,0

1,5

3,0

7,4

20,8

52,6

85,8

97,7

99,7

100

Nigeria

2,8

4,0

6,1

9,7

15,9

26,4

41,9

60,8

78,0

89,7

95,8

70


Ouganda

3,5

6,5

12,1

21,8

36,6

55,1

72,8

85,6

93,2

97,0

98,7

Rwanda

6,9

18,0

38,4

62,9

81,6

91,7

96,4

98,4

99,3

99,7

99,8

Sénégal

3,1

5,5

10,1

18,6

32,9

52,6

72,6

87,0

94,7

98,0

99,3

Tchad

0,2

0,8

2,5

6,8

15,7

30,3

47,9

63,8

75,5

83,0

87,6

Zambie

4,1

4,8

6,5

9,9

16,7

29,6

50,6

74,2

90,3

97,2

99,3

Zimbabwe

2,8

5,7

11,1

20,7

35,1

53,0

70,1

82,9

91,0

95,5

97,8

Moyenne

4,0

7,8

14,3

24,8

39,8

57,3

74,0

86,2

93,2

96,6

98,2

Sources : EDS, MICS (2005-06)

Graphique II. 9 : Rétention de l’alphabétisation chez les adultes (22-44 ans) dans un certain nombre de pays d'Afrique subsaharienne Côte d'Ivoire

100

Bénin Burkina

90

Cameroun Congo

80

Ethiopie

% lisent aisément

70

Gabon Gambie

60

Guinée Kenya

50

Lesotho M alawi

40

M ali M ozambique

30

Niger Nigeria

20

Ouganda

10

Rwanda Sénégal

0

Tchad

0

1

2

3

4

5

6

7

Plus haute classe atteinte

8

9

10

Zambie Zimbabwe M oyenne

Sources: EDS (2005), MICS (2006)

Les résultats montrent d’abord que la forme générale de la relation entre la durée des études initiales (concernant la plus haute classe atteinte) et les chances de savoir lire aisément à l’âge adulte est quasiment la même dans tous les pays. On observe des chiffres faibles, lorsque la scolarité a été limitée à quelques années, puis des chiffres qui croissent assez rapidement, lorsqu’on considère des scolarités plus longues pour ensuite se stabiliser. On constate une stabilité de la quasi-totalité des adultes sachant lire aisément et de façon durable lorsqu’on se situe à la 9ème ou 10ème classe. Cette structure globale manifeste que le temps est un ingrédient essentiel des apprentissages.

71


Mais au-delà de la ressemblance entre les différents pays quant à la forme générale de la relation, il existe aussi des différences très marquées d’un pays à l’autre. En particulier si on cible la proportion d’adultes qui savent lire aisément en ayant atteint la même classe dans les systèmes éducatifs respectifs des différents pays. Ainsi, pour la population des adultes qui ont atteint la sixième année d’études, la proportion qui sait lire sans difficultés varie-t-elle entre 42 % au Nigeria à 97 % au Rwanda, avec une valeur moyenne de 74 % pour les 22 pays considérés dans le tableau II.18. Pour sa part, la Côte d’Ivoire (courbe en trait épais dans le graphique II.8), avec un taux de rétention du savoir lire de 66,4 %, se trouve parmi les pays les moins performants sur ce plan. Seuls le Niger, le Nigeria, le Tchad et la Zambie parmi l’échantillon des pays considérés, ont un score inférieur à celui de la Côte d’Ivoire. Cela dit, si le score de la Côte-d’Ivoire (66,4 %) est certes inférieur à la « moyenne régionale » (740 %), l’écart n’est pas considérable, sa situation n’étant pas éloignée de celle du Burkina Faso (69,3 %) ou du Sénégal (72,6 %).

Il y a sans doute des raisons spécifiques nationales (contextuelles, culturelles) pour rendre compte de cette variabilité, mais il est probable que la raison principale soit la variabilité du niveau des apprentissages en cours de cycle primaire entre les pays au moment où leurs adultes étaient à l’école. Cet argument suggère que le score relativement faible de rétention du savoir lire à l’âge adulte en Côte d’Ivoire, s’expliquerait pour une part au moins, par le faible niveau des apprentissages dans l’école ivoirienne au moment considéré. Une façon complémentaire de lire le graphique II.9 consiste à observer par exemple : que le chiffre de 66 % de rétention du savoir lire chez les adultes ivoiriens qui ont atteint la sixième classe, est obtenu chez ceux du Lesotho après quatre années d’études, et chez ceux du Rwanda après trois années de scolarisation. Cela suggère une meilleure utilisation vraisemblable des années scolaires au Lesotho et au Rwanda qu’en Côte d’Ivoire. Il peut y avoir à cela deux raisons de base potentielles, dont nous ne savons pas à priori évaluer la pertinence absolue ni relative : 

au cours d’une année scolaire, le nombre d’heures effectives d’enseignement pourrait être en moyenne faible en Côte d’Ivoire. Il pourrait éventuellement en être ainsi, parce que les horaires officiels d’enseignement sont faibles et/ou parce qu’il y a des déviances dans leur mise en œuvre effective. On note une rentrée scolaire tardive dans certaines écoles par rapport à la date officielle de la rentrée, l'absentéisme fréquent des enseignants en cours d’année scolaire, etc.

72


En Côte d'ivoire, les heures effectives d’enseignement ne sont pas bien exploitées par les enseignants. Cela est sans doute lié aux conditions d’enseignement insuffisamment favorables (formation des enseignants, classes surchargées, fréquentes grèves, lacunes dans la disponibilité du matériel pédagogique, suivi insuffisant des pratiques et des performances, etc.). Sans oublier le fait que les programmes d’enseignement sont mal adaptés aux conditions de scolarisation ou du temps effectif d’instruction.

Les informations sur le niveau actuel de qualité de l’enseignement primaire, indiquent clairement que la dimension qualitative doit constituer un pilier significatif de la politique éducative du pays dans les années à venir. Dans ces conditions, cela permettra d’envisager l’expansion de la couverture du premier cycle secondaire avec des objectifs plus ambitieux. Contrairement aux objectifs qui consistent seulement à viser la rétention de l’alphabétisation des adultes dans le contexte d’un cycle primaire défaillant sur le plan de la qualité.

2.3 – Crise de l'école ivoirienne depuis la colonisation : erreurs et illusions La situation actuelle du système d’éducation/formation, décrit un déséquilibre structurel entre sa partie basse (enseignement de base, le primaire, puis le premier cycle secondaire) et sa partie haute, (2nd cycle secondaire général et technique et enseignement supérieur) d’après les résultats du RESEN (2007). Le présent rapport visait à établir le diagnostic des éléments structurels d’un système éducatif, dans le but de construire un dialogue fructueux de politique éducative et d’améliorer à moyen terme les performances du secteur. Pour que ce but soit atteint, la conduite du RESEN doit impérativement s’accompagner d’une appropriation à la fois technique mais aussi politique et ses analyses et de ses résultats. L’appropriation technique passe par plusieurs voies : le renforcement des capacités analytiques des équipes nationales impliquées dans le RESEN, l’implication des cadres d’autres ministères que celui de l’Education, ou encore pour l’échange qui a lieu lors de la simulation financière des différents grandes options politiques éducatives dans un cadre macro-économique réaliste. L’appropriation politique est quant à elle conditionnée au portage politique au plus haut niveau aux deux clefs du RESEN. Le RESEN est donc un produit analytique mobilisant un large spectre d’informations et de statistiques existantes mais il est également un processus participatif visant à construire un consensus éclairé sur les choix de politiques éducatives. Ce

73


rapport est composé de 7 chapitres d’analyse et un chapitre plus synthétique. Il examine sous des angles variés, analytiques et factuels, un certain nombre d’aspects importants concernant le fonctionnement et le financement d’un système éducatif. De façon jointe, un modèle de simulation est construit pour faciliter la réflexion des décideurs dans les arbitrages auxquels ils seront nécessairement confrontés. Ainsi, dans la partie basse du système, le disfonctionnement apparait dans le fait que : entre 1985 et 2007, le taux d’achèvement du primaire reste confiné entre 45 et 50 % (46 % en 2007); une tendance problématique dans la perspective d’achèvement universel du primaire. Dans la partie haute du système, le nombre d’étudiants du supérieur pour 100 000 habitants passe de 195 en 1985 à 798 en 2007 (x par 4). On observe un chômage massif des formés (39 %) et un taux très fort de sous emplois (43 %). Cette situation résulte d’abord d’une défaillance dans la régulation des flux dans le secondaire qui a amené une explosion des effectifs dans le supérieur (en plus, sans que la mobilisation des ressources budgétaires appropriées n’ait accompagné ces évolutions). Ceci a conduit à une dégradation massive des conditions d’enseignement dans les structures universitaires, comme en atteste le graphique II.10.

Graphique II.10 : Le profil de scolarisation, 2000, 2007 100% 90% 80% 70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% Sup.3

Sup.2

Sup.1

Terminale

1ère

2nde

3ème

4ème

5ème

6ème

CM2

CE2

CM1

CE1

CP2

CP1

0%

Sources: EDS, MICS (2007)

La dimension qualitative est aussi une question très importante dans tout système éducatif, or, celle-ci a été insuffisamment contrôlée dans les deux cycles du secondaire dans le cas de l'école ivoirienne. De fait, au 1er cycle, la taille moyenne des divisions pédagogiques est de 66 élèves, alors que les dépenses courantes hors salaires au niveau des établissements (supports

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didactiques, manuels scolaires, évaluation, maintenance, etc.) ne représentent que 2,6 % des dépenses courantes, ce qui représente un chiffre spécialement faible.

La vision de Joseph KI-ZERBO, sur la question de la crise de l'école en Afrique, et le cas particulier de la Côte d'ivoire, s'organise autour de deux principales hypothèses heuristiques. La première hypothèse est la suivante : il nous semble qu'il y a une métaphore du cœur chez l'historien, qui permet de mieux faire comprendre sa lecture de la crise des systèmes éducatifs en Afrique. La première partie de notre réflexion consistera à décrypter cette métaphore. Notre deuxième hypothèse sera en rapport avec le décryptage de cette métaphore du cœur, où nous y relèverons les conditions indispensables pour l'avènement d'une « école du développement en Afrique ». Dans toute l'œuvre de Joseph Ki-Zerbo, la nécessité causale entre école et développement apparait de façon incessante. Pour lui, l'école est le cœur du développement et toute autre perception du développement en dehors de cette compréhension serait méprise. Cette position apparait dans son dernier ouvrage A quand l'Afrique où il écrit : « l'éducation, doit être considérée comme le cœur même du développement ». La métaphore du cœur qui apparait ici chez l'historien, n'est pas innocente; elle traduit toute l'importance qu'il accorde à l'école dans le processus de développement de l'Afrique. Pour comprendre cette métaphore, il faut se référer au rôle que joue le cœur dans l'organisme. Ainsi, l'école en Afrique pour lui apparait comme un corps transplanté dans l'organisme que représente l'Afrique. Mais au lieu de jouer le rôle pour lequel il y est, il ressemble plutôt selon l'expression de Joseph KI-ZERBO à "un kyste exogène, une tumeur maligne dans le corps social". S'il est vrai que, dans le cas des transplantations cardiaques, quelques organismes parviennent à s'accommoder du transplant, dans le cas de l'école africaine, selon l'historien, il n'en est pas de même.

Quand on a compris à travers cette métaphore que l'école en Afrique est en réalité, l'expression d'une transplantation, on comprend mieux pourquoi Joseph KI-ZERBO pense que cette école est « une usine de chômeurs et un éteignoir culturel ». La « cassure » des systèmes éducatifs africains a été consommée, selon lui par la domination coloniale qui lui a substitué une structure différente dans le cadre de l'entreprise de subordination du continent aux intérêts européens. Dès lors, l'éducation n'est plus fonctionnelle pour les sociétés africaines ; par rapport à celles-ci, l'école n'est plus un organe naturel vitalement articulé, mais une « prothèse» venue d'ailleurs. Selon lui, c'est cette éducation bancale, myope qui jadis, 75


méprisait et occultait les valeurs de la culture africaine, et désormais, continue de "hanter" l'école

en Côte d'ivoire et en Afrique en général, à l'image des symptômes d'un cœur

transplant que le corps receveur, refuse d'intégrer. En autres manifestations de ce rejet, il y'a aussi le fait que, l'école ivoirienne est non seulement restée réfractaire à toute dissolution dans le milieu et même à toute imprégnation profonde de ce dernier.

Or, comme le souligne Joseph KI-ZERBO, « l'éducation sans production est aussi contre productive ». Telle est donc le sens de cette métaphore du cœur qui apparait chez lui et qui explique les causes de l'échec de l'école, non seulement en Côte d'ivoire, mais aussi globalement en Afrique. Cette impasse dans laquelle se trouve le système éducatif ivoirien inadapté, réformé ou ajusté, d’essence élitiste et de plus en plus sélective, bien que peu compétitif, interpelle à bien des égards à l'heure actuelle. Comme l'écrit Joseph KI-ZERBO dans Eduquer ou périr (1990) : « Pour n’avoir pas pu se couper à temps du père colonisateur, le fils colonisé vit aujourd’hui une situation de déconnexion d’avec lui-même, à cause de l’absence d’une reproduction autonome grâce à une éducation endogène ». Il poursuit en ces termes : « L’Afrique est le seul continent qui ne dispose pas d’un système éducatif contrôlé d'auto-reproduction collective. L’éducation scolaire apparait comme un kyste exogène, une tumeur maligne dans le corps social … L’espace de l’éducation scolaire est un domaine verrouillé et interdit, où aucune réforme fondamentale n’a encore pu pénétrer dans presque aucun pays de l’Afrique subsaharienne. Et pour cause : c’est un bastion stratégique au cœur du réseau des facteurs qui maintiennent le statu quo. Il joue un rôle focal et catalytique dans une réaction en chaine du dépérissement africain…». (p.78)

Dès lors, on appréhende mieux pourquoi chez joseph Ki-Zerbo, l'école en Afrique ne développe pas la créativité de l'esprit (les succès étant rares). Selon lui, si quelques personnes arrivent à tirer leur « épingle du jeu », si le système est adapté au succès individuel d'une minorité, ceux-ci réussissent non pas grâce au système, mais par leurs propres efforts. Parce qu'il estime que quelque soit les systèmes, les esprits supérieurs réussiront toujours. L'hypothèse de Joseph KI-ZERBO explique en partie, pourquoi malgré la multiplicité des réformes de l’éducation, malgré l’impérieuse nécessité d’une adéquation entre la formation et l’emploi, la stagnation du système éducatif ivoirien demeure. Cette stagnation pourrait également s'expliquer par le fait que les dirigeants de celui-ci n’ont ni objectif, ni finalité clairement définis. Même l’espoir d’un taux minimum d’alphabétisation de 40 % reconnu par

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les institutions onusiennes, pour voir un début d’implication d’une population donnée dans son propre développement, n’a pas été comblé. La situation de ce système se caractérise par une longue chaine d’erreurs répétées, d’espoirs déçus par des partenaires extérieurs à celui-ci; et tout cela, sur un fond d’économie extravertie, d’incitations permanentes à la consommation effrénée des produits finis de l’occident. Mais quel fondement idéologique a été à l’origine de la chaotique réalité actuelle ? Pour le comprendre, il convient d’analyser les erreurs historiques dans les pratiques éducatives de la colonisation à nos jours. Cette crise que traverse aujourd'hui l'école ivoirienne, peut être imputée au fait qu’après les indépendances, la mise en place des institutions dans le pays, s’est faite plus par reconduction des modèles coloniaux, que par une appropriation des valeurs ivoiriennes. Cela signifie qu’on note une inadéquation de ce système, par rapport aux réalités culturelles et socioéconomiques de ce pays. Ainsi, le système éducatif mis en place au lendemain des indépendances par la Côte-d’Ivoire, avait donc pour objectif, tout comme les systèmes coloniaux à l’époque, de fournir des fonctionnaires pour faire tourner les administrations et les entreprises.

2.4 ─ La pensée Africaine face au problème de l’éducation Dans son ensemble et sur toute l’étendu des pays d’Afrique subsahariens, on observe aujourd’hui que le système éducatif africain dans sa grande partie est en crise et pose problème. Il est temps de le transformer en profondeur en trouvant des solutions adéquates pour le rendre capable de donner à la jeunesse des armes pour affronter les défis de la mondialisation. Pour ce faire, il serait donc bon, d’être à l’écoute de ce que les spécialistes qui réfléchissent sur l’éducation en général et sur l’école africaine en particulier disent et pensent.

Ainsi, dans la réflexion qui va suivre, nous nous proposons de reprendre à nouveau frais, la manière dont le problème de l’éducation a été posé en Afrique, et de visiter les idées directrices qui ont été proposées comme voie d’avenir par certains intellectuels africains. Pour mener notre analyse, nous nous penchons particulièrement sur sept auteurs africains qui nous paraissent essentiels par la force de leurs analyses et la fécondité de leurs propositions. Notamment : Cheick HAMIDOU KANE (L’aventure ambigüe, 1961); Ebénezer NJOH

77


MOUELLE (De la médiocrité à l’excellence, 1970);

Ambroise KOM (Education et

démocratie en Afrique, 1996) ; Joseph KI-ZERBO (Eduquer ou périr, 1990); Jean-Marie TCHEGHO (Le déracinement social en Afrique : une conséquence de l’éducation moderne, 2000); 20 défis pour le millénaire, sous la direction de Gervais MENDO ZE (2000); et Marcus NDONGMO (Education scolaire et lien social en Afrique, 2007. Même si ces ouvrages ne concernent que l’ère francophone du continent africain et par cette limitation géographique, ne peuvent prétendre analyser tout le problème dans toutes ses dimensions et ramifications, ils offrent néanmoins une vue d’ensemble de la pensée africaine sur l’éducation. ’est ce regard de mise en lien que nous proposons ici, afin de décrire l’ambiance générale dans laquelle s’inscrivent les quêtes africaines d’un nouvel ordre de l’éducation à l’heure actuelle.

2.4. 1─ Deux pôles d’une trame Depuis L’aventure ambigüe de C. H. KANE (1961) jusqu’à la parution en 2004 du livre de M. NDONGMO, Education scolaire et lien social en Afrique, il ya eu une plage de temps suffisamment grande pour prendre la mesure de la problématique dans la pensée africaine. Ces deux ouvrages constituent à notre sens, deux pôles fondamentaux à partir desquels on peut comprendre la trame de grandes idées directrices de la recherche africaine en matière éducative. C. H. KANE dans son aventure ambigüe, fonde une problématique, la pose comme défi et l’impose comme un repère pour les générations futures. Il s’agit de la problématique de deux mondes, (l’africain et l’occidental) et des choix cruciaux que l’Afrique doit faire pour relever le défi du choc ainsi subi. Quant au livre de M. NDONGMO, professeur à la faculté de théologie à l’université catholique d’Afrique centrale, il se présente comme la synthèse la plus claire des débats et la tentative théorique la plus convaincante, qui ouvre la voie aux solutions les plus fécondes. C.H. KANE dans son aventure ambigüe, avait tracé le cadre de l’affrontement entre l’Occident et l’Afrique au plan de l’éducation. Selon lui, d’un côté fulminait, une philosophie de la puissance et de la domination, qui ambitionnait de soumettre l’africain et la nature de son génie. Mais aussi, de structurer la réalité selon ses vues et d’imposer un ordre nouveau de la mesure et du calcul, garanti par une foi inébranlable dans une mission civilisatrice de droit divin. De l’autre côté, brillait la lumière d’une sagesse déclinante, vaincue, désemparée, qui

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croyait en un ordre de la justice, où l’on ne peut "vaincre sans avoir raison", et qui avait foi dans l’ordre de la rencontre et de la solidarité garanti par un monde invisible. Elle avait confiance dans l’humanité de l’homme et n’imaginait pas que celui-ci puisse être selon l’expression du philosophe Thomas HOBBES "un loup pour son semblable".

Là où C. H. KANE cherchait à savoir pourquoi les africains ont été vaincus par les occidentaux ; là où il soupesait les choses en voulant comprendre si ce que les africains perdaient en abandonnant leur monde, valait ce qu’ils gagnaient à s’intégrer dans le monde de l’occident, M. NDONGMO indique que l’horizon nouveau n’a qu’une question essentielle : comment construire un monde nouveau à partir d’une éducation nouvelle ? Là où C. H. KANE plongeait son héro Samba Diallo, dans un désarroi métaphysique et un délire anthropologique des tensions vitales qui le conduiront à la mort, M. NDONGMO abandonne l’allégorie littéraire pour regarder les défis et les impératifs selon une vision à la fois philosophique, éthiques et pragmatiques des problèmes éducatifs que connait l’Afrique à l’heure actuelle. Aux yeux de M. NDONGMO, ces défis et impératifs sont clairs : ils concernent l’invention de nouvelles modalités des rapports des africains à l’africanité et à l’occidentalité pour réimaginer l’humanité en tant que dynamique profonde de leur vie. Ainsi, la question de l’éducation et de l’école où elle se concentre, devient alors, pour lui, celle relative à la dynamique de la mémoire vitale des africains et de leur inscription dans le destin actuel du monde pour inventer l’avenir ; qu’il formule ainsi : Comment l’éducation en Afrique peutelle devenir un lieu de transmission culturelle pourvoyeuse d’un enracinement et d’une originalité et en même temps qu’elle promeut un esprit de créativité et d’inventivité ? Comment l’école d’aujourd’hui en Afrique peut-elle promouvoir une culture qui introduise les jeunes dans l’ère de la modernité avec la mentalité scientifique et technologique sans pour autant les couper de ce qui fait encore la spécificité de leur culture ?Autrement dit, comment l’école en Afrique peut-elle refaire le tissu social en exaltant à la fois la solidarité, cette vertu chère à l’africain, sans pour autant compromettre la capacité de créativité et d’initiative propre à chaque personne ? On voit chez M. NDONGMO qu’il ya un désir de transformation radicale de la question de l’éducation depuis les indépendances jusqu’à l’actuel défi de la mondialisation néo-libérale.

79


2.4.2─ Forces de remise en question Dans son livre, De la médiocrité à l’excellence, (1970) le philosophe Camerounais Ebénezer NJOH MOUELLE posait sur la société africaine un regard critique, en même temps qu’il soumettait à la critique la modernité triomphante dont il interroge les forces du sens. La question centrale qu’il posait était celle du développement comme réalité nouvelle face à laquelle il était impérieux de penser et d’orienter le système éducatif en Afrique. Avec son regard de philosophe très critique face à l’imaginaire social africain, E. N. MOUELLE, avait vite constaté qu’il y avait méprise sur la signification même du développement. Pour le commun des mortels, tout s’orientait vers l’accumulation des choses : automobiles pour tous, réfrigérateurs, machines à tout faire, etc. La perspective était ainsi purement économique, quantitative, avec ce que cela impose à l’africain comme conscience de privations, c’est-à-dire, de sous-développement. Rompant avec cette vision, E. N. MOUELLE a voulu situer le développement à un autre niveau, plus profond et plus décisif : l’avènement de l’homme créateur. Avec cette vision, il définit la finalité d’un vaste processus social dans lequel l’Afrique devait s’engager pour se construire une destinée nouvelle dans la modernité. Il ne s’agissait plus de quitter le monde des privations matérielles pour un monde d’accumulations des choses, pour la civilisation de pacotille dont parle Paul RICOEUR, mais de construire une nouvelle mentalité : celle de l’excellence. Sortir de la médiocrité pour viser l’excellence créative, tel est l’enjeu du développement. L’enjeu pour lequel l’éducation devient une nouvelle route dans la destinée des africains. Selon le philosophe, dans le saut à faire de la médiocrité à l’excellence, il y a plusieurs réalités à promouvoir : le souci de la liberté politique, la dynamisation des capacités organisationnelles, la vitalisation de toutes les richesses humaines pour bâtir une société de créativité. Le développement devient ainsi un processus complet, qui déborde l’économique pour recouvrir l’éducationnel et le culturel. Ainsi défini, il est le grand dessein en fonction duquel il faut penser l’éducation et les systèmes d’enseignement. On peut alors se poser la question suivante : l’école en Afrique a-t-elle suivie cette voie ? La réponse la plus probable à cette question est "non" ; et c’est malheureusement là que se situe le drame de l’éducation dans les pays africains. Pour E. N. MOUELLE, le temps est venu de repenser toutes l’anthropologie et toutes les politiques des systèmes scolaires et éducatifs des pays africains sur la base philosophique qu’il a dégagée avec éclat.

80


Il s’agit de le faire non pas en s’enfermant dans une réflexion purement théorique, mais en ayant en esprit la question fondamentale que pose Marcus NDONGMO : comment allons-nous faire concrètement ? A regarder de plus près les choses, l’apport le plus décisif à la problématique de l’éducation en Afrique n’est pas, chez Ebénezer NJOH MOUELLE, dans les réponses qu’ils proposent face à l’avenir. Il se trouve dans son originalité quant à la formulation de la question de fond. D’autres auteurs ont tenté de donner des réponses plus concrètes et plus pragmatiques, selon des registres que nous allons mettre en lumière dans la section qui va suivre.

