Récits et anecdotes d'antan sur salmchâteau

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Salmchâteau – Récits d'antan

Ce recueille de récits et anecdotes d'antan sur Salmchâteau ; petit village en Ardenne Belge ; est composé d'écrits via la page Facebook « Sâmiot un jour, Sâmiot toujours » par Denyse Moster née à Salmchâteau et vivant au Canada. Elle n'a jamais oublié son village natal, il n'y que à voir par ses textes sur la vie en se village si bien décrit. Textes que l'on peut retrouver sur la page Facebook cité plus haut. Les récits vont de Mars 2013 à Juin 2014. Merci Denyse...

Édité par M.Marquet le 09 Février 2016


L’Offensive dite « Des Ardennes »

Décembre 1944, la deuxième guerre mondiale en est à sa phase ultime. L'offensive dite des Ardennes se déclenche le samedi 16 décembre 1944 et va se poursuivre loin en janvier 1945. Des jours de cauchemar que l’on n’arrive pas à oublier, même pour les enfants de mon âge. J’y étais. Une petite fille de huit ans qui se demande pourquoi tout son univers a soudain basculé, pourquoi il faut quitter sa maison, pourquoi il faut se réfugier dans la cave construite dans le roc de nos voisins, pourquoi les sirènes aigues des avions de reconnaissance, qu’on appelle familièrement les Mayannes, nous avertissent d’un lâcher de bombes imminent et d’avoir à regagner nos abris à la solidité illusoire, pourquoi ces bombes sur notre village jadis si paisible, pourquoi ces morts au bord des chemins, pourquoi ces estomacs creux, pourquoi aller puiser de l’eau à la fontaine du village devient un acte héroïque ? J’y étais. Dans cette cave exigüe, sans fenêtres, se terrent une quinzaine de personnes. Il y a là nos voisins de toujours, les Cordonnier, mes grands-parents, Mame et Tonton enfin libéré du camp de prisonniers. Mon père, militaire de carrière, se trouve quelque part sur le front, maman bloquée à Tavigny où elle effectue des travaux de couture pour la famille Gérardy et ma tante Denise est coincée à Verviers où elle poursuit des études de sage-femme. De tous ceux-là nous n’aurons des nouvelles qu’à la fin de la dernière offensive. Nous dormons sur des couvertures étalées sur le sol humide, juste à côté de la provision de patates et de carottes qui constitue le principal de nos repas.Je n’oublierai jamais ce rêve récurrent où je tiens dans les mains un tout petit bonbon rouge en forme de framboise ; je sens l'odeur du fruit puis je me réveille brusquement pour constater qu'il n'y a pas de bonbon… La maison, cave exceptée, est occupée par les soldats allemands, sur le qui-vive eux aussi. Ils menacent de prendre un adulte en otage si l’un des enfants se met à pleurer. Et comment imposer silence à de jeunes enfants parmi lesquels un nourrisson ? Et pourtant, ces combattants ennemis sont des humains comme nous. Je garde le souvenir de l’un d’eux offrant une grande tartine à Maria, une adolescente de 12 ans. Une tranche de pain qu’elle rapporte fièrement pour la partager entre tous. Il va sans dire que la bouchée est petite pour chacun mais elle me reste comme un grand geste de solidarité. J’y étais. Lorsqu’une bombe est larguée sur la maison, j’assiste, terrifiée au-delà de toute expression au fracas épouvantable d’une partie du toit volant en éclats, à la porte de notre abri arrachée, au nuage opaque s’infiltrant partout, occultant toute lumière et nous prenant à la gorge… Aujourd’hui encore, il m’arrive de me demander par quel miracle nous avons tous survécu. Seule ma grand-mère Maria, qui se trouve face à la porte à ce moment-là, reçoit un éclat d’obus à la jambe. Une blessure qui ne guérira jamais complètement... Nous émigrons dans le bas du village pour être accueillis dans une autre cave, chez le boucher Potelle déjà pleine de monde. Solidarité de ces temps de danger ! Une seule patate crue par personne sera distribuée jusqu’à ce que cessent les hostilités. C’est là que nous apprenons, sans oser y croire que la guerre est finie. 1


Ce souvenir avant que l’année 2014 ne finisse. Avec un frisson rétrospectif vite reporté sur tant de personnes victimes innocentes de guerres et d’atrocités à n’en plus finir. « Plus jamais de guerre ! » a-t-on souhaité depuis toujours. À quand la Paix ? On peut toujours commencer par la faire régner autour de nous…Qui sait ? Un jour, peut-être… Denyse

Mai 1940 - Dans la tourmente… Récit 1

Depuis quelques jours déjà, des bagages attendent comme dans l’éventualité d’un départ précipité. Le 10 mai au petit matin, des coups répétés ébranlent la porte du 79, route de Bêche à Salmchâteau. C’est Théophile, le père de mon futur mari, chargé d’avertir les Sâmiots. Il faut partir, vite, vite, le plus loin possible des Ardennes vers lesquelles se dirigent les troupes ennemies ! Nous voici parmi la multitude de piétons avançant tant bien que mal au milieu des bicycles, des brouettes, des autos qui bientôt manqueront d’essence, des paysans et leurs chevaux tirant des charrettes pleines de gens serrés les uns contre les autres au milieu de bagages hétéroclites… Sur une de celleslà, un fermier nous proposera une place. Je m’y installe avec mon arrière-grand-mère soulagée. Le reste de ma famille va continuer à pied la course insensée. Comment subsistons-nous dans tout cela ? Probablement grâce à cette solidarité qui se développe en temps de crise, une grange qui devient dortoir, des provisions partagées… Par-dessus tout, il y a la menace qui vient du ciel. Les ponts sont les cibles d’attaques aériennes. La charrette dans laquelle nous avons pris place vient à peine d’en traverser un lorsque celui-ci s’effondre. Que sont devenus tous les autres, ceux-là qui se trouvaient juste derrière nous ? Et ma famille ? Aucune recherche possible. L’instinct de survie nous pousse en avant. Le voudrait-on d’ailleurs qu’il serait impossible de retourner vers ces lieux où règnent mort et désolation. Mon souvenir suivant est celui d’une grande salle d’hôpital… Denyse

Blitzkrieg, 10 Mai 1940… Souvenirs d'un petit sâmiot de 6 ans. (Pierre 1934-2008) Récit 2

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Ce jour-là, papa est allé frapper à toutes les portes du village pour informer les gens que les armées allemandes se dirigeaient vers la Belgique et qu'il fallait fuir sur-le-champ. Ensuite, il est allé chercher l'auto qui était dans la grange de Joseph Mostert, à côté de l'atelier. Il était parti avec une bouilloire d'eau chaude pour le radiateur car le réservoir devait être vidé chaque fois qu'il y avait risque de gelée. Je l’accompagnais. Les portes de la voiture s'ouvraient en sens inverse de celles d'aujourd'hui. Ce jour-là, sur la descente de la Place du Marché, j’ai basculé en bas de l'auto. Juste devant chez Ruche. Je m'en suis tiré avec quelques égratignures. On a commencé à charger nos valises dans une remorque. Des gens du village avaient pris place parmi les bagages pour partir avec nous. Sur les routes, des files interminables. Des véhicules de toutes les sortes, des gens à pied parmi lesquels des femmes, des enfants et des vieillards. De temps en temps, il fallait nous coucher dans un talus parce que des avions militaires mitraillaient les colonnes de réfugiés. La route était pleine de trous de bombes. On devait attendre que les ouvriers municipaux viennent les reboucher pour être capable de continuer. Denyse

Mai 1940

Aventures sur les routes – Vécue par un sâmiot de six ans... (Pierre 1934-2008)

