FONTE ET DERIVE D’UN MYTHE POLAIRE : UN COMPTOIR D’ICEBERGS COMME ECO-TRANSITION EN MILIEU ARCTIQUE Professeurs encadrants : David Serero + Gilles Delalex / Virginie Lefebvre Dpt. THP (Théorie, Histoire et Projet)
Alexandre Braleret --- PFE 2012 (ENSAPM) 1
SOMMAIRE INTRODUCTION ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------3
Contexte ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 4 Position théorique ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 6 Enjeux ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 6
I.
MUTATION EN MILIEU ARCTIQUE ----------------------------------------------------------------------------------8 A.
DE LA FONTE ACCELEREE AU CONTEXTE GEOPOLITIQUE ET ECONOMIQUE : L’ELDORADO POLAIRE --------------------------------- 8 DES MONTAGNES D’EAU DOUCE A LA DERIVE : DE JOHN ISAACS A GEORGE MOUGIN ----------------------------------------------- 10 C. ACCULTURATION ET PEUPLE PREMIERS : DE L’IMPORTATION DU DIMANCHE A LA CRISE IDENTITAIRE ----------------------------- 14 Abandon forcé des traditions ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 14 Du ravitaillement à la dépendance ----------------------------------------------------------------------------------------------------------- 14 B.
II. DU CHANGEMENT D’ETAT AU CHANGEMENT D’ECONOMIE : LE MYTHE POLAIRE AU XXIEME SIECLE ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 16 A.
REINTERROGER LA NOTION DE COMPTOIR AU XXIEME SIECLE COMME INFRASTRUCTURE SUPPORT DE LA VILLE --------------- 16 Rappel de l’histoire du Comptoir -------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 16 Les dérives de Thulé, premier comptoir américain au Groenland -------------------------------------------------------------------- 16 B. UN PROJET EN « CONSTELLATION »--------------------------------------------------------------------------------------------------------- 18 Future croissance des villages Inuits -------------------------------------------------------------------------------------------------------- 18 L’infrastructure comme interface, le comptoir comme support et non pas comme outil d’asservissement ----------------- 18
III. L’INFRASTRUCTURE COMMERCIALE EN CLIMAT EXTREME------------------------------------------ 22 A.
FLUX CONVERGENTS EN ESPACE « CLOS » ------------------------------------------------------------------------------------------------ 22 CLIMAT ET PHYSIOLOGIE : REPARTIR DES TRAVAUX DE RALPH ERSKINE -------------------------------------------------------------- 23 Vent et températures extrêmes --------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 23 Nuits polaires et stress psychologique ------------------------------------------------------------------------------------------------------ 23 B. PLATEFORME OU « LANDFORM » ? --------------------------------------------------------------------------------------------------------- 26 A.
CONCLUSION ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 27
BIBLIOGRAPHIE---------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 28 FILMOGRAPHIE ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 29
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Introduction Trois chronologies non-exhaustives et comparées pour le Groenland pour reprendre position sur des questions contemporaines.
1/ Icebergs : du naufrage à la commercialisation 2/ Histoire commerciale du Groenland 3/ Géopolitique Arctique
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Contexte
Ce projet de diplôme doit être considéré comme l’instantané d’une situation en train de basculer, d’un moment clé où la machine se dérègle, où l’on ne peut plus faire marche arrière. Pourquoi ? Parce que ce proche passé n’est plus : il a littéralement « fondu ». La machine dont on parle ici est la région Arctique ainsi que le Groenland qui s’inscrit dans son sillage. Sous l’effet du réchauffement global planétaire, il se transforme à grande vitesse et tourne une page de son histoire. Ainsi, mon projet souhaite remettre en question des situations et des objets connus (les icebergs, les comptoirs de marchandises, l’histoire du peuple premier) plutôt que de spéculer sur un avenir encore trop incertain. Nourri de cette « introspection », il propose un scénario de développement innovant et ciblé qui englobe une compréhension beaucoup plus large du contexte géopolitique Arctique. La fonte des glaces a un effet double : elle fait autant disparaitre d'environnements qu’elle en révèle. En effet, si ce changement climatique craquelle la banquise et morcelle les glaciers, il procure également au Groenland l’opportunité d’assumer son autonomie en redevenant souverain, tant au niveau de son territoire que de ses ressources. C’est bien là tout l’enjeu de la zone Arctique : celui de ressources (hydrocarbures, minéraux, eau pure) qui, il y a encore peu, étaient prisonnières des glaces et qui sont aujourd’hui convoitées par le monde entier en raison de leur soudaine accessibilité. Le mythe qui enveloppait ces latitudes polaires (notamment à travers les récits d’explorateur du passage du Nord-Ouest) se réinvente à présent en Eldorado du XXIème siècle. En parallèle de ces bouleversements, c’est un projet vieux de plusieurs décennies qui reprend sa marche : se servir des icebergs comme d’énormes réserves d’eau douce. Les premières hypothèses sur ce sujet furent communiquées en 1977 au cours de la « International Conference and Workshops on Iceberg Utilization for Fresh Water Production » mais c’est seulement fin 2013 que le projet devrait voir le jour avec pour objectif de tracter un iceberg de plusieurs tonnes, depuis les côtes du Groenland jusqu’aux îles Canaries. Le projet prend forme ici en rapprochant trois idées : celle d’une hypothèse de commercialisation des icebergs comme matière première (en anticipation des futures conflits liés à l’eau dans le monde), celle d’une autonomie pour le Groenland (et donc d’un besoin d’infrastructure pour s’ouvrir à l’international) et enfin celle d’un support au développement des communautés locales Inuit. Repartir de la définition de « comptoir » (de marchandises) pour planifier le programme de cette infrastructure commerçante semble être adapté : l’Histoire montre bien que ce type de structure fût l’embryon de nombreuses villes (Venise, New York, Shanghai), les échanges commerciaux étant le centre vital de leur développement. Naturellement, on ne peut pas parler de comptoir sans faire référence au colonialisme qui puise ses racines dans ce système et qui en a fait une arme de contrôle étatique, d’asservissement des populations et de pillage de leurs ressources. En contrepoids de cette histoire colonialiste dont l’héritage est toujours d’actualité, on souhaite ici considérer le comptoir comme une structure au service du développement des communautés locales du Groenland.
