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La préparation du bétel
On plie une feuille de bétel en deux. Avec les doigts, on ôte le pétiole et la nervure du milieu. Sur l’une des deux moitiés de la feuille, on étend une couche très mince de chaux, sorte de stuc généralement fabriqué avec des coquillages calcinés, puis on ajoute la noix d’arec, en plus ou moins grande quantité selon les goûts. Celleci est coupée à l’aide d’un couteau spécial en tranches extrêmement fines. Enfin, la feuille est repliée, fixée avec un clou de girofle, et la « chique » est prête.
Dans la confection de ce masticatoire, on peut ajouter du tabac et des épices telles la cannelle, le cachou, la cardamone et autres plantes aromatiques, voire du camphre. Toutefois, certains amateurs préfèrent n’incorporer ces ingrédients qu’après avoir commencé à mâcher la feuille de bétel contenant seulement la chaux et la noix d’arec.
Ajoutons que, pour broyer correctement la chique de bétel, on doit se servir uniquement des molaires. Les vieillards, ayant perdu ces dents, sont amenés à écraser, avant usage, les ingrédients constitutifs du masticatoire avec un pilon.
On désigne généralement sous le nom de « bétel » le masticatoire dont nous venons de parler. Les deux plantes intimement associées dans sa préparation sont très souvent confondues dans le langage populaire ; aussi n’estil pas rare de constater, dans les récits de voyage, que l’expression « noix de bétel » est employée pour désigner la noix d’arec1 .
• Législation autour du Bétel en France et dans le Monde
Par arrêté du ministère de l’Agriculture du 6 avril 2018, l’importation et la mise sur le marché en France de produit destinées à l’alimentation en provenance d’États membres ou de pays tiers où l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant la substance active diméthoate est autorisée en traitement sont contrôlées mais pas suspendues. L’importation et la consommation de noix d’arec se situe alors dans un flou juridique, ne l’interdisant pas mais ne l’autorisant pas non plus. Ce produit étant particulièrement rare en France et dans ses DROM, sa consommation n’est pas réellement pénalisée par le code de santé public. En revanche, certains pays asiatiques, comme l’Inde en 2019 et Taiwan en 2020, suspendent l’importation de cette noix en provenance d’Asie du Sud Est. La première raison serait de contrôler le marché illégal qui génère des centaines de milliers d’euros par an. Ces chiffres incluent les noix venues illégalement d’Indonésie et de Birmanie, 2 pays produisant plus de 10.000 tonnes par an. La deuxième raison de cette interdiction est simplement la volonté de réduire l’addiction de la population à ce stupéfient. Ce stimulant est considéré comme la substance la plus addictive au monde après le tabac, l’alcool et la caféine. Certains jugent que sa consommation est le problème de santé « le plus négligé du monde », insiste le Shanghai Daily, qui avance le chiffre de 60 millions de consommateurs réguliers rien qu’en Chine. Malgré 600 millions de consommateurs dans le monde, le bétel reste légal dans nombreux pays. Seul le gouvernement de Papouasie-Nouvelle-Guinée à récemment interdit la mastication dans sa capitale, Port Moresby.
• Risque et effets secondaires de la consommation de bétel
Plusieurs études ont indiqué que la noix a des composés carcinogènes et les populations parmi lesquelles en mâcher est une activité répandue ont manifestement une plus grande prévalence des cancers de la bouche et de la gorge. Sa consommation peut également entraîner un ralentissement rythme cardiaque, de graves lésions buccales, des blocages du tractus gastro-intestinal et des ulcères. La noix de bétel peut augmenter les sécrétions de liquide dans les poumons. Les chercheurs craignent que cela puisse aggraver les affections pulmonaires, telles que l’asthme ou emphysème.
La dose appropriée d’arec dépend de plusieurs facteurs tels que l’âge, la santé et plusieurs autres conditions de l’utilisateur. À l’heure actuelle, il n’y a pas suffisamment d’informations scientifiques pour déterminer une gamme appropriée de doses d’arec.
Homme machant du bétel, utilisant une spatule et une gourde à chaux. Région Massim, Mélanésie. © catalogue « Massim spatule à chaux », Galerie Meyer, 08.06.2000 au 13.07.2000.
• Le kava (Piper methysticum)1. Le kava est une plante largement utilisée dans le Pacifique Sud pour ses effets calmants et sédatifs. Il contient des composés appelés kavalactones qui agissent sur le système nerveux central pour produire un sentiment de relaxation et de bien-être. Le kava est généralement consommé sous forme de boisson préparée à partir de la racine de la plante, et il est utilisé depuis des siècles lors de cérémonies traditionnelles et de rassemblements sociaux.
Le kava est cultivé et célébré depuis au moins 3.000 ans dans le Pacifique et son utilisation à l’état sauvage remonte certainement à bien plus longtemps. Le kava, ou Piper methysticum (du latin « poivre » et du grec latinisé « enivrant »), est une plante que l’on trouve à l’état sauvage et que l’on cultive dans de nombreuses régions du Pacifique. Il existe de nombreux noms locaux pour cette plante : on parle de « kava » (ou « kava-kava ») à Tonga et aux Marquises ; il est connu sous le nom de « ’awa » à Hawaii ; « ’ava » à Samoa ; et « yaqona » à Fidji, où il est le plus important. Le kava est consommé dans toute la Polynésie, ainsi qu’au Vanuatu et dans certaines régions de Mélanésie et de Micronésie pour ses propriétés sédatives, anesthésiques et euphorisantes.