Et puis, nous tombons en panne d’essence. Papa a la chance d'en trouver à une pompe dans un petit village de la frontière française. Là, nous avons pu profiter de l’hospitalisation d’un fermier. Tous ses animaux avaient été réquisitionnés, il nous a proposé son étable vide. Nous l'avons nettoyée, remplie de bottes de paille pour y passer la nuit. On n'arrivait pas à dormir à cause des rats qui se promenaient sur les poutres du plafond. De temps en temps, il y en avait un qui tombait. L’un d’eux a chuté sur mon père qui l'a jeté plus loin. Il est venu atterrir sur la tête de Clarisse Massoz, l'institutrice de l'école libre qui se trouvait avec nous. Il aurait fallu entendre ses hurlements ! La nuit, nous entendions aussi des bombardements tout proches. Au matin, on constate qu’un bout du toit en tuiles d'argile avait été arraché par la déflagration. Les hommes se sont mis tous ensemble pour le réparer. Pendant ce temps-là, j’avais repéré dans la cour de la ferme, un grand rectangle de fumier en partie composé de restes de betteraves à sucre. Un terrain de jeu idéal ! Je suis aller patauger dedans avec ma soeur Anna. On ne sentait pas la rose quand on en est sortis ! Puis un matin, nous avons été réveillés par le vacarme des troupes allemandes. Elles venaient de rattraper l'évacuation et défilaient sur la route du village. Tous les hommes sont allés se cacher dans le foin... Denyse

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Les années d'occupation… ( Pierre me racontait…) Récit 1

Un jour, c'est l'affolement dans le village. Les Allemands viennent enlever les cloches de l'église pour en refondre le métal et le transformer en armes. C'étaient des cloches en bronze. Mon père avait fait des photos en cachette à travers la vitre de la maison. Un soldat allemand l’avait vu, il est venu lui arracher le film de l'appareil. Papa avait acheté une radio. C'était une grosse boîte avec un tout petit cadran. On avait tendu un long long fil dehors en guise d'antenne. Il avait mis une perche dans le fond du jardin pour être capable de recevoir les émissions. Pendant la guerre, on écoutait en cachette à cause des Allemands. La radio était cachée dans un gros bahut. L’occultation était obligatoire. Tous les soirs, avant d'allumer les lumières à l'intérieur des maisons, il fallait occulter les fenêtres. Papa avait fait des panneaux à poser du côté intérieur. Ils étaient peints en noir avec un feutre tout le tour pour ne pas laisser passer la lumière. On entendait tous les soirs une patrouille allemande faire le tour du village pour vérifier si aucune lumière ne filtrait. Chaque matin, le vieux Curé Alphonse Clesse arrivait à l’église allumer le feu pour essayer de chauffer l'église avant la messe de 7 h l/2. Il montait la grand-rue avec deux grosses cruches de charbon qu'il apportait du presbytère. Rendu à mi-chemin, tout essoufflé, il s'arrêtait devant le magasin et nous demandait de l'aider à porter les cruches. Denyse

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Les années d'occupation… ( Pierre me racontait…) Récit 2 UN GRAND MERCI À MICHEL ROTH POUR CETTE PHOTO DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

J'étais jeune et pourtant je me souviens de ce jour-là comme si c'était hier... Le bruit avait couru comme une traînée de poudre, mais hélas ce n'était pas une rumeur : une de nos cloches allait être réquisitionnée... On m'avait bien dit de rester à la maison... juste ce qu'il fallait pour me mettre la puce à l'oreille... Je suis sortie en douce. La Place du Marché était noire de monde. On se pressait les uns contre les autres, on étouffait sous un soleil qui luisait sans vergogne. On échangeait à voix basse, une odeur de funérailles flottait dans l'air. Puis tout d'un coup, les voix se sont tues, les coeurs se sont mis à battre plus vite, des gens pleuraient devant le spectacle déchirant de notre cloche kidnappée qui descendait lentement au bout d'un filin. Une stupeur immense, un silence de mort... et des sentiments qu'il fallait bien garder pour soi ! Quand tout fut fini, je me suis retrouvée "un pied chaussé et l'autre nu" comme dit une chanson; dans la cohue j'avais perdu une des pantoufles trop grandes pour moi dont j'avais hérité. C'en était fait. Ma désobéissance serait flagrante quand je rentrerais à la maison. Je m'attendais à une punition en proportion car ma grand-mère ne badinait pas avec la discipline. Ce jour-là, j'ai eu droit à un seul regard de reproche. Les larmes qui coulaient sur ses joues m'ont fait prendre toute la dimension de ce qui venait de se passer. J'étais et pourtant je me souviens de ce jour comme si c'était hier. Denyse

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Cloches et pied nu... Quand une église a mal… Récite 3

Voici la manière comment je me souviens de ce jour gris de la 2ième guerre mondiale... Oui, l'église avait mal, vraiment mal au sens propre… Cela se passait à Salmchâteau, pendant la 2ième guerre mondiale. Ce jour-là les cloches nous étaient enlevées, pour être fondues et transformées en armes ! Sur la Place du Marché, il y avait foule pour assister à leur départ. L’atmosphère était oppressante. Les Sâmiots pleuraient doucement devant le clocher béant tout en tâchant de juguler au mieux leur indignation. En dépit des consignes de ma grand-mère, j’ai voulu être présente. Sans saisir tout à fait la portée de l’événement, je sentais qu’il s’agissait d’un moment important pour notre petit village. J’étais triste, angoissée de ne pas comprendre… Et terriblement frustrée tout comme mes compatriotes de ne pouvoir laisser libre cours à mes réactions. C’est ici que se greffe un insignifiant petit souvenir. Ayant dû pour ainsi dire m’éclipser en catimini de la maison, je n’avais tenu aucun compte des vieilles pantoufles trop grandes qu’on me faisait porter pour épargner mon unique paire de souliers. Ce qui devait arriver, arriva... Parmi la cohue des gens assemblés sur la Place du Marché, j’en perdis une. Je dus rentrer chez moi « un pied chaussé et l’autre nu » comme disait une vieille chanson de l’époque. Un incident qui a fait déborder enfin des larmes trop longtemps retenues. Un vrai gros chagrin devant lequel, oubliant la remontrance bien méritée, ma grand-mère a pris dans ses bras sa petite-fille qui avait tant besoin de réconfort. Denyse

Mai 1940 – Retour Plein D’imprévus…

(Comme Pierre le racontait. Il avait 6 ans à l’époque.) 6


Finalement on est revenus à Salmchâteau tant bien que mal. Comme il y avait pénurie d'essence, papa avait acheté un réservoir de gazogène et demandé à un mécanicien d'installer une espèce de brûleur à l'arrière de l'auto. Il fallait commencer par faire du feu dans le pot du gazogène, mettre du coke, (charbon en partie consumé) et attendre que la production du gaz soit suffisante pour faire tourner le moteur. Quand le gazogène n'avait pas assez de force pour faire monter l'auto sur une côte, tout le monde descendait pour la pousser. Je me souviens que papa avait glissé en poussant et la roue arrière lui avait passé sur la jambe. Pas de cassure heureusement ! Pour éviter de nous faire repérer, on roulait dans le noir. Papa avait installé des lampes à carbure ; nous n’avions qu’une mince fente de lumière pour nous guider. Un autre problème pour revenir, c’était les ponts sautés. On se risquait à passer par des petits chemins de fortune vite préparés par des ouvriers municipaux. Là où les cours d'eau n'étaient pas trop profonds, on traversait à gué, en poussant l'auto. À Salmchâteau, nous trouvons les vitres brisées, la maison à l'envers, du pillage un peu partout dans le village... Papa et maman ont passé des semaines à réparer, nettoyer et remettre la maison en ordre. Les ponts du village, minés, avaient disparus. Il fallait traverser la Salm à pied pour se rendre dans l'autre partie du village. Denyse

Le temps des réquisitions…

Vers la fin de l’occupation les troupes allemandes manquent de ravitaillement. Elles réquisionnent à tour de bras récoltes, bétail et tout ce qui peut améliorer leur ordinaire. Pierre raconte : « Je me souviens d’un jour où Marie Mostert avait barraté du beurre. Elle venait juste de terminer quand un voisin est accouru la prévenir de l’arrivée d’une patrouille. Son beurre y a échappé de justesse ! » Autre anecdote : « Un jour, avant d’aller travailler au chemin de fer, où il était conducteur de locomotive, Joseph Siquet a tué deux lapins. Il informe Marie Mostert, sa belle-mère qu’il les a cachés dans l'auge à cochons. Par après, quand Marie vient les chercher, surprise de taille : deux lapins tout ce qu’il y a de plus vivants galopent partout dans l'auge ! Joseph n’a jamais raconté les remarques que belle-maman a sûrement dû lui servir à son retour» « Forcément, il y avait beaucoup d’élevages clandestins au village. Chez nous, les lapins étaient dans la cave. Papa leur avait construit des cages superposées avec, comme plancher, des lattes de bois ajourées en bon écartement pour que les crottes tombent dans un bac en-dessous. Près de la porte, un drain de plancher carré qui communiquant avec l'égout ce qui permettait d’arroser continuellement le bac à crotte incliné. Il fallait tout de même faire de temps en temps du grand ménage. On lavait alors le plancher avec le tuyau d'arrosage et le tout s’en allait dans l'égout. Pour accélérer l’opération, j’ai eu l’idée d’enlever la grille bouchée par un peu de paille. Bonne initiative si je n’avais oublié de remettre la grille en place une fois l’ouvrage fini… 7