2.4.3 ─ Registres pour des changements à réaliser Dans l’ouvrage 20 défis pour le millénaire (2000), sous la direction de Gervais MENDO ZE, la préoccupation d’une société rationnelle est très présente, mais cette société est aussi vue comme une société éthique et spirituelle, préoccupée par le souci de convergence des civilisations vers la création d’une nouvelle culture pour l’homme. L’éducation est ainsi perçue comme une dynamique éthico-spiritualo-rationnelle qui donne à la personne et à la société une orientation globale, une vision pour transformer l’ordre des habitudes des africains. On est ici dans la recherche des valeurs, des principes de foi vitaux et des rationalités fondamentales qui constitueraient des ancrages pour organiser la vie : un nouvel ordre de l’être pour toute l’humanité. En effet, selon G.M. ZE, le premier registre pour reformer les systèmes éducatifs, c’est celui de la maitrise de la tradition africaine qui selon lui, doit être réinventer en la débarrassant des archaïsmes coutumiers et des atavismes inféconds. Ceci, afin que l’africain retrouve sa vraie richesse créative de son mode de pensées, sa manière d’être et de son art de vivre. Le deuxième registre d’action, c’est celui qu’il nomme l’urgence de la pensée, c’est-àdire la promotion d’une société où la raison, la réflexion, la capacité de comprendre et d’analyser les situations par soi-même parviennent à imprimer de nouveaux modes d’être et des choix rationnels pour développer la société. Le troisième registre, c’est celui de l’organisation : s’organiser pour mettre sur pieds des institutions efficaces ; s’organiser pour faire fonctionner des structures éducatives compétitives; s’organiser pour que les stratégies éducatives soient pensées de façon endogènes et assumer dans toute la fécondité de leur rentabilité intellectuelle, éthique et technoscientifique, à partir de leurs intérêts et de leurs

81


espérances. C’est justement dans ce sens que s’oriente toute la réflexion de Joseph KIZERBO dans son ouvrage Eduquer ou périr, (1990). Ambroise KOM a lui aussi consacré dans son livre Education et démocratie en Afrique, (1996) cette orientation du problème. Mais, l’ouvrage qui nous parait le plus significatif en cette matière, c’est celui de JeanMarie TCHEGHO, où il définit avec clarté les exigences de l’éducation du futur. Son idée générale est d’imaginer une articulation féconde entre l’esprit de la formation traditionnelle et les impératifs de l’éducation en contexte de modernité technoscientifique et politicoéconomique, en ayant en esprit l’avenir que les africains devront construire. C’est cet avenir qui détermine la qualité qu’il leur faudra pour l’articulation entre le présent et le passé. De son point de vue, c’est conformément à ces exigences, que les africains doivent organiser leurs systèmes éducatifs en fonction d’objectifs précis tels que : la maitrise de leur environnement à leur profit comme au profit des générations et la maitrise du patrimoine mondial du savoir. Il faut aussi qu’ils l’organisent en lui donnant un cadre efficace décentralisé, où les collectivités locales s’occupent des niveaux élémentaires et primaire, tandis que le niveau secondaire relèverait de la région et le niveau supérieur de l’espace national. Selon lui, à chaque échelon, chaque structure devrait bénéficier d’une autonomie réelle pour susciter et dynamiser la concurrence fructueuse. On visera alors à chaque niveau, à donner aux apprenants à la fois le savoir, le savoir-faire et le savoir être à travers notamment des modules d’enseignement rationnellement pensés et efficacement structurés. Pour que l’articulation entre ces éléments soit possible, il faudra veiller à lier la dynamique traditionnelle de l’oralité à la dynamique moderne de l’écrit. Afin que l’école, soit le lieu où l’on est autant compétent dans le domaine de la vie quotidienne locale avec les traditions qui la nourrissent, qu’expert en savoir technique et scientifique grâce auquel l’on domine la nature et pour y construire un nouvel espace de vie.

Chapitre 3 : Equité et disparités dans le système éducatif ivoirien La question d’équité en matière d’éducation est une préoccupation cruciale tant pour les systèmes en expansion quantitative que pour les systèmes déjà stabilisés. D’abord parce que l’atteinte d’une éducation pour tous, (EPT) passe nécessairement par la mise en place d’un système éducatif inclusif, sans aucune discrimination. Ensuite, parce que si l’éducation

82


constitue un axe prioritaire dans toutes les stratégies de lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales, il parait logique que garantir une éducation équitable à tous constitue un élément important dans ce domaine. Enfin, au-delà de ces explications qui relèvent plus d’une question de justice sociale au sens de François DUBET, (donner à chacun les mêmes chances) la recherche d’une équité en éducation répond également à un objectif d’efficacité économique. Parce qu’un système non équitable ne garantit pas que les individus les plus « capables » soient ceux qui accèdent aux niveaux supérieurs. Ainsi le droit à l’accès équitable à une éducation pour tous les enfants, conduit à souhaiter que des caractéristiques telles que le sexe, le niveau de vie, le milieu de résidence ne soient pas des facteurs déterminants de la scolarisation. L’objectif de cette partie, est d'apporter une réponse aux questions essentielles suivantes : chaque enfant a-t-il les mêmes chances de scolarisation indépendamment de ses origines sociales ? Ou encore, les dépenses publiques en éducation bénéficient-elles à tous dans la même proportion ?

3.1– Des inégalités dans les scolarisations Selon la MICS (2006), environ 30% des enfants d'une génération n'ont pas accès à l'école en Côte d'ivoire. Face à ce constat, deux interrogations se posent : qui sont-ils? Et pourquoi en est-il ainsi ? La réponse à la première interrogation, nous oblige à nous intéresser aux caractéristiques géographiques et sociales de ces enfants exclus de l'école ivoirienne ; le plus souvent des filles, ruraux et plutôt issus de milieu pauvre. En ce qui concerne la seconde question, il serait notamment intéressant de savoir comment ces enfants qui n'ont pas accès à l'école sont positionnés, par rapport à l'offre de service qui leur est proposée. De façon générique, et un peu simplificatrice, notre objectif est de savoir quelle proportion de ces enfants ne va pas à l'école, parce que l'offre de service éducative qui leur est proposée, est trop éloignée du domicile familial, et quelle proportion n'a pas accès à l'école, en dépit d'une offre existant dans la proximité géographique. Car au plan de la politique éducative, cette information nous semble importante. Si ces 30% d’enfants n’ont pas accès à l’école, parce que l’école la plus proche est trop éloignée du domicile familial, dans ce cas de figure, une politique d’offre trouvant les

83


modalités organisationnelles adaptées, devrait être mise en œuvre pour combler les lacunes du système. Mais si au contraire, ceux-ci n'ont pas accès à l'école en dépit d’une offre disponible dans la proximité géographique, alors, créer uniquement de nouvelles infrastructures, ne suffira pas à résoudre le problème. Car l’école qui est offerte à ces enfants, ne rencontre pas une demande suffisante de la part de leurs familles pour qu’elles les y inscrivent. Pour traiter empiriquement ces questions, nous avons eu recours aux enquêtes de ménages menées à ce propos en Côte d'ivoire, étant donné que par nature, les données scolaires en Côte d’ivoire ne prennent pas en compte les enfants non scolarisés. Mais avec les enquêtes de ménages, qu’il s’agisse du MICS, (2006) ou du QUIBB, (2006) les informations sur l’offre de services ne sont malheureusement pas également disponibles. Nous nous sommes donc servis de l'enquête sur les conditions de vie (ENV, 2008), qui en revanche, offre des opportunités intéressantes sur ce plan. Car, elle permet de connaitre au niveau du ménage, la distance (exprimée en minutes) pour se rendre à l’école primaire la plus proche1.

Les analyses de cette enquête, ont porté sur les enfants de 9 à 11 ans, à savoir une population pour laquelle on peut être certain que si ces membres n’ont pas eu accès à l’école, ils ne vont plus y accéder. Cette population compte 4 402 jeunes dans l’enquête2 pour lesquels la distance à l’école est connue ou a pu être estimée. Au sein de cette population, 72 % de ces enfants ont eu accès à l’école (ils peuvent l’avoir éventuellement quittée depuis) contre 28 % qui n’y ont pas eu accès (des chiffres proches de ceux retenus ci-dessus). Le tableau III.1 donne pour chaque niveau d’éducation, la répartition des jeunes de 5 à 24 ans par genre, localisation et niveau de vie y compris.

Tableau III.1 : Distribution sociale des 5 -24 ans aux différents niveaux d’éducation

1

.Cette information était malheureusement lacunaire pour environ 20 % des ménages ayant des enfants en âge scolaire. Ceci n’aurait pas été grave si ces données manquantes étaient réparties de manière aléatoire dans l’échantillon pour ce qui est de la scolarisation. Mais il s’est avéré que la proportion d’enfants qui ont accès à l’école était significativement plus basse chez ces ménages pour lesquels la distance à l’école n’était pas renseignée. Une activité méticuleuse d’estimation des informations manquantes a été mise en œuvre en se fondant notamment sur la grappe d’appartenance dans la procédure d’échantillonnage. Ceci a permit de recoder avec des risques d’erreur minimes une partie importante des informations manquantes et donc de faire l’analyse sur une base d’informations raisonnablement fiable quasi complète. 2 .Valeur après utilisation des coefficients de pondération de l’enquête, propres à assurer la représentativité nationale des analyses.

84


Secondaire1 Secondaire2 (%) (%)

Supérieur

% dans la population

Non scolarisé (%)

Primaire (%)

Garçons

50,5

43

53

60

62

67

Fille

49,5

57

47

40

38

33

Urbain

44

33

44

61

77

95

Rural

56

67

56

39

23

5

Q1 le + pauvre

19

29

15

7

2

0,9

Q2

19

22

20

13

8

0,3

Q3

20

21

21

19

9

5,3

Q4

21

17

23

25

23

11,8

Q5, le + riche

21

11

21

36

58

81,8

(%)

Genre

Localisation

Quintile de revenu

Rapport des chances Garçons/filles

1

1,11

1,47

1,60

1,99

Urbains/ruraux

1

1,00

1,99

4,26

24,18

(Q4+Q5)/(Q1+Q2)

1

1,14

2,76

7,33

70,57

Source : calcul des auteurs à partir des données MICS 2006

Trois observations principales résultent des données contenues dans ce tableau : 

Pour chacune des dimensions sociales considérées, il existe des disparités de scolarisation. Par exemple, on trouve plus du double de garçons que de filles dans l’enseignement supérieur. De même, les urbains représentent les trois quarts des effectifs scolarisés au second cycle secondaire alors qu’ils sont en fait minoritaires dans la population du pays. Par ailleurs, dès le premier cycle secondaire, on observe que les jeunes issus du quintile de revenu le plus pauvre ne représentent que 7 % des effectifs alors que, ceux qui sont issus du quintile le plus riche comptent pour 36 % des effectifs scolarisés.

85


Ces disparités existent en général dès le niveau primaire, mais surtout, elles se creusent de façon très sensible au fur et à mesure qu’on considère des niveaux éducatifs plus élevés. A titre d’illustration, la part des urbains est de 44 % au niveau primaire (un chiffre comparable à la représentation de ce groupe dans la population) alors qu’elle est de 61 % au premier cycle secondaire et de 77 % au second cycle.

Les disparités selon le genre sont certes tout à fait significatives, mais celles selon le milieu géographique et surtout selon le niveau de richesse familiale sont d’une intensité beaucoup plus grande. Par exemple au niveau du second cycle secondaire on trouve 60 % de plus de garçons que de filles, mais 3 fois plus d’urbains que de ruraux et plus de 6 fois plus de jeunes issus de milieu aisé (les deux plus hauts quintiles de revenu) que de milieu défavorisés (les deux quintiles les plus pauvres de la population.

Cette structuration globale des disparités sociales dans l’ensemble du système peut être d’une part, abordée de manière plus synthétique sur la base du calcul du rapport des chances relatives de scolarisation au sein de chaque groupe social. Et d’autre part en se situant à chacun des niveaux éducatifs. La chance d’accès est le rapport entre la représentation d’une catégorie à un niveau éducatif donné et sa représentation au sein de la population nationale. Et l’indicateur des chances relatives pour une dimension sociale donnée, et à un niveau éducatif donné, est le rapport entre les chances du groupe favorisé (garçons, urbains, riches) et du groupe défavorisé (filles, ruraux, pauvres). Cette statistique des chances relatives est proposée dans la partie basse du tableau III.1. On retrouve de façon claire les trois points évoqués cidessus et notamment ; la croissance des inégalités sociales avec le niveau éducatif1(avec des inégalités relatives qui sont relativement moins accentuées au primaire); et un poids très fort de le la dimension géographique (ici dans l’opposition rural/urbain) et davantage encore de la dimension de la richesse du ménage.

3.1.2 ─ Disparités au niveau du préscolaire Les écoles préscolaires sont dans une certaine mesure concentrées dans l’agglomération d’Abidjan, DREN d’Abidjan 1 et d’Abidjan 2 ; elles cumulent à elles seules, plus de la moitié 1

.Ces inégalités se creusent fortement d’une part, parce que la couverture quantitative se rétrécit au fur et à mesure qu’on monte dans les échelons du système et d’autre part, parce que cette concurrence est plus favorable à certains qu’à d’autres.

86


des établissements préscolaires et près de 60% des enfants inscrits dans ce niveau d’éducation. Même si Abidjan concentre aussi une proportion significative de la population urbaine du pays, il reste que les chances de scolarisation des enfants au niveau préscolaire sont sensiblement plus fortes dans la ville principale que dans le reste du pays. L’analyse de l’enquête de ménages MICS, (2006) confirme que les chances de préscolarisation sont beaucoup plus fortes en milieu urbain que rural, et beaucoup plus fortes aussi à Abidjan que dans les autres villes du pays. L’analyse de cette enquête souligne par ailleurs que plus de 80 % des enfants de la classe d’âge de 3 à 5 ans fréquentant le préscolaire en 2006 vivaient dans des ménages plutôt aisés (4ème et 5ème quintiles de revenu). Seulement 1,3 % de ces enfants vivaient dans un dans un ménage appartenant au quintile le plus pauvre. La proportion équilibrée des garçons et des filles est sans doute associée au fait que la préscolarisation est surtout le fait de ménages aisés. Au total, dans la situation actuelle, le préscolaire apparait donc surtout un phénomène urbain qui bénéficie beaucoup plus que proportionnellement aux segments aisés de la population. Ceci tient notamment au fait qu’une partie significative de l’offre est privée et que les frais de scolarité restent élevés dans les structures publiques. On constate qu’en référence aux objectifs établis au forum de Dakar, (avril 2000) qui cite un ciblage sur les populations les plus vulnérables, que des évolutions sont souhaitables pour compléter l’offre existante dans la perspective de toucher ces populations vulnérables. Celles-ci, plutôt que d’être riches et urbaines sont pauvres et principalement rurales. Le tableau III.2, présente la distribution des établissements et des élèves du niveau préscolaire entre les différentes directions régionales du pays.

Tableau III.2 : Répartition des établissements et des effectifs du préscolaire selon la DREN

Etablissements

Elèves

DREN Effectif

%

Effectif

%

% de filles

Abengourou

83

4,1

1 906

4,2

51,3

Abidjan 1

552

27,2

12 785

28,2

49,4

Abidjan 2

575

28,3

13 947

30,8

48,4

Agboville

60

3,0

1 115

2,5

49,1

Bondoukou

70

3,4

1 414

3,1

51,4

87


Bouaké

160

7,9

2 157

4,8

50,1

Daloa

66

3,2

1 760

3,9

48,5

Dimbokro

47

2,3

956

2,1

50,8

Gagnoa

50

2,5

1 061

2,3

45,6

Korhogo

60

3,0

1 922

4,2

49,6

Man

129

6,3

2 199

4,9

50,2

Odienné

26

1,3

464

1,0

53,9

San Pedro

70

3,4

1 662

3,7

51,2

Yamoussoukro

84

4,1

1 956

4,3

45,9

2 032

100,0

45 304

100,0

49,2

Ensemble du pays

Source : DIPES

3.1.3 ─ Disparités au niveau du primaire et de l’enseignement secondaire général Nous allons ici, examiner successivement, les disparités selon le genre, le milieu géographique (urbain/rural), celles selon le niveau de revenu des ménages, mais aussi les disparités entre les différentes régions du pays. En ce qui concerne les disparités selon le genre, le graphique III.1 présente la probabilité pour un individu d’atteindre un niveau donné d’enseignement selon son sexe. La situation des garçons apparait clairement meilleure que celle des filles. Ainsi par exemple, une fille a 66 % de chances d’avoir accès à l’école contre 76 % pour un garçon. Des actions (plutôt en terme de demande, car garçons et filles sont théoriquement exposées à une offre scolaire comparable) sont donc probablement à considérer au niveau de l’accès à l’école.

Graphique III.1 : Profil de scolarisation simulé selon le genre : enseignement général

88


80%

76% fille

70% 60%

garçon

66%

52%

50%

44%

40%

30%

39%

30%

28%

31%

20%

21%

10%

16%

14%

9%

0% accès au primaire

achèvement du accès au achèvement du accès au achèvement du primaire secondaire 1 secondaire 1 secondaire 2 secondaire 2

Source : à partir des données de l’enquête MICS 2006

A partir de l’accès, l’écart en points de pourcentage s’accentue seulement un peu au cours de la carrière scolaire, mais cela ne signifie nullement que des disparités nouvelles ne se sédimentent pas dans le système. En effet, il est pertinent de reconstruire le processus de génération des inégalités sur la base du rapport garçons filles en identifiant bien les mécanismes intervenant aux différentes étapes de la carrière scolaire. Le tableau III.3, ciaprès, présente les principaux chiffres caractéristiques des disparités selon le genre et leur processus temporel d’accumulation.

Tableau III.3. : La génération des disparités entre genre dans le système

Accès Rétention Achèvement Transition primaire Primaire primaire Prim-Sec 1

Accès Sec 1

Rétention Achèvement Transition Sec 1 Sec 1 Sec 1-Sec 2

Accès Sec 2

Rétention Achèvement Sec 2 Sec 2

Garçons

76

0,684

52

0,846

44

0,682

30

0,933

28

0,750

21

Filles

66

0,591

39

0,795

31

0,516

16

0,875

14

0,643

9

1,15

1,16

1,33

1,06

1,42

1,32

1,88

1,07

2,00

1,17

2,33

G/F

Source : à partir des données de l’enquête MICS 2006

Ces chiffres montrent qu’au-delà de l’accès en première année primaire, les filles sont en retard sur les garçons dans chacun des segments du système. Mais ce sont surtout les rétentions à l’intérieur des différents cycles d’enseignement (en particulier le premier cycle secondaire) qui sont responsables de ces différenciations selon le genre. Certes, les transitions entre cycles sont aussi défavorables aux filles, néanmoins, elles pèsent d’un poids moindre.

89


En ce qui concerne les disparités selon le milieu de résidence, il existe une disparité beaucoup plus forte que celle selon le sexe en matière d’accès à l’éducation. Le graphique III.2 présente une simulation, à partir de l’enquête MICS 2006, des probabilités d’accès aux différents niveaux de l’enseignement général selon le milieu de résidence. Il en ressort une forte inégalité en faveur du milieu urbain. L’écart entre les chances d’accéder à un niveau d’instruction selon le milieu de résidence augmente de façon générale avec le niveau. On passe ainsi d’un écart de 14 points à l’accès au premier niveau du primaire à 18 points à l’achèvement du primaire et à 20 points en fin de secondaire.

Graphique III.2 : Profil de scolarisation selon le milieu de résidence : enseignement général

90% 80%

rural

79%

urbain

70% 60%

55%

65%

50%

47%

40%

31%

37%

30%

31% 24%

28%

20% 10%

14%

0% accès au primaire

achèvement du primaire

accès au secondaire 1

achèvement du secondaire 1

8% accès au secondaire 2

4% achèvement du secondaire 2

Source : à partir des données de l’enquête MICS 2006

Notre interprétation suit une démarche comparable à celle suivie pour l’analyse des disparités selon le genre. Le tableau III.4 présente les données caractéristiques de la génération des disparités de scolarisation selon le milieu géographique sur l’ensemble de la carrière scolaire.

Tableau III.4. : La génération des disparités urbain/rural dans le système

Accès Rétention Achèvement Transition primaire Primaire primaire Prim-Sec 1

Accès Sec 1

Rétention Achèvement Transition Sec 1 Sec 1 Sec 1-Sec 2

90

Accès Sec 2

Rétention Achèvement Sec 2 Sec 2


Urbain

79

0,696

55

0,855

47

0,660

31

1,000

31

0,774

24

Rural

65

0,569

37

0,757

28

0,500

14

0,571

8

0,500

4

1,22

1,22

1,49

1,13

1,68

1,32

2,21

1,75

3,88

1,55

6,00

Urbain/rural

Source : Idem, à partir des données de l’enquête MICS 2006

Les chiffres estimés soulignent que si les différences continuent comme celles des disparités selon le genre à se construire dans la rétention à l’intérieur des différents cycles d’études (notamment en primaire et en particulier dans le second cycle). les transitions entre cycles seront plus importantes, en particulier pour ce qui est de celle entre les deux cycles secondaires. Il serait donc intéressant d’explorer les raisons à l’origine de ces chiffres, même si on peut à priori penser à des facteurs d’offre scolaire en ce qui concerne la question des transitions entre cycles. Quant aux disparités selon le niveau de revenu des ménages, comme nous l'avions précédemment noté dans l’analyse globale, le niveau de vie semble être l’un des éléments les plus discriminants dans la scolarisation. Un écart énorme existe entre le groupe le plus favorisé et celui le moins favorisé en matière de chances d’accès aux différents niveaux de l’enseignement. Dès l’accès à l’enseignement primaire, l’écart est de 38 points. Les enfants vivant dans les ménages appartenant au quintile le plus pauvres de la population ont très peu de chance (5 sur 100) d’achever le premier cycle secondaire et n’en ont pratiquement aucune d’achever le secondaire 2 (1 sur 100). A l’opposé les enfants issus de la couche la plus favorisée ont une probabilité d’achèvement du secondaire 1 de 43 % et une chance sur trois d’achever le secondaire 2.

Graphique III.3 : Profil de scolarisation selon le niveau de richesse : enseignement général

100%

89%

1er quintile 2ème quintile

80%

3ème quintile

63%

4ème quintile

56%

60%

5ème quintile

43% 40%

43%

51%

34%

20%

21%

16% 5%

0% accès au primaire

achèvement du primaire

accès au secondaire 1

91

achèvement du secondaire 1

3% accès au secondaire 2

1% achèvement du secondaire 2


Source : à partir des données de l’enquête MICS 2006

Le tableau III.5, propose les données pour la reconstruction temporelle du processus de génération des disparités selon le niveau de richesse.

Tableau III.5 : La génération des disparités selon le niveau de richesse dans le système

Accès Rétention Achèvement Transition primaire Primaire primaire Prim-Sec 1

Accès Sec 1

Rétention Achèvement Transition Sec 1 Sec 1 Sec 1-Sec 2

Accès Sec 2

Rétention Achèvement Sec 2 Sec 2

Q5 + riches

89

0,708

63

0,889

56

0,768

43

0,791

34

1,000

34

Q1 + pauvres

51

0,412

21

0,762

16

0,313

5

0,600

3

0,333

1

Q5/Q1

1,75

1,72

3,00

1,17

3,50

2,46

8,60

1,32

11,33

3,00

34,00

Source : à partir des données de l’enquête MICS 2006

Les écarts selon le quintile de richesse de la famille se construisent bien dès l’accès à l’école, mais ils s‘approfondissent beaucoup ensuite. On aurait sans doute pu penser pour les disparités selon cette variable que les transitions joueraient un rôle important dans le processus temporelle ; mais c’est en fait (et de loin) la rétention en cours de chacun des cycles d’études qui pèse du plus grand poids. Ceci est vrai de chacun des trois cycles, mais l’intensité du handicap des jeunes de milieu social défavorisé en cours d’études est croissante avec le niveau d’enseignement (1,72 en cours de primaire, 2,46 en cours de premier cycle secondaire et 3,00 en cours de second cycle). Au total pour ce qui est des disparités sociales, tant celles relatives au genre, qu’au milieu géographique et au niveau de revenu, on note que c’est davantage en cours de cycle (renvoyant donc probablement au fonctionnement des structures éducatives) qu’entre cycles (qui reverraient davantage à des questions de carte scolaire) que se génèrent ces différences dans le système éducatif ivoirien dans la période récente.

Et enfin pour ce qui concerne les disparités régionales, au-delà des différenciations tenant à telle ou telle caractéristique sociale attachée aux individus et à leur famille (genre, milieu de résidence et niveau de richesse), la région peut aussi faire des différences. Bien sur, toutes les régions ne sont identiques quant à la distribution des populations selon leurs caractéristiques

92


sociales (milieu géographique et niveau de richesse, mais pas le genre qui est à priori bien distribué dans les différentes régions) si bien qu’il y a des interactions entre région et variables sociales (comme il y en a aussi entre les variables sociales et notamment le milieu géographique et le niveau de richesse). Cela ne réduit pas l’utilité à analyser l’influence de ces groupements de façon séparée et uni variée ; mais cela suggère l’utilité qu’il y aurait à adopter une perspective analytique intégrant ensemble les différentes variables qui structurent les inégalités sociales, de sorte à identifier leurs effets spécifique.

De façon globale, les disparités régionales sont assez accentuées dans les scolarisations en Côte-d’Ivoire. Dès l’accès au primaire, les différences sont importantes avec un taux estimé à 83 % à Abidjan (et la région Sud) et dans la région Centre Ouest mais seulement de 35 % dans la région Nord et 41 % dans celle du Nord Ouest. Comme pour les autres variables de segmentation, les disparités régions se creusent (vite) lorsqu’on monte dans les échelons du système éducatif. Ceci peut se voir dans la dernière ligne du tableau VI.6 où est calculé le rapport entre les régions extrêmes ; cette statistique vaut 2,37 au niveau de l’accès en primaire, atteindre 3,06 dans l’accès au premier cycle secondaire et atteindre 5,67 dans l’accès au second cycle. Cela peut s’apprécier aussi de façon directe en comparant en ciblant par exemple la région du Nord Ouest et Abidjan. Dans l’accès au primaire, un jeune a deux fois plus de chances d’accéder à l’école à Abidjan que dans la région du Centre Ouest. Mais en fin de secondaire, le jeune d’Abidjan a cette fois près de six fois plus de chances d’arriver à ce niveau que son compatriote du Nord Ouest. Le tableau III.6, propose les informations de base sur l’ensemble de l’enseignement général, dans une approche descriptive régionale. Tableau III.6 : Probabilités d’accès aux différents niveaux d’études selon la région (%)

Accès au

Achèvement

Accès au

Achèvement

Primaire

Secondaire 2

Secondaire2

Centre

29

22

16

31

16

10

6

29

26

14

8

2

72

50

45

28

19

11

84

59

47

23

19

12

du Primaire

Accès au Secondaire 1

Achèvement Secondaire 1

77

49

41

Centre Nord

60

35

Nord Est

54

Centre Est Sud (sans Abidjan)

Région

93


Sud Ouest

68

44

33

22

15

8

Centre Ouest

83

55

45

30

24

15

Ouest

69

25

16

9

11

6

Nord Ouest

41

19

19

6

6

1

Nord

35

31

24

10

13

5

Abidjan ville

83

57

49

32

34

30

2,37

3,00

3,06

5,33

5,67

30

Rapport régions extrêmes

Source : à partir de MICS 2006

Là encore, il est intéressant d’aller au delà de ces données brutes pour identifier les mécanismes sous-jacents qui rendent compte des spécificités de telle ou telle région. Dans cette perspective, le tableau III.7 a été construit dans le même esprit que ceux produits pour analyser le processus temporel de génération des disparités sociales.