Le kava est un breuvage concocté à partir des racines de Piper methysticum. Il est d’une extraordinaire polyvalence pour les populations du Pacifique. Plante sacrée, médicinale, enivrante, les insulaires l’ont toujours utilisée comme le symbole de leur sociabilité. Les Océaniens n’ont eu de cesse de tirer la ou les vertus de la plante qui les intéressaient le plus et dont ils voulaient user. Ainsi, les usages et les modes de consommation se sont différenciés en fonction des zones géographiques, Mélanésiens, Polynésiens et Micronésiens faisant ainsi du kava le point d’ancrage culturel de leurs sociétés, pourtant bien distinctes.
Bien que cette boisson soit consommée dans des circonstances banales dans de nombreuses régions du Pacifique, elle a une fonction cérémonielle et rituelle très importante. La consommation de kava est ritualisée dans de nombreuses régions de Polynésie, mais ce sont de loin les Fidjiens qui ont porté la fonction enthéogénique du kava à son plus haut niveau. À Fidji, le yagona est utilisé par les prêtres pour induire une transe qui leur permet de communiquer avec les esprits ancestraux.
Les ingrédients actifs du kava sont appelés kavalactones. Les six principales kavalactones du kava sont la méthysticine, la dihydrométhysticine, la kavaïne, la dihydrokavaïne, la yangonine et la desméthoxyyangonine. Il s’agit de substances psychoactives qui induisent une variété d’états chez l’être humain, notamment ceux orientés vers la transcendance et les expériences extracorporelles. Le kava est également utilisé pour ses propriétés relaxantes et euphorisantes. C’est aussi un analgésique. Il offre des formes de neuroprotection et semble atténuer les symptômes de la ménopause. Il est diurétique, antiépileptique, spasmolytique, bactéricide et antimycosique. Le Piper methysticum a récemment été réévalué comme l’une des plantes pharmaceutiques les plus importantes jamais découvertes. De nombreuses entreprises s’intéressent activement aux possibilités médicales que le kava semble receler2.
Les cultures de kava du Pacifique ont créé une quantité étonnante d’accessoires pour la fabrication, la ritualisation et la consommation de cette boisson. Il existe de superbes bols destinés à préparer et servir la boisson ; des passoires pour retirer la purée mâchée ou pilée du mélange avant la consommation ; des bols ou des tasses à usage individuel ; des plats profonds ou magnifiquement sculptés, géométriques, anthropomorphes ou zoomorphes pour les prêtres ; et bien sûr, la coque de l’omniprésente noix de coco est utilisée par tous pour servir et boire le kava.
1. Barrau Jacques. A propos du Piper methysticum, Journal d’agriculture tropicale et de botanique appliquée, vol. 4, n°5-6, Mai-juin 1957. pp. 270-273.
2. Siméoni Partricia. Le kava du Pacifique : une culture traditionnelle comme culture de rente, Journal d’agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, 41e année, bulletin n°1,1999. Systèmes de culture traditionnels et pratiques paysannes nouvelles en Océanie, sous la direction de Annie Walter et Alain Leplaideur. pp. 109-130.
Piper methysticum © Wikimedia Commons
• Son usage
La cérémonie du kava, pratiquée dans de nombreuses régions du Pacifique, à le pouvoir de rassembler et d’unifier une communauté. Pour sa préparation, la racine du Piper methysticum est pilée, broyée et mâchée, avant d’être mélangée avec de l’eau. La boisson concoctée est alors un mélange de l’élément terrestre où vivent les hommes, et l’élément céleste, l’eau, où résident les puissances créatrices en Océanie. Symbole de l’équilibre du monde, il donne la sensation à la personne qui le boit de pouvoir rentrer en communion avec les esprits et les ancêtres. Le kava est un psychotrope léger non-hallucinogène. Cette boisson, consommée depuis la nuit des temps par les populations du Pacifique, fut interdite pendant la colonisation avant de devenir une revendication culturelle après 1980. Le kava est servi dans des demi-noix de coco, et le maître de cérémonie suit un ordre protocolaire précis : la première et dernière coupe sont les plus importantes, même si tous les invités seront servis pendant la cérémonie. Il est considéré comme un gage de paix par les cultures qui le consomment.
À Fidji, où le kava revêt une importance sociale et rituelle primordiale, la cérémonie du yagona se déroule en présence de l’invité d’honneur, du chef ou d’un visiteur.