Le lendemain matin une demi-douzaine de rats avaient envahi la cave. J’ai reçu ce jour-là un sermon bien musclé qui s’est révélé par la suite très efficace. » « On élevait aussi quelques poules naines si maigres qu'il n'y avait aucune crainte de se les faire réquisitionner. Je leur avais construit un poulailler dans le hangar au bout du jardin. Le seul inconvénient c'était qu'en hiver il fallait les rentrer dans la maison pour qu'elles ne gèlent pas. On les installait alors au sous-sol. Ce que j’en ai mangé pendant cette période du lapin et de la poule bouillie ! » Tracasseries qui pourraient sembler insignifiantes si elles ne traduisaient l’inconfort permanent de ces temps troublés. Denyse

Mononque Tchâles ( Oncle Charles )

Plusieurs d’entre vous l’ont connu. Chaque mois de novembre me le rappelle. Lui et son sourire, son plaisir de bien faire et la fierté avec laquelle il me montrait sa photo dans un cadre grand format avec la mention : « En l’honneur du soldat Charles Siquet ». Il était le frère de ma grandmère, celui que tout le monde appellait « Mononque Tchâles ». Bien plus tard, il deviendra le « Tonton Charles » de mes enfants … Le tout premier souvenir que je garde de Mononque Tchâles est celle du Mononque gâteau qui savait si bien gâter sa petite-nièce. Je le revois aussi qui endosse l’uniforme militaire dans l’atmosphère tendue qui accompagne son départ. C'est la guerre. Il vient d’être, comme on dit si noblement ( !) appelé sous les drapeaux. En temps de guerre la destination reste un secret. De temps en temps quelques mots du front. Et on respire de savoir Mononque Tchâles en vie… tout au moins le jour où il a écrit … Et puis un jour, j’entends parler de « camp de concentration ». Mononque Tchâles est prisonnier quelque part en Allemagne. Le courrier se fait rare, concis et hermétique. Mame et ma grand-mère préparent des envois de petites douceurs, d’écharpes et de gros bas de laine pour le prisonnier.

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Si on permet la réception des colis, Mononque nous racontera plus tard qu’ils sont soumis à une fouille en règle, les paquets de cigarette éventrés sans vergogne et les mots de nos pauvres missives passés au crible au cas où s’y glisserait quelque message secret. Bien que trop jeune pour tout comprendre, je ressens l'inquiétude de mes deux grands-mères. Leurs prières se font pressantes. Tous les saints du ciel, à commencer par la Vierge Marie, sont mis à contribution. On allume des cierges à l’église, on enchaîne une neuvaine après l’autre. Et on poursuit tant bien que mal la difficile attente. Un matin, ma grand-mère se lève, bouleversée par un rêve qu’elle a toujours considéré comme prémonitoire. Je l’entends encore raconter. "Dja sondgé sis nut, dj’a veyou Tchâles. Il esteut v’ni bouhî à l’ouche po dire qu'il esteut prisonnier è qu’i n’falleut nin s’en n’èfer por lu. (J’ai rêvé cette nuit, j’ai vu Charles. Il était venu frapper à la porte pour dire qu’il était prisonnier et qu’il ne fallait pas s’en faire pour lui).) Quelques jours plus tard, le facteur nous apporte du courrier. Mononque Tchâles nous annonce qu'il est déporté au « Stalag 8-A, en Silésie »... Sur l’enveloppe, seuls ces mots défiant toute tentative de trouver l’endroit. Il me semble ressentir encore l’étrangeté de ce moment, le silence troublé qui suit la lecture de la nouvelle… Bien plus tard, probablement en 1943, par un matin tout pareil aux autres, quelques coups vigoureux sont frappés à la porte d'entrée. Je dois avoir dans les 7 ans ; je me revois encore, pétrifiée devant un beau grand soldat que je ne reconnais pas. Puis me voici happée par deux bras forts qui me font tournoyer, tournoyer avec un grand rire. Une joie délirante me saisit en reconnaissant Mononque Tchâles. Il me coiffe de son béret militaire et nous entrons dans la maison main dans la main. Denyse

Les 11 novembre de mon enfance...

Les 11 novembre de mon enfance n’échappent généralement ni à la grisaille de l’automne, ni à celle des cœurs toujours un peu lourds ce jour-là. Pour les Sâmiots comme pour tous les Belges, que de souvenirs tragiques se réveillent ! Comme tout événement digne de ce nom, il commence par une grand-messe solennelle dont je sors chaque année le cœur chaviré. Qui ne le serait à entendre le clairon faire résonner la pathétique « Sonnerie aux champs » dans le grand silence de la consécration ?

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Sitôt la messe terminée, tout le monde se retrouve autour du Monument aux Morts. Officiels, familles des défunts, enfants des écoles et tous ceux qui en sont capables attendent dans le plus grand silence et dans une température souvent inclémente, le début d’une cérémonie qui va durer longtemps. Tout d’abord l’immortelle « Brabançonne », cet hymne à la Belgique, notre « mère chérie » qui a le don de plonger dans un état proche de l’extase la petite fille vibrante que je suis. Ensuite, place au discours officiel dont la durée va être directement proportionnelle aux trémolos dans la voix de l’orateur. Tant de belles envolées patriotiques préparent les cœurs à mieux vivre encore l’émotion d’entendre nommer par son nom chacun de tous ces braves morts pour leur pays. Et, tandis que les mémoires se rappellent, les yeux se tournent discrètement vers des proches endeuillés sur qui rejaillit un peu de la gloire de ceux qui sont partis. Puis chacun s’en retourne chez soi où on ne manquera pas d’évoquer tant de souvenirs de la guerre 14-18 et ceux encore tout proches de la deuxième guerre mondiale. Denyse

Dans la première partie Denyse nous parle de la période sombre de l'offensive des Ardennes ou Salmchâteau comme beaucoup d'autres localités Ardennaise à payé un lourd tribus. À Salmchâteau il n'y a pas que tristesse mais aussi ses joies à travers les différentes fêtes paroissiales et autres d'on la plus joyeuse est la Pentecôte avec sa fête foraine, moment musical avec la fanfare Concordia, son bal... Mais je laisse la place à Denyse qui nous parle si bien de tout ses événements et aussi anecdotes... Michel

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La Procession de la Fête-Dieu

Rappelle encore bien des choses aux gens de ma génération… Tout lle village y mettait du sien. Deux reposoirs pour la procession avaient été construits et les rues étaient décorées de branchages plantés avant le jour. Dans chaque maison, une fenêtre ouverte pieusement décorée. Crucifix, SacréCœur Vierge de Lourdes, et des saints qu’on aurait dit se trouver là par hasard. « Messe de Te Deum » finie, la procession s'organisait dans un ordre immuable. Hommes, femmes, enfants des écoles, Tiers-Ordre, Scouts, Louveteaux, Guides, Jeannettes, Croisés, Femmes rurales, marguilliers, « anges » semant des pétales de fleurs sur le chemin du Saint-Sacrement et aréopage d’enfants de chœur pour une fois assagis… Enfin, sous le dais d’or porté par quatre dignitaires s’avançait notre vieux Curé portant l’ostensoir brillant de mille feux. Procession vibrante de prières quelquefois abruptement interrompues par la Fanfare triomphante… C’était simple, c’était beau... et chacun s’en retournait chez lui tout heureux.. Denyse

Mais qui donc sont des anges ?