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(En haut) La genèse du projet (voir légende sur carte) (Carte satellite obtenue sur le site de la NASA) (En bas) Le retrait progressif de la banquise libère de nouvelles voies de navigation le long des côtes du Groenland (schémas personnels)
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Position théorique Ce projet se pose comme une expérience en milieu extrême où les solutions proposées oscillent entre fiction concrète et réalité spéculative : la confrontation d’un imaginaire occidental et d’une réalité locale débouche ainsi sur la possibilité d’un commerce des pôles. Influencé par le travail d’agences expérimentales comme David Garcia Studio ou encore Naja&DeOstos, ce projet de diplôme souhaite poser les bases d’une réflexion architecturale sur une culture méconnue et un futur territoire stratégique du globe.
Enjeux L’hypothèse proposée est celle d’une constellation d’infrastructures économico-portuaires spécialisées dans l’exportation d’icebergs et l’importation de denrées du monde entier. Elles viendraient se greffer aux villes de la côte Ouest du Groenland. L’infrastructure est ici envisagée comme interface ente le local et le global : d’une part, elle représente une porte d’accès à l’international grâce à son terminal maritime ; d’ autre part, elle propose un support aux villes locales avec la mise en place de halles de marché et d’espaces dédiés à la recherche. Le milieu étant qualifié d’hostile en raison de ses températures négatives quasi-continues ainsi que de son calendrier saisonnier extrêmement singulier (jour continu, nuit polaire), il conditionne très largement l’architecture qu’on souhaite y implanter. Le programme se concentrant sur l’échange, les flux et les contacts entre personnes, les questions de physiologies et de bien-être dans cette structure sont primordiales. Pour cette même raison, la notion de communauté est fondamentale dans ces régions : on s’y rassemble pour se réchauffer et surtout pour négocier, l’oralité appelant au troc dans le cadre d’une culture de l’échange. Trouver une échelle d’insertion pour le projet n’est pas chose aisée compte tenu de l’immensité du territoire et de son caractère désertique. Pour cela le comptoir s’inscrit dans une zone en développement, en bordure maritime, plutôt que de surgir ex nihilo. Le territoire est ré-envisagé en points clés à renforcer et à interconnecter, de manière à ce que la structure rajoutée joue pleinement son rôle de pôle économique et de support pour la communauté locale. Espace de départ, d’arrivée, de négoce, d’échange mais aussi de concertation et d’information, le comptoir devient le pouls économique du village.
Mots-clés
Culture étrangère et conséquences auxiliaires du réchauffement climatique. Interface avec des communautés humaines en transition. L’infrastructure avec et contre le climat. Morphologie en territoire extrême.
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“The Last Iceberg” est une œuvre de Camille Seaman, tirée du projet "Melting Away" qui documente les régions polaires du globe, leur environnement, les formes de vies qui s’y développent, l’histoire des explorations ainsi que les communautés qui y vivent et travaillent.
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I.