La personne est assise les jambes croisées devant le grand bol de yagona à quatre pieds ou tanoa. Une corde épaisse en fibre de coco décorée de cauris blancs, appelée tui-ni-buli, attachée à la patte du bol, est pointée vers l’invité. Le maître de la cérémonie du yagona dirige la procédure. Traditionnellement, le yagona était préparé par des jeunes filles qui mâchaient les morceaux de racine pour obtenir une masse molle et pulpeuse. Une fois mélangée à l’eau, la boisson est filtrée à travers un faisceau de fibres végétales, généralement l’écorce déchiquetée de l’arbre Vau (Hibiscus tiliaceus), laissant une boisson lisse et opaque de couleur grise ou beige. Lorsque le maître de la cérémonie du yagona estime que le mélange d’eau et de purée est correct, l’échanson, avec beaucoup de cérémonie et de respect, présente à l’invité d’honneur le premier bilo (tasse en coquille de noix de coco).
Une fois que l’invité l’a vidé d’un trait, on crie « maca » (prononcé maatha), ce qui signifie « c’est vidé », et on tape des mains. Le maître de cérémonie est le premier à boire, suivi par tous les invités dans l’ordre de leur rang.
A Fidji, le yaqona est si important, que le fait de refuser la coupe ou le bilo offert, est considéré comme une insulte suprême et peut entraîner de graves conséquences.
• Plantes contenant de la DMT
La diméthyltryptamine (DMT) est un hallucinogène puissant que l’on trouve dans plusieurs espèces de plantes de Nouvelle-Guinée, notamment Psychotria viridis et Diplopterys cabrerana. Ces plantes sont utilisées dans les rituels chamaniques traditionnels pour induire des états de conscience altérés (EMC)1 et des expériences spirituelles.
La diméthyltryptamine, communément abrégée en DMT, est une substance psychotrope hallucinogène puissante qui existe à l’état naturel dans certaines plantes et certains animaux, ainsi que sous forme synthétique. La DMT est un composé de tryptamine chimiquement similaire à la sérotonine, un neurotransmetteur qui joue un rôle dans la régulation de l’humeur, de l’appétit et du sommeil. Le DMT est connu pour provoquer des expériences psychédéliques intenses et de courte durée qui peuvent inclure des hallucinations visuelles et auditives vives, ainsi qu’une altération de la perception du temps et de l’espace. Les effets du DMT sont généralement ressentis quelques minutes après l’ingestion et peuvent durer jusqu’à 30 minutes ou plus, selon la voie d’administration. Bien que le DMT ne soit pas considéré comme une substance addictive, elle peut constituer une drogue puissante et potentiellement dangereuse, dont l’usage est illégal dans de nombreuses régions du monde. En résumé, la substance DMT augmente l’action des neurotransmetteurs serotinergiques avec l’aide des bêta-carbolines, provoquant ainsi un état de conscience modifiée considéré comme effet hallucinogène.
• Salvia divinorum, ou Sauge des devins, est une plante originaire du Mexique de la famille des Lamiaceae (menthe), qui a été introduite en Nouvelle-Guinée et dans d’autres parties du monde. Elle contient un composé psychoactif appelé salvinorine A, qui est un puissant hallucinogène. La salvia divinorum est généralement consommée en fumant ou en mâchant les feuilles, et elle peut produire des hallucinations visuelles et auditives intenses. Parmi les effets rapportés de la salvia divinorum figurent une altération de la perception de la réalité, des changements d’humeur et de perception du temps. Elle est légale dans certaines parties du monde, mais son usage est restreint dans d’autres, et elle est considérée comme une substance contrôlée de l’annexe I aux ÉtatsUnis1 .
Les premières estimations sur la consommation de cette plante publiée cette année par les autorités fédérales américaines en ont surpris plus d’un : 1,8 million de personnes y avaient déjà goûté au moins une fois dans leur vie, dont 750 000, les douze derniers mois. Chez les hommes âgés de 18 à 25 ans, qui en sont les plus gros consommateurs, près de 3 % disaient en avoir consommé au cours de l’année écoulée.
La Salvia est donc deux fois plus répandue que le LSD et presque autant que l’ecstasy. Selon des enquêtes menées récemment aux Etats-Unis, où la salvia se propage bien plus rapidement qu’en Mélanésie, où la consommation reste épisodique et rituelle, la proportion grimpe jusqu’à 7 %. La présence de la plante sur des navires de guerre et des bases militaires a suscité de telles inquiétudes sur l’état de préparation des troupes que l’Institut de pathologie des forces armées américaines a été chargé de mettre au point le premier test d’urine permettant de détecter la présence de sauge des devins : il analyse désormais cinquante échantillons par mois.
A en croire des chercheurs et des fumeurs expérimentés, les effets de cette substance connue par les vendeurs et les usagers sous le nom de Sally D ou « menthe magique » peuvent être plus ou moins puissants selon la dose absorbée, la concentration du produit, l’état d’esprit et la tolérance du consommateur. La sauge peut aussi être chiquée ou bue sous forme de décoction. Les usagers évoquent souvent un dédoublement brutal de la personnalité, comme s’ils voyageaient dans le temps. L’expérience est souvent solitaire, intérieure et parfois effrayante.
1.Loi réglementant certaines drogues et autres substances
L.C. 1996, ch. 19 aux USA.
Il est important de noter que l’utilisation de plantes hallucinogènes comporte certains risques et doit être abordée avec prudence. Ces plantes peuvent produire des effets puissants et imprévisibles sur l’esprit et le corps, et elles ne devraient être utilisées que dans un cadre contrôlé et avec les conseils d’un praticien expérimenté.
