El nationalismo aymara

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ALTERNATIVES SUD, VOL.

16-2009 / 129

Nationalisme aymara. Jiwasankiwa Ch’amaxa Jiwasatanwa !1

Alberto A. Zalles2

L’émergence du nationalisme aymara depuis le retour de la démocratie pèse sur le jeu politique bolivien. Bien que la capitalisation du vote aymara ait permis la victoire électorale du MAS en 2005, la présence de personnalités aymaras au sein du nouveau gouvernement est plus que réduite. Une situation paradoxale qui s’explique notamment par le factionnalisme qui caractérise l’élite aymara.

La doctrine nationaliste a alimenté l’action politique durant une bonne partie du vingtième siècle en Amérique latine. Du Mexique à l’Argentine, presque tous les pays ont expérimenté ce programme politique qui vise à consolider l’identité nationale et à justifier le contrôle de l’État sur l’espace territorial que chaque pays s’est attribué. Le nationalisme a été synonyme de développement de la citoyenneté : c’est dans son cadre que les secteurs populaires, les Indiens, les paysans, les pauvres et les immigrants ont été incorporés au projet républicain. Il a aussi été le moteur de la modernisation des structures sociales, à travers les réformes agraires, la nationalisation des ressources naturelles et la mise en œuvre de réformes dans la culture et l’éducation. Dans le domaine économique, le nationalisme visait la création d’un marché interne et poursuivait une stratégie de développement 1. « Nous sommes la force et dans le futur, nous continuerons à l’être. » 2. Sociologue, chercheur indépendant, spécialiste de l’analyse sociopolitique de l’Amérique latine.

130 / LA BOLIVIE D’EVO : DÉMOCRATIQUE, INDIANISTE ET SOCIALISTE ?

tournée vers l’industrialisation par « substitution des importations ». Le nationalisme était donc le ciment qui devait permettre d’achever l’édification de l’État nation engendré par l’indépendance. Ce passé glorieux n’a pas empêché le déclin du nationalisme. Il n’est plus guère invoqué aujourd’hui sur le continent, car les pays latino-américains se perçoivent davantage comme des nations consolidées. Le nationalisme semble passé de mode, obsolète. À l’échelle planétaire, comme le constate Eric Hobsbawn, le futur du nationalisme est incertain. Pour l’historien britannique, les mouvements nationalistes ont tous dû tempérer leur aspiration à l’autonomie et à l’indépendance pour se subordonner à des projets sociétaux de nature transnationale (Hobsbawn, 2001). En Bolivie cependant, un mouvement revendicatif ethnique porté par des indigènes aymaras en quête de reconnaissance citoyenne s’est transformé en solide courant nationaliste. Bien que jusqu’à aujourd’hui le phénomène soit demeuré politiquement inorganique, il charrie une force historique qui interpelle en profondeur l’État bolivien. Bien que le nationalisme aymara n’ait pas de représentation réelle à l’intérieur du gouvernement du MAS (Mouvement vers le socialisme) d’Evo Morales, ce dernier a l’appui d’une base sociale principalement composée d’Indiens aymaras, sur laquelle il exerce une stratégie bien précise de contrôle et de cooptation. D’un côté le MAS s’efforce d’associer les Aymaras à la cause socialiste qu’il défend, de l’autre il surveille l’émergence de leaders indiens qui pourraient le concurrencer à la tête de secteurs populaires qui, pour le moment, lui offrent un appui quasi exclusif.3 Sur un autre plan, comme ce nationalisme ne s’est pas doté d’un système idéologique organique, susceptible d’unifier les factions aymaras, et donc comme il n’est représenté par aucun parti4 ou front unique, sa force dérive surtout du poids démographique de la population aymara dans la société bolivienne. Un poids qui entraîne une polarisation régionale, comme on peut le constater dans les statistiques électorales. En d’autres mots, la prise de conscience de leur force par les Aymaras, suscitée par la valeur politique que leur 3. Les agressions dont Victor Hugo Cardenas et Marcial Fabricano ont été victimes reflètent les contradictions internes du mouvement ethnique. 4. Le MAS est un mouvement socialiste. Sa principale source d’inspiration idéologique est Filemón Escobar et ses opérateurs politiques dotés de pouvoir de décision sont Alvaro Garcia et Ramón Quintana. Aucun d’eux n’est aymara. D’après le politologue Luis Tapia, le MAS est idéologiquement proche du PT brésilien (Tapia, 2008).


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