Mutation en milieu Arctique
a. De la fonte accélérée au contexte géopolitique et économique : l’eldorado polaire « L’histoire se poursuit. Curieusement, elle semble faire demi-tour, car voilà la mer libre du Pôle que fantasmaient naguère les poètes en passe de s’ouvrir… »1
Le changement climatique est aujourd’hui une réalité : l’architecture dans nos sociétés modernes tend à développer des stratégies innovantes pour assurer la transition entre notre mode de vie présent et celui à venir. Les territoires des hautes latitudes comme ceux de la région Arctique voient leur environnement humain et naturel muter beaucoup plus rapidement que ceux des territoires tempérés : la hausse des températures bouleverse autant l’écosystème en place qu’elle le rend accessible. Libérées progressivement des glaces, les populations en place s’ouvrent à l’extérieur. La disparation progressive de la banquise a pour effet la modification de tout un pan géographique de la surface du globe. Nous nous intéresserons ici au cas du Groenland : ancienne colonie Norvégienne puis Danoise (en 1380), cette île de trois fois la superficie de la France, et recouverte à 80% de glace, est aujourd’hui une province autonome du Danemark. Placée au centre de la région Arctique, ce territoire devient stratégique à plus d’un égard. La politique étrangère des Etats ayant toujours été en partie corrélée à leur géographie, cette modification influence les relations qu’entretient le Groenland avec le reste du globe, notamment dans sa capacité à procurer des matières premières convoitées. Ainsi, au travers de ses répercussions sur la géographie, le réchauffement climatique affecte aussi bien la configuration terrestre et maritime de cet Etat que sa position économique sur la surface du globe. Une raison simple qui pousse à envisager le Groenland comme une destination prisée est qu’à partir de 2020 de nouvelles voies maritimes vont s’ouvrir en raison de la fonte de la calotte polaire (voir schéma ci-dessous). Jusqu’à peu, il fallait longer les côtes du Canada ou bien de la Russie pour voyager d’un bout du monde à l’autre, mais il est à présent possible de couper en longeant les côtes du Groenland. Ces futurs tracés maritimes replacent le Groenland au centre d’un flux énorme à venir. Enfin, outre la disparition de la banquise, le réchauffement climatique induit une autre modification d’envergure pour l’environnement géographique du Grand Nord : la fonte du permafrost. Egalement appelé pergélisol, le permafrost désigne un sol gelé durant une longue période avec une température située sous la barre des 0°C. Un sol qui est donc aujourd’hui impropre à la construction, obligeant l’architecture qui s’y développe à s’en dégager, mais qui dans un futur proche deviendra accessible. Il existe d’ailleurs un mot pour désigner le changement climatique en Groenland : « sila tsia », littéralement « amélioration du temps », une posture positive donc vis-à-vis de ce scénario.2 Parallèlement à ces transformations géographiques, la loi sur l'autonomie du Groenland a été adoptée par le Parlement danois le 21 juin 2009. Il donne au Groenland trente-deux domaines de compétences dont la police, les gardes côtes et – ce qui nous intéresse le plus – la maîtrise de ses ressources naturelles. 1
HUSSENET Emmanuel, Le Testament des glaces, éd. Transboréal, 2008, p48
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Traduction tirée de MALAURIE, Jean, Les derniers rois de Thulé, édition Plon, 1996, p.58
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Replacer le Groenland au centre d’un futur conflit lié à l’eau douce.
Les deux nouveaux passages Arctiques longeront les côtes Est et Ouest du Groenland d’ici 2020.
Distance en bateau de Yokohama à Rotterdam (en miles nautiques). (schéma personnel)
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b. Des montagnes d’eau douce à la dérive : de John Isaacs à George Mougin L’eau potable est une ressource rare dans de nombreux pays du monde : au début du XXIème siècle, près d’un milliard d’êtres humains dans le monde n’y ont toujours pas accès, tandis que plus de 2,5 milliards ne disposent pas de système d’assainissement. Face à ce constat, les chercheurs du monde entier recherchent des solutions pour produire de l’eau potable. Il existe pourtant de gigantesques réservoirs d’eau douce inexploités : les icebergs. Contrairement à la banquise qui est constituée d’eau de mer gelée, les icebergs se détachent des glaciers polaires et calottes continentales constitués d’eau douce pour dériver naturellement dans l’océan via des courants marins connus jusqu’à leur fonte. Chaque année, des dizaines de milliers d’icebergs sont ainsi produits par les glaciers, tous destinés à fondre et à se perdre dans les eaux salées des océans. Au final, c’est l’équivalent de la consommation mondiale annuelle en eau potable qui disparait ainsi chaque année (177 milliards de tonnes). A partir de cette information, on commence à entre-apercevoir un nouvel enjeu de taille pour la zone Arctique : contrôler cette réserve phénoménale d’eau pure qui dérive nonchalamment sur les océans du globe terrestre. Le contrôle des ressources naturelles est aussi une question clé pour le développement du Groenland. Bien que tous les regards soient aujourd’hui tournés vers les hydrocarbures et les ressources minières, on souhaite ici reconsidérer (pour ne pas dire recycler) cette ressource périssable. D’un point de vue sécuritaire, il faut noter que les icebergs ont été et restent un véritable danger pour la navigation. Depuis 1914, faute de pouvoir les maîtriser, on a tenté de les détruire