• Focus sur La Nouvelle-Guinée et la Mélanésie.
En Asie du Sud-Est, et plus particulièrement en Papouasie-Nouvelle-Guinée, différentes plantes psychotropes encore mal connues sont employées. Le rhizome de maraba, une zingibéracée, est probablement consommé en Nouvelle-Guinée. Lorsqu’ils veulent provoquer des visions, les habitants de Papouasie ingèrent un mélange de feuilles provenant d’une aracée et l’écorce d’un grand arbre, l’agara. Ce mélange provoque des visions hallucinogènes pendant un état de conscience modifié (ECM).
Quelques exemples de SPA végétales consommées en Nouvelle-Guinée :
• Agara (Argyreia nervosa) : cette plante grimpante, pouvant atteindre 10 mètres de haut, contient dans ses cellules un jus laiteux semblable au latex. Les feuilles opposées, pétiolées, sont velues sur le dos et argentées. Les fleurs de couleur violette ou lavande sont placées en cymes. Leurs sépales sont couverts d’un duvet. Les fruits arrondis ressemblent à des baies et contiennent des graines lisses de couleur marron. Une capsule séminale renferme 1 à qua4tre grains. La plante est originaire d’Inde et d’Asie du Sud-Est, où elle est utilisée médicalement depuis longtemps. Un usage traditionnel comme enthéogène n’a pas encore été découvert. Le puissant effet psychoactif de l’Argyreia nervosa a été constaté grâce à la recherche phytochimique. Les graines contiennent 0,3 % d’alcaloïdes de l’ergot (ergotine, iso-lysergamide). Pour la plupart des psychonautes1 , l’effet produit par 4 à 5 graines peut être comparable à celui du LSD.
• Kaempferia L. (Kaempferia galanga) : plante utilisée en Nouvelle-Guinée pour ses propriétés hallucinogènes. Son rhizome aromatique très apprécié pour parfumer le riz est également utilisé en médecine traditionnelle comme carminatif, expectorant et aphrodisiaque. Une infusion de ses feuilles soigne les maux de gorge, les rhumatismes et les infections oculaires. En Mélanésie, la plante était ajoutée à un poison à flèches fabriqué à base d’Antiaris toxicaria. Les fleurs blanches éparses apparaissent au centre de la plante. Le rhizome de cette plante contenant une teneur importante d’alcaloïdes est utilisé par les populations locales comme psychotrope hallucinogène lors de certaines cérémonies.
• Magnolia Blanc (Galbulimima belgraveana) : Galbulimima belgraveana est un arbre de la famille des Magnoliacées, à feuilles persistantes avec une couronne densément compacte. Il peut atteindre une hauteur de 15 à 36 mètres. Le bol droit et cylindrique de 30 à 50 cm de diamètre peut être exempt de branches entre 10 et 25 mètres. Son tronc est parfois profondément cannelé ou possède des contreforts jusqu’à 3 mètres de haut et mesure 1 mètre de large à la base. Les feuilles et l’écorce contiennent des alcaloïdes narcotiques et hallucinogènes puissants, utilisés en Nouvelle-Guinée en combinaison avec les feuilles d’une espèce de Homalomena (Araceae). L’écorce est brassée en thé et prise en intérieur. Elle produit une intoxication, qui est suivie d’un sommeil profond au cours duquel des visions sont ressenties.
• Magnolia Blanc (galbulimima belgraveana). Galbulimima belgraveana est un arbre de la famille des Magnolia, à feuilles persistantes avec une couronne densément compacte. Il peut atteindre une hauteur de 15 à 36 mètres. Le bol droit et cylindrique peut être exempt de branches de 10 à 25 mètres, de 30 à 50 cm de diamètre, parfois profondément cannelées ou avec des contreforts jusqu'à 3 mètres de haut et 1 mètre de large à la base. Les feuilles et l'écorce contiennent des alcaloïdes narcotiques et hallucinogènes puissants, utilisés en Nouvelle-Guinée en combinaison avec les feuilles d'une espèce de Homalomena (Araceae). L'écorce est brassée en thé et prise à l'intérieur. Elle produit une intoxication, qui est suivie d'un sommeil profond au cours duquel des visions sont ressenties.
•
Les effets hallucinogènes de certaines substances psychoactives
Quels sont les effets dits hallucinogènes ?
Les effets des substances hallucinogènes peuvent varier considérablement en fonction de la substance spécifique, du dosage et de la personne qui la consomme. Toutefois, les effets les plus courants des hallucinogènes sont les suivants :
• Altération de la perception de la réalité : les substances hallucinogènes peuvent entraîner une distorsion de la perception de l’environnement et des sens. Il peut s’agir d’hallucinations visuelles, auditives et tactiles, ainsi que de changements dans la perception du temps et de l’espace.
• Changements d’humeur : les hallucinogènes peuvent induire un large éventail d’états émotionnels, allant de l’euphorie à l’anxiété, la paranoïa et même les crises de panique.