On le répète sur tous les tons : le temps passe… Il passe même tellement vite que ce n’est même plus qu’une question de jours avant Noël. Dix-sept pour être exacts… Dans les magasins il y a longtemps que les rayons se remplissent de choses plus tentantes les unes que les autres dans la perspective des sacro-saints cadeaux. Ce n’est pas que je boude la coutume des cadeaux… Cependant je trouve tellement triste qu’une belle tradition comme la fête de la Nativité devienne semblable aux boxing ou black-Friday. Me revoici aux Noëls de mon enfance. Dès le début décembre on se met en quête de sortir des armoires crèche et petits personnages qui vont partager avec nous quelques heures de paradis.

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Jésus, Marie, Joseph, bergers… tous attendront le 24 décembre pour prendre place sous le sapin qu’on vient tout juste d’aller couper dans le bois. Les petites bougies en cire ne seront allumées que pendant les heures qui précédent la Messe de Minuit, sous haute surveillance pourrait-on dire. Les rois devront attendre l’Épihanie. Ce qui me fait penser à tout cela ? Une photo, sortie d’un passé que je situe approximativement dans les années 50, une photo qui donne envie de chanter : « Les anges dans nos campagnes ». Ne sont-ils pas à croquer ces petits anges avec la main sur le cœur ? Ils semblent soucieux de donner satisfaction aux deux chefs de bataillon sans ailes, en robe blanche et galons bleu ciel aux couleurs de Marie qui les encadrent. Les deux jeunes filles prennent en effet leur rôle avec énergie, l’une par son grand sourire et son pas assuré, l’autre avec une attention imperturbable que rien ne semble devoir déranger. Inutile d’ajouter qu’il s’agit ici de la procession de l’Assomption. Que sont devenues ces deux grandes filles et tous ces petits bouts de chou? En reconnaissez-vous ? Probablement cette photo réveillerait-elle chez elles des souvenirs attendris comme ceux que je viens de partager avec vous tous ?

Denyse

Les Rogations du temps jadis...

Bonjour les amis de Salm... Les Rogations du temps jadis... vous vous souvenez ? Comme si c’était hier. Avant les semailles, les cultivateurs mettent toutes les chances de leur côté.Quoi de plus sûr que trois processions consécutives pour s’attirer les bonnes grâces du ciel! Même ceux qui assistent le plus souvent à la messe dominicale sur le perron de l’église y sont présents.. Pendant trois jours c'est le départ dans la fraîcheur matinale en alternant chants et prières. Un parcours immuable à travers champs afin que chaque culture y trouve son content. Notre bon vieux curé, un peu poussif, suit mal la cadence. De fréquents arrêts s’imposent pour lui permettre de reprendre son souffle. À d’autres endroits, c’est une clôture en fils de fer barbelés qu’il est incapable d’enjamber et qu’il faut démonter pour ensuite la remettre en place. Tout un événement pour les enfants que de déambuler à travers champs dans le jour tout neuf ! On se retrouve à l’église quelque peu en retard pour la messe de 7 h 30. Comme nous sommes à jeun pour communier, il est impensable de nous envoyer à l’école avec des estomacs criant famine. On dirait que, pendant les Rogations, les petits déjeuners sont plus longs que d’habitude… Quel bonheur que d’arriver en retard sans craindre la réprimande de l’institutrice ! Denyse 12


À la Chandeleur...

Le 02 février... vous vous souvenez ? "À la Chandeleur, l'hiver s'arrête ou prend vigueur..." Et demain, c'est la Saint-Blaise... évêque arménien mort martyr en 316... Je me rappelle des 3 février de mon enfance. L’hiver est loin d’être terminé. Son cortège de froidure, de neige, de pluie ajouté aux systèmes de chauffage rudimentaires de ce temps-là nous apporte souvent rhumes, grippes, maux de gorge et autres désagréments. C’est pourquoi le village au complet se retrouve à l’église le jour de la Saint-Blaise pour recevoir l’imposition des deux cierges allumés qui vont nous préserver particulièrement des maux de gorge. La tradition rapporte également que Blaise n’a pas son pareil pour débloquer des arêtes avalées de travers et qu’on le prie aussi lorsqu’on a mal aux dents ou encore pour guérir les animaux malades. De la diversité dans ses attributions.. un omnipatricien presque ! Bonne Saint-Blaise demain Denyse

Vendredi-Saint à Salmchâteau…

Jamais je n’oublierai la procession du Vendredi-Saint dans le village de mon enfance ! Beau temps, mauvais temps, le cortège démarrait de l’église en récitant le chapelet. Après la grimpette du Marché, celle des Éturons, un petit bout du chemin de la Hérongue, on se retrouvait devant la pente raide qui, de station en station, allait nous conduire à la petite chapelle du Calvaire. Le parcours était dur entre les grands sapins. Souvent il fallait attendre les personnes plus âgées dont le vieux curé lui-même. La halte à chaque station du Chemin de Croix permettait de reprendre souffle. Et tout le monde tenait bon.

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On arrivait ainsi à la chapelle. Pour trois heures précises. D’année en année, le curé Clesse entonnait le même chant à Marie. « Je mets ma confiance, Vierge en votre secours… » Et on chantait dans les bois du Calvaire ! Et on s’inclinait avec piété pour la bénédiction du pasteur… Puis chacun s’en retournait chez lui avec la compagnie de son choix. Les langues se déliaient, les plaisanteries fusaient, comme pour faire oublier un peu la solennité de l’heure. N.B. : « Le chemin de croix [tout comme la petite chapelle] est de 1916 et il a été établi aux frais des paroissiens. Il remplace quatorze stations en pierre d'ardoise, placées probablement en 1766 également et, en tous cas, existait sûrement déjà en 1777. » (Gaston Remacle) Voici la seule photo que j’en ai. Vous reconnaîtrez bien sûr une station du Chemin de Croix. En cherchant bien, vous retrouverez sûrement la chapelle. Peut-être même pourrez-vous en prendre une photo… Denyse

Carême et ratatas...

Quand j’étais petite, toute la vie du village tournait autour des fêtes religieuses. Mes souvenirs aussi… Et voici comment je me souviens du Carême de mes jeunes années … Pendant toute sa durée, nos chantres locaux devront assurer le chant liturgique sans le concours des orgues tandis que les cloches vont nous fausser compagnie pour s’en aller à Rome, paraît-il. Les ratatas, crécelles en bois remplis de petites roches, vont prendre le relais des cloches. Pendant six semaines, les enfants de chœur iront les agiter énergiquement dans toutes les rues du village. Pour une fois, qu’ils peuvent se promener en faisant le plus de vacarme possible sans être réprimandés, ils vont en profiter ! À l’école, nous sommes invités à faire des sacrifices, pour nous purifier l’âme en vue de la grande fête de Pâques. En préparation au grand lessivage intérieur, nous tenons un petit registre de nos faits et gestes répertoriés en bonnes ou mauvaises actions. Cela va se révéler bien utile lors de la confession hebdomadaire et surtout pour la confession dite générale que nous allons faire en fin de Carême. On nous invite fortement à faire des sacrifices, comme par exemple afficher une conduite exemplaire, prier davantage et s’abstenir de manger du chocolat et autres friandises. Ces six semaines dites de pénitence ne me semblent pas vraiment pénibles. Il est vrai que mon âge tendre me dispense du jeûne et de l’abstinence des adultes, du moins jusqu’à ma communion solennelle.... Denys 14


Pentecôte… Confirmation…

Réalisation de la promesse du dernier repas "Je suis toujours avec vous. Les gens de mon village et de mon âge s’en rappellent. Sept ans, c’était l’âge de raison, celui qui nous permettait de bien comprendre la signification de notre toute première « COMMUMION PRIVÉE ». Bien comprendre ? Le terme me paraît aujourd’hui assez fort ! Pour moi, cela voulait dire recevoir « le petit Jésus dans mon cœur», et être désormais tenue à une sagesse que je trouvais bien difficile à atteindre… Une éducation religieuse nous acheminait ensuite vers LA COMMUNION SOLENNELLE ET LE RENOUVELLEMENT DES VŒUX DE BAPTÊME qui, après trois années consécutives, trouveraient leur achèvement dans le sacrement de CONFIRMATION . C’était en quelque sorte l’apothéose du cheminement des jeunes chrétiens de 14 ans que nous étions devenus. L’Esprit Saint, c’était pour moi la colombe des images anciennes de la Sainte Trinité, les langues de feu descendant sur Marie et les apôtres, un feu dévorant qui promet et permet tout au nom de Jésus… Nous devenions des « soldats du Christ ». Le don de force m’impressionnait particulièrement… Jusqu’à ce que je comprenne enfin que la véritable force se traduit également sinon mieux par la douceur. Denyse

Saveurs d'autres fois... En attendant la fête, l'heure de la permanente...