Tableau III.7 : La génération des disparités dans les différentes régions dans le système Accès Rétention Achèvement Transition primaire Primaire primaire Prim-Sec 1

Région

Accès Sec 1

Rétention Achèvement Transition Sec 1 Sec 1 Sec 1-Sec 2

Accès Sec 2

Rétention Achèvement Sec 2 Sec 2

Centre

77

0,636

49

0,837

41

0,707

29

0,759

22

0,727

16

Centre Nord

60

0,583

35

0,886

31

0,516

16

0,625

10

0,600

6

Nord Est

54

0,537

29

0,897

26

0,538

14

0,571

8

0,250

2

Centre Est

72

0,694

50

0,900

45

0,622

28

0,679

19

0,579

11

Sud (hors Abidjan)

84

0,702

59

0,797

47

0,489

23

0,826

19

0,632

12

Sud Ouest

68

0,647

44

0,750

33

0,667

22

0,682

15

0,533

8

Centre Ouest

83

0,663

55

0,818

45

0,667

30

0,800

24

0,625

15

Ouest

69

0,362

25

0,640

16

0,563

9

1,222

11

0,545

6

Nord Ouest

41

0,463

19

1,000

19

0,316

6

1,000

6

0,167

1

Nord

35

0,886

31

0,774

24

0,417

10

1,300

13

0,385

5

Abidjan (ville)

83

0,687

57

0,860

49

0,653

32

1,063

34

0,882

30

Source : MICS (2006)

94


Les chiffres marqués en caractère gras dans le tableau identifient les situations les plus difficiles : les régions du Nord-ouest et du Nord (et complémentairement celle du Nord-est) pour l’accès à l’école primaire. Les régions de l’Ouest, du Nord-ouest et complémentairement celle du Nord-est pour la rétention en cours de cycle primaire ; la région Ouest pour la transition entre le primaire t le 1er cycle secondaire ; les régions du Nord-ouest, du Nord et du Sud (hors Abidjan) pour la rétention en cours de 1er cycle secondaire ; les régions du Nord-est et du Centre-nord pour la transition entre les deux cycles de l’enseignement secondaire. Les régions du Nord-Ouest, du Nord-est et du Nord pour la rétention en cours de 2nd cycle secondaire. Même si cette analyse est intéressante en ce qu’elle permet de décrire certains points de faiblesse dans le système (telle région et tel mécanisme), elle demanderait bien sur à être confortée par des travaux complémentaires notamment pour identifier l’influence des facteurs d’offre ou de demande pour rende compte de ces spécificités. Cette distinction étant essentielle dans une perspective d’action. Par exemple, pour l’accès (et pour les transitions), est-ce qu’un faible chiffre tient à l’existence trop lointaine de la structure la plus proche (problème d’offre) ou bien à une réticence des familles à scolariser leurs enfants en dépit de la disponibilité d’une offre à distance raisonnable.

De même, dans quelle mesure une rétention faible tient-elle à des difficultés en matière d’offre scolaire (notamment discontinuité éducation et impossibilité pour les élèves de poursuivre leurs études jusqu’au terme du cycle), à une qualité inappropriée des services éducatifs. Ou bien encore à des contraintes économiques des familles (couts d’opportunité et pauvreté, facteurs du côté de la demande). Ces analyses n’ont pas pu être menées d’une part en raison de l’impossibilité d’analyser les données de l’ENV, (2008) et d’autre part de l’indisponibilité des données scolaires fiables et récentes au niveau des écoles nationales sur deux années scolaires consécutives.

3.1.4 ─ Les disparités dans l’enseignement technique et de la formation Professionnelle Globalement, l’effectif des filles dans l'ETFP a connu une augmentation significative au cours des 15 dernières années. De façon globale, la proportion des filles est passée de 41 % en 1992-93 à 48 % en 2006-07. Dans le secteur agricole, il n’y a pratiquement pas de filles dans

95


les rares formations qui existent. Dans le secteur industriel, 15 % des effectifs sont des filles. Alors que dans le secteur des services, les filles représentent 61% des effectifs. Nous allons à présent, examiner la prise en compte simultanée des différentes dimensions sociales dans les chances d’achèvement du cycle primaire, paramètre cible important, à considérer dans la perspective de la scolarisation primaire universelle. Le tableau III.8 présente une sélection de simulations opérées sur la base d’une modélisation logistique de la probabilité d’achever le cycle primaire réalisée sur les données du MICS, (2006). Seules sont prises en compte les régions d’Abidjan et de l’Ouest qui correspondent aux deux contextes régionaux globalement les plus différenciés au sein du territoire national. Tableau III.8 : Simulation du taux d’achèvement du primaire selon le genre, le milieu Géographique, le niveau de revenu et la région, (cas extrêmes) Genre

Milieu géographique

Quintile de revenu

Région

Q5 + Riche Garçon

Probabilité d’achèvement 0,78

Urbain Q1 + Pauvre

0,56 Abidjan

Fille

Q5 + Riche

0,70

Q1 + Pauvre

0,45

Q5 + Riche

0,58

Q1 + Pauvre

0,33

Q5 + Riche

0,53

Urbain

Urbain Garçon Rural Q1 + Pauvre

0,27 Ouest

Q5 + Riche

0,47

Q1 + Pauvre

0,23

Q5 + Riche

0,28

Q1 + Pauvre

0,19

Urbain Fille Rural

Source : A partir des données MICS (2006)

On retrouve dans ces simulations multi variées les éléments identifiés dans les analyses conduites précédemment sur les différents facteurs. Mais on a ici une perspective qui articule leurs effets (qui ne s’ajoutent pas du fait des corrélations existant entre ces facteurs). Les 96


simulations font état d’une plage très large de la valeur estimée du taux d’achèvement du primaire selon les combinaisons choisies, de 19 % pour les filles rurales pauvres de la région Ouest à 78 % pour les garçons urbains riches de la ville d’Abidjan. Entre ces deux situations extrêmes, les valeurs s’échelonnent, sachant que si la différenciation entre les deux régions considérées est bien prégnante, un garçon urbain riche de la région de l’Ouest (ils ne sont sans doute pas très nombreux), présente tout de même une probabilité d’achèvement du cycle primaire (58 %) qui dépasse celle d’un garçon pauvre d’Abidjan (plus encore celle d’une fille pauvre de cette même ville).

3.2 ─ Analyse de l’équité dans la répartition des ressources publiques en éducation L’objectif de cette analyse est de démontrer que, le fait d'avoir été scolarisé, les individus accumulent des ressources publiques, et encore plus, lorsqu'ils le restent longtemps. Ce qui entraine, un accès à des niveaux éducatifs caractérisés par des couts unitaires plus élevés. Cela va leur permettre, de s’approprier le long de leur scolarité, un certain volume de ressources publiques. Par contre, ceux qui n’ont pas accès à l’école, ne bénéficient d’aucune des ressources publiques allouées par le Gouvernement, en matière d'éducation. Il s’ensuit logiquement que, la répartition des ressources publiques en éducation au sein d’une génération d’enfants, va dépendre d’une part, de la répartition du niveau terminal de scolarisation (et éventuellement des disparités sur ce plan entre les différents groupes constitutifs de la population). Et d'autre part, de la structure des dépenses publiques par élève aux différents niveaux d’enseignement. Dans cette approche, nous distinguons deux niveaux complémentaires d’analyse : 

le premier niveau, dit structurel, tient à la distribution des scolarisations terminales par niveau d’études d’une part, et à la structure des dépenses publiques par élève d’autre part. A ce niveau d’analyse, on ne fait référence ni aux caractéristiques personnelles ni à l’appartenance à un groupe social ou géographique de ceux qui ont des scolarités plus ou moins longues ou plus ou moins réussies. Dans cette acception, on conçoit que plus large est la proportion de la classe d’âge qui a accès à l’école primaire, et plus faible est la croissance des couts unitaires avec le niveau éducatif, moins

97


structurellement inégale sera la répartition des crédits publics mis à disposition du système d’enseignement. Par contre, plus forte est la proportion de la classe d’âge qui n’a pas accès à l’école, et plus élevés, en termes relatifs, sont les couts unitaires des niveaux élevés du système (par rapport à ceux des premiers niveaux d’enseignement), au bénéfice donc du petit nombre qui y a accès, plus inégale, sur un plan structurel, aura tendance à être la répartition des crédits publics mobilisés pour le secteur. 

le second niveau, est celui de la sélectivité sociale ; il prend les disparités structurelles comme l’enveloppe au sein de laquelle les disparités entre groupes (selon le sexe, l’origine sociale ou géographique, le revenu) dans les scolarisations vont résulter en différenciations sociales dans l’appropriation des ressources publiques mises à disposition du secteur, certains groupes pouvant obtenir plus ou moins que leur représentation numérique dans la population du pays.

Dans la partie qui va suivre, nous examinerons la dimension structurelle de la répartition des crédits publics en éducation, pour ensuite, aborder des éléments concernant la sélectivité sociale dans la répartition des ressources au sein du système éducatif ivoirien.

3.2.1 ─ Distribution structurelle des dépenses d’éducation Pour conduire cette analyse sur la base du profil de scolarisation, nous allons déterminer la distribution d’une cohorte selon le niveau terminal de scolarisation. La connaissance des couts unitaires de chaque niveau d’études va nous permettre ensuite, de définir le volume de ressources publiques accumulées à chacun de ces niveaux de scolarisation. Pour ce faire, nous allons utiliser les données de scolarisation transversales de 2007-08 du MEN correspondants aux niveaux de sortie du système en lieu et place de données longitudinales (données de cohorte d’enfants). Ce qui nous amène à faire l’hypothèse que ces données peuvent être transcrites dans une perspective temporelle1, comme on peut l’observer dans le tableau III.9 ci-dessous.

1

.Lorsqu’on oppose l’utilisation des données longitudinales (quand elles sont disponibles) avec les données transversales (telles que celles utilisées ici), on observe i) que les estimations faites sur données transversales tendent plutôt à sous-estimer le degré d’inégalité existant sur les données longitudinales, mais ii) cette sousestimation est relativement modeste dans la majorité des cas.

98


Graphique III.6 : Profil de scolarisation du primaire en Côte-d’Ivoire, 2006

Taux d'accès (proportion d'une génération)

100%

X

Y

0% CP1

CP2

CE1

CE2

Classe

99

CM1

CM2


Tableau III.9 : Distribution structurelle des ressources publiques en éducation, cohorte de 100

enfants. Ressources Cohorte

Niveau

Pas d'école CP1 CP2 CE1 CE2 CM1 CM2 6ème 5ème 4ème 3ème 2nde 1ère Terminale Supérieur

Taux Niveau Final d’accès

70 68 64 59 55 46 34 31 29 23 20 18 14 10

29,6 2,4 3,9 4,8 4,6 8,6 12,3 2,3 2,0 6,1 3,4 1,9 3,7 4,2 10,1

Coûts Coûts unitaires 0 86 586 86 586 86 586 86 586 86 586 86 586 147 814 147 814 147 814 147 814 339 357 339 357 339 357 780 307

Nombre d’années

1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 4

Ressources absorbées au niveau terminal 0 86 586 173 171 259 757 346 342 432 928 519 513 667 327 815 141 962 955 1 110 769 1 450 125 1 789 482 2 128 839 5 250 068

Ressources accumulées par le groupe En % milliers total de Fcfa 0 2 087 6 684 12 546 16 001 37 405 63 692 15 549 16 384 58 451 37 655 28 132 66 390 89 001 532 319

0,0 0,2 0,7 1,3 1,6 3,8 6,5 1,6 1,7 6,0 3,8 2,9 6,8 9,1 54,2

Distribution cumulée Cohorte cumulée (%) 0 30,0 32,0 35,9 40,7 45,3 54,0 66,2 68,6 70,6 76,6 80,0 82,0 85,7 89,9 100,0

Ressources (%) 0 0,0 0,2 0,9 2,2 3,8 7,6 14,1 15,7 17,3 23,3 27,1 30,0 36,7 45,8 100,0

Source : MICS (2006)

Sur la base des données relatives aux taux d’accès aux différents niveaux du système éducatif et à celles des coûts unitaires publics attachés à chacun de ces niveaux 1, on calcule les données correspondant aux niveaux terminaux de scolarisation, ainsi que la répartition structurelle des ressources publiques en éducation qui en découle. Le graphique III.4, présente la courbe de Lorenz de la distribution structurelle des ressources publiques accumulées dans un pseudo cohorte transversale pour l’année scolaire 2007-08. Dans ce graphique, la diagonale représente la situation théorique de répartition égalitaire des ressources publiques en éducation au sein d’une cohorte, caractérisant une situation dans laquelle x % de la population bénéficie de x % des ressources publique en éducation, quel que soit x. La distribution réelle est alors d’autant plus inégalitaire que la courbe de Lorenz s’éloigne de cette diagonale.

1

. On considère ici, qu’à l’intérieur d’un cycle d’enseignement, le coût unitaire attaché à chaque niveau est égal au coût unitaire moyen dans le cycle considéré, tel qu’estimé dans le chapitre 3.

100


Tableau III. 10 : Profil de rétention pseudo longitudinal en 2007 par DREN (en %)

DREN

CP1

CP2

CE1

CE2

CM1

CM2

6ème

5ème

4ème

3ème

2nde

1ère

Tle

Abengourou

100,0

95,1

87,3

80,4

74,2

72,8

65,8

44,7

43,0

40,0

27,1

26,8

28,3

Abidjan1

100,0

92,0

79,6

64,8

54,7

50,2

36,3

39,4

44,9

57,2

45,7

43,1

64,0

Abidjan2

100,0

93,2

85,7

80,3

71,8

68,2

44,6

31,4

24,9

19,6

10,0

10,4

8,8

Agboville

100,0

88,3

75,0

66,0

54,7

47,7

30,0

26,8

24,7

23,8

11,5

9,5

7,1

Bondoukou

100,0

95,3

92,6

91,0

88,5

80,9

40,7

40,9

40,3

40,2

19,7

18,4

17,8

Bouaké

100,0

98,1

89,3

84,1

82,7

78,9

77,7

76,6

85,3

123,8

137,4

159,6

169,3

Daloa

100,0

91,1

85,2

78,7

76,1

73,4

25,1

12,2

7,0

5,5

3,3

3,3

2,5

Dimbokro

100,0

89,3

79,0

67,2

55,2

47,0

34,5

31,1

29,9

50,2

29,4

25,1

25,8

Gagnoa

100,0

91,1

83,6

72,6

64,6

60,8

74,2

68,5

61,0

90,8

61,0

77,0

79,7

Korhogo

100,0

116,6

125,6

114,4

111,8

110,4

111,6

86,4

73,6

52,2

34,4

25,8

21,9

Man

100,0

96,6

86,4

74,3

62,8

53,5

27,6

29,4

34,5

46,0

32,4

35,4

73,3

Odienné

100,0

157,9

166,2

182,5

227,7

229,1

228,8

203,1

182,8

173,0

86,1

69,9

84,0

San Pedro

100,0

77,2

59,1

46,3

32,2

24,2

13,7

13,8

14,9

14,9

9,4

8,9

9,5

Yamoussoukro

100,0

99,4

93,3

82,0

75,9

73,2

56,4

39,1

55,5

85,5

98,6

82,5

75,1

Total

100,0

94,2

85,1

75,2

66,3

60,6

41,7

35,2

33,7

37,0

24,4

23,6

25,6

Source : Calculs à partir des données de la DIPES/MEN (2006)

101


Graphique III.4 : Courbe de Lorentz de la distribution des ressources publiques en éducation

Source : Calculs à partir des données de l’enquête MICS (2006)

On constate une concentration des ressources beaucoup plus importante en Côte d’Ivoire que dans les autres pays de la sous-région en moyenne. L’indice de « Gini » qui mesure le niveau de cette concentration est de 0,691 contre 0,56 pour les pays d’Afrique francophone et 0,36 pour les pays d’Afrique anglophone. Ce qui place la Côte d’Ivoire parmi les pays les plus inéquitables de la région en termes de distribution structurelle des ressources publiques d’éducation. Le graphique III.4, permet aussi de déterminer la part de ressources consommées par les 10 % des éduqués de la cohorte. Ceux-ci sont concernés par 55 % des dépenses, les 45 % des ressources restantes étant consommée par les 90 % des moins éduqués (dont 30 % n'en bénéficient pas, car n'ayant pas accès à l’école). Ceci dénote encore de l’ampleur de la concentration des ressources à un type donné de la population. Comparativement, la part des ressources accumulées par les 10 % les plus éduquées d’une cohorte est respectivement de 44 et 33 % en Afrique francophone et anglophone.

3.2.2 ─ La sélectivité sociale dans la distribution des ressources en éducation Dans l’analyse précédente il s’agissait pour nous, d’examiner le caractère équitable ou non de la distribution des ressources entre les individus. Cette analyse nous a ainsi permis de constater qu’un petit nombre d’enfants bénéficiait d’une large part des ressources publiques éducatives en Côte d’Ivoire. Mais notre analyse ne s’est pas seulemnt intéressée au fait que

1

Un indice de 0 signifierait qu’il n’y a aucune concentration (distribution totalement équitable) et un indice de 1 signifierait une concentration maximum (toutes les ressources publiques en éducation appropriées par une seule personne).

102


ceux qui profitaient des bénéfices, appartenaient à un groupe spécifique où avaient certaines caractéristiques socio-économiques. Nous avons vu dans la section précédente l’ampleur des disparités sociales dans les scolarisations; nous allons à présent explorer leurs conséquences en termes d’appropriation des ressources publiques.

En associant la dimension sociale des scolarisations (et donc des niveaux terminaux de scolarisation) aux coûts unitaires propres à chaque cycle d’enseignement, (et aux ressources unitaires accumulées à chacun de ces niveaux terminaux) on peut déterminer quels sont les groupes de population qui bénéficient plus que d’autres des dépenses publiques allouées au secteur dans le pays. Compte tenu de la relative forte concentration structurelle des ressources publiques en éducation et des fortes disparités sociales dans les scolarisations, toutes deux documentées précédemment, on peut anticiper un niveau assez intense des disparités sociales dans l’appropriation des ressources publiques en éducation. C’est du moins ce que montrent les données consignées dans le tableau III.10. Tableau III.10 : Disparités sociales dans l’appropriation des ressources publiques en éducation, 2007-08

% des dépenses d’éducation appropriées (a)

Ensemble des cycles d’enseignement % de chaque groupe dans la population 5- R =Rapport (a) / (b) 24 ans (b)

I = Indice d'appropriation relative

Quintile de revenu Q1 + pauvre

9,6

18,9

0,508

1,0

Q2

14,0

19,4

0,722

1,42

Q3

16,5

20,3

0,813

1,60

Q4

21,5

20,6

1,044

2,05

Q5 + riche

38,4

20,8

1,846

3,63

Q1 + Q2

23,6

38,3

0,616

1,0

Q4 + Q5

59,9

41,4

1,447

2,35

Filles

42,3

50,5

0,838

1,0

Garçons

57,7

49,5

1,166

1,39

Rural

40,4

56,0

0,721

1,0

Urbain

59,6

44,0

1,355

1,88

Genre

Localisation

Source : Calculs à partir des données de l’enquête MICS 2006

103


La première colonne du tableau donne le pourcentage de ressources publiques appropriées sur l’ensemble du système éducatif par les individus appartenant à chaque couche de la population. Un calcul intermédiaire est fait en rapportant ce pourcentage à celui de chaque sous groupe dans la population de référence (les 5/24 ans). Enfin, les indices d’appropriation relative (dernière colonne du tableau) sont calculés en rapportant les indices R ainsi obtenus à l’indice des individus de la catégorie de référence dans chaque segment de la population. Ces indices nous permettent de déterminer ce que représente le volume approprié par un individu d’un groupe favorisé (garçon, milieu urbain, riche) en multiple du volume approprié par un individu d’un groupe défavorisé (fille, milieu rural, pauvre), qui sert de référence. Pour le niveau de richesse, nous opposons d’une part chacun des quintiles au quintile le plus pauvre et, d’autre part, les deux quintiles les plus riches avec les deux quintiles les plus pauvres (cette seconde spécification est aussi choisie pour éviter d’opposer des groupes de population trop spécifiques). Les résultats montrent que : un garçon obtient en moyenne 39 % de ressources publiques en éducation de plus qu’une fille. Un jeune vivant en milieu urbain obtient en moyenne 88 % de ressources publiques en éducation de plus qu’un jeune vivant en milieu rural; un jeune issu d’un ménage classé dans les 40 % . Les plus aisés de la société, obtient en moyenne 2,35 fois le volume de ressources publiques en éducation approprié par un jeune issu d’un ménage classé dans les 40 % les plus pauvres; si on oppose les 20 % les plus riches et les 20 % les plus pauvres, on identifie qu’un individu du premier groupe obtient 3,63 fois plus que n’obtient en moyenne un individu du second. On peut remarquer ici que, c’est le niveau de pauvreté qui est le plus prégnant, suivi du milieu de résidence, le genre faisant certes des différences significatives, mais tout de même d’une intensité sensiblement moindre1. Si on croise les critères, on pousse à un haut degré, les disparités dans l’appropriation des ressources publiques en éducation. On arrive par exemple à ce qu’un garçon appartenant au premier quintile de revenu approprie environ 5 fois plus de ressources publiques en éducation qu’une fille issue d’un ménage situé dans le quintile le plus pauvre de la société. L’image globale qui ressort de ces calculs est donc celle d’un système éducatif où les inégalités sociales, tant dans les scolarisations que dans l’appropriation des ressources publiques, sont assez substantielles. La politique nouvelle sera évidemment celle d’une évolution systémique

1

Il est probable que ce genre de calcul appliqué aux disparités régionales aurait aussi produit des écarts très notables.

104


globale vers plus de couverture et d’efficacité. Elle devra aussi sans doute, accorder de façon jointe une attention particulière à la dimension de l’équité dans les choix qui seront faits.

3.2.3─ L’espérance de vie scolaire (EVS) ou durée moyenne de scolarisation En Côte d’Ivoire, l’espérance de vie scolaire est estimée à 5,5 années. L’EVS du pays se situe donc un peu en dessous de l’échantillon des pays considérés. Face à cette couverture quantitative globale des systèmes (EVS), très variable entre les pays, une variabilité forte est aussi constatée au plan des ressources publiques mobilisées. Elle varie en effet de 1,5 % en République Centrafricaine à 6,3 % du PIB au Kenya pour une moyenne de l’échantillon de 3,28 %. La valeur de la Côte-d’Ivoire (4,1 %) est donc supérieure (d’environ 25 %) à la moyenne de l’échantillon des pays pris ici comme comparateurs. Le tableau III.11 (colonne 2) donne la valeur de l’Espérance de Vie Scolaire pour un échantillon des pays de la région. Les dernières données scolaires disponibles montrent que l’EVS varie sur une plage allant de 2,9 années au Niger à 8,7 années au Togo pour une valeur moyenne de 5,82 années. Tableau III.11 : EVS, Dépenses courantes d’éducation en % du PIB et coefficient d’efficience : pays d’Afrique subsaharienne, 2006

Pays

Dépenses publiques courantes d'éducation en % du PIB

Espérance de vie scolaire (années)

Coefficient d'efficience (années EVS / % PIB)

Côte d’Ivoire

4,1

5,5

1,34

RCA

1,5

3,9

2,60

Guinée

2,0

5,2

2,60

Rwanda

2,4

5,3

2,21

Madagascar

2,6

5,4

2,08

Niger

2,6

2,9

1,12

Guinée-Bissau

2,6

6,2

2,38

Cameroun

2,6

6,8

2,62

Burkina Faso

2,8

4,2

1,50

Mozambique

3,0

4,7

1,57

105


Ethiopie

3,0

4,6

1,53

Malawi

3,3

7,8

2,36

Bénin

3,3

6,8

2,06

Mali

3,4

4,2

1,24

Togo

3,4

8,7

2,56

Tanzanie

3,6

5,9

1,64

Mauritanie

3,6

6,0

1,67

Ouganda

3,7

8,1

2,19

Burundi

3,8

3,9

1,03

Gambie

4,1

6,9

1,68

Ghana

5,3

7,0

1,32

Kenya

6,3

7,8

1,24

Moyenne 21 pays comparateurs

3,28

5,82

1,78

Source : RESEN (2007) et calcul des auteurs

Après avoir examiné cet indicateur de couverture quantitative globale et celui de la mobilisation des ressources pour l’éducation, nous allons à présent, aborder la question de l’efficience. Celle-ci peut être approchée de façon relativement directe en mettant en regard par graphique, l’indicateur de couverture globale et le volume des ressources publiques mobilisées par le système éducatif ivoirien. Le graphique III.5 montre la position des différents pays pris en compte dans le tableau III.11, ce qui nous permet de situer la position de la Côte-d’Ivoire. Graphique III.5 : Dépenses publiques d’éducation (% PIB) et EVS Comparaison intra continentale

106


Source : RESEN (2007) et calcul des auteurs

Ce graphique souligne une assez forte dispersion du volume des ressources publiques mobilisées qui varie de 1,5 % du PIB en RCA à 5,3 % au Ghana ainsi que de la couverture globale du système éducatif des différents pays qui varie de 2,9 années au Niger à 8,7 années au Togo. Comme on peut le constater, il existe une relation assez faible entre les deux grandeurs considérées. Certains pays observés, mobilisent des volumes relatifs comparables à celles de la Côte d’Ivoire en ressources publiques pour leur système éducatif et parviennent néanmoins à offrir à leur population des niveaux d’éducation satisfaisants. En ce qui concerne la Côte-d’Ivoire, une première observation qui pourrait être faite est que les paramètres sont tels que le pays mobilise sensiblement plus de ressources publiques que la moyenne de l’échantillon des pays comparateurs (4,1 % du PIB contre 3,3 %), et génère une couverture quantitative un peu inférieure à la moyenne des pays comparateurs (5,5 années contre 5,8 années). On aurait tendance à conclure que l’efficience dans l’utilisation des ressources publiques est sans doute plutôt faible en Côte-d’Ivoire. Elle est en tout cas plus faible que celle de la Gambie dont le volume de ressources publiques est le même que celui de la Côte-d’Ivoire (4,1 % du PIB) mais dont l’EVS est sensiblement meilleure (6,9 années) que celle de la Côte-d’Ivoire (5,5 années). Des pays comme l’Ouganda, la Mauritanie, le Togo, le Bénin ou le Cameroun dépensent parfois beaucoup moins de ressources publiques pour l’éducation que ne le fait la Côte d’Ivoire et pourtant ont un système éducation qui offre un volume sensiblement plus grand de couverture scolaire à leurs populations. Au-delà de l’approche graphique, une manière d’identifier le degré d’efficience dans un pays donné consiste à calculer le rapport entre la durée moyenne des scolarisations et le pourcentage du PIB alloué au secteur (tableau III.11 colonne 4). Ce rapport indique le nombre

107


d’années de scolarisation qu’un pays réussit à offrir à sa population en dépensant 1 % de son PIB en éducation. Plus cette statistique est élevée, plus le pays est efficient dans l’usage des ressources publiques allouées à l’éducation. Avec cette méthode, l’indicateur d’efficience s’établit à 1,34 en Côte d’Ivoire, contre une valeur moyenne de 1,78 pour la moyenne des 21 pays de l’échantillon considérés pour la comparaison. Il conviendrait donc que la Côted’Ivoire augmente son indicateur d’efficience de 32 % pour rejoindre le niveau moyen d’efficience des pays comparateurs. Cette observation est corroborée par le fait que sur les 21 prix comme comparateurs, 16 ont un indicateur d’efficience meilleur que celui de la Côted’Ivoire, alors que seuls 5 ont un indicateur d’efficience qui lui est inférieur. Outre l’analyse des jeunes qui sont à l’école et qui a largement été abordé dans ce chapitre, il est maintenant important de faire porter de façon complémentaire, l’analyse sur la population de ceux qui sont, ou ont été, exclus des structures scolaires. La première population est donc celle des jeunes d’âge scolaire qui ne sont pas scolarisés, la seconde est constitué des adultes qui n’ont pas les bases minimales du savoir lire, écrire et compter, des compétences jugées minimales pour améliorer la productivité du travail et modifier les comportements sociaux nécessaires pour l’amélioration des indicateurs dans le secteur de la santé et de la population. Nous examinons maintenant ces deux aspects de façon successive.