• Changements dans les processus de pensée : les hallucinogènes peuvent modifier la façon dont les gens pensent et traitent l’information, ce qui conduit souvent à des pensées et des idées inhabituelles ou abstraites.
• Expériences spirituelles ou mystiques : certaines personnes déclarent ressentir un sentiment de connexion avec une puissance supérieure ou avec l’univers lorsqu’elles sont sous l’influence d’hallucinogènes.
• Effets physiques : en fonction de la substance et du dosage, les hallucinogènes peuvent provoquer toute une série d’effets physiques, notamment une dilatation des pupilles, une augmentation du rythme cardiaque et de la pression artérielle, des nausées et des vomissements.
Il convient de noter que les effets des substances hallucinogènes peuvent être imprévisibles et potentiellement dangereux, en particulier lorsqu’elles sont utilisées à fortes doses ou en combinaison avec d’autres drogues. Dans certains cas, les hallucinogènes peuvent entraîner des effets psychologiques durables, notamment des modifications persistantes de la perception, de l’anxiété et de la dépression.
• L’hallucination visuelle (HV)
L’hallucination visuelle (HV) est une expérience sensorielle subjective, ressemblant à une perception réelle, survenant en l’absence de stimulation externe sensorielle. Elle survient à l’état de veille, ce qui la distingue des expériences hallucinatoires liées au sommeil, hypnagogiques (liées à l’endormissement) ou hypnopompiques (au réveil) et des parasomnies comme la narcolepsie. Les hallucinations diffèrent des illusions qui correspondent à des erreurs d’interprétation d’un stimulus réel, pouvant porter sur les caractères physiques de l’objet et son identification. Cependant, leur distinction est parfois difficile, ce d’autant que les états de transition entre ces deux phénomènes sont fréquents.
On distingue ces phénomènes des troubles de la perception qui ne s’opposent pas à l’identification de l’objet, telles que macropsie et micropsie (relatives à la forme et aux dimensions de l’objet), polyopie et diplopie (relatives au nombre d’images), persévérations, palinopsie (persistance ou réapparition d’une image après disparition du stimulus), ainsi que des phénomènes dits « entoptiques », tels que myodésopsies1 , photopsies, corps flottants, phénomène du fond bleu, vagues colorées ou nuages lors de la fermeture de l’œil. Ces phénomènes sont liés à une atteinte de l’œil mais peuvent être observés lors d’atteinte de l’ensemble du système visuel et s’apparenteraient pour certains à des HV simples.
Les HV peuvent être causées par la prise de toxiques hallucinogènes dont les plus communs appartiennent à deux familles de produits : les sérotoninergiques, comme le LSD, la psilocybine et la diméthyltryptamine (DMT), et les phényl-alkalines comprenant la mescaline. Ces substances provoquent une intoxication parfois appelée « trip » au cours de laquelle se produisent des modifications sensorielles avec hallucinations et illusions, une plus grande conscience des stimuli internes et même des pensées2
1.Les myodésopsies ou corps flottants, aussi appelés « mouches volantes » sont un trouble oculaire consistant en l’apparition dans le champ visuel de points, tâches, filaments ou toiles d’araignée de formes diverses et de couleur noire ou grise, qui se déplacent avec le mouvement des yeux.
2.Rapport SFO 2020 Société Française d’Ophtalmologie (SFO), Catherine Vignal-Clermont, Cédric Lamirel
•
Drogue, poison et toxicomanie
De nombreuses plantes sont toxiques. Ce n’est pas un hasard si la racine étymologique de ce mot largement utilisé par les spécialistes vient du grec toxicov (toxicon), dérivé de toçov (roxon), qui signifie « arc » mais voulait auparavant dire « flèche empoisonnée ».
Albert Hofmann1 , en se fondant sur la classification de Lewin2 , divise les drogues psychotropes en analgésiques et euphorisants (opium, cocaïne), sédatifs et tranquillisants (réserpine), hypnotiques (kawa-kawa ou kava) et hallucinogènes ou psychédéliques (peyotl, marijuana, etc.).
La plupart d’entre elles ne font que modifier l’humeur, en stimulant ou en calmant. Le dernier groupe cité provoque cependant de profonds changements au niveau des sensations, de la perception du réel (y compris de l’espace ou du temps) et de la perception du soi (allant jusqu’à la dépersonnalisation). Sans perdre connaissance, l’individu pénètre dans un monde onirique qui lui parait souvent plus réel que le monde normal.
C’est parce qu’elles sont toxiques que les plantes médicinales peuvent guérir ou soulager. Le plus souvent, on prête au mot « toxique » le sens de « poison mortel ». Or, comme l’écrivait Paracelse au XVIe siècle : « Il y a du poison dans toute chose et il n’est rien sans poison. Qu’une chose devienne poison ou pas ne dépend que de la dose. La différence entre un poison, un médicament et un narcotique est une simple question de dosage3 ».
L’évolution des usages de substances psychoactives caractérisées comme drogue présente parfois le modèle d’un syndrome caractérisé par la dépendance et de la déviance caractérisée par l’acte illicite appelée toxicomanie. L’inclusion de la toxicodépendance dans le large champ des addictions range cette pratique au rang de troubles du comportement (DSM IV).