par tous les moyens. Ce fût un échec retentissant : en effet, les bulles d’airs piégées dans la glace absorbent les ondes de chocs provoquées par les impacts et les explosions. Comble de l’impuissance, on a même tenté de les peindre en noir pour les rendre plus sensibles aux rayons du soleil… Echec, encore. (voir image p.11) Ne parvenant pas à détruire ces énormes masses gelées, les habitants des régions arctique et subarctique ont appris à cohabiter avec elles. Aujourd’hui, l’essor des moyens de repérage par satellite permet de repérer aisément un iceberg et prédire avec précision sa position lors de sa dérive. La crainte s’est peu à peu transformée en curiosité jusqu'à faire de ces morceaux de glacier flottant une véritable attraction : au large des côtes de Terre-Neuve, les touristes peuvent s’informer en temps réel de la proximité d’un de ces blocs de glace pour aller l’observer au plus près. Une patrouille des glaces a ainsi été mise en place en 1959 (après le naufrage d’un paquebot), son objectif est de surveiller très attentivement chaque déplacement d’iceberg tout en le classifiant. La technologie moderne permet donc aujourd’hui d’assurer un quadrillage précis et rigoureux de l’espace maritime au large des côtes du Groenland. L’idée de tracter un iceberg devient donc un rêve accessible grâce aux progrès technologiques. Historiquement, l’océanographe américain John Isaacs était passé pour un illuminé dans les années 1950 en voulant tracter des icebergs du Grand Sud jusqu’aux côtes californiennes. Mais, en 1977, après un épisode de sécheresse sur la côte Ouest, près de 200 scientifiques, ingénieurs et journalistes s’étaient réunis dans l’Iowa aux Etats-Unis pour tenir le premier congrès international sur l’utilisation des icebergs. Le principal sponsor de ce rassemblement était le prince saoudien Mohamed Al-Faisal qui créa la même année la société Iceberg Transport International dans le but de résoudre le problème de manque d’eau potable dans son pays. Cette idée folle marqua les esprits puisque l’année suivante, Dick Smith (un homme d’affaire Australien) promit à la ville de Sydney qu’il tracterait un iceberg depuis l’Antarctique jusque dans la baie de la ville : l’affaire se révélera être un canular grossier mais le rêve, lui, traversa les époques et perdure encore de nos jours.
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Un morceau de glacier se détache, créant ainsi un iceberg récupérable par remorqueur (schéma personnel)
Images d’archives tiré de l’émission Thalassa du 04 Mars 2011 « Rêve de glace » - utilisation de la force militaire pour lutter contre les icebergs par « tous les moyens ».
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Le manque de soutien au projet du prince saoudien et les difficultés techniques insurmontables marquèrent l’arrêt du projet en 1982. Aujourd’hui, la réactualisation de ce rêve est portée par Georges Mougin (ami proche de l'explorateur polaire français Paul-Émile Victor) en coopération avec Dassault System. En effet, grâce à l’utilisation d’une « jupe » géotextile déroulée autour de l’iceberg, il est possible pour ce dernier d’être tracté par un remorqueur et de supporter un voyage de plusieurs centaines de kilomètres en conservant les deux-tiers de sa masse. Ce qui manque concrètement aujourd’hui, c’est une infrastructure dédiée à ce commerce. Il faut un port d’attache préfigurant de point de départ au transport de l’iceberg.
Pourquoi est-il intéressant de venir récupérer des icebergs ? Entre 30.000 et 40.000 icebergs se détachent chaque année de la côte Ouest du Groenland pour fondre inexorablement. D’un point de vue purement pratique, cela permettrait d’abord de réduire les collisions en hausse depuis 1850, un nombre qui augmentera fatalement de manière exponentielle avec l’augmentation future du trafic maritime. Dans le même temps, retirer de la circulation ces masses d’eau gelée ralentirait fortement la montée du niveau des océans et par la même occasion, empêcherait le dérèglement des courants marins. Il faut bien comprendre que le déversement d’une trop grande quantité d’eau douce dans les océans dérègle la circulation thermo-saline et par conséquent les courants, fondamentaux dans le cadre du commerce maritime. Enfin, naturellement, cela procurerait des quantités colossales d’eau pure et pourrait ainsi permettre de réorganiser la répartition aqueuse dans le monde. Le risque de surexploitation, inhérent à une telle proposition, reste malgré tout peu probable : « Il se détache 300 à 500 milliards de tonnes d’icebergs chaque année », une immensité par rapport aux quelques milliers de tonnes qui pourraient être effectivement prélevées. Certains scientifiques qui ont étudié la question considèrent acceptables les conséquences sur l’environnement marin. Ainsi, Jean-Louis Tison, glaciologue à l’Université libre de Bruxelles précise que « les icebergs ont un rôle ponctuel sur l’écosystème, l’impact y serait négligeable ». A petite échelle, les icebergs sont déjà utilisés comme « distributeurs d’eau douce » : une entreprise basée à Terre-Neuve utilise par exemple de l’eau d’iceberg dans la composition de sa vodka. Les pêcheurs Groenlandais qui partent en mer pendant plusieurs jours font également des arrêts fréquents près d’icebergs pour y puiser les ressources en eau nécessaires au bon déroulement de leur voyage.
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Port de Qaanaaq au Groenland, un arrivage de marchandises par bateau.
Groupe Inuit, Thulé, 1958 (image tirée de l’ouvrage de Sir Wally Herbert, Les chasseurs du Grand Nord: les Esquimaux, 1981.)