Longtemps avant le grand jour, les femmes ont pris rendez-vous chez Willy-le-Coiffeur pour une permanente. Willy vit avec sa mère dans une petite maison au-dessus du Marché. 15


Bien qu’ayant été pendant longtemps le seul coiffeur du village, il lui faut tout de même une imagination fertile pour assurer leur pain quotidien. Cela ne paraît pas lui manquer. Entre autres ressources, il possède une machine à écrire d’une taille impressionnante. Plus tard, lorsque je prends des cours de dactylo au Pensionnat des Sœurs de la Providence à Vielsalm, c'est chez lui que je loue l’énorme Remington pour mes pratiques de doigté. Donc, pour la Pentecôte on va se faire permanenter chez Willy. Une vogue éclose juste après la guerre. La seule évocation des techniques rudimentaires de la permanente en ce temps-là me donne rétrospectivement la chair de poule. Un dicton circule : il faut souffrir pour être belle. Parmi les clientes de Willy, rares sont celles qui ne l’expérimentent pas un jour ou l’autre. Les bigoudis chauffés sur une espèce de grillepain avant d’être appliqués en rangs bien serrés sur la tête, entament plus d’une fois un cuir chevelu délicat. De plus, il est recommandé d’attendre huit jours avant de passer le peigne dans la permanente nouvelle. On s’attaque alors à une vraie brousse de cheveux emmêlés. Le peigne accroche parfois des croûtes de brûlures non encore cicatrisées. Mais le résultat en vaut la peine. En y mettant temps et patience, les clientes de Willy finissent par arborer une tête crollée à souhait. Plus le cheveu frise, plus on est satisfait. Heureusement, n’ayant pas l’âge de la permanente, j’échappe à ce traitement. Qu’à cela ne tienne ! Ma grand-mère a bien des tours dans son sac pour assouplir mes cheveux raides comme des allumettes. La veille de la Pentecôte, je me couche la tête garnie de papillottes qu’elle a fait tremper dans de la bière brune pour renforcer la durée des tire-bouchons romantiques qui vont encadrer ma frimousse le temps des festivités. C’est un peu aussi la fête pour les mouches nombreuses en cette saison et pour les abeilles de Guy Goffard dont les ruchers se dressent juste à côté de notre jardin. L’odeur de bière que je dégage leur plaît tellement qu’un shampoing s'avère indispensable à très court terme et je me retrouve avec mes tresses de petite fille modèle (enfin modèle en apparence...) Sur la photo, maman Pauline, toute prête pour la Pentecôte. Denyse

En attendant, l'heure de la couture… (Spécial dames)

Fête au village et toilettes neuves vont de pair. Aucun problème chez moi, toutes les femmes de ma famille sont d’excellentes couturières. Catalogues de grands magasins et chroniques de mode sont passés au crible. 16


Après des palabres qui me paraissent interminables, ma grand-mère, maman et tante Denise finissent par se mettre d’accord sur modèles et couleurs avant de passer à l’achat des coupons de tissus harmonisés à leur vision. Grand-mère Maria est une couturière professionnelle. Je revois la machine à coudre installée dans la minuscule cuisine, j'entends le bruit des ciseaux coupant fermement le tissu, le ronron de la machine alors que ma grand-mère pédale allègrement. Comme bruit de fond, Radio-Luxembourg, et une émission très prisée à l’époque, « Le passe-temps des dames et des demoiselles » Je garde souvenir de mon impatience lors des essayages minutieux par lesquels je dois passer pour que tout soit parfait… Ainsi malgré la faiblesse de nos ressources financières, j'ai toujours une toilette neuve pour la Pentecôte. Un ciel serein me rappelle immanquablement la merveilleuse robe bleu azur et le gros nœud papillon pour les cheveux étrennés une année à la fête… « Vanité des vanités ! » Au rayon «beauté », il ne restera pour les Sâmiotes du 79 route de Bêche que le passage obligé entre les mains de Willy Schneider, le coiffeur. Denyse

Saveurs d'antan : En attendant la Pentecôte, l'heure de la pâtisserie…

Sans table bien garnie, pas de kermesse réussie. Sans les excellentes pâtisseries ardennaises, pas de repas digne de la Pentecôte. Voir ma grand-mère préparer les grandes tartes qu’on appelle, roues de charrette est déjà une délectation en soi. La veille, mon grand-père a descendu du grenier la grande maie en bois où est déposée la pâte à tarte qu’on recouvre d’un drap blanc pour la protéger des courants d’air. On s’assure que la température de la petite cuisine va demeurer constante pour que le mélange puisse travailler toute la nuit et nous offrir au matin une belle pâte bien pansue, toute fine prête pour la phase suivante. Une fois bien aplaties au rouleau et déposées religieusement dans leurs formes, les tartes reçoivent des garnitures de groseilles, de rhubarbe, d’abricots, de pommes et le mélange d’œufs, de sucre et de crème des fameuses tartes au sucre qui fondent dans la bouche. La cuisson se fait dans le grand four que Joséphine Blanjean met à la disposition du voisinage aux jours des grandes occasions. Tout le monde s’étant mis d’accord sur l’horaire, c’est le défilé des ménagères des Éturons. Pendant le temps de cuisson, les langues vont bon train, on se raconte ses aventures culinaires, on y échange des recettes, des trucs plus infaillibles les uns que les autres… et bien sûr les derniers potins en ville ! 17 Une fois cuites, les belles tartes vont attendre, dans le garde-manger de la cave, l’heure glorieuse de leur apparition sur les tables de la fête. Chez moi on commande à l’avance certaines pâtisseries au boulanger comme les cramiques et gosettes, et les indispensables pistolets que l’on garnira de jambon et fromage.


Tout cela n'empêchera d’ailleurs personne d'aller acheter des cornets de frites piccallilli et mayonnaire à la cabane à frites spécialement érigée pour la circonstance ainsi que les boulettes à la sauce tomate pour les accompagner. Le marchand ambulant de crème glacée fera aussi de très bonnes affaires pendant les trois jours de kermesse... Denyse

Dernière semaine avant la Pentecôte, ça bouge à Salmchâteau…

Dès le jeudi, les choses se précisent. Le centre du village se transforme. Sur la place du Marché, de l’École communale et le long de la grand’rue, manèges et baraques foraines apparaissent. D’année en année on retrouve sur le Marché Bosman et ses chevaux de bois, Fernand Bock et sa charrette à crème glacée. Sur la place des Écoles communales les chaises volantes, source pour moi d’innombrables maux de cœur. Mon oncle Charles suit de très près l’avancée des installations. Tout fier, il en rapporte tous les détails à la maison, très heureux de retrouver d’année en année les mêmes propriétaires de baraques foraines ! La joie doit être réciproque car « le grand Charles », tout le monde le sait, c’est l’homme le plus sociable du monde... Jovial, boute-en-train, un tantinet moqueur, il ne passe jamais inaperçu. Pour ma grand-mère, en avant toute pour l’élaboration du repas de fête. Pour grand-papa Alexandre, vérification de la netteté des alentours de la maison, de la beauté des fleurs du jardin et inspection des provisions de « Vieux Système ». Il lui faudra aussi s’assurer que les liqueurs faites maison sont dignes d’être offertes aux visiteurs... Cette semaine-là le temps semble avoir deux vitesses. Il n’en finit pas pour ceux qui ont hâte de se retrouver au matin de la fête et semble au contraire bien court à ceux qui doivent veiller à ce que tout soit parfait !

Denyse

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Enfin, la Pentecôte est arrivée...