3.2.4 ─ Les enfants non scolarisés en Côte d’Ivoire

De façon simplifiée, on pourrait argüer que les politiques éducatives, pour la partie basse du système notamment, visent principalement à réaliser deux objectifs de référence. Dans un premier temps, inclure les enfants qui, à un moment donné ne sont pas scolarisés, et dans un second, assurer des conditions d’enseignement et des apprentissages de bonne qualité pour ceux qui sont effectivement scolarisés. Dans cette section, nous ciblons donc les enfants d’âge scolaire qui ne sont pas scolarisés. Ainsi, nous nous efforcerons de fournir des réponses empiriques à trois questions : combien d'enfants d'âge primaire sont actuellement en dehors de l'école en Côte d’Ivoire? (combien n’y ont jamais été inscrits, et combien ont un jour été scolarisés mais ont mis prématurément un terme à leurs études avant d’atteindre la fin du cycle ? Quelles sont les caractéristiques personnelles et sociales de ceux qui sont actuellement exclus (genre, localisation géographiques ; urbain/rural et régions; degré de pauvreté du

108


milieu familial?) Et enfin, quelles stratégies pourraient être pertinentes pour scolariser ceux qui sont actuellement exclus ? Nous allons examiner ces différentes interrogations à partir de l'estimation quantitative des enfants (8-13 ans) qui, actuellement ne sont pas scolarisés. La description graphique du profil de scolarisation de la Côte d’Ivoire (graphique III.6) servira de base à cette estimation. Ce profil estime la proportion d’enfants qui, au sein de leur génération, ont accès à la première année du primaire (CP1) à 70 %, alors que la proportion de la clases d’âge qui accède à la dernière année du cycle primaire est de 46%. Le taux d’achèvement est plus faible que le taux d’accès, puisque certains des enfants qui accèdent à l’école abandonnent avant d'atteindre la fin du cycle primaire (30 % des enfants d’une génération n’ont pas accès à l’école, et 24 autres pourcent de la génération abandonnent avant l’achèvement du cycle). Graphique III.6 : Profil de scolarisation du primaire en Côte d’Ivoire, 2006 Tableau III.12 : Taux (%) d’accès et d’achèvement du primaire

Taux d'accès au primaire

Taux d'achèvement du primaire

Données administratives

EIS

MICS

Données administratives

EIS

MICS

2006

2005

2006

2006

2005

2006

71 %

69 %

70 %

43 %

40 %

46 %

Source : Estimation à partir des données administratives et d’enquêtes ménages MICS (2006)

Si nous considérons d'abord les données administratives, les valeurs numériques du taux d’accès et du taux d’achèvement du primaire sont respectivement de 71 % et 43 % pour l’année 2006. Les mêmes indicateurs calculés à partir des enquêtes auprès des ménages sont respectivement de 69 % et 40 % pour l’enquête EDS de 2005 et de 70 % et 46 % pour l’enquête MICS de 2006. Globalement les différentes estimations proposées sont proches les unes des autres pour chacun des indicateurs ; nous nous fondons sur l’estimation du MICS 2006. Pour identifier le nombre d’enfants non scolarisés, cela va dépendre de la définition retenue pour rendre opérationnel le concept de «non scolarisation». La méthode la plus directe consiste à estimer la surface de la forme « trapèze » ABCD du graphique III.6 en pondérant les valeurs de la proportion des non scolarisés à chaque année d’études par la population d’âge correspondant.

109


Si on se place en première année d’études, 30 % d’une classe d’âge estimée à 491 126 enfants, soit 147 338 enfants ne sont pas à l’école. En fin de cycle, où les enfants ont conventionnellement 12 ans, la proportion de ceux qui ne sont pas à l’école monte à 54 % mais cela s’applique à une clases d’âge un peu moins nombreuse (450 050 jeunes) ; le nombre des non scolarisés pour cette génération à cet âge monte alors à 243 227 jeunes. En fin de cycle où les enfants ont théoriquement 12 ans, la proportion de ceux qui ne sont pas à l’école monte à 54 % mais cela s’applique à une classe d’âge un peu moins nombreuse (450 050 jeunes); le nombre des non scolarisés pour cette génération à cet âge monte alors à 243 227 jeunes. En procédant de même dans chaque classe du primaire, on aboutit à ce que sur les six générations concernées (2,8 millions d’enfants), 1 171 095 jeunes d’âge scolaire du primaire ne soient pas scolarisés, représentant alors 42 % du groupe des 7 à 12 ans au cours de l’année 2006. Le tableau III.14, reprend ces chiffres. Tableau III.14 : Estimation du nombre d’enfants non scolarisés en 2006

Population 7 ans

Population 12 ans Population 7-12 ans

Nombre total d’enfants

491 126

450 050

2 777 414

Nombre d’enfants non scolarisés

147 338

243 027

1 171 095

Jamais été scolarisés

147 338

135 015

833 224

0

108 012

337 870

30,0

54,0

42,2

Ont été scolarisés mais ont abandonné l’école Proportion d’enfants non scolarisés (%)

Source : Estimation à partir des données administratives et d’enquêtes ménages (2006)

Chapitre 4 : La question de la gestion du système Les questions de gestion des systèmes éducatifs sont souvent abordées dans la littérature, comme des questions de nature qualitative et institutionnelle (on identifie les relations, les responsabilités, les fonctions respectives de chacun dans la chaine hiérarchique qui va du Ministre à l’instituteur dans la plus reculée des écoles rurales, …). Mais elles sont également normative (comment il conviendrait de procéder pour que ce soit «comme il faut») dans lesquelles le rôle d’expertise est souvent primordial. Sans méconnaitre l’utilité ni les limites évidentes de ces approches, il reste possible de contribuer à la discussion sur ces questions importantes par des analyses de nature empirique et quantitative. L'objectif est de générer des

110


informations utiles sur les principaux enjeux que sous-tendent ces questions sans pour autant prétendre les couvrir nécessairement de façon exhaustive. Au-delà de la politique éducative qui définit les choix structurels sur les modes d’organisation et les moyens mis à disposition de chaque niveau d’enseignement, la gestion intervient donc dans les processus par lesquels, ces décisions sont concrètement mises en œuvre dans la perspective de produire les résultats effectivement attendus. Si nous suivons cette logique simplifiée, nous pouvons définir deux dimensions complémentaires à la gestion de tout système éducatif : 

Une dimension de nature administrative :

La question centrale ici, sera celle de la gestion des ressources et sa distribution. Nous ne ciblons pas prioritairement des questions telles que celles de la préparation ou de l’exécution formelle des budgets (qui ont aussi leur importance). Mais nous nous attachons principalement à celle de la distribution des ressources entre les différents établissements d’enseignement du pays, sachant que, dans cette activité gestionnaire, les personnels constituent bien sûr un élément important puisqu’ils constituent la composante majoritaire des budgets. Cette question cible la chaine qui va depuis le niveau central jusqu’à celui des établissements, sachant qu’elle peut généralement être scindée en deux segments. Le premier concerne les relations entre le ministère et les directions régionales (dans quelle mesure les dotations de moyens identifiées au niveau des différentes directions est-elle cohérente et équitable) ? La seconde concerne le niveau régional et touche le degré de cohérence et d’équité de la distribution des moyens entre les établissements individuels à l’intérieur des différentes régions (dans quelle mesure certains établissements apparaissent relativement sur-dotés alors que d’autres sont sous-dotés. Il est aussi évident que la structure des responsabilités gestionnaires diffère selon le niveau d’études, car le niveau local a du sens dans le primaire, alors qu’il n’en a beaucoup moins au niveau de l’enseignement supérieur. 

Une dimension pédagogique :

Ce qui importe ici, c’est que les ressources allouées dans chacun des établissements d’enseignement du pays (et au-delà du fait qu’ils soient sur ou sous dotés) soient transformées de manière optimale en résultats scolaires chez les élèves qui y sont scolarisés. C’est donc au niveau des établissements scolaires individuels que se joue cet objectif. 111


Mais la performance gestionnaire du système sur ce plan, dépend pour une part sans doute de façon substantielle de la capacité de l’encadrement pédagogique, à piloter les établissements et notamment à faire progresser ceux qui sont peu performants. Selon cette grille de lecture globale de ce que devrait être le pilotage d'un système éducatif pour la mise en œuvre de sa politique éducative qu’il s’est donnée. Celui-ci sera d’autant mieux géré que lorsqu'il met en place les mécanismes qui conduisent à la fois à une distribution pertinente des ressources entre établissements (gestion administrative), mais également à ce que ces derniers produisent le maximum de résultats chez les élèves qui lui sont confiés (gestion pédagogique). Ce sont ces deux approches que nous allons successivement abordées.

4.1 ─ La gestion administrative et la répartition des moyens et du personnel scolaire La répartition des moyens et des personnels des écoles primaires, présente une double dimension : la première consiste à déterminer les choix qui sont faits au sens large en matière de carte scolaire. Il s’agit de déterminer comment les ressources sont distribuées avec des questions telles que celles concernant l’estimation du nombre d’écoles à implanter sur le territoire, (taille, lieux, etc.) ; la seconde dimension concerne les allocations de moyens (en particulier les personnels, mais aussi les bâtiments et les moyens de fonctionnement) entre les établissements scolaires qui existent effectivement au cours d’une année scolaire donnée. On s’intéresse alors aux mécanismes mis en œuvre pour réaliser ces allocations, et surtout, in fine, à la cohérence et à l’équité dans la répartition après qu’elles aient été réalisées. Nous examinerons ces deux points en commençant par l’allocation de personnels aux établissements scolaires qui existent, c’est-à-dire, en considérant implicitement comme exogènes les éléments de type carte scolaire. Mais aussi les chiffres concernant les coûts unitaires ou le rapport élèves/maitres sont des moyennes qui peuvent éventuellement varier d'une région à l'autre et davantage encore d'un établissement scolaire à l'autre. Dans un système qui serait organisé de manière optimale du point de vue de la gestion administrative et financière, il devrait y avoir une relation fonctionnelle entre les besoins existants et le volume des ressources mobilisées aux différents niveaux d'agrégation du système. Nous ciblons dans notre analyse, l'allocation qui doit être optimale et non le niveau ni la combinaison des ressources entre les différents intrants (qui doivent l'être). Dans la mesure où l’on vise à ce que les conditions d'enseignement soient homogènes d'un lieu à un

112


autre d'enseignement (tant pour des raisons d'efficacité que d’équité). On devrait s'attendre dans un premier temps, à ce que les établissements qui scolarisent plus d’élèves disposent de ressources plus abondantes. Mais aussi dans un second temps, à ce qu'il y ait une relation assez stricte entre les effectifs scolarisés dans un établissement et le volume de ressources (dont le nombre des personnels) dont il dispose. Cela signifie que les établissements scolarisant le même nombre d'élèves devraient avoir plus ou moins le même nombre d'enseignants, et les écoles disposant du même nombre d'enseignants, devraient aussi scolariser peu ou prou le même nombre d'élèves. D’un point de vue concret, l'analyse de cette question peut être conduite séparément pour chaque niveau d'enseignement. Nous allons en premier lieu, examiner la situation de la dotation en enseignants des établissements scolaires au niveau de l’enseignement primaire. De façon concrète, il serait pratique de mettre en regard, le nombre d'enseignants, ou leur masse salariale, avec le nombre d'élèves scolarisés dans chacune des écoles en Côte d’ivoire. Puis d’examiner la relation existant entre les besoins (le nombre d’élèves scolarisés dans l’école) et les ressources mises à disposition pour les satisfaire (observable) dans le graphique IV.1. Graphique IV.1 : Relation entre le nombre d’enseignants et les effectifs des écoles primaires

Graphique VII.1 : Relation entre le nombre des enseignants et les effectifs des écoles primaires , 2007 18

Nombre d'enseignants

16 14 12 10 8 6 4 2 0 0

100

200

300

400

500

600

Effectif de l'école

Source : RESEN (2007)

On remarque en premier lieu, l’existence d’une relation globale indiquant en moyenne, que les établissements dont les effectifs d’élèves sont plus grands, disposent bien d’un nombre plus important d’enseignants. Mais on voit aussi, et surtout, l’existence d’une très large

113


dispersion autour de cette relation moyenne nationale. Par exemple, une école primaire scolarisant 250 élèves peut avoir entre 4 et 15 enseignants ; de même, une école disposant de six enseignants peut scolariser entre 90 et 600 élèves. Ces chiffres manifestent un degré d’aléa très grand, cette observation étant attestée par le fait que le R² de la relation est inférieur à 30 %; c’est le chiffre le plus faible parmi le groupe des 25 pays pour lesquels ce type d’indicateur a pu être calculé. Mais, il faut rappeler que ce chiffre pour la Côte-d’Ivoire vaut pour une année qui porte encore les stigmates de sa division, suite aux évènements de 2002. Ces évènements ont en effet créé des perturbations très importantes tant dans la zone du « Nord » du pays (fuite d’un certain nombre d’enseignants) que dans la zone « Sud » du pays, du fait de l’afflux de certains enseignants, et aussi de certains élèves, en provenance de la zone Nord. Cet exode massive a engendré des difficultés locales de sur et sous dotations dans chacune des deux zones. On notera d’une part, que les écoles localisées en milieu rural sont globalement un peu sousdotées par rapport à celles localisées en milieu urbain. Au plan régional, en ce qui concerne le milieu géographique, les écoles primaires localisées dans les DREN d’Abengourou, d’Agboville, de Bouaké, de Divo et de Man ont un nombre d’enseignants qui les situent au dessus de la moyenne. Alors que celles des DREN de Dimbokro ou de Korhogo, sont en dessous de la moyenne nationale selon le rapport du RESEN (2007). Il convient toutefois de rappeler que la situation de la Côte d’ivoire au plan de la cohérence des enseignants aux écoles individuelles n’était déjà pas très bonne en 2001. Les évènements intervenus dans le pays, ont évidemment contribué à faire empirer une situation qui manifestait déjà une performance gestionnaire plutôt faible en matière d’allocation des enseignants. En d’autres termes la mesure de l’aléa faite sur les données de 2007 porte en elle une dimension conjoncturelle évidente. De fait, des analyses et des actions doivent être entreprises dans la perspective de prendre des dispositions fonctionnelles pour progresser sur ce plan. Dans l’enseignement secondaire, une analyse comparable montre également des aléas substantiels, mais d’une intensité moindre que dans le primaire, comme le suggère le graphique IV.2, en comparaison avec le graphique IV.1.

114


Graphique IV.2 : Nombre d’enseignants en fonction du nombre d’élèves dans un établissement scolaire (1er et 2nd cycle) Graphique VII.2 : Nombre d'enseignants en fonction du nombre d'élèves dans un établissement secondaire (1er+2nd cycle) y = 0,0214x + 3,5661 R2 = 0,6898

200 180

Nombre d'enseignants

160 140 120 100 80 60 40 20 0 0

1000

2000

3000

4000

5000

6000

Nombre d'élèves

Source : RESEN (2007). Les choix qui ont été faits par la Côte-d’Ivoire sur ce plan

sont aux antipodes de ceux faits par le Ghana, où la taille moyenne des établissements de premier cycle secondaire est inférieure à 150 élèves. L’option étant faite pour des collèges de proximité avec une organisation des études proche de celle de l’enseignement primaire.

Avant d’examiner les questions de distribution des enseignants, il serait utile, de rappeler que la Côte d'ivoire a opté pour des établissements secondaires de grande taille. Ainsi, si on examine les établissements qui n’offrent que le premier cycle (les collèges), on observe une taille moyenne supérieure à 1000 élèves, contre une moyenne régionale qui est dans l’ordre de 500 élèves. Ce choix fait par le pays pour des établissements relativement grands, il faut le comprendre par le fait que moins de 10 % des collèges accueillent moins de 250 élèves, alors que le chiffre correspondant est de 43 % en moyenne dans les autres pays de la région . Il est 1

probable que cette option prise par la Côte-d’Ivoire est valide pour des établissements urbains. Mais que celle-ci ne pourra sans doute pas être maintenue lorsqu’il s’agira d’étendre la scolarisation au premier cycle, car ces évolutions concerneront forcément des enfants ruraux. Et ceci demandera nécessairement, la mise en place de collèges de taille beaucoup plus réduite (il ne sera donc pas possible de faire « des collèges urbains à la campagne»). En ce qui concerne le degré de cohérence dans les allocations d’enseignants dans les établissements secondaires, des aléas notables sont là encore identifiés.

115


Par exemple, dans un établissement de 2 500 élèves, le nombre d’enseignants varie selon les établissements dans une fourchette allant de 20 à 80. Toutefois, l’indicateur quantitatif qui mesure l’ampleur des aléas (la valeur du coefficient de détermination R² de la relation entre le nombre des élèves et celui des enseignants) s’établit à 70 % au niveau secondaire ; une valeur qui laisse des marges très conséquentes d’amélioration mais qui est tout de même significativement meilleure que celle enregistrée au primaire (R² < 30 %).

4.2 ─ Structure d’économie d’échelles et usage plus intensif des classes multiples dans l’enseignement primaire Le graphique IV.1, montre certes une grande variabilité « parasite » de la situation des différentes écoles dans le pays, mais il montre aussi une relation d’ensemble qui est globalement croissante ; mais le point que nous ciblons maintenant est le fait que cette relation est caractérisée par une ordonnée à l’origine positive. Ceci manifeste l’existence d’un coût fixe de structure qui a pour conséquence que le coût unitaire de scolarisation a tendance à être important lorsque l’effectif des élèves dans une école est faible. Pour ensuite diminuer, lorsque cet effectif augmente et que ces coûts fixes sont alors répartis sur un plus grand nombre d’élèves. Le graphique IV.1, montre certes une grande variabilité "parasite" de la situation des différentes écoles dans le pays, mais il montre aussi une relation d’ensemble qui est globalement croissante; mais le point que nous ciblons maintenant est le fait que cette relation est caractérisée par une ordonnée à l’origine positive. Ceci manifeste l’existence d’un coût fixe de structure qui a pour conséquence que le coût unitaire de scolarisation a tendance à être important lorsque l’effectif des élèves dans une école est faible. Pour ensuite diminuer, lorsque cet effectif augmente et que ces coûts fixes sont alors répartis sur un plus grand nombre d’élèves. Les données disponibles permettent, par imputation du niveau moyen de rémunération attachés à chaque catégorie d’enseignants, de calculer le montant consolidé de la dépense salariale pour les enseignants de l’école et d’en dériver le coût unitaire en divisant cette masse salariale de l’école par le nombre des élèves qui y sont scolarisés. Compte tenu de l’aléa dans les allocations de personnels, on observe un fort aléa dans cette statistique du coût unitaire salarial. Mais, on identifie aussi toutefois, la relation de décroissance du coût unitaire avec

116


l’effectif de l’école. Le tableau IV.1, présente les résultats obtenus dans cette simulation, alors que le graphique IV.3 en donne une illustration visuelle. Tableau IV.1 : Relation entre le coût unitaire salarial et le nombre des élèves scolarisés dans une école primaire, 2007

Nombre d’élèves Coût unitaire salarial (FCFA)

50

100

150

200

250

300

350

400

450

179 775

116 325

95 175

84 600

78 255

74 025

71 004

68 738

66 975

Source : MEN (2007)

Le graphique montre très clairement cette relation de décroissance, avec l’identification d’un effectif qu’ont peut conventionnellement autour de 200 élèves et qui distingue, en dessous de ce seuil, les petites écoles (couteuses) et, au dessus, celles dont l’effectif est suffisant pour permettre des coûts unitaires plus faibles. Graphique IV.3 : Coût unitaire en fonction de la taille de l’école primaire, 2007 Graphique VII.3 : Coût unitaire en fonction de la taille de l'école, primaire, 2007 Coût unitaire salarial (Fcfa)

200 000 180 000 160 000 140 000 120 000 100 000 80 000 60 000 40 000 50

100

150

200

250

300

350

400

450

Nombre d'élèves de l'école

Source : MEN (2007)

La question du coût des petites écoles n’est pas tout à fait anodine du fait que 1 070 écoles comptent moins de 100 élèves, alors qu’un nombre équivalent d’écoles comptent entre 100/150 élèves et 1 140 écoles de taille normale comptent entre 150/200 élèves. Au total, plus d’un tiers des écoles ont moins de 200 élèves et se trouvent donc dans la zone où les coûts unitaires sont élevés. On notera que la courbe représentée dans le graphique IV.3, est contingente des modalités de fonctionnement couramment prises dans l’organisation des

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études dans l’enseignement primaire en Côte d'ivoire. Le niveau des coûts est par exemple contingent, des choix faits en matière de statut et de niveau de rémunération des personnels enseignants. Mais la forme de la courbe dans sa partie gauche et l’intensité de sa concavité dans la zone des petites écoles, tiennent aussi dispositions plus particulières pour faire fonctionner ces petites écoles. Le MEN a parfois tendance à utiliser une justification pratique pour éluder cette question en développant l'argumentaire suivant : il existe des populations rurales relativement dispersées (c’est une réalité exogène). Il importe que les écoles soient proches des familles, en particulier au niveau primaire où les enfants sont très jeunes pour des raisons d’équité. Il faut organiser des écoles de petites taille pour scolariser ces enfants avec comme conséquence que cela coûte cher à l’Etat ; ce qui semble d’une certaine façon « normale » pour des raisons d’équité. Le coût de ces écoles est élevé, en raison des dispositions qui sont prise pour les faire fonctionner, alors que ces dispositions s’avèrent ne pas être plus efficaces dans le cas spécifique de ces petites écoles. En d’autres termes, les politiques éducatives doivent être non seulement équitables, mais, elles doivent aussi traiter les questions d’équité de manière aussi efficace que possible. Cette question des petites écoles se pose aussi dans la plupart des pays de la sous-région. La solution qui est généralement proposée consiste à mettre en place des écoles à cours multiples dans lesquels, un enseignant s’occupe simultanément d’élèves appartenant à deux ou trois cours. Les évaluations faites par le RESEN à ce niveau, montrent que cette formule conduit à réduire les coûts. Celle-ci comporte néanmoins des avantages, du point de vue de la qualité dans l’hypothèse où les enseignants ont convenablement été formés aux pratiques pertinentes de gestion de ces classes. Car les écoles disposent de matériels appropriés (cahiers d’exercice et d’activités) pour que les élèves travaillent pendant que l’enseignant est occupé avec un autre groupe. En Côte-d’Ivoire, on utilise certes parfois cette formule, notamment dans le Nord du pays (précisément dans les DREN de Bondoukou, Korhogo et Odienné), mais de façon relativement limitée. On compte en effet qu’il y a moins de 1 % des classes du pays qui sont organisés selon la formule multigrade. Mais cette formule n’est utilisée que dans moins de 10 % des cas où il serait potentiellement envisageable de la mettre en œuvre. Il serait alors pertinent que le pays en fasse un usage significativement plus intense. Le tableau IV.2 met en valeur les impacts potentiels de cette formule.

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Il contraste la relation du coût unitaire salarial en fonction des effectifs scolarisés dans les petites écoles, entre la situation actuelle du système et la situation "normative" dans laquelle l’on simule une organisation en cours multiples. Tableau IV.2: Coût unitaire actuel et simulé avec usage de la formule multigrade

Situation

Nombre d'élèves

50

100

150

200

250

Nombre d'enseignants

2

3

4

6

6

101 520

76 140

67 680

76 140

60 912

179 775

116 325

95 175

84 600

78 255

56 %

65 %

71 %

90 %

78 %

"normative simulée" Coût unitaire (Fcfa) Actuelle Rapport de coût unitaire "Normative"/actuelle

Source : MEN (2007)

Graphique IV.4 : Coût unitaire et effectifs scolarisés dans une école primaire Graphique VII.4 : Coût unitaire et effecifs scolarisés dans une école primaire

Actuelle

200 000

Coût unitaire salariale (Fcfa)

"normative"

180 000 160 000 140 000 120 000 100 000 80 000 60 000 40 000 50

100

150

200

250

Nombre d'élèves dans l'école

Source : MEN (2007)

Les coûts de la situation « normative simulée » dérivent des choix faits quant au nombre d’enseignants utilisés dans une école en fonction des effectifs qu’elle scolarise. Les choix proposés ici sont certes susceptibles d’être discutés mais les propositions faites (2 enseignants pour 50 élèves, 3 pour 100 élèves) sont probablement raisonnables. Sur cette base illustrative, on observe que le coût unitaire peut être très inférieur à ce qui est dans la situation actuelle (101 000 FCFA contre 180 000 FCFA par élève pour une école primaire scolarisant 50 enfants). La concavité de la relation (graphique IV.4) étant beaucoup moins accentuée dans la situation «normative simulée» que dans la situation actuelle. Cette simulation doit être 119


considérée seulement comme illustrative des potentialités de l’utilisation de l’organisation en cours multiples ; sans constituer une recommandation spécifique, elle pointe tout de même vers l’intérêt que le ministère aurait d’étudier cette question de façon plus spécifique pour améliorer l’efficience des ressources publiques dans l’enseignement primaire.