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c. Acculturation et peuple premiers : de l’importation du dimanche à la crise identitaire « Vie et mort d'une nation d'Inuit éblouis puis décimés par le mythe d'un progrès désormais inscrit dans leur quotidien, mais qui demeure étranger à leurs traditions et valeurs ancestrales. » 3 Remettre le Groenland au centre de décisions d’ordre international permet également de reconsidérer l’histoire de son peuple et de sa relation à l’étranger.
Abandon forcé des traditions C'est en 1822 que les Inuits commencèrent à apprendre des notions qui leur étaient encore inconnues 4. Par exemple celle de « semaine » et plus particulièrement du « dimanche » et du principe de « repos » qui s’y rattache. C'est en effet à cette époque que le Capitaine Parry, lors de ses expéditions, voulut réglementer les visites des Inuits sur son navire en leur expliquant qu'ils ne pouvaient venir le dimanche au moment de la messe. Cette anecdote illustre parfaitement le décalage qui peut exister entre la culture occidentale et celle des communautés locales au Groenland. En ce sens également, l'ouverture du Groenland en 1905 au libre commerce ne resta pas sans effet sur la culture Inuit. Beaucoup d'entre eux parlèrent de colonisation culturelle, contre laquelle ils avaient été protégés jusque-là par l'isolement de leur île. Durant les premières décennies qui suivirent la seconde guerre mondiale, la culture Inuit fut brutalement catapultée dans l'ère industrielle. Si ce bouleversement créa incontestablement de meilleures conditions de vie et de meilleures possibilités de formation, il engouffra aussi les Inuits dans une profonde crise identitaire. L'alcoolisme, l’obésité et la criminalité devinrent alors des problèmes importants.
Du ravitaillement à la dépendance « Les trappeurs et les chasseurs continuent à se nourrir surtout de viande et de poisson mais même eux commencent à se servir de plus en plus de denrées importées. Quant aux Groenlandais du sud-ouest, ils sont arrivés graduellement à ajouter à leur menu des fruits et des légumes en conserves, sucre, farine et autres céréales. Afin de les aider dans ce changement de régime, le surintendant de la Santé publique vient de nommer un conseiller pour l'alimentation. » 5 L’apparition de denrées importées bouleversa la culture et l’alimentation de ce peuple de chasseurs. Le système de ravitaillement mensuel ou bimensuel par navire fait aujourd’hui partie intégrante du rythme de vie des habitants de la côte du Groenland. L’arrivée d’un navire est un réel soulagement pour l’ensemble du village, les denrées contenues dans les chargements étant l’assurance de son équilibre, pour ne pas dire de sa survie. Cette zone d’arrivage revêt donc un caractère spécial dans l’imaginaire local : celui d’une porte d’entrée de la culture occidentale, tenue comme responsable des nombreux maux qui continuent de consumer la société Inuit, mais également celui d’un accès à l’international et aux biens de consommations modernes. Ce projet de diplôme se place dans cette « faille » en proposant un programme au caractère hybride (gare maritime / halles de marché), appuyant fortement sur une dimension sociale en voie de disparition.
MALAURIE, Jean, La saga des Inuits, quatrième année polaire international, 2007 MACDONALD, John, Arctic Sky, edition Royal Ontario Museum, 1998 5 ALLARD, Hector, Aspect du Groenland, extrait de Cahier de géographie du Québec, vol.9, n°17, 1964, p.41-59 3 4
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(De haut en bas) Comptoir britannique de Nagasaki, Japon (1624) + Comptoir portugais à Kannur, Inde (1500) (images tirées de l’ouvrage de René Favier, Les Européens et les Indes orientales au XVIIIe siècle ; aspects maritimes, commerciaux et coloniaux, Ophrys, 2000 La base américaine de Thulé au Groenland (1950) (image tirée de l’ouvrage de Jean MALAURIE, Les derniers rois de Thulé, édition Plon, 1996, p.58)
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II.
Du changement d’état au changement d’économie : Le mythe polaire au XXIème siècle
« Ce pays de 56000 âmes pourrait se donner des airs d’émirats […] De nouvelles cités jailliront du sol, attirant des milliers d’ouvriers de l’étranger, et assurant au Groenland une prospérité sans précédent. »6
a. Réinterroger la notion de comptoir au XXIème siècle comme infrastructure support de la ville Quelles peuvent être les conséquences de l’implantation de structures économico-portuaires le long des côtes du Groenland ? Peut-on repenser l’infrastructure comptoir comme une opportunité pour le développement de la ville ? Et surtout, comment cet espace peut-il être mis au service des communautés locales et de leurs traditions ? Rappel de l’histoire du Comptoir Le comptoir au sens de « structure commerciale » est un système d’échange de biens mis en place par les Européens au sein de territoires étrangers. Carthage est historiquement la première ville à s’être développée à partir d’une de ces structures : comptoir phénicien fondé en 814 av. JC, la ville devient une puissance dominante au IVème siècle. Cette structure servait à la fois de marché, d’entrepôt, de douane, de lieu de défense ainsi que de support à la navigation et à l’exploration. Très tôt donc, les comptoirs sont perçus comme des lieux où les gens se rassemblent et échangent des biens et, plus généralement, des informations « sur le monde ». La position de ces centres d’échange était également calquée sur celle des lieux privilégiant la migration, les mouvements et flux de personnes y étaient donc récurrents. De manière générale, le comptoir permet également le négoce de matière première et/ou de produits introuvables pour un des deux partis : dans notre cas, les icebergs constituent cette matière première de valeur. Cette tendance à mêler biens et personnes dans une logique d’échange et d’information est une constante dans le fonctionnement des comptoirs. Peut-on aujourd’hui reprendre cette base pour définir un nouveau modèle adapté à la société moderne ? La différence principale entre la vision historique du comptoir et celle proposée dans ce projet, c’est que la première place l’infrastructure comme embryon de la ville à venir alors que la seconde doit négocier avec un existant indélogeable.