Ce jour-là on dirait que notre vieux curé raccourcit son sermon. Et lorsque Bosman, avant même la fin de la messe démarre les flons-flons de ses chevaux de bois, les dernières prières sont souvent expédiées de façon précipitée. Les femmes ont hâte d’exhiber les toilettes neuves sur le perron de l’église, les hommes de prendre ensemble le « demi » rituel au Café Lebecque et les jeunes de se précipiter enfin vers ces manèges dont ils rêvent depuis si longtemps. On va dîner en retard à la maison mais personne ne s’en plaindra. Au diable tout horaire contraignant, c’est la fête après tout ! Le très copieux repas (un frugal petit repas belge, dirait Obélix) va se poursuivre une bonne partie de l’après-midi. À 14 heures, j’assiste à la célébration des Vêpres. Je ferai bien une petite expédition de reconnaissance parmi les attractions, mais ce n’est qu’une fois terminé le souper que je partirai enfin en compagnie de mon Tonton Charles, à la conquête de tous les plaisirs du village en fête. (Justement sur la splendide photo ci-jointe, mon Tonton Charles est très reconnaissable. Le voyez-vous portant un costume clair et les mains dans le dos ?) Chacun va bien sûr y retrouver ses amis communs. Pour moi, l’heure du couvre-feu sonne toujours trop vite. Mais, la loi c’est la loi… Le lendemain, « le grand Charles » réjouira la maisonnée avec le récit colorié de ses aventures, mémorables comme toujours en ce premier soir de la fête. Et ce n’est pas fini… Denyse

Lundi de Pentecôte, la fête continue...

Lundi c’est le jour de nos défunts. Les parents éloignés, « ceux des villes » prennent un jour de congé pour assister à la grand’messe solennelle et à la procession au cimetière qui va suivre. 19


Au repas de midi, la conversation sera alimentée de bien des souvenirs, la plupart joyeux, certains franchement cocasses de ceux qui nous ont quittés. Car si la vénération des morts est bien présente dans le village de mon enfance, elle se vit la plupart du temps dans une bonne humeur attendrie accompagnée quelquefois d’une « larme à l’œil ». (Est-ce de là que vient ma conviction que ceux qui sont partis avant nous continuent à faire partie de notre vie ?) Puis, le soir venu, on retourne « à la fête » Denyse

Saveur d'antan – Dernier jour du Triduum...

Et nous voici au mardi de la fête, le jour des crâs mignons dont on se souvient longtemps. Les crâs mignons, vont rentrer dans chaque maison et en ressortir avec un participant de plus. Les crâs mignons prennent leur départ au Monument. Accompagnés de la Royale Concordia ils vont traverser le village et se diriger vers la Place des Écoles communales. Et que de concours de toutes les sortes, plus farfelus les uns que les autres ! course les pieds dans un sac… course à la cuillère en bouche contenant un œuf cru… dégustation de pistolets généreusement enduits de Sirop de Liège se balançant mollement au bout d’une corde… transport de grenouille dans une brouette … et bien d’autres encore qui font montre d’autant d’imagination. Pas à dire, on s’amuse à Salm-Château ! Généralement seuls les hommes participent aux épreuves du mardi de la fête. Et pour cause ! Ils en ressortent le plus souvent les habits en désordre et plutôt défraîchis. Et bien entendu, tout se termine par une ultime soirée de danse à la Renommée.

Ici, la course aux oeufs du mardi de la Fête.... Pas facile de le tenir en équilibre dans une cuillère... Les deux premiers candidats : Norbert Masson et mon Pierre... Et tous les deux en costumes du dimanche s'il vous plaît !!!--Denyse 20


Le bal du mardi soir à la Renommée…

On attend fébrilement la soirée de danse du mardi. C’est l’apothéose de la fête, on y vient de tous les villages environnants. Tout n’y est pas permis mais on arrive le plus souvent à faire quelque entorse aux règlements mis en vigueur pour la protection des jeunes filles bien. Un petit bond dans le temps. 1953, j’ai commencé à « courtiser » comme on le dit à cette époque. Pierre s'y entend à merveille pour amadouer mon grand-père qu’un petit verre rend souvent indulgent. Et puis il y a aussi Tonton Charles, le chaperon toujours joyeux et très discret. « Le grand Charles », c’est l’Ardennais d’une sociabilité et d’une bonne humeur connues des lieux à la ronde. C’est le copain fidèle qui ne rechigne pas quand vient le temps de payer sa tournée à ses amis… Des amis qui ne sont d’ailleurs pas en reste si on en juge par le nombre de bières qui arrivent à la table où Tonton s’assied entre les danses. Si les quelques verres de trop n’arrivent nullement à entamer sa bonne humeur ni à lui enlever ses bonnes manières, son sens de l’humour s’affine encore davantage et devient contagieux. Au programme, marches, valses, tangos et farandoles. Suivant je ne sais plus quel règlement dont je ne rappelle plus, il y a des gages à donner… la photo ci-jointe vaut mille mots à elle toute seule… Toute bonne chose ayant une fin, il faut bien finir par reprendre la vie normale. Estomacs détraqués, trous dans le portefeuille, train-train quotidien et retour au travail revenus, tout cela constitue des lendemains un peu difficiles. Mais que de souvenirs emmagasinés ! Denyse

Saveur d'autrefois : La fête du Saint-Sacrement.

Soixante jours après Pâques, la Fête-Dieu. Depuis plusieurs semaines, on met à contribution tous les saints du ciel pour s’assurer de soleil pour la procession. 21


Aux endroits stratégiques du village, deux reposoirs ont été construits là où le cortège va s’arrêter le temps d’un hymne, d’une bénédiction et d’une prière d’adoration. Une forêt éphémère a poussé le long de la grand-rue, faite de branchages coupés dans le bois et plantés avant qu’il fasse jour. Dès les petites heures du matin, les fenêtres ouvertes s’ornent selon la dévotion de chacun. Sur un drap blanc soigneusement disposé repose ici un crucifix entouré de cierges qu’on allumera au dernier moment, ailleurs une statue du Sacré-Cœur, ailleurs encore une Vierge aux bras ouverts comme pour accueillir le passage de l’ostensoir d’or. Il y a aussi des saints qu’on dirait invités à la fête par hasard. On y retrouve, parfois en plusieurs exemplaires, le populaire saint Antoine qu’on prie pour retrouver les objets perdus, puis sainte Anne et sa petite Marie, le bon saint Joseph son lys à la main, Thérèse de l’Enfant Jésus… Parmi eux, un saint Expédit, fringuant centurion romain, dont on dit qu’il est le patron des causes désespérées. Ma grand-mère lui voue une grande dévotion. Sa statue trône d’ailleurs en bonne place dans la petite chapelle de notre jardin… Tout disparates qu’ils soient, ces préparatifs traduisent le désir de souligner le passage du Saint Sacrement dans les rues du village. La procession s’avance selon un ordre soigneusement préparé. D’abord les groupes : TiersOrdre, Scouts, Louveteaux, Guides, Jeannettes, Croisés, Femmes rurales, sans oublier les marguilliers de la Fabrique toujours si dévoués. Enfin, précédant le dais d’or porté par quatre dignitaires sous lequel notre vieux Curé s’avance péniblement tenant sur son cœur l’ostensoir, les plus mignons petits anges que la terre ait portés. Quelle joie d'endosser la longue robe blanche, de fixer les grandes ailes de papier, de recevoir un panier rempli de pétales de roses, de bégonias, de marguerites ou de toute autre fleur de saison à semer sous les pas du Saint Sacrement ! Au reposoir de la Place du Marché, notre Curé s’arrête et entonne un Tantum ergo repris avec ferveur. Une courte litanie de louanges, et l’on se remet en marche pour la Place des Écoles. La prière du chapelet accompagne la procession. De temps à autre, La Concordia y va d’une marche à saveur militaire qui couvre les pieux Ave… Puis c’est le retour à la maison où un brin de dévotion va me poursuivre quelque temps ! Pittoresque et touchante, voici les mots qui me reviennent en pensant à la Fête-Dieu dans le SalmChâteau d’antan!