4.3 ─ Transformation des ressources en résultats et la gestion pédagogique du système Après avoir examiné comment les ressources (humaines) sont distribuées entre les différents établissements en Côte d'ivoire, une question d’importance est de déterminer dans quelle mesure ces établissements en font un « bon usage ». Posée de cette manière, la formulation semble un peu normative, car cela supposerait implicitement qu’on identifie ce que serait un « bon usage » et qu’on puisse alors mesurer la distance entre ce qui se passe dans tel ou tel établissement et la référence faite du « bon usage ». Pour éviter cette convention normative, il serait préférable d’adopter une perspective comparative, dans laquelle on examine les résultats obtenus par les différents établissements d’un niveau éducatif donné et qu’on les compare entre eux. Pour conduire cette comparaison, il convient d’une part, d’identifier des instruments de résultats quantifiables et raisonnablement comparables. Et d’autre part, d’introduire dans la comparaison à la fois les résultats moyens obtenus par les élèves des établissements et le volume des ressources par élève (dont on sait est variable d’un établissement à l’autre). Nous ciblons ici, plutôt l’ampleur de la part inexpliquée de la variance ; celle-ci prend en effet un sens quant au diagnostic de la performance gestionnaire du système. Le graphique IV.5, donne une assez bonne illustration de l’ampleur de cette part «inexpliquée». Il s’applique au taux de réussite au CEP (2007) des différentes écoles, sachant que les conclusions auxquelles il permet d’aboutir sont identiques à celles qui seraient basées sur les résultats à des épreuves communes de type scolaire (le test de Français et de mathématiques passé par environ 6 000 élèves en 2002). Nous utilisons ici, le taux de réussite au CEP d’une part parce que c’est clairement ce à quoi sont mandatés les enseignants (tant par le système que par les parents d’élèves) et, d’autre part parce que cette référence est produite annuellement et peut donc faire

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l’objet d’un suivi dans une perspective d’amélioration du système dans de nouvelles dispositions gestionnaires Graphique IV.5 : Ressources par élèves et taux de réussite au CEP, 2007 Graphique VII.4 : Ressources par élève et taux de réussite au CEP, 2007

% Réussite au CEP

100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 0

20

40

60

80

100

120

140

Dépenses salariales par élève (Fcfa)

Source : MEN (2007)

Le graphique illustre bien à la fois la grande variabilité inter-écoles dans les deux dimensions considérées et la faible relation statistique existant entre ces deux dimensions . 1

Ceci manifeste des lacunes substantielles en matière de gestion pédagogique du système éducatif ivoirien. En effet, dans un système bien géré au plan pédagogique, on devrait s’attendre d'une part, à ce que les établissements dotés de ressources par élève plus abondantes soient à même de générer plus de résultats (de meilleurs niveaux d’apprentissage, de meilleurs taux de réussite aux examens). Et d'autre part, à ce que des établissements disposant de ressources comparables produisent des niveaux de résultats raisonnablement proches. Le graphique IV.5 montre qu’on est loin de cette référence avec par exemple un taux de réussite au CEP qui peut varier sur une plage aussi large que de 10 à 100 %. Une autre illustration de la faiblesse des dispositions gestionnaires est que certaines écoles ont à la fois des ressources supérieures à la moyenne et des résultats modestes chez leurs élèves.

121


4.4 ─ Remise en cause du modèle actuel de gestion pour un changement culturel majeur Les difficultés mises en évidence dans ce chapitre, tant au plan de la gestion administrative (allocation des personnels aux établissements) que de la gestion pédagogique (transformation des ressources en résultats au niveau des établissements) avaient déjà été constatées dans la première version du RESEN, en 2002. Depuis cette date, les choses se sont plutôt dégradées pour ce qui est de l’allocation des enseignants aux écoles, mais cette évolution négative est considérée comme étant liée aux évènements spécifiques qui ont marqué la Côte-d’Ivoire ces dernières années. On peut donc tenir pour acquis, que la performance gestionnaire du système demande à être significativement améliorée, sachant que dans une large mesure, c’est le modèle « culturel » à la base de la gestion du système qui demande à être revisité. Les évolutions seront potentiellement plus faciles à réaliser dans la gestion de l’allocation des ressources et des personnels, parce que les ministères de l’éducation sont traditionnellement plus orientés vers les moyens que vers les résultats obtenus, sachant que les ressources et les moyens sont davantage visibles et faciles à identifier; par contre on peut s’attendre à davantage de difficultés dans la gestion pédagogique car les résultats d’apprentissage n’ont pas la même matérialité, sont moins facilement identifiés et résultent de processus qui se déroulent dans la somme d’actions qui se déroulent dans «le secret de la classe» et se construisent dans un temps long. En revanche le potentiel d’amélioration est très grand sur cet aspect compte tenu de la faible performance enregistrée trop faible sur ce thème qui concerne le cœur même du système d’enseignement. Nous pourrions à juste titre argüer qu’une raison principale à la base des difficultés rencontrées est liée à un manque de définition claire de la responsabilité des différents acteurs et de mécanismes insuffisants pour vérifier que cette responsabilité est bien exercée pour produire les résultats attendus. Le système éducatif ivoirien a certes mis en place des règles, des organigrammes et des personnels appointés pour remplir les structures identifiées, mais au final, son système de gestion ne fonctionne pas effectivement sur la base des fonctions incombant à chaque acteur. Les descriptions de poste des différents acteurs (enseignants, directeurs d’école, inspecteurs, directeurs régionaux et directeurs centraux) ne sont décrites qu’en termes généraux et de façon très vague, et souvent même mal connus des acteurs eux-

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mêmes. La définition de standards concrets, simples et transparents ne pourra sans doute pas être négligée. La structure de contrôle est probablement aussi assez faible, tant pour identifier les problèmes que pour produire les sanctions positives et négatives qui seraient sans doute parfois nécessaires, outre les aspects de contrôle. Au total, les règles, initialement définies de façon trop imprécises ne sont pas bien respectées et les fonctions insuffisamment remplies. Par ailleurs, la culture gestionnaire reste souvent concentrée sur la définition de règles et de standards concernant les pratiques et les processus formels en n’accordant que peu d’attention aux structures d’incitations et aux raisons pour lesquelles les individus suivraient les règles édictées. Il y a également des résultats observables tant en termes d’allocation des ressources (dont d’abord les enseignants) que le niveau d’apprentissage des élèves, y compris les dispositions concrètes lorsque les objectifs ne sont pas suffisamment atteints. Un certain équilibre devrait probablement exister entre les trois piliers structurels de l’organisation : les règles concernant les pratiques et les processus de base; la structure d’incitations (positive/négative) des acteurs concernés; et l’évaluation des résultats et l’identification, en retour, des mesures à prendre en cas de performance insuffisante. Ces trois piliers doivent être construits dans leur complémentarité et leur articulation. Il ne mène nulle part de mettre en place des guides sur les pratiques s’ils ne sont pas suffisamment précis et si on incite des acteurs afin que leur comportement soit « naturellement » en harmonie avec ce qui a été déterminé comme étant les bonnes pratiques pour le système. Un contrôle anticipé et effectif assurant les dispositions de base qui soit suivi par tous s'avère également nécessaire. Par ailleurs, un certain nombre de pratiques des acteurs ne sont pas susceptibles de descriptions par le menu, car elles requièrent de la flexibilité et du jugement professionnel. Car il n’y a pas de substitut à mesurer les résultats de façon transparente, et à mettre en place une structure d’incitations (récompenses et sanctions) et de contrôle qui encouragerait l’acteur à améliorer sa performance pour le bien de l'école ivoirienne. Pour clore sur ces aspects de gestion qui devront à l’évidence faire l’objet de réflexions et d’actions, trois points peuvent être utilement soulignés : 

Le premier consiste au fait que l’éducation est d’abord, une industrie de main d’œuvre et que ce que font les acteurs est crucial pour la qualité du système mis en place. Certains aspects du comportement et des pratiques des acteurs sont relativement aisés à observer et à règlementer; d’autres ne le sont pas et il n’est sans doute pas souhaitable qu’ils le soient. Ce sont les comportements de base qui doivent faire 123


l’objet de règlementation et de contrôle. Il en est par exemple d’éléments tels que la présence régulière des enseignants dans les horaires impartis du premier au dernier jour de l’année scolaire. Ou bien le fait que les enseignants doivent enseigner le programme, faire une préparation de leurs cours, évaluer les élèves et procéder aux remédiassions pour assurer les apprentissages de tous. D’autres comportements correspondent à la gestion quotidienne de la classe et relèvent de l’appréciation professionnelle des enseignants (la flexibilité et le jugement professionnel sont au cœur de l’exercice de cette profession) pour s’adapter au mieux aux circonstances locales et aux spécificités du public d’élèves. Il est essentiel de maintenir cet aspect, tout comme il faut aussi reconnaitre que cela laisse de larges possibilités de comportements potentiellement déviants. Il importe donc de compléter les règles sur les pratiques de base par un contrôle sur les résultats obtenus. 

Le second point concerne l’organisation des procédures de contrôle et de pilotage (contrôle interne et externe). Le contrôle interne fait appel à la structure administrative; par exemple, on demande au chef d’établissement de vérifier que les enseignants arrivent chaque jour à l’heure ou bien au directeur régional de vérifier que le directeur départemental a bien alloué les manuels scolaires selon les modalités définies et que ceux-ci sont arrivés à la date prévue. Le contrôle peut aussi être externe; par exemple, on peut demander aux parents de surveiller la présence des enseignants en classe, et on peut demander aux syndicats enseignants de vérifier que chaque école a bien reçu les manuels scolaires selon les modalités fixées de façon transparente par le ministère. Le choix de ce qui est le plus approprié dans telle ou telle circonstance est évidemment

affaire de jugement. Cela dit, il sera toujours utile de faire en sorte que la voix des usagers ou des bénéficiaires soit entendue ; car il y a évidemment des risques que les membres de l’administration soient moins prompts que les usagers finaux à dénoncer les défauts qui peuvent exister dans le fonctionnement du système. Quels Contrôles sont mis en œuvre au niveau de l’école et au niveau des services d’appui ? Par exemple, pour le déploiement des enseignants, nous supposons que des critères ont été établis que tous les acteurs connaissent le nombre d’enseignants qui doivent être alloués dès lors qu’on connaît l’effectif scolarisé dans une école. Dans ce contexte, le contrôle peut être fait au niveau de l’école; le chef d’établissement, informé que son école qui compte 245 élèves devrait

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avoir 6 enseignants, peut en appeler aux services gestionnaires si seuls quatre enseignants ont été affectés à son école. Le directeur régional, de son côté, peut établir une carte de toutes les écoles de sa région avec les effectifs d’élèves et d’enseignants dans chacune d’entre elles et d’identifier les établissements déviants (sur-dotés ou sous-dotés) et par conséquent de contrôler l’action de ses différents directeurs départementaux en charge de gérer le déploiement des enseignants dans les écoles de sa juridiction. 

Le troisième point concerne davantage l’organisation de la réflexion sur ces questions et l’articulation des dispositions susceptibles d’être considérées. L’expérience montre qu’il est utile de partir des tâches de base qui doivent être effectuées par chacun des acteurs (enseignants, chefs d’établissement, inspecteurs, directeurs régionaux et centraux), sachant que ces tâches peuvent être soit de nature fonctionnelle directe soit de l’ordre du contrôle et des résultats attendus.

Cette étape permet de construire la chaine des responsabilités qui va du niveau local au niveau central et d’organiser les textes règlementaires correspondants. Sur cette base, on identifie et construit le système d’information et les instruments qui vont permettre aux acteurs d’exercer la responsabilité qui leur est confiée et de mesurer les résultats obtenus. La dernière étape avant la mise en application consiste à former les différents acteurs à l’exercice de leurs responsabilités et à l’utilisation des instruments construits pour cela. Un point particulier concerne les actions qui pourraient être prises lorsque les pratiques ou les résultats sont bons ou médiocres (récompense, appui professionnel, sanction). On peut a priori distinguer deux cas où une performance inadéquate est enregistrée : le premier est celui où ces mauvais résultats proviennent de déviances comportementales au sens large (les acteurs ne font pas ce qui est attendu d’eux). Dans cette circonstance, une gradation de sanctions doit être envisagée, mais la persistance de la déviance doit conduire au licenciement car l’intérêt des élèves et l’intégrité du système doivent prévaloir. Le second cas est celui où il y a déficit de compétences. Dans cette circonstance, les acteurs ou les services concernés doivent recevoir l’appui nécessaire pour les aider à améliorer leur performance. Un ingrédient important du système gestionnaire est la cohérence, ce qui suppose à la fois que le système sache apporter un appui aux personnes et aux services qui en ont besoin, mais aussi sache prendre effectivement les sanctions sans état d’âme. Tout manquement du système de gestion sur l’un ou l’autre de ces deux aspects serait compromettant pour le mécanisme mis en place. 125


CONCLUSION DU CADRE THEORIQUE Le système éducatif ivoirien est aujourd’hui dans l’impasse, parce qu’il n’assure pas valablement son devoir d’éducation et de formation. En outre il est inégalitaire et non compétitif sur le marché de l’emploi, car producteur de chômage selon l’enquête de l’ENV (2002) avec un taux de chômage des 25-34 ans 7 fois plus élevé que celui constaté chez les 35-59 ans. En effet, cette enquête indique que le déséquilibre entre les formations offertes par le système éducatif et les emplois existants sur le marché du travail est bien une réalité structurelle. Ainsi, l’examen de la situation chez les 25-34 ans indique des difficultés d’insertion sur le marché de l’emploi encore plus fortes que chez les 35-59 ans. Le taux de chômage chez les 25-34 ans est plus élevé que chez les 35-59 ans pour chacun des niveaux d’éducation. Concernant le secondaire général, l’enseignement supérieur et l'enseignement technique et professionnel, le taux de chômage est respectivement de 27, 29 et 39 % chez les 25-34 ans, contre 5 et 14, 18 % chez les 35-59 ans.

Cette enquête note également que la différence entre le taux de chômage des 25-34 ans et celui des 35-59 ans augmente avec le niveau d’éducation, et que la situation des formés du supérieur sur le marché du travail ivoirien s’est particulièrement détériorée. Pourtant, le pays semblait bien parti pour rentrer dans le XXIème siècle, car il avait construit beaucoup d’écoles, expérimenté l’enseignement télévisuel, autorisé l’émergence de multiples structures privées de formation technique, et un foisonnement d’écoles informatiques. Mais le miracle économique, qu’il disait avoir réalisé dans les années 1975, s’est envolé, suite à la chute des matières premières, du cacao en particulier. Aujourd’hui, ce système se caractérise par d’énormes disparités de toutes sortes, dont les plus importantes sont d’ordre géographique et structurel. En effet, l’insuffisance des infrastructures d’accueil a exposé beaucoup d’enfants de ce pays aux immenses richesses naturelles à une forte exclusion scolaire (redoublements et abandons fréquents). Par ailleurs, la question du “tribalisme” n’a pas été vaincue par l’éducation; bien au contraire, elle a conduit à une fracture sociale plus profonde. Certes, il y a une part importante de l’histoire coloniale dans la rupture brutale opérée entre le système éducatif dit “traditionnel” et le nouveau, auquel sont assignés d’autres objectifs et finalités. Cependant, cette part de responsabilité qui incombe à la colonisation n’annule pas, ni ne cache pas pour autant, celle des ivoiriens eux-mêmes (toutes classes sociales

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confondues). Car cette responsabilité s’est toujours exprimée en termes de méconnaissance de la situation éducative par les dirigeants, à un manque de vigilance de leur part, à une mauvaise utilisation des ressources disponibles, ainsi qu’une quasi inexistence d’objectifs et finalités éducatives. Il ressort qu’en termes d’accès à l’éducation, il existe une disparité selon le genre, le milieu de résidence et le niveau de vie. Toutes les couches de la population selon ces caractéristiques ne présentent pas les mêmes chances d’accès à l’éducation et le déséquilibre d’accès augmente avec le niveau. Les enfants (surtout les filles) issus des milieux ruraux, vivant surtout dans la région de l’Ouest dans un ménage à revenus modestes, sont les plus défavorisées. Ceux-ci ont moins de chance d’achever le cycle primaire : condition d’une alphabétisation durable.

En outre, les dirigeants ivoiriens ont toujours construit des intérêts multiformes et des projets collectifs, allant à l’encontre et souvent en s’opposant aux intérêts même des populations. Ainsi, les inégalités relevées dans le système éducatif en matière d’accès et de rétention, ainsi que le déséquilibre entre coûts unitaires publics par niveau, ont une influence assez significative la répartition des ressources publiques en éducation. Le coefficient de concentration de Gini place le système éducatif ivoirien parmi les moins équitables par rapport à ceux de la sous-région. Il ressort d’après les différentes enquêtes de ménages menées à ce niveau, que près de la moitié des dépenses publiques en éducation ne profite qu’au 10 % les plus éduqués du système. Ce qui largement au-dessus de la moyenne des autres pays d’Afriques francophones (44 %) et celle de l’Afrique anglophone (33 %). Ce constat nous amène donc à la question suivante : comment comprendre que ceux qui avaient jadis souffert de la confiscation de leur histoire commune et de leur système éducatif, soient devenus aujourd’hui eux-mêmes les “adeptes” de la déperdition de celui-ci ? De telles contradictions constitueraient-elles aujourd’hui les principaux facteurs explicatifs de la “stagnation” du système éducatif ivoirien ? Bien qu’il soit actuellement soumis à des “pansements” internes ou à des “remèdes” externes souvent imposés par des observateurs internationaux (Banque Mondiale, UNESCO), le système éducatif ivoirien reste toujours aussi inefficace. D’où viennent cependant ces biais, oppositions et contradictions entre les objectifs de l’éducation de type traditionnel qui était l’affaire de tous, et ceux du système actuel peu exemplaire, voire chaotique ? Jean-Paul SARTRE (1972) disait, pour définir la liberté disait qu’ : « un homme peut toujours faire

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quelque chose de ce qu’on a fait de lui »1. Alors, si la Côte-d’Ivoire ne veut pas s’intégrer prioritairement aux normes de compétence et de compétitivité édictées par la mondialisation, elle doit cependant assumer la responsabilité dans l’éducation de ces citoyens. Il lui faut donc retrouver le sens perdu de sa liberté de choix d’orientation et de décision. Ainsi, face à cette impasse, les solutions ne doivent pas être des “saupoudrages” de contenu des programmes, ni des tentatives multiformes d’innovations pédagogiques. Elles doivent plutôt être globales et permettre de passer par une relecture des objectifs, des politiques éducatives et des finalités visés par le système éducatif ivoirien, tout en réfléchissant sur les aspects qui posent la difficulté de son intégration à l’heure des enjeux de la mondialisation. Au-delà des disparités entre filles/garçons, des efforts importants restent à faire pour combler les inégalités entre d’une part les régions et d’autre part, les plus nantis et les plus démunis. Car l’atteinte d’une scolarisation primaire universelle ne sera une réalité que si toutes les franges de la population accède au primaire et l’achève. En se plaçant objectivement dans la perspective d’espoir de SARTRE, les dirigeants ivoiriens peuvent ainsi réfléchir sur les erreurs et les illusions passées dans leurs pratiques éducatives menées depuis la décolonisation. Ils doivent par ailleurs comprendre les sujets et finalités recherchés par ce système éducatif à l’heure actuelle, et enfin essayer d’entrevoir par eux-mêmes d’éventuelles pistes de sortie des faibles rendements internes et externes de l’école ivoirienne.

1

SARTRE, J-P. Situations, tome IX : mélanges. Paris : Gallimard, collection « blanche », 1972, 369 p.

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III – Cadre méthodologique et contextuel de la recherche : 1ère partie : Objectif et contexte de la recherche 1.1 – Problématique de la recherche Le système éducatif ivoirien est confronté à une pluralité de problèmes relatifs à l’enjeu de la démocratisation scolaire : questionnement dominant guidant la grande majorité des travaux en sociologie de l’école. Comme nous l’avions montré dans les chapitres précédents, on observe en Côte-d’Ivoire, un déséquilibre au niveau de l’offre et de la demande scolaire. Dans leur ouvrage, L’école à tout prix, (1987) Marc Le PAPE et Claudine VIDAL ont montré que le gouvernement ivoirien a consacré une part importante de son budget national dès son indépendance, engagé dans un programme de "scolarisation à 100 %". Mais aujourd’hui, certains observateurs et spécialistes évoquent, l’incapacité de ce système à combler l’écart entre la demande et ses possibilités d’accueil. On note également une faiblesse des capacités de planification, de programmation et d’évaluation au sein de celui-ci. En effet, en matière d’ouverture d’école, les politiques éducatives ivoiriennes n’ont pas toujours en réalité, respecté la planification et les estimations correctes des besoins en éducation. Celles-ci n’ont pas suffisamment pris en compte les possibilités budgétaires de l'État, et ont par ailleurs négligé les bilans des politiques menées jusqu’à lors. Au total, ce système a évolué sans une définition claire de ses objectifs et finalités. Un autre constat du problème porte sur la dégradation du patrimoine mobilier et immobilier. La crise politicomilitaire de 2002 a conduit à une restriction budgétaire au niveau des travaux d’entretien et de construction de nouveaux locaux, ainsi que du matériel pour les investissements dans le secteur éducatif. Cette situation de crise, a engendré la dégradation et le pillage d’une majeure partie des établissements scolaires et universitaires du pays. De plus, l’encombrement des classes par les effectifs pléthoriques a également accélérer l’usure et la dégradation de ce patrimoine mobilier. A ce propos, nos répondants partagent le même sentiment, quant à la dégradation des locaux scolaires. C’est par exemple, ce sentiment que nous livre Espérance (une des élèves interrogée) lorsque nous lui avons demandé :

Yao 11 : D'accord. Qu'est-ce que tu penses de l'école ivoirienne dans son ensemble ? Espérance 11 : Je trouve que l'école publique, est là en principe pour aider les personnes qui n’ont pas de gros moyens. Mais je pense que l'idéal aujourd’hui serait de restructurer tout

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cela pour que dans les classes, on soit moins nombreux, et que les professeurs puissent dispenser tous les cours du programme avant qu’on aille aux examens. Parce que, la plupart du temps, on n'a pas tous les cours qu’on devrait avoir avant les examens. Il y a même des chapitres dans le programme qu’on n’a pas le temps d'aborder, et c’est souvent ces chapitres qu’on a aux examens, cela est arrivé l’année dernière aux élèves de terminale dans ce lycée. Il ya eu pas mal d’entre eux qui ont été recalés, car ils n’avaient pas les informations nécessaires pour composer. Donc il serait bien de construire plus d’écoles, pour qu’on soit moins nombreux dans les classes et, pour pouvoir donner la chance à tout le monde, afin de ne pas être obligé de passer par le recrutement parallèle. Il faudrait aussi que les professeurs soient un peu plus surveillés par rapport aux cours qu'ils donnent, parce que, la plupart du temps, ils viennent en cours quand ils veulent, il n’y a aucun contrôle sérieux. De plus, ils sont en grève “pour un rien”, ils peuvent décider de venir ou de ne pas venir…Donc, je pense qu’il y a beaucoup de choses comme cela qu’il faudrait songer à changer.

Il convient également, de souligner le problème du faible rendement de ce système en matière de résultats scolaires, comme on peut en observer les causes dans le témoignage d’Espérance. Mais au-delà de toutes ces difficultés mentionnées par Espérance, et ses camarades que nous avons interrogés, le problème majeur reste le caractère élitiste, sélectif et inégal de ce système éducatif. Ce qui fait de lui en l’occurrence, un système aux antipodes de la démocratisation scolaire. En effet, la notion de “démocratisation” correspond ici à deux processus distincts : d’une part, la massification de l’accès à l’école, à des niveaux de plus en plus élevés de la formation initiale (démocratisation quantitative). Et d’autre part, l’enjeu de l’égalité des chances scolaires, qui renvoie à la question suivante : dans quelle mesure la réussite scolaire est dépendante (ou indépendante) des caractéristiques sociales des élèves (démocratisation qualitative) ? DUBET, (2004). Cette massification de l’accès à l’école en Côte-d’Ivoire n’est toutefois pas synonyme de "démocratisation qualitative". En effet, la réussite scolaire dans ce pays reste variable selon l’origine sociale des élèves, comme nous l’avions mentionné dans le chapitre trois de la partie théorique de notre travail, concernant la question d’équité et de disparité dans le système éducatif ivoirien. Nous avions certes souligné le fait que les disparités selon le genre sont tout à fait significatives, mais celles selon le milieu géographique et surtout le niveau de richesse familiale sont d’une intensité beaucoup plus grande en matière de scolarisation et de réussite

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sociale. C’est d’ailleurs le constat que fait la plupart de nos répondants, notamment Serge à la question : Yao 13 : As-tu le sentiment que si on réussit à l'école, on peut avoir un bon métier en Côted’Ivoire aujourd’hui ? Serge

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: Si on réussit à l’école ? De nos jours, c’est difficile de dire “réussir à l’école”

parce que tu peux amasser autant de diplômes que tu veux, mais si tu n'as pas de relations ou des parents bien placés, je veux dire : riches, c'est pas sûr que tu ais un travail dans la fonction publique. Car ces places sont programmées pour les gens riches ou ceux qui connaissent des gens riches. Il y a par exemple nos “grands frères” ici qui ont amassé plein de diplômes, mais ils n’ont pas d’emploi. Donc, je peux dire que pour avoir un bon travail en Côte-d’Ivoire, les diplômes seuls ne suffisent pas, car ils ne permettent pas, et ne garantissent pas, de nos jours, d'avoir un bon travail.

Ces propos sont corroborés par un constat au niveau du second cycle secondaire, où on trouve 3 fois plus d’urbains que de ruraux et 6 fois plus de jeunes issus de milieu aisé (les deux plus hauts quintiles de revenu) que de milieu défavorisés, représentant les deux quintiles les plus pauvres de la population, d’après les enquêtes de ménages EIS (2005) et MICS (2006). Nous savons tous que même si la réussite scolaire n’est pas forcément synonyme de réussite sociale, elle y contribue cependant très fortement. Au-delà de la seule réussite scolaire, la prise en considération des déterminants sociaux de l’accès aux différentes filières, notamment au niveau du baccalauréat et de l’enseignement supérieur, renforce le constat dressé par Pierre MERLE d’une démocratisation qu’il qualifie de “ségrégative”. Ainsi donc, la généralisation de l’accès à un niveau d’études donné s’accompagne d’une différenciation sociale selon les filières. En Côte d'ivoire, la répartition inégale des élèves de milieux favorisés et ceux des classes populaires, dans les différentes filières ne déroge malheureusement pas non plus à ce phénomène, quasi universel à toutes les institutions scolaires. Ce qui du coup, nous renvoie à l’interrogation suivante : peut-on parler de démocratisation scolaire dans le cas de l’école ivoirienne ?

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1.2 – Hypothèses relatives à la problématique ● Le modèle élitiste, inégal et excluant, fait aujourd’hui du système éducatif ivoirien, un Système aux antipodes des enjeux de la démocratisation scolaire. 