Les dérives de Thulé, premier comptoir américain au Groenland Dès le début de la Seconde Guerre mondiale, les Américains prirent conscience de l’importance stratégique du Groenland. Aussi, avec le consentement des Danois, le Groenland, considéré comme un « relais » vers l’Europe, permettra aux Etats-Unis de stocker des armes nucléaires fin 1944. Au plus fort de la guerre froide, les U.S.A. redécouvrirent l'intérêt stratégique du Groenland et débarquèrent en 1951 pour créer plusieurs bases, dont celle aérienne de Thulé avec des moyens si puissants qu'elle devint totalement indépendante du climat (elle constitue encore aujourd’hui la pièce maîtresse d’alerte avancée du système de défenses antimissiles américain). Les populations Inuit furent forcées de s'expatrier jusqu'en baie d'Inglefield pour y créer « Thulé Qaanaaq », un nouveau village excentré des terrains de chasse traditionnels.
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HUSSENET Emmanuel, Le Testament des glaces, éd. Transboréal, 2008, p71
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(Image 1) Une constellation d’infrastructures économico-portuaires venant se greffer aux villes de la côte Ouest du Groenland (schéma personnel)
(Carte 1)
Site
Terre libre des glaces 17
Cet envahissement créa une forte perturbation dans les esprits de l’époque. Les Danois, comprenant dès lors la nécessité d'une évolution politique, entamèrent un processus qui mena le Groenland à l'autonomie le 1er mai 1979. 7 Cette idée que le Groenland représentait un entre-deux entre l’Est et l’Ouest est toujours d’actualité, le contexte politique n’étant plus tant militaire que commercial. Aujourd’hui cette « invasion » est symbolisée par les nombreux projets de forage qui pourraient être amorcés le long des côtes du Groenland. En contre-pied à la prolifération de structures de type plateforme pétrolière (identiques, décontextualisées au possible, destinées à pomper les réserves d’hydrocarbures disponibles), le projet propose de développer des infrastructures greffées aux villes existantes, supports d’une activité motrice pour ces dernières, et surtout destinées à appuyer le recyclage de la « ressource » iceberg.
b. Un projet en « constellation »
Future croissance des villages Inuits La configuration géographique au Groenland ne laisse que peu de place à l’étalement urbain : les villes se développent sur un mince espace faiblement nivelé entre les sommets et le fjord (Cf. image 1 et carte 1). Pour cette raison, le projet vise à créer une infrastructure de transition entre les villages et le bord de mer, zone vers laquelle la ville va vraisemblablement s’étendre. Le programme qui y est développé s’adresse aussi bien aux personnes arrivant de l’étranger qu’aux résidants locaux, mêlant ainsi un terminal maritime, plusieurs secteurs d’échanges sous formes de halles, et des lieux d’information.
L’infrastructure comme interface, le comptoir comme support et non pas comme outil d’asservissement Le site choisi tient également compte des infrastructures déjà existantes (Cf. Carte 3). Ainsi, le comptoir vient s’accoler à un entrepôt existant tout en s’articulant vers des zones portuaires toujours en activité. Ce dispositif cherche avant tout à améliorer et valoriser les conditions d’échange en créant un cadre qui tient compte d’une population et de traditions existantes. De cette manière le comptoir s’envisage comme un lieu de partage et de protection, il n’envahit pas le territoire. Le terme d’infrastructure « de transition » se justifie de plusieurs façons : déjà spatialement, parce qu’elle crée un entre-deux séparant le bord de mer et la ville, symbolisant un sas d’entrée pour la rencontre de deux cultures. Egalement « transition » au sens de temporaire, car le commerce de la glace est voué à s’épuiser. Ainsi, c’est la pluralité des programmes abrités dans le comptoir qui assureront sa pérennité.
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ALLARD, Hector, Aspect du Groenland, extrait de Cahier de géographie du Québec, vol.9, n°17, 1964, p.41-59
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En haut : (Carte 2) Inscription du projet dans une « bande de territoire » de façon à envisager le projet dans sa continuité avec la ville. En bas : Axonométrie, site d’insertion du projet.