Denyse

Allo les Sâmiot(e)s, 22


Je viens de remettre la main sur une photo du reposoir de la Fête-Dieu. Celui de la Place du Marché avec à l’arrière, la vieille maison Meys. Je crois que, par après, elle a été déclarée ‘patrimoine’ et rénovée. Est-ce que je me trompe ? En fait, je me rends compte que la décoration du reposoir était plus simplifiée que dans mon souvenir. Le Sacré-Cœur bras ouvert et quelques bouquets de fleurs. Un tapis genre ‘turc’ sur les marches et celles-ci recouvertes de pétales de fleurs. Et à côté, les branchages que les hommes étaient allés couper probablement au petit matin… Quoi qu’il en soit, je trouve que c’est un beau souvenir à se rappeler tous ensemble ! Bisous. Denyse

Fernand le facteur… Ceci se passe dans les années 1945 et suivantes, dans notre beau petit village des Ardennes. C’est le moment de présenter Fernand le Facteur, notre employé des Postes. Pendant les dernières semaines de l’année, les Sâmiots guettent son arrivée avec l’acuité du chasseur à l’affût. Combien de cartes allons-nous recevoir d’ici le 31 décembre ? Combien de fois le facteur va-t-il pénétrer chez les voisins ? Qui va nous envoyer des vœux ? Qui ne va pas le faire ? Des statistiques tenues d’année en année vont nous renseigner sur le degré de fidélité de tous nos proches et surtout sur notre popularité personnelle… Elles sont jolies, ces cartes, d’une naïveté charmante. Elles vont meubler mon imagination de petite fille pendant plusieurs semaines. Elles seront pour moi un trésor inégalable que mon arrièregrand-mère gardera soigneusement dans son buffet pour les ressortir au prochain mois de décembre. Et d’une année à l’autre on compare, on tient minutieusement la comptabilité des témoignages d’amitié des parents et amis. Ma joie est à son comble quand Fernand Le Facteur m’en remet une, à mon nom, dûment timbrée, estampée par la Poste et signée par mes grands-parents, Tonton Charles et Mame. Me voici devenue une personne importante à qui on écrit ! Dès le 15 décembre, Fernand le Facteur, doit transporter un sac de courrier de plus en plus lourd. Une raison parmi d’autres de lui offrir la petite goutte de péket qui va lui servir de remontant. De remontants en remontant, sa tournée ralentit à mesure que les péripéties des histoires qu’il colporte de maison en maison augmentent... À partir du 26 décembre, notre postier arrive de plus en plus tard. Le 31, mieux vaut ne pas l’attendre à une heure précise. C’est sa journée de gloire ; ses haltes se font plus longues et les anecdotes à conter absolument ce jour-là, plus nombreuses et plus succulentes. 23


Mais ne vous y trompez pas !. Il demeure le livreur de courrier le plus consciencieux au monde. Son courrier sera livré au grand complet… Fernand le Facteur a laissé dans chaque maison le Calendrier des Postes qu’on accroche au mur à côté de l’incontournable bloc d’éphémérides qu’on appelle simplement Le Bloc. Ce dernier nous indique la date, l’heure du lever et du coucher du soleil et de la lune, le nombre de jours écoulés et combien il en reste pour achever cette année toute jeune. Pendant 365 jours, il va nous offrir un de ses feuillets. Nous découvrons avec délices les farces imprimées à l’endos. On les mémorise pour les resservir dans une conversation ! Denyse Sam po tot

Ah ! Le Salmchateau de mon enfance ! Que de tendresse et de liberté j’y ai vécues ! Il me reste au cœur un merveilleux petit patelin tendrement niché dans son berceau de montagnes et de forêts. Un village où tout le monde se connaît. Où on échange les bonjours, où on s’arrête pour un brin de causette, les invitations à « boire le café » entre voisins et amis. Il y a aussi ces petits différends qu’il faut parfois un peu de temps pour apaiser… Les Samiot(e)s ont la fierté de leur travail. Aux heures difficiles, ils savent faire face. C’est la solidarité lorsque la situation l’exige. Me revient à l’esprit une poésie apprise à l’école primaire. Un titre qui fait sursauter suivi de louanges dithyrambiques à travers lesquelles se devine la finesse du légendaire humour ardennais… N’empêche ! Il y avait du vrai là-dedans ! « L’Ardennais est fin, faux, filou ». Il fut si fin toute sa vie, que rien jamais ne l’a séduit. La nouveauté folle et impie n’a pas eu de prise sur lui. Il était faux tant qu’on peut l’être, il se donnait un air bourru Et il fallait bien le connaître pour comprendre enfin sa vertu. Filou, il volait à la terre, péniblement, ses durs épis. Et pour couronner sa carrière, il a volé le paradis. » 24


Qui dit mieux ? Les Samiots de ma jeunesse, des hommes et des femmes parfaits ? Ben voyons ! Comme tout le monde, ils avaient les défauts de leurs qualité… Sûr que leurs descendants s’en rappellent … Tout comme moi, avec un certain attendrissement ! (Question : Quelqu’un se souvient-il de l’auteur du poème ? Pour ma part, je l’ai complètement oublié…) Denyse

« Il pleut des pierres... »

Je lisais dernièrement qu’en Belgique la Basilique de Saint-Hubert » avait été, par trois fois en à peine un an, le théâtre de chutes de pierres. Compréhensible chez une « Vieille Dame » du XVIe siècle ! Et urgence de voir à conserver ce patrimoine exceptionnel de la Wallonie ! Il n’en fallait pas plus pour me rappeler Hubert, le grand chasseur si cher aux Ardennais qu’on fête le 03 novembre. On parlait de sa conversion mystérieuse, en pleine chasse à courre, alors que soudain se dresse devant lui un cerf tout blanc portant, au centre de ses bois, une croix lumineuse… On raconte aussi qu’il abandonna dès lors sa vie futile, devient prêtre, puis évêque… J’entends encore mon Tonton Charles, grand chroniqueur devant l’Éternel. Il raconte les somptueuses chasses à courre d’avant la guerre… « Il faut montrer patte blanche pour y participer... pas pour les petites gens comme moi » ne manque-t-il jamais de mentionner. Tonton fait revivre pour moi l’apparat de la Messe solennelle du 03 novembre, la plainte déchirante du cor de chasse accompagnant les orgues, les chasseurs tout fringants dans leurs costumes rutilants, cravache en mains et bottes brillantes comme des miroirs. Il raconte aussi la meute de chiens si bien dressés que "les comtes du château" et leurs invités vont lancer tout à l’heure sur les pistes du gibier, dans une poursuite des plus cruelles. Plus tard, la conscience populaire a évolué, s'est humanisée. Les chasses à courre sont désormais défendues. Seule la messe du 03 novembre en rappelle le souvenir... Et pour moi, un chant appris à l’école dont les premiers mots étaient : « Ô Saint Hubert, patron des grandes chasses... » Denyse

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Nos Macrâlles bien-aimées ...

Les Macrâlles, ces sorcières tout de noir vêtues avec leur nez crochu, leur tignasse en broussaille et l’inséparable balai qu’elles chevauchent avec dextérité occupent indéniablement une place de choix dans notre folklore ardennais … et dans mon enfance. Le 20 juillet, c’est leur soirée bien à elles. À Vielsalm, au lieu-dit le « Tienne-Messe », elle atteindra son apogée sur les douze coups de minuit. Présences assurées ! Nul ne voudrait pour un empire manquer le Sabbat des Macrâlles. Autour de l’immense chaudron où mijote le « tcha-tcha », le nectar « qui emmencrâlle pour toujours », nos aimables sorcières se font un grinçant plaisir de raconter les mauvais tours joués à ceux qui n’ont pas eu l’heur de leur plaire au cours de l’année qui finit… Agréable épouvante et rires débridés accompagnent les solides farces dont les spectateurs deviennent eux aussi la cible. Sans humour, s’abstenir… La nuit est très avancée lorsque Tonton Charles, joyeux luron qui ne manque aucune occasion de rire, ramène à la maison sa petite nièce heureuse et épuisée. Ce qu’il me reste de sommeil sera évidemment peuplé de ribambelles de sorcières dansant autour de leur chaudron. Ce qui ne m’empêchera nullement d’être au rendez-vous du prochain Sabbat des Macrâlles… Denyse

Groseilles, groseilles… Souvenir pour un jour d'été…

Il fait merveilleusement beau! Mon regard se perd dans le vert des feuilles agitées par un vent léger. Au sol, un souvenir de gazon parmi lequel des petites fleurs sauvages se sont permis de pointer. Au milieu mon très ancien groseillier qui ne donne plus de fruits mais s’obstine à reverdir d’années en années. Pierre me l’avait offert jadis ensouvenir de ceux qui poussaient si bien dans le jardin de mon grand-père. 26