Cependant, cette naturalisation pathologique de l’usage de drogues comporte des effets négatifs : elle évacue l’intentionnalité de l’usager et l’impact des variables culturelles et sociales sur le phénomène et la remplace par un sentiment profond de dépendance et de manque. L’usage de drogues constitue une adaptation du sujet à son environnement et à son état psychique. Or, c’est le contraire qui s’est produit : l’extension du concept d’addiction a non seulement permis d’étendre l’emprise de la désignation pathologique à de nombreux comportements humains (relation amoureuse, jeux, travail, sport...) mais également, d’inclure les usagers de drogues parmi la masse des dépendants et d’intégrer la dépendance, entité plurielle de la nosographie psychiatrique, dans la famille des troubles de comportements.
1. Albert Hofmann est un chimiste suisse. Il est notamment connu pour avoir découvert le LSD avec le professeur Arthur Stoll
2. En 1924, Louis Lewin, pharmacologue allemand, décrivit et classa les psychotropes, dans leur ancien sens de drogues psychoactives qu’il qualifiait de poison de l’esprit, en cinq groupes en leur donnant des noms latins selon leurs effets. Cette classification était la première qui tenait compte des effets de ces produits : Euphorica, Phantastica, Inebriantia, Hypnotica et Excitantia.
3. Philippus Theophrastus Aureolus Bombast von Hohenheim dit Paracelse, Les plantes Magiques, vers 1530.
• Apprentissage de la consommation
Dans un premier temps, nous pouvons considérer les usages de SPA en Nouvelle-Guinée comme un cheminement d’apprentissage et d’appropriation d’un univers symbolique. Cette appropriation graduelle fait intervenir la ritualisation, la symbolique du Bien et du Mal. Cela se produit dans une temporalité spécifique et demande de la patience. Dans un second temps, nous réfléchissons à la dimension sociale de ces pratiques intégrées dans un contexte culturel.
Pour Zinberg1 , le processus d’apprentissage renvoie principalement à 1’intériorisation des sanctions sociales, des croyances associées à l’usage.
L’apprentissage de l’usage de certaines SPA (contenants de la DMT par exemple) se présente en effet sous deux aspects co-existant. D’une part, avec la répétition de l’expérience, les usagers apprennent à se mouvoir dans « l’autre-monde », à se repérer et à ne pas se laisser happer par des moments du vécu considérés comme non-importants ou non-structurants. C’est un apprentissage graduel de l’usage de techniques destinées à structurer le vécu qui confère une forme d’expertise aux usagers avisés. D’autre part, l’apprentissage recouvre la dimension « communication » associée à l’usage.
Les échanges entre les usagers sont nombreux. Chacun raconte en détails et partage un vécu subjectif, les visions et les émotions, le lien dynamique entre les visions et les réactions, la progression dans la compréhension de ce qui est vu et entendu. Ce partage rend possible l’intégration de vécus parfois très éprouvants et permet aux usagers de « garder les pieds sur terre », de ne pas confondre le vécu sous substances et le quotidien, de filtrer à l’aide des codes culturels disponibles la profusion symbolique, parfois anarchique, activée durant l’usage.
Ce « comprendre ensemble » participe à la création d’un consensus commun sur le statut du réel, de son contenu. Parler de soi dans sa rencontre avec l’autre monde et ses entités est un moyen permettant de ne pas se laisser enfermer dans une subjectivité « hallucinée », sans lien avec autrui, avec l’objectivité du monde, ce qui serait synonyme de folie.
• Le sacré et le psychotrope
L’une des notions qui revient fréquemment dans l’étude anthropologique-botanique de l’usage de psychotropes est la dimension du sacré. Le sacré, dans les sociétés traditionnelles mélanésiennes, s’incarne dans les pouvoirs attribués aux éléments naturels parmi lesquels les plantes psychotropes hallucinogènes, qui portent des messages du surnaturel1
Le sacré est une notion difficile à préciser. Depuis Durkheim2 , c’est une catégorie du lien social qui organise une administration du sacré dans des systèmes de croyances, des institutions, des groupes humains qui l’actualisent par la ritualisation. Le sacré émane de la société et permet de répondre à ses besoins de significations. Le sacré est social, il est également individuel car « chaque conscience individuelle a en elle du sacré3 ». La particularité́ du sacré dans la construction bipolaire des catégories d’entendement de Durkheim est qu’il s’oppose au profane. Mais Durkheim inclut dans sa conception du religieux une notion nouvelle, celle de force. « La religion n’est pas seulement un système d’idées, elle est avant tout un système de forces4 ». Pour Mauss5 , la description du sacré opposé au profane et renvoyant à l’interdit est insuffisante, le sacré est une notion ambivalente, source à la fois de crainte et de respect, car derrière l’idée de la croyance, il y a du respect, de l’amour, de la répulsion, de la crainte, des sentiments, qui se traduisent en gestes et en pensées. Le sacré devient alors pour Mauss, ce qui permet le passage de 1’individu au collectif, ce qui fait société.
1.Dobkin De Rios Marlene, Hallucinogens: Cross-Cultural Perspectives, 1984.