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(Carte 3) Le sud du village de Narsaq, une zone portuaire Ă rĂŠinvestir.
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Halley VI, base de recherche scientifique britannique en Antarctique.
Etude des flux en relation au programme du « comptoir ».
OMA - YOKOHAMA PROJECT - 1992 Fréquentation et “pique d’affluence) dans les différents espaces du projet en 24h
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III.
L’infrastructure commerciale en climat extrême
« La question du changement d’état a cette capacité de créer des moments critiques - et donc fascinants où la matière qui entoure l’architecture bouleverse sa nature même » 8
a. Flux convergents en espace « clos » « Cependant continuer de sortir à l’air libre même en hiver est indispensable à l’équilibre psychique. C’est la raison pour laquelle, plusieurs villes du froid décident désormais de morceler les bâtiments en petites unités afin de favoriser les traversées à l’extérieur. Existe-il une façon spécifique de s’installer sur un tel territoire? Comment interférer avec la nature environnante? Quel est l’impact de l’hiver, alors qu'il correspond au moment d'activité économique principal malgré la nuit polaire? L’aspect des lieux publics, la nature des programmes, la gestion des transports conditionnent la survie physique et morale des habitants. » 9 La première des contraintes d’un bâtiment soumis à un climat si hostile, c’est le phénomène d’autarcie. En effet, si la plupart des projets en milieu tempéré souhaite la « transparence » et l’effacement des limites entre l’architecture et son environnement, ici c’est le contraire qui se produit : on cherche plus que tout à se protéger de l’extérieur et à concrétiser ses limites. Cependant, l’image de science-fiction de la ville qui se développe sous un dôme et qui n’entretient aucune forme de relation avec l’extérieur ne semble pas non plus adaptée à la vie sous ces hautes latitudes : les témoignages rapportés par les occupants de stations basées au Svalbard (îles au nord de la Norvège) relevaient la montée de tensions psychologiques liées à l’absence total de contact avec le monde extérieur. Alors comment concilier ces idées à priori opposées ? L’hypothèse soutenue par le projet est celle d’un lieu, certes clos, mais qui propose une multitude de scénarios et de déplacements destinés à favoriser les situations de rencontres, d’échange (voir ci-contre diagramme de circulation). Le bâtiment se construit en suivant un système de flux entremêlés qui alterne espaces vastes (les halles, le terminal) et espaces clos (salle de négoce, de recherche). De la même façon, selon les périodes de l’année, certaines parties du bâtiment sont plus ou moins sollicitées : durant l’hiver par exemple, la mer étant gelée, aucun départ n’est possible. Ainsi, le comptoir n’est pas un espace « total » mais bien un espace dont la fréquentation varie avec la fréquence des arrivages.
8 9
DELANDA, Manuel, One Dimension Lower, article tire de Domus, n°886, Novembre 2005, p136-137 LAURE, Veronique, Yellowknife, Le grand froid – une lutte pour la survie, Atlas partagé 2011, ENSAPM
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a. Climat et physiologie : repartir des travaux de Ralph Erskine Ralph Erskine, éminent architecte du XXème siècle, est connu pour ses recherches et expérimentations sur les « villes du grand froid ». En 1958, il travailla sur un projet de ville nouvelle à Resolute Bay située dans la zone Arctique du Canada : les différences de culture et de tradition entre les Inuits et les Canadiens ainsi que la question du « vivre ensemble » sous un climat aussi extrême furent au cœur du débat, « en raison de leur position isolée sur le globe, ces villes doivent faire le lien entre les individus et constituer de véritables pôles humains »11. Cette phrase renvoie à la fonction de l’architecture en climat extrême comme espace de rassemblement, un lieu qui favorise l’interaction avec l’autre et, par la même occasion, qui prévient le repli sur soi et la dépression (largement répandue à ces latitudes). Les rapports des premières missions en Antarctique, au cours desquelles les explorateurs souffrirent d'une série de problèmes psychologiques, soulignent la présentation de signes de dépression, d'anxiété, d'irritabilité, d'hostilité, d'insomnie et de manque de concentration chez ces personnes. Ces études ont mené Ralph Erskine à réfléchir sur les dispositifs nécessaires à un « contrôle » du climat (ensoleillement, isolement, vent). Par exemple, il imagina une fenêtre modulable en fonction de la période de l’année (cf. image 1 p.23). De la même façon pour le projet, les différentes parties du programme ont été travaillées avec ce souci d’ouverture et de protection (Cf. image 2 p.23).
Vent et températures extrêmes Le principal ennemi au Groenland reste le vent : un souffle glacé qui balaye les espaces clairsemés, pour ne pas dire désertiques, de la côte. Pour cela, la forme générale de la structure est envisagée à partir d’un principe simple de doubles pentes qui se répètent et se déforment, de manière à créer des sillons qui deviennent de véritables « couloir à vent ». Ce principe prévient également la formation de congère sur et sous la structure (un congère est un amas de neige résultant de l'action du vent).