L’amélioration des équipements liés au système éducatif pourrait modifier efficacement les indicateurs de scolarisation en Côte-d’Ivoire, en le rendant par la même occasion, plus compétitif face aux enjeux de la mondialisation.

Les difficultés liées à la demande de scolarisation, sont une des caractéristiques de l’inadéquation de l’école ivoirienne.

Un accroissement du nombre des infrastructures scolaires et universitaires pourrait permettre de désengorger les établissements. La hausse du niveau de formation des enseignants pourrait contribuer significativement à influer sur les indicateurs actuels de scolarisation.

L’école s’inscrit aussi bien dans l’histoire d’une société que dans l’histoire individuelle, et joue le rôle d’un “musée de valeurs” dans la transmission des connaissances et du patrimoine culturel d’une société.

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2ème partie : Dispositif méthodologique utilisé 2.1 – Choix du dispositif d’intervention : l’entretien semi-directif Nous avons choisi d’utiliser l’entretien semi-directif comme dispositif d’intervention pour notre travail de terrain, afin de vérifier nos hypothèses et problématique de recherche. L’entretien est en effet, une méthode directe qui permet de prélever généralement des remarques et des commentaires de façon plus riche et plus nuancée, que ne peut le permettre un questionnaire. Et à la différence de l’observation, qu’elle soit participante ou non et qui permet de se faire une première impression et de découvrir le non-verbal, l’entretien est lui, plus axé sur le discours. Ainsi, pour des raisons d’objectivité, ce choix nous a paru justifié et judicieux. En tant qu’outil d’interaction humaine, l’entretien semi-directif permet également d’analyser le sens que les acteurs donnent à leurs pratiques ou aux évènements auxquels ils ont été confrontés. Ce qui, permet ainsi de recueillir des récits de vie, dans le cadre d’une démarche anthropologique, par exemple. Dans cette perspective, l’observation ne nous a pas semblé un dispositif approprié pour notre recherche. Car nous avons estimé qu’elle ne nous aurait pas permis d’analyser les représentations des acteurs interrogés. En outre, elle ne nous semble pas stimulante pour le chercheur, en ce sens, qu’elle ne lui offre pas l’impression de la découverte et du contact humain. Dans cette même logique, le questionnaire semble donc inadapté par rapport au thème de notre travail de recherche, et des hypothèses théoriques qui lui sont associées, qui s’avèrent être plus qualitatives de notre point de vue. Le dispositif du questionnaire, correspond mieux à un travail quantitatif et standardisé, avec une grille fermée du type “oui/non/ne sait pas”. Il est généralement utilisé dans le cas d’une étude, lorsque l’expérimentateur vise par la suite à généraliser par exemple, ses résultats en mettant en perspective deux ou plusieurs variables. C’est donc dans le but d’éviter toute systématisation des propos de nos répondants, en ce qui concerne les représentations faites de leurs divers parcours scolaires, que le dispositif de l’entretien semidirectif, nous a semblé le plus approprié ; mais aussi par souci d’objectivité.

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2.2 – Choix de la population sélectionnée : les élèves de terminale Un regard rétrospectif nous fait “apparaitre” que l’échantillon de la population que nous avons interrogé se rapporte au “groupe” que forment les élèves. Cette recherche se situe dans le champ d’intervention de la sociologie de l’éducation et se compose précisément de douze entretiens semi-directifs réalisés auprès d’élèves de lycée, notamment les terminales. En effet, nous avons fait le choix de cette population, car elle semble mieux correspondre à notre questionnement de départ, concernant le regard qu’ont les élèves des politiques éducatives peu « exemplaires » auxquelles ils sont constamment confrontés. Dès lors, il s’est agit pour nous de comprendre comment ils vivent au quotidien les nombreuses irrégularités présentes dans le système éducatif ivoirien : engorgement des classes ; système de la double vacation; grèves fréquentes (voire des années blanches); vétustés et insuffisances des locaux scolaires; mais surtout les disparités de toute sorte et le caractère élitiste, excluant et inégal qui persiste au sein de ce système.

Ainsi, notre échantillon a été uniquement composé de lycéens appartenant à deux filières scolaires distinctes : la terminale A et la terminale D ; terminologie issue du modèle scolaire colonial. Nous nous sommes également intéressés aux stratégies développés par ses élèves et leurs familles dans le cadre de leurs parcours scolaires pour réussir leurs études. Par ailleurs, nous avons essayé de comprendre leurs motivations, ainsi que les éventuelles opportunités qui s’offrent à eux sur le marché du travail, une fois leurs diplômes en poche. Il aurait aussi été “productif” d’interroger conjointement les enseignants et les lycéens, mais nous avons décidé de limiter notre travail exclusivement qu’aux élèves, car notre intérêt se portait spécifiquement sur la compréhension de leur parcours scolaire.

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2.3 – Choix du terrain : “l’univers” scolaire (enseignement secondaire) Les entretiens ont tous été effectués directement au sein du lycée de mes interviewés, comme nous en avions convenu par téléphone avec le chef d’établissement. Cette démarche nous a semblé justifiée pour des raisons objectives à la recherche, comme c’est souvent le cas en Sciences de l’éducation. C’est d’ailleurs cette méthode, qui consiste à se déplacer dans l’environnement de ses répondants, qu’a utilisé Bernard LAHIRE, lorsqu’il a procédé à des travaux de recherches sur les rapports des familles de milieux populaires avec l’école13. Et comme LAHIRE, la sociologue Anne BARRERE, pour étudier le travail des lycéens, s’est également rendu dans les établissements scolaires pour mener son enquête 14. En effet, l’environnement scolaire ou familial constitue un cadre rassurant, puisque familier aux personnes que nous souhaitons interroger dans le cadre d’un travail de recherche. Ainsi, nous avons jugé cette démarche plus appropriée, dans la mesure où elle a pour finalité en théorie de mettre l’interviewé en confiance, afin qu’il soit à l’aise pour s’exprimer le plus confortablement possible (bien que cela ne soit pas toujours le cas pour tous). Ne serait-ce que pour ces raisons, il nous a donc semblé adéquat, comme ces chercheurs, d’investir le cadre scolaire pour conduire notre travail de terrain.

IV – Réalisation et interprétation des entretiens 4.1 – Déroulement concret des entretiens Une semaine après mon arrivée en Côte-d’Ivoire en décembre dernier, j’ai contacté par téléphone le proviseur d’un lycée de ma ville de résidence, afin d’obtenir un rendez-vous pour la réalisation de mes entretiens. Au cours de notre conversation téléphonique, je lui ai fait part de mon projet de recherche, sans toutefois rentrer dans les détails. A la fin de notre entretien, j’ai pu, avec son accord, convenir d’une date pour la réalisation des entretiens, en tenant compte du calendrier scolaire des élèves. La passation “matérielle” des entretiens proprement dits s’est déroulée au mois de janvier 2010, durant deux semaines, dans les locaux du lycée. Au début de mon travail de recherche, j’avais espéré interroger les élèves des trois filières

13

LAHIRE, B. Tableaux de familles : Heurs et malheurs scolaires en milieux populaires. Seuil/Gallimard, 1995, 297 p. 14

BARRERE, A. Les lycéens au travail : Presses Universitaires de France, 1997, 262 p.

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présentes dans ce lycée (terminales A, C et D). Cependant, compte tenu du planning très chargé des élèves de terminale C par rapport aux deux autres (A et D), je n’ai en définitive pas pu les interviewer comme prévu initialement. A ce propos, il convient de rappeler qu’en Côte-d’Ivoire, comme c’est d’ailleurs également le cas en France, les filières scientifiques sont très valorisées, ce qui justifie sans doute la charge importante de leur calendrier scolaire. Le jour et l’heure de la passation des entretiens, de la première et deuxième semaine, des terminales A et D, avaient été convenus avec le chef d’établissement lors de notre première conversation téléphonique, à cause du système de la double vacation en vigueur en Côte-d’Ivoire. Ainsi, la veille de la date prévue, j’ai pris le soin de rappeler le proviseur par “précaution”, afin de m’assurer qu’il n’y avait pas de revirement de “dernière minute”, ou qu’une quelconque complication ne soit intervenue entre temps. Le lendemain matin, je me suis rendu audit lycée pour débuter les premiers entretiens avec les élèves de terminales A, peu avant l’heure initialement fixée. Une fois sur place, je suis allé rencontrer physiquement le proviseur, car il s’agissait de notre première entrevue depuis nos deux conversations téléphoniques. J’ai donc été reçu dans son bureau environ une demi-heure, où nous avons à nouveau longuement parlé de mon travail de recherche. J’ai par la suite été emmené dans une salle de classe, spécialement aménagée pour la passation des entretiens. Il importe en outre de rappeler que la passation des entretiens s’est faite individuellement et en face à face avec chacun des élèves. En préambule, j’ai veillé à chaque fois à leur expliquer clairement la consigne, et à les remercier également à la fin de chaque entretien. Par ailleurs, je leur ai de même garanti la confidentialité de leurs propos, bien qu’ayant été enregistrés à l’aide d’un dictaphone. Le caractère “secret” et intime du témoignage des interviewés, “doublé” par l’anonymat de rigueur en Sciences Humaines, avait déjà fait l’objet d’à-propos au téléphone avec le proviseur lors de la prise du rendez-vous. Cependant, il m’a néanmoins paru important d’aborder le sujet avec mes répondants, afin de les rassurer du caractère confidentiel de leurs propos. Cette mise au point de départ, ainsi que le cadre “matériel” adéquat réservé à cet effet, a permis le bon déroulement des douze entretiens, puisqu’aucun élément extérieur n’y a fait interférence lors des passations.

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4.2 – Interprétation de la conduite des entretiens Le recueil des données auprès des acteurs (élèves de terminales) de l’établissement retenu dans le cadre de ma recherche ne s’est pas fait sans difficulté. Globalement, deux défis et écueils ont été rencontrés : la compréhension de certaines questions et notions, et le choix de l’établissement. Le premier défi a été l’explication et la clarification de certaines questions et notions du guide d’entretien. Par exemple : “As-tu le sentiment… ?” “Est-ce que tu peux me parler de ton parcours scolaire ?” “Quel est le parcours social... ?” Puis des notions comme : “démocratisation scolaire”, “système éducatif”, etc. n’ont pas souvent été de prime abord comprises par les élèves. J’ai donc dû arrêter le dictaphone pour leur expliquer ces questions et notions, pour lesquelles ils éprouvaient quelques difficultés, avec des mots plus “familiers”, en vue d’une meilleure compréhension; ceci avant de reprendre l’entretien par la suite, une fois la compréhension acquise par mes répondants. Le second défi a porté sur la difficulté à établir un contact avec certains chefs d’établissement, très méfiants, en vue d’obtenir leur accord préalable pour mon travail de recherche. En effet, à mon arrivée en Côte-d’Ivoire en décembre 2009, j’ai essayé de prendre rendezvous avec deux lycées de la ville, sans succès. J’ai par la suite, réussi à obtenir un rendez-vous avec un proviseur, grâce à l’intervention de personnes de connaissance, afin de pouvoir finalement effectuer mes entretiens auprès de lycéens. Il convient cependant de rappeler que, dans les établissements scolaires ivoiriens, il n’est pas aisé d’interviewer, et surtout de recueillir les propos des élèves ou autres acteurs de l’éducation, à l’aide d’un dictaphone ou appareil, à cause notamment du Rapport (accablant) effectué par le RESEN en 2000 et 2007 sur le système éducatif ivoirien. Ce rapport a en effet dénoncé de nombreuses irrégularités au sein du système éducatif ivoirien, plus particulièrement en matière de gestion des ressources, de politiques éducatives et surtout de pratiques illégales menées par certaines DREN et responsables d’établissement (sous-dotation de certains établissements en enseignants, recrutement parallèle, etc.). C’est d’ailleurs le constat que fait l’une de nos répondants au sujet de certaines pratiques illégales, notamment le recrutement parallèle : Yao 10 : Est-ce que tu as déjà entendu parler du recrutement parallèle ? N-J

10

: Oui, tout le monde connait ça ici, et ça se fait même au sein de mon lycée

actuellement.

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Yao 11 : Et qu'est-ce que tu en penses ? N-J

11

: Moi je pense que certains chefs d'établissements, pour les responsabilités qu'ils ont,

ne sont pas honnêtes, parce que le recrutement parallèle c'est quelque chose qui déjà est illégal. Mais cela ne les empêche pas de le faire quand même sans être inquiété, alors que le gouvernement avait promis traquer et poursuivre en justice les gens qui le font. Mais en fait il ne fait rien du tout comme pour tout d'ailleurs, et je pense que c'est pour cette raison que cette pratique continue encore aujourd’hui. Déjà qu'il n'y a pas assez de place dans les lycées et collèges publics, on recrute encore parallèlement pour de l'argent des élèves qui n'ont même pas le niveau, pour venir surcharger encore les classes. Mais certains responsables d'établissement acceptent des élèves qui n'ont même pas leur examen. C'est vraiment injuste, parce que l'État des fois refuse d'affecter certains élèves qui ont eu leur examen, par manque de place, ou à cause de l’avancement de leur âge.

Cette situation a été rendue encore plus difficile par la crise sociopolitique, qui a renforcé le climat de méfiance de certains chefs établissements, de peur d’être dénoncé, quant à certaines de leurs pratiques. Par conséquent, nombreux sont ceux (parmi ces chefs d’établissement) qui refusent de façon systématique d’ouvrir leurs portes à toute personne extérieure ou étrangère à leur établissement. Concernant l’attitude et le comportement des élèves ayant participé à mon travail, ceux-ci ont tous répondu de façon spontanée et de la façon la plus sincère possible aux questions que je leur ai posées.

4.3 – Interprétation du contenu des entretiens : 4.3.1 – Introduction à l’interprétation du contenu des entretiens Après avoir retranscrit tous les entretiens, nous allons à présent procéder à l’analyse des propos recueillis, afin d’établir ce qu’il y a de commun et de différent dans le discours des interviewés, sans toutefois les surévaluer. Pour cela, nous allons donc être amenés à aborder différents thèmes repérés dans le discours de nos répondants, pour pouvoir les croiser avec des thèmes relatifs à notre problématique. Tout au long de ce travail de recherche, nous nous sommes demandés : quels dispositifs peuvent contribuer à l’efficacité des politiques d’éducation au sein du système scolaire ivoirien ? Ce qui par conséquent, nous a amené à réfléchir, par la même occasion, à la notion d’“efficacité”. 138


Mais comment peut-on définir une telle notion ? Le dictionnaire Larousse définit le mot “efficacité” comme la « capacité à optimiser un résultat ». Partant de cette définition, nous pouvons de fait nous pencher sur les politiques éducatives menées au sein de ce système, depuis l’indépendance jusqu’à l’heure actuelle. Cela devrait ainsi nous permettre de les mesurer de façon objective de diverses manières. En effet, d’après les résultats du rapport du RESEN (2000/07), le système éducatif ivoirien sort de 20 années au cours desquelles le pays a connu un environnement macroéconomique difficile avec des conséquences très négatives. Mais celui-ci s’est considérablement dégradé suite à la crise politico-militaire délicate 2002, qui a encore un peu plus ébranlé ses fondements. Ainsi, le Produit National a certes augmenté en termes réels entre 1990 et 2000, mais avec un rythme un peu inférieur à celui de la population. Cela a conduit à une graduelle érosion de la valeur du produit national par habitant (qui a baissé d’environ 7% au cours de la décennie). On peut noter en premier lieu, une diminution sensible des ressources publiques allouées au secteur éducatif. Dans un second temps, on note une quasi stagnation de la couverture scolaire, notamment au niveau de l’enseignement primaire avec moins de la moitié de la classe d’âge qui a au moins une scolarité primaire complète. Les effectifs du supérieur ont également augmenté de façon très significative sans que les ressources correspondantes aient été mobilisées. Ce qui a inexorablement conduit à une dégradation majeure de la qualité des services offerts à ce niveau d’enseignement. Par exemple, dans les années 1980, 1985, 1990 les taux de réussite à l’examen d’entrée en sixième étaient respectivement de 29 %, 22 % et 22 % selon les chiffres du MEN. Outre la baisse du taux de réussite, il faut tenir compte des nombreux abandons avant le CM2 (environ 22 %) et de la sélection qui s’établit entre les élèves potentiellement autorisés à poursuivre dans le secondaire, du fait de l’insuffisance de l’offre : seulement 38 % des élèves admis obtenaient une place dans le public, ce qui laissait 62 % d’admis dans le système scolaire public. Outre la sélection, d’autres facteurs pouvaient intervenir parfois de façon négative, dès la sixième, sur le cursus des élèves, comme le montrait Benjamin ZANOU dans son ouvrage, L’orientation des élèves en classe de sixième, (1993). Selon Benjamin ZANOU, dans les établissements publics, l’accès à la classe de sixième se fait par voie de concours. Une commission nationale d’orientation affecte les élèves dans les collèges en fonction du nombre des places disponibles qui représentaient au début des années

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quatre-vingt-dix, qu’entre 15 et 20 % de l’effectif des candidats au concours. Le taux de réussite au baccalauréat de ces deux dernières années, respectivement de 26,14% en 2008 et 20,27% en 2009 selon le MEN, est un indicateur de la forte déperdition qui s’effectue dès le primaire. Les propos d’Espérance témoignent d’ailleurs de cette déperdition de l’école ivoirienne : Yao 11 : D'accord. Qu'est-ce que tu penses de l'école ivoirienne dans son ensemble ? Espérance

11

: Je trouve que l'école publique est faite en principe pour aider les personnes

qui n’ont pas de gros moyens. Mais je pense que l'idéal aujourd’hui, serait de restructurer tout cela pour que dans les classes, on soit moins nombreux et que les professeurs puissent dispenser tous les cours du programme avant qu’on aille aux examens. Parce que, la plupart du temps, on n'a pas tous les cours qu’on devrait avoir avant les examens. Il y a même des chapitres dans le programme qu’on n’a pas le temps d'aborder, et c’est souvent ces chapitres qu’on a aux examens, cela est arrivé par exemple l’année dernière aux élèves de terminale dans ce lycée. Il ya eu pas mal d’entre eux qui ont été recalés, car ils n’avaient pas les informations nécessaires pour composer. Donc il serait bien de construire plus d’écoles, pour qu’on soit moins nombreux dans les classes et, pour pouvoir donner la chance à tout le monde, afin de ne pas être obligé de passer par le recrutement parallèle. Il faudrait aussi que les professeurs soient un peu plus surveillés par rapport aux cours qu'ils donnent, parce que, la plupart du temps, ils viennent en cours quand ils veulent, il n’y a aucun contrôle sérieux. De plus, ils sont en grève “pour un rien”, ils peuvent décider de venir ou de ne pas venir…Donc, je pense qu’il y a beaucoup de choses comme cela qu’il faudrait songer à changer. Nous disposons également de quelques pistes concrètes qui corroborent de l’échec des politiques éducatives menées jusqu’alors au sein de ce système. Deux aspects en particulier nous permettent de tenir de tels propos : les parcours scolaires peu exemplaires et l’écart significatif entre l’âge requis pour une classe donnée et l’âge réel observé. C’est par exemple, le cas de la plupart des élèves (dont la moyenne d’âge est de 20 ans) que nous avons interrogés, notamment le cas de Barthélémy, (24ans) élève en terminale A, dont le parcours scolaire est un exemple patent de ces parcours chaotiques au sein du système éducatif ivoirien :

Yao12 : Est-ce que tu peux me parler un peu de ton parcours scolaire ?

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Barthélémy 2 : J’ai eu un bon parcours au cycle primaire, mais c’est lorsque je suis arrivé au secondaire que j’ai commencé à rencontrer des difficultés. En troisième, j’ai “repris” trois fois la classe, je n’ai eu le BEPC qu’au bout de la quatrième fois. J’ai dû faire des aller et retours du public au privé et du privé au public. J’étais dans un lycée privé il ya deux ans, où j’ai fait la troisième, la seconde et la première. J’ai voulu faire la terminale là-bas, mais compte tenu du fait que je suis devenu un membre de la FESCI, l’administration na plus voulu de moi, parce qu’ils disaient que j’étais un “élément à ne pas garder”… Donc on m’a refusé, ce qui a fait que je me suis inscris avec l'aide de mon oncle à nouveau dans le public. Dans l’optique d’amorcer l’analyse proprement dite de nos entretiens, nous allons tout d’abord explorer quelques pistes de réflexion : qu’est-ce qu’être jeune en Côte-d’Ivoire ? Jusqu’à quel âge l’est-t-on ? Jusqu’à quel âge dépend-t-on financièrement de la famille ? Jusqu’à quel âge parait-il “normal” de poursuivre ses études ? Nous nous proposons d’examiner ces pistes du fait de la fréquence des redoublements et de l’âge “élevé” de nos répondants.

4.3.2 – Le concept de "jeune" en Côte-d’Ivoire La particularité de la société ivoirienne réside dans sa dualité fondée sur deux modes d’organisation différents, qui coexistent avec plus ou moins de succès : une forme traditionnelle et une forme moderne. Les évènements historiques expliquent en grande partie cette dualité dans les modes d’organisation de cette culture. Si dans les sociétés occidentales, l’on arrive à déterminer de façon relativement simple ce qu’être "jeune", il est en revanche difficile de définir ce concept dans la société africaine. Ainsi, par exemple, le terme "jeune" a une connotation, dans une société africaine, précise et désigne un individu qui n’est pas reconnu comme adulte par le corps social. Ceci l’exclut donc des droits, privilèges mais aussi obligations qui sont rattachés à cet état. De fait, un jeune est une personne en voie de socialisation; cependant, les modalités diffèrent selon les ethnies. Cette coexistence se traduit par une désorganisation profonde, les référentiels changeant en fonction des circonstances. L’évolution de la famille ivoirienne illustre bien le caractère ambivalent de cette société. La famille évolue peu à peu d’une structure étendue traditionnelle à un schéma « moderne ». Ce processus induit une bipolarisation apparente, les deux formes coexistant encore. On peut

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escompter à terme, si la Côte d’Ivoire suit les schémas démographiques courants, que la forme nucléaire devienne dominante. Cependant, la famille étendue; celle qui, ajoute à la famille conjugale les cousins, les oncles, les alliés, demeure une entité qui parvient encore à s’imposer, particulièrement lors de circonstances difficiles (décès, problèmes dans la sphère des activités économiques, perte d’emploi nécessitant des ressources temporaires originaires in fine de la famille étendue,...). Les enfants et les jeunes (élément majeur de toute famille) occupent une place considérable dans la société ivoirienne. Cette catégorie de population est importante au plan démographique, environ 57% de la population ivoirienne est composée de personnes de moins de 20 ans. Les jeunes et les enfants sont par ailleurs l'objet de nombreuses attentions, surtout dans la sphère traditionnelle. Afin de mieux appréhender les facteurs entravant le développement de l’enfant dans la société moderne, nous allons préciser les modalités de sa socialisation dans le contexte traditionnel ivoirien. Bien que l’âge légal de la majorité (reconnaissance d’un statut d’adulte dans la sphère moderne de la société) soit de 18 ans aujourd’hui en Côte-d’Ivoire, les jeunes peuvent être reconnus comme adultes avant ou après cet âge dans la société traditionnelle. L’enfant est adulte dès l’âge de 18 ans chez les Malinkés, où l’on observe, en fonction du sexe, une répartition du travail et une éducation différenciée qui renvoient à la place future de l’individu adulte dans la famille étendue. Ainsi, la mère apprendra très tôt à sa fille comment tenir un foyer, alors que le père se chargera de l’éducation de son fils. Le jeune, ayant atteint sa dixhuitième année, est alors supposé “socialisée” et entre réellement dans le monde des adultes par le biais du mariage. Tandis qu’il faut atteindre l’âge de 28 ans pour l’être chez les Sénoufos. Par ailleurs, la société, encore à dominante traditionnelle, (à l’origine, la société ivoirienne est essentiellement rurale et c'est dans le village que se déroulent les principales activités sociales d'ordre traditionnel) ne reconnait pas vraiment cette disposition légale entre la tradition et une modernité importée. La société traditionnelle ivoirienne est caractérisée par une organisation socioéconomique de type communautaire (la gemeinschaft selon F.Tönnies) fondée sur la solidarité et l’union des groupes. Il s’agit ici de la solidarité mécanique de Durkheim car les comportements y sont similaires et il existe une conscience collective, un « état représentatif, cognitif et émotionnel, qui embrasse, outre la personne elle-même, tous les individus du groupe, de même que les intérêts et les valeurs culturelles ». (Durkheim 1893). Dans ce type de société, deux pôles prédominent : la famille étendue ou élargie et la 142


classe ou le groupe d’âge. Ces pôles de socialisation primaire et secondaire ont aussi un rôle politique, religieux, militaire nécessaire au bon fonctionnement de la communauté. Notre analyse du processus de socialisation, se centre donc en milieu villageois autour de la famille étendue et des sous groupes d’appartenance, c’est-à-dire les classes d’âge auxquels appartiennent fort d’ailleurs nos répondants. Ainsi, le terme “jeune”, en apparence précis, est bien plus “flou” quand on le transpose dans le système de valeurs africain. Un jeune au sens social peut donc être âgé de 18 ans comme de 30 ans. Il convient donc de noter que la coexistence, de ces deux formes d’organisations de la société ivoirienne, se traduit par une désorganisation profonde, dans la mesure où les référentiels changent en fonction des différents groupes ethniques. Aussi, afin de voir si l’arrêt des études en Côte-d’Ivoire dépend du sexe, de l’âge, des revenus de la famille, du choix des élèves ou des résultats scolaires, nous allons tenter d’examiner la conjonction de ces facteurs à travers l’analyse de l’offre et de la demande de scolarisation.

4.3.3 – Les facteurs d’offre et de demande pour rendre compte de la scolarisation en Côte d’ivoire En Côte-d’Ivoire, tous les enfants n’ont pas accès à l’école primaire, et seulement une proportion de ceux qui y entrent atteint la fin de ce cycle d’enseignement (voir chapitre 3). Pour comprendre ce phénomène dans une perspective de politique éducative, il serait particulièrement important de se demander : dans quelle mesure les enfants qui n’ont pas accès à l’école arrivent à une telle situation ? Cela pourrait notamment s’expliquer par plusieurs facteurs : 

Nombreuses lacunes du côté de l’offre scolaire, notamment à cause du fait que certaines écoles sont souvent trop éloignées du domicile familial.

Difficultés liées à la demande de scolarisation, car certaines caractéristiques de l’école sont perçues comme inadéquates par les familles (calendrier scolaire, contenus d’enseignement, pratiques utilisées, etc.).

143


Certaines familles ne disposent pas toujours de moyens financiers conséquents pour assurer la scolarisation de leurs enfants.