Et voilà qu’un rayon de soleil vient allumer une petite sphère rubis et une deuxième, et une autre encore … J’en reste pantoise, des groseilles rouges ! Depuis des décennies que je n’en avais vu ! Du coup je me retrouve parmi les groseilliers que mon grand-père bichonne avec amour. Ils sont chargés de ces groseilles vertes le plus souvent réservées à garnir les tartes, des noires appelées aussi cassis qu’on fait mijoter dans de l’alcool pour en faire un apéritif au temps des fêtes, et enfin les magnifiques petites groseilles rouges semblables à celles qui sont venues me faire un clin d’œil cet après-midi. Souvenirs ! De la facilité à cueillir les grappes si bien fournies… de la compétence de ma grand-mère à présider à la cuisson, du passage dans l’étamine pour ne conserver que le jus… et du moment magique où le joli liquide rouge est transféré dans les pots soigneusement stérilisés. Me revoici en pensée auprès de Joséphine et Rosalie, deux voisines sans enfant qui se font un plaisir de m’inviter à tour de rôle pour le goûter du jeudi… je me rappelle ma fierté de petite fille à qui on parle comme à une grande personne… et le bonheur de manipuler délicatement les petites merveilles fragiles qu'elles conservent dans les vitrines de leur salle à manger… Rien que de toutes petites choses anodines en elles-mêmes mais qui m’apportent aujourd’hui encore une bouffée de bonheur ! Il m’en reste aussi un étonnement devant ce grand-père d’aspect un peu rude qui savait si bien parler aux plantes et aux fleurs… de l’admiration devant l’art et la patience de ma grand-mère pour qui la cuisine n’avait pas grand secret… et le chaud souvenir de mes hôtesses du jeudi ! Denyse

Bec en feu…

En vérifiant dernièrement une enveloppe remplie de photos anciennes, Denis-Noël fait une trouvaille. Qu’il m’envoie par Internet en l’intitulant : Bec-en-Feu. À l’endos de la photo, l’inscription 25 août 1947. Il ne me faut pas longtemps pour y reconnaître le fameux incendie du Bec-du-Corbeau qui a défrayé pendant bien longtemps la chronique au village. Ce 25 août, un jour plein de soleil, chaleur, ciel bleu, transpiration, envie de farniente et tutti quanti… Pour moi, c’est un de ces jours de « grandes vacances » où je me dépêche le matin de faire l’ouvrage demandé par ma grand-mère pour disposer à mon aise de tout un bel après-midi de liberté.

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Plus souvent qu’à mon tour je les passe en « excursions » à la Bossette, au Bec-du-Corbeau, au Calvaire, à la Hérongue et parfois à la Venne en compagnie d’une amie férue comme moi de plaisirs bucoliques et de lecture. J’ai 11 ans en 1947. Bien suffisant pour me rappeler clairement certains détails de cette journée ! D’abord quelque chose de bizarre dans l’air, une odeur inhabituelle bientôt accompagnée d’un nuage de fumée qui va en s’épaississant. Cela semble venir du côté de Vielsalm. Vite vite aux nouvelles ! On se précipite vers le bas du village. Et ce sont des exclamations effrayées devant la vue des flammes qui montent à l’assaut du Bec-duCorbeau. C’est le cas de le dire, la lutte a été chaude contre cet incendie à flanc d’une montagne où poussent par endroits de solides conifères ! Je ne sais quelles techniques ont été nécessaires, ce dont je me souviens c’est que Sâmiots et habitants des villages voisins sont venus à la rescousse des pompiers, de la police et de l’armée, que la bataille a duré des heures et que la zone sinistrée a été surveillée attentivement pendant plusieurs jours. La suite logique veut qu’une enquête ait eu lieu sur la provenance de l’incendie. Plus d’un demi-siècle plus tard, me voici obligée de jouer les Sherlock Holmes ! On pourrait retenir la thèse d’un promeneur négligent, cigarette mal éteinte ou ou peut-être, quoique plus improbable, un quelconque tesson de verre résidu d’un pique-nique et qui aurait été frappé de front par les rayons du soleil… Quelqu’un parmi mes contemporains pourrait-il en connaît-il davantage ? Ce qui est certain c’est que cet événement portait en lui une solide leçon. Jamais depuis on n’a revu le Bec-du-Corbeau en feu !

Denyse

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Cimetière…

À croire que je suis faite autrement que les autres ! Généralement voici un mot qui soulève des pensées mélancoliques. Pour ma part, je me souviens avec une émotion heureuse du cimetière de ma petite enfance à Salmchâteau. Comme si c’était hier... De là, juste au pied de la Bossette, on jouit d’une vue superbe sur le village. Je m’y rends souvent avec mon arrière-grand-mère. Parfois elle emmène seau et sarcloir pour y livrer bataille aux mauvaises herbes et veiller à la bonne santé des fleurs. À l’occasion, elle va donner un coup de sarcloir sur quelque tombe voisine abandonnée depuis belle lurette. Denyse

« Et j'entend siffler le train »…

Une chanson de Richard Anthony, une chanson de jadis faite sur mesure pour les Sâmiots de ma génération ! Parce que le train de mon enfance, on l’entendait siffler, il sifflait même si bien qu’à la maison il faisait office d’horloge… « Le train de 7 h, le train de midi, le train de 5 heures etc ». Le train, ça donnait l’heure tout en occupant les personnes désœuvrées qui ne manquaient pas de constater un décalage, si minime soit-il, par rapport à l’horaire … 29


Catherine Massoz officiait à la « guérite » du passage à niveau où lui parvenait par ligne téléphonique l’ordre de fermer les barrières pour un train tout proche. Catherine aimait la compagnie... Comme d’ailleurs mon arrière-grand-mère qui ne manquait pas d’aller « faire son tour » comme elle disait et revenait le cas échéant avec des nouvelles toutes fraîches. Le chemin de fer, c’était la ligne de démarcation entre Les Éturons et le reste du village. C’était les locomotives poussives et leurs nuages de fumée. Une fumée qui se déposait partout… Que de ménagères ont pesté contre les nettoyages toujours à refaire ! Et c’était le sifflet prolongé du train qui arrivait, un son un brin pathétique qui me faisait rêver de voyage… C'était la grande joie de prendre le « banlieue » pour me rendre à Vielsalm ou à Bovigny. Quand ils ont été remplacés par des « express ou semi-express », sont apparues les petites « michelines » électriques. L’Histoire des trains à Salmchâteau s’arrête ici pour moi. Peut-être en est-il parmi vous qui pourraient y ajouter des détails… À bien regarder les maisons abîmées de la photo on peut présumer qu’elle a été prise tout juste après la guerre. Se référer aussi au modèle de la voiture à côté de chez Norbert Masson… Et voilà… Bonne soirée à tout le monde ! Denyse

On n'arrête pas le progrès...

Deux Sâmiotes écrivent : Gigi Thunus : Ah Denyse! Tout a bien changé! Il n'y a plus de garde-barrières, plus de locomotives à vapeur, plus de ',point d'arrêt''... seulement un train par heure, en alternance : un qui ''monte', et un qui ''descend'', et la ''ligne 42'' est électrifiée (!) .. ! Je me souviens aussi que, lorsque des machines ''Diesel'' ont commencé, il fallait en mettre une derrière les wagons, car les longs trains de marchandises (parfois de plus de 60 wagons) ''patinaient',en montant dans la ''tranchée'' entre Cierreux et Salmchâteau ! .....Et il me semble que maintenant, il n'y a plus que des trains de ''voyageurs'' sur cette ligne....' Marie-Louise Siquet : Oui, il n'y a plus que des trains de voyageurs; fini le désir d'évasion qui m'envahissait chaque fois que je voyais le " Narbonne "passer chargé de voitures des vacanciers ... La photo a été prise par Dominique il y a quelques années... Heureusement que nos souvenirs sont bien vivants... Denyse

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Ce recueil de récits et anecdotes d'antan à été réalisé grâce aux commentaires mis sur la page Facebook par notre amies Denyse Moster

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