2.Isambert François-André. L’Élaboration de la notion de sacré dans l’« école » durkheimienne cas / The Elaboration of the Notion of the Holy among Durkheim’s Followers, Archives de sciences sociales des religions, n°42, 1976. pp. 35-56.
3.Tcherkézoff, S, Le mana, le fait « total » et l’«esprit» dans la chose donnée : marcel Mauss, les «cadeaux à Samoa» et la méthode comparative en Polynésie. Anthropologie et Sociétés, 1997.
4.E. Durkheim, Formes élémentaires de la vie religieuse, 1912
5.Marcel Mauss, sociologue français, considéré comme le père de l’anthropologie française.
• Des plantes hallucinogènes à l’origine de phénomène religieux selon R. G. Wasson.
« Dieu est une substance, une drogue »
À l’aube de l’humanité, le phénomène religieux ou spirituel a-t-il pu naître de la consommation de substances hallucinogènes végétales ?
Il y a quelque 15.000 ans dans le Nouveau Monde, des populations paléo-sibériennes franchirent le détroit de Béring, transportant avec elles l’usage de plantes psychotropes. Ces usages s’implantèrent durablement et évoluèrent en profondeur dans les cultures du continent américain. Wasson1 et ses collaborateurs ont étudié en profondeur le phénomène des substances hallucinogènes, notamment les champignons méso-américains. En nahuatl, une langue indienne du Mexique, les champignons sont nommés teo-nanácatl, littéralement « chair de(s) dieu(x) » – étonnante analogie avec le langage de l’eucharistie chrétienne : « Prenez et mangez, ceci est mon corps ». Leur consommation rituelle retrouvée par Wasson est une véritable manifestation populaire « fossilisée » de ce que l’Ancien Monde avait pratiqué depuis l’époque préhistorique et que plus tard la religion officielle a refoulé.
En écho à ces découvertes, Robert G. Wasson a émis plusieurs hypothèses qui valent toutes qu’on s’y attarde attentivement. L’Amanita muscaria pourrait être le premier hallucinogène de l’humanité, celui qui s’est répandu sous de multiples avatars, jusque finalement au vin rituel. Le vieil adage in vino veritas contient peut-être une vérité plus profonde qu’on ne l’imagine. Dans La Montagne magique, Thomas Mann écrit : « Mais de tout temps l’homme, avide de grands sentiments, a disposé d’un moyen de s’enivrer et de s’enthousiasmer qui lui-même est un des dons classiques de la vie, qui porte le caractère du simple et de la sainteté, un remède de grand format, si je puis dire, le vin, un présent divin aux hommes comme l’ont déjà dit les anciens peuples humanistes, l’invention philanthropique d’un dieu auquel est en quelque sorte liée la civilisation, permettez-moi de le rappeler. Car, ne dit-on pas que c’est grâce à l’art de planter la vigne et de presser le raisin que l’homme est sorti de son état de sauvagerie, a conquis la civilisation.2 »
Autrefois interprétées comme l’œuvre du surnaturel, les hallucinations provoquées par des SPA ont été étudiées sous le prisme de la neurobiologie. Jean-Pierre Changeux écrit : « Du buisson ardent aux plus récentes apparitions de la Vierge, les religions ont souvent retenu ces faits de conscience comme révélations de forces surnaturelles3 ». Les hallucinations ont, en réalité, une solide base biologique. Entre 1950 et 1980 environ, des découvertes majeures ont été réalisées. D’abord la mise au jour de la structure indolique dans les composés psychotropes. Ensuite la structure moléculaire des principes actifs des plantes hallucinogènes, qui s’avère très proche de certaines hormones du cerveau (neurotransmetteurs). Un exemple : la psilocybine, qui est présente dans une centaine de champignons hallucinogènes, dont les éponymes psilocybes, est une variante de la diméthyltryptamine (DMT), et la tryptamine (dérivé d’un acide aminé essentiel, le tryptophane) compose la base d’un neurotransmetteur : la sérotonine. Autre cas : la mescaline, proche de l’adrénaline, etc. Étonnantes parentés auxquelles s’est ajoutée la découverte des « serrures » cérébrales, en l’occurrence les neurorécepteurs avec lesquels peuvent réagir des molécules hallucinogènes des plantes, du fait de leur ressemblance structurale avec certains neurotransmetteurs. Mais qui plus est, on a découvert que le cerveau humain secrète naturellement, par exemple, de la diméthyltryptamine, une des substances hallucinogènes de l’ayahuasca (le yagé). D’où naît l’idée que des drogues existent sous forme latente dans le cerveau, drogues que les états de conscience modifiés activeraient. En outre, les chercheurs ont constaté que toutes ces substances augmentent la quantité de dopamine disponible dans le « circuit de la récompense » cérébral, d’où l’effet euphorique de ces substances.
Plusieurs hypothèses découlent de ces découvertes. Des mutations seraient apparues chez l’homme à la suite de consommation, d’abord accidentelle, de substances psychoactives, d’où ces mythes universels de fruits qui ouvrent les portes d’un Autre Monde ou de la Connaissance Suprême. Il est très probable en tout cas que des aliments végétaux aient joué un rôle dans l’évolution des espèces.