Nuits polaires et stress psychologique « Instead of the science fiction city under a dome, more subtle building forms should be devised with sheltered outdoor walkways open to the sky, the sun and to falling snow, interlocked with a system of enclosed, heated and daylight streets for bad weather. » 12 Le jour continu durant les nuits polaires ainsi que l’absence de soleil durant l’hiver sont de grandes sources de stress pour les habitants de ces territoires. La difficulté pour l’architecture réside principalement dans cette alternance des extrêmes : il s’agit, selon les périodes, d’optimiser ou d’obstruer l’apport lumineux. Au Groenland, parler de jour et de nuit perd beaucoup de son sens, tout est affaire de degré de luminosité. Ainsi, les étoiles – voire même les aurores boréales - qui se reflètent dans la neige sont à juste titre considérées comme des sources lumineuses. Le projet prend ce facteur en compte en adaptant le taux de lumière extérieure nécessaire à chaque programme présent dans le comptoir. Par exemple, l’obtention d’une lumière zénithale pour la zone de marché alors qu’une lumière rasante est privilégiée dans les espaces de transition. (Cf. schémas p.25)
11 12 Ralph
Erskine cite par Peter COLLYMORE dans The Architecture of Ralph Erskine, New York, (1994), p.78
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(Image 1) A gauche : Croquis de Ralph Erskine, Détail sur fenêtre adaptable aux différentes saisons en Arctique. A droite : Croquis d’Erskine, 1958 - Développer une morphologie qui se protège du climat mais qui ne s’en détache pas pour autant.
(Image 2) Travail sur différents moments du programme (Halle de marché, Espace de représentation, embarcadère)
(Image 3) Croquis de Ralph Erskine, projet pour la ville de Resolute au Canada (1959)
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Reiser + Umemoto, proposition pour le Projet West Side Convergence (1999).
Recherche formelle pour le projet : l’infrastructure « furtive » ?
Snøhetta, Norwegian Wild Reindeer Centre Pavilion (2011).
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b.
Plateforme ou « Landform » ?
« Landform building works with an expanded notion of the interior. In this context, landscape is no longer viewed as pure exteriority – as the nature or wilderness out there - but it is understood as an immersive environment. » 14 Les paysages polaires sont fascinants par leur beauté mais restent synonymes de mort sans protections adéquates. Comment réussir à s’intégrer dans un environnement aussi hostile, où l’immense majorité de l’espace demeure sous le joug exclusif de la nature ? Pour compenser cette hiérarchie très nette et imposée qui existe entre l’intérieur et l’extérieur, le projet se revendique d’une linéarité exagérée afin que ses occupants appréhendent le paysage dans le mouvement. L’échelle de l’infrastructure permet ainsi de créer différents moments, alternant la magnificence et l’occultation du paysage à différents niveaux. Dans le même registre, le bâtiment ne pouvant toucher le sol (du fait du permafrost), il doit être mis sur pilotis. Cette situation est toutefois mise à profit pour recréer une topographie à l’intérieur du bâtiment qui va dans le sens de l’approche linéaire précisée plus haut. Le bâtiment se contorsionne « intérieurement » en orchestrant une chorégraphie qui mêle espaces publiques et paysages polaires. « The boundary between interior and exterior is fluid and permeable […] working exclusively with a language of warped and folded surfaces; the project established a complex choreography of movement, service and public spaces. » 15
14 14
ALLEN Stan, parlant du Terminal de Yokohama de l’agence FOA (1996), tiré du chapitre “From the Biological to the Geological” de Landform Building, Lars Müller Publishers, Princeton University School of Architecture, p.56
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Conclusion
A travers ce projet, j’ai souhaité faire ressortir la capacité du changement climatique à bouleverser non pas seulement le rapport qu’entretient l’homme et son climat, mais bien l’ensemble d’une machine qui lie économie et culture locale. Parce que le réchauffement climatique impose de nouveaux modèles de développement pour certaines zones du globe, il me semblait intéressant de repartir d’une histoire déjà amorcée pour le Groenland (les comptoirs, le rôle des icebergs, les problèmes de déculturation) et d’en redéfinir les enjeux dans un contexte moderne. De cette manière, l’approche s’ancre dans une échelle et un imaginaire connus, tout en permettant d’y faire émerger des solutions innovantes. L’infrastructure a un statut fascinant car multiple dans ses champs d’interventions : pensée à l’échelle du territoire, elle doit être raccordée à une logique urbaine tout en étant praticable à l’échelle humaine. Plus qu’un bâtiment isolé, c’est un système complexe qui cherche à prendre forme, à émerger des confrontations environnementales et culturelles propres à cet environnement. Entre fiction et réalité, ce projet fait émerger un scénario possible pour le Groenland parmi une centaine d’autres potentiels. L’idée n’est pas tant d’énoncer une vérité absolue mais plutôt de mettre en valeur les enjeux économico-culturels qui rendent cette partie du globe si singulière, si particulière à faire évoluer.
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BIBLIOGRAPHIE
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