Concernant la rétention en cours de cycle primaire pour les enfants ayant eu accès à l’école, on retrouve ici encore l’articulation de l’influence de facteurs d’offre et de demande. Pour ce qui est de l’offre, certaines écoles ne donnent pas la possibilité de continuité éducative localement jusqu’à la fin du cycle. Dans cette mesure, il serait donc approprié de dire que c’est l’école qui abandonne les élèves, et non les élèves qui abandonnent l’école. Du côté de la demande, certains parents pensent qu’après quelque temps passé à l’école sans résultats scolaires satisfaisants, il importe d’y mettre un terme, estimant que l’investissement scolaire de leurs enfants ne va pas véritablement être utile. Car plus âgés, ils deviennent plus indispensables à l’économie familiale : c’est notamment le cas des filles dont les parcours scolaires s’interrompent souvent plus tôt que ceux des garçons. Ce qui laisse supposer que lorsqu’un effort supplémentaire est demandé aux parents, le choix se porte plus sur les garçons que sur les filles. Ainsi, les jeunes filles que nous avons interrogées ont deux attitudes face à ce choix des parents. Soit elles remarquent avec amertume que ceux-ci hésitent de plus en plus à assurer leur scolarité, contrairement à leurs frères, soit elles affirment envisager d’arrêter leur scolarité pour exercer une activité, commerçante ou autre. C’est par exemple le cas d’Espérance, qui nous a confié ces propos à ce sujet : Yao 5 : D'accord. Est-ce que tu as déjà été confrontée au fait d'arrêter tes études pour venir en aide à tes parents ? Espérance 5 : L'idée m'a traversé l’esprit, je voulais comme ma sœur arrêter mes études pour aider ma mère à vendre dans les marchés. Mais mes parents m'ont encouragé à continuer les études, car ils disent pouvoir encore me venir en aide pour le moment. C’est pour cette raison, qu’ils n'ont pas voulu que je fasse comme ma sœur, c’est-à-dire, abandonner mes études. Du coup, je ne les aide que pendant les grandes vacances. J'essaie de les aider comme je peux, parce qu'ils n'ont pas assez de revenus. Par rapport à ma sœur, j'ai eu de bons résultats (scolaires), donc mes parents comptent sur moi, pour réussir mes études pour pouvoir leur venir en aide un jour. Ils se disent que si je réussis à faire de grandes études, j'aurais peut-être un bon poste et je pourrais ensuite leur venir en aide, ainsi qu’à mon frère

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et mes 2 autres sœurs. C'est pour cette raison que je continue encore mes études malgré les difficultés financières auxquelles ils sont confrontés. Ces élèves “défavorisées” transforment leur relégation en choix, alors même que leurs parcours scolaires ont depuis plusieurs années été soutenus par leurs parents. Ces possibilités d’abandon mentionnées par Espérance tiennent donc plus à une saturation de l’aide familiale qu’à une réelle décision de leur part. Ainsi, la scolarisation des filles est beaucoup plus incertaine et fragile que celle des garçons, comme nous le fait constater d’ailleurs Serge :

Yao 7 : Mais est-ce que tu connais autour de toi, ou dans ton entourage, des personnes qui ont été obligées d'abandonner les cours pour travailler, afin d'aider leurs parents ? Serge

7

: Dans ma famille et mon entourage, personnellement, non. Mais quand j'étais en

classe de troisième, ma meilleure amie a quitté l'école pour aider sa mère à vendre sur les marchés. Ce sont des choses qui arrivent très souvent par ici, surtout chez les filles, qui font souvent des petits boulots comme la coiffure, le commerce, la couture, ou elles restent à la maison pour aider leurs mères au foyer dans les tâches ménagères.

Dans cette perspective, les pratiques de crise dans le domaine scolaire risquent, à court terme, de remettre en question la progression du taux de scolarisation féminin en Côte d’ivoire.

4.3.4 – Les stratégies développées par les familles Aujourd’hui en Côte d'ivoire, la paupérisation du système scolaire, la corruption des acteurs éducatifs, la constante dévaluation des diplômes et le chômage des diplômés, constituent autant de facteurs qui compromettent les stratégies d’ascension sociale des familles. Ce qui menace par la même occasion le consensus national autour de ce système éducatif. Quelles seront les implications des familles dans la scolarisation de leurs enfants ? Et quelles orientations celles-ci prendront-elles? Nous avons choisi ici de parler des “arrangements” opérés par les familles, pour maintenir par tous les moyens leurs enfants dans le système scolaire, en fonction des atouts sociaux dont elles disposent. C’est notamment le cas de Issouf :

Yao 2 : Est-ce que tu peux me parler un peu de ton parcours scolaire ?

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Issouf 2 : Oui. Je suis rentré au CP1 dans une école publique à Abidjan, mais au CE1, j'ai été exclu de l'école, parce que j'étais trop “voyou”, je trainais beaucoup dans la rue avec mes amis, donc je n'allais pas souvent à l'école. A la fin de l’année, j’ai été renvoyé de l’école parce que je n’avais pas eu une bonne moyenne. Ma mère a donc décidé de m'envoyer chez l'un de mes grands frères qui habitait à Bouaké pour continuer ma scolarité Quand je suis arrivé chez lui, il m'a inscrit en classe de CE2 dans une école publique grâce à ces relations. Après trois années passées dans cet établissement, j'ai pu obtenir l'entrée en sixième, et j'ai été orienté dans un collège public de la ville. J'ai habité avec mon grand frère jusqu'à la classe de troisième. Mais en troisième, je n’avais pas obtenu une moyenne acceptable pour pouvoir redoubler la classe quand j'ai échoué au BEPC, alors j’ai été encore renvoyé. Mais j'ai ma tante maternelle qui connaissait le proviseur d'un lycée à Agboville, donc elle a pu me faire inscrire, où j’ai finalement passé avec succès le BEPC, et cette année je suis en terminale. Le cas d’Issouf donne une idée de l’incertitude, de la fragilité et de la complexité des itinéraires

scolaires

en

Côte

d’ivoire :

échecs,

exclusions,

migrations

scolaires,

redoublements. Malgré les obstacles, les conditions de vie incertaines, les investissements nécessaires et l’incertitude du résultat, les familles s’acharnent à soutenir la scolarité de leurs enfants. L’interruption du cursus n’intervient que lorsque les atouts dont elles disposent ne suffisent plus. Ces pratiques réduisent à coup sûr la complexité du champ scolaire, mais elles permettent de comprendre plus largement les relations entre origine sociale et parcours scolaire. Les entretiens effectués auprès des élèves, nous a permis de constater une grande instabilité dans leurs parcours scolaires. Il reste que, l’observation faite de ces parcours, permet de mettre en évidence différents types d’itinéraires, que nous pouvons considérer comme des indicateurs de la complexité de l’histoire scolaire des jeunes ivoiriens, et de l’acharnement des familles à vouloir à tout prix les prolonger. La complexité de ces itinéraires durant le second cycle, l’acharnement des familles et les stratégies qu’elles élaborent entre légalité et illégalité pour le maintien scolaire de leurs enfants, n’est pas un phénomène nouveau en Côte-d’Ivoire.

En effet, les enquêtes menées au début des années 1980 par Marc Le PAPE et Claudine VIDAL dans leur ouvrage, L’école à tout prix (1987) ont montré des stratégies familiales identiques à celles observées encore aujourd’hui dans le système scolaire ivoirien. Selon ces auteurs, après 1980, les parents appartenant aux classes moyennes ont : « continué à

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s’acharner, comme par le passé, à prolonger les études de leurs enfants, malgré la répétition des échecs, malgré l’inutilité sur le marché du travail, d’enseignements payés au prix fort, malgré la dévaluation accélérée des diplômes » (p.64). Cette situation serait selon eux, le fait de l’expérience passée de ces parents qui avaient eux-mêmes été scolarisés à une époque où les individus non diplômés, mais pourvus d’un savoir scolaire de départ leur permettant de se qualifier progressivement, pouvaient s’élever dans la hiérarchie des positions professionnelles et sociales et s’intégrer aux classes moyennes. Ainsi, en identifiant le jeu des “pratiques du couloir” en tant qu’instruments extrascolaires de sélection, cela nous permet de replacer notre recherche dans l’histoire du champ scolaire ivoirien. Toutefois, dans cette catégorie de familles qui ont inscrit leurs enfants dans l’enseignement public, deux groupes se distinguent. D’une part, celles dont les enfants effectuent une scolarité sans recours aux pratiques “illégales”. Et d’autre part, celles qui utilisent ces pratiques pour garantir de l’exclusion leurs enfants, ou pour éviter les “goulots d’étranglement”. L’utilisation de ces stratégies des circuits scolaires par les familles s’apparentent à des techniques de survie pour repousser le plus loin possible l’éviction de leurs enfants du système scolaire public.

4.3.5 – Le parcours scolaire des acteurs interrogés Certains élèves suivent un cursus scolaire sans avoir recours aux recrutements parallèles, c’est-à-dire sans avoir à mobiliser un réseau de relations, et sans transfert dans le secteur privé, et cela malgré plusieurs redoublements. On peut donc se demander si ces parcours découlent de choix éducatifs et de stratégies scolaires, ou s’ils résultent de l’impossibilité des politiques éducatives à mobiliser un capital économique et social suffisant pour éviter les redoublements ? Il semble a priori difficile de répondre à cette question, d’autant plus que la nécessité peut souvent être présentée, a posteriori, comme un choix. Nous pouvons cependant dire que l’échec n’entraine pas de façon automatique un recours au secteur privé ou au recrutement parallèle. Car la solution de remplacement à l’arrêt de la scolarité des enfants, envisagée par les familles ayant un faible crédit financier et social, est dans ce cas le redoublement. Les parcours scolaires en Côte-d’Ivoire seraient-elles donc déterminés par les différentes formes de capitaux que peuvent mobiliser les familles ? Il est néanmoins évident que le

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parcours de la plupart des élèves que nous avons interrogés, n’excluent pas en cas d’exclusion, un recours à des pratiques “illégales”. Ceci, afin de repousser le plus loin possible le “spectre” de la déscolarisation, pour pouvoir ainsi les maintenir dans le public. Car l’enfant scolarisé représente en Côte-d’Ivoire pour les familles, un investissement à long terme, une promesse de retour des capitaux sacrifiés ; en somme une capitalisation. On retrouve ces espoirs d’ascension sociale dans les discours de nos répondants qui aspirent à un meilleur niveau de vie que celui de leurs parents. Ces parcours scolaires témoignent aussi d’une histoire familiale et des espoirs différentiels placés dans la scolarisation des enfants d’une même fratrie. Mais, les familles investissent beaucoup moins dans la scolarisation des cadets, lorsque les ainés ont acquis une position sociale confortable. Ainsi, les cadets disposent par la même occasion d’un modèle de promotion sociale par l’école dans leurs propres familles. Ce qui leur donne également une espérance objective plus forte d’accéder à des études supérieures. Cependant, un tel projet d’études supérieures diffère des perspectives envisagées par de nombreux jeunes issus de classes populaires. Car ils sont moins assurés de pouvoir compter sur des soutiens familiaux, ou ne bénéficient pas de modèle de réussite scolaire dans leurs familles. Ils vont donc logiquement se détourner des formations universitaires, pour se réorienter vers les concours (police, gendarmerie, douanes, enseignement, infirmiers, etc.). C’est notamment le projet de Pélagie : Yao 9 : Qu’est-ce que tu envisages de faire après le bac ? Quels sont tes projets ? Pélagie

9

: Après le bac, je n’aimerais pas faire de longues études, puisque mes parents ne

pourront pas financièrement me venir en aide. Parce que ça coûte cher en Côte-d’Ivoire d'aller à l’Université, mais j’aimerais plutôt présenter le concours du CAFOP (Centre d’Animation et de Formation Pédagogique : équivalent de l'IUFM en France) pour devenir enseignante, pour venir en aide à mes parents. Et aussi pouvoir me prendre en charge et espérer avoir une vie un peu plus facile de celle qu'ont mes parents. De toute façon, ça ne sert à rien d'aller gonfler encore le nombre d'étudiants déjà présent à l'université. J'espère que mes parents mettront suffisamment d'argent à côté pour m'aider à avoir mon concours, c'est tout mon souhait. Nous avons pu observer au cours de nos entretiens, l’attachement aux titres scolaires des élèves qui suivent entièrement un parcours dans l’enseignement public. Ils dénoncent par 148


ailleurs les multiples grèves au sein de l’école ivoirienne, en raison des menaces qu’elles font peser sur leur scolarité. Selon la même logique d’efficacité, ils dénoncent également les recrutements parallèles qui surchargent les classes et qui ralentissent ceux qui ont un accès “légal” à l’enseignement public. Les élèves attribuent très souvent leurs échecs à des circonstances extérieures sans rapport avec leurs capacités. Ils comparent souvent le champ scolaire à un marché “déloyal” (“passe-droits”, recrutements parallèles, etc.), et à une insécurité non réprimée à laquelle se livre la FESCI15 (bandes de voyous internes aux établissements) comme en témoignent les propos de Serge : Yao 18 : Tu peux m'expliquer ce qu'est la FESCI ? Serge

18

: Oui. La FESCI, c’est la Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte-d’Ivoire. Ses

membres sont des élèves ou des étudiants, qui disent protéger les intérêts des autres élèves et étudiants. Mais en réalité, ce sont eux-mêmes qui provoquent pour un “oui” ou pour un “non” des problèmes tout le temps et le gouvernement ne fait rien contre eux parce que leur président est le porte-parole des jeunes patriotes de Côte-d’Ivoire. Pour le ministre de l'éducation nationale, c'est l’ONU qui est responsable de tous les débordements de la FESCI, parce que depuis les problèmes de 2002 dans le pays, c'est elle qui contrôle et décide de tout en Côte-d’Ivoire. Et il dit aussi que la FESCI est responsable de ses actes, et qu’il ne peut pas porter de jugement sur leurs agissements. Alors que c’est lui le Ministre de l'éducation nationale, et en tant que tel, c’est donc lui, le premier responsable de l'école ivoirienne. Et s'il tient de tels propos, bon, on voit que rien ne peut être normal dan nos écoles, parce que luimême à son niveau n’arrive pas à gérer les problèmes qu'on a à bien apprendre. C'est pourquoi, moi, je pense que l’école ivoirienne va mal. Malgré ces propos très “amers” au sein de l’école publique, ces élèves pensent néanmoins que l’enseignement y est plus sérieux que dans le secteur privé. Cette défense de l’école publique est largement partagée par ceux d’entre eux qui y ont accompli leur scolarité. Et cette attitude répond d’autant plus à la nécessité de revaloriser les titres qu’elle leur a délivrés, ou qu’elle est censée leur délivrer.

15

Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte-d’Ivoire.

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4.3.6 – Le recours aux recrutements parallèles Les recrutements sont dits “parallèles” d’une part, parce qu’en bénéficient les élèves qui ont réussi les examens de fin de CM2 ou du BEPC, mais qui n’ont pas été intégrés ensuite en sixième ou en seconde (faute de places, ou à cause d’un âge au-delà de celui qui est requis); et d’autre part, en bénéficient également ceux qui ne les ont pas réussi. Ils n'interviennent pas uniquement comme technique pour contourner les échecs à ces examens, mais aussi pour maintenir ces élèves dans le cursus scolaire, afin d'assurer leur scolarité au moindre coût. Ces recrutements sont rendus possibles par la complaisance d’un chef d’établissement, d’un professeur ou d’un responsable politique, moyennant compensation financière. Ou alors par la mobilisation des relations de parenté (dans ce cas, l’argent n’est pas nécessaire) comme l’atteste cet extrait d’entretien : Yao 6 : D'accord. Est-ce que tu as déjà entendu parler du recrutement parallèle ? Espérance 6 : Oui. Yao 7 : Et qu'est-ce que tu en penses ? Espérance 7 : Je pense qu'il y a des personnes qui ont arrêté, ou qui ont été renvoyées du collège ou du lycée, mais qui passent ensuite par le proviseur, c'est-à-dire qu'ils lui donnent de l'argent pour revenir dans là où ils ont été renvoyé. Cela leur permet de suivre des cours dans le public, sans avoir à aller prendre des cours du soir, ou payer une école privée et de retenter leur chance pour le BEPC ou le bac ou pour avancer dans leurs études. Mais cela fait que nous sommes trop nombreux dans les classes. De plus, il y a beaucoup de personnes qui n'ont pas le niveau et le professeur, lorsqu’il explique des choses, ces personnes ne le comprennent pas toujours. Et il y a tellement de monde et de bruit que ce n’est pas toujours évident pour suivre, donc, quelque part, le recrutement parallèle n’est pas toujours bien.

Ces pratiques peu exemplaires, Emmanuel TERRAY y faisait déjà allusion dans son ouvrage, Le climatiseur et la véranda (1986) sous leur forme d'inscriptions scolaires de complaisance, grâce à l’influence des grands notables à la fin des années 60. Les propos rapportés ici par nos répondants, témoignent de l’incertitude, de la fragilité et de la complexité des itinéraires scolaires de bon nombre d’entre eux dans le circuit scolaire ivoirien : échecs, exclusions, migrations scolaires, redoublements, etc. Malgré les obstacles, les conditions de vie incertaines, les investissements nécessaires et l’incertitude du résultat, les familles s’acharnent néanmoins à soutenir la scolarité de leurs enfants, et l’interruption du cursus de

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ceux-ci n’intervient que lorsque les atouts dont elles disposent ne suffisent plus. A partir de leur expérience scolaire précaire, les élèves, disqualifiés par le système, ont une image défavorable de l’école et dénoncent de façon systématique la concurrence déloyale qui y règne en permanence. C’est donc à juste titre que, ces élèves dénoncent toutes les “magouilles”, qui amènent la facilité à l’école, surtout lorsqu’ils les considèrent, au même titre que les autres recours illégaux, comme des privilèges, pour ceux d’entre eux qui en bénéficient. Plus on use de techniques différentes de recours, plus la critique des inégalités qu’elles sont censées recouvrir se restreint. Les “passe-droits” et autres privilèges sont toujours l’apanage des autres et chacun construit son champ de valeurs morales en fonction de son expérience personnelle. Nos élèves interrogés n’estiment pas avoir bénéficié d’avantages ou de privilèges, bien au contraire, ils évoquent la facilité qu’accorde l’argent ou les relations dont profitent certains de leurs camarades qui parviennent jusqu’à l’Université sans niveau scolaire adéquat. Conscients de la précarité de leur cursus scolaire et du peu de capital social de leur famille, ces élèves expliquent avoir le choix entre l’école ou “être livrés à eux-mêmes”, entre un espoir de promotion sociale et la lutte. Soumis à la concurrence déloyale, lâchés par le système scolaire et par l'État, ils supporteront d’autant moins un éventuel désengagement familial. Cette paupérisation actuelle des classes populaires et moyennes, en réduisant les capacités de mobilisation de capital économique et social, prive la majorité de celles-ci d’atouts essentiels à la réussite scolaire. Parallèlement, la rupture des correspondances entre diplômes et “places” dans la fonction publique, ainsi que le peu d’emplois offerts par le secteur privé, amenuise l’espoir et entraine une crise de croyance chez ces jeunes dans la rentabilité de la formation scolaire pour tous. C’est du moins le constat qu’en fait NavieJobelle à ce propos.

Yao 12 : Est-ce que tu penses que l'école ivoirienne permet la réussite pour tous ? N-J 12 : Franchement, je ne crois pas personnellement que l'école ivoirienne permette la réussite pour tous, si tu n'as pas des parents qui peuvent t'aider malgré tes diplômes. Donc pour réussir, il faut “miser”, c'est-à-dire donner de l'argent pour être sûr de trouver un bon travail, ou avoir des parents qui ont des relations pour espérer avoir un bon poste, sans cela, ce n'est même pas la peine de penser avoir un travail surtout dans la fonction publique. Et ça c'est le plus gros problème qu'on a ici en Côte-d'Ivoire.

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Cette situation peut constituer un élément d’explication de la baisse du taux de scolarisation constatée en Côte-d’Ivoire, et génère des pratiques qui visent à conserver, malgré tout, cet espoir de promotion sociale : sélection des enfants à scolariser, inscription dans des cours du soir vécue comme un sursis à l’exclusion définitive, et recours croissant aux transferts courts entre enseignement privé et public. Cependant, ces réajustements stratégiques nécessaires ne sont pas accessibles à toutes les familles, et la place des familles dans la structure socioéconomique (salaire, statut, habitation, etc.) en détermine l’accès.

4.3.7 – L’implication des familles dans le système scolaire Pour les élèves des classes moyennes et populaires, le soutien familial est une condition essentielle de la progression scolaire du primaire au secondaire. Mais si les parents s’accordent à reconnaitre la valeur du capital scolaire, celui-ci reste le plus souvent pour eux limité aux titres que délivre l’enseignement supérieur. Ainsi, la poursuite des études au-delà du baccalauréat est déterminée par le crédit que les familles accordent aux études universitaires longues, sauf dans les filières où la formation est payante et qui, théoriquement, garantissent un emploi de fonctionnaire. La notion de réussite ici est définie relativement aux conditions sociales d’origine : les projets des élèves des classes populaires reflètent des espérances ignorantes des contraintes et des pesanteurs sociales. En effet, ils désirent être médecin, avocat, ingénieur, etc.

Mais plus tard, ces projets se transforment en fonction des possibilités objectives et subjectives de leur réalisation, et les espérances sont révisées à la baisse. Leurs choix professionnels deviennent beaucoup plus flous et incertains, et les déterminismes sociaux n’ont pas besoin d’être consciemment perçus pour les contraindre à se déterminer par rapport à ceux-ci, et par rapport à l’avenir objectif de leur catégorie sociale. Dans cette logique, les projets de ces élèves visent à obtenir un travail qui leur permet d’être indépendants, en accédant à un meilleur niveau de vie, dans l’espoir de pouvoir aider leur famille. Ainsi, les concours apparaissent comme le moyen le plus sûr de les concrétiser. En Côte-d’Ivoire, les lycéens issus des classes populaires restent très attachés aux professions liées à la fonction publique : police, douanes, armée, enseignement, etc., car celles-ci garantissent la sécurité de

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l’emploi, dans un pays où l’accès même à l’emploi relève du parcours du combattant. C’est d’ailleurs ce que nous fait observer Naminata à ce sujet : Yao 13 : Qu’est-ce que tu penses de l’école ivoirienne dans son ensemble ? Naminata

13

: Aujourd'hui, l’école ivoirienne a de gros problèmes. C’est-à-dire, qu’on va à

l’école et on n’est pas pour autant sûr qu’à la fin de nos études, on pourra avoir du travail, surtout quand on a des parents qui n'ont pas d'argent. Ce n’est pas encourageant de faire des études dans de telles conditions, mais on essaie quand même de s’accrocher, car on ne sait jamais, mais c’est vraiment difficile.

4.3.8 – Synthèse de l’interprétation du contenu des entretiens L’analyse des réponses de nos répondants nous a permis de mettre en évidence différents indicateurs que nous avons regroupée en trois catégories. Ceux-ci apparaissant comme étant des facteurs liés aux difficultés que rencontre l’école ivoirienne, quant à sa démocratisation scolaire ; et se présentent de la façon suivante : 

Les facteurs sociologiques (conditions d’apprentissage, difficultés financières des élèves et de leurs familles) ;

Les facteurs psychologiques (sentiment d’abandon des élèves de la part de l’Etat : précarité des conditions d’apprentissage, grèves à répétition, engorgement des classes, etc.) affectant la motivation des élèves ;

Les facteurs pédagogiques et didactiques (méthodes de gestion et d’enseignement dénoncées par les élèves, inconfort pédagogique, faibles contenus de l’enseignement, etc.).

Ces facteurs ci-dessus ont été évoqués de façon implicite avec des occurrences différentes par l’ensemble des élèves interviewés, dans l’explication de leur contreperformance scolaire. Cependant, bien que relativement plus importants, les facteurs psychologiques ne constituent pas les seuls facteurs (dans l’explication de cette contreperformance), et donc du faible rendement interne et externe de l’école ivoirienne. Aux facteurs psychologiques, il faut donc ajouter les facteurs sociologiques et les facteurs pédagogiques. En effet, les entretiens menés

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auprès des douze élèves de la classe de terminale nous obligent à être plutôt prudents, même s’ils nous permettent de constater une prédominance relative du facteur socio-psychologique. Cependant, à partir de ces éléments, nous constatons qu’il existe bel et bien un lien étroit entre l’état psychologique de nos interviewés et les difficultés rencontrées dans leur parcours scolaire (peu exemplaire). Nous avons par ailleurs pu observer, d’un point de vue sociologique, que la plupart de ces élèves vivent dans des conditions sociales souvent précaires. Ainsi, les difficultés et les contraintes sociales auxquelles ils sont confrontés jouent également un rôle important dans ces itinéraires scolaires. Ces difficultés scolaires sont d’autant plus aggravées en raison des origines sociales modestes des élèves.

Dès lors, la compétence parentale, entendue comme la capacité du père à investir et à exercer une autorité, qui pourrait avoir un apport bénéfique dans l’équilibre scolaire de l’élève, est quasiment inexistante. Cela s’explique par le fait que ces parents sont davantage disqualifiés en raison de leur pauvreté. Dans cette mesure, les facteurs sociologiques constituent la seconde raison des trajectoires scolaires incertaines chez nos interviewés. Pour terminer notre analyse, nous allons évoquer les facteurs pédagogiques qui également expliquent, en complément des deux premiers, les difficultés d’adaptation des élèves à l’école ivoirienne. Par ailleurs, les élèves dénoncent les deux traits du profil des établissements scolaires en Côte-d’Ivoire, fonctionnant sur le système de la double vacation. Les problèmes les plus visibles de cette pratique sont notamment liés à la surpopulation des classes, dont les aspects les plus importants concernent l’insuffisance des infrastructures scolaires et le recours aux pratiques illégales dans le public (recrutement parallèle). En effet, le système de la double vacation est un facteur de perturbation au plan de la gestion conventionnelle du temps scolaire. Cette situation constitue en réalité un réel facteur de démotivation chez les élèves au niveau des apprentissages.