1. Robert Gordon Wasson est un banquier par ailleurs chercheur amateur et auteur. Ses recherches indépendantes sont une contribution significative pour l’ethnobotanique, l’ethnomycologie, la botanique et l’anthropologie.
2. Thomas Mann, Dans la montagne magique, 1924, p 615
3. Changeux J.P. , 1983. L’homme neuronal, Paris, p 198.
Plusieurs hypothèses découlent de ces découvertes. Des mutations seraient apparues chez l’homme à la suite de consommation, d’abord accidentelle, de substances psychoactives, d’où ces mythes universels de fruits qui ouvrent les portes d’un Autre Monde ou de la Connaissance Suprême. Il est très probable en tout cas que des aliments végétaux aient joué un rôle
Depuis la préhistoire, des contacts se sont produits entre les différentes populations, sibériennes, centre-asiatiques, proche-orientales. Plus tard, il y eut des rencontres entre Indo-européens et Sibériens, des influences indo-iraniennes et mésopotamiennes en Asie centrale, des échanges entre la Chine et l’Orient hellénistique, etc. Il est certain qu’aucune religion n’est une création ex nihilo. Aucun contenu théologique ne fait disparaître le passé, mais se façonne par récupération, fusion, renouvellement des éléments fondamentaux antérieurs.
L’essor des grandes religions historiques, dans lesquelles les dogmes écrits fixent le surnaturel, a fait reculer les formes du chamanisme initial. Désormais des castes de prêtres se sont accaparés le rôle d’intermédiaires des dieux omnipotents. Les chefs religieux et officiants ont saisi le parti « miraculeux » qu’offraient les effets extraordinaires de certaines plantes ou champignons ; toutes ces substances produisaient une action cérébrale engendrant des comportements singuliers qui impressionnaient les autres participants non soumis à ces effets. A l’instar du chamane, le prêtre relie les deux mondes, et la communauté au divin : il devient le pontife, à savoir, selon l’étymologie des Anciens, le « faiseur de pont ». Qui ne sait d’ailleurs que le mot religion pourrait signifier « ce qui relie »? Et la cérémonie rituelle du partage du vin unit dans une « communion » religieuse. Selon Michel Butor, on trouve chez Zola une profonde affinité entre le catholicisme et l’alcool : « L’un et l’autre produisent des ivresses, l’un et l’autre se trans-
• Syndrome de Dionysos ou l’ivresse dionysiaque
« Moi, Dionysos, Dieu de la grappe En vérité, je vous le dis Pour se trouver, il faut se perdre Se dissoudre dans la danse, l’ivresse délirante, la musique et la transe »
Auteur Inconnu
Dopé par le dieu sauvage, l’Homme quitte sa condition et acquiert des pouvoirs. Partout où il passe, Dionysos est inextricablement lié au vin et à l’ivresse. Cette image est toutefois trompeuse. Malgré son association avec l’ivresse, Dionysos est d’abord le dieu de la possession. Incarnation même de la folie, Dionysos évoque pour ses fidèles une expérience transcendantale dont le vin n’est qu’un symbole. C’est par ailleurs un regard tardif, voire moderne, qui fait du dieu grec le simple avatar des abus des substances psychotropes.
Les origines de Dionysos font l’objet d’une profonde révision historique depuis quelques années, guidée par de nouveaux champs d’études expérimentaux reliant l’archéologie, la biochimie et la mythologie. Des auteurs comme Brian Muraresku, David Hillman et Carl Rule postulent que des drogues hallucinogènes étaient omniprésentes dans le monde à l’avènements des grandes civilisations. Ces drogues, consommées par le commun des mortels à la fois de manière récréative et médicinale, auraient joué un rôle clé dans l’écriture de la mythologie, dans son développement culturel, et même dans l’émergence des civilisations occidentales et orientales.
Si l’on accepte la prémisse selon laquelle les premières populations dépendaient bien plus de leurs connaissances botaniques pour la médecine, il n’est pas étonnant qu’elles aient établi un lien direct entre divinité, guérison et substances psychotropes. C’est d’ailleurs précisément cette triade que représente Dionysos, dont le vin est littéralement l’avatar. Boire le vin de Dionysos équivalait à devenir le dieu, et en cela, transcender la condition humaine, une idée qui deviendra par la suite fondamentale pour le christianisme naissant.
« La mère de tous les cultes toxicomanes dans l’Antiquité, le culte de Dionysos, le dieu de la vigne, était fortement imprégnée de la sombre tradition entourant les dévots frénétiques du dieu et leur mystérieuse extase rituelle1. »
Nous ne saurons jamais avec certitude quel était le mystère célébré par les bacchantes, mais l’hypothèse de la continuité shamanique et magique gagne en popularité avec l’appui de techniques d’analyses des traces chimiques. Une chose est sûre, Dionysos était, et restera, une figure métaphorique de l’attrait et du besoin des hommes pour les substances psychotropes, élevant et perturbant l’esprit, pratiques finalement essentielles dans toute civilisation.
Dans l’expérience dionysiaque, l’individu n’affirme plus sa subjectivité, et se dissout dans un tout indifférencié : le tout de la communauté humaine, le tout de la nature.