En définitive, que ces propos témoignent de pratiques réelles ou imaginaires, ils se tiennent cependant dans les limites de nos connaissances, à partir de certaines réalités observées sur le terrain, ainsi que des représentations que se font certains élèves de l’école ivoirienne. Car dans cette compétition scolaire, les atouts ne sont pas également répartis, si bien que les élèves des classes populaires et moyennes décrivent leur parcours scolaire comme un véritable “parcours d’obstacle”. Ainsi, l’école en Côte-d’Ivoire est, non plus perçue comme un lieu d’acquisition de connaissances débouchant sur la méritocratie et la compétence, à faire valoir sur le marché de l’emploi. Mais elle est plutôt perçue par les élèves comme une 154


“antichambre” de la réussite socioéconomique. Désormais, l’équation école/travail/position sociale est une des clés qui permet de comprendre le type d’attente des élèves. Et on peut comprendre leur “désenchantement” lorsque cette équation intègre des inconnues. Ces élèves, avec des parcours scolaires incertains et couteux, s’interrogent donc sur l’intérêt que peut encore avoir l’école, lorsqu’elle ne garantit plus une conversion du capital scolaire, qu’elle délivre en capital économique et social.

155


CONCLUSION GENERALE

Comme annoncée en préambule de ce mémoire, cette recherche avait pour objectif de se pencher sur le contexte des politiques éducatives menées dans le système éducatif ivoirien, afin d'en explorer la pertinence et les inadéquations de celles-ci. Mais plus particulièrement, nous avons souhaité nous intéresser à ce système, afin de voir s’il répondait aux enjeux de la démocratisation scolaire, et par la même occasion, savoir quelle serait sa compétitivité face au défi de la mondialisation, en matière d'éducation/formation. L'examen approfondi de cet aspect, qui était le “fer de lance” de notre travail de terrain, a de fait permis de répondre de façon concise à notre problématique. En effet, la Côte-d'Ivoire après son indépendance en 1960, a beaucoup investi dans son système éducatif. Ainsi, les plans successifs qu'elle a élaborés, en intégrant les réformes et les politiques scolaires, sont apparus comme des priorités qui l’ont lié aux nécessités du développement économique.

Parallèlement à cette idéologie de l'école productrice d'un statut socialement et économiquement valorisé, le système scolaire ivoirien est devenu un système inégal et excluant. Inégal, car les enfants de familles citadines éduquées et aisées ont in fine plus de chances de résister à ce parcours du combattant éducatif que les enfants de familles immigrantes illettrées et pauvres. Excluant, au vu du nombre d'enfants qui quittent la partie basse du système chaque année, alors que l’originalité de l’école primaire dans tout système scolaire réside dans ce qu’elle est la seule à enseigner à tous les enfants une base commune. Car c’est à l’école primaire que se forgent les sentiments d’unité nationale que l’on crée chez l’enfant, les "similitudes essentielles" réclamées par Durkheim. Mais cela ne signifie pas que les enfants de toutes les classes sociales abordent l’enseignement élémentaire avec le même esprit et les mêmes chances d’avenir. En ce qui concerne la partie haute, les élèves la quittent trop souvent sans diplôme ou juste avec le bac (BEPC, quotas et orientation pour l'accès des bacheliers à l'enseignement supérieur, etc.) avec peu de chance de s'insérer dans le monde du travail formel. Cela, en raison de la crise par les diverses restrictions imposées, ainsi que certaines procédures de sélection additionnelles.

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Ainsi, afin de vérifier les hypothèses associées à notre problématique, nous avons choisi comme échantillon des élèves de terminale, auxquels nous avons fait passer des entretiens. Les résultats de ces entretiens ont permis de dresser un état des lieux des dispositifs éducatifs, lesquels corroborent nos hypothèses, du moins en ce qui concerne les variables : "inadéquation" et "inefficience" du système éducatif ivoirien. Ces résultats ont également permis de recueillir les propos de nos répondants au sujet de ce système, dans le but de confirmer ou non, et aussi d’évaluer le cas échéant, l’influence des politiques éducatives menées. Aujourd’hui, le système éducatif ivoirien est de moins en moins capable de faire face à la forte demande de scolarisation à laquelle elle est confrontée, à cause de l’explosion démographique du pays qui est de l’ordre de 3,4 % par an selon l’INS. En matière d'analyse de système scolaire, l'équité est une dimension importante qu’il convient de prendre en considération, en ce sens que l'éducation constitue un investissement utile pour les individus qui la reçoivent. Elle contribue par ailleurs à déterminer leurs conditions économiques et sociales dans leur vie d'adulte. Nous savons tous que les possibilités scolaires seront toujours limitées par les possibilités de financement, et que tous les individus ne pourront pas avoir des carrières scolaires “maximales”. Il importe donc que des chances de scolarisation aussi égales que possibles soient offertes à tous les jeunes ivoiriens pour assurer non pas seulement l'égalité, mais aussi l'équité interindividuelle. La recherche de l'équité étant convergente avec celle de l'efficacité. De ce fait, il est “nécessaire” que les individus les plus capables, indépendamment de leurs conditions socioéconomiques, soient sélectionnés pour les niveaux les plus élevés du système. Ceci est d'autant plus important dans la perspective de production efficace des services éducatifs ivoiriens, comme dans celle de production des élites pour les prochaines générations. Cette analyse, François DUBET, (2004) la partage, lorsqu'il nous dit : "qu'il faut rendre d'une part l'arbitrage scolaire plus équitable", et préconise d'autre part, un "socle commun de connaissances", c'est-à-dire "l'égalité sociale des chances". Cette idée se traduit également par le caractère excluant de ce système, notamment par le biais des concours d'entrée en sixième, du BEPC, des quotas et orientations des élèves, et plus précisément leurs parcours scolaires trop souvent chaotiques (redoublements fréquents, moyenne d'âge de plus de 20 ans en terminale). Il y a aussi certains recours illégaux auxquelles se livrent certaines famille, afin de maintenir leurs enfants le plus longtemps possible à l’école publique.

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On retrouve également ces constatations dans les conclusions du Rapport du RESEN, effectué dans le cadre de l’étude réalisée sur le système éducatif ivoirien, à propos de l'introduction des TIC16, en vue de son amélioration. Ce rapport a en effet montré que les TIC pouvaient contribuer de façon significative, (affirmation confirmée par des chercheurs en Sciences de l’éducation) à l'amélioration de la qualité de l'éducation, de l'enseignement et de l'apprentissage. Ainsi, pour répondre à cette question, le ROCARE17 a initié une étude portant sur l'intégration pédagogique des TIC en éducation dans onze pays africains dont la Côte d’Ivoire, en vue de vérifier leur efficacité. Dans le cas de la Côte-d’Ivoire, ce projet a démarré en 2007. Ce qui a permis tout un ensemble d’observations issues des réflexions du dialogue politique national, ayant abouti à des recommandations de l'intégration de ce programme (TIC) dans les pratiques pédagogiques du système éducatif ivoirien.

Après plus de quatre décennies d'effort en faveur de l'éducation de la part des dirigeants ivoiriens, on observe encore aujourd’hui, une incapacité de leur part à combler l'écart entre la demande et les dispositions d'accueil du système éducatif. Cet échec parait évident pour plusieurs raisons : explosion démographique ; des possibilités budgétaires de l'État non suffisamment prises en compte ; on observe également un manque d'infrastructures à tous les niveaux (primaire, secondaire et supérieur). Nous avons pu observer ces diverses raisons à travers les propos tenus par les élèves, qui dénoncent véhément l'insuffisance des infrastructures scolaires, à l’origine des surpopulations des classes. Cette situation serait le résultat de pratiques illégales, notamment les recrutements parallèles auxquels se livrent de nombreux chefs d’établissements en Côte-d'Ivoire, comme en témoigne Alain :

Yao 7 : Qu'est-ce que tu penses du recrutement parallèle ? Alain

7

: Je pense que ce n’est pas trop bien, parce qu’on m’a dit que le recrutement

parallèle, c'est lorsque les élèves quittent les écoles privées pour se retrouver dans les écoles publiques. Cela fait que dans nos classes, nous avons des problèmes de bancs pour s’assoir, car nous sommes trop nombreux. Il y a également beaucoup de grèves dans les lycées ce qui fait que les élèves n'arrivent pas à bien travailler. Cela crée des surpopulations dans les classes, qui engendrent des problèmes d'apprentissage.

16 17

Technologies de l'information et de la communication. Réseau Ouest et Centre Africain de Recherche en Éducation.

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Lorsqu’on est nombreux dans les classes, il y a on n’arrive pas à bien suivre quand le professeur parle. Souvent, il ne fait qu’une seule évaluation, sous prétexte qu’on est trop nombreux, et pour ne pas avoir à corriger beaucoup de copies, donc il ne pratique que très peu d'interrogations écrites.

En perspective de ces pratiques éducatives peut exemplaire, nous pouvons évoquer John DEWEY qui s'est penché sur la nature des pratiques éducatives des différentes sociétés humaines, afin de pouvoir appliquer ou non sa conception démocratique de l'éducation. A cet effet, il pose la question suivante : existe-t-il une nation au sein de laquelle soit placé un système éducatif sans qu'aucune des fins sociales (du processus éducatif) ne soient limitées, imposées, voire dénaturées ? Pour répondre à cette interrogation, DEWEY part du fait que l'éducation est un processus social, et qu'il existe différentes sortes de sociétés ; il en définit deux types distincts : ● La première société dite “démocratique”, permet à tous ses membres d'avoir une part égale à ses bienfaits, en assurant le réajustement de ses institutions par interaction des différentes formes de vie communautaire. ● La deuxième, dite “indésirable”, dresse, autant intérieurement qu'extérieurement, des barrières contre la libre relation et communication de l'expérience. Au regard de ces définitions, la société ivoirienne s’apparente à la deuxième, fort des pratiques éducatives qui s’y exercent. Car une société dite démocratique, selon DEWEY, doit exercer un type d'éducation qui amène les individus à s'intéresser personnellement aux relations sociales et à la conduite de celles-ci. Elle doit par ailleurs donner aux individus les dispositions qui garantissent l'évolution sociale sans avoir recours aux désordres. C'est d’ailleurs sur cette conception sociologique de l'école, qui tend à former dans l'homme l'être social, que repose la théorie pédagogique d’Emile DURKHEIM (1966) : « l'homme que l'éducation doit réaliser en nous, ce n'est pas l'homme tel que la nature l'a fait, mais tel que la société veut qu'il soit ». Il considère l’éducation comme un processus de socialisation, dans la mesure où il s’agit pour lui de faire apparaître l’être social en lui inculquant un système d’idées, de sentiments, d’habitudes qui appartiennent à son groupe. Ce qui est une étape essentielle pour l’épanouissement de la personne. C’est en effet dans la société que l’individu

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acquiert progressivement son autonomie. Elle permet donc, au-delà de l’individu, l’émergence de la personne. Dans son livre Education et sociologie, (1922) E. Durkheim montre que l’éducation est à la fois une et multiple. Son unité repose sur l’idée que tous les milieux qui forment une société ont besoin d’une base culturelle commune, car selon lui : « Il n’y a pas de peuple où il n’existe un certain nombre d’idées, de sentiments et de pratiques que l’éducation doit inculquer à tous les enfants indistinctement, à quelque catégorie sociale qu’ils appartiennent » (p.39). Pour lui, l’éducation institue une certaine homogénéité spirituelle entre les membres d’une même société, essentielle à sa survie et à son bon fonctionnement.

Au terme de notre étude, il convient toutefois de rappeler que, bien que mobilisant plus du tiers des dépenses courantes du budget national, le système éducatif ivoirien se caractérise aujourd’hui par des résultats peu satisfaisants. Ce qui explique le fait que moins de la moitié d'une classe d'âge atteint la sixième année du cycle primaire, tandis qu'un peu plus du tiers des enfants n'a jamais accès à l'école. En effet, depuis deux décennies, l'école ivoirienne est confrontée à d'énormes difficultés tant au niveau de son accès qu'au niveau de la qualité de l'enseignement. Ainsi, on note un faible rendement interne et externe, une déperdition et inadéquation des formations par rapport aux besoins des marchés de l'emploi, et enfin, un déficit manifeste en personnel éducatif. On constate par ailleurs un accès très limité au niveau du primaire, ainsi que d'importantes disparités entre les sexes, les zones urbaines et rurales, et entre les différentes régions.

Au-delà de la faible efficacité interne de ce système éducatif très largement affectée par un fort taux de redoublement (24 %), on estime également qu’environ 30 % des ressources publiques mobilisées sont très mal utilisées. En outre, malgré l'ambition du ROCARE à vouloir intégrer les TIC dans l'enseignement en Côte-d’Ivoire, il existe toutefois de nombreux obstacles qui ne sont pas de nature à faciliter leur intégration sur le plan pédagogique. Ces obstacles sont liés notamment à des faiblesses institutionnelles, à l'absence de l'informatique dans les programmes officiels d'enseignement, au coût élevé des équipements, et à la connexion internet, et enfin, à la méconnaissance des acteurs éducatifs des TIC, si on se fie aux résultats du RESEN (2007)à ce niveau. Face à tous ces problèmes, de nouveaux objectifs s'imposent donc à l'école ivoirienne, afin de tendre vers une Éducation Pour Tous, et à tous les niveaux. 160


Il faut rappeler tout de même que, l'avènement de la deuxième République a crée un contexte politique nouveau qui se traduit sur le plan éducatif, par une option stratégique forte : accès gratuit et obligation pour tous à l'école de base (en Côte-d’Ivoire, l'éducation de base inclut le premier cycle du secondaire). Dans cette perspective, l'élévation du niveau de rendement du dispositif actuel, constitue de ce fait, un préalable indispensable qui passe par la mise en œuvre de réformes, visant à garantir une plus grande efficacité dans l'utilisation et la gestion des ressources consacrées à l'éducation. Malgré son pessimisme, le Rapport du RESEN montre cependant qu'un certain nombre de réformes, destinées à optimiser la capacité du système et à atteindre les objectifs fixés, restent possibles. Il convient entre autres de procéder au renforcement des capacités de pilotage et de gestion de celui-ci. A cet effet, l'État ivoirien a élaboré un projet éducatif qui vise à doter le Ministère de l'Education nationale des capacités de pilotage nécessaires à l'amélioration de l'efficience de son système éducatif, à travers trois champs d'intervention : ● L’appui à la mise en œuvre de la politique sectorielle par des actions destinées à accroitre l'accès et la fréquentation scolaire, à améliorer l'efficacité interne et externe du système et à favoriser la communication et la participation des partenaires. ● L’appui au pilotage du système éducatif en améliorant les capacités d'analyse, de diagnostic, de suivi et d'évaluation, et en contribuant au renforcement institutionnel de la structure, en charge du pilotage de la politique éducative nationale. ● L’accompagnement à la déconcentration du système éducatif en améliorant la gestion des personnels, la définition des rôles et responsabilités de l'encadrement et le pilotage des réformes administratives et pédagogiques.

A terme, les résultats de ce projet devraient renforcer les capacités institutionnelles et techniques de l'administration locale dans le cadre du pilotage, de la gestion et du fonctionnement du dispositif au niveau central et régional. Plus généralement, ce projet, ainsi que le dispositif qui lui est associé, doivent également renforcer le système éducatif ivoirien à absorber efficacement les ressources supplémentaires mobilisées dans le cadre du recyclage de la dette. Cela devrait plus particulièrement, contribuer à créer les conditions de réussite d'un financement en faveur du secteur éducatif.

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V – Remarques relatives à l’élaboration du mémoire : De prime abord, il convient de revenir ici sur un point relativement important, que j'ai malencontreusement passé sous silence précédemment : il s'agit du fait que l'établissement dans lequel j'ai mené mes entretiens ne m'était pas totalement étranger, puisque c’est celui dans lequel j'ai effectué ma propre scolarité lorsque j'étais lycéen. J'avais toutefois fait prévu de réaliser en premier choix mes entretiens dans d’autres lycées, mais face au refus de deux chefs d’établissement sollicités, je me suis finalement résolu à effectuer mon travail de recherche dans un lycée qui m’était donc “familier”. Cela dit, je ne connaissais pas personnellement le proviseur actuel dudit lycée, et j’ai été contraint de nécessiter l'intervention de personnes de connaissance afin que ma demande aboutisse. En effet, ces refus font suite aux raisons préalablement évoquées plus haut, à savoir le climat de méfiance établi dans les établissements scolaires, depuis la mise en cause de l'école ivoirienne dans le rapport du RESEN.

Toutefois, la plus grande difficulté, rencontrée par la plupart des chercheurs, est de toujours rester objectif et impartial tout au long du déroulement des entretiens. C'est une situation à laquelle j'avoue d'ailleurs ne pas me convenir personnellement, étant donné les réactions et attitudes que peuvent adopter certains répondants Mais c'est le comportement qui est cependant conseillé à tout chercheur, pour des raisons d'objectivité et d'obligation scientifique comme il est de rigueur, voire imposé dans les Sciences Humaines. Cette absence de “partialité” est là pour faire prendre conscience au chercheur de la grande vigilance dont il doit exclusivement faire preuve, notamment eu égard à sa propre attitude. Car en Sciences Humaines, et dans la plupart des recherches, une extrême rigueur est demandée au chercheur dans tout travail d'investigation, et ce pour des raisons institutionnelles. Cet état de fait est d'ailleurs assez bien exprimé par le sociologue Bernard LAHIRE lorsqu'il écrit : « La connaissance sociologique ne se crée que par un travail permanent de retour sur les actes antérieurs de recherches, à partir des acquis progressivement conquis, grâce aux actes de recherches suivants ».

Par ailleurs, au début de mon projet de recherche, j'avais envisagé d'interroger, en plus des élèves, les enseignants, dans la mesure où comme ces derniers, leurs avis auraient

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également été intéressants pour mon travail. Mais j'ai dû en définitive y renoncer, pour me consacrer uniquement aux élèves, afin d'éviter une charge supplémentaire de travail. Toutefois, il s'agissait pour moi de m'intéresser aux parcours scolaires des élèves au sein du système éducatif ivoirien, et surtout de voir quelles sont les représentations qu'ils en ont. Néanmoins, les enseignants pourraient faire l'objet d'une étude ultérieure dans un projet de recherche similaire.

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BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE OUVRAGES : ARENDT, H. La crise de l’éducation. Extrait de La crise de la culture. Paris : éditions Gallimard, collection « Idées », 1972, 380 p. BARRERE, A. Les lycéens au travail. Paris : Presses Universitaires de France, collection « Pédagogie d’aujourd’hui », 1997, 262 p. BIDAULT, M. Le droit à l’éducation devant le comité des droits économiques, sociaux et culturels. In FRIBOULET, J-J. et al. (dir.). Les indicateurs du droit à l'éducation. La mesure d’un droit culturel, facteur de développement. Commission suisse de l’UNESCO. Fribourg : Berne, 2000. BOURDIEU, P. & PASSERON, J-C. Les Héritiers : les étudiants et la culture. Paris : Les Éditions de Minuit, collection « Le sens commun », 1964, 192 p. DEWEY, J. Démocratie et éducation (1916). Traduit de l’anglais par G. DELEHALLE. Paris : Armand Colin, collection « U », 1975, 426 p. DUBET, F. L'école des chances. Qu'est-ce qu'une école juste ? Paris : Éditions du Seuil, collection « La République des idées », 2004, 95 p. DURKHEIM, E. Éducation et sociologie, Paris : Presses Universitaires de France, collection « Le Sociologue », 1966, 120 p. DURKHEIM, E. De la Division du Travail social. Paris : Presses Universitaires de France, collection « Les grands textes », 2004 (1ère édition : 1893), 416 p. KI-ZERBO, J. Histoire de l’Afrique Noire. D’hier à demain. Paris : Editions Hatier, 1972, 702 p. KI-ZERBO, J. (dir.) Éduquer ou périr. Paris : UNICEF-UNESCO, éditions L’Harmattan, 1990, 120 p. KI-ZERBO, J. A quand l’Afrique ? Entretien avec René HOLENSTEIN. Paris : Editions de l’Aube, collection « Poche essai », 2003, 202 p. LAHIRE, B. Tableaux de familles : Heurs et malheurs scolaires en milieux populaires. Paris : Éditions du Seuil/Gallimard, collection « Hautes études », 1995, 297 p. MERLE, P. La démocratisation de l’enseignement. Paris : Éditions La Découverte & Syros, collection « Repères », 2002, 122 p. ORIVEL, F. Problèmes et perspective des systèmes éducatifs. In VERNIERES, M. (Ed.). Ajustement, éducation et emploi. Paris : Economica, 1995, 255 p.

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SARTRE, J-P. Situations, tome IX : mélanges. Paris : Gallimard, collection « blanche », 1972, 369 p.

REVUES et ARTICLES : DURAND-PRINBORGNE, C. De l'instruction au système éducatif. Cahiers français, 1991. ORIVEL, F. Crises de l’éducation en Afrique : éléments de diagnostic. Afrique contemporaine, 1994, n° 172, pp. 33-50. ORIVEL, F. L’éducation dans le monde. État des lieux et perspectives. Revue internationale de l'éducation, 1999, n° 22, pp. 23-39.

RAPPORTS : RESEN (Rapport d’Etat des Systèmes Educatifs Nationaux). UNESCO-BREDA : Ministère de l’Education Nationale, appui de spécialistes en analyse des systèmes éducatifs du pôle de Dakar et de consultants recrutés sur le financement de la Banque Mondiale, 2000-2002 & 2007-2009.

WEBGRAPHIE

Grands penseurs en éducation : site Calameo.com/books CONDORCET : texte tiré de Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée. Paris : UNESCO-Bureau international d’éducation, mars-juin 1993, vol. XXIII, n° 1-2, pp. 201-213. CONFUCIUS : idem, pp. 215-223. DEWEY, J. : idem, pp. 277-293.

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SOMMAIRE DES ANNEXES

Annexe n° 1 : la Côte-d’Ivoire Annexe n° 2 : guide d’entretien

Annexe n° 3 : entretiens n° 1-12

Annexe n° 4 : liste des sigles et acronymes

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TABLE DES MATIERES SOMMAIRE ……………………………………………………………. p. 1 I – Choix du thème et orientation du mémoire ………………………... p. 2

INTRODUCTION GENERALE ………………………………. p. 5 II – Cadre théorique et conceptuel de la recherche ………………….. p. 15 Chapitre 1 : Le contexte démographique, économique et des finances publiques ……………………………………………………………….. p. 15 1.1 ─ Aspects physiques 1.2 ─ Contexte démographique 1.3 ─ Contexte politique et social 1.4 – Données démolinguistiques 1.5 – Historique des systèmes éducatifs des pays d’Afrique subsaharienne

Chapitre 2 : Présentation du système éducatif ivoirien ………………. p. 22 2.1– La situation globale de l’école ivoirienne et les statistiques disponibles 2.1.1 ─ La structure du secteur éducation/formation 2.1.2 ─ Préscolaire, primaire et enseignement secondaire général 2.1.3 ─ Enseignement technique et formation professionnelle 2.1.4 ─ L'enseignement supérieur 2.1.5 – Le personnel du secteur de l'éducation par niveau et par structure 2.1.6 – Coûts et financement du système éducatif par l'Etat 2.1.7 – Substantielle contribution financière des ménages au secteur de l'éducation 2.2 – L’insuffisance des infrastructures et de l’encadrement des élèves 2.2.1 – La fréquence et la question des redoublements 2.2.2 – Les abandons précoces en cours de cycle dans le premier degré et la rétention de l'alphabétisation à l'âge adulte 167


2.2.3 – Le niveau de qualité de l'école ivoirienne dans une perspective comparative 2.3 – Crise de l'école ivoirienne depuis la colonisation : erreurs et illusions 2.4 – La pensée Africaine face au problème de l’éducation 2.4.1 ─ Deux pôles d’une trame 2.4.2 ─ Forces de remise en question 2.4.3 ─ Registres pour des changements à réaliser

Chapitre 3 : Equité et disparités dans le système éducatif ivoirien ….. p. 76 3.1– Des inégalités dans les scolarisations 3.1.1 ─ Disparités au niveau du préscolaire 3.1.2 ─ Disparités au niveau du primaire et de l’enseignement secondaire général 3.1.3 ─ Les disparités dans l’enseignement technique et de la formation professionnelle 3.2 ─ Analyse de l’équité dans la répartition des ressources publiques en éducation 3.2.1 ─ Distribution structurelle des dépenses d’éducation 3.2.2 ─ La sélectivité sociale dans la distribution des ressources en éducation 3.2.3 ─ L’espérance de vie scolaire (EVS) ou durée moyenne de scolarisation 3.2.4 ─ Les enfants non scolarisés en Côte-d'Ivoire

Chapitre 4 : La question de la gestion du système …………………. p. 103 4.1 ─ La gestion administrative et la répartition des moyens et du personnel scolaire 4.2 ─ Une structure d’économie d’échelles et un usage plus intensif des classes à cours multiples dans l’enseignement primaire 4.3 ─ Transformation des ressources en résultats et la gestion pédagogique du système 4.4 ─ Remise en cause du modèle actuel de gestion pour un changement culturel majeur

CONCLUSION DU CADRE THEORIQUE ………………. p. 120 III – Cadre méthodologique et contextuel de la recherche ………… p. 123 Chapitre 1 : Objectif et contexte de la recherche ……………………. p. 123

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1.1 – Problématique de la recherche 1.2 – Hypothèses relatives à la problématique

Chapitre 2 : Dispositif méthodologique utilisé ………………………. p. 125 2.1 – Choix du dispositif d’intervention : l’entretien semi-directif 2.2 – Choix de la population sélectionnée : les élèves de terminale 2.3 – Choix du terrain : “l’univers” scolaire (enseignement secondaire)

IV – Réalisation et interprétation des entretiens ……………………. p. 127 4.1 – Déroulement concret des entretiens 4.2 – Interprétation de la conduite des entretiens 4.3 – Interprétation du contenu des entretiens 4.3.1 – Introduction à l’interprétation du contenu des entretiens 4.3.2 – Le concept de "jeune" en Côte-d’Ivoire 4.3.3 – Les facteurs d’offre et de demande pour rendre compte de la scolarisation en Côte-d'Ivoire 4.3.4 – Les stratégies développées par les familles 4.3.5 – Le parcours scolaire des acteurs interrogés 4.3.6 – Le recours aux recrutements parallèles 4.3.7 – L’implication des familles dans la scolarisation 4.3.8 – Synthèse de l’interprétation du contenu des entretiens

CONCLUSION GENERALE ………………………………. p. 142 V – Remarques relatives à l’élaboration du mémoire ……………… p. 148

BIBLIOGRAPHIE THEMATIQUE ………………………. p. 150 WEBGRAPHIE ……………………………………………… p. 151 SOMMAIRE DES ANNEXES ……………………………… p. 152  Annexe n° 1 : la Côte-d'Ivoire ………………………………………………....pp. I-III  Annexe n° 2 : guide d’entretien ……………………………………………….pp. IV-V  Annexe n° 3 : entretiens n° 1-12 ……………………………………………...pp. VI-LI  Annexe n° 4 : liste des sigles et acronymes ………………………………..pp. LII-LIII

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